Katharina, élève en scénario… et prof pour quelques heures
Une école sans prof : rêve ou cauchemar?
En Allemagne, à la FilmArche de Berlin, la première et unique école de cinéma autogérée d’Europe, les élèves sont les profs et les profs les élèves. Et (vous pouvez me croire, car j’y suis moi-même étudiante), cela ne marche pas si mal du tout…
Dans la classe de scénario, par exemple, Katharina, une élève de la promotion 2007, explique la structure narrative en trois actes en s’appuyant sur des exemples des théoriciens américains Robert McKee et Linda Seger, et démontre son propos en passant des extraits de films noirs des années 1940.
Martin, Rafael et Wolf en exercice de tournage
Pendant ce temps, les étudiants en montage doivent réaliser un exercice de tournage en extérieur avec la classe de caméra. Pour l’occasion, Marlene, Wolf, Rafael et Martin ont imaginé une scène de duel sur un pont de Berlin, dans laquelle deux hommes s’affrontent à la manière d’un western… pour une tasse de café.
Tout se décide collectivement : ça ne sert à rien de se mettre à quatre sur le storyboard, remarque Martin. Wolf propose alors de partir en repérage (pour trouver le lieu de tournage) avec lui, pendant que Marlene et Rafael dessinent ensemble l’ordre des scènes à tourner.
Marlene au storyboard
– Ce qui est génial dans une école autogérée, me raconte Marlene, une Allemande de 20 ans, c’est que tu apprends exactement ce que tu veux, on ne t’impose rien. De toute façon, c’est comme ça que marchent les métiers du cinéma. Après l’école, tu dois te débrouiller tout seul et être indépendant.
– Surtout lorsque tu fais des films à petit budget, comme presque tous les jeunes cinéastes, souligne Wolf, un Américain de 28 ans. Il faut apprendre à t’organiser. Je pense que l’autogestion fait vraiment partie de la mentalité allemande. Cette école sans profs ne serait pas possible aux États-Unis. C’est aussi quelque chose de très… à gauche, dit-il en souriant.
Pour Susanne Dziek, 42 ans, chef opérateur (camerawoman) et membre du bureau d’administration de l’école, la FilmArche n’est cependant pas un projet politique. Même si l’autogestion est un produit de la politique des années 1970-1980, période pendant laquelle les alternatives étaient nombreuses, la FilmArche est uniquement un projet pratique, affirme-t-elle.
Susanne Dziek
Chaque année, la FilmArche accueille une promotion de 50 à 60 élèves, qui ont environ entre 20 et 43 ans. Les horaires des cours sont relativement flexibles, pour permettre aux étudiants de travailler à côté. En effet, nombreux sont ceux qui travaillent déjà dans le cinéma ou la télévision, et viennent ici approfondir leurs connaissances ou explorer une autre façon de travailler. Les autres ont des souvent des jobs alimentaires.
La FilmArche fut fondée en 2003 par un groupe de gens de cinéma avides d’apprendre et de transmettre leurs connaissances d’une manière différente, allant à l’encontre d’une attitude « consommatrice » du savoir, style je paie donc je prends. Cette liberté, notre école de cinéma autogérée la paie au prix de la pauvreté.
Nous sommes les Cosette de l’école de cinéma, raconte Susanne Dziek. L’école n’est pas financée par l’Etat. C’est un choix. Une reconnaissance de l’école par l’Etat nous permettrait d’obtenir des subventions, mais cela nous enlèverait toute notre liberté de décision. Alors, on se finance avec le coût des études. Chaque élève doit en effet payer 50 petits euros par mois, qui doivent financer tout ce qui se fait ici.
Pauvre mais audacieuse, telle est l’école de cinéma autogérée de Berlin. Le manque de moyens ne l’empêche pas de voir loin, comme le prouve la coopération de la FilmArche avec LN International, une école de cinéma du Cameroun. Chaque année, cinq à six élèves camerounais viennent filmer un documentaire et des courts-métrages à Berlin et prendre quelques cours à la FilmArche. Un nombre équivalent d’étudiants de Berlin se rendent ensuite à leur tour au Cameroun.
No budget, no bullshit : la philosophie de la FilmArche
Je demande à Susanne si elle voit une tendance se profiler chez les jeunes cinéastes de ma génération. Elle sourit en coin. Très middle-classe, très quotidien, très « chagrin d’amour », répond-elle. J’aimerais que votre génération ait le courage de filmer des milieux dont ils ne sont pas issus. Ici, je souhaite que l’on fasse des films formidables, engagés et courageux!
P.S. : Les élèves de la FilmArche ont eux-même réalisés un documentaire sur l’école pour la chaîne de télévision franco-allemande ARTE. Un reportage à découvrir en cliquant ici.
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