Abdallah Azibert

Carnet d’un voyage en terre Hadjeraï

Dans les montagnes de MongoCrédit photo: Aziz
Au bout du monde.

J’avais rédigé ce billet fin Août dernier depuis l’autre bout du Tchad profond. Cette année, j’ai pris la décision de passer mes vacances à Mongo dans le Guera au centre du Tchad. Je tiens toujours à mon rêve: parcourir une à une les 22 régions que compte le Tchad. Malgré le scepticisme de mes proches, je rêve toujours plus grand.

Un Lundi pas comme les autres, le 20 Août depuis Mongo.

Dimanche matin, départ vers l’inconnu. Le début d’un long et beau voyage vers le Guera.

Armé de mon sac à dos, accompagné de ma cousine de 9 ans, j’embarque dans le bus à destination de Mongo au Guera en terre Hadjeraï, les habitants des montagnes en arabe tchadien. Sans objet majeur, même pas de mon ordinateur, en fait j’ai décidé de passer mes vacances sans internet. Je fonce vers Mongo. J’avais une image sans doute faussée de la ville. Celle d’une ville qui va droit au mur, incohérente sans eau potable ni électricité moins encore internet. Ça cogne dans le bus. Des humains qu’on entasse comme des marchandises.  J’avais peut être raison d’avoir pris ma réservation  dans la cabine avec ma petite. On ne sait jamais. Malgré quelques murmures, tout est prêt. Allez ! On roule. J’ai mes casques dans les oreilles, j’écoute Maître Gims « j’me tire ». On se tire.

La sortie Nord de N’Djamena, première barrière. Une fouille est obligatoire pour les hommes ainsi qu’un contrôle des pièces d’identités. Mes sœurs sont dispensées. Descendez ! Ordonna le gendarme. Chacun présente ses pièces. Arriva mon tour, je lui tends expressément ma carte d’étudiant. Ohhh ! Le gendarme est analphabète.  Il fait semblant de lire, puis me rend ma carte quand j’entends « merchi feti arkab ». Entendu « merci petit monte ». Mais il semble qu’on a une irrégularité : deux passagers sans pièces et deux couteaux récupérés. Je peux lire le sourire dans les visages des gendarmes. Le bus contient des gibiers. Le port du couteau étant interdit, les deux vieillards propriétaires des armes doivent verser une « amende » de 5000FCFA chacun. Quand aux jeunes sans papiers, j’apprends qu’ils doivent verser 1000f à chaque barrière. On remonte sous le regard innocent de nos sœurs. On ne leur envie pas avant tout. C’est parti pour 500 km à parcourir. On roule.

Petite escale à Bokoro, une petite ville d’étape où on prend des sucreries et des gâteux avant de repartir. Direction le restaurant. Ici, les femmes ne mangent pas en public. Surtout pas en face des hommes. Tradition oblige, elles prennent une autre direction. Je prends place au milieu d’une boutique, sur des chaises en plastique. Alors que la chaleur écrasait toute velléité de faire moindre effort, ma petite et moi étions les seuls à boire un Coca dans un atmosphère de léthargie.  Les hommes qui tenaient les boutiques étaient allongés sur des nattes, des bancs à l’abri des moindres recoins d’ombre. Le chauffeur klaxonne, il est l’heure d’aller. On roule.

Nous atteignons Ab touyour, signifiant le père des oiseaux en arabe tchadien  vers midi. Le paysage nous indique qu’on est au Guera, une région montagneuse. En face, c’est le mont Ab touyour. Une montagne couverte de végétation. Pour quelques mois l’eau va rendre vie à la nature. Des larges plaques d’herbes ont poussé dans les étendues désolées du Sahel. A foi et joie, je découvre la région. Il est 13h quand nous atteignons Bitkine, à 60 km de Mongo. 13h c’est aussi l’heure de la prière. J’admire une scène de boutoutou. Les nuages qui couvrent le sommet infini des montagnes. Fini la prière. On roule, direction Mongo.

Scène de boutoutou à BitkinePhoto: Abdallahboss
Scène de boutoutou à Bitkine
Photo: Abdallahboss

On arrive enfin à destination. On aperçoit la piste de l’aéroport, quelques cases un peu plus loin, puis c’est la ville. Mongo, la dixième ville du Tchad, environ 30000 habitants. La ville bénéficie de 15h d’électricité par  jour. Au revoir N’Djamena. Ici, les jeunes sont ouvert d’esprit. Ils connaissent internet, je veux dire Facebook, et suivent les séries  turcs. C’est parti pour deux superbes semaines pleines de découvertes, d’émotions et surtout sans internet.  Respect les mecs.


Mon président est un chauffeur de taxi

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Vous avez sans doute regardé la vidéo qui fait le buzz du moment. C’est  une vidéo diffusée par l’équipe du  Premier ministre norvégien où on le voit revêtu de la tenue officielle des chauffeurs de taxi d’Oslo. Je me doutais des astuces des hommes politiques. Ils sont capables de tout pour donner un coup d’accélérateur à leur campagne ou pour gagner la confiance de la population.

Mais là, j’avoue que la tactique adoptée par le Premier ministre norvégien m’a énormément surpris et beaucoup plus amusé. Dans la vidéo filmée par une camera cachée, on peut le voir dans la peau d’un vulgaire chauffeur de taxi causant, bavardant comme un gamin avec ses passagers. En visionnant la vidéo, je me suis demandé les raisons qui l’on poussées à faire une telle comédie. Un Premier ministre avec son taxi faisant le clown en pleine journée dans les rues d’Oslo. Cette vidéo est diffusée  alors que la campagne électorale pour les législatives bat son plein. C’est un coup médiatique qu’il a voulu porter alors qu’il se trouve en mauvaise posture dans les sondages. Il s’est offert lui-même un sondage qu’aucun institut d’étude n’aurait pu réaliser. Il s’est essayé un exercice pour le moins surprenant.

Mais à part le côté humoristique, la vidéo fait l’objet de diverses critiques. Le tabloïd norvégien ‘’ Verdens Gang’’ (VG) a écorné le sentiment de spontanéité des passagers en révélant que certains ont été choisis à l’issue d’un casting de rue. Les passagers ont  été aussi exonérés du prix de la course étant donné que le « fameux chauffeur de taxi » n’a pas de licence taxi. Au-delà de l’humour et des critiques, je vois surtout le geste symbolique d’un homme politique au pouvoir conduisant un taxi comme tout citoyen. Je m’amuse ainsi à dire si nos chefs d’Etat africains pourraient s’essayer à ce jeu. Pourquoi pas. Ils peuvent bien faire le travesti s’ils ne l’ont déjà fait. Par exemple ici au Tchad, des rumeurs disent que le chef de l’Etat circule parfois seul la nuit. D’autres disent même qu’il troquait souvent sa tenue militaire pour celle d’un chauffeur de taxi ou de bus. Quand j’écoute cela je pense à cette dame  qui racontait un jour avoir rencontré le président conduisant un taxi tout enturbanné. Elle ajoute s’être évanouie lorsque celui-ci enleva son turban après une longue discussion et lui dit : « c’est moi Idriss Deby ».  Peut être qui sait, notre président serait un chauffeur de taxi. Peut être que j’étais même monté dans son taxi par hasard, vu les multiples chauffeurs enturbannés que j’ai connus dans cette ville.

Même si c’est vrai que c’est un fantasme des dirigeants de mêler incognito au peuple, au grand jamais mon président ne peut s’hasarder à jouer le chauffeur de taxi ici. D’abord si le premier ministre norvégien s’est travesti en chauffeur de taxi c’est pour mieux « écouter ce que les gens pensent vraiment » comme il le dit. Alors ici, qui écoute ce que les gens pensent vraiment ? Quand je vois que la ville est bloquée à chaque sortie du président, quand je vois ces jeunes militaires armés jusqu’aux dents main sur la gâchette devant la présidence, excellence a-t-il le temps de jouer le clown en pleine rue avec la population ? Alors je ne vais pas faire une comparaison entre la Norvège et le Tchad. Je veux dire  tout simplement que les norvégiens n’ont pas les mêmes mœurs que nous. Ici dans un pays qui porte encore les séquelles des multiples guerres, et où la brutalité des sa population n’est pas du reste, je rêve de ce président qui ose faire le tour de la ville avec un taxi en pleine journée même travesti.

Abdallahboss


Moins bavard, peinard, intellectuel tchadien héros national

Qu’est-ce qu’un intellectuel ?" peinture de Roger Somville via Flickr
« Qu’est-ce qu’un intellectuel ? », peinture de Roger Somville via Flickr

Quand un universitaire pond un point de presse kilométrique, presque la taille d’une monographie et brandit son « large » doctorat pour justifier qu’il n’est pas un pseudo intellectuel 8 mois après que l’on ait remis en cause ce titre, cela parait cocasse. Mais au fond, c’est le rôle des intellectuels dans l’essor du Tchad qui se pose avec acuité.

Du 15 au 23 juillet N’Djamena, a accueilli la 35e session des Comités Consultatifs Interafricain(CCI) du prestigieux Conseil  Africain et Malgache pour l’Enseignement du Supérieur (CAMES). La capitale tchadienne est devenue la capitale de l’intelligentsia africaine. C’est tout le gotha intellectuel africain qui a fait le déplacement du pays de Toumai. Occasion pour moi de penser à cette élite. C’est vrai, avec mon niveau d’étudiant, je ne peux targuer de dresser une analyse synthétique de ces gens qui ont fait en partie de moi ce que je suis. Mais, je me permets tout de même de faire un constat sur l’apport des intellectuels tchadiens dans un pays où le taux d’analphabétisme reste très élevé et où le niveau de ses élèves et étudiants est à revoir.

Qu’est ce qu’être un intellectuel au Tchad ?

En évoquant la ville espagnole de Valence au Moyen-Âge, G.Cassanova n’est pas du tout tendre : «  Le logement est mauvais, de même que la nourriture (…). On ne peut même pas raisonner. Parce que malgré l’université, on n’y trouve pas un seul individu que l’on puisse raisonnablement appeler homme de lettres. »

On croirait que l’auteur décrit le Tchad d’aujourd’hui où les intellectuels, bon je crois supposés tels font défaut ou du moins ne songent pas à nourrir les esprits. De part ma vision des choses, dans un pays majoritairement analphabète, les intellectuels constituent la crème. C’est à eux qu’incombe l’animation des débats où devraient jaillir la lumière pour éclairer la masse. Ces messieurs devraient s’illustrer par leurs contributions à la réflexion à travers des écrits dans leurs domaines respectifs. Je le souhaite fort. Mais dans une société exhibitionniste où l’homme est jugé par rapport à la grosseur de sa voiture, où les fils à papa présentent leurs chaussures sur les pistes de dance pour se valoriser, d’où est-il venu l’idée de contrôler les diplômes ? Si en serait le cas, je douterais fort de certains. Des gens biens connus qui n’ont jamais franchis le seuil d’une université  prétendent être des diplômés et osent en faire étalage.

Je reviens sur l’histoire de cet universitaire qui brandit comme un trophée son diplôme de doctorat quelques mois après que l’ont ait remis en cause ce titre. Je m’excuse mais il ne peut être d’accord avec moi. Il conviendrait que la meilleure preuve qu’il n’y a jamais eu usurpation de titre dans ce cas, était de produire un ouvrage relatif à sa spécialité. Cet incident a le mérite d’attirer l’attention sur cette propension nouvelle de course aux diplômes. Autant sinon plus que des vrais faux diplômes circulent dans ce pays. Des individus  incapables de raisonner se revendiquent intellectuels et osent prendre la parole en public pour faire de leur états d’âmes.

Des chercheurs qui cherchent, on en trouve des chercheurs qui trouvent on en cherche !

Mon constat démontre aussi qu’il existe des intellectuels séducteurs. Ceux-ci aussi rarement qu’ils écrivent, si ce sont des fiches pour faire les yeux doux aux hautes autorités. Versés dans la politique du ventre, ils ont oubliés tout ce qu’ils ont appris durant leur cursus académique. Ils ont une seule idée en tête : tout faire pour plaire au pouvoir, pour avoir un décret qui fera d’eux des « hommes respectés » Les connaissances acquises deviennent obsolètes, car ne permettent que d’avoir des miettes. La réflexion ne nourrit pas son homme qui meurt à petit feu des soucis financiers, et vit dans un taudis. Alors adieu théories, méthodologies et autres vocables chers aux chercheurs. Seul compte : « la real politics ». C’est-à-dire qui s’accommode pour être repéré et positionné. Ce n’est pas bête. Bon, c’est mieux que d’avoir des idées qui ne nourrissent pas son homme mais le condamnent à l’indigence totale. Fort heureusement que même si les moutons se promènent ensembles, ils n’ont pas le même prix.


Bac tchadien: du résultat 2.0 au résultat par SMS

Logo de l'ONECSPhoto tchadinfo
Logo de l’ONECS
Photo tchadinfo

Concentré, avec un regard fixe sur l’écran de mon ordinateur, j’étais censé réviser mes cours jusqu’à 18h en ce début du mois de ramadan. Un peu épuisé, après une journée passé à la bibliothèque, mon attention fut brusquement perturbé par ce SMS de mon opérateur. Un SMS dont voici le contenu : «  opérateur et ONECS vous présentent les résultats du bac 2013. Envoyer le centre d’examen du bac, la série, et numéro de matricule au 9595. Ex : NJ4OO1 au 9595 : SMS 100f » Un SMS qui coute 100f. Silence on arnaque !

 

En effet les résultats du bac 2013 ont été publiés ce mercredi 10 juillet. Des résultats catastrophiques  par rapport aux années précédentes. Seulement 8% de taux de réussite. Avec ce pourcentage, c’est un cycle négatif qui s’installe sur les classes de terminale. En plus d’un système éducatif inadapté à nos réalités, ces résultats montrent avec une évidence déconcertante la marche vers la faillite du système éducatif tchadien.

Et pour revenir à ce SMS de mon opérateur, ceci me fait penser en 2010 quand j’ai composé le bac. 2010, cette année où pour la première fois les résultats du bac étaient publiés sur internet, et aussi sur un journal spécial. Ceci s’est soldé par une mauvaise expérience qu’ils ont par la suite abandonnée. Je me rappelle que le jour de la publication des résultats, le site de l’ONECS (organisme chargé de l’organisation du bac) était si saturé qu’inaccessible  pendant deux jours. Motif : chaque tchadien (internaute) voulait voir le nom de son cousin, frère, copine… Et avec la qualité de la connexion que nous avons ici, bon  c’était la merde. L’expérience s’est soldée par un échec. Beaucoup ont critiqué cette  méthode de publication vu le nombre restreint des tchadiens qui ont accès à internet. Mais à mon avis, ceci constitue déjà une avancée, vu qu’elle facilite l’accès aux résultats pour la diaspora . C’est un ami de loin, de la Chine qui m’avait félicité le premier alors que j’étais coincé quelque part dans un cyber de N’Djamena. Le journal spécial lui n’existe plus, puisqu’il a été monopolisé par quelques individus.  Ces individus véreux proposent aux candidats un petit contrat : tu regarde ton nom, au fait tu jette un coup d’œil que ton nom figure ou pas et  tu paye 100f.

Un autre moyen de publication et qui a vu le jour en 2011, c’est le résultat par SMS. L’ONECS et les opérateurs de téléphonie mobile ont mis en place un système qui permet aux candidats  de savoir leurs résultats par un simple SMS. Un progrès que j’apprécie énormément. Ce système pour le moins facile à utiliser puisque bon nombre des candidats disposent d’un téléphone portable facilitant l’accès aux résultats. Sans bouger de sa chambre, le résultat vient te trouver. Sauf que le coût du SMS pose problème. Un SMS à 100f, je crois que c’est un peu de trop pour un élève. Et je plains le sort de tous ces candidats qui se verront  envoyer à plusieurs reprises ce SMS  à condition que le résultat soit positif.


Adieu N’Gueli

Scène de désolationimage mact-chad
Scène de désolation
(image mact-chad)

Que dire de plus, ‘’Sauvez ce qui peut l’être de vos maisons, il y aura casse’’. Ni plus ni moins, c’est ce que  les habitants de N’Gueli ont eu comme préavis  pour débarrasser la zone. Le déguerpissement du quartier N’Gueli, frontalier avec la ville camerounaise de Kouseri a surpris plus d’un tchadien. Depuis quelques années, on est habitué dans la capitale tchadienne aux déguerpissements mais pas d’une manière aussi rapide que  désolante vu le moment choisi : en pleine saison pluvieuse.

Depuis 2008, le déguerpissement pèse comme une sorte d’épée de Damoclès sur les n’djamenois. On peut se lever un beau jour et déclarer une zone réserve de l’Etat et sans un préavis acceptable. Je me rappelle, et d’ailleurs comme la plupart des n’djamenois, qu’en 2008  le maire de l’époque a bravé le sursis prononcé par un juge et  a osé « passer à l’acte ». Rien de plus étonnant que de voir des personnes  disposants même du titre foncier jetés dans la rue.

En 2013, ce sont les habitants de N’Gueli qui sont réveillés en ce vendredi 21 juin par les vrombissements de Caterpillar et autres bulldozers. Complètement ahuris, les habitants de ce quartier du IXème arrondissement de N’Djamena ont vécu un vendredi noir. Quadrillés par des véhicules bourrés de gendarmes et de gardes nomades armées jusqu’aux dents appuyés par des citernes à eau chaudes dissuasives, ils ne savent plus à quel saint se vouer. Cette opération que je peux qualifier d’un « ras du sol »  s’ajoute à tant d’autre qui ont mis dans la rue des familles entière. Sans délai, ni grand bruit, sinon de bouche à oreille les habitants ont été contraint de vider le lieu. La présence massive des forces de l’ordre a donné un coup d’accélérateur à l’opération. Les carrés du quartier qui s’étalent de la gauche de la mairie du 9ème arrondissement longeant le fleuve Chari jusqu’à l’entré du pont séparant le  Cameroun et le Tchad, ne ressemblent plus qu’à un tas d’immondices. Désolant, frustrant. A chaque coup de massue de ces gigantesques machines qui écroulent un mur, coulent également les larmes des pleurs des femmes et enfants impuissants à ce désastre.

C’est tout simplement inhumain. Comment je peux comprendre que des pauvres citoyens soient ainsi  jetés dans la rue en pleine saison de pluie et sans aucun remord ?