Céline

Dans les entrailles d’Ebola au Nord Kivu

En novembre passé, bien que postée en Territoires Palestiniens Occupés depuis le mois de Septembre, le CICR (Comité International de la Croix Rouge) m’a donné l’opportunité de participer à une mission « RDU » (rapid deployment unit). Il s’agit d’un mécanisme qui permet à l’institution de déployer en un temps très court des ressources humaines, financières et logistiques pour répondre à une crise dans l’urgence. J’ai donc quitté Tel-Aviv le 8 novembre pour atterrir le 15 novembre à Butembo, un des foyers d’Ebola au Nord Kivu, en République Démocratique du Congo. J’y ai passé 6 semaines.

Toujours disponible pour écrire sur mon expérience, j’ai eu carte blanche de notre département « Communication ». Ce récit a été partagé en anglais et en français. Et même sur d’autres plateformes, une modeste fierté, je dois l’avouer. Ci-dessous, le récit que le CICR m’a permis d’écrire pour partager cette expérience. Il a aussi été publié sur le site du CICR en français et ici en anglais.

Le blog de notre délégation à Paris, L’Humanitaire dans tous ses états, a repris le récit :

https://cicr.blog.lemonde.fr/2019/02/04/rdc-temoignage-dune-deleguee-du-cicr-sur-lepicentre-de-lepidemie-de-fievre-ebola-dans-le-nord-kivu/

Et même un tweet de notre délégation en Afrique du Sud promeut l’article !

Bonne lecture !

 

« La dernière fois qu’ils l’ont vue, elle avait juste un peu de fièvre »
La ville de Butembo, dans la province du Nord-Kivu, a été touchée pour la première fois par l’épidémie d’Ebola en août 2018. Photo : Bashengezi, Paulin / CICR

Le cri douloureux de Zawadi me déchire le cœur. Je vois son corps ployer et se tasser tandis qu’elle respire pour lutter contre la colère. Cinq personnes impossibles à reconnaître viennent d’entrer. Elles sont vêtues de combinaisons de protection en plastique jaune et blanc et apportent un sac mortuaire contenant la doyenne de la famille – pour certains une mère, pour d’autres une sœur ou une tante.

Je suis dans un centre de traitement d’Ebola à Butembo (province du Nord-Kivu), en République démocratique du Congo (RDC). Ici, tout est stérilisé, chloré, neutralisé. Tout, sauf la douleur. L’un des cinq minions jaunes ouvre le sac mortuaire pour laisser apparaître le visage de la défunte. C’est alors que commencent les pleurs. Les hygiénistes sortent pour laisser un peu d’intimité à la famille de Zawadi. Un collègue qui passe près de moi me glisse :

« Il y a des choses… on ne s’y habitue jamais. » Alors, je me laisse vaincre par l’émotion. Je commence à avoir des frissons et les larmes me montent aux yeux.

Cela fait plus de six ans que je travaille pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans des zones de conflit. J’ai vu les souffrances des personnes déplacées. J’ai enterré des dépouilles inconnues. J’ai entendu le chant insoutenable des armes à feu.

Mais c’est ma première épidémie, et celle-ci sévit dans une zone de conflit. Je n’avais pas compris dans quoi je m’embarquais.

Lorsque j’entends Zawadi éclater en sanglots, je réalise soudain que derrière les chiffres et les statistiques que j’ai vus dans des présentations PowerPoint, il y a des gens. Et mon cœur se brise à nouveau.

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Des volontaires de la Croix-Rouge de Beni, du Nord-Kivu et de la RDC se lavent les mains pour se protéger des contaminations éventuelles. Photo : Leskinen, Hanna/ICRC

L’épidémie d’Ebola a été officiellement déclarée en août 2018 dans cette province de l’est de la RDC déjà en proie aux attaques de groupes armés, aux enlèvements et à la terreur depuis des années.

L’Organisation mondiale de la Santé a engagé d’énormes moyens pour endiguer la propagation du virus, et le million d’habitants de cette ville semble vaquer tranquillement à ses occupations – si l’on se fie aux apparences.

Tous les hôtels affichent complet, et tous sont à présent équipés d’installations pour le lavage des mains. Après s’être nettoyé les mains à l’eau chlorée, on se fait prendre sa température avec le « Thermoflash ». Mes mains sont sèches et ont l’odeur de la piscine de mon enfance. En permanence. Comme on doit aussi faire asperger les semelles de ses chaussures, le bas de mes pantalons est tout délavé, à la mode hippie. Le désinfectant pour les mains est omniprésent.

Cet environnement hautement stérilisé a un coût humain : la politique « zéro contact ». Ebola se transmet par les fluides : larmes, transpiration, sperme, sang. La meilleure manière d’éviter de l’attraper est donc de ne toucher personne. Jamais. On ne se serre pas la main. On n’envisage même pas de s’embrasser ou de se prendre dans les bras. Les plus téméraires se touchent le coude en guise de salutation, mais ça s’arrête là.

Je n’ai pas touché consciemment un être humain depuis 25 jours, et j’ai l’impression de commencer à moisir de l’intérieur. Si moi, je ressens ça… imaginez les familles des victimes.

Comme me l’ont appris les larmes de Zawadi, dans cette région du Congo, le deuil s’accompagne de cris et de larmes qui démontrent la douleur de la famille et l’attachement qu’elle porte au défunt.
Ebola perturbe le rituel de deuil.

Normalement, ce rituel impose de pleurer sur le corps, d’habiller le défunt, et de nombreux autres gestes qui impliquent de toucher la dépouille. La famille de Zawadi ne pourra pas observer ces rites. Ils lui diront au revoir à travers une bâche en plastique transparente, pendant que son corps est aspergé de chlore avant d’être placé dans un sac mortuaire, puis un cercueil, et enfin enterré par des inconnus vêtus de combinaisons effrayantes.

La dernière fois qu’ils l’ont vue, elle avait juste un peu de fièvre. Ils ont pensé que c’était peut-être le paludisme. Puis elle a été transférée au centre de traitement d’Ebola. Et elle est revenue dans un sac en plastique. Inexplicable. Inacceptable. Violent.

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À Vighole, un district de Butembo, Machozi aide à sensibiliser les résidents sur le traitement du virus Ebola. Photo : Bashengezi, Paulin/ICRC

Heureusement, tout le monde ne vient pas au centre pour mourir. Si le malade est hospitalisé dès l’apparition des premiers symptômes, il peut être soigné. Ici, on appelle ces personnes des « vainqueurs ». Machozi est l’un d’entre eux. Il a survécu à Ebola. Il nous aide à présent à sensibiliser les habitants au virus.

Il se joint à nos collègues de la Croix-Rouge de la RDC plusieurs fois par semaine dans les églises, les écoles et les marchés, et livre son expérience des centres de traitement et du virus pour essayer de lutter contre la peur qui règne dans la population. Ce sont des actes courageux. Il n’est pas facile d’être debout devant ses pairs et de leur dire que leur peur est justifiée, mais que les rumeurs qu’ils entendent sont fausses.

Non, explique-t-il, les étrangers ne sont pas venus voler nos organes. Non, un guérisseur traditionnel ne peut pas vous guérir d’Ebola. Oui, vous devez vous rendre au centre de traitement dès que vous présentez des symptômes. Non, les travailleurs humanitaires ne sont pas rémunérés pour chaque décès.

Une armée de travailleurs, de chefs communautaires, de communicateurs et de psychologues s’emploie à venir à bout des idées fausses et à convaincre la population que lutter contre Ebola, c’est aussi lutter contre les rumeurs et les préjugés. Ebola est bien réel, il faut se faire soigner.

Les épidémies ne font pas partie de la mission habituelle du CICR. C’est en raison du conflit que l’institution est présente depuis huit ans à Butembo et à Beni.

Avec la flambée d’Ebola, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est également entrée en jeu pour soutenir l’intervention internationale, car elle sait comment mener à bien des inhumations sans risque et dans la dignité. C’est elle qui coordonne les équipes de la Croix-Rouge nationale qui vont chercher les dépouilles et les enterrer en respectant des protocoles très stricts pour éviter davantage de contamination.

Le CICR contribue quant à lui en apportant sa connaissance de la région, ses relations avec les autorités et en veillant à ce que toutes les équipes puissent travailler dans un environnement sûr.

Je regarde le véhicule du CICR emporter le cercueil. La famille de Zawadi se dirige vers la sortie, dans les cris et les larmes.

Un autre pick-up arrive au même instant et je découvre à l’intérieur le plus petit cercueil que j’aie jamais vu. Un bébé de deux semaines est mort hier soir, après avoir été caché par sa grand-mère pendant trois jours.

Sa mère a succombé à Ebola il y a quatre jours, mais sa famille n’a pas voulu y croire. Même le sac mortuaire pour enfant est beaucoup trop grand pour lui. Lorsque les hygiénistes découvrent sa petite tête, je pense à ma famille et à mes amis.

Pendant un court instant, j’ai envie d’être chez moi, entourée et protégée – par de l’amour, pas du plastique.

 

Pour plus d’information sur le travail du Mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge dans la Nord Kivu autour de la Crise Ebola: https://www.icrc.org/fr/document/republique-democratique-du-congo-entre-machettes-et-ebola

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.


Il était une fois l’Amitié

Nicoletta. Elodie. Jelena. Nadije. Shirin. Sarah. Elles sont 6. Comme les 6 doigts d’une drôle de main. Rencontrées dans un auditoire, lors d’une mission congolaise ou sur le bord d’une frontière, elles sont mes amies, mes bras droits, mes confidentes. Mais pour certaines nous ne nous sommes pas vues depuis plus de 2 ans.

Tout a commencé, je m’en rappelle bien, un matin de juin 2017. Au Sud Soudan. Sous ma tente. Dans mon lit. Alors que j’avais ressenti, quelques mois auparavant, le besoin de débriefer virtuellement (pour ne pas dire « Whatsappiquement ») mes émotions suite à une peine de cœur avec Nicoletta et Elodie, nous avions pris l’habitude d’échanger presque quotidiennement sur le dernier commérage, le beau gosse du coin ou le collègue antipathique. Mais ce matin de juin, nous apprenions que notre amie Jelena était aussi en peine à Addis Abeba. Emergea l’idée de nous soutenir mutuellement depuis Genève, Kaboul, Addis et Maiwut. Ainsi naquit le groupe « Escape Road ». Un espace sans jugement, tout en douceur, franchise, humour et intensité où chacune pourrait s’exprimer.

Pilotes d’hélicoptère, rencontres Tinder, adultères, coups d’un soir et connards, tout y passe. On exprime ce qu’on a sur le cœur, on répond avec ardeur, mais on finit toujours par se soutenir et s’encourager. Quelques mots assortis de l’une ou l’autre émoticone qui valent de l’or lorsqu’on vient de voir les vitres de sa maison à Kaboul exploser, lorsqu’on apprend que son ex est recasé ou que le divorce est prononcé. Ensemble au Congo, nous étions déjà une sacré équipe. Virtuellement, les liens se sont soudés. Nous ne pouvions pas en rester là. C’est ainsi que nous rejoignirent Sarah, Shirin et Nadije, d’autres superwomen trentenaires mère ou humanitaires qui prennent les coups durs la tête haute et acceptent avec humilité quand les orteils touchent le fond du trou.

Depuis plus d’un an, nous échangeons donc nos bonheurs, nos malheurs, nos coups de gueule, nos photos ou découvertes via Whatsapp. Genève, Damas, Nairobi, Bamako, Addis, Bruxelles, Hebron. Depuis nos quotidiens, nous partageons ce qui nous émeut, ce qui nous écœure, ce qui nous torture. Cela va du « ghosting », à la procréation médicalement assistée, en passant par la situation à Alep ou cet enfoiré de Brett Kavanaugh. On peut aussi demander conseil sur une robe de soirée, une destination vacances ou une décision professionnelle. Parfois le CICR prend les devants et nous débattons sur nos missions, nos conditions ou nos angoisses (5 d’entre nous travaillent pour le CICR). Mais l’important c’est qu’à chaque moment, une sorte de solidarité tacite prévaut. « Pour le pire et surtout pour le meilleur. »

Aujourd’hui, l’une d’entre nous veut un enfant. L’autre en ferait bien un seule. Il y a celle qui s’ennuie au travail. Et celle qui commence un boulot a priori plein de défis. Tour à tour, nous passons par des hauts et des bas et nous savons (je l’espère) que nous trouverons toujours une échappatoire, une épaule virtuelle ou un coup de pied au cul dans ce groupe. Quand on vit loin de ses repères comme nous, qu’on change de cercle social tous les ans, qu’on travaille dans des contextes difficiles et qu’on est une femme indépendante, intelligente, magnifique et resplendissante en 2018, cet espace protégé d’échange et de compréhension vaut bien toute les thérapies du monde…

Mesdames, merci. Je vous aime.


« It’s the end of an era! »

Le vrombissement des hélices ne me laisse pas entendre les plaintes des patients rangés à la Saupiquet dans un coucou improbable. Les moteurs s’emballent, l’avion accélère, la roue décolle, je suis assise au beau milieu des bandages, fixations et plâtres accompagnée de mon noyau dur et je ne peux m’empêcher d’éclater en sanglots lorsque nous prenons finalement notre envol. Nous sommes le vendredi 7 juillet. Après vingt-quatre heures hors du temps, nous laissons derrière nous Maiwut, au Soudan du Sud ; emportant avec nous nos patients, notre brosse à dents et laissant au passage une petite partie de nous.

C’est la troisième fois, qu’on se le dise, que je dois “évacuer”, comme on dit en jargon humanitaire. Troisième fois que je prépare ce sac incompressible, que je jette un dernier coup d’oeil à ma maison sans savoir si je reviendrai, que je suis catapultée dans une ville que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître. Sauf que cette fois, je ne suis pas le courant, je ne surfe pas sur la vague qu’on m’impose, je suis la madre, la cheffe de bureau, je dois montrer le chemin.

Support humain de dernière minute de mon chef, échanges de mails sur les scénarios possibles et conversations sur le téléphone satellite avec Juba quand Internet nous lâche, je ne suis pas seule, de tous côtés, je me sens soutenue par la famille et le départ s’organise progressivement, avec des “si”, des “au cas où”, depuis le dimanche 2 juillet lorsque la situation nous prend au dépourvu et la sécurité devient soudainement incertaine. Il faut penser aux patients à l’hôpital, au staff, aux ordinateurs, aux voitures, aux documents, c’est le grand déménagement.

Nous devrions être 7, (…) nous sommes près de cinquante

Nous avons eu la semaine pour tenter de comprendre ce qui se passait. Comment l’étau se resserrait sur Maiwut, calculer les risques et envisager les scénarios. Jeudi midi, alors que l’orage bat son plein depuis trente minutes et que les trois avions font demi-tour devant nos yeux car la piste est trop boueuse, nous sommes seuls au monde, trempés jusqu’à la moelle, près de quarante patients et accompagnants sur le dos. Nous devrions être sept, allégés et prêts à nous diriger vers l’est où se trouve la frontière éthiopienne, mais Dame Nature en a décidé autrement et nous sommes près de cinquante à présent, coincés sous une épaisse cape de nuages hyperactifs. Pendant ce temps-là, à la capitale, la décision tombe: on évacue, le temps que la situation se stabilise, on verra après.

A défaut de voler, il nous faudra donc rouler. Forts de nos dix véhicules, c’est un convoi atypique qui quitte Maiwut sous la drache. Direction Pagak. Drapeaux hissés. Quatre feux éblouissants. Ambulances, pick-ups, voiturettes et tracteurs, notre flotte fait une indigestion de passagers mais n’hésite pas à en rajouter lorsqu’elle croise un vieux papa en galère, un patient qui nous a devancé, une future mère qui peine. De part et d’autre de la route de maram qui nous guide vers l’Ethiopie, des dizaines de familles, de chèvres et de vaches nous accompagnent. Ce sont nos voisins, nos collègues de l’hôpital ou encore les commerçants, ils tremblent de froid sous la pluie qui n’en démord pas et marchent les bras et les têtes pleines de paquets.

En temps normal, nous mettons trente minutes pour parcourir les vingt-deux kilomètres qui nous séparent de la frontière. Ce jour, il nous aura fallu deux heures. C’est peu après 16h que nous débarquons nos patients au centre de santé de Pagak où ils passeront la nuit pendant que nous concoctons un énième plan d’évacuation. Le climat s’est apaisé, le soleil réapparaît, nous nous installons dans les bâtiments d’une ONG qui a quitté les lieux et nous préparons à passer une nouvelle nuit sans sommeil.

Le lendemain, à l’aube, les sacs sont prêts, les dernières consignes sont données à notre staff qui reste sur place et c’est le cœur gros que nous nous dirigeons vers la piste atterrissage où nous attendons un avion pour clôturer cet épisode. Mon chef et ma collègue s’affairent à lister les patients encore présents qui voleront vers Old Fangak pour recevoir un suivi médical. L’équipe médicale prépare les patients pour un vol peu confortable. Je fais l’inventaire des radios, de l’argent, des téléphones satellite et des véhicules que nous laissons aux mains de nos collègues. Les autorités aussi sont de la partie. On se salue, on se dit au revoir, personne ne sait de quoi demain sera fait mais les sourires sont au rendez-vous. Surréaliste.

C’est en larmes que je dis au revoir à Maiwut

Vendredi 7 juillet à 10H10, le Buffalo perce la cape nuageuse et pose sa carlingue sur la piste de Pagak. Coincée entre un plâtre, mon bienveillant chef italien et un patient sous traction, c’est en larmes que je dis au revoir à Maiwut.

A chaque étape, l’émotion monte. Nous atterissons à Old Fangak où certains de nos collègues Maiwutiens nous accueillent. Ils sont aussi fatigués que nous. Organiser une unité chirurgicale en cinq jours pour recevoir des dizaines de patients et le reste, ce n’est pas de tout repos. Nous nous embrassons longuement et espérons nous revoir à Maiwut… ou ailleurs. Alors que nous débarquons notre joyeuse troupe, un de nos hélicoptères atterrit. Assoiffés, parce que pas très bien organisés, je me rends à leur rencontre pour quémander quelques bouteilles d’eau. Jack et Mike sont déjà au courant pour Maiwut et tentent de me remonter le moral avec une blague qui ne passe pas. Les larmes montent et je m’éloigne avec mes bouteilles d’eau. Trois minutes plus tard, Mike nous rejoint alors que nous nous apprêtons à remonter dans l’avion vide, un grand paquet de Haribo à la main. Je sens mon cœur se serrer.

Cette anecdote marquera le début d’une avalanche d’attentions, de regards et d’embrassades qui en disent long sur la tête que je devais tirer les premiers jours après notre arrivée à la capitale. A peine atterris, l’équipe de Malakal nous attend avec des pizzas, des bières et des sourires. Whatsapp me régale un message de soutien du grand chef en vacances en Suisse. Mes amis m’accueillent chez eux, me nourrissent et me supportent. Je peux lâcher prise. Je n’ai pas le choix. Je ne tiens plus debout.

Nous sommes le 2 septembre. Comme par hasard, je suis à l’aéroport d’Addis Abeba. Comme si le hub éthiopien était une source intarissable d’inspiration, c’est à nouveau ici que je ferme un récit. Douloureux à écrire mais impensable de ne pas le partager. Je viens de passer deux semaines en Belgique avec les miens, à la maison, à manger et dormir, à me préparer pour la suite de la saga Maiwut. L’espoir d’y retourner s’est tari. La frustration diminue de jour en jour. Avant de partir, j’ai enfin déballé mes affaires à Juba. Mes valises sont pleines de victuailles à partager avec ma nouvelle famille en capitale. Une page se tourne. Le grand Jacques disait à juste titre : « Ce qu’il y a de difficile, pour un homme qui habiterait Vilvoorde et qui voudrait aller à Hong Kong, ça n’est pas d’aller à Hong Kong, c’est de quitter Vilvoorde. » Maiwut était Hong Kong. Elle est devenue Vilvoorde.

 


Perdue en toute connaissance de cause

3 janvier – 3 mars. Deux mois déjà que j’ai quitté le confort de mon nouveau petit nid enneigé pour une toute autre vie dont je ne soupçonnais pas encore les richesses et les défis. A peine atterrie, on me renvoie en l’air: “Céline, il y a des blessés, c’est ta zone, monte dans l’hélico”. Et c’est ainsi que le Soudan du Sud et moi avons commencé notre histoire. Dans les airs. Des centaines de kilomètres de néant aride et inhabité, des lits creusés encore vides semblant se languir des pluies, et des villages, éparses, mi-fantômes, mi-statues. Aucune âme à l’horizon pendant de longs quarts d’heure. Mon esprit, lui, est bien présent et les pensées filent à toute vitesse. Entre l’excitation du vol, de la nouveauté, et l’angoisse du début, de ce qui m’attend, je ne vois pas les deux heures et demi passer jusqu’à ce village posé sur le bord de ce qui sera probablement un torrent dans quelques mois. Le chirurgien que j’accompagne procède au triage, sélectionne les futurs patients; je me présente aux autorités, je parle avec les familles pour les rassurer et leur expliquer ce qui va se passer. Pas le temps de s’épancher, les pilotes doivent être de retour à Juba pour 18h, et nous devons encore atteindre Maiwut.

 

On nous annonce 30 minutes de vol. On leur demande une altitude la plus basse possible. Le patient avec la plaie au thorax ne peut pas s’envoyer en l’air. Les mouches sont ravies. Moi un peu moins, mais je tente de ne pas penser à ces 5 personnes couchées et assises tant bien que mal dans cet hélicoptère, à ce qu’elles ont subi, à ces odeurs qui me rappellent l’hôpital de Bambari. Je suis concentrée sur la terre que je dévisage jusqu’à la moindre ride, à la recherche d’un signe de vie, d’une route, d’un indice sur mon futur lieu de vie pour cette année. Rien. A la vingt-neuvième minute (ndlr: les pilotes sont allemands), je vois une route de terre rouge s’élancer vers l’Ouest, une concentration un peu plus importante de tukuls à l’Est, ce qui ressemble à quelques bâtiments en dur, je devine la piste d’atterrissage et puis de la poussière. Un énorme amas de poussière rouge qui me voile la vue pendant plusieurs minutes. Lorsque le rideau se baisse, des dizaines d’enfants les yeux écarquillés nous regardent. Je n’ai pas le temps de m’attendrir devant cette image d’Epinal que les ambulances arrivent sur la piste, le chirurgien fait son rapport au collègue, mon prédécesseur m’accueille et moi au milieu, je souris. Bienvenue à la maison.

Enfin… un aperçu de la maison. Car le plan reste le même: passer le week-end à Juba et venir lundi avec mes valises. Mais peu importe, Mathias m’emmène à la base et je découvre pour la première fois Maiwut. A l’ombre d’un arbre dont je suis immédiatement tombée amoureuse, une grande table qui sent les réunions et les diners. Entre les jeunes arbres et les bananiers, des douches, des tukuls. Mes pas résonnent sur le gravier fraîchement posé. Mes yeux se perdent dans tous les sens, je veux tout voir, je veux tout sentir et le verdict tombe très rapidement: je vais être bien ici. Je rejoins la piste le coeur léger, sourire aux lèvres et le pas guilleret. Les pilotes ne comprennent pas. Je ne leur demande pas de comprendre. Ramenez-moi à Juba qu’on en finisse avec ce week-end en capitale.

  

A partir de là tout a été très vite. Jusqu’à ce soir. 2 mois plus tard, 5 kilos en moins, des dizaines d’heures de sommeil à rattraper, la peau bronzée par ce soleil impitoyable, les talons séchés par la terre et la marche en sandales… mais toujours le sourire. Enfin. L’intention est là. Dans cette salle d’embarquement de l’aéroport d’Addis Abeba, entourée de femmes pour la plupart parlant au téléphone, mon premier long week end débute. Et toutes les frustrations, les soupirs, les coups de blues semblent déjà bien loin.

Etre cheffe de bureau à Maiwut c’est être responsable d’un hôpital sans être médical, d’un chantier sans être ingénieur, d’une grande famille sans être mère. Ce sont des heures de discussions avec les autorités, des centaines de signatures pour des paiements, de multiples bières à écouter le staff cracher ses frustrations du jour ou encore de la gestion digne d’une haute école hôtelière entre avions, visiteurs, commande de nourriture et bureau des plaintes. Et j’adore.

Maiwut est un des 3 (bientôt 4) sites où le CICR soutient un hôpital et fait de la chirurgie de guerre au Soudan du Sud. Il faut imaginer que cela représente un important staff médical (8 personnes) qualifié de tous horizons (Allemagne, Hong Kong, Japon, Philipines, Italie, Erythrée, Suède, Tanzanie, Ethiopie…), des centaines de kilos de médicaments, bandages, tubes, poches, et j’en passe, par mois qui arrivent par avion, et pas d’horaire de travail. Quand il faut y aller, il faut y aller. Et tout cela se déroule dans le paysage chaotique du chantier. Le CICR a lancé en octobre 2016 les travaux pour doubler la superficie de l’hôpital et ainsi drastiquement améliorer les conditions d’accueil des patients. C’est le plus gros projet structurel du CICR au Soudan du Sud pour 2017. Cela implique des contrats, des travailleurs journaliers, des plans, des échéances à respecter, des entrepreneurs à suivre, de la poussière dans tout l’hôpital, des va-et-vients incessants. Bref, un joyeux bordel.

MON joyeux bordel. Dans lequel j’essaye tant bien que mal de me dépatouiller et de renvoyer toutes les patates chaudes que l’univers me lance sans repos tout en prenant soin de ceux qui sont devenus mes collègues, certains des copains, l’un d’entre eux un ami. Tout est intense à Maiwut. Nous sommes la seule organisation humanitaire présente à des centaines de kilomètres à la ronde, très isolés bien qu’à une vingtaine de kilomètres de la frontière éthiopienne, nous sommes au coeur de la zone Nuer contrôlée par les forces de l’opposition. Point de problèmes sécuritaires, pas de coups de feu et la safe room est bien poussiéreuse comparé à la Centrafrique, mais les conditions de vie sont spartiates. Et ça, ça fatigue comme ça rapproche.

Prendre sa douche au seau pendant que le collègue est sur la latrine à 1.5m ou encore dormir sous tente avec le doux ronflement du collègue du tukul d’à côté. Manger religieusement tous les jours que Dieu fait les repas préparés par la cuisinière qui tente de varier les mets sans grand succès, intrants limités obligent. Croiser dès le matin (voire au milieu de la nuit) ton collègue la tête dans le cul qui se rend aux latrines en pyjama. Passer sa journée à suer sous 35-40 degrés avec pour seul espoir que le ventilateur daigne magiquement refroidir l’air qu’il t’envoie sans pitié dans la figure. Calculer le temps qu’il te reste avant que le générateur ne s’éteigne et la nuit prenne toute sa place. C’est à toutes ces choses que je pense là tout de suite, en écrivant depuis la salle d’embarquement. Pas qu’elles m’aient particulièrement éprouvé, mais ce sont des éléments importants pour comprendre mon joyeux bordel et comment ces deux mois sont passés… si vite.

Tout ce micmac reste donc joyeux, grâce à ces personnages qui passent par Maiwut, ces collègues qui cuisinent hors des sentiers battus, ces films partagés dans le grand tukul commun, ces bières qui délient les langues et nous en apprennent plus sur l’autre et sur nous-mêmes, ces cieux nocturnes dignes d’un planetarium, ces petits mots d’au revoir sur le tableau blanc, ces attentions simples partagées avec le coeur.

L’avion est là. Dans 5 heures je serai à Oman avec mes copines. J’ai beau aimer passionnément mon boulot et être prête pour cette année à Maiwut, fascinée par la culture, déboussolée par l’être humain, fatiguée par la nature, mon corps me dit merde. Je vais aller dormir et manger pendant 5 jours avant de retrouver la brousse. Ma brousse. Et ceux qui sont devenus… ma petite famille.

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.

 

Pour en savoir plus sur le projet CICR à Maiwut: 

Un article paru l’an passé sur la vie (et la mort…) à l’hôpital: https://medium.com/@CICR_fr/vie-et-mort-au-soudan-du-sud-a407fa4ac68c#.hyko71nyj

D’autres photos: https://avarchives.icrc.org/Picture/133485

Le tweet de la semaine dernière par nos collègues du département Communication Publique en visite à Maiwut: https://twitter.com/arieljrubin/status/836965482867666944 

 

 


Lettre ouverte à une trentenaire humanitaire

Giulia et Valentina. Les soeurs Darth Vador. Des tempêtes de cris dans un océan de câlins. Des ascenseurs émotionnels version… 4 et 2 ans et demi. Jean qui rit et Jean qui pleure étaient des novices face à elles.Tu l’as voulue, tu l’as cherchée, tu l’as eue. Une expérience en immersion totale dans le monde merveilleux de la maternité. Humble observatrice, tu supportes ponctuellement ton amie dans son périple  mais tu es au premier rang dans ce merveilleux spectacle de l’enfance.

bonbonsCaillou et Dora sont devenus tes meilleurs amis. Leurs chansons ne te quitteront plus jamais. Tu es vouée à t’endormir tous les soirs que Dieu fait avec, en tête et en boucle, « J’m’appelle Caillouuuu »… Es-tu prête?

Cache-cache n’aura plus de secret pour toi. Tu découvriras qu’il est possible de se cacher uniquement en se couvrant les yeux et que ta progéniture sera surprise que tu la trouves derrière ses petites menottes alors qu’elle se croyait à l’abri, non pas une, non pas deux, mais 37 fois d’affilée. Es-tu prête?

Tu penses que lorsque tu as demandé à Giulia de quelle couleur était ton pantalon et qu’elle a répondu « moche », c’était mignon. Attends-toi à entendre la plus crue et intarissable vérité sortir de la bouche de ton enfant. Sans détour et sans ménage, il te rhabillera, te plaquera au sol et te piétinera sans vergogne. « T’es plus ma copine ». « T’es un caca » et le douloureux « pourquoi tu es vieille »? … Es-tu prête?

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Bonne chance lorsque tu chercheras la clé de la voiture, ton chargeur de gsm ou ta paire de boucles d’oreilles. Dans un univers parallèle, ils seront devenus colliers, trésors, serpent ou corde à sauter. Enfouis au plus profond des entrailles de la salle de jeu, tu devras surmonter les plus éprouvantes épreuves de Koh Lanta pour récupérer ton dû.

Ce que tu ne récupèreras jamais ce sont tes heures de sommeil. Si jamais tu venais à trouver le bouton qui met sur « silencieux » les pleurs à 3h du matin, les crises de nerfs à 5h30 ou les boudins du matin, tu serais élue femme du siècle. Pourquoi Valentina a-t-elle besoin de pleurer pour avoir un biberon juste quand tu te sens partir dans les bras de Morphée à 1H30? Pourquoi Giulia se réveille-t-elle au beau milieu de la nuit noire en scandant « he! je suis pas au milieu du lit, bougez-vous » en piétinant sa soeur et réveillant sa maman qui partagent sa couche? Mais tu souris quand même quand tu vois ton collègue sur facebook qui annonce fièrement que sa fille de quelques mois a dormi 7 heures d’affilées… il sait combien d’heures d’affilées tu peux dormir, toi?

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Peut-être parce qu’au fond de toi, tous ces désagréments sont effacés d’un revers de la main quand Giulia court dans les bras de sa maman pour un « bisou-câlin » ou quand Valentina éclate de rire en parlant son propre langage en attrapant sa tortue de ses petits doigts boudinés. Ou encore quand elles t’emmènent dans leur univers magique où elles deviennent des monstres et que tu dois sauver ta peau en simulant, la peur au ventre, que tu dois franchir la montagne de coussins pour ne pas qu’elles te dévorent…

Alors certes, le chemin est encore long pour que l’univers te désigne Maman de l’année. Certes, tu as des cernes rien qu’à regarder ta bande de copains lutter pour boire une bière avec toi à 18H30 un vendredi. Tu ne t’imagines pas troquer ta cape de Superwoman du Terrain contre celle de SuperMaman pour le moment et tu te réjouis de bientôt refaire pleurer les bébés africains dès qu’ils verront ta face de blanche. Tant que ce sont ceux des autres, qu’ils pleurent, te dis-tu!

En attendant, nous, on est pas pressé. Fais ton chemin. N’écoute pas ce que la société te raconte. Laisse les couches à tes amis et va sauver le monde. Amuse-toi avec Giulia, Valentina, Aymeric, Constance, Tom, Achille, Boulou, Max, Lisa, Eloïse, Margaux, Lucille, Arthur, Aurore, Céleste, Mame Diarra, Chloé, Olivia,… et toutes les cacahuètes en préparation…On t’attend au chaud.

Tendrement,

Gérard et Fernand,
tes ovaires.


Dame Nature m’a tuer

Fourmis sur la montagne avant l'orageTu es là, tu es partout, je ne te vois plus. Luxuriante, époustouflante, éprouvante, telle une Grande Dame, tu berces les toits les soirs d’orage, tu fais valser les land cruisers avec ta boue, tu nous nourris de tous tes fruits. Travailler en Afrique a cela de bon : tu es la Reine Nature, l’incontestable Reine Nature.

Avoir un bureau sous les avocatiers, les palmiers et les flamboyants, cela n’a rien d’anodin. Parfois je lève les yeux quand je m’enfume sur le parking de la base et je regarde tes habitants. Ces petits amis volants et criants, qui habillent tes branches de toutes les couleurs. Je me souviens de ce bureau ministériel où ma seule vue était le ciel gris de Lima et les autres bâtiments salis par la poussière et la misère urbaine. Reviennent à moi ces images bruxelloises d’un bureau en macadam où les plantes sont bien rangées devant les pare-chocs ou dans des pots à l’entrée, histoire de nous rappeler que même cachée sous l’asphalte, tu es bien là.

Point de couverture routière ici, c’est ta terre qui nous transporte. Volatile et mesquine en saison sèche, coquine P1000649 (2)et déroutante avec les pluies, c’est toi qui décide de nos destins. Tu fais tomber les arbres sur les routes, tu inondes les pistes, tu casses les ponts. Nous ne sommes que d’humbles promeneurs à ta merci dans cette immensité.

Mais lorsque tu nous laisses atteindre notre destination, tu ne nous laisses pas tranquilles pour autant. Tu nous obliges à surmonter ces collines escarpées d’où la vue est imprenable et la respiration insupportable. Ta pluie nous pénètre les os quand elle nous surprend sur la moto mais nous ne perdons pas courage ! Nous continuons la route et persévérons dans tes forêts sur ces sentiers à sens unique. J’imagine des animaux bienveillants m’observant depuis leurs nids et se moquant de cette muzungu née dans le béton et la brique, catapultée dans tes entrailles où l’être humain est si peu de chose.

P1000880 (2)Le retour des pluies ne fait que t’embellir encore et nous rapetisse toujours un peu. Je me laisse avaler par tes branches, par tes rayons et tes caprices. Je m’imagine impuissante perdue dans tes méandres, incapable de retrouver mon chemin vers la lumière artificielle. Je rêve que tu me manges toute crue et que tu laisses mon corps pourrir et nourrir ta terre pendant de longues nuits orageuses où je retourne, enfin, gramme par gramme, à tes intestins. Je me laisse mourir en regardant tes toits verts, taquinée par tes bestioles, l’esprit urbain enfin libre et la paix retrouvée.

 


Questions pour un morpion

 

Partager quelques anecdotes en faisant tourbillonner les mots! Un petit clin d’œil à tous ces amis du quotidien, qui ne me manquent pas quand je rentre au pays!

Enorme boîte à mauvaise musique, on me réveille d’un tour de clé après m’avoir obscènement nourri de carburant pour que je puisse à mon tour empêcher mes bénéficiaires de dormir. Selon eux, je ronfle trop fort, mais sans moi, pas de lumière, pas d’internet, pas de croque-monsieur, pas d’eau chaude, pas de pression sous la douche. A Goma, je fonctionne presque 24 heures sur 24, mais on m’octroye quelques repos pendant que la journée sévit. Ce n’est qu’à la nuit tombée que mes amis m’acclament et me réclament, je suis… le générateur !

De rouge vêtus, nous sommes les petits lutins qui gardent le sommeil et les trésors des délégués. Jamais vous ne nous échapperez, nous sommes là 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Rentrée à 3h30 du matin ? Nous sommes là ! Accompagné d’une nouvelle conquête ? Nous sommes là ! En retard au bureau ? Nous sommes là ! Alcoolisé dans le jardin en train de courir tout nu ? Nous sommes là ! Besoin d’un coup de main pour porter les courses à la maison ? Nous sommes aussi là ! Nous sommes… les gardes !

Petit paquet blanc aux milles ressources, toujours tu me trouveras dans la bureau du responsable santé. Plus à la mode que l’aspirine selon les pays, je suis indispensable où le paludisme sévit. On n’a peur de moi et de mes barrettes, et attention au sang pour les mauviettes ! D’un petit geste, ton doigt j’attaquerai, pour après mieux te soigner. Ma collègue, la goutte épaisse, pourra toujours te lire la même messe. Une barre, tu passes, deux barres, ça casse. Direction Artémetherland et ses journées fièvreuses, et ainsi tu éviteras l’auto-médication douteuse. Je suis… le paracheck !

J’ai l’originalité d’un objet design créé par un pingouin aveugle. Blanc, grand, conique en deux parties, je contribue malgré tout à ta survie. Dans le bureau, dans la base, dans la résidence, partout tu me trouveras, tant que l’eau du robinet de boire tu t’abstiendras. Dans ma tête, des bougies, dans mon ventre, de la magie ! Je vis d’amour et d’eau bouillie minimum 15 minutes et refroidie. A ma fontaine, tu viens t’abreuver, quand l’eau minérale tu n’as pas trouvée. Mais prends garde à mon entretien ! Ou de ta flore intestinale, je prendrai soin ! Je suis… le filtre à eau !

De jour de nuit, sur mars ou sous la pluie, toujours je serai connecté avec les astres et la voie lactée. Qu’on abatte les antennes, qu’on court-circuite les réseaux, qu’à cela ne tienne, je suis un super-héros. Tarif luxueux pour périple périlleux, jamais je ne quitte le sac du délégué qui a la patience de m’utiliser. Grâce à moi, où que tu sois, tu pourras parler avec qui de droit. Rassurer ton supérieur ou l’informer que tu as peur. J’ai une ligne directe avec les cieux et les satellites sont mes yeux. Je suis… le Thuraya !

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.

 

 


Se faire la malle

Elle est verte, comme celles de vos années scoutes.
Elle est cabossée, telle une épave en déroute.
Au fin fond de cet antre baroudeur,
Vous y glisserez multiples petits bonheurs.

Huile d’olive, photo de Papi, hamac et tomates séchées.
Livres, chaussures, graines de sésame et robes d’été.
Faire tenir sa maison, encore qu’une vague destination,
Se refaire un chez-soi, sans trop se poser de questions
Cela tient du miracle, plus que de l’organisation.
Vous apprenez alors, l’art de la modération.

Entre Kinshasa et Bruxelles,
Mais elle est où, cette malle, bordel ?

Patiemment, vous l’attendrez,
Chaque jour vous demanderez.
Entre paperasseries douanières,
Et tracasseries procédurières,
Un beau jour viendra, quand vous ne l’attendiez pas,
Vous serez comme un enfant, devant Saint-Nicolas.

Réjouissance! Ma 2e pince à épiler!
Merde… que faire avec ce maillot trop échancré ?
Alléluia ! Mon Wonderbra!
Mais pourquoi j’ai pris ça?

Finalement, de table de nuit, elle te servira,
Jusqu’au départ, tu la délaisseras.
Pour enfin la remplir de nouveaux souvenirs,
Et ainsi terminer ta mission, avec un grand sourire.

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.


Blogs en folie

Ecrire un blog, c’est un peu donner de soi aux autres pour partager ses passions, ses voyages, ses découvertes à travers d’un media aujourd’hui largement répandu. Divers objectifs, un même moyen: l’écriture. Parfois illustrée, parfois auto-suffisante, elle espère toujours emmener le lecteur, le surprendre, l’amuser, l’instruire.

J’ai eu envie de partager avec vous quelques blogs d’amis ou connaissances qui mettent en avant leur quotidien et leur talent pour le plaisir des yeux et des neurones et que je prends plaisir à consulter régulièrement.

https://aimebyem.blogspot.com/

EM Emilie, c’est une chic fille. Collègue de mes premiers émois professionnels, elle a commencé son blog en partageant sa passion pour le tricot. Puis elle s’est diversifiées et nous fait honneur en nous livrant une partie plus large de son univers. Déco, photo, vintage, on découvre, on se laisse porter, on aime aimebyem.

https://www.icway.be/fr/accueil

« IC », c’est Isabelle et Cédric. Isabelle était ma collègue en Belgique. Elle et son mari ont tout lâché pour s’installer en Espagne et, surtout, tenter un mode de vie alternatif, plus naturel, et plus proche de la nature. Au fil de leurs billets, on apprend sur la construction d’une maison écologique, sur la production de leur huile d’olive, une mine d’informations partagée avec passion et dévouement pour tout ceux qui croient qu’un autre monde est possible.

https://decokidsnco.over-blog.com

marieAnouk, c’est la puce de Marie. Une adorable bout’chou qu’on a envie de croquer! Sa maman, et amie de l’université, vous livre ses trouvailles, ses opinions, ses astuces sur  la Déco, parentalité, éducation, littérature enfantine et cetera…, autant de billets d’une jeune femme curieuse et créative. A priori je n’en ai pas grand besoin pour le moment… mais espérons que Marie écrive assez longtemps!

 

https://biophagie.wordpress.com/

Biophagie, c’est le blog  de Quentin, un vieil ami de primaire que je n’ai certes pas revu depuis des lustres (littéralement), et qui est aujourd’hui professeur dans un lycée à Toronto (Canada). Dans son travail et dans son blog, il partage avec nous sa passion pour les mots et pour son métier.

https://dicidailleurs.mondoblog.org/

Soline, c’est l’épouse de Gauthier. Lui, c’est un pote du monde coopérant. Elle, son épouse, que je n’ai jamais rencontrée. Mais en mari amoureux, chaque mois, il met sa douce et tendre en vedette sur facebook pour nous partager ses écrits. Et j’adore. On s’évade, on est surpris, on redécouvre des mots, on se découvre une voix intérieure à la lecture de ces textes, on s’imagine à ses côtés alors qu’elle nous raconte son « ici » et son « ailleurs ». A ne pas manquer.

soline

Vous pouvez aussi la retrouver sur : https://anthropoesie.wordpress.com/author/

https://unpeudaventure.com/

Cette Charlotte-là, que j’ai côtoyée pendant les années « scoutes », elle a un sacré caractère et nous raconte ici son tour du monde. Mais pas n’importe quel tour du monde… Elle fait l’expérience du « Wwoofing ». Elle le décrit elle-même:
WWOOF c’est l’acronyme de World Wide Opportunities in Organic Farms. L’idée c’est donc que des volontaires (les woofeurs) sont accueillis dans des fermes biologiques (les hôtes) pour donner un coup de main en échange du gîte et du couvert. Un blog sur comment voyager autrement, intéressant et bien illustré.

Si vous aussi vous avez des blogs que vous en soyez le créateur ou le lecteur, partagez-les!

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.


Ils m’appellent « Monique »

Ce début de mission congolaise a le don de me renvoyer au passé, aux racines. Agréable sous certains aspects. Déroutant sur tant d’autres. Encore 48 semaines à être surprise et interpellée. Pourvu que je tienne.

Il y a d’abord cette inéluctable question : « D’où venez-vous? » Et ces deux réactions sans égales. Soit je suis face à un étranger et, généralement, en tant que Belge, on s’en sort pas trop mal. « Ah! Je connais bien Bruxelles, le Délirium et ses bières, la place du Lux’. Alors? Vous avez un gouvernement maintenant? J’adore les Belges, vous êtes tellement sympas et drôles! Pas comme les Français qui se prennent au sérieux… » Ou alors mon interlocuteur est un autochtone, et là… c’est la roulette russe… dans ma tête. Amer cultivateur d’un souvenir colonial mal digéré… ou amateur de frites et nostalgique d’une époque révolue? Car on a beau me dire que les Congolais aiment leurs tontons et tantines belges, la petite fille d’anciens travailleurs dans la colonie, fille d’un Belge né au Congo belge (et d’une Française née au Sénégal…) que je suis, s’attend au pire. J’en ai rencontré des Péruviens qui six siècles plus tard crachaient sur les Espagnols alors qu’ils jurent dans leur langue et prient leur dieu. Sans compter les Haïtiens ou les Centrafricains (certes, pas majoritaires selon mon expérience) qui voulaient voir les Blancs dehors. Alors pourquoi m’épargnerait-on? Ils auraient leurs raisons de me mépriser et me canarder de clichés historiques dont je ne saurais que faire, moi, enfant de fin de siècle.

Mais force est de constater que jusqu’à présent, tout le monde semble vouloir que je me sente ici chez moi. C’est ce qu’ils me répètent tous. Tantôt, ils ont un cousin qui a étudié à Gembloux, tantôt ils rêvent de rendre visite à leur tante qui tient un restaurant à Matonge. Ils disent « septante » et « nonante ». Il y a quand même sacrément de quoi se sentir en famille.

Et puis il y a ces signes (auxquels je crois) et qui s’évertuent, eux aussi, à me rappeler à une réalité passée, des personnes-clé ou des racines enfouies. Ma première sortie sur le terrain dans la région de Katoyi en a été remplie, et ce ne fut pas pour me déplaire, mais deux appels du pied célestes m’ont particulièrement marquée.

BETESE? B…T…C…? 

Le popotin démoulé à l’arrière de la moto, notre petit convoi s’approche d’un des nombreux camps de déplacés que compte la zone. Au son de la moto, des mini-pouces en guenilles, sourires accrochés aux mâchoires, se précipitent aux abords de la route et se mettent à crier « Betese! Betese! Betese! ». Mon cerveau de baroudeuse clique instinctivement et se recréé une image familière… un logo… bleu, vert, rouge, orange… surmonté de quelques initiales… CTB… BTC… Betese. Mais comment mes neurones ont-ils pu en arriver là? Alors que je tente de ne pas valser de la moto en m’y cramponnant d’une main, l’autre reprend un geste familier de Princesse Mathilde ¹(Ah.. mincelogo-btc-fr… elle est Reine maintenant…) répondant ainsi aux cris enfantins et à ces petites menottes tendues. Mon esprit divague à nouveau et je deviens soudainement représentante de la CTB à Katoyi, éminence de l’Etat belge qui tente de panser les blessures qu’il a jadis infligées au Congo et qui peinent à cicatriser!

 

Puis c’est une nostalgie inattendue qui m’agrippe. Je revois défiler ces trois années au Pérou, à travailler avec la CTB.Cusco

Ces découvertes andines, ces quiproquos culturels, ces paysages sans fin. Je me souviens de mes collègues, des secousses sismiques, du ceviche, de ces rues et ces odeurs que j’aimais tant… Soudainement, un bourbier me ramène à la réalité. « Il faut quitter ». Autrement dit, descendre de la bécane et traverser la boue jusqu’à un tronçon plus sûr pour mon royal popotin. De reine africaine de la CTB, je passai à une Robocop maladroite, genoux et coudes protégés, tête encasquée, mains gantées, tentant de ne pas m’étaler dans les flaques.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le soir venu, en discutant avec mes collègues, j’appris que « Betese » voulait en fait dire « étranger » en Kinirwanda. L’équivalent du Mzungu, du Munzu, du Blan ou Gringo, en somme. Je terminai de tomber de mon piédestal et allai me coucher.

MONIC! BISCUIT! 

Le lendemain, vers d’autres villages, d’autres enfants couraient à perdre haleine en devinant le convoi royal s’approcher. Les mêmes sourires, les mêmes habits, mais cette fois-ci, ils m’appelaient « Monic »… et voulaient tous un mystérieux biscuit. Rares sont ceux qui ignorent que ma tendre maman s’appelle Monique. Plus rares seront ceux qui auront connaissance de mon troisième prénom… Monique.  Diantre ! Quel est à nouveau ce signe, cet appel d’horizons lointains et si proches à la fois? Y aurait-il un dieu qui me joue des tours? Serait-ce Jean-Louis qui veut me dire quelque chose? Pourquoi m’appellent-ils Monique?

Emmitouflée dans mon casque et mes protections, ballotée sur une moto sans concessions, mon esprit préfère ne pas chercher de réponse. Il s’attarde plutôt sur Monique. Ma maman. La madre. Moz.

Moz

Quelques semaines auparavant, j’étais avec elle, chez elle, chez moi. J’avais établi une liste des plats que j’avais envie de manger pendant mes vacances et aucun n’avait manqué au menu. Je voulais oublier ces mois de diète, de riz, sauce légumes et manioc. J’avais acheté, à la dernière minute, un pantalon trop long en manque d’ourlets et ses doigts de fée avaient opéré. J’avais eu besoin de ne pas m’occuper de moi et elle l’avait fait pour moi. Comme si j’avais 10 ans.

Sur cette même moto, au fond de la brousse, entre ces montagnes congolaises, le corps endolori par les bosses et les chutes, alors que j’étais si loin de mon plat pays goudronné à foison, ces petits enfants m’avaient appelée « Monic », me poussant sans avertissement dans les derniers souvenirs que j’avais de ma petite maman. Je ne pus m’empêcher de regretter la manière dont nous avions cohabité certains jours récents. Fatiguée après cette inracontable mission en Centrafrique, perdue dans les limbes de l’entre-deux-missions, je n’avais pas su me rapprocher d’elle pendant ce court intermède que furent mes quatre semaines de vacances. Elle m’en avait voulu. Elle me l’avait dit. Je ne l’avais pas compris.

Alors que le soir même, autour d’un autre feu, mes collègues rigolaient en m’expliquant que « Monic » faisait en fait référence à « Monuc », ancienne appellation de la Monusco² (mission onusienne en RDC), je ne pus m’empêcher de croire que c’était en fait un signe divin de ma maman qui veillait sur moi et qui m’accompagnerait pendant toute ma mission au Congo.

De retour à Goma, je finis d’accepter que j’étais chez moi ici. Tous ces signes avaient parlé. Cela ne prit qu’un dernier clin d’œil (une serveuse qui ne rechigna pas à m’apporter de la mayonnaise, de la vraie pour mes frites) pour que je baisse ma garde et accepte l’inévitable.

Ma Maman Monique et la sacro-sainte mayo veillent sur moi. Ma mission au Congo, entre passé et présent, peut commencer, je n’ai plus peur de rien.

Vivement 2015!

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.

 

¹ Pour relire mon mimétisme avec la, naguère, rincesse Mathilde en Centrafrique, lisez ceci.

²Pour en savoir plus sur la mission des Nations unies en RDC, cliquez ici.

 


Félin au bord de la crise de nerfs

Elle me saouuuule! Chaque fois, c’est la même rengaine. Mademoiselle rentre de voyage, elle éparpille ses valises un peu partout dans la maison et passe son temps à dormir, manger et sortir. Mes maîtres n’ont plus d’yeux que pour elle… « Et t’as bien dormi? Et qu’est-ce que tu veux manger ce soir? Et j’ai lavé ton jean’s ». Non mais! Elle a 32 ans quand même! Nom d’un chat! On dirait une ado qui débarque comme un ouragan, jetant ses fringues selon les marées, ses valises au gré du vent, et je sais que je vais passer pour chat méchant, mais parfois je pisse dedans. Na! Mais je dois avouer… Cette fois-ci, c’était quand même un peu différent… Elle n’arrêtait pas de faire des réflexions à deux croquettes: on dépense trop d’argent pour faire des pubs, il y a trop de voitures et pas assez de gens dedans, et, sacrebleu!, c’est quoi ce kiwi néo-zélandais dans ton frigo?!?

Foi de chat, je ne l’ai jamais vue comme ça. Quelque chose a changé. On dirait qu’on lui a arraché un peu de sa fraîcheur. Ils ont l’air loin les bisounours, les utopies, les grands esprits. Je la sens un peu brisée, presque blasée, comme si elle venait d’apprendre que Saint-Nicolas n’existait pas ou qu’il n’y avait pas vraiment de poulet dans la pâtée pour chats (si, si, je vous jure!). Elle a manifestement perdu pied. Ils me l’ont déglinguée! Jamais auparavant elle n’aurait méprisé son confort, et encore moins les gens qui le partagent ou ceux qui y aspirent. Mais tout ce qui semble superficiel, cette fois-ci, a eu le don de l’irriter.

Par contre, aux antipodes de ce comportement indécent et, disons-le, très chiant (n’oublions pas que je suis un chat argentin qui assume sa vie de pacha en banlieue bruxelloise…), son émerveillement au retour du supermarché avait bizarrement décuplé. Je la vois encore, en ce matin de novembre… Elle ouvre son sac et sort une par une ses trouvailles. Alors, évidemment, je suis un animal, je suis toujours là quand il y a à manger, je me faufile donc sous la table de la cuisine, aux premières loges pour le one-woman show de l’année.

– T’as vu Socrates? Du fromaaaaaaaache!, me dit elle en prenant une tête de gamine devant une barbe à papa.
– Heu, oui, merci, je connais, c’est du lait pourri, lui répondis-je, très fier de ma réponse ultra intelligente.
– Sens, comme ça sent bon!
– Aaaaah! Beurk, non, ça pue. Ma bouffe à moi, ça ça sent bon, c’est bien connu.

Elle continue à fouiller dans sa hotte magique, attrape un truc et BAM, croque dedans à pleines dents.

– Une pomme, Boubinski! Une pomme! (oui, elle me donne des surnoms ridicules. Le premier qui rigole je lui en griffe une).
– Ouais, et alors? T’as pas regardé dehors, y en a plein dans le jardin.

Elle sort enfin une petite bouteille brune, l’ouvre avec précaution, en verse solennellement le contenu dans un verre et me regarde. Elle ne dit rien. Hume. Porte le liquide ambré à ses lèvres et soupire longuement.

– Mmmmmh
– Ca, je connais, ma fille, tu m’en as servi une fois, j’ai adoré mais ma maîtresse n’en achète que quand t’es là. Du coup, je suis à l’eau. Vas-y, verse un peu dans la gamelle, là, vas-y, s’t’eu-plaît!

Rien n’y fait. Elle est dans un autre monde. D’ailleurs quand elle en boit plusieurs, elle est carrément sur une autre planète. Veinarde. Les seules fois où je trip, moi, c’est pour aller chez le véto. J’en ai mordu un, une fois, et depuis, ma maîtresse ne me laisse plus y aller sans mon cachet. J’adore aller voir mon doc.

D’ailleurs, je crois qu’elle aussi. Elle passe toujours ses premières journées à aller voir ses docteurs. Je me demande si elle en a déjà mordu un. Elle prends aussi des petits cachets mais ça n’a pas l’air de lui faire le même effet. A moins que cela soit pour ronronner. Mais je ne pense pas. Cette fois-ci, elle a mieux dormi ou en tout cas plus tôt. Avant, elle s’endormait au milieu de la nuit et émergeait à midi! Une histoire de « museau horaire ». Mais moi je la soupçonne d’avoir voulu tenter de battre mon record d’heures à l’horizontale et quand elle a compris qui était le meilleur, elle a jeté l’éponge.

Bref. Moi je suis content, hein, quand même, quand elle rentre (même si je fais semblant de l’ignorer pendant la première semaine). Elle me raconte ses histoires, me laisse dormir parfois sur son lit et me donne de nouveaux surnoms ridicules. C’est cool. Je crois qu’elle repart bientôt, les valises se remplissent et n’y suis plus le bienvenu. J’ai pas compris où elle allait encore mais surtout je ne sais pas si je serai encore là la prochaine fois. J’espère bien. Mais je me fais vieux. Moi, j’attends le dernier voyage. Elle, elle n’en est qu’aux premiers accostages.

 

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Quand chez moi devient chez lui

Au téléphone, sa voix lui avait parue assurée et amicale. A sa descente de l’avion, au premier coup d’oeil, elle sut qu’elle ne s’était pas trompée. Il portait un pantalon beige avec une paire de chaussures de marche bien nouée et un tee-shirt qui ne resterait pas très longtemps blanc. Un homme de terrain, en somme. Le tarmac de laterite lui allait bien. Il semblait déjà se fondre dans le paysage.

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– Salut, je suis Francesco, tu dois être Julie.
– Bonne arrivée! Ca a été le vol?
– Très bien. Mais j’ai pas eu le temps de manger ce matin à l’aube. Je meurs de faim!
– Jette tes sacs dans cette voiture, on va te nourrir!

Sur le trajet, alors qu’il se familiarisait avec les cases, les chèvres et le public enfantin, Julie l’observait du coin de l’oeil. Sa barbe de trois jours le rendit sympathique à ses yeux. Le petit flacon de désinfectant agrippé à son sac à dos la fit sourire. Elle passait au crible ses moindres réactions, prête à sauter sur la moindre contrariété pour le remettre à sa place. Elle avait déjà sa réplique toute prête: « Oui, ben c’est le terrain ici, pas le Plaza ».
Arrivés au bureau, Julie le jeta aux loups: présentation de l’équipe, tour du propriétaire, installation de l’ordinateur. Il ne flanchait pas. Souriait. Posait des questions. Il l’énervait déjà. Il semblait déjà se sentir chez lui.

Francesco était venu pour remplacer Julie. D’ici quinze jours, elle ne serait plus qu’un souvenir. Il aurait son numéro de téléphone, son bureau, ses contacts, sa chambre. Elle ne serait plus qu’un prénom dont les employés se rappelleraient peut-être tendrement dans quelques années. Son remplaçant la sortit de ses pensées sans sommation:

– Julie, tu me parlais de manger. C’est toujours à l’ordre du jour? , lui demanda-t-il un peu fébrile.
– Oui! Bien sûr! Pardon, c’est par ici, lui répondit-elle en lui montrant le chemin de la résidence.

Alors qu’ils pénétraient du côté obscur de la force, de l’autre côté du mur, Francesco s’extasiait devant les installations. A raison: tout était neuf, beau, frais, et ils avaient mis la main à la pâte pour rendre le tout accueillant pour son arrivée. Julie se rappela les moult semaines que l’équipe avait dû attendre pour la fin des travaux, les nombreuses nuits passées à camper sur un matelas mousse et, finalement, le jour J, la première nuit dans sa chambre, la première douche chaude. Francesco arrivait, lui, comme une fleur, comme un inspecteur des travaux finis.

Il avait une aisance qui irritait Julie. Une gentillesse qui la désarçonnait. Et en plus il était loin d’être bête. Elle se sentait comme une grande soeur à qui le nouveau-né vole la vedette, la honte d’être jalouse incluse. Elle avait les fesses entre deux chaises: elle n’était plus vraiment chez elle, il n’était pas encore vraiment chez lui. C’était un no-man’s land, une sorte de limbus déroutant. Pourtant, dans quelques semaines, ailleurs, ce serait elle le nouveau-né. Et elle serait tout aussi irritante, avenante et sympathique. Car quand on change de chez soi tous les ans, nous, on ne change pas.

Le lendemain, il fut temps de passer aux choses sérieuses: le monde extérieur. Ministère après ministère, couloir après couloir, bureau après bureau, le rituel voulait qu’elle présentât Francesco à chaque contact. Tous la remercièrent poliment de la bonne collaboration et espéraient que le jeune homme dégourdi dont ils écorchaient le prénom heure après heure fût aussi efficace que Mademoiselle Julie. Ils promettaient qu’ils ne l’oublieraient jamais et qu’elle garderait toujours une place spéciale dans leurs prières et dans leur coeur.

Julie écoutait solennellement chaque épitaphe: ils l’oublieraient. Elle en était sûre. Elle leur en voulait déjà. Cette chaise musicale humanitaire lui brisait le coeur. Elle se jurait, elle, de ne jamais oublier personne, de leur envoyer des nouvelles et de faire son possible pour revenir un jour. Mais elle savait que ces mots n’avaient pour seul but que d’alléger temporairement la douleur des au revoir. Garder un moment encore l’illusion qu’elle serait toujours chez elle ici alors qu’elle n’avait fait que passer dans la vie de ces gens. Elle se prit à avoir honte de ne pas se souvenir du prénom de cette maman de maison haïtienne qui l’avait si bien soignée pendant une semaine de fièvre. Elle lui avait promis, à elle aussi, de ne jamais l’oublier.DSC02068

La gêne et le malaise durèrent peu de temps. Il fallait continuer la course folle pour imprégner son successeur de toute une vie. Ils reprirent la voiture et déambulèrent dans les rues. Julie essaya de se rajeunir d’un an, au moment où elle se perdait dans ces rues, que le visage du vendeur de méchouis lui était encore inconnu et que la laterite et ses culs de poule complotaient contre elle. Aujourd’hui, elle et la route ne faisaient plus qu’une, Ibrahim savait qu’elle préférait la chèvre au boeuf et les raccourcis n’avaient plus de secrets.

Francesco, lui, regardaient les petits commerces et les rues défiler. Il souriait. Encore. Il se rappelait ses précédentes missions et retrouvait des signes familiers. Cela le réconfortait. Il écoutait d’une demi oreille Julie lui montrer les stigmates que la ville portait des suites des affrontements, les commerces incontournables où il trouverait avec un peu de chance des boîtes de sardines ou du papier toilette, les quelques bonnes adresses à ne pas manquer. Il se dit qu’il se sentirait bien ici.

L’attention du nouveau-né s’accentua quand son aînée l’emmena à la mission catholique où l’équipe avait vécu jusqu’aux premiers évènements qui secouèrent la ville cette année. Sa voix changea. Sa gorge se noua. Il lui sembla percevoir des yeux humides lorsqu’elle décrivait les soirées étoilées insouciantes qu’elle avait passées en ces lieux. Il se sentit mal à l’aise. Il comprit l’importance que cette petite ville et cette population avaient pris dans le coeur de Julie. Cela l’attendrit.P1000352

– Ca a dû être difficile de quitter la mission, lui dit-il pour lui montrer l’intérêt qu’il portait à ses anecdotes.
– Oh ben tu sais, camper au bureau, avec de l’eau et de l’électricité alors que la ville tente de s’endormir la peur au ventre, c’est vraiment un moindre mal, répondit-elle tentant de regagner ses esprits.
– Chapeau, en tout cas. Tu as marqué ces gens et ça va pas être facile de passer après toi.

Julie lui répondit avec un sourire gêné.

C’est à ce moment précis qu’elle lâcha prise. Peu importe que Francesco ait la même dévotion dans le travail, peu importe qu’il change la disposition du bureau, peu importe si les gens l’oubliaient, elle était maintenant convaincue qu’elle laissait son « chez elle » entre de bonnes mains. Elle pouvait partir, le coeur léger, le sentiment de la tâche accomplie, l’esprit dédié, enfin, à se reposer, à laisser derrière elle ces douze mois hauts en couleur et elle était prête à renaître, ailleurs, plus au sud, pour s’approprier d’autres rues, d’autres Ibrahim, d’autres horizons.

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.


Chez moi… c’est chez VOUS

Ceci est donc votre laboratoire aussi. Alors si on faisait quelques expériences?

Vous connaissez l’impro‘? Un ou deux mots, une consigne et les acteurs se lancent pour notre plus grand plaisir à la recherche de la scène dont ils ne connaissaient pas les répliques avant de les prononcer!

Et l’impro’ littéraire? Même principe mais en écrivant ! Voici une petite idée de ce que cela peut donner comme consignes: La Compagnie Porte Lune.

C’est sur ce modèle que je vous propose de participer à mon laboratoire. Ci-dessous, une liste de thèmes et de styles. A vous de choisir ce qui vous intéresse comme expérience! Par mail ou par commentaire, je ferai de mon mieux pour faire vibrer les mots!

  • Poème
  • Dialogue
  • Chanson
  • Journal intime
  • Posologie
  • Prière
  • Epitaphe
  • Eloge
  • Lettre d’amour
  • Recette de cuisine
  • Discours politique
  • Mode d’emploi
  • Termes de référence
  • Contrat
  • Pièce de théâtre

Quelques idées de titres, mais toutes vos suggestions sont les bienvenues!

  • Un voyage en avion?
  • La valise humanitaire
  • Retour au bercail
  • Visite guidée du supermarché
  • Ce n’est qu’un au revoir
  • De la difficulté d’être soi-même

Un autre texte est déjà en préparation… Alors d’ici là, ….


Chez moi, c’est… dans ma cage fleurie.

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Je m’appelle Romuald. Elle m’appelle « le drap de Mamine ». Je ne sais même plus quel âge j’ai. Je ne suis plus tout jeune, c’est sûr. Mon espèce ne souffre pas de rides, mais de trous. Et j’en compte une bonne dizaine.

Ca n’a pas empêché Céline de m’aimer dès notre première nuit ensemble, en 2001. Elle revenait juste de six longues années à l’étranger entre l’Argentine et la France et vivait chez sa grand-mère, Mamine. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Elle devait se sentir un peu seule, déracinée, à la recherche d’un petit coin protégé, et nous avons partagé beaucoup de moments jusqu’à ce qu’elle déménage. Nous dormions ensemble, nous étudiions ensemble, nous regardions des films ensemble.

Par après, à chaque fois que Céline revenait chez sa grand-mère pour une nuit, un week-end, c’est moi qu’elle cherchait: elle fouinait dans les armoires jusqu’à me mettre la main dessus. Je l’attendais patiemment entre les taies d’oreiller et les draps-housses.

Puis un jour… Mamine s’en est allée. Il a fallu des dizaines de bras pour ranger, trier, vider cette grande maison familiale que son mari avait construite à leur retour d’Afrique. Lorsqu’une de ses tantes s’attaqua au rangement de la literie, le sang de Céline ne fit qu’un tour: Où est Romuald? Elle m’accueillit chez elle et notre idylle reprit son cours.

Elle m’emmenait partout avec elle, en camp scout, à son kot, en vacances, elle ne me laissait aucun répit. J’adorais cela. Nous ne pouvions pas rester éloignés plus que le temps d’une lessive. Dans mes bras, elle dormait bien, ses rêves de voyages, de découvertes, trouvaient écho, ses secrets les plus intimes étaient bien gardés. Même avec ses amants, elle me gardait auprès d’elle.

Je me souviens avec beaucoup de tendresse du jour où elle m’a mise dans son sac à dos, à Lima, alors qu’elle s’apprêtait à partir pour une nuit mouvementée. Troublée par la vie chavirée par mille émotions, Céline entreprit un voyage initiatique avec un chaman: une cérémonie d’Ayahuasca. Elle savait que ce breuvage accompagné d’incantations et de mélodies de l’au-delà allaient la retourner. Alors elle m’invita à l’accompagner, pour la rassurer. Lors que la potion fit son effet, elle m’attrapa, s’enroula en moi et fut apaisée. Elle savait que quoiqu’il arrive, peu importe où ses démons enfouis l’entraîneraient, je ne l’abandonnerais pas.

Elle m’a pourtant abandonné un jour. Alors qu’elle avait dû quitter à la hâte sa maison à Port-au-Prince au milieu de la nuit, elle m’a laissé derrière elle. Son ordinateur, la photo de son frère et sa brosse à dent avaient pourtant trouvé leur place dans son sac à dos d’urgence. Pas moi. Je passai alors une des pires nuits de ma vie. Des hommes entrèrent dans la maison à l’aube et emportèrent tout ce qui leur semblait avoir de la valeur. J’essayai de me cacher au fond de l’armoire, mais ils ouvrirent violemment la porte et sortirent tous les vêtements qui m’accompagnaient. Un d’eux m’attrapa, mais je ne l’intéressais pas et il me jeta au fond du placard. Avais-je la vie sauve? Combien d’autres hommes allaient faire irruption pour tenter de s’approprier un petit bout de sa vie?

Le lendemain, un de ses amis, Laurent, s’aventura dans la maison dévastée. Je l’entendais parler seul. « Alors, le drap, le drap, il est où ce drap? ». J’en conclus que Céline lui avait demandé de venir me secourir! J’étais au fond du placard, recouvert de vêtements apeurés et secoués, j’entendais sa voix s’éloigner. Son téléphone sonna. « Oui, je suis dans ta chambre, c’est pas joli-joli, mais je crois qu’ils ont surtout pris les choses de valeur ». J’en avais à ses yeux de la valeur. Mais ces hommes ne le savaient pas. Le jeune homme entra dans la penderie et me trouva, il eut l’air soulagé: « Oh! Te voilà. J’en connais une qui va être heureuse ».

Laurent me tendit à Céline. Elle soupira et me cala contre son coeur. Plus jamais elle ne m’abandonnerait.

Plus de dix ans ont passé depuis notre première nuit. Une certaine routine s’est installée mais elle n’a rien pour me déplaire: je voyage en cabine, je dors chez ses amis, dans les hotels, je l’accompagne dans ses fièvres, ses chagrins, ses gueules de bois, je suis aux premières loges.

Je m’appelle Romuald. Je suis plus qu’un drap. Je suis une cage fleurie pour une globe-trotteuse casanière, un toit pour les états d’âme, un petit bout de chez elle où qu’elle se trouve.

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.


Chez moi, c’est… hors de ma zone de confort…

Il me regardait, agacé.

– Mais qu’est-ce que tu vas encore écrire? Et pour qui? J’te comprends pas.

Je me mis à sourire et puis à m’esclaffer.

– Mais c’est pour moi que j’écris, cette fois! Ca fait 10 ans que j’écris pour la famille, pour les amis, aujourd’hui je veux écrire pour moi et me lancer un défi. C’est une autre étape. Je veux que ce que j’écris soit lancé sur la place publique, torturé, retourné, critiqué. Pas son contenu, non, je ne veux pas débattre. Mais je veux que les gens qui me lisent s’évadent avec moi, voyagent à mes côtés et sentent les odeurs que je décris.

Il me regarda à nouveau fixement, en fronçant les sourcils. Je sentis dans son regard qu’il ne me comprenait pas. Quelque chose lui échappait. Peut-être n’avait-il jamais lu mes textes. Peut-être les avait-il lus et détestés.

– Qu’est-ce qui te tourmente, lui demandai-je. Tu veux me protéger? Tu crois que je fais une erreur?

– Mais non, tu es assez grande, je ne conçois juste pas qu’on veuille rendre publiques ses histoires, qu’on veuille se mettre à nu, alors qu’on travaille dans des contextes politiquement compliqués, pour une organisation qui se veut neutre, indépendante et impartiale ce qui, du coup, limite ton champ d’action, et puis… je sais pas moi… c’était pas plus pépère d’écrire tes posts sur tes vacances ou ta journée et d’envoyer le lien et les photos à ta famille? Pourquoi tu te compliques la vie? Va falloir assurer avec tes lecteurs!

Il n’avait pas tort. J’allais devoir assurer. Mais je préfèrais inverser la pression: je voulais que ce soit les lecteurs qui assurent avec moi. Je relève le défi d’ouvrir mon laboratoire, de tester sur le monde extérieur mes écrits, de sortir de ma zone de confort et en échange je demanderais au public de me soutenir, me critiquer, m’encourager.

Il finit par soupirer, hocher la tête, et son regard changea. Tendrement, il mit sa main sur mon épaule et me chuchota:

– De toute façon, tu n’en fais toujours qu’à ta tête… Je serai ton plus fidèle lecteur. Mais je te préviens, à la première faute d’orthographe tu m’invites au resto!

Avec son soutien, je n’ai plus peur, plus de doutes, plus que des envies et la plume qui me gratte… je veux inviter le monde entier à s’asseoir dans mon laboratoire et faire virevolter les mots, les étriquer et les disséquer et… chers lecteurs… vous laisser pour seuls juges.

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