Cunisie

Non, nous ne sommes pas des chattes

-Kss kss ! Kssssss !

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Illustr

 

Allez au mieux on peut dire que la démarche est féline. Mais ça s’arrête là. Les filles ne sont pas des chats, pas la peine d’essayer d’attirer leur attention dans la rue à coup de sifflement et autres sons étranges. Moi ça a juste le don de m’exaspérer.

Parce que nous ne sommes pas des animaux. Ou en tout cas pas l’animal auquel les mecs ont l’air de penser.

Je marche dans la rue, tranquillement. Une petite nana devant moi se fait héler à coup de « ksskss ». Ni une ni deux elle relève la tête et hurle au mec :

-Qu’est- ce qu’il y a ? Qu’est ce que tu veux ? Je suis un chat moi ou quoi ?

Et le type, mort de rire, de répondre :

– Non tu n’est pas un chat, tu es une chatte !

Ses potes s’esclaffent, jusqu’à ce que la nana, à qui il en faut plus pour se laisser démonter, lui rétorque, en hurlant encore plus fort :

– Et bien toi tu es un chien et tes potes sont des animaux !

Silence dans la rue, les passants sont atterrés, la fille s’éclipse, vite fait. Heureusement! Le temps que l’info monte jusqu’au cerveau les mecs se sont levés, hurlent de rage et insultent la mère de la nana, qui est déjà loin.

J’ai trouvé ça drôle : c’était bien la première fois de ma vie que je voyais des chiens offusqués par une chatte.

La Rue


Viol de Meryam; et si les femmes élevaient des garçons moins cons ?

Et si les femmes élevaient des garçons moins cons on ne serait pas en train d’assister au procès de deux policiers, accusés du viol de Meryam. Vous vous souvenez de l’histoire, non? Non? Meryam c’est une jeune fille tunisienne, qui comme toutes les jeunes filles du monde, a un petit copain.

Meryam, comme beaucoup de jeunes filles en Tunisie, n’a pas de lieu où retrouver son petit copain. Alors ils font comme tout le monde, ils se voient où ils peuvent : dans un café, dans un lieu isolé, dans une voiture.

Pas de chance ce soir-là pour Meryam et son copain, qui se font contrôler par les flics. Et comme chez nous l’autorité donne des ailes, ça finit mal.

Surtout qu’il paraît qu’une fille qui se retrouve avec son mec, avant le mariage, ben elle est un peu d’usage public, hein !

C’est ce que pensent les hommes. Et c’est un peu de la faute des femmes. Parce que dans la majorité des cas en Tunisie, ce sont les femmes qui éduquent les enfants, pendant que le mari squatte le café. Elles sont victimes-bourreaux. C’est magnifique !

Les mecs ont tout plein de droits, qui ne sont écrits nulle part, mais qu’ils appliquent quand même. Ainsi ma cousine m’explique que son frère a le droit de sortir, mais pas elle. A le droit de rien foutre à la maison, mais pas elle. A le droit de lui taper dessus, mais pas elle. Et ma tante d’opiner du chef à côté.

Moi sidérée, tente vainement d’expliquer que non, que ce n’est pas culturel, qu’il y a plein de familles en Tunisie où l’on ne fait pas ça. Ma cousine me dit bien que ce n’est pas très juste, elle le sent bien au fond. Mais bon, « c’est la vie, c’est comme ça. »

Et bien non ! Ce n’est pas la vie et ce n’est pas comme ça ! La preuve : une fois que les flics ont eu fini d’emmerder Meryam, son petit copain, qui l’a toujours soutenue, l’a poussée à porter plainte et à ne pas se laisser faire. Il ne s’est pas dit que maintenant Meryam n’était plus bonne à rien, plus bonne à regarder, plus bonne à aimer.

Heureusement qu’il y a quand même des femmes qui n’élèvent pas les garçons comme des cons. La mère du copain de Meryam par exemple.

La Rue


« Il est sympa mon copain, mais il est vieux. »

Les mecs se rehaussent sur leur siège quand elle entre dans l’avion. Elle, l’air ingénu, dandine dans l’allée centrale. Comment fait-elle juchée sur ses talons, avec mille sacs à ses bras, pour faire ça? C’est magique!

Elle est tirée à quatre épingles, hyper maquillée, moulée dans un jean’s qui va parfaitement avec son tee-shirt à strass. Une jolie poulette de 20 ans. Une star quoi.

Sauf que son sac à main est une refrappe Vuitton de mauvaise qualité, dont une des anses a lâché.

Elle s’installe à côté de moi, s’excuse pour le bazard et souri gentillement. Elle ouvre son sac, en sort une bouteille de parfum Dior et me le tend :

– Tu veux essayer ? Il sent tellement bon! C’est un ami qui me l’a offert pendant mes vacances.

J’ai l’impression d’être un zombi à côté d’elle. J’ai voyagé toute la journée pour choper cet avion, après une semaine de boulot exténuant à parler droits de l’homme.  Alors bon parler parfum ça me changera.

En passant, comme ça, je me dis qu’elle a de la chance cette nana, d’avoir des potes qui lui offrent des parfums à ce prix là. Moi mes potes ils m’offrent une bière de temps en temps, quand ils peuvent, et c’est déjà pas mal.

Elle finit de s’installer et me demande :

– Tu es tunisienne ?

-Oui et toi ?

-Oui oui. Je rentre, j’ai fini mes vacances, je dois reprendre le travail. Je suis esthéticienne.

-Ah ben oui il faut bien bosser pour se payer des vacances.

-Oh non! C’est pas moi qui paie.

Et là je me dis que son plan est bien rodé dis donc à la demoiselle : parfum et vacances à l’œil.

– Moi je voulais changer de pays, aller en Turquie, parce que ça fait trois fois qu’on va dans le même club. Sauf que lui il habite en Suisse, qu’il fait froid, alors il préfère le Maghreb.

-Et tu t’es bien amusée ?

-Oui j’adore! Bon je travaille dans un hôtel toute l’année, c’est comme ça que je l’ai rencontré mon copain. Mais quand même, c’est bien de partir.

-Et t’es sortie la nuit ?

-Bof pas trop, d’ailleurs les trois derniers jours il m’a gonflé. Il n’aime pas trop sortir. Il me dit que quand il m’amenera en Suisse il me fera voir les boites de nuit là-bas. En attendant il me donne de l’argent pour que j’aille m’amuser toute seule.

-Ah c’est cool. Mais pourquoi il veut pas sortir ? Il est vieux ?

-Oui voilà. Il est gentil mon copain. Mais il est vieux. Enfin il a 66 ans je crois.

 La Rue


Les taxistes ces balances !

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Il est tard, c’est le week-end, Copine 1 est en taxi, elle rejoint Copine 2 chez elle. Elle est habillée normalement, hein ! Pas de jupe courte ou de décolleté plongeant, rien d’aguicheur. Copine 2 habite un quartier résidentiel au bord du Lac. Toutes les routes sont les mêmes, tous les immeubles sont les mêmes, tous les rond-points sont les mêmes. Alors à chaque fois que l’on va chez Copine 2 on galère à trouver son chemin.

 

Copine 1 reconnaît quand même plus ou moins le rond-point, mais demande au chauffeur de refaire le tour pour s’assurer qu’elle est dans la bonne rue.

 

Et là le mec vrille dans sa tête et se dit que l’oiseau de nuit est une travailleuse de sexe qui cherche l’appart de son client. Il faut dire que le quartier s’y prête. Il abrite de nombreux étrangers qui y résident le temps d’une mission. Donc forcément une fille qui se balade seule la nuit et qui ne connaît pas exactement l’adresse ne peut pas être une jeune fille perdue. D’ailleurs, si c’était une fille ndhifa, « propre », « de bonne famille » et ben elle serait pas là, hein !

 

( On va s’épargner un paragraphe sur le fait que les filles de bonne famille peuvent être des monstres et que les travailleuses de sexe peuvent être des filles très bien. )

 

Copine 1 descend du taxi et là le chauffeur, ce co**ard, se dit qu’un peu de délation ça fait pas de mal, ça lui manque un peu les vieilles habitudes. Il voit une patrouille de flics arriver, leur fait des appels de phares et balance : « Elle est perdue ». Sous-titres : C’est une travailleuse de sexe qui ne sait pas où habite son client.

 

Rhoooooo ! La copine ne comprend rien. Elle bégaie, présente sa carte d’identité, se fait fouiller son sac, dans lequel se trouve un joli billet en euros, PREUVE pour les flics, qu’elle vend son corps à des étrangers.

 

Non non, en fait Copine 1 voyage beaucoup pour le taf. C’est tout.

 

Le paquet de cigarettes dans son sac lui vaut un regard de mépris appuyé. Mais pas de quoi l’embarquer. S’il avait s’agit d’un preservatif ça aurait été moins drôle. Longtemps il faisait office de preuve de prostitution illégale. C’est ce que m’a expliqué un militant d’une association contre les MST, qui, il y a quelques années, avait les plus grandes peines du monde à distribuer des preservatifs aux travailleuses de sexe dans la rue. Dés qu’un flic arrêtait ces nanas, il utilisait les préservatifs trouvés dans leur sac comme preuve contre elles.

 

« C’est reparti comme en quarante, c’est ça , hein ? Les taxistes se remettent à surveiller tout le monde ? », demande  Copine 2, sortie de chez elle catastrophée, en pyjama, pour sortir Copine 1 de la panade. « Et est-ce qu’il me faut un contrat de travail dans mon sac pour justifier de mon boulot ? Hein ? » Elle s’énerve contre le policier, voudrait dézinguer le chauffeur de taxi, gardien d’une morale toute approximative.

 

Parce que franchement, entre  indic et fille de joie, il n’y a qu’une seule activité qui fait sourire. Peu importe ce qu’en dit la morale.

 

La Rue


C’est d’une révolution sexuelle dont nous avons besoin

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Il est là, torse nu, assis sur mon lit et il me demande :

Alors comme ça les hommes tunisiens n’aiment pas faire de cuni ?

Ouais…

Il me regarde, sourit et balance :

Moi je ne suis pas un homme tunisien.

A ce moment là mon visage a dû s’illuminer. Mais je me rappelle seulement avoir fondu.

Les hommes tunisiens n’aiment pas faire de cuni ou en tout cas ne le pratiquent pas volontiers. Quel dommage, c’est si bon, a-t-il ajouté en relevant la tête.

OUI je sais. Mais va leur expliquer toi, que les filles aiment ça et que nous aussi nous avons le droit de prendre du plaisir !

C’est que le plaisir féminin est un grand tabou. Si en Occident le diktat est de jouir sans entrave, ici il serait plutôt de ne pas jouir du tout. Dommage.

– « Et quand on passe des années à expliquer aux filles qu’elles doivent ABSOLUMENT préserver leur virginité et que le sexe « c’est pas bien » et bien c’est difficile pour elles de prendre du plaisir. Pire le jour du mariage on leur demande d’arracher toutes leurs fringues et de se transformer en jeune fille sexy qui prend du plaisir, mais ça ne peut pas marcher », explique une sexologue tunisienne.

Elle ajoute que la plupart des couples qui viennent la voir,  consultent pour lutter contre le décalage qui existe entre les envies gourmandes des hommes et les pratiques conservatrices des femmes.

Ce décalage serait à l’origine de nombreux divorces, selon elle. « Les hommes ont une vie sexuelle, avant le mariage, beaucoup plus libérée que les femmes, c’est plus facile pour eux, ils sont moins jugés et il est physiquement impossible de savoir s’ils sont vierges ou pas le jour du mariage. Ce qui n’est pas le cas pour les filles, qui ont du mal à vivre pleinement leur sexualité. »

Parce qu’elles ne sont pas aussi libres que les garçons, les filles se connaissent moins, savent moins ce qui leur procure du plaisir et perçoivent certaines pratiques négativement.

Alors finalement est-ce les hommes tunisiens qui n’aiment pas le cuni ou les femmes tunisiennes qui n’en demandent pas ?

La Rue