L’identité touarègue remise en question

Le Congrès International de la Jeunesse du Sahara s’est tenu du 31 octobre au 1er novembre à Tombouctou, dans l’enceinte de la Mairie, en présence du Président du Conseil de Cercle de Tombouctou. Cette manifestation avait préalablement reçu l’aval des autorités locales et était organisée en toute légalité par un collectif de jeunes du Nord Mali.

Malheureusement, cette heureuse initiative a été injustement perturbée par l’arrestation de deux des organisateurs, Moussa Ag Acharatoumane et Boubacar Ag Fadil, membres du collectif AFOUS-AFOUS. Ils ont été interpellés par la Sécurité d’État au motif qu’ils sont impliqués dans une affaire d’enlèvement de voiture, ce dont aujourd’hui, nous n’avons pas la preuve.

Depuis l’arrestation des deux jeunes hommes, leur l’avocat, Maitre Boureima Koné, n’a pas été autorisé à rencontrer ses clients : « J’ai  passé chaque jour de la semaine dernière au Département de la Sécurité d’Etat  où personne n’a pu me recevoir pour cause de réunions ou d’absence de responsables…  »

Moussa Ag Acharatoumane

Une pétition circule actuellement sur https://8626.lapetition.be/ pour demander  la libération de Moussa et de Boubacar, actuellement en état d’arrestation par la Sécurité d’Etat, à Bamako.

La création, au Nord Mali du MNA  (Mouvement National de l’Azawad) a généré une avalanche d’injures injustifiées si l’on veut bien croire au contenu, ici le lien  https://www.mnamov.net.

Le MNA est un regroupement de jeunes Maliens de divers horizons (Peuhls, Songhaïs, Touaregs, Arabes), crée le 1er Novembre 2010. Son principal objectif est de participer au développement  effectif de leur région, en concertation avec les élus et les acteurs du développement. Le site web https://www.mnamov.net/nouvelles/53-la-declaration-fondatrice.html donne un éclairage précis sur les motivations d’une jeunesse motivée et politisée, dont le mode d’expression n’est pas toujours dans le style du « politiquement correct », mais qui a pleinement conscience que l’avenir d’un pays passe par sa jeunesse.

Le regard myope des voyageurs épris de mythes éculés

Lorsque que je lis un livre ou un article sur les Touaregs, j’ai, la plupart du temps, un sourire amer car je ne reconnais pas les miens. L’image des touaregs est systématiquement caricaturée au travers du regard myope des voyageurs épris de mythes éculés.

Certes, il y a des auteurs et des chercheurs qui transmettent, trop rarement, une image fidèle de notre communauté. Mais la  majorité des personnes, à l’occasion d’un bref voyage ou d’un reportage éclair, côtoient  brièvement quelques autochtones, et prennent la plume ou le micro pour jouer les spécialistes et aborder sans complexe des thèmes très complexes ! Hélas, par légèreté ou par mépris, ils donnent ainsi une image faussée de notre peuple, frôlant souvent le ridicule.

Le drame, aujourd’hui est qu’en raison d’une médiatisation universelle à outrance, les Touaregs, qu’ils soient érudits ou illettrés, se voient dans le miroir déformant que le monde extérieur leur a tendu.

Le carrousel des vanités

Pour que les messages soient transmis aux populations du Nord, l’Etat et les représentations diplomatiques sises à Bamako utilisent des procédés vieux comme le monde…   » La flatterie est le miel et le condiment de toutes les relations entre les hommes » disait le philosophe Platon… Rien n’a donc changé depuis l’Antiquité… Voici la recette originale : choisissez quelques chefs conciliants et aux grands boubous bien craquants, faites- les recevoir en grande pompe par les hauts responsables de l’État, allumez les sunlights et les micros des médias, laissez- les espérer la courtoise poignée de mains et le sourire bienveillant du Président de la République ou d’un haut responsable de l’État. Ils n’auront pas à répondre aux questions essentielles parce qu’on sait qu’ils n’ont pas capacité à le faire, mais on leur  donne l’illusion qu’ils sont importants, qu’ils sont représentatifs (un mot à la mode !) Du haut de leur respectabilité, ces cadres et élus touaregs, bercés par le carrousel des vanités, tombent dans le piège et ressortent convaincus qu’ils sont les seuls et uniques interlocuteurs autorisés et les décideurs incontournables et éclairés pour toute question concernant la communauté touarègue. C’est ce que l’on peut également diagnostiquer comme étant un syndrome de l’illusion d’importance : ces gens qui ont une emprise très relative sur la société se sentent vis-à-vis de la population touarègue, tels des seigneurs responsables de leurs sujets.

En réalité, ces gens ne sont pas utiles à la communauté. Au contraire, ils sont même  facteurs de blocage, car, par leur intermédiaire, on transmet des messages hostiles à la bonne marche de la société.

Aujourd’hui la communauté touarègue, dans son ensemble, se trouve dans une situation de désespoir beaucoup plus grande qu’au déclenchement de la rébellion de 1990. Aucune stratégie d’avenir ne pourra être élaborée sans qu’il n’y ait concertation avec la communauté touarègue. En 1980, quelques hommes, une centaine, avaient décidé de se battre pour défendre les intérêts de la Communauté. En 1990, ils n’étaient  au départ, qu’une poignée pour déclencher les hostilités, à Ménaka. Aujourd’hui, c’est le peuple touareg, dans son ensemble,  qui veut faire passer ses idées, qui demande à être consulté, qui se mobilise pour se faire entendre, en dépit des dizaines de milliers de kilomètres qui le séparent du pouvoir. Quand un peuple se fixe des objectifs, il finit par les atteindre…

Il y a une autre réalité historique.    Le Mali vient de célébrer le Cinquantenaire de l’Indépendance et la plupart des peuples d’Afrique, en tout cas, ceux qui avaient un espace géographique où ils étaient prééminents, ont pu  créer leur propre État.

Nous, les Touaregs, avons été abandonnés à notre triste sort. Nous  sommes aujourd’hui minorés et dispersés dans plusieurs pays limitrophes (Algérie, Lybie, Niger, Burkina Faso et Mali), alors que nous disposions, depuis des siècles, d’un espace géographique plus vaste que la plupart des Nations instaurées dans les années 60. Moi, je pense que les Touaregs ont le droit d’avoir leur propre pays, sur leur espace géographique ancestral, un territoire où ils pourront vivre selon leurs traditions, leur culture avec une économie  adaptée à leur environnement et fructueuse grâce aux richesses stratégiques encore inexploitées de leur territoire.  Je pense que les Touaregs peuvent revendiquer ce droit légitime. Pour y parvenir, il faut qu’ils se lèvent pour l’acquérir,  qu’ils se battent pour y parvenir,  parce que c’est encore possible…

Au détour de nombreuses et diverses discussions, le verdict conclut que la création d’un État touareg n’est pas possible. Qui aurait pensé qu’un État Ukrainien aurait pu voir le jour ?

Les Hommes, qui militent pour la paix,  me disent : « regarde les Palestiniens qui se sont battus depuis si longtemps, finalement ils ne sont arrivés qu’à une forme d’autonomie pour seulement deux ou trois villages ». Pour moi, l’exemple le plus proche, c’est l’Erythrée. Voici un petit pays de moins d’un million d’habitants, qui possède des conditions géographiques similaires aux nôtres. En dépit de l’hostilité des Américains d’abord, puis celle des Soviétiques,  l’Erythrée est devenu un pays à part entière. Rien n’est impossible, pour un peuple décidé à changer sa condition politique. Aujourd’hui les Touaregs sont dos au mur. Les cadres touaregs à Bamako doivent mendier une reconnaissance de faveur. Le nomade touareg, dans tout le Sahara, doit mendier auprès d’un sédentaire ou d’un militaire, le droit à la vie. Aujourd’hui les Touaregs sont l’un des peuples le plus humiliés au monde. Au Niger, la communauté touarègue semble également affirmer sa volonté d’indépendance et je suis convaincu qu’elle n’en restera pas là ! Mais pour l’instant il faut savoir attendre et j’espère que nous pourrons emprunter les mêmes pistes qui mènent à l’indépendance.

Chaque homme a besoin d’un objectif à atteindre pour vivre dignement ; moi je préfère mourir en luttant que succomber au paludisme !

Ces revendications territoriales, aussi bien au Mali qu’au Niger ont pour caractéristiques communes d’être légitimées par l’Histoire, de posséder un tracé établi assez précis des régions revendiquées, de proposer le fédéralisme pour solution au conflit qui oppose les Touaregs aux États Malien et Nigérien, d’empêcher de sonner le glas du nomadisme.

Les filles du campement à la recherche de l'eau

L’histoire-témoin

L’Histoire est largement sollicitée pour légitimer ces revendications territoriales. Un point fait l’unanimité : les territoires revendiqués aujourd’hui sont occupés par les Touaregs depuis des millénaires. « Même les scientifiques les plus réticents qui y ont étudié les vestiges et les traces civilisationnelles s’accordent pour dire que le Sahara central est notre domaine depuis des millénaires » (Mémorandum,

CRA, p. 1). Le regard est ensuite centré sur la période coloniale car elle a provoqué la fracture et l’éclatement de l’espace touareg. Sur ce point, les textes sont très précis pour dénoncer la responsabilité de la France dans la création artificielle des États du Mali et du Niger et le caractère arbitraire des frontières héritées de la colonisation. Le document du FULA souligne (p. 18) « le caractère artificiel des frontières qui ont séparé les familles d’une même origine, de même culture ». Le mémorandum de la CRA ajoute (p. 2) : « Nous avons été dépossédés de notre territoire dans son intégralité (…). Nos colonisateurs ont d’abord partagé notre espace par des frontières arbitraires, constituant ainsi des pays taillés à leurs intérêts. »

Le territoire-enjeu

Il faut rappeler que « nomadisme » ne signifie pas l’absence d’ancrage territorial mais la gestion particulière de l’espace. Ce rappel est nécessaire car le cliché du nomade errant sans foi ni toit est d’une remarquable constance ; il constitue, pour les États qui se partagent le pays touareg, un atout précieux pour dénier toute légitimité à une quelconque revendication territoriale.

« C’est aussi une conséquence directe de la mauvaise perception et gestion politico-militaire du problème Touareg, qui dure depuis l’indépendance des Etats africains. L’invention récente du terrorisme d’Al Qaïda est utilisée comme un arbre qui cache la forêt de la rébellion touarègue qui n’a jamais cessé depuis le début du siècle contre le colonisateur et s’est poursuivie après les indépendances à cause d’un tracé frontalier arbitraire et contre nature. Encore un autre héritage colonial empoisonné

Le message lancé continuellement par les Touaregs est pourtant simple. Comme le dit l’adage populaire : « nalâab ouala nahsad » (Soit je joue, soit je ne vous laisserai jamais jouer). Tant que le problème touareg ne sera pas résolu, aucun espace sahélo-saharien ne connaîtra la paix, la sécurité et la prospérité ». Saâd Lounès El Watan du 26-05-2010

Sources : Touaregs : Voix solitaires sous l’horizon confisqué, Hélène Claudot-Hawad et Hawad (Ed.) (1996) 255 p.

Ce livre est en ligne ici https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00293895/en/

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Auteur·e

alyad

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