Sentiment anti-français au Cameroun: les raisons de la colère

Bien que personne ne veuille l’admettre, la propagation du sentiment anti-français est une réalité bien ancrée dans la mentalité camerounaise. Il ya quelques jours, à l’annonce de la mort des deux français enlevés puis « exécutés » au Niger, rares sont les camerounais qui ont jugé bon de relever le caractère tragique de l’évènement. C’est que l’image de la France n’est pas reluisante auprès des camerounais. Les raisons de ce désamour tiennent à la fois de l’histoire et de l’actualité.

Après avoir été colonisé par les allemands, notre pays a été placé sous mandat de la SDN suite à la débâcle de 14-18. Nous sommes donc un des rares peuples de la sous région à avoir côtoyé plusieurs vagues de colons. Les travaux forcés et les châtiments corporels sous les Allemands donnèrent lieu à un essor économique sans pareil et au développement infra-structurel, l’indirect rule anglais fit de la zone anglophone un territoire particulièrement bien tenu, la période française elle affiche un bilan quasi nul.

La ville d’Edéa où je me suis reposé après une récente opération est emblématique du désamour camerounais à l’encontre du français. Edéa est une ville durablement marquée par la colonisation, car elle est le véritable point de jonction entre Yaoundé la politique et Douala l’économique. En 1949, les français dotent la ville d’un barrage hydroélectrique. Souci du développement? Que nenni, il s’agit d’une installation destinée à fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement d’une usine de transformation d’aluminium, notre AREVA local. Les allemands dans un souci d’urbanisation avaient dessiné le tracé de la ville et construit un centre administratif. Les français n’ont fait qu’occuper lesdits  bâtiments toujours fonctionnels aujourd’hui et dont l’architecture caractéristique est pour ainsi dire un label colonial que tous les camerounais connaissent. La décrépitude du récent pont français sur la Sanaga apparaît encore plus criarde quand on considère l’éternelle jeunesse de l’ouvrage allemand séculaire qui le côtoie. Joignez à ces écarts d’investissement la meurtrière répression que la région, fief du parti nationaliste UPC eut à subir et vous comprendrez les raisons d’un ressentiment qui dépasse les limites de la Sanaga Maritime.

Les observateurs des relations franco camerounaises sont d’accord pour admettre que celles-ci tournent essentiellement à l’avantage de l’hexagone. Personne n’ignore que la fameuse aide au développement est en réalité une utopie, l’argent retournant en France via les contrats octroyés exclusivement à des entreprises françaises. Nos cousins Gaulois investissent beaucoup au pays de John Fru Ndi, mais leurs entreprises sont rarement domiciliées sur des sites définitifs, on les dirait toujours prêts à déguerpir à la moindre alerte, d’où leur maîtrise des arts de la location et du préfabriqué. Et avec ça, ils sont frileux à l’évocation du moindre transfert de technologie. Portrait peu reluisant j’en conviens. Mais tristement réel. Quelqu’un me disait ironiquement qu’en dehors des mariages blancs et des ballets des poids lourds de Bolloré, l’union franco-camerounaise n’avait rien de productif.

Mais, au delà de toutes ces considérations, peut-on en vouloir aux Gaulois de tirer parti des facilités que leur confère la nébuleuse Françafrique? Mieux ! Je me suis livré à un exercice: imaginons un monde inversé, un monde dans lequel les européens seraient africains et vice versa. Croyez vous que l’extrémisme des Gbagbo et autres Ouattara aurait laissé une seule chance aux indépendances africaines s’ils avaient été à la place de DeGaulle? Regardez l’acharnement avec lequel les africains néo pétroliers traquent leurs voisins sans-papiers. L’intransigeance en matière d’immigration d’un Obiang Nguéma n’a rien à voir avec les soubresauts sécuritaires de Nicolas Sarkozy. Imaginez donc cet Obiang à la tête de la cinquième puissance économique du monde. Peut-on en vouloir aux Bolloré de saigner à blanc notre continent, alors qu’il s’agit de commerce, de profit et de réseaux, autant de paramètres qui ne laissent nulle place aux sentiments? Les roitelets qui ont hérité des colonies après les indépendances tout comme leurs rejetons n’ont pas oublié les leçons des maîtres. Tandis qu’ils bradent nos richesses, ils ne se soucient pas de l’ingérence des multinationales européennes dans la régulation et la fixation des prix des matières premières. Que ces partenaires d’hier osent menacer leurs fauteuils dorés, vous entendrez alors hurler : SOUVERAINETE! SOUVERAINETE!

Voilà pourquoi, malgré la visible parenté entre nous et l’équipe de France, vous n’entendrez jamais crier « Allez les Bleus! » dans rues de Yaoundé. Voilà tout autant pourquoi le sang de malheureux ivoiriens n’arrête pas de couler depuis bientôt une décennie! L’homme est un loup pour l’homme, dire que je l’avais oublié!

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Auteur·e

florian

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