Arthur Floret

1922 : « L’espédition » Einstein

Il n’aura fallu que 3 minutes et 42 secondes, le 21 septembre 1922, sur l’île Christmas, pour qu’Albert Einstein prouve de manière irréfutable au reste du monde la vraie nature de son génie.

Une éclipse solaire totale, des tonnes de matériel d’observation hyper sophistiqué, deux équipes d’astronomes de trois pays, des mois de préparation, et, surtout, le Maître et son intuition.

Albert Einstein publie, en effet, en pleine Première guerre mondiale, un ouvrage sur la « relativité générale » qui va entraîner des réactions en chaîne dans la communauté scientifique dans les années suivantes.

Ayant pour ma part déjà du mal à comprendre comment un réfrigérateur peut produire du froid avec du chaud, j’éviterai de massacrer sa théorie avec une synthèse maison.

Précisons seulement qu’Einstein stipule dans ce travail, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, que la lumière, comme la matière, a un poids, et qu’elle est attirée par des corps ayant une masse, à l’instar, en quelque sorte, des objets soumis à la gravitation terrestre, comme nous, comme les réfrigérateurs.

Einstein produit des calculs qui doivent être confrontés à la pratique, mais le problème est que la vitesse de la lumière est si rapide, et l’attraction gravitationnelle si infinitésimale, qu’aucune expérience en laboratoire, à l’époque, ne permet de tester ses conclusions.

La seule manière de procéder consiste en fait à identifier de visu la déviation causée par le plus gros objet que l’on connaisse sur la position observée des plus lointains objets que l’on connaisse, vous me suivez ?

Autrement dit, l’influence de la masse du soleil sur la lumière des étoiles.

Un article traitant de l’éclipse solaire totale de 1922. Source: Delcampe.net

Or, la nuit, pas de soleil, et le jour, pas d’étoiles.

L’idée est donc que pour être en mesure de valider la théorie d’Einstein, il faut pouvoir documenter sur le terrain, lors d’une éclipse solaire totale, l’attraction qu’exerce l’astre sur la trajectoire de la lumière des étoiles directement dans son voisinage, cette trajectoire devant obliquer légèrement (la position réelle des étoiles est censée, d’après Einstein, être différente de celle que l’on voit, d’où le concept de « relativité » du temps et de l’espace).

Une première tentative est réalisée par Eddington, de l’observatoire royal de Greenwich (Angleterre), lors de l’éclipse de mai 1919 en Afrique de l’Ouest, qui s’avère concluante selon ce dernier, mais reste sujette à débat parmi les spécialistes.

Bref, il faut réessayer.

Coup de chance : en 1922 a lieu une autre éclipse solaire totale, cette fois-ci le long d’une diagonale allant de l’Abyssinie à la Nouvelle-Zélande, et qui passe en plein sur l’île Christmas !

La trajectoire de l’éclipse solaire totale de 1922. Source: TimeAndDate.com

Pas moins de sept expéditions sont mises sur pied dans une sorte de compétition internationale de gentlemen savants : une pour les Maldives, une autre pour l’Australie-occidentale, une pour le Queensland, etc.

Qui va se coltiner l’île Christmas ?

L’assistant principal de Greenwich, Spencer Jones.

Mais le choix du lieu est curieux, puisqu’il n’est pas prévu que l’île Christmas soit plongée dans l’obscurité aussi longtemps que l’Australie-occidentale, et la météo y est notoirement instable.

Qu’à cela ne tienne, toute l’équipe met le paquet. L’éclipse doit avoir lieu le 21 septembre, Spencer Jones, sa femme et ses collaborateurs quittent Albion fin janvier avec cinq tonnes de matériel, dont le meilleur télescope à leur disposition. Ils arrivent à Flying Fish Cove, via Singapour, le 9 mars.

Motivés, ils se donnent par ailleurs comme mission, d’ici au Jour J, d’étudier le ciel nocturne pour pouvoir compléter les cartes existantes de l’hémisphère nord et faire la jonction avec celles de l’hémisphère sud.

Or, au même moment, une expédition germano-néerlandaise, emmenée par Finlay-Freundlich, qui travaille avec Einstein depuis 1911, est montée, là aussi, dans le but de prendre des photos de l’éclipse sur l’île Christmas. Six clichés exactement. Avec des plaques spécialement conçues pour des déviations d’un vingtième de millimètre… Du grand art, en somme, le summum technologique de l’époque.

Einstein en personne doit être de la partie.

Coupures de presse d’époque sur l’éclipse solaire totale de l’île Christmas. Image d’Arthur Floret.

Nous sommes en 1922, les Allemands sont interdits d’entrée dans l’empire britannique, sauf permis spécial. Londres la joue fair play et donne le feu vert. Et puis, Einstein aux colonies, belle publicité…

Tout ces grands esprits se retrouvent enfin sur la pointe sud de l’île Christmas.

Ambiance club en 1922 sur l’île Christmas. Debout entre les poteaux: Spencer Jones. Assis à gauche: Finlay-Freundlich. Source: John Hunt, « Suffering Through Strength. The Men Who Made Christmas Island » (2011).

Mais Spencer Jones est désespéré. Il n’a vu que nuages et pluie depuis qu’il a débarqué.

Le 21 septembre ne déroge pas à la règle. Nuages et pluie, encore.

Huit mois de préparation pour 3 minutes et 42 secondes d’un temps… typiquement anglais.

Typiquement ?

Presque.

L’île Christmas n’a beau faire que 18km de long, les habitants de Flying Fish Cove, sur la pointe nord-est, se sont régalés du spectacle sous un ciel étoilé. Ils ont même vu Mercure, Vénus et Jupiter.

« Une vision magnifique et sublime », rapporte Finlay-Freundlich.

Attendez… Où est passé Einstein dans tout ça ?

Einstein n’a jamais foulé le sol de l’île Christmas.

Il a changé d’avis, puis a été très officiellement invité, avec sa seconde épouse Elsa, par un éditeur de Tokyo, à faire une tournée triomphale en Asie, avec réception par l’empereur du Japon à la clef.

C’est au cours de ce voyage qu’il reçoit le prix Nobel de physique 1921 pour ses recherches sur l’effet photoélectrique.

Il manque de quelques jours Spencer Jones à Singapour et Finlay-Freundlich à Colombo, qui ont tous deux perdu des plumes dans cette histoire.

Ce n’est pas grave : deux autres expéditions valident sa théorie de la relativité générale. Einstein est au faîte de sa gloire.

Prix des efforts de Spencer Jones à l’île Christmas: ce timbre imprimé en 1978 en son honneur, avec le téléscope qu’il utilisa à South Point. Source: Ianridpath.com

Ce que personne n’avait vu venir, par contre, c’est que cet esprit éminemment rationnel, qui a révolutionné la science et, d’aucuns disent, notre rapport à l’univers, avait surtout un sacré flair.

Car il a su prédire la météo du 21 septembre à South Point et se faire payer une croisière de luxe sur le Kitano Maru à la place…

Curieux qu’à sa mort, et contre sa volonté, son cerveau ait été volé et découpé en lamelles par quelque collègue envieux, non ?

Cette plaque est le seul vestige de « l’espédition » astronomique germano-néerlandaise de 1922 sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.


Décollage immédiat

Il n’y a pas que des avions qui décollent, à l’aéroport de l’île Christmas.

Cet arc-en-ciel s’est mis en bout de piste, parfaitement dans l’axe, et je me suis retrouvé à lui courir après…

Un arc-en-ciel sur la piste de l’aéroport de l’île Christmas (1/3). Crédit Photo: Arthur Floret. Un arc-en-ciel sur la piste de l’aéroport de l’île Christmas (2/3). Crédit Photo: Arthur Floret. Un arc-en-ciel sur la piste de l’aéroport de l’île Christmas (3/3). Crédit Photo: Arthur Floret.


Le concours crabique du mois : gagnez… des aimants vachement beaux pour redécorer votre frigo !

Tous les mois, L’isle aux rostres organise un grand concours unique au monde !

Explosez votre Q.I. en vous mettant dans la carapace d’un crabe pour courir la chance de gagner un cadeau pas cher mais qu’on ne trouve que sur l’île Christmas !

Le concours est gratuit et ne vous engage à rien, pas plus que L’isle aux rostres d’ailleurs…

En avril, on relâche la pression avec un jeu de pur hasard.

Vous êtes un crabe rouge, comme il y en a 40 millions sur l’île Christmas.

Votre vie pourrait être réglée comme du papier à musique, sauf que chaque tempête fait tomber arbres et branches par centaines dans la jungle où vous habitez.

Aurez-vous la chance de réchapper à la prochaine ?

Mon petit doigt me dit qu’un énorme Dysoxylum gaudichaudianum s’écrasera sur vous, et qu’avec un nom comme ça, ça va être du très lourdum.

Un seul crabe sortira indemne de ce drame.

Lequel ? Celui de gauche, celui du milieu, ou celui de droite ?

Animation d’Arthur Floret utilisant une image de crabe de Pixabay.com et une image d’arbre de Vert-plateau.com

Envoyez-moi votre réponse dans le formulaire ci-dessous pour pouvoir mettre la main sur 11 aimants avec tout plein de crabes et d’oiseaux dessus, et même le Père Noël !

Oui, vous avez bien compris, pas 10, pas 12, mais 11 aimants, parce que sur l’île Christmas, « on ze fait plaisir »…

C’est votre frigo qui va être sexy avec ça.

Image d’Arthur Floret utilisant une publicité ancienne via Blog.wannaweb.fr et les 11 aimants spécial Île Christmas à gagner.

Le plus chanceux d’entre vous sera choisi de manière totalement arbitraire, et les noms des trois finalistes seront publiés sur le blogue le 24 avril 2014.

Dépêchez-vous, vous n’avez donc que jusqu’au 23 avril à minuit heure de Flying Fish Cove pour épater la galerie !

Les 11 aimants spécial Île Christmas à gagner. Image d’Arthur Floret.

Précision : vous n’avez pas besoin d’entrer votre numéro de téléphone pour valider le formulaire

[contact-form title= »QUI VA PASSER ENTRE LES BRANCHES DE L’ARBRE ? » col= »full-width » content= » »]


GPT QBC OPIDQKC

Aaaah les adolescents…

Ma fille aînée, âgée de (1)4 ans, est revenue de la maternelle, l’autre jour, avec la lettre d’information des écoles de l’île Christmas dans son sac à dos.

En avant-dernière page : un petit dictionnaire des acronymes les plus couramment utilisés par les teens d’ici dans leurs échanges par SMS et sur Internet. Spécial parents désespérés.

Ça m’a rappelé les lettres les plus « malpolies » de l’alphabet que l’on s’envoyait à la figure avant l’apparition du clavier dans nos vies. Et ma fibre poétique s’est réveillée d’un coup.

Image d’Arthur Floret avec des boutons d’acné dégueulasses récoltés sur PaperBlog.fr, une capture d’écran d’Élie Sémoun et des émoticônes libres de droit.

Lexique :

AcronymeSignification en anglaisSignification en français
5Wait a few minutes to speak, a parent is in the roomAttends 5 minutes avant de parler, il y a mon/ma daron(ne) dans la chambre
55Coast is clear, we can talk about anythingLa route est libre, on peut parler de tout
BRBBe Right BackJe reviens tout de suite
FWIWFor What it’s WorthPour ce que ça vaut
GFGirlfriendPetite copine
HHOKHa Ha, Only KiddingHa ha, je plaisante
IDKI Don’t KnowJe ne sais pas
ILUI Love YouJ’ai envie de te b…
IMHOIn My Humble OpinionÀ mon humble avis
IRLIn Real Life (offline, not on the computer)Dans la vraie vie (hors ligne, pas sur l’ordinateur)
JKJust KiddingJe plaisante
LMALeave Me AloneLaisse-moi tranquille
LQLaughing Quietly (because someone is around)Je me marre tout bas (quelqu’un n’est pas loin)
LYLASLove You Like A SysterJe t’aime comme ma sœur
NMNot MuchPas beaucoup
NVMNever MindRien à foutre
OMGOh My God !Oh mon Dieu !
PDAPublic Display of AffectionDes câlins en public
PHATPretty Hot and TemptingTrop bonne
ROFLRolling On Floor LaughingJe suis crampé de rire
THXThanksMerci
TTFNTaTa For NowÀ plus
WTFWhat The FuckC’est quoi ces conneries

Compléments

MYMyMon/ma/mes
URYou AreTu es
W/WithAvec
WTBWant To BeTu veux être


Kim Man Lew : mécanicien

Kim Man Lew vous touche d’emblée par le contraste entre sa frêle stature, ses yeux doux, son air timide, et son quotidien les mains dans le cambouis, entre tous les fiers à bras de la mine, à réparer les véhicules que l’île Christmas réduit méthodiquement en miettes.

Puis, la pudeur des premiers moments tombe, et c’est une boule d’espièglerie et d’énergie qui vous éclate au visage.

Touché, coulé.

Kim incarne le profil type du Christmassien d’aujourd’hui : celui d’un Asiatique d’Asie qui finira en Australie, passionnément australien —grâce à l’île Christmas.

Ce caractère transitoire, migrant, n’est ni un hasard ni un caprice.

Dans le temps, toute l’économie locale était tournée vers l’exportation du phosphate. Pour vous dire, l’Australie a acheté l’île en 1957 rien que pour ça…

C’est comme mineur que son père est arrivé de Malaisie en 1979 et qu’il a pu faire venir sa famille en 1984. Kim avait 11 ans alors.

Jusque-là, il vivait dans les collines du sud-ouest de Penang, dans un milieu hakka très modeste, dont il parlait la langue, en plus du hokkien, du mandarin et du cantonais.

Une enfance à la ferme dans un autre monde, et soudain projeté dans cette colonie occidentale qui sort tout juste de l’apartheid, où il doit apprendre l’anglais, réussir dans une école qui lui est étrangère, vivre dans une seule pièce avec ses frères et sœurs et ses parents.

Pas facile.

En plus, en 1987, la mine ferme, le gouvernement encourage la population à s’en aller.

À ce stade, c’en est fini de cent ans d’occupation humaine.

Kim Man Lew. Crédit Photo: Arthur Floret.

Fatalité ou déterminisme, les Christmassiens, ces forçats de l’hyper capitalisme, ont toujours dû repartir dans leur pays d’origine, une fois leur contrat terminé. Pas le choix.

Mais eux restent, avec 600 irréductibles, organisés autour d’un syndicat qui arrive à rouvrir la mine en 1991.

Kim, jeune homme, obtient alors une bourse pour faire un stage à Perth pendant un an. De retour chez lui, il suit une formation technique qui durera 4 ans.

Après, c’est une carrière de mécanicien chez la plupart des employeurs de l’île, et le mariage avec sa femme qu’il rencontre à Malacca (Malaisie).

Aujourd’hui, Kim a deux enfants, une vaste et confortable maison dont il a conçu les plans, deux voitures, et une vue époustouflante sur l’Océan indien.

Le rêve de beaucoup d’hommes, et sûrement celui de son père !

Mais dans 6, 7 ans, il veut que ses filles puissent faire des études supérieures.

Car à quoi pourraient-elles aspirer sur une île de 2.000 habitants avec une mine de phosphate dont les jours sont comptés, malgré tout ?

Le casino des années 1990, banqueroute. Le projet de base de lancement spatial des années 2000, jamais décollé. Le centre de détention pour demandeurs d’asile des années 2010, totalement prisonnier des politiques fluctuantes de Canberra.

C’est dur de faire des plans pour le long terme à Flying Fish Cove.

Mais le présent de plein emploi apporte son lot de satisfactions.

Kim peut se permettre de rêver de s’acheter une propriété en pleine nature quand ils déménageront en Australie-occidentale.

Il s’y adonnera à son passe-temps favori avec son ami aborigène : chercher de l’or avec un détecteur de métal.

En l’espace de deux générations, les Lew auront alors grimpé en société, passant d’une ferme de survie en Malaisie à une ferme de loisirs en Australie, de métiers manuels dans une communauté monoindustrielle isolée à, vraisemblablement, tout ce que le champ universitaire pourra offrir à ses filles dans une économie qui fait l’envie du monde entier.

Avec Kim qui part, le Kim qui arrête —littéralement— des semi-remorques pour prendre soin des crabes blessés ou déshydratés sur la route, ce sera encore une page de l’histoire locale qui se tournera en silence.

En espérant que d’autres migrants suivront ses traces.


L’île Christmas vue par Alex Crétey-Systermans : photo parfaite

Ce n’est pas tous les jours, ou même tous les ans, que l’île Christmas reçoit la visite de l’étoile montante de la photographie française.

Quel meilleur endroit que le journal intime de L’isle aux rostres pour partager avec vous cette découverte ?

Alex Crétey-Systermans n’est pas un simple photographe.

Il a accumulé près de 20 ans d’expérience en peinture et en design avant de se lancer derrière l’objectif.

L’image fixe, il l’imaginait et la créait sur toutes sortes de supports avant de se décider à la capturer au vif, avec ce qu’il faut de sédimentation en théorie et en maîtrise technique des arts plastiques pour transcender sa nouvelle discipline d’adoption.

Et pas une personne n’a échappé au piège du réalisme de ses créations.

Au piège des paysages tout droit sortis de sa tête…

Car comment ne pas prendre, par exemple, ses célèbres vues aériennes du bocage normand précisément pour ce qu’elles n’étaient pas : des vues aériennes du bocage normand ?

Avec Alex Crétey-Systermans peintre et designer, on était toujours agréablement floué, après avoir été sûr.

Avec Alex reloaded, c’est encore mieux : on doute carrément d’avoir affaire à une photo.

Maître de l’illusion, virtuose de l’image.

Salvador Dali vous mettait un truc de dingue sous le nez pour vous dire : « démêle-moi le vrai du faux et le réel de l’irréel ! » (ou « merde », mais c’est une lecture personnelle).

Alex, lui, fait l’inverse. Il vous met devant une « copie » de la réalité et ne dit rien.

C’est minimaliste, épuré, dépeuplé le plus souvent, apolitique peut-être, et vous vous surprenez à divaguer dans vos pensées, à naviguer dans vos souvenirs, à regarder, beaucoup.

20 ans à travailler les couleurs, les textures, les compositions, la lumière, etc. pour que le petit clic de son appareil vous fasse suer, et surtout, très plaisir.

Ou l’art de rentrer dans le cœur des gens… par les yeux !

* * *

Le site officiel d’Alex Crétey-Systermans : https://www.systermans.com

L’album complet de ses photos sur l’île Christmas : Christmas Everyday

Source/Crédit: Alex Crétey-Systermans. Source/Crédit: Alex Crétey-Systermans. Source/Crédit: Alex Crétey-Systermans.


Lily Beach : bonne à tout faire, en particulier rien du tout

Lily Beach ?

Pourquoi vous assommer avec de grands mots pour une petite plage ?

Hmm, attendez…

Supercolonne. Image d’Arthur Floret utilisant une illustration de PopScreen.com.

On ne peut pas vraiment y nager, mais on y fume le narguilé sous le kiosque, on y pêche des carangues énormes, on s’y ballade sur les planches pour aller voir nicher les oiseaux marins.

On y fait des feux gigantesques pour le plaisir, on y campe pour admirer le ciel étoilé le plus pur de la région, on s’y déchaîne pour une soirée improvisée.

On y collectionne les seuls coraux mauves de l’île, on y, on y, on y…

Bref, Lily Beach est plus qu’une plage, c’est un parc.

Mais un parc sans espace vert et une plage réduite à sa fonction la plus simple : le trempage de pied. Dangereuse, en plus de ça.

Une reine de beauté. Source: Amara’s blog sur Lahaiseslair.com

À l’inverse de ses consœurs, Lily Beach n’a pas été nommée en l’honneur d’une super colonne britannique qui s’ennuyait à mourir.

Non, Lily, dit la légende, était une petite fille, ce qui, à la mode (australienne) d’aujourd’hui, donnerait quelque chose comme une « beauty pageant » américaine.

Je précise toutefois : une petite fille… qui se serait noyée là, il y a longtemps.

Nettement plus jolie, du coup.

Une capture d’écran du film L’exorciste. Source: TasteOfCinema.com

Les vagues surviennent en effet à toute vitesse sur le côté gauche et prennent tout ce qui se trouve sur le gravier comme une poignée de fétus.

On a même vu des voitures emportées comme des bouchons, ou presque.

La forme de la falaise qui subit l’assaut des marées vient attester que Lily est imprévisible et violente, sous son apparence inoffensive.

Les falaises de Lily Beach, sur l’île Christmas. Source/Crédit: Franz-Florian Kunert.

Mieux vaut donc se préparer à tout, quelque soit votre activité sur place.

L’endroit ressemble à ça quand vous arrivez ?

Lily Beach, sur la côte est de l’île Christmas. Source/Crédit: Alex Crétey-Systermans.

Vite, sortez votre talisman protecteur.

Alex Crétey-Systermans batifole à Lily Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Aaaah ! Voilà.

C’est pour ça que Lily Beach est plus enthousiasmante qu’elle ne devrait l’être.

On y, on y, on y… picole en permanence.

Image d’Arthur Floret utilisant une carte d’Ewan ar Born via Wikimedia et une pince de crabe de Pixabay.com


R.I.P. Pipistrelle de Noël

Premier mammifère à disparaître en Australie depuis un demi-siècle, Pipistrellus murrayi aura peuplé les nuits tropicales de l’île Christmas pendant un million d’années —ou beaucoup plus.

C’était une micro chauve-souris de 3g à 4,5g très commune jusque dans les années 1980, qui mangeait son propre poids en insectes chaque nuit.

La pipistrelle de l’île Christmas, aujourd’hui éteinte. Photo de Lindy Lumsden via Mongabay.com

Le dernier individu a été entendu le 26 août 2009, évidemment pas par un éléphant rose (1, 2).

On soupçonne plusieurs espèces exotiques d’être à l’origine de son extinction, dont les scolopendres, les serpents loups, et les politiciens de Canberra.

Que lui souhaiter ? D’être allée au paradis ?

Cela va de soi.

À condition d’y être grassement nourrie, loin des humains et de toutes les sales bêtes qui les suivent.

L’entrée au paradis de la pipistrelle de l’île Christmas. Animation et photos d’Arthur Floret avec un moustique éléphantesque trouvé sur Villiard.com


2010 : le naufrage du SIEV 221

Le mercredi 15 décembre 2010, entre 6h40 et 7h00 du matin, une embarcation transportant 89 demandeurs d’asile et 3 membres d’équipage est fracassée par une mer démontée sur les falaises de Flying Fish Cove, sous les yeux de la population locale.

50 personnes trouvent la mort.

C’est le plus important naufrage en temps de paix dans les eaux australiennes depuis 115 ans.

Tous les ingrédients étaient réunis pour un désastre.

D’un côté, une petite île isolée avec des protocoles de détection inadaptés et du matériel de sauvetage déficient et mal entretenu.

De l’autre, un bateau de pêche en bois surchargé et en mauvais état, avec un nombre insuffisant de gilets de survie, pas de radio ou de GPS, et un personnel non qualifié pour ce type de voyage.

Entre les deux, 18 familles et 16 passagers indépendants, dont 24 bébés et enfants, pour la plupart originaires d’Irak et d’Iran, ayant donné entre 4.000$ et 8.000$ par tête à des passeurs pour faire la traversée depuis l’Indonésie dans des conditions qui leur étaient volontairement cachées.

30 corps seulement furent récupérés, mais l’enquête a permis d’identifier toutes les victimes.

Aujourd’hui 5 avril, jour du Qing Ming, la Toussaint des Chinois, une poignée de volontaires est allée nettoyer le monument dédié au naufrage du Suspected Irregular Entry Vessel n°221.

Un Christmassien rafraîchit le monument dédié aux victimes du naufrage du SIEV 221, à l’occasion du Qing Ming, la Toussaint chinoise. À l’arrière plan gauche, l’endroit où le drame a eu lieu. Crédit Photo: Arthur Floret.

Les pierres portant les noms et les âges des disparus, disposées autour de l’hélice du SIEV, ont été remplacées par des nouvelles, en suivant fidèlement la liste établie par le coroner.

Une pierre par personne disparue, celle-ci étant pour un bébé de 3 mois. En-dessous, la liste des victimes du naufrage du SIEV 221 établie par le coroner. Crédit Photo: Arthur Floret.

La mémoire des personnes qui espéraient alors trouver une vie meilleure en Australie est ainsi entretenue.

Le monument en l’honneur des 50 victimes du SIEV 221 à Flying Fish Cove, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Mais l’événement n’en finit pas de faire parler de lui.

Pas plus tard qu’il y a trois semaines, à Perth, un des passeurs ayant organisé le SIEV 221 a vu sa peine de 14 ans de prison confirmée en appel.

Avant d’acquérir la nationalité australienne en 2004, Ali Khorram Heydarkhani était pourtant lui-même un réfugié iranien.

En outre, à Canberra, les gouvernements successifs, en particulier celui de Tony Abbott, le nouveau premier ministre, sous le prétexte de protéger les demandeurs d’asile des « trafiquants d’êtres humains », ont adopté une série de politiques qui défient le droit international, la morale et le sens pratique (1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7)…


Le jour du syndicat, le jour de l’union

La France ? Le 14-juillet.

Le Québec ? La Saint-Jean-Baptiste.

Les États-Unis ? Le jour de l’indépendance.

L’île Christmas ? La nouba annuelle du syndicat des travailleurs !

Camarades, vous doutez qu’il existe une fête nationale authentiquement populaire et révolutionnaire ? Non galvaudée par le passage des siècles et les jeux politiciens ?

Le cynisme et le désenchantement de notre époque matérialiste vous rendent insensibles aux exploits de vos vaillants ancêtres ?

Alors figurez-vous que sur l’île la plus capitaliste du monde —l’île-mine, l’île-casino, l’île-prison, paradis de l’entreprise privée monopolistique—, c’est tout l’inverse !

Danse malaise sur l’île Christmas (1/2). Crédit Photo: Arthur Floret.

Chaque année, à la fin du mois de mars, les Christmassiens se rassemblent, au-delà des différences ethniques, religieuses et sociales qui compartimentent leur petite société, pour célébrer les changements immenses apportés par leur unique syndicat depuis sa formation, en 1975.

Danse malaise sur l’île Christmas (2/2). Crédit Photo: Arthur Floret.

Bon, j’exagère. Pour faire la fête ensemble… mais c’est déjà beaucoup, puisque, pour pouvoir faire la fête ensemble, il a d’abord fallu briser une certain nombre de tabous, et rien moins qu’un système colonial et raciste digne des années 1930.

Danse du lion propitiatoire, chorégraphies martiales ou envoûtantes, buffet, tombola, concert, l’ambiance est résolument différente des rassemblements culturels habituels où les communautés chinoise, malaise et anglo-saxonne s’invitent entre elles à tour de rôle avec un brin de circonspection de tous côtés.

Le cyclone Gillian a eu beau décaler l’événement et forcer les ouvriers du comté à un nettoyage laborieux pour que tout puisse être en place, l’édition 2014 fera date, en attendant le quarantième anniversaire de l’Union, que « Mister » Foo, l’incontournable harangueur local, nous promet « much more bigger ».

À l’époque de la formation du syndicat, en 1975, l’île Christmas n’est encore que fraîchement australienne, Canberra l’ayant acquise des Britanniques en 1958 dans le but de sécuriser son approvisionnement en phosphate, sans s’attaquer, cependant, à la nature des relations raciales prévalentes au moment du transfert de souveraineté.

L’île est gérée par une entreprise minière dont l’objectif est de maximiser sa production au moindre coût grâce à une politique salariale qui consiste à payer les travailleurs d’origine asiatique en fonction des grilles en vigueur en Malaisie (la plupart d’entre eux étant originaire de ce pays), y compris ceux qui sont nés sur l’île après 1958 et ont du coup acquis automatiquement la nationalité australienne. Les employés métropolitains sont, pour leur part, rémunérés comme… en métropole.

Visite de Bob Hawke, président de l’ACTU, au syndicat des travailleurs de l’île Christmas en 1979. Source/Crédit: UCIW.

En outre, les fauteurs de trouble sont systématiquement expulsés en vertu de l’infamant tampon « Never To Return », qui fait planer sur des familles établies parfois depuis longtemps la menace d’une séparation permanente.

Et un apartheid est imposé aux Asiatiques, qui ne peuvent pas fréquenter la même école, les mêmes restaurants, la même piscine que les Blancs, sans compter que les logements auxquels ils ont droit ou les emplois qui leur sont réservés sont à la hauteur de leur statut social.

Silver City, une petite réplique de banlieue australienne sur les hauteurs de Flying Fish Cove, leur est même carrément interdite d’accès.

Une plaque en métal représentant le monument en l’honneur du syndicat des travailleurs de l’île Christmas (contour). Crédit Photo: Arthur Floret.

De manifestations en grèves, y compris de la faim, les barrières vont tomber les unes après les autres à la fin des années 1970 et au début des années 1980, à la faveur aussi, il est vrai, de gouvernements travaillistes sympathiques à leur cause, ainsi que du célèbre Bob Hawke, qui fut, avant d’occuper le poste de premier ministre, à la tête du Conseil australien des syndicats (ACTU).

Mais cette période va aussi coïncider avec le déclin de la mine, sa fermeture, puis les plans très sérieux de dépopulation de l’île Christmas.

Faut-il s’étonner alors que le plus imposant mémorial que l’on trouve ici soit, non pas un monument aux morts, mais un monument en l’honneur du syndicat ?

Au pied de son obélisque, on trouve une plaque en métal avec les mots suivants :

« Ce monument marque l’emplacement du premier bureau du syndicat des travailleurs de l’île Christmas, créé le 21/03/75.

Ce syndicat compte parmi ses réalisations les plus significatives et les plus importantes ce qui suit :

  • élimination du colonialisme
  • élimination du racisme
  • parité salariale avec le reste de l’Australie
  • loi sur l’immigration : statut de résidence permanente pour l’île Christmas
  • réouverture de la mine de phosphate en 1990
  • allocation de logement équitable

Le bâtiment a été détruit par le feu le 17/09/91. La cause de l’incendie n’est pas connue. »

On a envie d’ajouter trois petits points à la dernière phrase tellement sa formulation est diplomatique.

Le monument en l’honneur du syndicat des travailleurs de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

La lutte continue, pourrait-on dire, mais de nos jours, c’est Serco, la tentaculaire firme multinationale qui gère tous les centres de détention des demandeurs d’asile en Australie, qui se frotte à la détermination de travailleurs qui en ont vu d’autres…


Poisson d’avril !

C’est officiel : les Plantagenêts, ces rois anglais à l’origine de la Guerre de cent ans, étaient de gros porcs élevés en liberté !

Et l’Histoire retiendra que c’est sur l’île Christmas que la vérité a éclaté au grand jour !

Car qui n’aimerait pas faire bonne chère quand on peut avoir de belles tranches bien roses d’Henri II ou d’Édouard III dans son assiette ?

Avis aux Écossais qui voteront pour la liberté le 18 septembre 2014, les ripailleurs français font repas commun avec vous, même au bout du monde.

Et pour fêter l’An I de votre indépendance en 2015, chaque famille recevra une dinde Windsor 100% nourrie au caviar !

Les Plantagenêts, une dynastie anglaise de gros porcs élevés en liberté. Image d’Arthur Floret utilisant une illustration de thon de Pixabay.com


Au clair de la lune

Voici une de mes photos préférées, et certainement celle que j’ai préféré prendre.

Un clair de lune, au cœur de la nuit, sur une plage déserte de l’île Christmas, sous les cocotiers…

…qui a un petit quelque chose de ces antiques clichés en couleurs des frères Lumière ou de Sergueï Prokoudine-Gorski.

Doux et légèrement flou.

Sauf qu’eux savaient d’avance le résultat qu’ils souhaitaient obtenir !

Un clair de lune à Dolly Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.


L’orphelinat des fous d’Abbott

Il y a les fous d’Abbott. Ce fou d’Abbott. Les fous de ce fou d’Abbott, l’inénarrable premier ministre australien.

Tous fous à lier.

Et puis il y a les fous d’Abbott, Papasula abbotti dans le jargon scientifique, des oiseaux rares, fragiles, précieux, uniques au monde.

Et non des noms d’oiseaux comme on voudrait en donner aux autres fous.

Le passage du cyclone Gillian, la semaine dernière, a laissé Flying Fish Cove et ses habitants indemnes, tout juste un peu sonnés pour certains.

En forêt, par contre, c’est une autre histoire. Des pans entiers de jungle ont été sévèrement impactés, la canopée coupée nette.

Il faudra une dizaine d’années avant que le milieu ne revienne à son état normal.

C’est un drame pour les multiples espèces endémiques qui font de l’île Christmas une superpuissance en termes de biodiversité.

Parmi celles-ci : les fous d’Abbott (1, 2, 3), les plus larges représentants de leur famille (Sulidae), et les seuls de leur genre (Papasula).

Des machines d’endurance qui peuvent voyager sur des milliers de kilomètres pour se nourrir, et malgré tout atteindre un vénérable 40 ans d’âge.

Les équipes du Parc national ont pu récupérer une vingtaine de bébés à même le sol, ainsi qu’un adulte blessé.

Un jeune fou d’Abbott de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Une vingtaine, sur une population de 2.500 couples matures qui pondent chacun un œuf tous les deux ans et doivent prendre soin de leur petit pendant plus d’un an, c’est énorme.

Mais c’est sans compter tous ceux que l’on ne pourra pas récupérer et qui sont, du coup, condamnés à mourir de faim.

Les fous d’Abbott sont, en effet, des oiseaux marins très larges : ils doivent nicher sur les arbres les plus élevés pour pouvoir utiliser les courants d’air pour s’envoler. Les jeunes qui s’y essayent la première fois risquent gros…

Par terre, aucune chance de décoller, sauf pour les plus chanceux qui arrivent à faire le chemin inverse en s’aidant de leur bec pour grimper.

C’est dire si les cyclones ont des conséquences négatives sur la pérennité de ces animaux, surtout qu’ils s’ajoutent à la dégradation de la qualité de leur habitat et à la menace permanente que font peser certaines espèces envahissantes sur eux.

Un abri de fortune a donc été construit pour les héberger temporairement.

Les jeunes fous d’Abbott placés en soin après le passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas (cliquez deux fois pour agrandir l’image). Crédit Photo: Arthur Floret.

Les petits y sont nourris tous les matins, individuellement, à raison de 4 poissons par tête.

La cohabitation est un peu difficile pour ces solitaires au caractère bien trempé.

Mais ils bénéficient d’un service de pédicure soigné pour se remonter le moral.

N’allez pas leur souffler, néanmoins, que les garde-natures leur peignent les ongles pour les distinguer les uns des autres…

D’ici quelques jours, quand ces hôtes de marque auront été « fidélisés », ils seront transférés dans autre enclos, sans toit, sur les hauteurs du port, pour qu’ils puissent profiter de la falaise pour apprendre à voler, tout en sachant où retourner pour casser la croûte. Ou l’écaille.

Peut-être seront-ils entre temps rejoints par des frégates, des roussettes, des pailles-en-queue ?

Espérons, en tous cas, que ces « boobies juvéniles » sauront attendrir un large public sans que l’on nous prenne pour des pédophiles, comme l’année dernière

Eh oui, en anglais, « boobies » veut dire « fous » et « nichons », alors imaginez la réception d’une campagne de sensibilisation du genre : « nous avons une dizaine de paires de magnifiques nichons juvéniles en cage, pas de parents, des nichons comme on n’en voit que sur l’île Christmas. Aidez-nous à les aimer et à les faire grandir ! »


Dolly Beach, la plus belle plage de l’Océan indien

Je vous lance un défi honnête.

J’affirme ici que Dolly Beach, sur l’île Christmas, est la plus belle plage de l’Océan indien.

Je le prouve, même.

Vous n’êtes pas d’accord ? Merci de m’envoyer un billet d’avion et une réservation d’hôtel d’une semaine avec bar à volonté dans le but d’apprécier à sa juste valeur l’étendue de sable avec laquelle vous souhaitez me torturer.

Dolly Beach est sauvage : point de route, de commerce, d’habitation, d’électricité, de touriste, de nettoyage matinal, ou même de voie d’accès par la mer.

Image d’Arthur Floret utilisant une carte d’Ewan ar Born via Wikimedia et une pince de crabe de Pixabay.com

Juste 300 mètres de cocotiers coincés entre deux falaises noires et un platier, des tortues énormes, des crabes voleurs, des roussettes, et une petite piscine naturelle creusée dans le basalte, judicieusement appelée le « spa ».

C’est tout.

Ça n’a pas de prix. Ça n’a plus de prix.

Le « spa », à Dolly Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Je ne parle même pas de l’éventuelle affluence dominicale que l’on aurait dans les coins les plus reculés d’un endroit surpeuplé comme Mayotte, ou des petits trafics locaux qui font le quotidien de toutes les côtes de l’Afrique à l’Indonésie.

Il n’y a rien. Rien, ni personne.

La plage vous appartient totalement.

Enfin… après les crabes.

Un crabe de cocotier, à Dolly Beach, sur l’île Christmas, cherche à manger dans un sac à dos. Crédit Photo: Arthur Floret.

On arrive à Dolly Beach comme on voudrait arriver à toutes les plages du monde.

Éreinté et dégoulinant de sueur.

Et vraiment, s’il y a un endroit pour relaxer, c’est… devant l’appareil photo ?

Admettons.

Dolly Beach, sur la côte est de l’île Christmas, offre des moments de solitude rares. Crédit Photo: Poh Lin Lee.

Dolly Beach est le paradis des campeurs.

On y devient vite snob en la matière.

Tenez, regardez l’attitude…

Camping parfait à Dolly Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

La journée se passe à rôtir comme un porcelet au-dessus du feu, avec un peu de jus du spa pour nettoyer les graisses, dans un décor douloureusement halogène.

Grand bien vous fasse, néanmoins, si vous avez l’énergie de décrocher une noix de coco qui pendouille au-dessus de votre tête.

Ce sera toujours ça de moins d’importé de Thaïlande.

Dolly Beach, sur la côte est de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

À part ça, devant qui rouler des mécaniques ? À quoi bon sortir la stéréo ?

Laissez couler les heures, allez chercher du bois, préparez le feu, puis dormez, mais sur une oreille seulement…

Une nuit à la belle étoile à Dolly Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Car vous aurez peut-être la chance de pouvoir observer les magnifiques tortues vertes se hisser sur les rochers de tout leur poids pour aller déposer leurs œufs sous vos pieds.

Il paraît qu’elles reviennent là où elles sont nées, il y a des dizaines d’années.

Une tortue verte surprise en train de pondre à Dolly Beach, sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Peut-être vous réveillerez-vous avec une retardataire, ou au moment où des bébés sortent de leur trou pour rejoindre l’eau ?

Lever du soleil sur Dolly Beach (île Christmas). Crédit Photo: Edward Eng Kong Lee.

C’est possible.

Moi, je parie que vous resterez encore une nuit sur place pour bien absorber ce mélange enivrant de pure solitude et de nature (presque) vierge, et ne pas manquer la prochaine ponte.

Je ne suis pas prêt de le voir, ce billet d’avion pour Madagascar…


Concours crabique du mois : et le/la gagnant(e) est…

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« Mesdames et messieurs, le/la gagnant(e) du grand concours le plus débile du monde pour le mois de mars est… »

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Hervé, du Vietnam !

Hervé m’envoie la réponse suivante : 1A, 2B, 3C, 4D, 5E, 6F, 7I, 8H, 9G, 10J, 11K, 12L, 13M, 14N, 15O.

Bravo Hervé !

À part les deux petites pattes de derrière que vous avez inversées, mais dont on se demande bien à quoi elles servent de toute manière, c’est un sans faute.

Vous avez une excellente connaissance de l’alphabet.

Pour rappel, nous avions un crabe de cocotier tout démembré comme une vieille Pigeot qu’il s’agissait de remembrer.

Un puzzle crabique. Image d’Arthur Floret utilisant une illustration issue du Dictionnaire d’histoire naturelle de C. Orbigny (1849) via Wikipédia.

La nature étant bien faite, on obtenait alors une magnifique illustration datant du XIXè siècle.

Illustration d’un crabe de cocotier issue du Dictionnaire d’histoire naturelle de C. Orbigny (1849) via Wikipédia.

Hervé peut trôner tranquillement sur les trois marches du podium aujourd’hui, puisque j’ai une attirance particulière pour son pays d’adoption, ainsi que pour le Cambodge et le Laos.

Nos frères francophones dans une Asie gangrenée par l’américanisation. Symboliquement francophones, certes, mais peu importe…

Ce qui m’inspire le moment bernard-pivotesque suivant : je vous conseille la lecture du syphilitique et opiomane roman de Claude Farrère, Les civilisés, pour une plongée dans la Saïgon décadente de le Belle Époque. Le livre finit sur l’explosion d’un navire de guerre anglais, c’est jouissif.

Allez, le moins prochain, on joue pour des aimants.

Vite vite, suivez bien L’isle aux rostres pour ne pas rater l’occasion de faire plaisir à votre grand-mère en redécorant son réfrigérateur…


Cyclone Gillian : plus de peur que de mal

Venant du nord tempéré, et anticipant naturellement mes expériences climatiques futures à l’aune de celles que procure cette région, j’avais toujours pensé, jusqu’à hier, qu’une « tempête » était par nature directe, prévisible, un peu comme un goret qui court en ligne droite dans la forêt.

Ou une coupe mohawk.

Je me réveille déboussolé après avoir découvert le chignon bien serré d’un cyclone tropical, certes conventionnel sur le plan capillaire, mais surtout complètement tordu !

Gillian s’en est allé, laissant derrière lui… eh bien, les choses à peu près comme elles étaient, en fait.

À part des arbres arrachés et des tôles envolées, rien à déplorer.

La route de Lili Beach après le passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret. Le cyclone Gillian a détruit une partie du toit d’un des trois bâtiments patrimoniaux de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret. Un arbre est tombé sur une aire de jeux pour enfants pendant le passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Non, la surprise, c’est le contraste entre le caractère aléatoire de ce phénomène météorologique et la préparation chirurgicale des autorités, qui renforce du même coup la paranoïa ambiante.

Le 10 mars, soit 12 jours avant qu’il ne touche Flying Fish Cove, la presse parle déjà de Gillian. Sauf qu’il est dans le nord-est de l’Australie.

Ici, aucune idée.

La trajectoire complète du cyclone Gillian. Source: Bureau australien de la météorologie (BOM).

Le 20 mars, les prévisions annoncent qu’une dépression tropicale va traverser l’île.

Bof, pas très excitant.

Cyclone Gillian: prévisions du Bureau australien de la météorologie au 20 mars 2014 à 20h00. Source: BOM.

Mais le lendemain, changement de ton.

On passe au stade de cyclone de niveau 1 à 2 dans le voisinage immédiat de l’île Christmas.

Cyclone Gillian: prévisions du Bureau australien de la météorologie au 21 mars 2014 à 14h00. Source: BOM.

La grande machine se met alors en route.

Un tableau au rond-point de l’île Christmas invite la population à commencer à se préparer au passage du cyclone Gillian. Crédit Photo: Arthur Floret.
  • On nous donne ensuite des feuillets explicatifs dans les commerces, y compris en cantonais. Et la police fait du porte à porte pour s’assurer que chacun en a en sa possession.
Le document « Cyclone Smart » explique les étapes à suivre pour se préparer à l’arrivée du cyclone Gillian sur l’île Christmas (cliquez pour agrandir). Source: Department of Fire and Emergency Services (FESA).
  • Dans l’après-midi, l’administrateur fait circuler une lettre par courriel pour annoncer l’arrivée du cyclone. Alerte jaune.

  • Des lumières se mettent alors à flasher le long des principaux axes routiers, que je n’avais d’ailleurs jamais remarquées en deux ans et demi sur place.
Un feu d’avertissement cyclonique sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.
  • Même la crèche de ma fille aînée s’y met en m’envoyant un SMS pour me demander de la récupérer « dès que possible ».
Un SMS d’avertissement cyclonique envoyé par la crèche de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.
  • Facebook, l’incontournable et maudit Facebook, est par la suite mis à profit pour diffuser les messages importants via le très banal groupe d’échange et de vente de particulier à particulier CI Buy, Swap & Sell. Alerte rouge.

  • Finalement, la nuit tombée, une voiture de police fait le tour des quartiers toutes sirènes hurlantes, histoire que l’on fasse de beaux rêves.

Ceux qui ne sont pas rassurés par tout ça peuvent aller dormir au refuge au gymnase.

Les 1.700 demandeurs d’asile, quant à eux, ont été rassemblés au centre de détention de North West Point, le seul bâtiment construit aux normes pour ce type d’événements.

J’attends la mort. Mon testament est scellé. On va se faire écrabouiller comme des vieux flans.

Et pourtant, pas un bruit, pas un pet d’air.

Vers 2h00 du matin, le samedi 22 mars, ça y est, la pluie et le vent arrivent.

Mais au lever, ça ressemble étrangement à un banal temps normand ou breton, à tel point que je retrouve mes vieux réflexes de vouloir enfoncer ma tête dans un kouign-amann ou un teurgoule pour hiverner. Ah, toute cette grisaille…

Une fois n’est pas coutume, je mets Poppy devant la télé.

L’âne Trotro.

Le cyclone Trotro, voilà un nom de baptême approprié.

Le passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas ou une journée en Normandie? Crédit Photo: Arthur Floret.

Je vérifie de nouveau les prévisions, avant qu’Internet ne nous lâche à cause des nuages.

Super, le cyclone semble s’éloigner, et l’œil n’a jamais été au-dessus de nous.

Cyclone Gillian: prévisions du Bureau australien de la météorologie au 22 mars 2014 à 8h00. Source: BOM.

Et à 10h00, miracle, il ne mouille plus, tout est calme !

Vite, je saute sur l’opportunité pour nous inviter chez des amis pour le café, on prend la voiture pour faire les 1.000 mètres de montée qui nous séparent, une belle journée va commencer, ce n’était rien d’autre !

Les Christmassiens s’embêtent, ils végètent tous derrière leurs fenêtres sans profiter de ce changement de météo.

L’occasion parfaite de lâcher leur fiel, sur Facebook, contre les génies dans mon genre qui savent profiter de la vie…

Hum.

Une heure plus tard, ça recommence, sortis d’absolument nulle part : la pluie et le vent, encore, beaucoup de pluie et beaucoup de vent.

Je n’y comprends rien.

Une journée en Normandie? Non, le passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas! Crédit Photo: Arthur Floret.

On le sent passer, le cyclone.

Le couvert est mis. Coincé chez mes potes.

Photo satellite du passage du cyclone Gillian sur l’île Christmas. Source: CIMSS.

Vers 17h00, j’en ai marre, je ramène ma progéniture, défiant encore l’ire des locaux.

Notre maison sur pilotis est partiellement inondée, pas mal. Oui, sur pilotis.

À 18h30, la police sonne la fin de l’alerte rouge.

Gillian est parti aussi vite qu’il est venu. Il est devenu fou : il passe en catégorie 4 le dimanche matin.

4 sur 5.

Même les équipes chargées de la recherche des débris du vol MH370 dans le sud de l’Océan indien sont impactées.

Cyclone Gillian: prévisions du Bureau australien de la météorologie au 23 mars 2014 à 8h00. Source: BOM.

Bref, je reprends le fil de mon raisonnement, la coupe mohawk, ça dit tout, le style ne trahit pas.

Le chignon, ça me rappelle mes profs d’allemand au lycée, austères, soudain douces et plaisantes, puis psychorigides l’instant d’après. Impossibles à anticiper, mais toujours capables du pire.

Voilà ce que les Christmassiens craignaient. Que le ciel leur tombe sur la tête, puisque la force et la trajectoire d’un cyclone changent d’heure en heure.

La toupie infernale se nourrit à même la mer, allez comprendre sa logique à part ça.

Ils devaient sentir aussi, peut-être, que quelque chose de gros leur était dû, à eux, ces enfants gâtés des Tropiques, qui sont cinq fois moins exposés que leurs compatriotes de l’Australie-occidentale, et qui n’ont jamais connu que des pointes de vent de 100km/h maximum.

Ils tomberaient en syncope dans l’ouest de la France, mais là-bas, les gens savent sur quel pied danser quand les éléments se déchaînent.

En somme, ç’aurait pu être un cyclone monstre, à quelques heures de différence.

Et les chances d’éviter le vrai se sont encore réduites…

Carte des cyclones tropicaux entre 1985 et 2005 (cliquez pour agrandir). Image de Nilfanion/NASA via Wikipédia.


Scolopendre : au secouuuuuurs !

Veinard ! Veinard…

Pardon, je m’adresse à la portion de mon vénéré lectorat qui vit dans l’ignorance des scolopendres, c’est-à-dire 10% d’entre vous.

D’où le singulier. Veinard.

Évidemment, l’île de Noël, dans ton esprit, ratatine Bora Bora sur le plan paradisiaque. Et les Seychelles, les Maldives, tout ça, hihihi…

Je t’ai bien endoctriné, alors.

Passons.

Plus sérieusement, qu’est-ce qui caractérise le paradis, dans les discussions de café, au moins ?

La femme ? L’abondance de pommes sucrées ? L’absence de moustiques et de politiciens ? Le soleil et l’eau turquoise ?

C’est le serpent, bien sûr, et, par extension, toutes les sales bêtes qui font qu’on ne pourra jamais se laver les dents en paix.

Hier soir, j’étais en train d’aider ma fille de 4 ans à se brosser les ratiches au-dessus du lavabo de la salle de bain, tranquillement, avant d’aller lire Desproges, quand une scolopendre est sortie du siphon à tout berzingue, du genre « excusez-moi, vous m’avez pas vue ».

Crise cardiaque, hurlements, larmes, un poing qui vole, vlan, mon rasoir électrique de fichu.

Une scolopendre sortie de mon lavabo sur l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Après coup, néanmoins, je me suis dit que cette entrée en matière me facilitait finalement les choses, puisque je n’avais pas à en dénicher une pour faire un billet pour Mondoblog. Imagine, la chasse aux cent pieds…

La  présence des scolopendres est attestée dès les premières années de la colonisation humaine, et en 1907, on les juge déjà « abondantes » partout sur l’île.

Elles sont importées par bateau, et c’est doublement dommage, puisqu’elles seraient une des causes à l’origine de la quasi-disparition des chauves-souris locales, et elles restent, jusqu’à ce jour, le seul animal dangereux pour l’homme.

On comprend pourquoi quand on voit ses crochets à venin :

Les crochets à venin d’une scolopendre de l’île Christmas. Crédit Photo: Arthur Floret.

Il y a de véritables histoires d’horreur qui circulent à leur endroit. Une personne, dont je ne dirai même pas le sexe, qui s’est faite mordre les testicules dans son lit. Une autre qui s’est faite atomiser le pied en enfilant une chaussure. Ou dans un pantalon avant d’aller au travail. Ou sur la nuque en poussant les branches dans la forêt. Assis dans un canoë, en ramant, loin de la plage. Etc.

J’attends mon tour. Je te tiendrai au courant.

Dans l’intérim, ça me fait penser à ces documentaires américains sur les attaques de requins, d’alligators, de serpents, bref, n’importe quel drame impliquant un innocent citoyen de la classe moyenne étasunienne et une horrible créature vicieuse et mortelle.

Les reconstitutions sont impayables, surtout quand elles sont faites avec la victime. Flous, ralentis, voix « off », caméra répliquant la vision de la bête, narration faisant appel à des souvenirs très lointains. Je veux en être.


Le concours crabique du mois : gagnez des… porte-bières isothermiques avec des beaux dessins dessus !

Tous les mois, L’isle aux rostres organise un grand concours unique au monde !

Explosez votre Q.I. en vous mettant dans la carapace d’un crabe pour courir la chance de gagner un cadeau pas cher mais qu’on ne trouve que sur l’île Christmas !

Le concours est gratuit et ne vous engage à rien, pas plus que L’isle aux rostres d’ailleurs…

En mars, on passe enfin aux choses sérieuses.

Vous êtes un crabe de cocotier, comme il y en a un million sur l’île Christmas, mais un vilain carcinologiste (spécialiste des crustacés) va vous démembrer comme une vieille Pigeot pour faire une belle illustration pour sa thèse de doctorat de 25.000 pages de l’Université d’Einszweidreivierfünfsechs.

Autant dire qu’il va falloir vous débrouiller tout seul pour recoller les morceaux et filer à l’anglaise quand il ira faire sa pause pipi.

Mais L’isle aux rostres aime les crabes, surtout ceux qui peuvent atteindre les 100 ans sans devenir complètement gaga comme les humains, alors voici un exercice pour vous préparer :

Un puzzle crabique. Image d’Arthur Floret utilisant une illustration issue du Dictionnaire d’histoire naturelle de C. Orbigny (1849) via Wikipédia.

Envoyez-moi dans le formulaire ci-dessous la combinaison complète des chiffres et des lettres (ex.: 7G) qui permet de remettre les pattes, les pinces, les antennes et l’abdomen à leur place.

Le meilleur d’entre vous sera choisi avec une dose d’arbitraire et une de hasard et recevra par la poste non pas un, mais six objets quintessentiellement christmassiens : des porte-bières isothermiques avec tout plein de crabes dessus.

Les six porte-bières spécial île Christmas à gagner, avec en toile de fond Dolly Beach sur la côte est. Image d’Arthur Floret.

Adieu les mousses vidées en trois secondes pour éviter qu’elles ne se réchauffent, faites durer le plaisir, viser les dix secondes ! Fini aussi les bouteilles cassées sur la tête du voisin !

Et si vous ne buvez pas d’alcool, quel confort moderne et classieux pour votre jus de baobab ou votre eau gazeuse goût citron…

Les noms des trois finalistes seront publiés sur le blogue le 25 mars 2014.

Dépêchez-vous, vous n’avez donc que jusqu’au 24 mars à minuit heure de Flying Fish Cove pour épater la galerie !

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Précision : vous n’avez pas besoin d’entrer votre numéro de téléphone pour valider le formulaire