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Les oncles d’Amérique (du Sud)

Miracle d’Internet : nous avons tous des cousins ou des oncles d’Amérique. Je ne sais pas pour vous, mais depuis le développement d’Internet à l’échelle planétaire et l’explosion des réseaux sociaux, il ne se passe pas une semaine sans qu’une personne portant le même nom que moi me contacte pour savoir si, au cas où, nous n’aurions pas un quelconque lien de parenté.

J’ai du mal à imaginer ce qui se passe pour des personnes dont le patronyme est très répandu, genre Dupond/Durand. En ce qui me concerne, je dois représenter un cas peut-être particulier, car mon nom de famille est spécifique à la petite région de France où je suis né et où j’habite actuellement, le Béarn. On n’en trouve pas, ou peu, en France en dehors de deux/trois villages de l’Est du département, mais par contre, du fait d’une émigration massive tout au long du 19e siècle, c’est un nom qui s’est répandu sur tout le continent américain, du Nord au Sud et d’Est en Ouest.

Donc, si j’en crois mes derniers visiteurs, ils sont plus de cent au Mexique à porter le même nom que moi, on en trouve en Argentine, au Brésil et bien sûr aux États-Unis, sans compter tous ceux disséminés à travers le continent américain dont j’ignore l’existence.
Si certains se contentent d’échanger quelques mails sans plus de conviction que ça, pour d’autres, il s’agit d’une véritable démarche généalogique ayant pour but de retrouver leurs racines européennes et de comprendre (un peu) l’histoire de leurs ancêtres.

C’est ainsi qu’au tournant de l’an 2000 nous avons vu débarquer de Louisiane une Américaine pure souche venue découvrir le berceau de sa famille. Reçue comme il se doit, en pleine période de fêtes de fin d’année, je ne sais si sa soif de découverte a été rassasiée, mais au moins elle a pu goûter à quelques préparations culinaires dont le Sud-Ouest de la France a le secret. Elle sera rapidement suivie par quatre Américains « pur jus » avides de racines.

Nous avons accueilli quelques années plus tard un curé mexicain, haut en couleur, venu en Suède pour un baptême chez des amis, passé par Barcelone en plein été ce qui lui a valu de dormir sur un banc pour cause d’hôtellerie surbookée, et après un mini pèlerinage à Lourdes nous lui avons fait découvrir son Béarn d’origine dans des conditions estivales. Pour l’anecdote, en plus d’être très sympathique il était « beau comme un Dieu » ce qui, aux dires de la gent féminine, l’aurait classé au firmament des « Oiseaux se cachent pour mourir » pour ceux qui ont lu ce roman ou vu le film.

Et tout récemment, la semaine dernière, nous avons accueilli quatre quinquagénaires d’origine hispanique, un couple de Tarragone en Espagne, un orthodontiste mexicain et une policière/professeur d’anglais de Buenos Aires. Eux avaient fait au préalable un vrai travail de recherche sur leurs origines respectives avec un impressionnant tableau généalogique qui apportait une certitude et une question. La certitude étant qu’ils étaient de la même famille, malgré des habitats fort éloignés, et la question restée en suspens était de savoir de quel village précisément leur lointain ancêtre (1820) avait émigré.

Je vais vous dire : on a passé des moments formidables ! Pour la généalogie la progression fut lente, une partie des archives locales sont numérisées et disponibles sur Internet,mais il en manque pas mal pour savoir d’où venait leur « Luciano d’ancêtre », en ce qui concerne la langue nous avons bien cafouillé entre l’espagnol, l’anglais, le peu de français connu et un mélange de catalan et de béarnais finalement très proche, par contre pour rigoler et bien manger nous avons atteint des sommets ! Ils s’en sont retournés rassasiés et contents d’avoir enfin vu leur contrée d’origine. A moi maintenant de parcourir le Monde pour leur rendre la visite qui s’impose (pas simple tout ça !)

Ce billet juste pour évoquer l’émigration à travers les âges. Car si aujourd’hui en Europe c’est un sujet brûlant, des Roms de Bulgarie ou de Roumanie en passant par les naufragés de Lampedusa, des migrants de Calais guettant un hypothétique passage vers l’Angleterre au regroupement familial si décrié, il ne nous faut pas oublier qu’en remontant sur quelques générations les migrants c’était nous, les Européens. Dans les familles nombreuses de l’époque (18e et 19e siècle surtout) l’avenir n’était assuré que pour l’aîné de la famille à qui revenant, au mieux, la ferme dont ils n’étaient bien souvent que l’exploitant, pas le propriétaire. Le second de la famille pouvait toujours espérer rentrer dans les ordres ou dans l’armée, mais pour le reste de la fratrie le choix était plus que limité : le mariage pour les filles et l’exil pour les garçons. Comme le principal métier exportable était celui de berger, pratiqué par une grande partie de ces garçons, ils ne leur restaient plus qu’à tenter leur chance outre-Atlantique, embarquer sur un cargo de fortune au port de Bordeaux avec comme avenir une vie de misère dans une pampa inhospitalière et souvent une mort rapide.

Nous allons dans quelques jours célébrer le 100e anniversaire du 11-Novembre, date de l’armistice de la guerre de 14/18, c’est un évènement important pour qui veut se souvenir que la grande boucherie n’est pas réservée qu’aux autres, par la même occasion souvenons nous aussi que nous sommes tous des émigrés potentiels.


Ebolapeur…

 

Trois grands sujets dans l’actualité de ce milieu du mois de septembre, traités à des degrés divers : les frappes aériennes en Irak, sujet lourd de conséquence mais peu vendable, le retour maintes fois annoncés de Nicolas Sarkozy en politique, qui pose la question de savoir qui des juges ou de lui cours le plus vite, et l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, ça c’est vendeur coco !
Autant vous le dire tout de suite, à 6000 kilomètres de l’épicentre, la peur nous gagne. Grâce à des médias déchainés et investis de la plus haute intention de nous nuire, Ebola est à nos portes, peut-être même dans ma cuisine…
Je ne sais pas ce que sont vos médias chez vous, mais ici, dans notre France étriquée, la peur est partout, et c’est en grande partie dû à la nuisance des chaînes d’info « en continue »
Il y a vingt ans de ça, peut-être dix, avant la montée en puissance d’internet, le paysage audiovisuel était relativement simple avec cinq ou six chaines de télévision et, dominant tout le monde, un journal télévisé, celui de TF1, avec aux commandes un présentateur vedette croquemitaine, Jean-Pierre Pernaut. Pour résumer son journal, c’était (et c’est toujours) dix minutes d’infos nationale et internationale, souvent bâclées et parfois biaisées, et vingt bonnes minutes de reportages sur une France éternelle qui n’existe plus depuis des décennies : du fabricant de sabot au fabricant de parapluie en passant par un salon de l’agriculture faux nez d’un monde qui s’industrialise de plus en plus. Ça c’était avant, maintenant le Dieu a trouvé son maître, la grande messe du journal de TF1 est petit à petit détrôné par la montée en puissance des chaînes d’info continue, pur produits anglo-saxon ou l’important ce n’est pas l’info, l’important c’est de capter le plus longtemps possible le client.
Et pour ce faire tous les moyens sont bons, un rythme soutenue, un bandeau défilant qui hypnotise, mais surtout une dramatisation de tous les instants ; faut les comprendre, s’ils veulent garder le téléspectateur captif il faut que ça bouge, il faut du sensationnel, il faut du saignant, quitte à tordre un peu la vérité ou à en faire beaucoup trop pour garder l’audience. Rien n’est plus terrible pour ces médias qu’un calme jour d’été avec des politiques en vacances, du sport en pointillé et un grand ciel bleu qui détourne les foules de leurs petits écrans. Donc, quand on tient un sujet on ne le lâche pas du jarret, comme un Rottweiler.
Ces petites explications pour essayer de vous faire comprendre comment une épidémie, réellement dramatique, sur le continent africain se transforme en « fin du monde » ici. Sur un sujet de cet acabit il faut se défoncer, non pas pour informer, éclairer, instruire, mais pour capter le quidam. Nous avons donc droit à des reportages hystériques sur…la prochaine arrivée du virus à Paris Charles de Gaulle (l’aéroport de la capitale). Je n’ai pas vu (ou j’ai raté) de reportages sur le travail des équipes médicales sur le terrain, sur la logistique mise en œuvre, sur le rôle de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Non, ce qu’il faut c’est du sensationnel, de la peur : on montre des cadavres, des mourants, des scènes de panique, des frontières passoires, il faut faire monter la sauce coco !
Prenez par exemple l’infirmière volontaire de MSF (Médecin Sans Frontières) infectée par le virus et rapatriée en France ce week-end. Innocemment je pensais voir au moins un reportage sur ces personnels soignants bénévoles qui vont risquer leurs vies pour sauver celles d’autrui, par exemple suivre un médecin depuis son embarquement jusqu’à ses longues journées de travail dans un endroit isolé de la Guinée forestière. Imbécile que je suis, tout ce que nous avons eu droit, sur toutes les chaines de télévision, c’est le « cul » de l’ambulance qui transportait la jeune femme, et le commentaire de la boulangère face à l’hôpital qui espérait « qu’ils ne vont pas laisser échapper leur machin »
Vous touiez ça pendant un bon mois, vous comptez les morts, vous pointez un pistolet/thermomètre sur tous les fronts un peu transpirant et PAF : le virus il est dans ma cuisine !
Nous engendrons une société de la peur, repliée sur elle-même, incapable de regarder l’autre sans se demander pourquoi il vous veut du mal. Et franchement y’a des jours ou on déprimerait rapidement.
Rassurez-vous, l’info, la vraie, elle existe, mais il faut faire l’effort d’aller la chercher, sur Arte, sur la 5, sur le web, Courrier International, etc. Et quand vous aurez pris l’habitude de surfer sur toute cette matière grise mise à votre disposition et bien… vous craquerez : vous croiserez tôt ou tard le couillon de service qui ne voudra pas vous serre la main à la machine à café « à cause du virus ».