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Hotel Lobby d’Edward Hopper, une histoire de famille

Le chef d’œuvre Hotel Lobby (1943) d’Edward Hopper figure parmi les plus célèbres des tableaux de l’artiste Américain. Le Grand Palais consacrait une magnifique exposition au peintre réaliste il y a tout juste un an à Paris. Depuis, Hotel Lobby trotte dans ma mémoire. En voici une lecture personnelle, un peu loufoque mais récréative.

Hotel Lobby, Edward Hopper, 1943
Hotel Lobby, Edward Hopper, 1943

« Le manoir des prés sis 12 allée des Roseaux à Fleury sera dévolue à Mademoiselle Logique Anna. » Ecrit en corps gras sur le papier jauni du document testamentaire, le nom d’Anna scintille pareil à un panneau lumineux de casino. Anna Logique sera bel et bien propriétaire une fois Simon Cussonnet mort. Un sourire pincé apparaît sur son visage, son œil reste inquiet. La sévère domestique de 31 ans poursuit la lecture du document de 72 pages. Elle croise les jambes pour mieux se concentrer. Sa tenue est impeccable. Elle porte une robe gris souris, une chemise bleu ciel parfaitement repassée et des souliers à talons fins étrennés pour la première fois. Anna veut faire bonne impression devant Me André Platdessert, le notaire de famille. Dissimulée derrière l’imposante banque d’accueil en merisier style 1920 de l’hôtel, la petite blonde respire par saccades et s’enfonce dans son fauteuil en velours, comme pour se faire oublier.

A droite du comptoir à colonnades déserté par son personnel, Madeleine et Simon discutent. Le marquis Cussonnet se tient debout en portant la main au niveau de son foie. C’est devenu une habitude depuis six mois alors que le docteur Delajoue lui a diagnostiqué un cancer. L’air de rien, feignant de porter son imperméable Burberry sur son avant-bras, il en profite pour palper son organe douloureux. La moustache et les tempes blanchies par les années, le regard dans le vague, il ne faudrait pas compter beaucoup de tours de trotteuse à la pendule Ponte Vecchio  située en face de lui, pour que l’aristocrate au costume trois pièces ne fonde en larmes. Il souffle de nombreux « oui » de sa voix sépulcrale tandis que sa compagne lui donne des recommandations. Madeleine d’Agneau est sa seconde femme. Cussonnet n’a pas voulu l’épouser après le décès mystérieux de son épouse 47 ans auparavant. Cela fait pourtant bien des années qu’il partage la vie de cette fille de commerçant tourangeau. Il la considère plus comme sa bonne amie que son âme sœur. Il est vrai que Madeleine n’est pas vraiment jolie. La tendresse, la douceur et l’écoute ne font pas partie de ses attributs. De plus, Madeleine d’Agneau n’a jamais pu donner de descendant au marquis. C’est aussi pour cela que les deux vieux amants se trouvent dans le vestibule du Royal.

Moquette beige sur laquelle court un liséré vert racing, murs sobres recouverts de lambris jusqu’à mi-hauteur et ornés de natures mortes, fauteuils de velours gris clair, le décor sobre du lieu les rassurent un peu. Me Platdessert a bien choisi l’endroit pour cette réunion un peu extraordinaire. Madeleine le sait bien, son cher Simon n’en a plus pour longtemps. Faute d’héritier, elle ne peut prétendre à la totalité du patrimoine du futur défunt. Et puis il y a cette promesse. La fidèle servante de feu la marquise Cussonnet a laissé une lettre dans sa chambre avant de mourir. Anna Logique est la fille illégitime de Cussonnet, il convient d’en prendre soin et de subvenir à ses besoins. Le cœur noué et la main tremblante Madeleine tripote nerveusement sa belle robe en satin rouge. Fourrure et chapeaux noirs viennent parfaire la tenue préférée de Simon. « Etes-vous sûr de votre décision ? », l’interroge-t-elle d’une voix fluette.

Le gong de la pendule retentit. Il est 13 heures, le notaire est en retard.

Une interprétation libre d’Aurélie M’Bida