En attendant la Révolution des Sissongos

Je m’excuse auprès de mes fidèles lecteurs pour l’absence prolongée de  billet sur notre blog. Depuis que j’ai arrêté d’être « portable », mes multiples déplacements sont autant de périodes de silence. Néanmoins, si je ne tape plus sur mon clavier aussi souvent, cela ne m’empêche pas d’écrire dans ma tête.

photo: Guillaume Clément

Sissongo : herbe drue et coupante dont même Google ignore le nom scientifique et qui pousse en abondance au Cameroun. Le sissongo est au Cameroun ce que Lys est à la France et le chardon à l’Ecosse.

Mbenguiste : du Camerounais Mbeng (France et par extension l’Europe), femme plus ou moins jeune qui a réussi à immigrer en Europe. Modèle de réussite sociale, la mbenguiste travaille en Europe, investit au Cameroun et vit sur Facebook. Ne lui demandez jamais son âge ni ce qu’elle fait au pays des Blancs, ce n’est pas votre problème.

Au cours de mes pérégrinations, j’ai rencontré et fait des libations nocturnes avec un type sympa qui m’a raconté sa vie. Qu’elle soit banale n’a rien de surprenant, mais qu’il la considère comme une suite de malédictions m’a surpris. Jugez plutôt :

Première malédiction : naître au Cameroun, véritable paradis dans lequel la prospérité semble n’avoir été prévue que pour une minorité, grandir dans un environnement de sous-scolarisation et de délinquance, tirer son épingle du jeu en s’intégrant dans le circuit scolaire, connaître la désillusion du jeune diplômé qui nanti d’un diplôme de psychologie ne comprend pas qu’il est le produit d’un système éducatif inadapté qui fabrique des chômeurs à la chaîne. Incapable de surfer sur la vague de corruption permettant d’être recruté dans une fonction publique hypertrophiée, il devient vendeur de chaussures made in China -il en faut de la psychologie pour les vendre. Bienvenue dans le secteur informel, nébuleuse qui englobe des boulots minables (vendeur à la sauvette, conducteur de moto-taxi, fripier…) dont le dénominateur commun est la précarité. Résultat, une relative prospérité, euphémisme pour désigner la survie.

Deuxième malédiction : s’enticher d’une jolie fille. Autre ressource naturelle -curieusement sous exploitée de ce pays surexploité-, les jeunes et jolies filles au derrière rebondi et au regard de braise pullulent. Le type croit avoir trouvé l’Amour. Un amour qui à trop regarder les séries à l’eau de rose sur le câble piraté de la télé chinoise de leur chambrette, se prend à rêver non de mariage, mais d’Europe. Le quidam on ne sait trop comment, sûrement en s’endettant jusqu’au ras des cheveux réunit la somme nécessaire pour le billet d’avion, la gourgandine grâce à l’aide d’une tante expatriée -en réalité un croulant caucasien rencontré sur internet dans un cybercafé- réussit à prendre l’avion pour la France.

Le type devient un héros dans son quartier : envoyer sa copine en Europe n’est pas donné !

Trois ans de silence et zéro mandat Western Union plus tard notre ami tombe des nues lorsqu’il apprend par le kongossa local que la belle doit effectuer un séjour prochain à Yaoundé. Pour ne pas perdre la face, il frime : « bien sûr que je suis au courant ! Elle m’a même envoyé les sous pour réserver notre chambre au Hilton. ». Si une semaine plus tard, on l’interroge sur son absence à la descente d’avion de la belle et à la beuverie qui a suivi, il ne peut répondre qu’il n’était pas invité, se contentant de citer deux proverbes made in Cameroun : « Les enfants courent le matin, les adultes le soir » qui plus est, « on ne mélange pas l’igname avec les patates ».

Lorsqu’après une semaine de silence, notre igname -ben oui c’est lui l’igname du proverbe- se rend compte que le largage n’est pas loin, il provoque la rencontre. Rencontre faussement fortuite devant le portail (tiens ! ils en ont déjà un !) de ses « beaux parents » : la mbenguiste autrefois ratée de la famille est entourée de toute la fratrie. Elle paraît un peu  plus fripée certes, mais il ya le parfum, les talons interminables, les lunettes oversize, l’incontournable perruque bigarrée, le maquillage outrancier, les deux smartphones qui crépitent sans arrêt et surtout le sac bourré d’euros. A peine le temps de dire bonjour, la Mère désormais aux aguets intercepte le gêneur, une poignée de main et un regard durs comme du bois : « Mélanie est fatiguée, elle doit se reposer ». Bizarre l’accent francilien. C’est la mère qui était à Paris ou la fille ?

Rencontre faussement fortuite dans une boîte de nuit. Toujours la fratrie et un adonis bâti comme Fally Ipupa. On ne peut plus l’ignorer. Il est convié à la table. Whiskies, champagne etc. et toujours cet accent francilien qui semble se transmettre comme un virus. Il rentre le matin, seul, exténué et aveuglé par les flashes de l’appareil photo numérique qui n’a pas arrêté de crépiter : « des souvenirs pour mes copines sur Facebook ». Facebook ? Mais quand est-ce qu’elle a appris à écrire ? (Qui a dit qu’on écrivait français sur Facebook? NDR).

Bref, la fille comme cadeau lui a tout de même offert un téléphone, lui promettant une part du butin reposant dans un container au port, fruit de ses recherches dans les dépotoirs de l’Union Européenne. L’amoureux déçu est retourné à son business de chaussures chinoises.

J’ignore la morale de l’histoire, mais je sais désormais pourquoi notre vendeur de chaussures ira dans neuf mois réélire le Roi-Lion au poste de roi de la Rivière des Crevettes. Ben quoi dans son dernier discours de campagne, pardon je veux parler du discours à la jeunesse, ce dernier a promis 25.000 emplois dans la fonction publique (encore !) aux jeunes désœuvrés. Il se verrait bien douanier d’aéroport, notre vendeur, ainsi, lors de la prochaine escale camerounaise de son ex bien aimée, il se chargera de lui donner un aperçu de la puissance d’un homme en tenue. Voilà pourquoi lorsque je lui ai parlé de Révolution des Jasmins et autres, il m’a regardé bizarrement et a fermé le robinet si désaltérant de bières qu’il avait généreusement ouvert au bar. Pas question de compter sur lui pour une immolation par le feu au rond point de la Poste centrale.

Mohammed El Bouazizi n’a jamais téléphoné pour dire à  ses proches si en sa qualité de martyr les portes du paradis lui avaient été ouvertes. En fait, il n’a jamais téléphoné. Alors en attendant l’improbable révolution des sissongos je continue de boire des Castels glacées.

Santé!

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Auteur·e

florian

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