Comment un tout petit appendice revèle l’état des hôpitaux péruviens.

Parfois les aléas de la vie vous conduisent sur des chemins que vous n’aviez pas prévus. Prenons mon cas par exemple. J’avais envie de vous faire découvrir le Pérou dont je suis tombée amoureuse, ce petit bout de Selva Central où pousse le café et coulent les Rios. La ville en contrebas, un dédale de mototaxis et de ciment, ses coups de coeur et ses absurdités : Pichanaki. Le village en haut au coeur des plantations, sa jungle domestiquée, ses travailleurs… Mais voilà qu’un malheureux appendice a changé le cours des choses.

Cet appendice appartient au propriétaire d’une plantation dans les hauteurs. Le jour où celui-ci a commencé à l’ennuyer, il ya de cela environ une semaine, il s’est courbé en deux et est retourné se coucher pensant que cette vilaine crise de foie allait vite passer. Comme ça ne s’arrangeait pas, on a déployé le premier niveau de secours : envoyer quelqu’un jusqu’au Poste de Santé. Ce jour là il n’y avait pas de voitures: 40 minutes aller, 40 minutes retour, à pieds.

La nuit tombée, il hurlait de douleur, on est passé au niveau 2. L’urgence, quand on habite une plantation péruvienne de la Selva Central, consiste à harceler tous les membres de la famille en possession d’un véhicule pour qu’ils vous déposent jusqu’à la ville en contrebas, à environ une heure et demie de route. Cette nuit là par chance il y en avait un. Et au bout de 10 coups de fil, il a accepté.

Une fois chose faite, le patient se croyait sorti d’affaire. A Pichanaki il est supposé y avoir  un hôpital où l’on saura s’occuper de lui et par la même occasion des quelques 20 000 appendices qui vivent aux alentours. Peine perdue. Les urgences consistent en deux salles écrasées de chaleur où un médecin perplexe rumine, tripote le ventre, demande échographie, analyse de sang et d’urines, examine les résultats écrits à la main, déclare « ça ne nous aide pas beaucoup » et, voyant dans les yeux du patient les effets miraculeux des anti-douleurs, « on verra bien demain ». Dans la nuit, la fièvre monte, l’appendice n’a pas dit son dernier mot. Retour aux urgences au petit matin. Le médecin perplexe a un éclair de génie, appuie une main ferme du côté droit et la retire d’un seul coup, le patient hrule, il tient enfin son diagnostic.

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Car à Pichanaki même, malgré sa population galopante, on n’opère pas. L’anesthésite a démissionné, pas remplacé. Bilan, trois heures de route en lacets pour l’hopital le plus proche. En taxi, sur les conseils du médecin car les mabulances on ne sait jamais trop où les trouver.

Trois heures plus tard, Tarma et ses urgences débordées. Heureusement le patient, comme tout péruvien averti, a sa botte secrète : une tierce personne qui tire les infirmiers par la manche, crie plus fort que les autres, et, une fois l’attention gagnée, court à la Caisse. Car, ici, tout a un prix. On paie d’abord, on voit après. Consultation : un ticket, analyses : un ticket, une paire de gants : un ticket, une seringue : un ticket et ainsi de suite. Il existe une sécurité sociale pour ceux qui ont peu de ressources, les employés ou agents publics mais beaucoup de péruviens, par méconnaissance de l’administration ou de leurs propres droits, ne s’en sont jamais occupés.

Quatres heures d’attente ont usé les nerfs du patient. Sa famille monte au créneau: « peut-être à force d’attendre, on risque la péritonite (l’explosion dudit appendice et l’inflamation des organes alentours), le couperet tombe : « mais, enfin, depuis hier, l’appendice a explosé. Le chirurgien de Pichanaki vous a envoyé comme ça… alors une ou deux heures de plus. » Rien à ajouter.

30 heures après la perforation de son appendice, les chirurgiens se penchent finalement sur son cas. 15 points de suture et un drain pour une opération que la distance, la négligence et le manque de personnel ont rendus beaucoup plus compliquée. « Il est en vie, il est jeune, il récuperera », voilà  les ambitions de l’hôpital public péruvien.

Opéré, le combat n’est pas terminé. Car les soins post-opératoires suivent le même schéma : réveil dans un service d’une vingtaine de lits qui compte une infirmière et une aide-soignante. Ici pas de machines, le pouls dicte sa loi. Pas de sonnette d’appels, mais cinq voisins, chacun avec leurs cicatrices respectives, pour veiller sur vous. Que l’on referme la blessure de l’un alors que les autres sont entrain de manger ne semble gêner personne. Et, pour que quelqu’un vous emmène aux toilettes, vous promène, vous amène un brot d’eau, il y a l’accompagnant. Il lui reviendra également, chaque matin, d’attendre l’ordonnance des médecins pour payer son dû à la pharmacie, de se battre pour un peu d’eau chaude, d’acheter papier toilette, gobelets… Toutes les familles, d’aussi loin qu’elles viennent, se relaient et passent leur nuit au chevet des patients sur une chaise en fer. Sans personne à ses côtés un malade n’est ni plus ni moins qu’en danger dans les murs même de l’hôpital.

Cette fable a eu lieu ces jours-ci à l’hôpital de Tarma. Le sol colle, l’eau coule par gouttes et froide, personne n’est en charge de l’entretien des sols et des toilettes, la fenêtre est fendue, les murs décrépis et pourtant les malades affluent de toute la région.

Un seul chirurgien. Une seule infirmière. Un seul aide-soignant. Dans un pays, le Pérou, qui se targue ce dimanche en « Une » de son quotiden de droite « El Commercio » d’une croissance de presque 8% pour l’année. Et qui explique que le modèle économique de ces vingt dernières années a permis un vrai développement et des opportunités pour tous. Preuve que le PIB, supposé signe de bonne santé d’un pays, n’indique en rien son niveau d’éducation, de santé ou de bien-être.

On ne s’étonnera pas si prochainement je vous parle de la popularité florissante dans ces régions d’une certaine Keiko Fujimori, fille de l’ex Président accusé de crimes contre l’humanité et de malversations financières. Quand les miracles économiques laissent de côté les plus pauvres, on ouvre grand la porte à tous les populismes.

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Auteur·e

bittnerchristelle

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