Mon défrisant, l’afro-féminisme et moi
Ces derniers temps, je pense à arrêter de défriser mes cheveux. Il faut dire que j’ai lu tellement de choses sur les produits qui lissent les cheveux crépus : toxiques, décapants, etc. Le vocabulaire est saisissant, répulsif, inquiétant.
Mais au-delà, c’est observer la pléthore de jeunes africaines qui franchissent le pas, qui me donne envie. Il faut le dire : le Nappy hair est revenu à la mode.Je l’évoquais déja en mars 2015 dans ce billet. Qui plus est, je ne veux vraiment plus cacher la nature de mes cheveux sous de vils artifices. Je suis noire, africaine et j’ai des cheveux crépus. Je ne suis pas destinée à les avoir raides, alors pourquoi s’obstiner ? Pourquoi se changer ?
Il y a quelques années, j’étais consciente d’avoir des relents de féminisme en moi. Mais je n’osais pas me l’avouer.
J’étais jeune, et ce mot si gros.
Il semblait porter tout le fardeau du monde en lui. Je n’étais pas sûre d’en être une. J’affirmais : » Je ne pense pas être féministe, je suis juste pour l’égalité des droits ». Mais avec du recul, les années et l’assurance aidant, je sais aujourd’hui que le féminisme n’a rien de péjoratif. Que je n’ai pas à m’en cacher, que ce n’est rien de repréhensif. Mais surtout, que d’autres personnes le pervertissent à leur guise ne fait pas que je dois en avoir honte ni m’en éloigner. Si c’est ce que je suis, je l’endosse bien volontiers.
Certains jours voyez-vous, c’est dur d’en être une. Les jours où les hommes mais aussi les femmes vous malmènent, à coups de prétendus « arguments » censés vous contrecarrer, alors que tout ce que vous souhaitez au fond, c’est de meilleures conditions de vie pour vos congénères. Parce que d’autres l’interprètent mal, être féministe – et l’être sous les cieux africains – est extrêmement compliqué, de la dynamite je vous dirai. Tout le monde a un avis dessus, tout le monde pense connaître ce mouvement, et on vous observe telle une bête qui débarque de Pluton. Et ma foi, être afro-féministe, c’est deux fois plus dur.
Je sais que l’on peut être Nappy sans être afro-féministe et que certaines le sont par pur plaisir. Mais dans mon cas, l’envie de passer à l’Afro – qui remonte à bientôt un an maintenant – m’a trouvée avec ma condition de féministe en général, puis d’afro-féministe en particulier. En plus d’aimer mes cheveux comme ils sont, être Nappy pour la féministe que je suis serait clairement un acte politique, militant.
Plus j’avance en âge, plus je me découvre. En 23 ans de cohabitation avec moi, même s’il existe encore quelques zones d’ombres, je sais aujourd’hui ce que je suis, QUI je suis. Du moins je veux avidement le croire.
J’ai défait mes cheveux de mes extensions aujourd’hui et je m’observe dans la glace de ma salle de bain. A part quelques petites chutes sur mes tempes dues à mon ancienne coiffure et à cette mauvaise habitude que j’ai de m’arracher un peu les cheveux de devant en période de stress, ils sont magnifiques. J’ai des repousses et le grain est si gros, comme celui de ma mère. J’aime comme ils sont touffus, j’adore les voir étoffés.
Mais seulement voilà, je n’arrive pas à sauter le pas, à les laisser tels quels. Que voulez-vous que je vous dise ? J’ai un blocage. Je suis des dizaines de pages pour les cheveux afro sur Facebook et j’ai une vraie admiration pour les Nappy girls qui s’assument. Elles sont si belles avec leurs coiffures, leurs boucles, leurs frisettes, on dirait de la laine. Elles me fascinent, j’aimerais leur ressembler. Je voudrais rejoindre le mouvement d’abord par militantisme (revendiquer ma chevelure afro) mais aussi parce que je veux être moi. Ne plus faire de mal à mes cheveux qui n’ont rien demandé avec des produits chimiques. Mais je n’y arrive pas. Une des caractéristiques du Black féminisme est tout de même la chevelure afro. J’ai l’impression donc, erronée peut-être, qu’en devenant gouffa, je serais enfin une afro-féministe accomplie.
Les extensions et le choix du défrisage sont la solution facile. Basculer vers le Nappy et le rester n’est pas à prendre à la légère, c’est un engagement, c’est du courage et de la ténacité. Je ne suis pas sûre qu’en me levant tôt le matin, je veuille bien consacrer 30 min à 45 min juste à ma chevelure (avec des extensions, je n’aurais qu’à les brosser et à les réajuster). Je ne suis pas sûre de vouloir être toujours à la quête de nouveaux produits naturels pour mes cheveux (Aloe verra, huile de Ricin, etc). Je ne crois pas avoir le temps de fabriquer des mixtures spéciales pour eux les weekends plutôt que d’aller voir mes potes (avocat mélangé avec du citron puis du sel ou que sais-je encore ). Mais surtout, je ne suis pas sûre de me plaire telle qu’elle face au miroir puis de plaire. Serais-je moins jolie, moins attirante avec une coupe afro ?
Suis-je un affreux individu qui n’assume pas son identité? Ou le lobby afro m’a t-il trop lavé le cerveau, et que je peux bien être moi sans m’obliger à avoir les cheveux nappy ? Je ne sais pas. Je n’ai pas ce problème avec ma couleur de peau, que je brandis comme un trophée. Je ne veux nullement me blanchir l’épiderme mais avec mes cheveux, c’est plus complexe.
Ainsi, après avoir dénatté mes cheveux, je suis allée au drugstore exotique du coin et ai acheté un produit défrisant pour mes cheveux. Seulement voilà, je lis en ce moment « Américanah » de la nigériane Chimanda Ngozi Adichie.
Et comme je m’enfonce dans son livre et qu’il m’emplit, je me dis que peut-être, il est temps de prendre mon courage à deux mains et sauter le pas, qu’il faut que je laisse tranquille mes cheveux et que j’arrête de les dénaturer.
De la parole au geste il y a parfois tout un océan. Et pendant que j’écris ce billet, je regarde tour à tour la boîte de défrisant portant la mention « super » pour cheveux très crépus, puis mes cheveux, martyrisés depuis des années. Pour lequel vais-je basculer ?