Christelle BITTNER

Le Pérou relooke Papa Noël

Ça faisait un petit moment que je voulais vous le présenter, Papa Noël tiré par ses lamas et bien « perucho » comme on dit ici. Revue de détails.

Les péruviens sont fiers de leur pays. Et même si ils sont les premiers à déplorer la corruption ou à s’excuser d’un « ici forcément ce n’est pas comme chez vous » quand ils vous ouvrent leur porte tout naturellement, rien ne peut ébranler l’âme péruvienne. Elle est ce lien étrange qui de la Côte au cœur des Montagnes réunit un peuple qui en est cent. Ce fond de valeurs communs, cette identité nationale qui rappelle un autre sujet ais semble ici relever de cette alchimie mystérieuse.

J’étais l’autre fois au guichet de la Banque BCP quand j’ai été frappée par une apparition qui corrobore le couplet précédent… Père Noël trônait dans le fond avec un message: « Esta Navidad mas peruanos que nunca. Felices Fiestas! » : « Ce Noël, plus péruviens que jamais. Joyeuses fêtes. »

Et voilà que mes yeux rencontrent un Père Noël, bien évidemment à la barbe blanche et en tenue de gala rouge, looké comme une fierté nationale et la hotte chargée de symboles.

Bref passage en revue. Les rênes sont ici deux lamas galopants ornés de leurs tissus traditionnels, « mantas colorées » qui servent souvent à transporter les provisions ou les enfants sur le dos des paysannes. Son traîneau est en paille « tortora » sur le modèle des Iles Uros, ses îles flottantes du Titicaca, qui dansent en équilibre sur l’immense lac mythique. Les embarcations utilisées pour se rendre d’une île à l’autre ou sur la berge s’enroulent sur le devant comme le traîneau.

L’homme lui-même cache sous sa barbe blanche un visage buriné. Son habit est orné de broderies traditionnelles. En lieu et place d’un chapeau en pointe il porte le « chuyo », bonnet traditionnel avec sa pointe en arrière, ses larges oreilles et ses deux pompons. Et, aux pieds il a de chaudes chaussettes en laine de lama ou d’alpaga et ses « yankees ». Je ne sais absolument pas l’orthographe du mot qui appartient décidément à l’argot péruvien mais c’est ainsi qu’on désigne les sandalettes de Père Noël: un modèle des champs, faits à partir de pneus, croisé sur le devant, inusables et symboles pour une jeune génération (les artisans des rues par exemple) de leur appartenance culturelle. Bref Père Noël est à la pointe de la revendication nationale.

Dans sa hotte, il promène d’autres fiertés nationales. Cette petite guitare qu’on nomme « charango » et que l’on m’a toujours présenté comme bolivienne mais je ne voudrais pas me fâcher, une « zampona », cette petite flûte à deux étages, un lama en peluche, une petite poupée andine, des cadeaux soigneusement emballés dans leurs mantas traditionnelles et, si je ne m’égare, du café ou du chocolat en vrac.

Si on considère que sur les étals de Pichanaki, les jouets à 5 soles made in China faisaient ravage et qu’une certaine demoiselle m’a commandé une Barbie Fashionista, je ne suis pas sûre que ce Père Noël ne soit pas un mensonge national de plus mais il a au moins le mérite d’exister et de m’avoir enchanté.

Si j’en crois les journaux la foule stressée et avide de consommation s’est pressée aux étals de Lima et des grands magasins. Ici, dans notre petit bout de jungle, tout était très calme. Le soir de Noël des pétards ont éclaté à minuit et les familles ont attendu les douze coups pour se jeter sur la dinde, il y a eu quelques chants, quelques verres de vin rouge sucré et de rares cadeaux échangés sous le manteau car il n’y en a pas pour tout le monde. Tout ça s’est fini, comme toujours, sur la piste de danse de la disco locale où la foule s’agite autant sur la techno américaine que sur les rythmes de la sierra et de la selva… Fiers, je vous dis.

Reste à regretter pour mes lecteurs mâles que Papa Noël ne soit pas davantage en habits de la jungle. Il aurait alors porté une grande robe aux motifs traditionnels, un petit chapeau rehaussé d’une plume et aurait été entouré de deux ou trois créatures dévêtues qui auraient fait osciller autour de lui leurs ceintures en graines portées au raz des hanches. Une idée pour la campagne BCP 2011. Très joyeuses fêtes à vous!


Flonflons, Le Pérou de promo

En ce moment tout le Pérou est sur son 31. C’est la fin de l’année scolaire et la fête pour chaque élève qui passe au grade supérieur: primaire, collège, lycée. Sortez vos costumes et robes en tulle.

Depuis quelques semaines le Pérou est en effervescence, celle bien connue de l’approche des grandes vacances, des derniers jours de classe qui s’étirent, des regards qui se perdent en perspective de diversion… Mais, ici, on fait ça dans les formes, avec petits cartons d’invitations, buffet de petits fours, bal et tout le tralala. Car chaque année, on fête, dans chaque école, les enfants qui terminent un cycle.C’est ce qu’ils appellent la « Fiesta de Promocion ». Plus on est grand, plus la fête est conséquente, mais ça commence très jeune. La semaine dernière j’étais moi-même à la Fête de Promotion du petit De Niro (si si), 3 ans, qui a terminé son année au Centre de Stimulation (la crèche) et va entrer au Jardin (l’école maternelle). Une fête avec clowns , petits jeux et buffet coloré de bonbons. Une fête évidemment plus glamour dans les écoles privées de la ville que dans les lycées de campagne.

Un cran au dessus il y a la Fiesta d’entrée en primaire, puis d’entrée au collège et, enfin, de fin de lycée. Les jeunes hommes sont en costume et cravate et les demoiselles en robes de princesse, avec tulles ondoyantes, coiffures appliquées et escarpins. De vraies jeunes mariées. De 6, 12 ou 18 ans.

Ensuite tout est question de moyens mais la Fiesta de Promocion ne va pas sans sa table d’honneur réservée aux professeurs, sa sono pour faire danser les élégants et leurs princesses sur les rythmes de cumbia et reggaeton à la mode, son buffet de mises en bouche et son plat traditionnel: pachamanca, pollada ou parilla, larges portions de viande servies avec pommes de terre et yuca.

Pour les plus huppés, est invité un groupe de cumbia à animer la soirée en live et chaque élève a une table réservée pour ses invités: d’une dizaine à plus de cinquante. Forcément la compétition bat son plein et comme ici on peut vous répondre « oui oui oui » en pensant « non non non » chaque élève envoie ses ambassadeurs (pères, frères, amis) jusqu’à l’ultime minute, pour être sûr que sa table soit belle et bien remplie d’invités de choix, bien mis et souriants qui, souvent, comme moi, ne connaissent ni d’éve ni d’adam l’élève en question. « Mais si enfin c’est la fille de la voisine de la cousine qui vit au coin ». Ce qui donne droit à s’asseoir à la table d’honneur, à faire de larges sourires et porter des toasts pour la réussite de la fille de la voisine de la cousine qui vit au coin » tout au long de ses études qu’on espère longues. Hips.

Tout cela prête à sourire, d’autant que les heures passant, la Fiesta de Promocion se transforme peu à peu en fête orgiaque où la bière coule, les invités roucoulent et les petits fours disparaissent engloutis par les nombreux pique-assiettes présents. Mais, après tout, je me souviens avoir célébré mon bac toute seule dans une chambre au fin fond de l’Allemagne où j’étais partie en stage avant que ne tombent les résultats et je me demande si une robe de princesse, des parents célébrant mon intelligence à grands coups de godet et des rythmes endiablés n’auraient pas été plus à mon goût.

La Fiesta de Promocion nous dit aussi quelque chose sur le Pérou d’aujourd’hui: la proximité, vraie ou simulée, entre les générations. Ici on fait la fête avec papa-maman, les oncles, tantes et cousins sans rechigner. La famille, symbole toujours fort, se doit d’être unie en ce jour béni de succès scolaire. Et même si on finit par abandonner dans un coin ses parents pour festoyer avec ses camardes, les générations se côtoient et partagent: succès d’un enfant et réussite des parents.


La Fièvre du Samedi soir

Des John Travolta en bonnets et ponchos ? Parfaitement. Même si les « papachos », défenseurs de la culture inca, continuent de sautiller sur les rythmes folkloriques traditionnels, leurs petits-fils ont la fièvre. Coumbia, reggaeton, perreo, Un Autre Pérou, a enquêté dans les effluves des boîtes de nuit.Avant d’arriver au Pérou, j’en avais une image de carte postale, figée dans le temps : un paysan buriné, chaussé de son bonnet en poils de lama, flûte au bec, et poncho pour les grands froids. Cette image est vraie, elle appartient toujours au Pérou traditionnel, celui de l’Altiplano: des familles de paysans qui vivent dans des maison de pierres soufflées par les vents, de leurs quelques terres et de l’élevage de leurs « cuy », petits hamsters galopants regroupés à même le sol de la cuisine.

Mais dans les grandes villes, Lima, la capitale, Huancayo, la moderne, Arequipa, la classique, Cusco, la pervertie, et même dans la petite Pichanaki, les jeunes péruviens laissent bonnets et ponchos à l’entrée de la boîte et roulent des hanches et des épaules comme toute l’Amérique latine.

Bien évidemment les péruviens ne sont ni brésiliens, ni cubains, ni colombiens. Même si ils ont encore un peu de retard dans la fluidité des mouvements, ils se rattrapent dans la chaleur de la prise en mains.

Dans une boîte classique la reine incontestée c’est la coumbia. Chansons d’amour déchirantes, rythmes de synthé, pieds qui sautillent (un deux un deux), on vous prend les mains, vous fait tournoyer, lève les mains, baisse les mains. Ici, on ne danse que par couple. Et la partenaire pour la soirée ne change pas. Attention donc à qui vous offrirez la première danse car il n’est pas coutume de passer de bras en bras à moins d’être une « gringita » (une petite blanche) dévergondée, mais nous y reviendrons.

Un cran au-dessus il y a la salsa. D’abord réservée aux élites de bon goût liméniennes, elle creuse peu à peu son sillon dans tout le Pérou amenant avec elles ses effluves de sensualité caribéenne. La salsa n’est pas temps figures et pirouettes imposées que prétexte à un corps à corps. Un vacillement érotique. Comme un slow des temps modernes.

Enfin une fois réchauffés, on attaque le plat de résistance : le « reggaeton » et son concurrent encore plus sulfureux, le « perreo ». Rythmes funk, paroles explicites et arrières-trains en transe. Les femelles (car c’est comme ça qu’on parle en « perreo ») devant agitent leurs popotins de haut en bas, jusqu’au sol en se frottant. Les mâles derrière labourent du bassin et simulent de petites frappes sur les fesses de leurs partenaires avec moulinets des bras. Comme une boîte péruvienne ne fonctionne pas sans un DJ au micro, le perreo est l’occasion pour le jeune homme de débrider les foules : en avant, en haut, en bas, plus fort, donne tout, oui allez…

Le rythme s’accélère, la frénésie aussi et on constate qu‘il était dommage de cacher depuis toujours les fesses péruviennes sous ces immenses jupes à flonflons typiques. Inutile de préciser qu’ici la tenue folklorique n’est pas de rigueur. Jeans super slim, talons vertigineux, hauts à paillettes et décolletés abyssaux. Quand on sort, on est maquillées, coiffées, limées… Malgré ce qu’il paraît l’ambiance reste bon enfant. On simule, on rit, on frôle, on embrasse entre deux gorgées de bière mais ça va rarement plus loin. Une certaine réserve ou pudeur empêche les boîtes de nuit péruviennes de tourner à l’orgie. On libère les corps et la sueur, le reste est du domaine privé.

Sauf, une exception : les villes pour touristes. A Huaraz, Cusco ou Arequipa, les règles explosent sous l’influence réelle ou fantasmée des partenaires d’un soir, les fameuses « gringitas » dévergondées. On le sait car on l’a vu à la télé (merci Hollywood!) les « gringitas » n’ont peur de rien et viennent chercher la diversion. Les Péruviens, pas bégueules, leur donnent ce qui est prévu. Quelques péruviennes s’aventurent en quête du gringo innocent mais, malheureusement pour elles, son bassin n’est pas souvent à la hauteur des péripéties prévues. Voilà donc ces créatures réduites à onduler devant des échalas touts blancs et un peu déboussolés.

La majorité néanmoins sont des galants caramels qui courtisent les touristes. Blondes aux yeux bleus si possible, le Saint Graal de la Conquête post Inca. Les Péruviens ont compris une chose : la testostérone et le machisme à petites doses est une arme de séduction massive. Ils plantent leurs yeux bruns, saisissent une main et entraînent la partenaire de leur choix sur la piste sans autre atermoiements. Si vous dites « non », ils font ceux qui n’ont rien entendu et vous font pirouetter jusqu’à ce que vous renonciez. Pas de pause polie pour rejoindre votre verre, ils vous feront danser jusqu’à vous épuiser. Et les plus téméraires ne traînent pas : une danse, les mains au creux des fesses. Deux danse, les mains explorent les épaules, le nombril, la naissance des hanches. Trois danse, les mains s’aventurent jusqu’au décolleté et se creusent un chemin sous le jean à même la peau. Notez que pendant ce temps les jambes exécutent tous les mouvements attendus, les secousses, déhanchements et pirouettes continuent comme si après tout ces mains licencieuses n’étaient qu’un élément de plus de la chorégraphie. C’est un art et certains le maîtrisent à la perfection. Comme dirait une connaissance sans bonnet ni poncho « danser avec moi, c’est faire l’amour à la vertical ».

La suite vous la devinerez, elle entre dans un autre genre de chorégraphies. Les « serial lovers » des pistes de danse péruviennes ont un nom : « britcheros », de l’anglais « bridge » : ceux qui séduisent dans l’espoir de traverser et exercer leurs dons sur le Vieux Continent. C’est qu’on prend vite goût aux déhanchements et les histoires d’amour tans-frontalières ne sont pas rares, du moins pour les quelques jours de la demoiselle dans la ville. Est ce qu’un bon déhanchement suffit pour avoir droit à un visa ? Là, ça ne dépend plus de votre reporter.


La Machette agonise

A ma droite une vieille dame qui fût un temps propriétaire de 100 hectares conquis à la force de la machette qu’elle tient en main. A ma gauche son petit fils et sa « macheteadora » toute neuve, un modèle chinois à essence et lame rotative, qu’il porte sur le dos. Devinez qui va gagner ?

Dans d’autres pays la machette est synonyme de sang qui coule et de violences qui taisent leur nom. Ici, dans les plantations de café de la Selva Central péruvienne, elle est une amie, un compagnon fidèle dans la sueur et la peine, une lame à tout faire. Un ouvrier ne sort pas sans son « chaflet ». Elle coupe les arbres allongés au travers de la route. Elle défriche les hectares de café plantés. Sa pointe se transforme en tournevis en cas d’urgence. Elle tranche un régime de bananes et décroche une papaye. Les enfants traînent derrière eux la pointe usée de rouille d’une machette abandonnée pour « faire comme papa ». Et surtout, après tout, c’est elle qui leur a permis d’arriver jusque là.

Les plantations de la Selva sont dans leur grande majorité propriété de natifs de la Sierra, ces vastes montagnes andines. Sans terres, ils sont venus coloniser cette jungle qu’on disait truffée de pièges mais fertile. Ils ont parcouru les routes de terre dans des autobus brinquebalants et des camions antiques jusqu’à ce qu’elles se perdent dans un océan de lianes vertes. Ils ont armé leurs mules de sucre et de sel et suivi les sentiers tracés par les précédents. Puis au bout de trois jours de marche, une terre vierge, enfin. Ils ont sorti la machette et se sont créés leur chemin, celui qui mènerait à leurs terres. Les arbres se sont pliés à temps de volonté et petit à petit la jungle s’est transformé en terre cultivable où pousse café, cacao, agrumes, bananes, yucca. Aujourd’hui il y a des routes en asphalte et des chemins de terre rouges que grimpent les 4×4 mais, trois fois par an, les hommes reprennent les armes et tranchent de la lame de leur machette cet enfer vert qui menace leur café.

Mais, depuis cette année, une petite nouvelle a fait son apparition. On la repère à son fin nuage de fumée blanc et son bruit persistant de scie électrique. La machette avançait au rythme des « chhh » « chhhh » des herbes qui glissent au sol. La macheteadora, sa grande soeur à moteur, menace à coups de « brrrrr » et « grrrrrr ». Un homme fort et d’expérience nettoie un hectare en une semaine, machette à la main. La macheteadora promet trois jours, deux pour les plus habiles. Un homme coûte 250 soles l’hectare. La macheteadora entre 600 et 1000 soles. Comme il faudra de toute façon un homme pour la dompter en 5 ou 6 hectares elle est rentabilisée. Elle peut donc être chinoise et ne durer qu’un an, elle aura toujours permis de faire des économies, en main d’œuvre et monnaie sonnante et trébuchante. Évidemment la macheteadora ne fait pas dans la dentelle et peut au passage trancher le pied d’une petite plante de café qui cherchait à pousser, mais on dit ici que les hommes ont, eux aussi, la machette rapide. Ils sont payés par contrat à l’hectare nettoyé : plus vite on avance, mieux c’est. La macheteadora, elle, est entre les mains des propriétaires eux-mêmes qui, maintenant qu’on tranche en jouant (« grrr » « grrr », « brrr », « brrrr »), se sont remis à nettoyer leur plantation seuls.

Il y a quelques jours Lucia, vieille dame de 70 ans, fondatrice du village et conteuse de ces histoires lointaines de mules, de jungle et de machettes, regardait son petit fils étrenner son nouveau jouet avec quelque suspicion. Avant qu’il ne ratiboise tout, elle s’est dépêchée de couper les herbes autour d’un tout jeune papayer pour que, tête haute, il échappe au tranchant. Et Lucia de conclure « tu verras ici c’est facile ce sont des petites herbes de rien, mais essaie un peu de rentrer où pousse le café ». Probablement son petit fils n’a pas entendu, les pétarades dans l’oreille, alors que justement il s’y dirigeait.

Elle est la seule à ne pas avoir cédé. En quelques semaines, 5 macheteadoras ont fait leur apparition chez ses fils et voisins. D’ici 10 ou 20 ans seuls les vieux conteront encore les histoires de machettes. La macheteadora, plus bruyante et polluante, régnera. C’est un progrès, du temps gagné, de l’argent économisé et, ici, c’est essentiel. Un brin de nostalgie peut-être mais le futur est forcément dans cet accès à la modernisation et la technologie qui a longtemps fait défaut ici. D’ailleurs, bonne joueuse, la macheteadora a déjà sa première « légende »: alors que le petit fils ratissait joyeusement le patio, une poule qui couvait tranquillement ses œufs dans les plus hautes herbes y a perdu une patte et fini en pot pour le déjeuner. Rien ne lui résiste.

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Cosecha22


« Ya ya, si si, ciao ciao, ciao… »

Plans spéciaux, RPM, recharges… Les péruviens courent après un temps de parole encore cher et précieux et sont les champions de la conversation express : tout dire en moins d’une minute ! « Hola, donde estas ? Ya pue vienes. Ya, ya listo. Si si ciao ciao ciao… » Voilà une conversation typique sur téléphone portable au Pérou. Les péruviens sont devenus addict et le dégaine à tout moment pour confirmer ou infirmer un plan, il faut dire qu’ici ils changent tout le temps. Mais point de bavardage. A 50 centimes la minute (monnaie locale) il faut réussir à tout dire, le plus rapidement possible. Résultat ? On hurle, personne ne comprend rien, on est obligés de rappeler…Amour-haine avec un outil technologique qui a révolutionné le quotidien. Et est devenu une vraie dépendance. Ici, on n’éteint pas son téléphone la nuit. « Et si ?… » Il faut être joignable. Et si ça sonne, peu importe qui, on répond. On ne sait jamais. Idem dans les taxis ou « micro » où les usagers s’empilent. Si le portable sonne, on se tortille et tortille toute la file avec soi pour hurler dans son téléphone « ya ya ya, si si si, ciao ciao, ciao… ». L’autre jour, au cinéma, une petite mamie s’est lancée dans une conversation de plusieurs minutes. Quelques « chut » discrets. Il a fallu que je me lève et la menace d’un doigt vengeur de couper court pour qu’elle finisse par renoncer à son interlocuteur « ya ya si si ciao ciao ciao ».

Dans notre plantation, il y a un an et demi de cela, les voisins hurlaient d’un mont à l’autre pour s’inviter à une partie de volley ou annoncer le déjeuner. « On émettait des signaux de fumée », rigole-t-on grassement. Ou l’on grimpait sur la colline avec la meilleure réception baptisé « Locutorio » comme ces cabines dans les rues où l’on peut passer un appel pour quelques sous. C’est là que nous avons rencontré hier soir, la nuit bien tombée, l’un des oncles exhibant en offrande à la lune son mobile dans l’espoir de capter. Il n’a pas de chance, il habite dans le creux d’une vallée. Ceux qui sont en hauteur, à condition de renoncer à tout gadget (appareil photo, accès Internet qui rendent les téléphones élaborés inopérationnels dans cette jungle) profitent des toutes nouvelles antennes et inondent la plantation de leur « ya ya si si ciao ciao ciao ». Au revoir les signaux de fumée, bienvenue la sonnerie Movistar.

Car, ici, à part les jeunes et leur frivolité, personne ne sait exactement comment personnaliser son mobile. Presque tous ont la même sonnerie, celle préréglée à l’achat. Et chaque fois qu’un portable sonne, toute la famille ou le bus sursaute. Tutututu tutututuuuuuu sur un air de tango digital languissant…

Autre spécialité, personne ne sait à quoi sert le répondeur. Ah on peut laisser un message? » Mais oui quand la petite voix annonce « deja un mesaje en la casilla de voz »… Ici, on coupe court, rageur, et on rappelle, jusqu’à dis fois de suite, « il doit être sur sa moto et ne pas entendre… » Ne pas avoir envie de répondre ? Personne n’y songe. Qu’on sorte de la douche, qu’on coupe un arbre à la machette, qu’on risque un accident de la circulation, il faut répondre. « Ya ya si si ciao ciao ciao … »

C’est que si c’est à vous de rappeler c’est à vous qu’il en coûtera. Et dans la jungle des plans tarifaires, il est rare de trouver un client qui a tout le loisir de papoter… 50 centimes la minute au tarif unique (valable pour les deux opérateurs Claro et Movistar). Plans promos à activer qui vous donneront des minutes additionnelles pour votre opérateur et les fixes, d’où la question récurrente : « T’es Claro ou Movistar? »

Mieux vaut bien choisir votre camp selon la zone de réception et l’opérateur de la famille et des amis au risque de vous voir sermonner en guise de « bonjour » d’un « oui c’est machin, bon j’ai pas de crédit et t’es Claro alors dis moi… ya ya si si ciao ciao ciao… ».

Le plan en or c’est le RPM comme Red privée Movistar (car, oui, j’ai choisi mon camp). Ici on signe un contrat, on dépose une caution, on s’engage sur 6 mois au moins sans possibilité de changer son plan tarifaire et on paie chaque fin de mois. 19 dollars pour 200 minutes Movistar et fixes qui s’effondrent si on a le malheur de passer à l’ennemi (appeler un Claro) et… appels illimités à tous les autres RPM.

Illimités comme dans papoter, prendre le temps, parler posément, amoureusement, clairement… Juste en demandant le numéro RPM: # suivi de 6 chiffres qui n’ont évidemment rien à voir avec votre numéro de portable classique. Comme un code secret pour accéder à un horizon de félicité téléphonique possible avec… le vendeur de téléphone, le comptable, le cousin geek, le fonctionnaire Bidule. Tous les autres ayant une allergie prononcée au mot « contrat ». Le RPM n’est encore qu’un outil de travail. Et un luxe de Liméniens, les branchés de la capitale, qui, eux, ont leur I Phone ou BlackBerry et chatte sur MSN tout la journée.

Mais, vous êtes dans la jungle, la vraie, alors assumez ! D’autres, et ils sont nombreux, n’ont que le téléphone satellite et le bouche à oreille du village pour communiquer.

Une fois vos minutes épuisées, impossible de payer un hors-forfait, ça n’existe pas. Vous pouvez alors au choix passer les derniers jours du mois au téléphone avec le cousin geek et le comptable (illimités, on vous rapelle) ou recharger en crédit à un tarif plus élevé que les recharges classiques (le privilège d’être un bon client) et repasser au mode « ya ya si si ciao ciao ciao ». En attendant mieux.


19% de taux d’intérêt : la vérité crue sur le Microcrédit

Il y a deux jours je regardais un film intitulé en espagnol « La cruda verdad ». Parfait sous-titre de ce post : « la vérité crue ». Alors que je pensais que micro-crédit voulait dire crédit à faible taux, j’ai réalisé ici que « micro » veut dire « petite somme » et que les taux restaient exorbitants.

Il y a bien des déceptions dans la vie d’une « gringa ». Petite blanche toute fraîche élevée aux idéaux et aux grands principes de « Liberté, Egalité, Fraternité », tenter l’aventure péruvienne est pour moi une suite de beaux moments, de surprises et de rudes confrontations à la réalité. Quand je vivais dans mon petit appartement parisien, j’avais entendu parler du micro-crédit comme une solution pour sortir les pays de la pauvreté en prêtant à tous de petites sommes pour démarrer. Formidable. Ça avait même valu en 2006 un Prix Nobel de la Paix à son concepteur, l’économiste Muhummad Yunus.

Arrivée ici je ne comprenais pas pourquoi les producteurs de café qui m’entourent empruntaient les 10 000 soles (quelques 3000 euros) pour mener à bien leurs récoltes à des taux de 10% sur trois mois et se pressaient de rembourser. « Il existe le micro-crédit », répétais-je en boucle. Personne ne voyait de quoi je parlais. Des taux de moins de 5% où est ce que j’étais allée pêcher ça ? Je les ai donc incité à entrer dans des coopératives où l’accès au micro-crédit est facilité. Nombre d’ONG ou de structures de micro finance ne prêtent pas aux particuliers, il faut un intermédiaire qui se portera garant et ira vérifier sur le terrain l’utilisation des précieux fonds.

Et le « miracle » a eu lieu. L’autre jour nous avions rendez-vous avec notre coopérative, organique et équitable avec toutes les certifications (Starbucks, Rainsforest, Max Havelaar…), pour récupérer les résultats de l’analyse du sol et notre « ordonnance » organique. Nous voyant fort motivés, l’ingénieur agronome évoque la possibilité de faire partie du programme de coupe du café qui permet aux producteurs d’accéder au prêt spécial de la coopérative.

Mon oreille se dresse, je suis à l’affût, enfin quelqu’un va nous parler du micro-crédit. Il enchaîne, un prêt pour pouvoir amortir les coûts de cette nouvelle technique qui endommage moins la plante et le sol et ravira les bobos heureux de savoir la planète bien protégée par le « petit producteur » en photo au dos du paquet. Un prêt d’un an entier à taux fixe. Un prêt spécial en récompense de ce geste écologiquement correct… Un prêt à seulement 19% de taux d’intérêt.

Sourire satisfait de l’ingénieur. Mine décomposée de la gringa. « 19% !!!! Mais enfin c’est énorme ». « Ah, mais non, Mademoiselle, c’est tout à fait exceptionnel, dans le secteur privé c’est bien plus. Nous passons par Agrobanco, organisme public de micro-crédit aux petits producteurs. Le taux est minimum. » Inutile d’argumenter sur la perception d’un taux minimum, une petite enquête fera l’affaire.

Un coup de Google et d’articles en articles, je comprends enfin ce qu’est réellement le micro-crédit. Avant je ne m’étais jamais donné la peine. Je lisais juste la conscience tranquille la petite histoire au dos du paquet. Il s’appelle « micro » car il s’agit de petites sommes, le taux, lui, reste « maximo ». Ce principe permet de prêter aux plus pauvres de petites sommes sur un temps court pour se lancer dans une activité. Auparavant c’était impossible ou il fallait faire appel aux usuriers et prêteurs sur gage qui peuvent atteindre les 100% de taux. C’est donc un progrès. Mais comme prêter petit coûte administrativement la même chose que prêter grand et qu’il faut en plus un aréopage d’experts pour assurer le suivi des emprunteurs et de la destination des fonds, on arrive à une moyenne de taux de 26,4% annuel pour les Instituts de Micro Finance. 19%, oui, c’est exceptionnel.

J’ai dû parcourir pas mal de sites pour me faire une raison. Partout on encensait les miracles du micro-crédit mais personne ne précisait les taux. Pourquoi assombrir le tableau ? Et désillusionner les donateurs si heureux de tendre la main au « petit producteur ». Jusqu’à ce que je lise cette tribune parue dans Le Monde d’Edith Duflo, économiste, qui relativisait : certes les entreprises familiales vivotent grâce au micro-crédit mais ne sont pas génératrices d’emplois stables ni de changement notable des conditions de vie. Un moindre mal en quelque sorte.

Alors que je m’indigne et lance ce post pour que d’autres m’expliquent les solutions trouvées dans leur pays pour que «micro » s’applique à la fois au montant et au taux, mes petits producteurs à moi, voisins ou amis, font la queue chez MiBanco ou dans les Cajas Rurales pour avoir en main les fonds pour nourrir le sol et payer la main d’œuvre en attendant le fruit de la récolte. Ils vont emprunter 10 000 soles à un taux de 38% par an (chez MiBanco) qui diminuera si ils remboursent plus vite. En conséquence, ils vendront au début de la récolte quand le prix du café est encore bas car attendre que le cours monte c’est aussi laisser courir leur prêt et les acheteurs le savent. Ils auront gagné une marge qui ne suffira pas à assurer la vie de la famille et les investissements de la plantation pour un an et retourneront, résolus, dans la queue de la banque. « Mieux que rien et mieux qu’avant » disent-ils en haussant les épaules à la gringa en colère. A eux, personne n’a jamais promis « Liberté, Egalité, Fraternité ».

PS : En France aussi le micro-crédit existe. L’ADIE prête à un taux de 9,71% annuel à ceux que les banques refusent.


Le Pérou se mange avec les doigts, leçon1 : les humitas.

Ici, la cuisine est une chose sérieuse, une fierté nationale et si un péruvien vous parle de ses plats nationaux c’est avec une lueur gourmande au coin de l’œil. A mon arrivée j’avais fait découvrir les crêpes, ici on m’a appris les « humitas », une douceur de maïs qui fond en bouche.

Au Pérou la carte salée est un éventail : ceviche (poisson cru cuit dans le jus de citron et les oignons), pachamanca (viandes enrobées de coriandre et cuites à même la terre), lomo saltado (bœuf en lamelles sauté…), et toute la panoplie des poulets : à l’origan, au jus, « entomaté », à la moutarde… Mais de dessert, il n’en ait point. Quelques gâteaux en crèmes et couleurs artificielles pour les anniversaires et c’est tout. Je restais sur ma faim de gourmande qui se lèche les doigts de sucre quand j’ai découvert les humitas. Une feuille de maïs qu’on déballe soigneusement pour accéder au Graal, un cœur de pâte sucrée.

Les humitas sont un plat de montagnes, là on pousse le maïs blanc qui lui sert de base. Mais comme ceux qui vivent dans la Selva (jungle) sont principalement des colons des montagnes venus en quête de terres cultivables, la tradition ne s’est pas perdue. Il ne me restait qu’à convaincre une grand-mère, Lucia, 90 ans, de m’enseigner les secrets qui se cachent derrière cette enveloppe de maïs. Pour Mondoblog, voilà son cours de cuisine.

Acheter une vingtaine de maïs « choclo », blanc.

Les effeuiller un à un en gardant les feuilles les plus grandes pour envelopper à nouveau la pâte.

Égrener un à un chaque épi à la force des doigts qui s’enfoncent dans la chair juteuse.

Moudre à l’aide de bars musclés les grains du maïs, plus il est juteux, meilleur c’est.

Mélanger cette chair blanche à un demi kilo de sucre, des clous de cannelle, une pincée de sel et de bicarbonate, quelques grains d’anis, 50 grammes des beurre fondu, de l’essence de vanille et quelques raisins secs.

Tapisser le fond d’une marmite d’une dizaine d’épis dégarnis pour que se couchent sur ce lit les précieuses humitas.

Remplir les feuilles gardées de côté de deux cuillères à soupe de la chair blanche et sucrée.

Replier en forme de triangle et empiler soigneusement dans la marmite jusqu’au sommet.

Verser une bouilloire pleine d’eau chaude sur l’ensemble, poser un couvercle et laisser mijoter une demi heure.

Si les humitas, dans leur désir fou de croissance, cherchent à s’échapper de la casserole, adopter la technique de Lucia : une pierre de chaque côté du couvercle, l’eau qui déborde tant qu’elle n’éteint pas le feu, on survivra.

Laisser refroidir dans la marmite une petite heure. Servir tiède avec un café de la Vallée de Chanchamayo ou un thé. Déplier la feuille de maïs les doigts brûlants d’envie, souffler très vite et déguster. L’humita fond en bouche mais on peut aussi la déguster froide au petit déjeuner. Comme les crêpes!

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La fièvre du shopping s’empare du Pérou

Alors que ce qui nous enchante à nous, gringos, ce sont les petits marchés de bric à brac et les mamies qui vendent dans la rue, chez les péruviens, l’ouverture d’un centre commercial provoque l’euphorie. Voilà ce qu’on appelle la soif de modernité.

Dans la Selva où je vis il n’y pas de centres commerciaux, ni dans ma ville, ni dans celle qui précède, ni dans celle qui suit. Pas de ciné, pas de chaînes américaines, pas d’immenses magasins où pendent à la file des vêtements made in China. On ne peut pas dire que ça me manque beaucoup. Mais, et il est de taille, je ne suis pas péruvienne. Je viens de France, une société où le tout conso a finalement fatigué bien des gens.

Dans un post précédent, je vous parlais du Pérou vert et des vendeurs d’emoliente postés au coin des rues avec leur petite charrette. C’est un Pérou. Le traditionnel. Qui cohabite de plus en plus avec un autre Pérou, le moderne. Celui qui rêve de ressembler aux séries américaines. Qui veut du clinquant, du neuf, du grand écran… Ce Pérou qui parfois m’agace tant il renie sa culture pour se fondre dans un moule américain supposé être un modèle de développement accompli, je l’ai rencontré samedi soir dernier à Huancayo.

Huancayo est une ville du centre, flanquée de montagnes, ville de la culture huaina et surtout ville où il y a un peu plus d’un an a ouvert un énorme centre commercial Plaza Real… qui héberge un supermarché, Plaza Vea, un complexe de cinéma, une palette de fast food (KFC, Pizza Hut, et des locaux), des boutiques et un immense espace de jeux pour les enfants, jeux électroniques surtout. Bref ce qu’on trouve dans la périphérie chez nous, mais ici en plein centre. Depuis que le lieu a ouvert c’est la folie. Il ne désemplit pas. On sent encore la peur des escaliers roulants chez les familles qui se serrent les unes contre les autres au moment d’affronter le terrible engin, mais la tentation est trop forte.  Toutes les salles de ciné sont pleines et les pots de pop corn XXL de rigueur. Des personnages de Disney chantent sur scène. On fait la queue pour son Big Menu avec la Big Frites et le Big Hamburger qu’on prononce dans son plus bel anglais. Bruit, lumières, foule pressée, il ne manque rien. Mais c’est devenu le lieu de diversion préféré de la ville. L’endroit où l’on emmène les enfants pour les récompenser. Le rêve éveillé.

En bas, le supermarché dicte sa loi. Promo sur les matelas, promo sur les meubles, Plaza Vea casse les prix et fait crédit. On achète, on paie un peu chaque mois, on ne regarde pas le taux d’intérêt. L’important c’est qu’enfin on possède. Qu’enfin on se rapproche un peu de ces fameux gringos (les blancs) qui ont tout et qu’on envie tellement.

La Foi est telle que rien ne peut être reproché à Plaza Vea. Récemment mon estomac était brouillé avec les mets péruviens et tandis que je remontais les jours en cherchant la cause, on m’a répliqué : « ah non la viande et les œufs viennent de Plaza Vea, ils sont sûrs ». Acheter au supermarché c’est enfin avoir la garantie que le produit est frais, gardé dans un réfrigérateur, tracé.

D’un côté les gringos, américains et européens, fous de bio, qui en seraient presque à élever des poules dans un minuscule appartement par soif de retour à la nature. De l’autre les péruviens qui regardent émerveillés l’œuf avec sa date de péremption imprimé sur la coquille, gage de sécurité alimentaire.

C’est ça aussi le Pérou, une soif de la modernité et un perpétuel sentiment d’infériorité face aux pays dits développés. Si la route s’écroule, les malades ne se relèvent pas, les gringos ont l’estomac qui tourne, on vous regarde, un peu gênés, on hausse les épaules et assènent un « assi es el Peru » (le Pérou est ainsi) fataliste. Viennent ensuite les yeux pleins d’envie qui interrogent « chez vous, ça doit être bien différent… ». Tout le monde a sa voiture, une grande et belle maison bien peinte avec son petit jardin, des chaussées lustrées, des enfants intelligents. Difficile de trouver le juste milieu pour décrire une réalité tant fantasmée. Forcément plus riche. Peut-être pas plus heureuse. Souvent on ne vous croit pas. Pas question de dire adieu à ses rêves.

Ici dans la Selva, cette jungle sans supermarchés, viennent chaque mois plusieurs volontaires nous aider à développer une plantation de café organique, à valoriser la culture traditionnelle auprès des écoliers. Pourquoi ces gringos si parfaits viennent dormir dans un hamac, cueillir les fruits dans les arbres, marcher les deux kilomètres pour rejoindre l’école en sifflotant, s’amuser de la boue qui barrent les chemins ? Mystère et perplexité. Eux qui rêvent de s’envoler, de grattes-ciels, d’ascenseurs, du bling bling de la ville ne comprendront jamais tout à fait ces gringos émerveillés par le chant d’un perroquet ou la première fleur du café. A l’opposé les gringos ne saisissent qu’une partie de ce qui se cachent derrière ces rêves de lumières. On cohabite et chacun fait un pas c’est l’essentiel.

Plus de néons, de chaînes américaines et de comédies préfabriquées, le Pérou devra sûrement en passer par là avant de faire, comme tant d’autres, une crise de shopping.


Le Pérou vert : plantes, médecines naturelles, plats végétariens

Dans le Pérou rural la guérison par les plantes reste populaire et face à la montée des maladies dues aux abus de gras et de sucre, les restaurants végétariens ne désemplissent pas.

Systématiquement dans les longs trajets de bus grimpe un représentant en médecine naturelle. Il propose des petits flacons d’extraits de plantes mélangées pour la tension, les reins, la fatigue… Et il vend bien. C’est qu’auparavant il délivre à l’assemblée un long discours sur les bienfaits d’une alimentation saine et ses compléments naturels. En général, je n’écoute que d’une oreille en bonne occidentale convertie aux pharmacopées, mais l’autre jour une de ses réflexions a attiré mon attention. « Au Pérou aujourd’hui dans la rue il n’y a plus que des « pollerias » (restaurants où l’on vend poulet frit, sauces, frites et boisson gazeuse) et des « farmacias ». »

La façon dont se nourrissent les péruviens a beaucoup changé et, parmi les restaurants populaires, la friture est reine : poulet frit, poisson frit, chicharrones (la chair de la viande ou du poisson coupé en petits morceaux et frit), riz frit des restaurants asiatiques, foie frit, beignets… et j’en oublie. A côté de ça comme le gras donne soif on arrose le tout d’une boisson gazeuse. Ici la « gaseosa » est une manière de célébrer ou de remercier : si vous voulez que la réparation de votre voiture avance plus vite, ne pas oublier d’amener une bouteille de 3litres pour le mécano et ses aides.

Bilan des courses : surpoids, maladies du cœur, du foie, diabète… Les plus pauvres qui vivent de ce que leur donne le maraîchage, de riz et haricots secs ne sont pas concernés. Mais, au fur et à mesure, qu’une classe moyenne se dessine, les problèmes de poids et l’alimentation plus saine sont devenus ici un sujet récurrent.

La contre-attaque puise dans les racines du Pérou, dans sa terre et ses traditions. Ici, il pousse de tout. Dans la Selva (la jungle) on trouve l’éventail de fruits exotiques. Dans la Sierra (la montagne) une collection de pommes de terres et tous les légumes. Sur la Côte fruits et légumes spécifiques à ces terres sablonneuses. Et autant d’herbes et aromates. La connaissance des plantes se perpétue de mère en fille. Le maté, une infusion à base de plantes, est le premier remède. Vertiges, maux de cœur : maté de coca. Maux d’estomac : maté d’anis. Nourriture lourde : maté de manzanilla ou d’origan. Mais quand le problème est plus sérieux ou récurrent, l’automédication est reine : même sans ordonnances, on peut se procurer des molécules fortes ou une piqûre pour vous remettre d’aplomb à la pharmacie du coin.

L’alternative ? La médecine douce et préventive. Chaque matin se postent aux coins des rues les vendeurs de « emoliente » ou extraits de plantes : una de gato, sabila, chola de caballo, amargon. Sur leurs petits chariots est disposé une série de bocaux qui inventorient les plantes et leurs bienfaits. La gorge qui gratte ? Jus d’orange, miel pur et alfalfa. En général, le vendeur connaît ses clients, puise un peu dans chaque bocal et leur sert leur remède tiède. Une tradition populaire des anciens mais que les nouvelles générations ou classes huppées des villes délaissent.

Autre option à long-terme et plus tendance, le restaurant végétarien. En France c’est souvent plus cher. Ici c’est l’inverse: la viande est beaucoup plus coûteuse que les fruits et légumes qu’on trouve à foison. Le soja, la quinoa, la avena, la machica, le kiwicha, la maca… toutes les céréales qui mêlent fibres et protéines abondent. Pour 3 soles, moins d’1 euro, on vous sert une soupe de blé et légumes et un « segundo » (plat de résistance) où se mêlent riz, crème d’épinards ou de courges, haricots secs. Le tout servi avec un maté tiède et sans sucre ou un lait de soja. Une nourriture moins chère que la « polleria » ou la chifa (restaurants asiatiques), plus saine et parfois avec des vertus cachées : la Maca  a connu son heure de gloire comme « viagra des Andes ».

Dans la Selva, les villes de la jungle, le végétarien a encore du chemin à faire, mais le jus de fruits frais, lui, est quotidien. Dans la Sierra, les villes de montagnes, les quelques restaurants végétariens aperçus ne désemplissent pas. Sur les murs des posters dédiés à la bonne nutrition. A table, des familles appliquées, des consommateurs de gras repentis, des ouvriers secs. Quand j’ai demandé à l’un d’entre eux ce qu’il pensait de mon petit vendeur du bus, il a approuvé: «  je déjeune tous les jours ici, je vais une fois par semaine à la « polleria », mais jamais à la « farmacia ».

Et puisqu’il ne fait pas mystère que je vis quasiment dans un hôpital en ce moment, petit extrait d’une conversation entre l’homme d’entretien et mon patient. « Si tu veux que ta cicatrice se referme vite et passe inaperçu applique quotidiennement de la graisse de couleuvre. » L’interne présent n’a pas moufté : médecine chimique et traditionnelle réconciliées. Ça tombe bien, dans la Selva, des couleuvres il y en a quelques unes. Reste plus qu’à les attraper.


Comment un tout petit appendice revèle l’état des hôpitaux péruviens.

Parfois les aléas de la vie vous conduisent sur des chemins que vous n’aviez pas prévus. Prenons mon cas par exemple. J’avais envie de vous faire découvrir le Pérou dont je suis tombée amoureuse, ce petit bout de Selva Central où pousse le café et coulent les Rios. La ville en contrebas, un dédale de mototaxis et de ciment, ses coups de coeur et ses absurdités : Pichanaki. Le village en haut au coeur des plantations, sa jungle domestiquée, ses travailleurs… Mais voilà qu’un malheureux appendice a changé le cours des choses.

Cet appendice appartient au propriétaire d’une plantation dans les hauteurs. Le jour où celui-ci a commencé à l’ennuyer, il ya de cela environ une semaine, il s’est courbé en deux et est retourné se coucher pensant que cette vilaine crise de foie allait vite passer. Comme ça ne s’arrangeait pas, on a déployé le premier niveau de secours : envoyer quelqu’un jusqu’au Poste de Santé. Ce jour là il n’y avait pas de voitures: 40 minutes aller, 40 minutes retour, à pieds.

La nuit tombée, il hurlait de douleur, on est passé au niveau 2. L’urgence, quand on habite une plantation péruvienne de la Selva Central, consiste à harceler tous les membres de la famille en possession d’un véhicule pour qu’ils vous déposent jusqu’à la ville en contrebas, à environ une heure et demie de route. Cette nuit là par chance il y en avait un. Et au bout de 10 coups de fil, il a accepté.

Une fois chose faite, le patient se croyait sorti d’affaire. A Pichanaki il est supposé y avoir  un hôpital où l’on saura s’occuper de lui et par la même occasion des quelques 20 000 appendices qui vivent aux alentours. Peine perdue. Les urgences consistent en deux salles écrasées de chaleur où un médecin perplexe rumine, tripote le ventre, demande échographie, analyse de sang et d’urines, examine les résultats écrits à la main, déclare « ça ne nous aide pas beaucoup » et, voyant dans les yeux du patient les effets miraculeux des anti-douleurs, « on verra bien demain ». Dans la nuit, la fièvre monte, l’appendice n’a pas dit son dernier mot. Retour aux urgences au petit matin. Le médecin perplexe a un éclair de génie, appuie une main ferme du côté droit et la retire d’un seul coup, le patient hrule, il tient enfin son diagnostic.

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Car à Pichanaki même, malgré sa population galopante, on n’opère pas. L’anesthésite a démissionné, pas remplacé. Bilan, trois heures de route en lacets pour l’hopital le plus proche. En taxi, sur les conseils du médecin car les mabulances on ne sait jamais trop où les trouver.

Trois heures plus tard, Tarma et ses urgences débordées. Heureusement le patient, comme tout péruvien averti, a sa botte secrète : une tierce personne qui tire les infirmiers par la manche, crie plus fort que les autres, et, une fois l’attention gagnée, court à la Caisse. Car, ici, tout a un prix. On paie d’abord, on voit après. Consultation : un ticket, analyses : un ticket, une paire de gants : un ticket, une seringue : un ticket et ainsi de suite. Il existe une sécurité sociale pour ceux qui ont peu de ressources, les employés ou agents publics mais beaucoup de péruviens, par méconnaissance de l’administration ou de leurs propres droits, ne s’en sont jamais occupés.

Quatres heures d’attente ont usé les nerfs du patient. Sa famille monte au créneau: « peut-être à force d’attendre, on risque la péritonite (l’explosion dudit appendice et l’inflamation des organes alentours), le couperet tombe : « mais, enfin, depuis hier, l’appendice a explosé. Le chirurgien de Pichanaki vous a envoyé comme ça… alors une ou deux heures de plus. » Rien à ajouter.

30 heures après la perforation de son appendice, les chirurgiens se penchent finalement sur son cas. 15 points de suture et un drain pour une opération que la distance, la négligence et le manque de personnel ont rendus beaucoup plus compliquée. « Il est en vie, il est jeune, il récuperera », voilà  les ambitions de l’hôpital public péruvien.

Opéré, le combat n’est pas terminé. Car les soins post-opératoires suivent le même schéma : réveil dans un service d’une vingtaine de lits qui compte une infirmière et une aide-soignante. Ici pas de machines, le pouls dicte sa loi. Pas de sonnette d’appels, mais cinq voisins, chacun avec leurs cicatrices respectives, pour veiller sur vous. Que l’on referme la blessure de l’un alors que les autres sont entrain de manger ne semble gêner personne. Et, pour que quelqu’un vous emmène aux toilettes, vous promène, vous amène un brot d’eau, il y a l’accompagnant. Il lui reviendra également, chaque matin, d’attendre l’ordonnance des médecins pour payer son dû à la pharmacie, de se battre pour un peu d’eau chaude, d’acheter papier toilette, gobelets… Toutes les familles, d’aussi loin qu’elles viennent, se relaient et passent leur nuit au chevet des patients sur une chaise en fer. Sans personne à ses côtés un malade n’est ni plus ni moins qu’en danger dans les murs même de l’hôpital.

Cette fable a eu lieu ces jours-ci à l’hôpital de Tarma. Le sol colle, l’eau coule par gouttes et froide, personne n’est en charge de l’entretien des sols et des toilettes, la fenêtre est fendue, les murs décrépis et pourtant les malades affluent de toute la région.

Un seul chirurgien. Une seule infirmière. Un seul aide-soignant. Dans un pays, le Pérou, qui se targue ce dimanche en « Une » de son quotiden de droite « El Commercio » d’une croissance de presque 8% pour l’année. Et qui explique que le modèle économique de ces vingt dernières années a permis un vrai développement et des opportunités pour tous. Preuve que le PIB, supposé signe de bonne santé d’un pays, n’indique en rien son niveau d’éducation, de santé ou de bien-être.

On ne s’étonnera pas si prochainement je vous parle de la popularité florissante dans ces régions d’une certaine Keiko Fujimori, fille de l’ex Président accusé de crimes contre l’humanité et de malversations financières. Quand les miracles économiques laissent de côté les plus pauvres, on ouvre grand la porte à tous les populismes.