Bien le bonjour
Je ne bousculerai pas la hiérarchie de l’information, encore moins les Unes des quotidiens du jour, en vous disant que les Québécois ont la réputation de faire partie des gens dits des plus accueillants sur la terre. Oui ! Sur la planète même ! Rien que ça ! Ô Fayotage, un jour tu me perdras !
Alors « les plus » par rapport à qui ? Vous pourriez me questionner, et vous n’auriez pas tort, tout est relatif, le point de vue et tout le reste…
En Aparté ! Pour nous Français, lorsque nous évoquons l’Accueil au Québec, nous prenons toujours en compte que l’accent de nos cousins du froid aide subtilement à la manœuvre ! En France, la légende raconte que l’accent québécois, c’est un peu le même principe sanitaire que notre campagne française: « Manger 5 fruits et légumes par jour », puisqu’il a été prouvé SCIENTIFIQUEMENT qu’entendre, pour un français, 5 minutes d’accent québécois par jour est le meilleur moyen pour contrer la dépression.
Et non de Dieu que c’est vrai ! Je crois qu’un Québécois pourrait m’accueillir de la manière la plus rude au monde que bêtement, je trouverais encore de quoi hocher naïvement de la tête et de quoi sourire de mes incisives jusqu’aux molaires. Il m’enivre de bonne humeur ce bel accent, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ! Alors oui je sais Québécois ce n’est pas vous qui avez un accent, mais nous les maudits français, mais vous avez l’avantage que votre à accent à vous dans nos oreilles à nous sonne accueillant, beau… alors que le nôtre dans vos oreilles, j’ai ouïe dire qu’il hurlait hautain ! Dommage !
Bon revenons à nos moutons ! Qu’est-ce qu’accueillir à la québécoise ? Je peux vous préciser le schmilblick en ajoutant qu’on ne comprend le concept d’Accueil qu’en l’incluant dans ce qu’on définit culturellement comme le Savoir-vivre. Dans un beau français, on entend par ce terme, la somme des égards que nous devons à autrui : respecter ses idées, ses habitudes, l’amour-propre d’autrui et même ses manies. Dans un français de tous les jours, il s’agit donc d’éviter le plus élégamment possible de jurer, de roter, de péter, de cracher, de se gratter et de dispenser à autrui ses odeurs corporelles dans l’ascenseur et dans les transports en commun.
Le Savoir-vivre, personnellement, et ça ne tient qu’à moi, je l’associe indécrottablement à notre baronne Nadine de Rothschild, vous savez, cette petite rousse rondouillarde multimillionnaire, autoproclamée dame aux bonnes manières de la table, de l’accueil, et de l’amour. Si je la tenais là, devant moi, la baronne, je lui dirais avec mon accent québécois le plus niaisement français qu’il soit :
_Nadine, tsé-tu que le québécois il nous accueille ben toutes et dans toutes circonstances par un ostie de simple et direct : « Allo, tu vas bien? ». Oui oui ! Nadine, au Québec, ils ne te disent pas « Bonjour » mais « Allo » comme au téléphone et peu importe qui tu es, ils te tutoient.
Bon pour ceux qui me liront, je ne vais pas vous faire tourner autour du pot, si j’écris ce billet, c’est que depuis que je me suis installée au Québec, j’ai un sérieux problème avec cet « Allo, tu vas bien ? » Vous savez le type de souci qui n’est pas gravissime mais qui Rrrrrrr, me reste au travers de la gorge, pullule dans ma tête et me surprend d’un haut-le-cœur! Pour être franche, je la maudis cette phrase d’accueil, je la hais, je l’exècre…
Qu’on se rassure, c’est personnel ! Ce n’est rien d’autre qu’une histoire de blocage langagier et cérébral, une sorte de petit feu d’artifice au niveau de ma neurotransmission, là-haut dans ma tête, rien de grave mais psychiquement éprouvant. Ce phénomène m’arrive occasionnellement, et quand il est là, il est bien là, nom de Dieu !
Le problème est simple, j’ai des bouts de phrases qui bloquent, elles restent en équilibre sur un fil entre la bouche de mon interlocuteur et mes oreilles ; ce ne sont rien de plus que ces phrases que l’on catégorise communément dans le genre : « Façon de parler », sauf que pour moi, elles sont plus, elles électrisent mon cerveau. Elles me font blitzzer ! (Oui comme la Blitzkrieg !)
EXEMPLE : En Belgique pour donner suite à un RDV on dit :
_Appelle-moi et dis-moi quand tu es disponible !
_OK, je t’appelle et je te dis quoi !
_Quoi ? Ben tu me dis quand tu es disponible !
_OK, je te redis quoi ?
_ Quoi ?
Blitzzzz dans ma tête!
EXEMPLE : En Allemagne, on use du libre arbitre au bout de trop de phrases, avec l’étrange habitude d’y ajouter un « OU » soit « ODER » Es ist nicht schlimm, oder?…! Ce qui veut dire : Il n’est pas bien, ou bien ? ODER quoi ? OU BIEN, quoi ????
Blitzzz dans ma tête !
Quant au Québec, à longueur de journée, on tutoie tout le monde sans distinction, et surtout sans attendre de réponses, on se demande :
_ Allo tu vas bien ?
Je panique et je pense :
_ Bah ! On se connaît ?
Blitzzz dans ma tête !
Le mystère était trop lourd, j’ai donc demandé à un serveur travaillant dans le café où je me trouvais, pourquoi cette question, alors que d’un, franchement aucune personne ne vous dit vraiment comment elle va et de deux, ça ne vous intéresse pas comment vont des gens que vous ne connaissez pas ?
La réponse fut brève :
_ C’est juste une manière sympa de dire bonjour ! C’est très anglo-saxon !
Allo tu vas bien ? est donc LA phrase à connaître et surtout à interpréter pour ce qu’elle est quand on est au Québec. La notion de question y est d’ailleurs quasiment inexistante. Pour eux, ces quatre mots n’en forment qu’un seul. Si j’avais ce pouvoir, j’incrusterais volontiers dans tous les dictionnaires francophone, à la lettre A :
allo-tu-vas-bien : n. m., invariable. Signifie bonjour, salut au Québec. Est utilisé pour saluer quelqu’un à toute heure du jour ou de la nuit. Peut être employé entre amis ou par des professionnels.
Et bien, croyez-moi ou pas, mais rien n’y fait je n’arrive pas à me faire entrer cette maudite définition dans la caboche ! En lieu et place, mon cœur s’électrise, mes yeux s’arrondissent et c’est la bouche ouverte en cul de poule, que je regarde le questionneur québécois en pensant :
_ Mais qu’est-ce qui m’veut lui ? On se connaît ?
Imaginez, à chaque fois, le laps d’un instant, je crois qu’il me faut répondre sincèrement à cette question, et ça me fait capoter, comme disent les Québécois. Ne serait-ce qu’aujourd’hui, j’aurais dû raconter 15 fois, à plus de 15 inconnus, comment mon moral du jour se portait. Et sincèrement, je ne suis pas certaine que mes maux d’estomac, le retour de mes insomnies, ma facture d’électricité, mon superbe week-end et le mail de ma mère me disant que mon père est à l’hôpital, car il s’est encore bloqué le dos en se coupant les ongles des pieds, ne soient d’un grand intérêt pour tous ceux qui m’ont dit : Allo-tu-vas-bien ? Soient mes voisins, mon banquier, la caissière du supermarché, le responsable du rayon légumes, le chauffeur de bus, la pharmacienne, le serveur du café, la serveuse du restaurant, les 5 personnes qui ont pris l’ascenseur avec moi pour monter au 3e et le monsieur qui est redescendu avec moi au rez-de-chaussée, le chauffeur de taxi, le sans-abri et son chien, même dans les yeux de l’animal chien j’y ai lu la dérangeante question…
Tu crois quoi là, on n’a pas gardé les cochons ensemble !
Le Allo, tu vas bien québécois, c’est un peu l’équivalent langagier à la française du… mais si tu sais du… bah du Rien ! Dans le guide du Savoir-Vivre du français, on ne pose pas une telle question à tout le monde et en toutes circonstances. Le français sait dire Merci à tout bout de champ, mais n’aime pas demander comment va autrui ? Alors si vraiment je devais trouver une expression analogue française, je dirais qu’un Bonjour suivi d’une complainte quelconque sur tout et n’importe quoi pourrait être une bonne équivalence. Quand le Québécois tente le positivisme le Français lui se replie dans le négativisme, et fait ce qu’on aime le plus faire en France, se plaindre juste pour se plaindre.
Mais que voulez-vous chacun cultive son accueil à sa manière. Etre français, c’est dans la mauvaise humeur que ça se passe, c’est un état d’esprit, le Français, c’est comme un caniche, s’il perd sa mauvaise humeur, il perd sa forme initiale.
Et comment tu vas la police ?
Pas plus tard qu’à l’instant, je faisais la file pour un thé, dans le quartier général de mon blog, entendez par là, le lieu où j’écris ces bêtes billets, soit le café Second Cup de mon quartier montréalais, quand devant moi deux agents de police venaient se ressourcer de cappuccino-glacé-chantilly et de frappuccino- caramel.
Le serveur :
_ Allo tu vas bien ?
Le policier :
_Salut, yeah super et toi ?
Le serveur :
_Bien merci ! Jte sers quoi ?
Pendant ce temps-là en France, tu aurais déjà les menottes aux mains pour outrage à agent. Tu serais en garde à vue pour cause de tutoiement et de relâche langagière sur un représentant de l’autorité publique.
Reconstitution : même scène dans l’Hexagone :
Le policier :
_ Police nationale Bonjour ! Il va me préparer les mains en l’air un expresso et il me m’ajoutera un morceau de sucre !
Le serveur :
_Oui Monsieur l’agent ! Tout de suite Monsieur l’agent !
Le policier :
_Hop hop hop ! Et plus vite que ça et puis toi le collègue aussi, tu vas me faire un expresso !
Le serveur collègue :
_ On se connaît ? Pourquoi vous me tutoyez ? Est-ce que je vous tutoie moi !
Le policier :
_ Et oh là ! Jeune homme, tu vas pas me le prendre sur ce ton-là, tu baisses d’un ton. D’ailleurs, il va venir le préparer en garde à vue son expresso; tout le monde dépose ses tasses, filtre à café sur la tête et aller hop, serveurs, clients, expresso, on embarque tout le monde !