Aminata THIOR

Sénégal : musulmans mais tellement incohérents …

Bon, c’est le ramadan. La période des prêches. Un mois où la foi est courtisée par bon nombre de musulmans. En général, le temps est lent, les ventres gargouillent et l’esprit est réceptif aux belles paroles divines. Et moi, je viens vous proposer un billet ennuyeux. Mais attendez, ne partez pas, il faut que je vous précise quelques éléments.

Ramadan_Sénégal2Mon billet ennuyeux a sa place au milieu de toutes ces conférences religieuses qui ont remplacé les khew,  ces festivités que nous adorons tant : baptêmes, mariages, parrainage,… De toute façon, vous retrouverez ce genre de sujet ennuyeux que je vous propose ici avec nos prêcheurs, ces vedettes qui ont envahi nos télés et radios en cette période où le rappel des paroles de Dieu et de son prophète (PSL) nourrit les cœurs. Alors restez et discutons un peu de quelques unes de nos incohérences quant à la pratique de “notre islam”. Oui, notre car nous la pratiquons tellement à notre manière que des interrogations s’imposent.

Mais juste avant de vous ennuyer, permettez-moi de faire quelques rappels sur le Sénégal. Pays à 94% de musulmans. Peuple galvanisé dans sa bonne pratique de l’islam. Peuple se glorifiant de sa tolérance, de sa pratique pacifique de l’islam mais aussi et surtout de sa foi. Et je rajouterai, peuple tellement incohérent dans sa pratique de l’islam.

C’est bon, vous allez commencer la lecture ennuyeuse. Vous avez le choix entre partir ou rester découvrir ce qu’est un billet ennuyeux que je veux partager absolument avec vous. Bon, on enchaîne avec nos incohérences dans notre pratique de l’islam.

Atteinte à la dignité humaine

Pendant que nous clamons haut et fort notre tolérance et notre foi, nous continuons de refuser des mariages entre deux musulmans consentants. Oui, nous sommes en 2016 et des unions ne se scellent pas au Sénégal à cause des problèmes de caste. Nous continuons de refuser le mariage de nos filles si les prétendants ne sont pas du même niveau social (et vice versa). Si vous doutez toujours de ce phénomène, je vous conseille d’ouvrir les yeux en ligne. La récurrence de ce genre de témoignages sur les réseaux sociaux est sidérante. Je vous conseille également de vous ouvrir à vos amies, cousines et sœurs, elles vous diront leur souffrance sur les motifs de leur refus de mariage. Et pourtant, nous nous disons musulmans. Et pourtant, nous remplissons les mosquées. Et pourtant, nos cœurs sont remplis des paroles de Dieu. Quelle incohérence !

Pourquoi pensez-vous que l’élite musulmane sénégalaise envoie ses enfants dans les établissements d’enseignement privés catholiques de Dakar ?

Champions du monde de la passivité

D’ailleurs, j’aurais dû commencer à vous ennuyer en parlant de certains principes basiques que l’islam prône et que nous ne respectons pas. Le respect de la parole donnée est une utopie dans nos contrées. La discipline, la rigueur, la qualité, le respect de l’autre et le sens de l’organisation sont des notions que nous cherchons en vain dans nos maisons, nos bureaux, nos transports publiques et nos administrations. Pourquoi pensez-vous que l’élite musulmane sénégalaise envoie ses enfants dans les établissements d’enseignement privés catholiques de Dakar ? Pour retrouver justement ce qu’elle ne peut mettre en pratique elle-même. C’est un fait. Et le sort que nous réservons à nos fils et petits frères de la rue ? On en reparle encore et encore ? Et qu’en est-il de la sexualité ? Nous oublions qu’il y a un enseignement sur la sexualité dans l’islam et que le prophète (PSL) parlait souvent de sexualité à ses disciples*. Que faisons-nous de ce sujet dans les faits ? Les parents ne parlent pas de sexualité à leurs enfants. Non seulement ils oublient que le non-dit et l’interdit attisent la curiosité, mais ils s’attendent à ce que les mômes soient sages. Mais bien sûr, pourquoi pas! Et quand nos prêcheurs vedettes nous parlent de sexualité, cela devient du buzz car nous sommes plus à l’aise dans la pratique du sexe que dans son enseignement oral. Mais quelle incohérence !

Soukeuru Koor par force

lPendant ce même mois béni du ramadan, en parallèle des bonnes paroles répandues dans les airs, les maisons et l’espace public, certaines femmes sénégalaises musulmanes mariées démunies sont en train de se ruiner et de stresser pôur le soukeuru koor, ce fameux cadeau (en général du sucre) à donner à la belle famille au début du mois de ramadan. Vous connaissez ? Cette coutume devenue presque obligatoire où le symbole sucre est aujourd’hui remplacé par des tissus de valeur et de l’argent. Le tout à envoyer à la belle famille pour s’assurer de la bonne quiétude dans son mariage. Celles qui n’ont pas les moyens paniqueront mais feront quand même le nécessaire avec difficulté et celles à l’aise financièrement porteront le débat sur le cadeau de luxe à offrir. Soit! Dans les maisons, les époux diront que ce sont des histoires de femmes. Bon ça, c’est une forme de fuite de responsabilité. Et la belle-famille de son côté, attendra son dû de pied ferme. Et pourtant, durant toute la journée, nos prêcheurs vedettes n’ont pas arrêté de nous rappeler que l’islam ne recommande pas ces pratiques. Durant toute la journée, ils auront rappelé qu’il faudrait faire cette aumône aux plus démunis. Nous n’avons cure de toutes ces recommandations. Quelle incohérence!

Et si nous nous donnions cette aumône à ces groupements de femmes ? Ou à ces entrepreneurs  qui pullulent dans le pays ? Ou à ce soutien de famille ?

Sélectif dans la pratique religieuse

Attention, je vous préviens, cette dernière incohérence est la plus ennuyeuse de toutes. Elle pourrait parler à quelques mères Térésa. Allons-y mais vous êtes prévenus. Au Sénégal, pensons-nous réellement appliquer ce que l’islam dit sur la zakat, cet impôt obligatoire à donner aux plus démunis ? Il ne s’agit pas du mouroum koor, cette aumône à donner à un nécessiteux à la fin du ramadan. Non, il s’agit d’un prélèvement obligatoire à faire sur ses biens et à donner à une personne éligible, pauvre en général. Je vous avais prévenu, ça sent du mère Térésa tout cela. Ces phrases qu’on aimerait entendre et lire de temps en temps mais pas plus. Sa pratique ne correspond pas à nos réalités. La zakat est un des cinq piliers de l’islam, comme la prière ou le jeûne du mois de ramadan. Il est obligatoire pour tout musulman avec certains critères. Cependant c’est le pilier de l’islam qui est le moins respecté au Sénégal. Des organisations comme le Fonds Sénégalais pour la Zakat s’activent en ce sens. Mais soit elles sont peu nombreuses, soit non soutenues dans leurs actions. Quelle incohérence ! Et si nous nous donnions cette aumône à ces groupements de femmes ? Ou à ces entrepreneurs  qui pullulent dans le pays ? Ou à ce soutien de famille ?

Bon, c’est fini. J’arrête de vous ennuyer. Je tenais sincèrement à partager ces incohérences (loin d’être exhaustives bien sûr) en ces temps où je n’entends que de belles paroles sur notre foi et notre tolérance.

Oui, c’est un fait : nous avons une pratique très pacifique de l’islam. On n’a pas encore coupé la main d’un voleur à ce que je sache. Si ? Pareil, nous n’avons pas encore coupé la tête de celui ou celle qui a commis l’adultère. Alors, et si nous utilisons cette islam pacifique pour se développer intellectuellement et financièrement ?

Aminata THIOR

* Sexualité dans l’islam : l’exemple qui me vient en tête c’est quand le prophète (PSL) disait à ses disciples : “quand vous allez vers vos femmes, n’oubliez pas d’envoyer des messages” (faisant allusions aux préliminaires)


Wiri Wiri ou le reflet de la société sénégalaise

C’est parce que ça parle de mariage, de belle-famille, de secret de famille, de divorce, de justice, d’injustice dans nos contrées que ça intrigue, intéresse et attire.

Ils sont bon teint, enfin presque*. Ils sont locaux et non importés. Ils nous présentent le miroir de notre société, mais avec quel réalisme et talent. Wiri Wiri, « tourner autour du pot » est un téléfilm made in Sénégal mettant en scène les réalités de la société sénégalaise. Aujourd’hui, Wiri Wiri c’est 78 épisodes, une troupe théâtrale professionnelle, le Soleil Levant, un public conquis et des milliers de vues sur Youtube ( sans compter les vues sur les différents sites d’info sénégalais).

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Dès le premier épisode, ils plantent le décor. Je suis scotchée. Le contexte est saisissant mais très courant sous nos cieux. Un mari émigré laissant derrière lui une femme maltraitée par sa belle-mère. Tiens, ça me parle. Je pense à Fatou Diome avec son livre “celles qui attendent”. Je pense à toutes ces histoires lues, vues, entendues, de femmes restées au pays en attendant le retour du mari. Alors je m’accroche et je regarde les épisodes suivants.

Ils me montrent l’image de la méchante belle-mère. Celle qui terrorise le mari et qui ne respecte pas ses enfants. Mais ce phénomène, c’est du connu et comme pour le prouver, la team Wiri Wiri nous montre l’autre image de la belle-mère. Celle soumise au mari et qui ne vit que pour le bien-être de ses enfants, ses filles en l’occurrence. Tiens, ils viennent de me peindre les deux cartes d’identités d’une famille sénégalaise. Une famille dirigée par un père autoritaire et l’autre par une mère au caractère bien trempé. Pas de clichés mais la réalité donc je continue de regarder.

Soumboulou (droite) - Jojo (gauche)
Soumboulou (droite) – Jojo (gauche)

Ils me vendent du rêve à travers une histoire d’amour entre les deux acteurs principaux du téléfilm, Jojo et Soumboulou. Ils me rappellent l’importance du mariage, de l’amour, de la communication, du respect et de la responsabilité dans un couple. Que c’est beau. Pour une fois, il ne s’agit pas d’histoire d’amour entre Marimar et Sergio ou Isabelle et Pédro mais entre deux Sénégalais de bon teint (enfin presque). Bon je m’égare. De cette histoire d’amour, de ce beau mariage, ils y saupoudrent les ingrédients des réalités sénégalaises. Les belles-mères, les beaux-pères, les beaux-frères, les belles-sœurs, les voisins, le boutiquier du quartier … Enfin bref, vous m’avez compris. Je reconnais ma société. Je m’accroche de plus en plus au miroir Wiri Wiri.

J’y crois. J’y vois le reflet de ma société. Ils me présentent toutes les « sénégalités »  connues. L’importance et la banalisation du maraboutage dans les relations amicales et conjugales.  La violence dans les paroles et les gestes. La dimension du matériel dans l’esprit sénégalais. Que veux-tu de plus pour être heureuse, tu as une belle maison, une belle voiture… est l’une des phrases souvent criée dans ce téléfilm. Mais au-delà de ces « sénégalités », Wiri wiri revient sur certaines de nos valeurs : le Jom, le Ngor et le foula de plus en plus rares dans nos relations. Ils sensibilisent. Le poids de la justice dans les conflits personnels et litiges administratifs n’ont plus de secrets pour les fans de la série. Ils éduquent. Le respect des parents envers leurs enfants, dom nawléla  et le sort que nous infligeons aux enfants nés hors mariages, sont des thèmes abordés qui m’ont particulièrement marqués. Tout de suite, je pense à mes lectures, à l’ouvrage Impossible de grandir de Fatou Diome. Elle y parlait entre autres du regard de son entourage sur son statut d’enfant né hors mariage. Bref, vous l’avez compris, je suis accro à cette série. Ça me parle. Je suis abonnée.

Je crois en la sincérité des acteurs. A aucun moment je ne décroche. Je suis subjuguée par la sincérité et la ténacité de Binta, la gentille belle-mère. Je suis perplexe quand je vois les robes droites de Sa Neex, le méchant beau-père. Les couleurs et les cravates de Père Zora, le papa poule, me font mal aux yeux.  En totale admiration des débuts de pleurs de Mbaye, le beau-frère. Le personnage à la fois con et intelligent de Baye Fall me fascine, et pour finir je subis des électrochocs quand Soumboulou, l’actrice principale me lance “Je te Khais” ou que Jojo, le mari me crie du “j’ai Khonte de toi”.

J’allais oublier le décor et les tenues des acteurs. Mais quelle simplicité ! Pas de luxe clinquant ni de pauvreté criarde. Un juste milieu qui fait que chaque Sénégalais pourrait s’y identifier facilement.

Bien sûr, il y aura toujours des choses à améliorer mais je n’ai pas envie de les voir. Je n’ai même pas le temps de les voir en 29 min (durée de la série), tellement je suis happée par les réalités de ma terre d’origine.

Si vous ne connaissiez pas cette série ou que vous hésitiez toujours à vous y mettre, je vous conseille fortement de prendre rendez-vous sur la TFM les lundis et les vendredis. Sinon captez-la sur Youtube. Moment de détente garanti.

* enfin presque car la plupart des actrices de cette série ont recours à la dépigmentation de la peau, le khessal. Une pratique que je déplore pour ma part.

Aminata THIOR

 


Non, je ne lâche pas l’affaire mon Président

Quand je quittais le Sénégal pour la France en 2005, l’homme de ma vie, mon papa,  m’avait chargé d’un seul conseil : ne lâche jamais l’affaire. Depuis, je ne lâche jamais l’affaire. Jamais.

Non, je ne lâche rien mon Président - Nous voulons des réponses.
Non, je ne lâche rien mon Président – Nous voulons des réponses. Crédit Photo : Pap

J’ai encore mal. Ne le prenez pas pour de simples mots, car ils ne le sont pas. Ça vient du coeur, j’en tremble. On est le vendredi 03 Juin. Il est 3h 44h du matin, à Paris. J’écris ces mots, et je sens une scie en train d’effectuer un sale travail sur mon coeur. Non! ce ne sont pas que de simples mots. J’ai mal. Je dois aller dormir comme tout le monde, mais je n’y arrive pas. Je me demande encore pourquoi tes faits et gestes me touchent autant. Pourquoi ton manque de communication me ronge autant? Est-ce qu’enfin tu mesures l’impact de tes mots et décisions sur mes amis et moi ?

Hier, j’avais perdu mes mots quand je t’ai entendu sur RFI. Nabou a passé sa journée à te poser des questions. Et comme toujours, c’était silence radio. Ce matin, j’ai appris que Fary n’a pas dormi non plus cette nuit. Il se demandait : “où va le Sénégal?”. Mère Yatou s’inquiète sur la perte des valeurs morales que tu encourages à travers tes décisions.  Pourquoi cette énième trahison mon Président ? Pourquoi cette énième bombe morale et intellectuelle envoyée depuis l’étranger ? Tu ne crois pas à la souffrance de mes amis et moi ? Que dois-je faire pour que tu me parles ? Bon Dieu, qu’est-ce qu’ils ont de plus chez RFI pour que ça soit le lieu où je reçois les plus forts signaux de ta part? Leur audience est-elle plus importante que celle de RFM, de Sud FM, de RSI… ? Leurs journalistes sont-ils plus intéressés que les miens sur les affaires de mon pays? Sont-ils plus intelligents que nous? Sont-ils plus importants que moi à tes yeux?

Je souhaiterai que tu leur accordes un face à face. Tu choisis le lieu, nous choisissons les questions.

Peut-etre qu’il faudrait que je sois plus claire dans ma demande? Je souhaiterai te parler à travers les journalistes de mon pays, mon Président. Je souhaiterai que tu leur accordes un face à face. Tu choisis le lieu, nous choisissons les questions. Que faut-il faire pour que tu acceptes ? Dis le moi et je me plierai à tes conditions. Regarde, je te supplie et je ne devrais même pas. J’ai le droit de savoir. Je veux savoir, je veux comprendre. Les questions s’empilent et le besoin de réponse urge. On fait quoi des scandales soulevés par l’OFNAC? Et ces milliards octroyés à Bictogo? Et c’est vrai pour Waly (non ce n’est pas du People, on parle des sous de mes amis et moi et je veux savoir)? Et l’affaire Karim Wade, peut-on connaitre tes plans sur son cas? Enfin viens me dire où tu comptes mener mon pays. J’agonise.

Tant pis si tes amis et toi croient que je veux faire le buzz. Ou que je suis folle, voire ridicule. Peu importe.  Je me passerai bien de tout cela, mais je ne peux clairement pas me passer de tes réponses. J’en ai besoin et je ne lâcherai pas tant que je ne les aurais pas. Je ne lâche jamais l’affaire mon Président. Jamais.

Aminata Thior

 


Mon Président ne me parle plus…

Je pense qu’il me trompe. Enfin je pense qu’il l’a déja fait. Je le sais et d’ailleurs tout le monde est au courant. Il s’est foutu de ma gueule, comme tous les autres que j’ai connus. Mon Président m’a trompé avec le pouvoir. Hé oui, lui non plus n’a pas résisté à cette suprématie éphémère. J’ai rencontré mon Président il y a 5 ans, dans le 18ème arrondissement à Paris.…


J’ai raté ma vie (end)

J’effectuais beaucoup de déplacements dans le cadre de mon travail et il m’arrivait très souvent de faire de belles rencontres lors de ces voyages. La rencontre avec Abdoulaye Ndiaye m’a ramené 20 ans en arrière. Enfants, nous étions proches. En plus d’être des voisins, nous allions à l’école ensemble et faisions nos devoirs ensemble. Soit chez lui, soit chez moi. Il était tout aussi brillant que moi. Nos familles se connaissaient très bien. Nos mères se fréquentaient. Parfois quand les temps étaient durs et que la famille d’Abdoulaye manquait de provisions pour assurer un repas, sa mère et ses soeurs venaient se servir à la maison. En effet, la famille d’Abdoulaye était, en apparence, une famille de la classe moyenne. En réalité, ils étaient assez pauvres. Les trois repas quotidiens étaient difficilement garantis. Son père politicien, enseignait dans le collège où nous étions scolarisés et sa mère était une femme au foyer. Leur situation changea complètement du jour au lendemain lorsque le père de la famille Ndiaye entra à l’Assemblée Nationale avec l’arrivée d’un nouveau régime au Sénégal. En moins de trois mois, ils sont passés de la pauvreté à un luxe insolent. Cela a commencé par un déménagement au centre ville de Dakar en cours d’année scolaire. Abdoulaye et ses soeurs venaient désormais au collège à bord d’une mercedes conduite par le chauffeur de leur père. Sa famille revenait très souvent dans notre quartier bien fringuée et à chaque fois, avec une nouvelle voiture. Quant à Abdoulaye, il n’avait pas réellement changé à mes yeux à part qu’il portait maintenant de très beaux habits. La famille Ndiaye venait donc de rejoindre le cercle très fermé des nouveaux riches. C’est ainsi qu’on les appelait au Sénégal. À la fin de cette année scolaire, je voyais de moins en moins mon ami. Plus tard, j’ai appris par ma mère que la famille Ndiaye, sauf le père, partait vivre aux Etats-Unis. La perspective de revoir Abdoulaye après de si longues années de séparation fut un bonheur pour moi.

Paris, La Défense. Crédit photo : Eli Goren
Paris, La Défense. Crédit photo : Eli Goren

Il est 18h, j’étais en route pour mon hôtel. Lui voulait visiter Paris avant son retour à Washington le lendemain matin. Ingénieur en électronique, il était en charge du partenariat entre sa boite américaine et leurs fournisseurs européens. Tout comme moi, Abdoulaye voyageait beaucoup dans le cadre de son travail. Assoiffés de prendre des nouvelles l’un de l’autre, nous avons tous les deux décidé d’annuler nos programmes respectifs et de se poser dans un café à la Défense. Lorsque mon ami eut fini de me raconter son parcours, je découvris un carriériste, un homme à fond dans son travail et très attaché à ses deux pays : le Sénégal, son pays natal, et les Etats-Unis, son pays d’adoption. Je le fixai le coeur rempli de fierté jusqu’au moment où il me lança, sourire aux lèvres : « Et toi alors ? « 

Je lui racontai le parcours classique d’un jeune Dakarois qui quitta le Sénégal pour terminer ses études à l’étranger après l’obtention de son bac. Je suis arrivé en France à 17 ans. Ma famille d’accueil à Nice était un couple d’amis français de mes parents. Ils devaient m’héberger le temps que je trouve une résidence universitaire. La cohabitation avec leurs enfants fut l’une des expériences les plus marquantes de ma vie. J’étais trop noir à leur goût. Trop vilain et je puais. Mon gros nez et mes grosses mains étaient l’objet de leurs moqueries. Et ce n’était pas mieux à l’université. Je n’ai pas supporté les regards méprisants sur moi. En un an, je suis passé de l’enfant chéri de ses parents à l’intrus détesté dans une nouvelle famille d’accueil à l’étranger. Me sentant trop noir dans un milieu trop blanc, j’ai donc décidé de partir aux Etats-Unis. Ce fut un bon choix. Abdoulaye m’écoutait religieusement. Son visage alternait entre un brin de tristesse et des sourires hésitants. Je continuai donc mon récit en lui précisant qu’à Boston, ma nouvelle ville, la différence était toujours là mais elle était beaucoup moins pesante qu’à Nice. J’y ai fait des études en finances dans le seul but d’intégrer Wall Street à New York. Mes yeux se remplirent de larmes quand je concluai en lui disant que j’y suis arrivé avec l’aide de mes professeurs et les prières de mes parents. Nous sourîmes tous les deux. Timidement. C’était un moment gênant. Il enchaîna pour ne pas faire durer ce lourd silence.   » Et tu as quelqu’un dans ta vie?  » Je lui balançai un grand  » Oui, oui, oui. Je me suis marié avec Dave il y a 3 ans. C’est un homme attentionné, beau et intelligent. Nous avons adopté il y a un et demi Sherly et Aïda, deux magnifiques petites filles de 2 ans. Nous sommes des parents comblés. » Je fut interrompu par le silence d’Abdoulaye et l’absence d’expression sur son visage. « Ah! » Fit-il, perplexe. Avec dégoût et insistance, il me lança tout d’un coup : «  Mais Moussa Bodian, comment peut-on être comblé en étant un Goorjigueen, un homosexuel avec deux enfants adoptés? Aurais-tu oublié d’où tu venais. Que fais-tu de nos croyances, de notre religion qui interdit cet acte ignoble? C’est l’Amérique qui t’a fait cela? Mon pauvre perdu. Garçon, l’addition s’il vous plaît. » Il ne m’a pas donné l’occasion de répondre à ses interrogations. Il a payé la note puis il est parti. J’étais tétanisé. Je tremblais. J’avais peur. La même peur que me provoquait la professeur de français il y a 20 ans. Personne ne m’avait parlé avec autant de violence sur mon homosexuaité et cela m’interpella.

J’ai rencontré Dave au travail. Afro-américain, il est né et a grandi à Boston. Avec Dave, on partageait beaucoup de passions. La littérature, les mêmes combats pour l’Afrique, l’humanitaire et les jeux d’échecs. C’est d’ailleurs au cours d’une soirée de jeux d’échecs chez Dave que s’est réveillé cette envie. J’ai eu envie de le toucher. De plonger ma main dans ses cheveux crépus et touffus. De caresser sa bouche et ses joues. De le serrer fort dans mes bras. Et d’ailleurs, ce soir là, nous n’avions pas vraiment joué. Nous nous sommes contentés de nous regarder. Des regards remplis de questionnements. Avions-nous le droit? Le lendemain matin, nous nous sommes réveillés dans le même lit et la réponse était évidente pour tous les deux : oui, nous en avions le droit. Ce besoin de s’unir, nous ne l’avons pas décidé nous-même, il s’est imposé à nous. Lorsque j’ai partagé ce point de vue avec mes parents, ils ne l’ont pas compris. Ils ne l’ont pas accepté. Ils m’ont détesté, haï. La violence des propos d’Abdoulaye m’a évidemment renvoyé à celle de mes parents lorsque je leur ai annoncé ma décision de me marier à Dave. Elle m’a également ramené au regard méprisant de tous ces camarades de classe que j’ai pu rencontrer entre deux vols, dans un concert ou en voyage d’affaires. L’évidence : je ne représentais quelqu’un que dans ma propre bulle composée de mon Dave, de mes enfants et de mes amis américains. Je me levai difficilement de cette table de café à la Défense. La fin de la discussion avec Abdoulaye m’avait assommé. Je remettai tout en question. Notamment, ma réussite. Ai-je réussi comme je l’ai toujours voulu et pensé ?

De retour à New York, j’appelai mes parents pour leur annoncer mon imminent voyage à Dakar. Ma surprise fut grande quand ils m’annoncèrent que je ne serai pas le bienvenu.  » Ta morbidité nous convient tant que tu restes loin de la famille. Nous ne souhaiterions pas que tes frères soient au contact de cette maladie maudite. Et puis, la famille proche, les voisins, as-tu pensé à ce qu’ils pourraient dire sur nous? Nous sommes des musulmans respectés ici, nous ne voulons pas que tu ternisses notre image. » Ces paroles de mon père furent reçues comme des décharges électriques dans ma tête. Lorsque ma mère arracha le combiné à mon père, c’était pour me dire de venir à Dakar. « Viens mon fils, nous irons voir le marabout Ngoor à Niodor, il a gueri beaucoup de personnes atteintes de ta maladie » me dit-elle, avec assurance. Cela ne servait à rien de leur rappeler pour la énième fois que je n’étais pas malade. Que je n’ai pas choisi cette nature. Que j’étais conscient que ma religion l’interdisait. Que je n’y pouvais rien. Mais rien n’y fit. Je partis alors pour Dakar. J’allais essayer de me soigner. Il fallait que je retrouve l’estime de mes amis et de mes parents. J’eus la bénecdiction de Dave qui resta convaincu que je reviendrai à lui. « Il n’y a pas de remède pour ce que Dame Nature a décidé pour nous« , m’a-t-il murmuré avec amour et conviction.

Dix jours que j’étais à Dakar. Dix jours que je n’ai vu personne, hormis papa et maman. Quand j’ai demandé à voir mes frères et certains de mes amis, ma mère me rappela que j’étais trop efféminé. « Tu seras vite repéré avec tes manières de femme. Tu ne peux pas voir du monde. Ici les gens reconnaissent vite les Gorjigueen, les homosexuels. Tes traitements seront bientôt terminé avec Ngoor et tu pourras retrouver ta dignité d’homme et voir du monde.  » me répétait-elle souvent. « D’ailleurs, il te reste un seul sacrifice à faire et tu redeviendras Homme mon fils« , affirmait-elle avec assurance. Pour ce dernier sacrifice comme le nommait ma mère, je devais me rende à un cimetière, déterrer un cadavre musulman et toucher son sexe. Et ce, quand il n’y aura plus d’étoiles dans le ciel.

Crédit photo : Ogust1
Crédit photo : Ogust1

Cette nuit là, je me dirigeai vers le cimetière de Thiey Yalla de Dakar pour y commettre mon forfait et retrouver enfin ma nature d’homme, comme le promittait Ngoor. À l’entrée, grâce à lumière de la lune, j’aperçus un homme grand, mince, beau, sobrement habillé d’un caftan gris-blanc et des mocassins gris. Je lui aurai donné la trentaine. Sa prestance frappait à l’oeil de loin. « Il y a quelqu’un devant l’entrée, je ne pourrai entrer ce soir« , me disais-je. Soulagé. Je décidai donc de rebrousser chemin quand j’entendis, « hé grand lo beugone » : « Hé Monsieur, que désiriez-vous ?« . Je m’arrêtai et lui répondis : « Non, rien. Je voulais visiter la tombe de mon grand père mais je n’ai pas le courage, c’est trop dur pour moi. » « Ah », me fit-il avec un air malicieux. « Sinon, si voulez que je déterre un cadavre, n’hésitez pas. Mais cela vous coûtera cher« , ajouta-t-il. « Pardon? » lui demandais-je. « Vous avez très bien entendu Monsieur. Des gens comme vous, j’en rencontre toutes les nuits. Laissez-moi deviner. Vous, vous cherchez un cadavre pour partir à l’étranger. Hum, en fait non, vous n’avez pas l’air de quelqu’un du coin, donc vous vivez déjà à l’étranger. Vous devez avoir alors de gros soucis dans le pays des toubabs, les blancs. Votre marabout vous a certainement conseillé de toucher un cadavre pour résoudre vos problèmes« , cria-t-il. Je restai là. Immobile. Surpris. Choqué. Absent. « Bon bref, pour quelle raison êtes-vous là ? », me lança-t-il avec agacement et empressement. « Vous avez vu juste, j’ai des problèmes au pays des blancs, il me faut un cadavre », répondis-je calmement. « Ah, je le savais« , enchaina-t-il, sourire aux lèvres. Content de sa trouvaille. « Ok, je vais le faire. » « Et ce sera pour combien ?« , demandai-je encore. Il ricanna longuement mais amèrement. Ce genre de rire forcé qui dégoute l’auteur lui même. « Vous allez devoir coucher avec moi, je suis en manque« , confia-t-il avec calme et tristesse. « Quoi ? Mais vous êtes fou ! » criai-je. « Je ne ferai jamais cela, je trouverai un autre moyen« , lui lançais-je tout en quittant les lieux. 500 mètres plus tard, je retournai sur mes pas avec une seule question aux lèvres : pourquoi ce prix?

Je le trouvais en larmes, le dos appuyé sur son 4X4. « Vous êtes très beau monsieur« , commençais-je.  » Vous êtes également très jeune et … » « Et pourquoi je fais ça? c’est ça? » me coupa-t-il. « J’ai passé une bonne partie de mon enfance dans la rue. Entre mes 5 ans et mes 12 ans, je me reveillais à 5h du matin pour apprendre le coran. À partir de 7h du matin, j’errais dans les rues de Dakar jusqu’à tard dans la nuit. Pour dormir le soir, j’avais le choix entre rentrer à la maison, chez mon marabout, ou venir dormir ici, dans ce cimetière sous un arbre. J’ai préféré ici toutes les fois où je n’avais pas le pactole qu’il fallait ramener à la maison. J’y ai rencontré des hommes et des femmes. Ils m’ont offert de la nourriture, des habits chauds en échange d’un plaisir sexuel. Par la force, le plus souvent. Ou en échange de leur déterrer un cadavre comme vous ce soir. Par la force également. J’ai fini par aimer tout cela. J’ai surtout fini par aimer le plaisir sexuel que je donnais aux hommes. Le bonheur que je ressentais, je ne l’éprouvais jamais avec ces femmes qui me forçaient à coucher avec elles. »

 » Puis un jour, mes parents sont enfin venus me chercher à la fin de mes 12 ans. Ils m’ont scolarisé. J’étais bon élève et je m’épanouissais dans les études. Aujourd’hui, je suis directeur d’une banque à Dakar. Marié avec l’épouse parfaite. Pieuse. Obéissante. Belle et intelligente. Nous avons ensemble 3 magnifiques enfants. Aux yeux de la société Dakaroise, nous avons réussi. Cependant, Je viens ici, 3 à 4 fois dans la semaine pour espérer y rencontrer un homme et coucher avec lui. En réalité, je reviens ici à chaque fois que je suis en manque. Je mène une double vie. C’est le prix que j’ai payé pour vivre de ma seconde nature. J’ai essayé de me soigner car ici on dit que c’est une maladie. Je me suis renseigné discrètement, car si cela se savait, je ne vaudrais plus rien dans cette ville, dans ce pays, dans cette vie. J’ai donc rencontré un marabout au nom de Ngoor. Il m’a conseillé de toucher le sexe d’un cadavre musulman. Ce que je fis sans problème. C’était il y a deux ans. Inutile de vous dire que je ne suis pas guéri car je suis encore là ce soir. En feu. Allez venez, faites moi ce plaisir. Et d’ailleurs, vous ressemblez trop à un goorjigueen, vous êtes trop doux pour être un vrai mec. Et puis vos manières… Heureusement pour moi, j’ai la chance que ça ne se voit pas. » dit-il sur un ton taquin…

Crédit photo : Diké
Crédit photo : Diké

Je quittai ces lieux en courant presque. Je sus que je ne guérirai jamais si j’étais malade. Plusieurs possibilités s’offraient alors à ma pauvre personne. Me suicider pour en terminer avec cette nature nauséabonde. Épouser Coumba, la cousine préférée de ma mère. Rentrer à New-York, continuer ma petite vie de famille en faisant une croix sur les miens, ma religion, ma culture et ma tradition. Ou avoir une double vie comme le Monsieur du cimetière. Aucune de ces options ne m’allait. Je me dégoûtais. Je décidais de changer de religion et me rapprocher de Dieu. C’est ainsi que je suis devenu prêtre à New York. J’ai abandonné Dave et les enfants pour me concentrer sur ma religion. Je croyais en avoir fini avec cette seconde nature, cette infirmité, ce crime immoral, cet immense péché, mais en réalité je me trompais. Ce fut pire dans la maison de Dieu. J’y ai rencontré le petit Karl et je suis devenu son monstre.

Aminata Thior


Coup de cœur lecture : Balzac m’a sauvé d’Elgas

Je ne peux pas faire de note lecture sur Un Dieu et Des Mœurs d’Elgas. Je n’y arrive pas. Et pourtant, je l’ai lu trois fois. Et chaque nouvelle lecture était comme une première pour moi. Les deux bouquins que j’ai lus à la suite d’Un Dieu et Des Mœurs étaient les pires bouquins de ma vie. Ils étaient fades. Sans âme. L’horreur. Un troisième ouvrage d’un de mes auteurs préférés allait s’ajouter à cette liste noire de livres que j’ai qualifiés de nul et cela m’interpella : je pense trés sincèrement que j’étais possédée par les palpitants écrits d’Elgas.

Mes week-ends, le père Goriot et moi
Mes week-ends, le père Goriot et moi

Il a fallu me plonger dans les personnages déments du Père Goriot pour oublier les percutants tableaux de vie d’Elgas. C’était la délivrance : Balzac m’a libéré d’Elgas. J’ai donc essayé d’écrire cette fameuse note de lecture sur Un Dieu et des Mœurs et je me suis très souvent retrouvée devant une page blanche. A chaque tentative, les mots se bousculaient dans ma tête et les émotions me submergeaient. C’était chiant. Je me suis donc dis que je vais démarrer l’aventure booktubeuse avec Un Dieu et Des Mœurs. Et bien, c’est chose ratée : je n’ai pas dit ce que je devais (et voulais) dire. J’ai fait cent prises en 2 mois et à chaque fois le résultat était catastrophique. Ras-le-bol, on y va quand même. Mais cela ne vous empêchera pas de regarder cette vidéo (voir ci-dessous). Retenez juste que si vous n’avez pas encore lu ce fabuleux bouquin, ne tardez plus.

Dans ce chef d’oeuvre d’Elgas, vous y retrouverez le miroir de la société Sénégalaise. Avec du courage et de la lucidité, l’auteur s’est attaqué aux maux d’une société ployée sous le poids de la tradition et de la religion. Il a reussi avec talent, à mettre de la vie et de l’urgence sur des réalités que nous avons finies par banaliser. Chaque portrait ou récit que vous découvrirez dans ce bouquin, vous fera forcément penser à un quelqu’un de votre entourage. Pire, ce livre vous attaquera, attaquera votre famille, votre pays, votre continent. Il testera votre sincérité envers vous même. Vous allez pleurer (c’est selon : si vous êtes une madeleine ou un rock). Vous allez éclater de rire. Vous allez vous détester. Oui, il y aura ce concert d’émotions. Vous savez pourquoi tout cela ? Parce-que ce bouquin est comme cette vérité dure à entendre qui vous met au défi de la nier. Cette oeuvre est un vrai test sur la lâcheté : il y a pleins de cases à cocher et à la fin vous en saurez plus sur votre degré de lâcheté sur les réalités Sénégalaises.

Un Dieu et Des Mœurs ouvre le débat sur des sujets sensibles au Sénégal et en Afrique en général (mort gratuite, excision, enfants talibés, fanatisme mou, homophobie, lévirat, fatalisme…). Et il n’y aura pas de Cheikh Anta, pas de Lumumba, pas de Sankara pas de leader charismatique pour nous sauver de ces maux.  Non! Nous devons tous nous mobiliser pour débattre ouvertement sur ces sujets là, trouver des solutions concrètes et procéder à leur mise en oeuvre. L’urgence serait peut-être sur ce gamin en haillon que tu as croisé tout à l’heure en sortant de chez Mamad Saliou, le boutiquier du quartier. Sinon, tu as certainement vu sa photo sur l’une des nombreuses pages facebook de ces associations qui s’occupent de son cas.Tu vois ? Je te parle de ce gamin qu’on te citera sur le Sénégal après t’avoir parlé de sa Téranga (hospitalité). Bon au pire, si tu ne sais toujours pas de qui je parle, tape “haillon + enfant + Sénégal » sur Google images. Attention aux yeux, ça va faire mal.

J’ai lu et adoré Un Dieu et Des Mœurs d’Elgas. Dans ma bibliothèque,il a rejoint le cercle fermé des classiques de la littérature Sénégalaise. Je l’ai fièrement rangé à côté de Mariama Bâ, la célèbre auteure d’Une si longue lettre (cet autre classique de la littérature Sénégalaise).

Lisez-le, faites le lire. Débattons-en.

 

Aminata Thior


Coup de coeur lecture : il m’a fallu lire Balzac pour oublier Elgas

Je ne peux pas faire de note lecture sur Un Dieu et Des Moeurs. Je n’y arrive pas. Et pourtant, je l’ai lu trois fois. Et chaque nouvelle lecture était comme une première pour moi. Les deux bouquins que j’ai lu à la suite d’Un Dieu et Des Moeurs étaient les pires bouquins de ma vie. Ils étaient fades. Sans âme. L’horreur. Un troisième bouquin d’un de mes auteurs préférés allait s’ajouter à cette liste noire de livres que j’ai qualifiés de nul et cela m’interpella : je pense trés sincèrement que j’étais possédée par les palpitants écrits d’Elgas.

Mes week-end, le père Goriot et moi
Mes week-end, le père Goriot et moi

Il a fallu me plonger dans les personnages déments du père Goriot pour oublier les percutants tableaux de vie d’Elgas. J’ai donc essayé d’écrire cette note de lecture et je me suis trés souvent retrouvée devant une page blanche. A chaque tentative, les mots se bousculaient dans ma tête et les émotions me submergeaient. C’était chiant. Je me suis donc dis que je vais démarrer l’aventure booktube avec Un Dieu et Des Moeurs. Et bien, c’est chose râtée : je n’ai pas dit ce que je devais (et voulais) dire. J’ai fait cent prises en 2 mois et à chaque fois le résultat était catastrophique. Ras-le-bol, on y va quand même. Mais cela ne vous empêchera pas de regarder cette vidéo (voir ci-dessous). Retenez juste que si vous n’avez pas encore lu ce fabuleux bouquin, ne tardez plus.

Dans ce chef d’oeuvre d’Elgas, vous y retrouverez le miroir de la société Sénégalaise. Avec du courage et de la lucidité, l’auteur s’est attaqué aux maux d’une société ployée sous le poids de la tradition et de la religion. Il a reussi avec talent, à mettre de la vie et de l’urgence sur des réalités que nous avons finies par banaliser. Chaque portrait ou récit que vous découvrirez dans ce bouquin, vous fera forcément penser à un quelqu’un de votre entourage. Pire, ce livre vous attaquera, attaquera votre famille, votre pays, votre continent. Il testera votre sincérité envers vous même. Vous allez pleurer (c’est selon : si vous êtes une madeleine ou un rock). Vous allez éclater de rire. Vous allez vous détester. Oui, il y aura ce concert d’émotions. Vous savez pourquoi tout cela ? Parce-que ce bouquin est comme cette vérité dure à entendre qui vous met au défi de la nier. Cette oeuvre est un vrai test sur la lâcheté : il y a pleins de cases à cocher et à la fin vous en saurez plus sur votre degré de lacheté sur les réalités Sénégalaises.

Un Dieu et Des Moeurs ouvre le débat sur des sujets sensibles au Sénégal et en Afrique en général (mort gratuite, excision, enfants talibés, fanatisme mou, homophobie, lévirat, fatalisme…). Et il n’y aura pas de Cheikh Anta, pas de Lumumba, pas de Sankara pas de leader charismatique pour nous sauver de ces maux.  Non! Nous devons tous nous mobiliser pour débattre ouvertement sur ces sujets là, trouver des solutions concrètes et procéder à leur mise en oeuvre. L’urgence serait peut-être sur ce gamin en haillon que tu as croisé tout à l’heure en sortant de chez Mamad Saliou, le boutiquier du quartier. Sinon, tu as certainement vu sa photo sur l’une des nombreuses pages facebook de ces associations qui s’occupent de son cas.Tu vois ? Je te parle de ce gamin qu’on te citera sur le Sénégal après t’avoir parlé de son hospitalité. Bon au pire, si tu ne sais toujours pas de qui je parle, tape “haillon + enfant + Sénégal » sur Google images. Attention aux yeux, ça va faire mal.

J’ai lu et adoré Un Dieu et Des Moeurs d’Elgas. Dans ma bibliothèque,il a rejoint le cercle fermé des classiques de la littérature Sénégalaise. Je l’ai fièrement rangé à côté de Mariama Bâ, la célèbre auteure d’Une si longue lettre (cet autre classique de la littérature Sénégalaise).

 

Lisez-le, faites le lire. Débattons-en.

Aminata Thior


J’ai raté ma vie (1)

J’étais plutôt bon élève dans ma scolarité. Au premier et second cycle. Non, plutôt bon élève dans mon parcours scolaire en général. Ce qui fait que je me retrouvais souvent avec des prix lors des fêtes de fin d’années organisées par l’école pour récompenser les meilleurs élèves. Je recevais la plupart du temps des livres. Je me retrouvais donc avec beaucoup de bouquins dans la bibliothèque de ma mère. Ou plutôt l’endroit où elle rangeait sa vaisselle que j’ai fini par transformer en bibliothèque.

Crédit photo : Bruno Ben MOUBAMBA
Crédit photo : Bruno Ben MOUBAMBA

Mon meilleur souvenir de ces années là reste mon premier devoir de dissertation en 6ème, au collège Ndiaga Ndiaye à Dakar. La professeur de français était une belle femme. Grande et fine. De teint clair avec pleines de tâches brunâtres sur les doigts. Ce genre de tâches qu’on retrouve chez les femmes noires qui se dépigmentent la peau. Côté vestimentaire, elle était toujours en tailleur. Jupe courte, veste bien taillée. En position assise, les jambes croisées, elle nous offrait, à nous garçons de la classe, une belle vue sur ses cuisses. Et pour finir, cette professeur, grande, mince, claire et belle était crainte par tous les élèves. Elle était sévère et cassante. Je n’ai pas souvenir d’elle en train de sourire. C’était une belle horreur, cette femme.

Pour le premier devoir, elle nous proposa un sujet que toute la classe avait trouvé difficile : “ Vous êtes en train d’effectuer une tâche et vous recevez une nouvelle. Racontez”. Nous étions une classe d’une centaine d’élèves, entassés sur des tables-bancs à 3 ou 4. J’ai eu du mal à écrire une seule ligne sur ma feuille, contrairement à mes camarades qui se sont tout de suite jetés sur leurs copies dès le top de la prof. J’ai quand même fini par accoucher une dissertation au terme de l’heure et demi du contrôle…

Arrivé chez moi, j’ai éclaté en sanglot, disant à ma mère que je venais de rater mon devoir de français. Je ne criais pas, je hurlais. Lassée de supporter le bruit que je faisais, elle me demanda de lui montrer ma note. Je lui répondis qu’il n’y en avait pas : “c’est un devoir que je viens de faire…”. Elle a dû m’insulter en Diola (une des langues parlées au Sénégal) et est retournée à ses occupations. J’ai juste entendu mon prénom Moussa puis des mots avec un son lourd, prononcés avec amertume. Des insultes, sûrement.

Une semaine passa, et je ressassais toujours ma mauvaise prestation à ce devoir de français. Puis 2 semaines,  puis 3, puis 4, et j’oubliai que j’avais fait cette dissertation. Deux mois passèrent, peut-être plus, et nous n’avions toujours pas reçu les notes de ce fameux contrôle. Nous en avons donc conclu que la prof l’avait annulé.  Normal, c’était tellement dur pour les élèves de 6ème que nous étions. On n’osa pas demander de nouvelles à la concernée. L’humiliation qu’on aurait pu en récolter nous en dissuadait. Les cours de français se passèrent donc normalement, sans cette peur qu’elle nous sorte les copies de ce devoir.

Puis un jour, à une demie-heure de la fin du cours, la belle méchante sortit de son sac une grande enveloppe marron clair, avec quelques mots en noir écrits dessus. J’entendis le claquement de mes dents et je ressentis ma vessie se remplir. Vite, je dois pisser. Je ne pouvais pas et je n’avais pas le courage d’aller lui demander la permission. De toute façon, cela ne servait à rien d’y aller car j’avais perdu la voix. J’avais peur. J’avais mal. J’avais l’impression d’être pressé comme un citron, tourné et retourné dans tous les sens pour récupérer le maximum de jus. Les yeux fermés durant toute tragédie que subissait mon corps, j’entendais la voix de la belle horreur sans comprendre ce qu’elle disait. Puis silence total. J’ouvris les yeux et vis un mélange de noir et de blanc dans la salle de classe : les visages noirs de mes camarades avec leurs copies blanches entre leurs mains. Le temps de me retourner pour m’assurer que tout le monde avait reçu sa copie sauf moi et j’entendis la voix de la mégère crier : “Qui est Moussa Bodian”? Personne ne bougea. Elle avait posé cette question d’une manière froide. Le visage terriblement fermé. Les mâchoires creuses. Elle répéta sa question et toujours pas de réponse. Mes deux camarades de classes assis à ma gauche et droite avaient pris en otage mon corps qu’ils n’arrêtaient pas de pincer. En rythme avec leurs murmures, ils m’imploraient de répondre à la professeur.

Et enfin, je décidai de lever la main, sous la contrainte de mon corps et des supplices qu’il subissait. “C’est moi”, disai-je timidement et fébrilement. “Vous avez la meilleure note, venez récuperer votre feuille.” Je me levai et sentis mon entre-jambe mouillé et une centaine de paires d’yeux posés sur moi. Il me semblait que deux heures venaient de passer rien que pour récupérer cette saleté de feuille. Quand je lui tendis la main pour saisir la copie, elle m’ignora et lança : “Attendez, il faut que je partage votre récit avec la classe.” J’avais raconté l’histoire de cette jeune mariée sénégalaise en train de faire la lessive à la main quand le facteur entra et lui remit une lettre. C’était celle de son mari, émigré en Italie. A la fin de sa lecture, j’entendis les applaudissements de mes camarades. La belle méchante avait apparemment trouvé l’histoire captivante, bien écrite sur le fond et sur la forme. Pour terminer, elle trouvait que ce n’était pas de mon âge d’imaginer de pareilles histoires et que je devais continuer ainsi. Etait-ce un compliment? Je ne sais pas : elle le disait toujours avec cette froideur qui vous donnait envie de fuir.

Crédit photo : JuTa234
Crédit photo : JuTa234

Depuis ce jour, j’ai continué de lire les livres qui n’étaient pas de mon âge, car c’était mon seul moyen de rentrer dans le monde des adultes. A l’école, j’étais connu de tous sans le vouloir. Mes camarades se sont très vite rendus compte que je n’étais pas bon uniquement qu’en français mais en maths, en physique-chimie, en anglais… je raflais les meilleures notes partout. 20 ans plus tard, j’ai perdu contact avec certains d’entre eux, et d’autres sont restés dans mon cercle d’amis proches. J’avais un bon poste à Wall Street. Marié et père de deux enfants. J’en avais conclu que j’étais un homme heureux, qui avait réussi aux yeux de ses parents et de leur société. Cette perception changea le jour où j’ai croisé Abdoulaye (un ancien camarade de classe qui faisait parti de ceux perdus de vue) à la Défense à Paris, lors d’un séminaire.

Aminata Thior


Un matin pas comme les autres …

C’était un vendredi matin. Il était 11h passées quand le téléphone sonna. Au bout du fil, j’entendis une voix hésitante. Il m‘annonça une nouvelle dont je ne mesurai pas l’ampleur. Un silence puis la voix répéta avec plus de détails. J’ai poussé un cri de douleur. Ce genre de cri sourd, lourd et intense. C’était mon père. Il venait de m’apprendre le naufrage du bateau le Joola au large des côtes gambiennes.

La plus grande tragédie de l’histoire du Sénégal

Bateau Le Joola. Source : Wikipedia
Bateau Le Joola. Source : Wikipedia

C’était le jeudi 26 Septembre 2002. Le Joola, le ferry sénégalais qui reliait Dakar à Ziguinchor, la région au sud du Sénégal, sombrait au large de la Gambie. Les premières heures de ce drame furent terrifiantes pour les Sénégalais partagés entre l’espoir de trouver des survivants et le désarroi de perdre de nombreuses vies. Le quai d’arrivée du Joola au Port de Dakar était assailli par les familles des victimes. Les chiffres croissants sur le nombre de morts sonnaient comme une sentence. Les semaines passaient. Le port ne se désemplissait toujours pas. On attendait en vain l’arrivée d’un survivant venir s’ajouter à la petite liste de rescapés. L’ambiance était lourd dans tout le pays. La tristesse et la douleur emplissaient les lieux de vie. L’heure était au recueillement. Le Sénégal était  en train de vivre la plus grande tragédie de son histoire. Au moins 1863 morts et disparus selon les sources officielles, près de 2000 morts selon les associations des familles des victimes et 64 rescapés. 14 ans après, ma douleur est restée intacte. Et une voix me hante.

Une voix, une inconnue, une douleur

Epave du bateau au large des côtes gambiennes. Source : wikipedia
Epave du bateau au large des côtes gambiennes. Source : wikipedia

Du Joola, j’en garde cette image de l’épave au beau milieu de l’océan et les sanglots de Yaay Astou, cette mère de famille d’une cinquantaine d’années. Elle avait perdu toute sa progéniture dans ce drame. Nous l’avions tous vue et entendue dans les médias. On l’éloignait difficilement du quai. Elle se débattait pour aller chercher “khaleyi” – les enfants. “Ana Khaléyi ?” – Où sont les enfants? “Ana khaléyi, wooy ana khaléyi” – Où sont les enfants, mon Dieu où sont les enfants, répétait-elle tout en pleurant. Qui n’a pas entendu les cris de détresse de Yaay Astou?

J’aimais l’école. Nous étions en pleine préparation de la rentrée scolaire. Ma douleur était donc intense à l’endroit de ces élèves qui ne rentreront plus jamais en classe. Aux petits écoliers qui ne mettront jamais leurs belles tenues de la rentrée. Aux collégiennes et lycéennes qui ne se rivaliseront plus de leurs belles tresses. Aux étudiants qui n’utiliseront plus leur billet d’avion de retour à la terre d’accueil. On était au mois de septembre. Il y avait des centaines de jeunes dans ce bateau. Voir et entendre Yaay Astou crier “Ana Khaléyi, daniou wara diangui” – où sont les enfants? Ils doivent aller à l’école,  a fendu le petit cœur de gamine que j’avais. 14 ans après, j’ai vu, vécu et vit encore d’autres “petits Joola”

L’histoire se répète…

Laxisme. Ce mot était rentré dans mon vocabulaire dès le matin du 27 septembre. C’était lui le coupable. Le laxisme sénégalais a donc conduit à la perte de milliers de vies. Un bateau qui devait contenir 550 voyageurs en a embarqué plus de 1500. Un ferry avec des pièces mécaniques défectueuses a donc été mis en circulation par une autorité dite laxiste. L’irresponsabilité des Sénégalais était décriée. Des mesures et des changements de comportement s’imposaient. Des semaines après cette catastrophe, la discipline était au rendez-vous. Les transports en commun n’étaient plus bondés. La télé et les radios pullulaient d’émissions sur la discipline et la sécurité. Des mois plus tard, les habitudes reprenaient leur place dans le quotidien sénégalais. L’Indiscipline redevenait maître du Sénégal et de ses citoyens. Aujourd’hui encore, les drames se succèdent et se ressemblent. Le maître reste le même : l’indiscipline. Il a même trouvé des alliés : l’inconscience, l’irresponsabilité, l’égoïsme, l’impunité.Il continue de créer des Yaay Astou et des orphelins. Des victimes accompagnées les premiers jours et oubliées pour le reste de toute une vie. Nous autres citoyens, adoptons l’indignation les premiers jours de drame puis l’oubli les jours suivants. Les autorités ressortent la phrase des jours de deuil: “Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que ce genre de drame ne se reproduise plus”. Et tous en cœur, nous nous remettons à la volonté divine.“Ce fameux “ndogalou yalla”avec son don d’apaiser les cœurs et d’atténuer toute envie de révolte.

Aminata Thior


Impuissantes face à la polygamie

J’ai toujours pensé que les femmes Sénégalaises qui vivent en campagne ne souffrent pas de la polygamie. Et ce, du fait de leur proximité dès la naissance avec cette pratique plus courante dans le monde rural qu’en ville. J’ai carrément changé d’avis quand j’ai rencontré deux remarquables jeunes femmes vivant au fin fond du Sine-Saloum, au Sénégal. Elles sont nées et ont grandi dans des familles polygames et pourtant souffrent déjà à l’idée de partager leur petit mari.

Région de fatick
Localisation région de Fatick en Orange. Source Wikipédia

Je suis arrivée à Kardine, un petit village situé dans la ville de Fatick, une des régions à l’Ouest du Sénégal vers 19h. On était au mois de Janvier, le soleil avait déjà disparu et cédait sa place à la lune. La lumière de cette dernière m’a permis d’avoir un petit aperçu de mon lieu de séjour et de ses occupants. C’était une grande maison familiale sérère (une des ethnies au Sénégal) divisée en petite parcelle. Chacune étant occupée par un couple de mariés ou par une grande famille polygame. La cour de cette concession était immense. On dirait un terrain de football. Elle était remplie d’enfants qui criaient à tue-tête et de femmes qui s’affairaient dans les cuisines. Parmi elles, deux ont attiré mon attention : Sata et Maty.

D’abord Maty. Grande et fine de taille. Je lui donne 25 ans maximum. Elle a un teint noir brillant. Des dents blanches qui donnent encore plus d’éclat à sa noirceur d’ébène. Lorsque je l’ai vue dans sa longue robe droite blanche près du corps, j’ai cru que c’était une dakaroise qui était de passage dans son village natal, le temps d’un petit séjour. Tellement elle est belle, classe et élégante. Physiquement, elle se démarquait des autres femmes de son entourage. Maty est mariée à Birima, mon chauffeur et guide touristique. Ce dernier vit à Mbour, une station balnéaire près de Dakar. Toutes les deux semaines, il revient à Kardine passer deux ou trois jours avec sa femme et leurs deux enfants. Toute la soirée, Maty s’est occupée de moi. Elle faisait des allers et retours pour mettre à ma disposition tout ce dont j’avais besoin. Il est 22h passées. Nous avons fini de diner. La meute d’enfants avait disparu, certainement dans les bras de morphée et nous nous sommes tous retrouvés au milieu de la grande cour de la maison en train de papoter sur tout et rien. Lorsque la discussion a débouché sur la polygamie, les rires étaitent moins francs. Les voix avaient baissé de volume. Malaise. Seules les femmes de cette assemblée qui vivaient dans un foyer polygame essayaient de rompre ce début de silence lourd. Maty, joviale il y a quelques minutes, s’est tout bonnement levée pour rejoindre sa chambre prétextant un mal de tête. En effet, à ma question sur sa potentielle réaction, lorsque Birima épousera une seconde épouse, j’ai à peine entendu sa réponse. Si elle y a répondu d’ailleurs. Le sujet de la polygamie est tabou chez ce jeune couple. Pour Birama, c’est inévitable de ne pas épouser une seconde femme.

photos de co-épouses. Source Wikipédia
photos de co-épouses. Source Wikipédia

« C’est la tradition. Nos pères l’ont fait et cela s’est bien passé, pourquoi pas nous. »

Me répond t-il quand je lui ai posé la question en l’absence de Maty. Cette dernière n’accepte pas la polygamie. Le changement radical de l’expression de son visage passant du sourire d’ange à la fermeté d’une lionne affamée, en témoigne. Quand j’ai ré-essayé le lendemain de lui demander son avis sur le sujet, elle m’a gentiment fait comprendre qu’elle ne voulait pas parler de cela.

“J’ai vécu dans une famille polygame. J’ai vu les souffrances de ma mère. Je le vois encore ici avec toutes ces femmes co-épouses qui m’entourent et je ne me vois pas à leur place. Je donne tout ce qu’il faut à mon mari. Il n’a rien à chercher ailleurs”.

Contrairement à Maty, Sata, elle, parle de son désarroi ouvertement. Mariée, la trentaine bien sonnée.  Peut-etre moins. Mais avec 4 enfants, un 5ème en route et des corvées ménagères trés physiques à s’acquitter tout au long de la journée, difficile de lui donner moins de 30 ans. Alors que la plupart de mes interlocutrices me parlait avec un wolof moyen et un fort accent sérère, elle, maniait parfaitement les deux langues wolof et sérère (deux des langues nationales les plus parlées au Sénégal). On me dira plus tard que c’est une wolof qui a rejoint la grande maison familiale après son mariage avec Abu, le seul garçon qui est resté au village. Gardien de la cellule familiale : l’absence des hommes dans les campagnes au profit de la ville est une réalité. Contrairement à Maty qui ne sait pas que Birima a l’intention de prendre une autre femme, Sata, elle, est au courant de la nouvelle. Abu le lui a clairement dit :

Ce n’est qu’une question de temps, je vais bientôt te ramener une soeur”.

Sata était celle qui parlait le plus avec moi. Avec aisance et naturel. Cette jeune femme qui a débarqué à Kardine pendant l’été 2011, ne comprenait aucun mot en sérère. Au bout de deux mois, la prolixe Sata causait dans la langue de Léopold Sédar Senghor comme si c’était sa langue maternelle. Sans gêne et avec un ton naturel, franc et dynamique, elle essayait de convaincre son mari devant toute l’assistance de ne pas lui ramener une co-épouse.

« Oui c’est dur de s’occuper des enfants toute seule. Cuisiner presque tous les jours pour une dizaine de personnes. Préparer le thiéré (coucous sénégalais) qui me prend certes toute une journée (les autres tâches ménagères non comprises). Faire le linge et le repassage associé. Non, cela ne me dérange pas de me lever à 6h du matin pour me coucher qu’à minuit (non ce n’est pas un cliché mais une réalité vue). D’accord c’est dûr.  Mais si c’est pour me décharger de ces travaux que tu veuilles épouser une seconde femme, ne le fais pas. Je n’en ai pas besoin. »

Abu n’était pas de cet avis. Il était convaincu que Sata était fatiguée. Qu’il fallait la seconder. A l’idée de lui trouver une aide ménagère pour l’aider dans son quotidien, il le balaya d’un revers de la main en mettant l’argument du manque de finance sur la table. A l’idée de faire appel à sa belle-soeur pour aider Sata, il refusa également argumentant que c’est une bouche de plus à nourrir et que ça ne peut pas durer éternellement. La seule solution pour lui sera cette autre femme. A nourrir certes, mais qui restera à vie dans la maison et pourra aider la première, Sata. Tout cela, sans dépenser un seul sou. Tout le monde y gagnera d’ailleurs. Lui, car il aura une nouvelle compagnie et elle, car elle sera assistée dans ses travaux ménagers. Elle rétorquera avec fermeté, tristesse, dégout qu’elle ne veut pas de cette aide. Tout ce qu’elle demande c’est passer du temps avec lui et gérer son ménage toute seule.

« Comment pourras-tu partager ton temps entre deux femmes si aujourd’hui on ne peut même pas passer quelques minutes ensemble (sauf pour accomplir le devoir conjugal).Tu quittes la concession à 5h du matin. De retour à 14h pour déjeuner et faire ta sieste. Quand tu reprends tes activités  à 16h, les enfants et moi te revoyons que tard dans la nuit  si nous avons la chance d’être encore éveillés.”

Abu considère cette absence normale et surtout justifiée. Il faut bien qu’il nourrisse la famille et ce n’est pas en restant dans la maison qu’il y arriverait. Conclut-il.

Il était tard. Sata était à cours d’arguments devant cet homme déjà décidé. J’ai assisté à cette scéne, impuissante. Non pas à la décision d’Abu d’épouser une nouvelle femme, mais à l’impuissance de Sata face à la situation de polygamie qu’elle va devoir vivre dans quelques mois, peut-etre même quelques jours. La mort dans l’âme, elle demande une dernière faveur à son mari : celle d’épouser une jeune femme fraiche et vierge pour leur éviter à tous les deux de potentielles maladies. C’était la capitulation. Sa dernière phrase indisposa toute l’assemblée. C’est fini. La soirée était terminée. Chacun se lève pour regagner sa parcelle. Sur le chemin menant à ma chambre d’hôte, j’entends les murmures de Sata :

”J’espère qu’avec l’arrivée de cette nouvelle femme, tu passeras plus de temps à la maison. Je préfère te voir ici avec une autre femme que de me dire que tu es quelque part dans la nature avec …”

Pour la première fois, je rencontre une femme rurale parler de la polygamie avec autant de liberté et de clarté. Une femme qui parle ouvertement de sa souffrance à l’inconnue que j’étais. Preuve qu’elle agonisait. Les autres, intériorisent la chose. C’est le cas de Maty par exemple. Elles n’acceptent pas ou ne comprennent même pas qu’une des leurs en parle ouvertement. Elles me diront plus tard que :

“Sata parle beaucoup mais c’est normal, c’est une wolof. Eux ils parlent beaucoup. »

Argument que j’ai trouvé minable et triste à la fois. Cette jeune femme est un cadavre ambulant. Elle n’a plus sa tête et son corps avec elle. Dévastée. Meurtrie par un statut qui n’est pas encore entrée en vigueur dans son foyer.  Quant à la belle Maty, elle vit au jour le jour tout en repoussant cette réalité de son milieu. L’arrivée de la seconde ne va pas tarder. Elle le sait.
Ces deux jeunes femmes sont trés différentes. De par leur caractère et leur histoire mais ont un dénominateur commun : le même type d’homme. Des individus chez qui on note un vide d’intelligence et d’amour et un trop plein de tradition et d’égoïsme. Je me permets d’emprunter la phrase de Souleymane Elgas, l’auteur d’un Dieu et des Moeurs pour conclure cette histoire sur ces scènes vraies qui se sont déroulées sous mes yeux : « La tragédie de la femme Africaine, c’est son homme ».

Il ne s’agit pas là, d’un billet sur pour ou contre la polygamie. A quoi bon? Il s’agit là d’un partage d’un moment d’émotion intense. Quand je suis rentrée à Dakar et que j’ai conté cette histoire à mon entourage proche, j’en suis sortie avec “yaw danga doff té soff. Laisse nous tranquille avec tes yeuffou toubab, mounane émotion”. Je ne prendrai pas la peine de traduire ces mots. Il faudra juste considérer que c’est l’insulte suprême pour moi. Mais quelle émotion! 

Aminata Thior


Sénégal : Mon top 5 du hashtag #PrometDesTrucsCommeMackySall

Quand on me parle de la promesse non tenue du Président Macky Sall à savoir passer son mandat de 7 à 5ans, certains mots se bousculent dans ma tête : Polémique, débat, désordre et inspiration.

Ce désaveux du Président a inspiré les Sénégalais le mardi 23 Février dans la twittosphère. Il faut être inspiré pour créer un Hashtag où le but est de faire des promesses délirantes et irréalisables  (#PrometDesTrucsCommeMackySall). Et il faut l’être également pour écrire autant de drôleries dans ce Hashtag.

Voici mon Top 5 des tweets  #PrometDesTrucsCommeMackySall

#PrometDesTrucsCommeMackySall Je m’engage a faire du ramadan comme la coupe du monde: Tous les 4 ans et par pays

Posté par Mbaye Thiaba Mbaye sur mercredi 24 février 2016

Quand je serais président je construirais une usine de refroidissement des rayons solaires à Matam.#PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Saidou Abdoul BA sur mercredi 24 février 2016

 

Moi President, je ferai en sorte que le gri-gri soit le seul traitement autorisé dans tous les hopitaux #PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Pro Khalifa Sall sur mardi 23 février 2016

 

Moi président, je ferai appliquer mon Plan Senegal Détergent…Même so démé douss diaratoul ngey raxassou ndakh leppey detergent!Bo Chroniqueur Ni’Croc’Ni’Coeur #PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Sambaa Ibn Tamiramata Bokoom sur mardi 23 février 2016

 

#PrometdesTrucsCommeMackySall4 piss piss de déodorant obligatoire dans les transports en commun. Ce sera compris sur le tarif du billet. #UtilitéPublique

Posté par El Bachir Niang sur mardi 23 février 2016

 

Gormack THIOR


Femmes mariées au Sénégal, parlons d’une des nombreuses facettes de la pression sociale qu’elles subissent

Que ferions-nous si nous n’avions pas peur ?

J’ai un rêve. Celui de voir un jour un Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar sans badauds qui m’arrachent mes valises moyennant des euros (et même pas du FCFA) et avec une vraie file prioritaire pour les familles, femmes enceintes et personnes handicapées (et non pour personnalités ou individus ayant ce qu’on appelle « des bras longs »). Comme ce rêve tarde à se réaliser, j’ai décidé d’appliquer une autre méthode  lors de mon dernier voyage à Dakar : être dans ma bulle pendant toute la durée de mon passage dans ce lieu.

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Source : Wikimedia Commons. Bienvenue dans ma bulle colorée

Dans ma bulle, je fais le vide et ne vois que le gendarme qui doit me tamponner mon passeport. Je ne regarde pas du côté de l’arrivée des valises, le désordre qui y règne me fait penser à la ville de Kaboul. Le bruit, le monde qui grouille autour de moi n’existe plus. Et ça marche. Ça a marché !

A la sortie de l’aéroport, toujours dans mon cocon, j’ai aperçu au loin Amy Collé, ou Collé pour les intimes. Elle était apparemment dans sa bulle aussi : le plus extraordinaire dans cette expérience, c’est que j’ai rencontré d’autres personnes qui étaient également dans leur bulle.

Collé et moi étions très proches. Nous avions fait le même lycée mais le temps nous a séparé lorsque sa famille a quitté Dakar pour Boston il y a bien longtemps. Lorsque nos regards se sont croisés, nous nous sommes toute de suite reconnues et je vous épargne les cris de joie et salamalecs qui s’en sont suivis.

Je ne pouvais m’empêcher de lui demander pourquoi elle avait décidé de se créer une bulle. Sa réponse me glaça le sang. J’avais en face de moi, une jeune femme belle, intelligente, ambitieuse et indépendante qui me raconte sa peur du séjour qu’elle va passer au Sénégal. Pour la 2ème fois après son mariage avec Doudou, Elle est venue avec ce dernier passer quelques jours de repos au pays de la Téranga. Collé me raconte son tiraillement entre ce qu’elle souhaiterait faire pendant ce séjour et ce que sa belle-mère souhaiterait qu’elle fasse du fait de son statut de mariée. Les attentes de cette dernière, elle l’a su lors de ses premières vacances à Dakar.

Elle a prévu de passer beaucoup de temps avec ses parents qui vivent aujourd’hui à Dakar :

Je travaille beaucoup, je gagne très bien ma vie aux États Unis, mes proches sont à l’abri du besoin mais il me manque l’essentiel : ma famille. J’aimerai débattre avec mon père sur nos dernières lectures comme au bon vieux temps, j’aimerai faire du shopping avec ma mère, chose qu’elle adorerait. J’aimerai les toucher, les sentir près de moi. J’ai besoin de passer du temps avec les miens Aminata , me cria-t-elle.

Elle marqua une pause avant de me parler de son projet de création d’une entreprise de traitement de déchet au Sénégal. Elle souhaite également y passer du temps, faire les démarches administratives et recruter des personnes sur place.

Cependant, sa belle-mère attend d’elle qu’elle soit totalement intégrée à sa nouvelle famille et cela passe par quitter le domicile de ses parents et venir s’installer chez son époux. Ce dernier point ne le dérange aucunement. Ce qui la contrarie, c’est le fait de voir que ça ne plait pas à sa belle-mère qu’elle aille voir ses propres parents aussi souvent qu’elle le souhaiterait. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est qu’on attend d’elle qu’elle fasse le ménage ou qu’elle cuisine chez sa nouvelle famille alors qu’elle est venue pour des vacances. Ce qui l’a poussé à créer sa bulle, c’est son impuissance face à cette situation. Elle qui est si indépendante, si directe, si courageuse, elle n’arrive pas à saisir pourquoi elle ne peut pas dire NON. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas sa belle-famille, non loin de là, elle veut juste assouvir ce besoin humain de voir les siens sans contrainte et de réaliser ses plans selon ses prévisions sans se soucier du « Qu’en dira-t-on »

Je suis résignée Aminata. Aux États Unis, je passe 12 mois sur 12 à m’occuper de mon mari, de mon fils, de mon boulot et de mes projets personnels. Quand je rentre à Dakar pour des vacances, je fais ce que la société sénégalaise attend de moi en tant que femme mariée : donner beaucoup de cadeaux à la belle-famille sinon « niou yak sama derr » (ternir mon image) comme dirait ma mère, faire le ménage, car je dois montrer que je suis une femme d’intérieur très « djongué », choyer ma belle-mère si je veux garder mon mari et donc sauver mon mariage. Je vais le faire. Moi qui suis contre toutes ces pratiques, je vais le faire, je n’ai pas le choix. J’ai donc créé ma bulle pour préparer mon nouveau moi, la Collé de Dakar.

Elle a arrêté de parler quand nous avons entendu quelqu’un crier « Gormack, Gormack » (mon 3ème prénom). C’était mon grand frère Cheikh, l’une des rares personnes qui utilisent ce prénom. Qu’est-ce que ça m’a fait plaisir de le voir. Qu’est-ce que je l’ai trouvé beau et charismatique. Le hasard du calendrier a fait que je ne l’ai pas revu depuis qu’il a quitté Dakar pour Kiev et moi Dakar pour Grenoble. 8 longues années que je ne l’ai pas touché, senti. J’ai réalisé à cet instant-là la chance que j’avais de pouvoir dire NON à qui que ce soit et sur toute situation qui ne me convenait pas. Je m’en allais passer du temps avec mes parents car le jour où ils quitteront ce monde, personne ne pourra ressentir à ma place la douleur qui m’habiterait. De même, le jour où je ne serai plus de ce monde, personne ne pourra ressentir leur douleur ou quantifier leur perte. Je m’en allais serrer dans mes bras mon frère, faire la connaissance de sa femme, délirer avec mon adorable et ambitieuse petite sœur… Je m’en allais juste réaliser ce pourquoi j’étais venue à Dakar : Travailler sur mes projets ! Passer du temps avec la famille (au sens large. Les gens que j’aime). Et ce, sans contrainte, sans pression et avec une totale liberté. Avec Collé, nous nous sommes promises de nous revoir.

Il y a certainement des milliers de Collé au Sénégal ou dans la Diaspora. Cette pression sociale qui exige tant de la femme mariée sénégalaise a été instaurée par des personnes et non par une quelconque tradition ou religion. Il est peut-être temps d’en parler ouvertement (hommes et femmes) sur ces pratiques où la femme doit se plier aux exigences de la belle-famille si elle veut sauver son mariage. Quand on a un fort caractère ou quand on est à l’abri du besoin, il est très facile de surmonter cette situation. Mais que fait-on de ces femmes qui n’ont pas d’argent ou de ces autres qui préfèrent se sacrifier que de dire tout simplement : « Je ne peux pas » ou « Je n’ai pas les moyens ».

Que feraient-elles si elles n’avaient pas peur ? Comment vivraient-elles si elles n’avaient pas peur ?

J’irai à la recherche de ces réponses en 2016 !

Aminata Thior