Didier Makal

Les gens adorent les fake news, sachez-le bien!

Les gens, et je le vis chaque jour en République démocratique du Congo, adorent les fake news. C’est en tout cas le moins que l’on puisse dire. Vous ne le saviez pas? Les fake news, les rumeurs, et les manipulations, c’est un peu comme une tasse de thé ou de café bien tapée. On en prend quand on en a besoin, et on recommence. Voilà la conclusion à laquelle, non…


Beni, on dira bientôt de toi béni de Dieu

Les cœurs écartés, en ce décembre pluvieux  Et nos yeux toujours en crue ne trouvent guère  de grève où crier enfants bénis, quand Beni galère  Ils ne trouvent naguère une once des jours heureux  Nous n’irons ni pleurer sur nos tombes Nous n’irions jamais quémander auprès des vendeurs d’armes  Un peu d’airs qui soufflent sur nos âmes  Quelques airs qui rappellent leurs bombes. Nous irons jusqu’au bout de notre fierté …


En RDC, il faut apprendre à compter le temps…

Le temps. Si c’était de l’argent, vraiment, la RDC aurait beaucoup perdu encore… Et encore ! Puisque le temps passe, comme toujours, sans que l’on s’en aperçoive, sans que l’on s’aperçoive de son inexorable course.

Quelqu’un dirait, bien dormeur : ça ne fait que 60 ans que la RDC est indépendante ! La France, les États-Unis, la Chine… se construisent et se sont construits à travers des siècles.

Passer des années, mais à faire quoi?

On aurait ainsi souhaité passer du temps, plus de temps, avec espoir qu’il arrange les choses. Que, du coup, à force de passer des années à attendre, on devienne une démocratie, que nos  universités brillent parce qu’ayant accumulé de l’ancienneté. Ou encore, que nos villes s’urbanisent, notre peuple s’enrichisse, parce que des années sont passées.

En réalité, cet attentisme, non, cette croyance naïve et trop passive cache mal une grave incapacité à prendre la juste mesure du temps qui passe. Puisqu’après tout, passer plus d’années, pour quoi faire et en train de faire quoi précisément ?

Passer à plus de maturité à plus de maturation

59-60 ans, c’est l’âge de maturité, sur le plan socio-psychologique. C’est ainsi connu. Un homme de cet âge est assez vieux pour mourir, au Congo. Toujours dans la métaphore humaine, à cet âge, on est supposé être sage. Ou, pour le moins, assez expérimenté pour réagir promptement à certaines situations. C’est la faim, la maladie, les intempéries, la guerre, l’adversité et la mort, par exemple !

Or, sur ces dernières situations, au Congo, il semble bien que les derniers 59 ans ont été manqués. Du temps manqué, des rendez-vous manqués. Les raisons sont certes multiples. Oui, toutes ne dépendent pas des Congolais seuls. Mais n’est-ce pas inutile et irresponsable de toujours rejeter la faute sur autrui, quand il faut évaluer son action ?

Le temps du Congolais lambda : plus sécurité, tous azimuts!

Ce n’est pas exagéré, par exemple, de constater que les meilleurs hôpitaux pour les dirigeants congolais sont à l’étranger : en Europe ou en Afrique du Sud. Même des farouches défenseurs de la souveraineté congolaise !

Malgré des millions de morts dus aux conflits de tout genre, toujours violents à la fin, le Congo reproduit presque toujours les mêmes actes qui ont produit les mêmes conséquences. Perdurent ainsi : exclusion, tribalisme, clanisme, corruption, haine, ruse et mensonge…

A la fin, il faut apprendre, réapprendre à compter le temps. Cela permettra aux Congolais de rester, sinon d’entrer dans le temps. Le temps mondial, universel. Le temps global, aussi vécu par tout Congolais : le temps des citoyens lambdas, le temps qui porte les mandats électifs des politiciens, le temps des souffrants de la faim, des déplacés des guerres et des réfugiés. Il faut bien le compter : le temps de vivre, de jouir, de fonder une nation plutôt qu’un agrégat de tribus qui cherchent à triompher sur les autres. Le temps du changement, le temps de tous. Va-t-il enfin venir ?


Je suis allé voir le président Tshisekedi, je n’avais pas de veste

Le président Félix Tshisekedi est arrivé à Lubumbashi vendredi 12 avril. Première visite d’un nouveau président, promis à une alternance tous azimuts dans la capitale mondiale du cuivre et du cobalt. Mais où beaucoup de gens, moi y compris, ne savent pas en réalité à quoi servent ces minerais. Pour le Congolais ordinaire, précisez bien.

Le samedi, soit un jour après l’arrivée du président Tshisekedi, je suis dans une équipe des leaders de la société civile. Ils vont demander au chef de l’État que cessent impunité, corruption et insécurité qui mettent à genoux et l’économie de la région, et la paix sociale. Puisque ces derniers temps, à Lubumbashi, on ne parle que d’une chose qui écœure encore plus qu’à son apparition en 2016 : les vols massifs avec viols et tueries.

En attendant d’être reçu par le président Tshisekedi

A 13h TU. Le président devait donc nous recevoir. Allons-y donc vite vite.

Pour dire changement à un président promis au changement, je suis quand même dans la délégation et bien dans ma peau ! J’y suis, en plus, le plus jeune, avec une dizaine des aînés quinquagénaires. J’ai un bloc-note, un smartphone et un stylo. Réflexe journalistique!

C’est l’heure. Nous nous approchons du bureau où le président reçoit, au gouvernorat du Haut-Katanga.

« Toi, tu viens voir le chef de l’État en chemise ? » m’apostrophe un aîné. Puis un autre renchérit : « on ne te laissera pas entrer comme ça. »

Sans chemise, parmi les gens en veste…

Je suis en effet, le seul de l’équipe sans veste au dessus. Parmi les hommes, faut-il préciser. Puisque deux femmes n’en n’ont pas. Elles sont en libaya, une sorte de blouse en pagne, devenu par une incompréhensible alchimie symbole de féminité africaine.

Mais… bon, mais laissons le pagne ! Revenons à ma chemise. Je ne suis pas quand même sans habits. Ma chemise, bien repassée et bien blanche, n’est pas mal non plus. Je ne peux pas m’admettre mal vêtu ni dévêtu d’ailleurs.

Finalement, comment se présenter devant le président ?

Je ne réponds pas à mes aînés. Mais leur reproche entame ma confiance en moi. On a beau être opiniâtre, devant les coutumes, on finit par avoir tort et se révéler ridicule. Même si ce sont ces coutumes qui le sont plus que les opiniâtres.

En effet, dès l’instant avant de sortir de ma maison, j’ai décidé de ne pas porter de veste. Oui, c’est fou non ? Pourquoi voir son excellence monsieur le président de la République en chemise ? N’est-ce pas un manque de considération, me dirait un “mouvancier” lambda ou simplement un sacré conformiste. Mais, en réalité, pourquoi on ne verrait pas son président en portant simplement et bonnement une chemise, et même en t-shirt ? Et pourquoi pas même “dévêtu” ? Ce n’est pas exagéré. Est-ce pour dire qu’il faut être chic, présentable pour voir son président ? C’est-à-dire privilégier la forme plutôt que le fond ? Est-ce à dire que le président ne l’est que pour ceux qui font bonne impression ? Que les mal-fringués n’ont pas le droit à le voir ? Et s’Ils sont incapables de se payer de fringues bling-bling, c’est de leur faute ? Alors qu’ils ont élu président, députés et sénateurs pour être mieux ?

Non, assez trop bien habillés, Congolais !

Non. Je refuse de jouer le jeu (oh, lourdeur !) des flatteurs. Oui, c’est trop flatteur et même hypocrite ce penchant congolais à faire bonne impression. Je refuse. Si un jour le président accepte de me recevoir, où que ce soit, je serai en chemise. Peut être même en t-shirt. S’il refuse, j’irai regarder un film. Bref, je souhaite que dans mon pays, la RDC, qui a déjà assez d’urgences, on se penche sur les vrais problèmes. Mieux ou mal se vêtir ce n’est pas ça qui développe ou sous-développe notre pays. Il faut savoir écouter ce que les gens vous disent plutôt que comment ils sont habillés. Je ne crois pas que cela soit vraiment un ordre du président que seuls les mieux chics le voient. C’est l’oeuvre du conformisme ridicule congolais.

Pour tout vous dire, nous n’avons même pas été reçus. Le protocole attendait des musiciens, à l’heure. On n’était pas enregistrés.

Je suis plus souplement reparti, sans veste sur moi, que mes chers aînés très “endimanchés” comme on le dit à Lubumbashi.


Les Gilets jaunes français vus du Congo

J’ai vu, j’ai entendu parler les Gilets jaunes. A la télévision, bien entendu. Je les ai regardés avec étonnement. Je suis chaque fois sans mots, lorsqu’ils paraissent sur la place publique, en France.

Samedi encore, ils étaient là. « Pourquoi manifestent-ils? Que demandent-ils? » me demandait une amie. « Ils protestent, au départ, contre la hausse de prix de carburant. Depuis quelques temps, ils réclament encore plus…» ai-je répondu. Et « le président Macron ne cède pas? » « Tiens donc ! Même en France, le gouvernement fait pareil? » se surprend l’amie.

En France aussi ?

Là je me suis réveillé. Redressé dans mon fauteuil, je commençais à prendre les questions de mon amie très au sérieux. Oui, car je me pose la même question depuis que je regarde les protestants. Les Gilets jaunes à Paris.

Le jour où ces manifestations m’ont captivé, les Gilets jaunes étaient sur les Champs-Elysées. Ce jour-là, la France me surprenait à deux titres. D’abord, l’idée que les manifestants dérapent ou cassent même si cela n’a pas été prévu au départ. Et que les pouvoirs publics recourent à la langue de bois, les criminalisent ou les présentent comme insensés.

Mais aussi le niveau de brutalité de la police. « Vraiment comme on le vit parfois en Afrique, particulièrement au Congo-Zaïre », s’exclamait une autre camarade avec qui je travaille. Les Gilets jaunes occupaient les Champs-Elysées alors pour la première fois. Nous regardions la scène, en direct des Champs-Elysées sur une télévision française. Elle avait stoppé tous ses programmes en faveur du direct qui avait pris plusieurs heures.

Des violences policières seraient-elles universelles ?

Je me rappelle avoir vu un policier se déchaîner sur un manifestant qui n’avait pour armes que son gilet jaune, sa grande gueule et sa présence soutenue par d’autres, sans doute, plus dérangeantes. « Je n’imaginais pas l’Etat français, et sa police, capables de pareille violences », me suis-je dit.

Attention, procéder par des généralisations, « l’Etat français », « la police », est bien malheureux dans pareils cas. Mais les médias nous habituent à ça, que les débordements aient lieu ici (Afrique) ou là-bas (Europe). Assumons donc ici !

La scène était surréaliste. Mais je pouvais la comprendre. Sur les Champs-Elysées, ou place de la Bastille, les manifestants s’en sont pris à des symboles du pouvoir. Et Paris en prenait un coup, en termes d’image. C’est difficile d’imaginer que la police, ni Macron quelque extrêmement démocratique qu’on puisse l’imaginer, ne pouvaient laisser faire. Ça, on comprend. Mais la police n’avait-elle que la brutalité, parfois l’inutile violence pour gérer la situation ?

Ici, la police maintient de l’ordre avec des armes létales

Je me suis alors mis à penser à l’image que nous avons et contribuons à faire circuler de notre police congolaise, ou ailleurs chez des présidents fondateurs. Je l’avoue négative, globalement. Peut-être que nous sommes trop durs envers nous-mêmes. Peut-être que c’est propre à des policiers de prendre pour cible des manifestants… Même si cette police s’est montrée capable d’attitude vraiment protectrice et neutre, nous la critiquons. C’est peut-être aussi parce qu’elle se montre plus au service du pouvoir que de la population. Mais là, en France, le rapprochement devient parfois possible entre les deux polices du monde…

Peut-être que les deux, polices d’ici et de là-bas, ont en eux des explications sociologiques qui les opposent, et que je ne saisis pas jusqu’ici. A la seule différence, peut-être, au Congo, que la police va mettre de l’ordre avec des armes létales et dégainent très facilement sur des civils désarmés.

Mais quand je pense à ce policier français attaquant un Gilet jaune sans gêne, je me dis que s’il avait une kalache au point, il zigouillerait lui aussi ses compatriotes. Comme cela a lieu souvent ici. Ce que j’ai vu de peut être positif, enfin, c’est se sachant filmés, les flics n’ont pas attaqué les équipes de reportage qui annonçaient au monde ces scènes surprenantes.


Les 3 trucs qui vous rendent malpoli sur les réseaux sociaux

Les messages ne cessent de pleuvoir sur les réseaux sociaux. C’est pratiquement comme la peste. De grâce, ne vous servez plus de WhatsApp, Facebook et Twitter pour vous rendre impopulaire!

Il existe des réseaux sociaux que beaucoup prétendent connaître lorsqu’on en parle. C’est le cas de WhatsApp, Facebook et Twitter. Oui, c’est simple comme bonjour, n’est-ce pas? Sauf que quand il faut les utiliser, nombreux sont ceux qui, au lieu de se faire des amis, se font des ennemis… Alors qu’ils rêvent de popularité et de donner plus d’impact à leurs publications, ils énervent. Cela s’appelle effet boomerang !

Voici donc pourquoi c’est si important d’éviter d’être mal poli, de devenir mal aimé, en utilisant les réseaux sociaux (RS).

Ne pas abuser des identifications

Les trois RS cités (Facebook, Twitter et WhatsApp) donnent la possibilité d’identifier des personnes dans des publications. Il suffit, pour les trois, de précéder le nom d’une personne du symbole @. Facebook permet d’identifier ses contacts, et même des personnes qui ne sont pas en contact avec vous, directement dans vos publications. Il suffit alors de taper leurs noms dans le texte à publier, ou plus en bas, à côté de l’icône de localisation géographique.

L’avantage, c’est que votre réseau social envoie directement une notification à votre contact. Cela fonctionne comme une invitation à vous lire. Aussi, vous supposez que ce dont vous parlez va l’intéresser. Et c’est là que commence le plus dur, à mon sens. La question est : pourquoi pensez-vous que votre publication va plaire à un tel? Le connaissez-vous suffisamment pour savoir qu’il vous lira?

Disons que cela peut fonctionner chez certaines personnes. Mais s’il n’est pas intéressé ? Vous commencez à ennuyer. Deux, trois fois de suite, monsieur/madame n’y trouve pas son compte, vous commencez à déranger. Ça devient mal poli. C’est simple non? Passons à une autre dérive sur les RS.

Pas trop de messages « Inbox » ou dans un groupe

Une des merveilles qu’Internet rend possible, c’est le partage. Mais bien souvent, demandez-vous bien si ce que vous partagez arrive bien à propos pour intéresser l’autre. J’imagine trouver mon médecin, dans son cabinet, plongé dans la lecture des 2 000 messages WhatsApp tombés dans la nuit sur son téléphone, depuis sa dernière connexion. Est-ce possible ? Peut-être. Est-ce supportable, quand vous arrivez avec une fièvre ? Pas très sûr !

Passons. Imaginez alors que c’est vous. Vous êtes dans trois, quatre, cinq groupes. Vous avez chaque jour 12 amis qui vous écrivent… Je parie qu’au final, on ne vous lira plus. Puisque vous exagérez. Le danger, c’est que si l’on vous classe parmi les dérangeurs, même le jour où vous appelez à l’aide votre médecin, parce que vous avez un AVC, il risque de vous lire quand vous serez déjà en train de congeler dans votre frigo, attendant votre inhumation. Non, je ne le souhaite pas! Mais pensez-y. N’ennuyez plus!

Pas trop de photos, trop de vulgarité ou trop de bla-bla

Certaines personnes sur les RS pensent que tout ce qui leur a plu va forcément plaire à tous. C’est vraiment terrible. Ils vous bombardent alors avec tout, et rien du tout à la fois : canulars, infox, photos érotiques, du porno… on fait quoi avec? Et que dites-vous de vous même? Que vous êtes un génial transporteur de fausses nouvelles, des nouvelles que tout le monde est censé lire, en parlant d’actualité? Oui, je connais des gars qui ont pour excuse : « transmis comme reçu ! » Mais cette malheureuse mise en garde ne compte pas dans la mesure où vous avez partagé. Vous avez beau dire « retweeter n’est pas endosser la responsabilité », mais vous vous engagez dès lors que vous cliquez sur “j’aime”, « partager », etc.

Bref, évitez d’être malpoli et d’ennuyer. Pensez souvent à ce que peuvent dire les personnes qui vous lisent souvent. N’oubliez pas que Facebook notifie vos contacts, du moins les plus actifs avec vous, chaque fois que vous publiez. Vous le faites dix fois le jour, dix fois ils vous subiront. Comptez aussi que chaque fois que quelqu’un commentera, partagera, cliquera sur “J’aime”… Oui, toutes ces fois-là, ils recevront des notifications. N’est-ce pas déjà pénible, certaines amitiés sur les RS ? Pensez-y !

 


Douarnenez, je t’aime

Douarnenez, je n’en savais rien du tout, je ne savais même pas comment prononcer ce nom. Réponse : contrairement à ce qu’on lit, on dit « Douarnené » !
Avant le départ beaucoup de questions… très vite, réflexe Google ! Google maps, des articles de presse, des photos, la météo. Un curieux, membre du collectif de blogueurs Habari RDC, arrive ainsi au festival de cinéma consacré aux « Peuples des CongoS ». Notez bien le S qui veut dire que l’on parle du Congo Kinshasa et du Congo Brazzaville.

Avec un peu d’aide j’ai obtenu mon visa pour la France. Douarnenez j’ arrive ! D’abord Paris, ses grands bâtiments, ses bus connectés où l’on surfe comme dans son salon… Ensuite direction la Bretagne, avec le TGV Paris–Quimper! Tout est nouveau. Ne rigole pas ami mbenguiste !

Un doux moment à Douarnenez en Bretagne

Quelle région, la Bretagne! Tout est vert, peu importe la saison en cours… mais pour un gars qui arrive des tropiques, où tout grisonne dès le mois d’avril, quel régal ! Vue du train impressionnante. Des champs à perte de vue, des éoliennes, des tunnels, des petites villes plus calmes et plus humaines que Paris la grande capitale. « Terminus! Terminus Quimper, mesdames et messieurs », annonce une voix, les passagers descendent descendent du train. On se grouille. Enfin, l’enfant de Lubumbashi est à Douarnenez !

Douarnenez, festival
Place de la poste, Douarnenez, le lieu du festival de cinéma. Photo Didier Makal, 2018.

La ville me plaît d’emblée. Petite, je le savais déjà, grâce à Internet. Sur le bord de l’Atlantique, oui, je le savais aussi. Mais je découvre une ville calme, et chaleureuse, malgré les 18℃ qu’indique la météo. Pour un habitant de Lubumbashi, au sud-est de la RDC qui vit parfois 6℃ en juin-juillet, mon pullover peut rester dans le sac.

Des gens sympas à Douarnenez

Mais quels gens, ces bretons ! Je ne loge pas dans un hôtel, c’est-à-dire dans un « monsieur, madame reste chez toi et viens discuter avec nous à l’heure fixée », mais dans un « je t’invite à discuter avec moi jusqu’à fatiguer », C’est-à-dire dans une famille d’accueil ! Une famille très aimable m’a reçu dans sa maison !

Pour cette occasion, presque tout le monde à Douarnenez accueille au moins un invité. Un moment incroyable d’échange, de découvertes et de dégustations des « spécialités locales ». J’ai découvert des gens attentionnés, curieux, désireux de savoir, de comprendre (d’ailleurs, j’en ai fait autant). Simplement humains. Etaient aussi présents plein d’artistes locaux et/ou venus d’ailleurs, j’ai découvert des webacteurs. J’ai aussi découvert la webradio « Vos gueules les mouettes ! »

Douarnrnez, Festival
Douarnenez: le public devant une salle de cinéma. Photo Didier Makal, 2018.

Une ville aimable

j’ai été frappé par l’amabilité des habitants de Douarnenez, c’est peut-être une caractéristique des villes plus petites, tout le contraire des mégalopoles où se frottent circulation intense et individualisme assassin.

Il faut sans doute beaucoup de temps pour comprendre un peuple, plus de temps que pour conclure à la chaleur ou non de Douarnenez ! Mais, on le sait bien, le long terme est fait de courts termes. Et celui que j’ai vécu dans cette ville me donne envie de dire que Douarnenez est une ville que j’aime !


Ils se prennent pour des rois, ils ignorent ce qu’est l’ Afrique

Faites un tour des palais présidentiels, des armoiries de leurs pouvoirs. Revisitez les images phares des dirigeants politiques tristement célèbres comme Mobutu, Bongo, Bokasa… ils inspirent le pouvoir traditionnel africain dont ils arborent des insignes. Vous vous rendez compte que ces détenteurs du pouvoir politique moderne se prennent pour des rois d’Afrique. Sacré amalgame !

Né zaïrois, et accidentellement un d’illustres inconnus et fugaces chantres à la gloire de l’idéel Mobutu, durant mes premières années de scolarisation, je l’ai pris d’abord pour un chef coutumier. Un chef, comme ce que mon papa m’a appris à devenir, comme tout petit prince, né d’une lignée des chefs de Chitzau dans le Kapanga, en RDC.

Le chef est sacré en Afrique

Puis, grandissant, j’ai réalisé que Mobutu, que personne n’osait librement nommer dans une conversation, était un chef pas comme celui que j’étais appelé à devenir peut-être un jour. J’ai aussi découvert trop d’amalgames, trop de mensonges entourant l’image du président de la République, des ministres, des gouverneurs, … de ces autorités qui se croient chefs à l’image de nos chefferies traditionnelles. Et pour entretenir ce mensonge, ils se couvrent d’attributs du pouvoir traditionnel.

Déjà, je constate que c’est manquer d’honnêteté. Et qu’attendre alors des types malhonnêtes à ce point ? Du président Mobutu, par exemple, tous les zaïrois ont appris que :

  • Le chef est sacré, on ne joue donc pas avec lui
  • On danse pour le chef, on lui rend service
  • On ne le critique pas, « on ne crayonne pas le chef », on le loue, etc.

Les chefs ne sont pas les seuls sacrés en Afrique

Tout cela se poursuit ici et ailleurs sur le continent. Voici donc pourquoi ils ne connaissent pas l’Afrique qu’ils essaient de nous enseigner. Une Afrique qui n’existe pas, en tout cas dans mon expérience kapangais.

D’abord, lorsque les politiques déclarent que le chef est sacré, en Afrique, ils veulent qu’on les respecte à l’absolu. Le respect, pourtant, on le doit à tout homme, même au bas de l’échelle sociale. Car, après tout, dans cette Afrique, et le chef et toute vie d’ailleurs… tout est sacré.

On a aussi des rivières, des forêts et des terres sacrées. Il s’agit ainsi de respecter l’ordre naturel, la vie. On les respecte. Les chefs prient, font des offrandes pour que les récoltes soient bonnes, que les épidémies passent, ils chassent les fantômes des villages… Sauf que nombreux parmi ces sacrés chefs modernes qui se croient traditionnels, ne respectent ni la vie, ni les choses sacrées. Ils affament leurs peuples, ne font pas grand-chose pour définitivement en finir avec les épidémies et la pauvreté.

Gorée, Esclaves, Afrique
Des esclaves africains, photographie d’une décoration sur l’île de Gorée, Sénégal-Dakar. Photo Didier Makal, 2015

Les chefs ne détestent pas la critique

Dans nos villages les plus africains, à Chitazu par exemple, les chefs ne sont pas à l’abri des critiques. Bien au contraire. Même l’absolu Mwant Yav, l’empereur des Lunda, dans l’ancien Katanga, est publiquement critiqué. Un chef a le devoir de collecter des critiques des citoyens, et profite des manifestations publiques pour les lui crier, à son passage. Il ne le tue pas, il ne supprime pas ce rôle…

Aussi, j’ai appris dès mon enfance que le chef rend service. Ceci restera à jamais l’image du chef au service du peuple. Tenez ! Une furieuse pluie commence à tomber, obscurcissant le village qu’il a couvert de son nuage épais. Bientôt grondements et tonnerres se multiplient. Oiseaux, chèvres, moutons et villageois se cachent. Sorti de son palais, le chef se mouille, luttant contre des foudres qu’il croit sur le point de s’abattre sur le village. Il y reste jusqu’à la fin de cet orage. Il a fait son devoir : protéger son peuple. C’est pour cela qu’il est devenu chef.

L’ennui, lorsque les politiques se réclament du pouvoir traditionnel, ils ignorent ce sens du devoir. Plusieurs croient qu’on leur doit beaucoup, sinon tout. Ils ne connaissent pas l’Afrique qu’ils veulent présenter, simplement pour justifier leurs envies démesurées.


Notre parler français anglo-swahilisé de Lubumbashi

Afin que vous ne vous perdiez point

« On ne sait jamais », comme on le dit sans cesse chez moi à Lubumbashi, grande ville la plus septentrionale du Congo (RDC). Savez-vous que nos voisins immédiats sont Zambiens, et qu’ils parlent swahili (tout comme le Kibemba d’ailleurs) ? Mais ceci n’impressionne guère, ce sont des langues que nous partageons, en plus de nos mariages, des champs communs aux frontières et diverses habitudes culturelles. Nous avons cela en commun.

Mais ce qui impressionne le plus, c’est que nos cousins disent « I am » quand chez nous on est dans le « Je suis ». Pour faire simple : ils sont anglophones et cela est loin d’être ringard chez nous. Nous, on est francophone et je n’en rougis jamais. Au contraire. Sauf que dans cette ville des plus francophiles du Congo, Lubumbashi, on a parfois moins les yeux tournés vers la capitale Kinshasa que vers l’Afrique australe, avec pour toute identité le « I am ».

L’Anglais, ça fait plus actuel à Lubumbashi

L’Anglais, en effet, sonne plus neuf, moins vieux que le français bien qu’elle soit toujours la langue des flâneurs, au positif. Ces gens qui ont fait de longue études et qui veulent parfois par leur « vous avez » et leur « je suis », montrer leur élitisme. Mais l’anglais lui, quand on le balance dans notre français, ça fait plus actuel, plus connecté… mais je ne blâme pas cela, au contraire!

Le Français au Congo doit être châtié, avec fierté. Beaucoup même. Car il a valu à nos aïeux la chicotte, et ce n’est pas si éloigné de nous. A nous à qui il a valu des fouets pour conjuguer des verbes au subjonctif, sous des formes du genre « Que nous mangeassions », … ou encore : « il eût fallu qu’il vinsse » ! Allez, stoppons cette flânerie, et revenons donc à Lubumbashi, cette ville qui se rêve de plus en plus en Anglais et en swahili.

Un parler métissé

Vous vous perdriez, sans doute, à espérer trouver un parler puriste dans cette ville qui a vu fleurir de grands écrivains comme Valentin Mudimbe, Georges Ngal ou Julien Kilanga. Dommage pour vous. Notre parler français de Lubumbashi est séduisant. Il faut voir frimer jeunes et vieux, moins lettrés et moins favorisés, avec leurs langages drôlement et joliment métissés.

« Un truck est entré en collision avec une voiture »… annonce une journaliste dans un bulletin d’information sur une radio locale. J’esquisse un sourire. Truck, c’est de l’anglais. En français, si on est têtu, on dirait « camion ». Mais qu’importe!

Un soir, alors que je me mets à lire mes mails, je tombe sur cette « urgence » qui m’invite à confirmer ma participation à la « Global week ». Yes! Ça y est non ? Voilà qui me retient un instant, réfléchissant sur ces mots qui inondent de plus en plus notre parler français. Couramment on dit « je prends un booking », pour dire qu’un taxi m’emmène à… ! C’est joli non ?

Et le Swahili dans notre Français, mais c’est croustillant !

J’en reviens au constat final que ce n’est pas le swahili qui a laissé la langue de Molière faire son bon nombre de chemin. « Allons manger le bukari » … m’invite madame qui vient de dresser la table. Le bukari, c’est le fufu (foufou), la pâte faite à base de farine de maïs ou de manioc (ou les deux ensemble). Elle est mangée accompagnée de presque tous les mets: viandes, poissons, légumes, etc.

Jeudi, alors qu’il nous entretenait sur le début des examens du premier semestre, un doyen de faculté, à l’université, m’a égayé en lançant à un chercheur une incise dans une phrase correctement construite en français : « mwe na mweye! » Traduisez : vous aussi! L’assistance a applaudi la beauté stylistique.

Tropicaliser le Français

Je suis longtemps resté à réfléchir sur ces explosions africaines congolaises qui font notre parler français. Un français dans lequel se perdrait un peu, mais pas sérieusement (n’exagérons pas non plus) un non-initié… des sonorités africaines en français, pour exprimer des choses indicibles en français. C’est ce que montre le Congolais Soni Labou Tansi, porte-voix de la tropicalisation du Français.

Alors j’entends dire, et c’est un parlé swahilisé : « Il est mort (de) la mort » (anakufwa lufu), pour dire mourir d’une mort simplement naturelle. Traduction du swahili « kufwa lufu », pour « mourir la mort », expression déjà décortiquée par l’écrivain Labou Tansi. Pour le reste, on verra ça une autre fois.


En RDC, les médias projettent toujours plus de passion

En République démocratique du Congo, RDC, les gens aiment la télévision et les passions qu’elle charrie. D’autres, en revanche, s’en détournent parce qu’ils n’y en trouvent pas le contenu qu’ils cherchent. Ils vont alors les chercher dans les télévisions étrangères, cryptées.

Voilà qui ouvre une voie presqu’inexorable aux puissantes et irrésistibles industries audiovisuelles étrangères. Cette entrée en RDC, en effet, date déjà des années de l’indépendance où après la radio, la télévision étrangère concurrence impitoyablement la précaire (à tous points de vue) télévision locale.

Les gens désaffectionnent davantage les télévisions congolaises

Bien plus, depuis que les nouveaux dirigeants ont fait en sorte d’être présentés comme des dieux adorés sur les télévisions nationales africaines, on assiste à une désaffection accélérée des publics congolais pour leur audiovisuel. La télévision est un média qui charrie beaucoup de passions et d’émotions. Elle affole, en réalité, à Lubumbashi où je vis.

La course aux passions, en effet, atteint un seuil tellement puissant que l’on ne veut plus réfléchir, ni à Kinshasa, ni à Lubumbashi, ni dans les autres villes. Un homme vient de s’ouvrir accidentellement le mollet devant les limites d’une parcelle au centre de cette dernière ville. Les gens retiennent le malade, plutôt que de courir avec lui à un hôpital situé à 150m du lieu où ils se trouvent. Ils appellent instentanément la télévision où je travaille. Cela doit être vu à la télévision. Il faut dénoncer, surtout, le maître imprudent qui s’est mis en danger. Je ne suis jamais allé couvrir l’événement, me contentant de les appeler à sauver une vie.

Un téléviseur, ça fait plus actuel

Un téléviseur, cela reste encore un de ces attributs du bien-être social que l’on voudrait montrer à tous. Dans les salons des maisons dans ma ville, les écrans LCD, de plus en plus souvent connectés à Canal +, sont nos enfants cadets. Gâtés donc. On les essuie, on les couvre, on les dorlote, on les chérit parfois au même titre que les gamins des foyers.

Les télévisions locales, en RDC, l’ont bien compris : elles perdent de l’audience à mesure que croît la désaffection populaire, et que pénètrent les grands diffuseurs étrangers. Le français Canal + et le chinois Startimes rivalisent de stratégies d’attractions pour attirer de nouveaux utilisateurs. Ils morcellent les bouquets de façon à les rendre accessibles, à moindre coût.

On veut, en effet, plus d’amour, plus de rêve, plus de passion. Des histoires pour curer des âmes déjà peinées majoritairement par la pauvreté, les violences diverses et le chômage. Rêver devant son téléviseur, alors adossé sur un canapé presque monarchique, a des pouvoirs cathartiques. On se convainc que demain, ça ira, avec l’aide de Dieu – auquel on croit toujours, chez les congolais.

Les films et les séries attirent encore plus que les JT

C’est pourquoi les films nigérians, très empreints de superstitions, mélangeant prophéties et sorcelleries, ont plein de succès. C’est aussi parce que le « bolingo » (amour, en Lingala) tant chanté dans la rumba congolaise n’attire plus, n’arrive plus à transporter les gens. Et voilà alors pourquoi la télévision la plus en vogue à Lubumbashi, c’est Novelas, la solution pour plein de rêves. Depuis  l’intronisation de cette dernière, tous les médias congolais courent après émotions et passions, se sachant d’office perdants face à la concurrence étrangère. Il faut faire comme Novelas, même sans les moyens de cette chaîne cryptée. Même dans les JT (journaux télévisés), l’information n’est plus mise en perspective.

En revanche, des télévisions brillantes, diffuseuses d’informations à peu près à l’image des leurs plateaux d’incrustation, bling-bling, rêvent de faire « comme France 24 ». Une d’elles se targue même d’être « Hollywood » et excelle alors dans les films et séries, généralement piratés. Les autres contenus, par ailleurs, restent insipides. Autour des ministres, par exemple, même appelés à des conférences, des journalistes montrent des foules arborant des drapeaux. Ils préfèrent proposer des séquences du genre « je déclare ouverte la conférence », au lieu d’offrir le contenu de leurs exposés.


L’homme qui ne voulait pas avoir de problèmes

Il ne voulait plus du monde. Moto voulait fuir l’homme. Un peu comme les ermites, mais pas exactement. Puisque, dans son passé de moins en moins connu du monde, l’homme avait aimé, beaucoup même, un peu comme le Christ. Mais il ne finirait pas comme lui. Ses yeux en avaient vu assez et au final, il ne reverrait plus personne, ne se rendrait plus chez personne. Les gens sont sources de problème, avait-il fini par se convaincre.

Moto a vu tomber des puissants, pour avoir fait confiance… il compte des trahisons, des amis, des femmes, des voisins. Il connaît des couples disloqués par des rumeurs, des fausses accusations. Dans sa jeunesse extravertie et humaniste, il en a vu pire encore. Des morts, des suicidés, des inconsolables comme lui. Mais de son histoire, il ne parle jamais.

Seul pour vivre sans problèmes

Voilà ce qu’il a raconté à quelques rares personnes à qui il s’est risqué d’avouer ses raisons de solitarité. Depuis naguère, cela ne sert plus à rien de l’imaginer seul et endurci, dans un environnement où même les moins coquins de tous se marient. Moto ne sortait ni pour regarder un match de football, pour une fête de mariage ou une visite à quiconque.

Chaque jour, Moto était courbé, interrogeant ses fils, tissant ses nattes. Il ne recevait plus que ses clients et tout discours se résumait en « bonjour », le prix des nattes, « merci », après avoir reçu son dû. Puis, « au revoir ». Jusque-là, sa réputation était restée inchangée. Aucun problème n’avait frappé à sa porte.

Mais là c’était avant cet après-midi qui signa des marques indélébiles son cœur des plus naufragés du siècle.

Solitude, problèmes
Solitude. Commons / Max Pixel
Les problèmes vont à l’ermite solitaire

Le ciel se chargeait de nuages pluvieux. Le vent soufflait inlassablement. Haletante, arrive une jeune femme du quartier. Elle supplie Moto de coucher son bébé près de lui sur une natte pendant qu’elle descendrait puiser de l’eau à la source située à quelques cinq minutes de là.

Le bon monsieur avait beau porter des blessures béantes et réputées « incurées » et incurables. Mais le pathos naturel que l’on appelle parfois « le bien », ne l’avait pas quitté. Pas du tout. Sans lever ses yeux, il acquiesça. Toujours à incliné sous l’ombre d’un manguier devenue son unique complice.

La bonne dame revint des instants après, air pressée. Moto n’avait pas bougé d’un seul iota. Pas non plus le plan d’inclinaison de sa tête chenue. Tisser ses nattes avait fini par devenir un office religieux, une espèce d’état cathartique qu’un passe-temps ou une quelconque activité commerciale. C’était sa femme, ses enfants, tout ce qu’il avait de valeureux dans sa vie.

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Moto accusé d’infanticide

Aussitôt qu’elle reprit l’enfant, la jeune dame lui hurla imprécations et injures. Elle accusait Moto d’avoir tué son enfant. Eberlué, l’homme qui ne voulait pas de problème en avait un en ce moment-là. Il crut d’abord à une sale blague. Mais blague, après tout, ce n’était pas avec lui que la première venue oserait. Sans le chercher, le problème était arrivé jusqu’à lui. Moto était dans de beaux draps.

Je crois que c’est toujours un compte, cette histoire que vous venez de lire, sous ma sauce Kapangaise. Mais mon grand-père, puis ma mère, me l’ont contée maintes fois. A chaque fois ils m’invitaient à ne pas voir partout les problèmes et ainsi vivre dans un délire de persécutions. Il faut savoir positiver certaines situations, même désagréables. Mais surtout, ils m’ont conté cette histoire contée sous des versions multiples en RDC, je crois bien, pour dire qu’il faut ouvrir l’œil, porter d’autres derrière sa tête pour ne pas regretter sa vie. Moto le tisserand l’avait appris à son dépend. Bientôt, il allait peut-être se rouvrir à l’humanité.


Huée pour n’avoir pas pleuré à son mariage

On pleure de douleur ou de joie. Ce n’est pas nouveau. Mais on pleure aussi à la demande, non pas comme les pleureuses africaines savent surprendre les étrangers. Non. Mais pleurer quand quelqu’un le demande, devant des yeux assoiffés de larmes. A un mariage, par exemple. On s’en fout que cela soit du chiqué.


C’est l’histoire d’une jeune femme que son père donne en mariage. Solange doit quitter Kalamb, un village perdu dans le territoire de Kapanga, dans le Lualaba, au sud de la République démocratique du Congo. A 16 heures, la cérémonie s’accélère. Le village accourt où la charmante Solange est sur le point de partir pour fonder son foyer, à Chitazu, à quelques 30 kilomètres de là.

Les amis de l’époux, que l’on connaît mal d’ailleurs, dansent, presque endiablés au rythme des variétés musicales bien aimées de Kinshasa. On a oublié le tam-tam. L’ère moderne souffle un peu partout non ? Mais les jeunes gens ne pouvant se faire la critique de n’avoir pas réussi à convaincre le cœur d’une si jolie fille qui s’en va ailleurs ont presque boycotté l’événement.

Mariage sans salle de fête, sans gâteau

Le plus simple du monde, ce mariage, vu de Lubumbashi ! Sans salle de fête, sans gâteau de mariage, sans invitations imprimées, mais tout le monde y est le bienvenu en ce mois de septembre 2008.

A 16h30, il est plus que tard. Les mariés doivent se mettre en route vers Chitazu. Ils n’ont que le vélo pour aller plus vite que le coucher du soleil. La mariée doit arriver chez elle et être vue de tous, à la lumière du jour… Chaque mariage est sans doute une occasion pour dire à ses proches combien on a su se contenir. Mais aussi, quand c’est une jolie qu’on amène à domicile, il faut que le monde le sache et le voit de ses propres yeux. Hein !

Cinq minutes plus tard, la mariée arrive non pas de la porte sur laquelle restent fixés tous les yeux. La charmante Solange descend de l’arrière d’un vélo, couverte des cheveux aux pieds.

Pas de trône pour les mariés, mais une natte

La cérémonie finale de mariage commence. Sans gâteau, sans champagne, sans pétales de roses. Tout a pourtant l’air génial et solennel. Silence. Tous les yeux sont fixés sur les mariés, assis sur une natte, jambes allongées en avant. Certains ont même des yeux derrière leurs têtes : deux pour admirer la danse, et surtout deux ou trois de plus pour voir des larmes. La mariée, ça doit pleurer. C’est une loi que certaines femmes veulent immuable.

Mais sur les joues pétillantes de fraicheur de Solange, aucune larme à se mettre sous la dent (l’œil !). Bientôt finit la cérémonie de mariage selon la coutume des Aruund (les Lunda), peuple du Lualaba, établi notamment dans le Kapanga.

« Pleure, Solange, pleure même un peu ! »

Finis les conseils aux mariés. Le maître de la cérémonie, le père de Solange, bourré comme une abeille, a pris un gobelet rempli de vin de palme. Il le vide d’un trait au lieu de retenir. Il devait prendre juste une gorgée à rependre sur les mains des mariés en signe de bénédiction. L’assistance se délectera au moins de l’insolite, mais pas de larmes. Solange est livrée à son époux, à la reprise de la cérémonie.

C’est alors que monte, au lieu d’applaudissements censés accompagner les mariés, des appels pressants à la mariée. « Pleure, Solange, pleure même un peu ! » insistent-ils. Mais la brave n’a rien à leur mettre offrir. La pauvre ! Elle force des clignements répétés de ses yeux assaillis de regards des juges. Pas de larmes. Puis, montée sur le vélo, tout neuf (un luxe, faut-il noter), elle file. L’assistance est déçue et la hue fortement. Ce n’est pas non plus nouveau ça. C’est le sort connu de femme qui ne coule de larmes à son mariage.

On pense que, la mariée qui ne pleure pas…

La question m’intéresse. J’en profite, plus tard, pour demander à ma mère si elle aussi, le jour où mon père la prenait, elle avait pleuré. Comprenez déjà que dans ce pays, les femmes vont vivre sans les familles de leurs époux. Presque toujours ! Ma mère rigole. Elle me dit que ce sont des traditions informelles, auxquelles tiennent plusieurs personnes. Que de plus en plus, elles paraissent ridicules pour des jeunes comme nous.

On pense que la mariée qui ne pleure pas à son mariage est heureuse et pressée de partir, de quitter ses parents. Où elle va, elle pourrait être maltraitée, parce que connue comme portant moins d’affection pour sa famille qu’elle n’osera pas rejoindre. Celles qui pleurent, on les croit prêtes à retourner chez leurs parents au moindre problème. Et on les gâte… Folle interprétation d’une culture informelle.

Se marier serait-il malheureux pour se mettre à pleurer ? Depuis, lorsque les gens pleurent, je me demande toujours ce qui se passe. Je regarde dans leurs yeux, je cherche le moindre signe qui me dise qu’ils mentent ou ont réellement mal. Cela est distrayant, et ennuyeux en même temps, je vous l’avoue.


Un voyage d’ennuis de vos rêves en train congolais

Vous avez déjà entendu parler du train des malheurs, en République démocratique du Congo, RDC, œuvre du littéraire Pie Tshibanda. Non. Je ne vous parle pas ici de cette noire histoire de xénophobie. Des Congolais du Katanga ont refoulé chez eux au Congo, en début de la décennie 90, leurs compatriotes du Kasaï, au centre de ce vaste pays de 2.3 km2. Mais ce voyage de rêve dont je vais vous parler se passe sur la même voie ferrée. Alors, rangez vos bagages. Vous y êtes?

Bienvenue à bord du train Diamant de luxe.

Mise en garde

Dans ce luxueux train de vos rêves, dans ses compartiments les moins luxueux, se mêlent passagers et marchandises.
Ils font, par ailleurs, à peu près la première classe du train Hirondelles, le plus rapide des trains qui relient Lubumbashi à Mwene-Ditu, dans le Kasaï. J’ignore si nous y arriverons à temps, ni si nous arriverons même à destination. Pas non plus sûr que nous arrivions en corps, en esprit ou en corps et en esprit à la fois. Mais rassurez que ce voyage de rêve n’est pas spirituel. C’est sans smartphone, sans caméra, sans radio ni walkman.

Alors je suis à bord du train qui a l’avantage d’être Diamant de luxe, et donc, j’ai l’assurance qu’il combine confort et rapidité.

Place de la poste, Lubumbashi
Le centre-ville de Lubumbashi, Place de la Poste. Source: Auguy Kasongo Fortuna

Jusqu’à Tenke, une gare de liaison dans le Katanga, en ce mois de décembre 2006, nous mettons tout l’après-midi pour faire moins de 300 km. Nous sommes partis à 13 heures. Diamant de luxe s’obstine à être ponctuel dans un pays où le retard d’une heure est un « léger retard ». A l’époque, on dirait plutôt d’un train retardé de deux ou trois jours qu’il est dans les temps. Cela me semble encore mieux que d’attendre des mois pour en voir un programmé. Alors il ramasse tout et tout le monde en passant, à commencer par les clandestins qui dépassent parfois les passagers dûment enregistrés.

Le train Diamant de luxe

Ce ne sont pas les villages quelconques établis le long du chemin de fer qui me surprennent. C’est plutôt leur chaleur, alors que les habitants n’y ont pas de système de chauffage moderne. Des morceaux de bois tirés des foyers de feu et secoués servent de lampes pour éclairer les cases dans la nuit. Ce n’est pas leur pauvreté qui me surchauffe -c’est notre lot à nous tous!-, mais leur situation réduite à la circulation du train tel que, sans lui, la vie semble s’arrêter.

Quand Diamant de luxe passe, alors ces villages des plus déshérités espèrent vendre et gagner un peu d’argent grâce aux luxueux voyageurs. Femmes et enfants accourent, et sans doute quelques rares hommes libérés de la division du travail qui déleste trop l’homme de la débrouille et de la vente d’aliments, aussi. On les voit proposer friandises, viandes fumées, volailles et boissons aux passagers. Ils ont l’air content. Puis le train passe.

Ils en attendront un autre, sans doute. Mais on ne sait quand celui-ci passera. Les trains au Congo, c’est seulement maintenant qu’on essaie de les rendre normaux et fiables. De nouvelles institutions politiques viennent d’être élues, les espoirs sont grands. On parle même de renaissance de la RDC. Mais pour ne pas mentir, aujourd’hui fin 2017, le rail est plus pourri qu’alors.

Un train qui marche ou rampe

De Lubumbashi à Mwene-Ditu, c’est trois jours, avec un peu de grâce, pour moins de 1000 km. « C’est pourquoi j’aime le train Diamant. Il va plus vite », rassure maman Yolande, ma co-voyageuse. Elle s’est chargée d’être ma protectrice durant ce premier voyage en train, sur une voie inconnue. Seulement, la brave ne sait pas que je me morfonds déjà énormément. Trois jours dans un train qui marche !

Je compte des heures, des nuits, et le nombre de choses autour de moi à supporter. Ce bruit continu et lancinant du train, cette lenteur qui me donne envie, à certains endroits, de descendre et marcher. Que de certitudes pour moi de pouvoir aller plus vite que le train de luxe. Mais il y a aussi d’illustres passagers qui font monter les odeurs indescriptibles de toutes sortes de marchandises en corruption. Je n’oublie pas l’absence d’hygiène, et cette chaleur qui monte dans un compartiment de 4 mais qui en reçoit le double. « Le rail est très délabré ici. On ira plus vite le dernier jour », le troisième du voyage, rassure maman Yolande.

Un rail qui n’existe presque plus

Nous roulons sur un rail à certains endroits sorti des traverses et graviers qui le maintiennent accroché au sol. A un endroit, vers Mwene-Ditu, je m’en souviens encore, la machine a dû brusquement stopper, le conducteur alerté par des cris au danger. Une chaîne détachée s’est accrochée au rail qu’elle a arrachée, on ne sait comment. La suite de wagons traquée allait dérailler et entrainerait peut-être tout le reste. Certains soupçonnent l’action de coupeurs de rail, tentés de piller le train.

Il vaut mieux qu’on abandonne ce voyage dont vous savez que je suis sorti vivant. La preuve, c’est que je vous le raconte ici. Mais avant, notons trois faits importants sans lesquels ce voyage n’est pas réalisable.

  1. Il faut s’armer de patience

Ce voyage m’a appris à être patient. Voyager au Congo, en voiture, en bus ou par train surtout, est une véritable école des valeurs rares. Il faut savoir s’ennuyer. C’est la dure leçon que j’ai apprise. En réalité, cela arrive sur tous les fronts. Même les bus, parfois, ne peuvent pas avancer, parce qu’il a plu et que la suite de la route est boueuse.  Je l’ai vécu en 2009 sur la route vers la ville de Kolwezi, située à 300 km de Lubumbashi. Aujourd’hui, heureusement, le même tronçon prend seulement 4 heures en bus.

Par ailleurs, même avec son billet avec toutes les indications précises, je connais des gens qui ont raté leurs vols en 2016. J’ai vu des gens courir, se bousculer à l’appel à l’embarquement dans un aéroport… Parce qu’on risque de manquer de place.

  1. Savoir que le risque de mort est plus grand que ses chances de rentrer vivant chez soi

C’est la première idée que je me fais à chaque voyage. Peut-être un peu parano, mais durant les dix dernières années, je ne connais pas le seul moyen de transport public qui n’a pas bêtement tué en RDC. Le transport public me semble déshérité. Je roulais sur un rail qui as tué plusieurs personnes faute d’être correctement entretenu. Quand j’ai appris l’accident ferroviaire qui a tué plusieurs dizaines de personnes vers Luena, en novembre 2017, j’ai pleuré. Car je sais combien on se sait futur mort en montant dans un train. C’est un transport prêt à tuer.

  1. Tirer profit de tout voyage, même en se croyant bientôt mort

Je ne déteste pas voyager, malgré ces risques. Je découvre des lieux, des personnes merveilleuses, comme maman Yolande. En voyage, j’essaie de me relaxer et tirer profit de l’ennui que causent nos moyens de transport. S’ennuyer, ai-je fini par comprendre, est parfois aussi vertueux que boire tout ce qui ne détruit pas la vie. Surtout dans ce Congo africain qui plonge dans une quête sans fin de plus d’occupation, rêvant de plus gagner par son travail.


Esclavage africain, esclaves de notre honte !

Clameur, résistance. C’est la triste bonne nouvelle que je tire de nombreuses protestations et condamnations des indignés. Oui, le monde qui s’est convaincu que les peuples et les races sont égaux, parce que tous des êtres humains a l’air de vivre une régression vers des siècles que l’on a crus derrière nous. Des hommes, esclaves, vendus aux enchères. Vendus à d’autres hommes en plein siècle des droits humains, qui l’aurait cru ?

Mais au-delà des colères, cette histoire révèle une bien triste réalité sur laquelle notre monde ferme les yeux. Nous parlons plus que nous n’agissons. Voilà l’histoire, pour ne pas se tromper sur la vente d’esclaves africains en Libye.

Une terre d’impunité pour les chefs d’Etat, l’Union africaine

L’Afrique vit une fracture que presque tous les discours ne se gênent pas de désigner sans plonger dans un racisme normalisé. Afrique noire, Afrique blanche. Changez cela en Maghreb, Sub-Sahara, etc. et vous avez l’idée que nous nous faisons de l’unité africaine, et même de l’Union africaine.

Je constate que l’unique union qui existe, c’est celle des chefs d’Etat qui ont su bâtir un syndicat pro-impunité. Un sanctuaire d’impunité et d’immobilisme, on ne peut plus sclérosé.

Un racisme tapi dans sous l’unité africaine factice

Mais voyons cela sous un angle purement culturel, où l’Afrique aurait pu essayer de renforcer la fraternité entre les peuples. Dans ma ville, Lubumbashi, ils sont nombreux les fanatiques du football convaincus que de nombreux footballeurs d’équipes du Maghreb n’ont que peu de respect pour les noirs. Des gestes racistes, on en a vus régulièrement lors des rencontres TP Mazembe, célèbre club basé à Lubumbashi, et de remarquables équipes de l’Afrique « blanche » : marocaines, égyptiennes, algérienne ou tunisiennes.

Un jour, au Maroc, un bon monsieur m’a apostrophé, sans méchanceté je crois : « mon ami africain » ! Entendez « noir ». Nous avons tout rigolé. Mais après, je me suis demandé si mon frère marocain sait qu’il est africain. Ou alors, s’il croit qu’il est impossible d’être africain sans penser à la pigmentation de peau, sans être noir (pour crever l’abcès !).

Je me demande aussi si l’on peut-être africain sans être associé à la misère, à une immigration clandestine, à quelqu’un prêt à voler, mendier ou casser, à risquer sa vie pour un rêve ou pour fuir la misère. C’est toutes ces questions qui choquent, en effet, quand on pense au drame libyen. Alors que l’on a cru voir la renaissance africaine!

Esclaves, Esclavage
Trône royal libérien au monument de la Liberté africaine, Dakar

Les droits humains intéressent peu des dirigeants d’Afrique

Si je critique l’Union africaine, c’est qu’elle est restée une union présidentielle et des chefs des gouvernements. A-t-on œuvré pour rapprocher les peuples ? Les Etats restent repliés sur eux-mêmes, incapables de véritablement fraterniser comme le montre la vente aux enchères des citoyens africains. Rien que marchandise, alors rien du tout, l’être et l’humanité de l’homme vendus, vendus au plus offrant.

En plus de ne pas cultiver la fraternité entre les peuples, notre Afrique se tait sur les droits humains. Les chefs d’Etats se rencontrent à Addis-Abeba, deux fois l’an, mais jamais ils n’ont pris de mesures effectives pour retenir chez eux les jeunes prêts à risquer pour leur vie en mer. On ne peut les blâmer de rêver, de vouloir mieux pour leur vie…

Gorée, Esclaves
Des esclaves africains, photographie d’une décoration sur l’île de Gorée, Sénégal-Dakar. Photo Didier Makal, 2015

Misère et pauvreté font des esclaves

Les discours indignés des chefs d’Etats comme Faure Ngasimbé énervent, même s’il fait parti des premiers qui ont condamné le scandale de Libye. S’indigner devant l’esclavage d’africains ne suffit pas pour un dirigeant. C’est reconnaître que l’humanité des personnes vendues a été reniée, en effet. Mais ceux qui les poussent à « partir », à ce suicider ou presque, sont-ils vraiment plus vertueux que les vendeurs d’esclaves ?

Les appels à l’alternance au pouvoir au Togo, au Tchad, au Zimbabwe ou en République démocratique du Congo, seraient anodins, s’ils avaient lieu dans un univers sensible à l’humanité. Or, dans ces pays d’Afrique, comme dans d’autres d’ailleurs, les dirigeants œuvrent pour leurs comptes propres et pour celui de leurs thuriféraires. La pauvreté et la misère sont un mode d’avilissement des peuples. Les kleptocrates, les nouveaux colonisateurs et les esclavagistes ne reviennent vers nous que pour l’impôt et le semblant de votes.

Un creuseur sortant du tunnel à Kasulo, Kolwezi. Août 2015. Photo Didier M. Makal

Esclavage d’africains par des africains

Je pense que c’est à ces niveaux-là, droits humains, pauvreté, unité des peuples, inutilité des forums présidentiels en Afrique, que se joue l’esclavagisme d’africains par les africains et contre eux-mêmes. J’aimerais que la France, les Etats-Unis, l’ONU et l’Union européenne aient tort. Tort, comme le dit l’acteur culturel Claudy Siar, pour leur nonchalance dans la crise qui secoue la Libye. Ils auraient mieux fait en la sécurisant : la Libye ne serait pas devenu un presque pandémonium.

J’aimerais que tout le monde ait tort, pour tel ou tel autre manquement. Mais j’accuse l’Afrique des gouvernements. Je flagelle celle de la société civile africaine, incapable de pousser les dirigeants à mieux faire pour les africains. J’accuse l’Union africaine, dépassée et incapable de quoi que ce soit. Je n’exagère pas : de quoi que ce soit.


RDC : 57 ans de violences et de deuil

Le 30 juin 2017, la RDC célèbre ses 57 ans d’indépendance, dans la violence. Peu étonnant pour ce pays où des chefs de guerre d’hier sont devenus de puissants dirigeants. Un Congo prospère et respecté, sous la direction de ses propres fils, c’est un lointain rêve que caressait le bouillant premier ministre Patrice Lumumba.

Un rêve lointain, chaque année, s’éloigne. Surtout quand, la veille de l’anniversaire, le 29 juin 2017, dans la capitale Kinshasa, de nouvelles violences éclatent. La police parle fièrement d’un mort, et d’avoir résisté. Elle n’ira pas plus loin, avec les enquêtes. On ne saura jamais qui c’était. Silencieuses sont d’ailleurs restées les attaques similaires qui on eu lieu moins d’un moins plus tôt. Souriez, c’est normal au Congo !

Au pays des futuristes, le présent ne compte pas

On se demande comment un pays très puissant, hier, est devenu le plus fragile de l’Afrique centrale. La réponse est simple lorsqu’on observe la référence quotidienne des congolais. La RDC a décidé de vivre au futur. « Nous bâtirons un pays plus beau qu’avant »« nous assurerons ta grandeur », dans la paix. Des extraits de la Congolaise, l’hymne de la RDC.

C’est une vision aux antipodes de l’hymne présentiel, assassiné dans la fougue, qui voulait effacer Mobutu de la mémoire collective. Mais en vain, 20 ans après. « Peuple uni nous sommes zaïrois », « en avant fière et pleine dignité », « peuple grand, peuple libre à jamais » … Les Zaïrois chantaient aussi la paix, mais au présent. Mais les Congolais « debout », attendent la leur, dans le futur.

La RDC en quatre tableaux lugubres

Ce manque d’ambition dédouane les gouvernements successifs du devoir, de l’obligation de paix, sous toutes ses formes. Nombreux se réclament de Lumumba, et remettent tout au lendemain. Le Congo se meurt, « le pays va très mal », conviennent les indignés depuis la gênante sortie des évêques catholiques, accusés d’être anti-Kabila.

57 ans d’indépendance, sans paix, dans la violence : la RDC est loin d’être un havre de paix, ni hier, ni demain ! C’est une triste histoire, un film en quatre tableaux lugubres ! Le premier est celui d’une colonisation « humiliante », selon les mots du tout premier ministre Patrice Lumumba. Le colonisateurs s’en sort bien riche, le colonisé, bien plus appauvri qu’avant, économiquement parlant. Cette période a pour pareille une gouvernance de prédation, par les Congolais au discours Lumumbiste, et souverainiste, de Mobutu à Joseph Kabila.

Le deuxième tableau lugubre est celui de la dictature de Mobutu, censée sauver la RDC des violences post-indépendance. Vient ensuite le tableau de violences bestiales, censées libérer le pays de la dictature. Elles déciment plus de 5 millions de Congolais, endeuillent, déstructurent les familles et détruisent le fil national. Enfin, ce film affreux bute sur une alternance qui tue, ouvre les prisons, armes les criminelles.

Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, en RDC

Bref, la RDC n’est pas sortie de l’auberge. La violence devient un mode de vie pour les politiciens, un mode d’acquisition et de gestion du pouvoir. C’est sans compter sur cette violence indicible que vivent au quotidien plus de 64% de Congolais, soit environ 51 millions d’habitants. A croire que ce pays est parmi les plus riches en ressources naturelles et ne manque pas d’intellectuels… mais voilà qu’au point où nous en sommes en RDC, les intellectuels doivent se taire s’ils ne peuvent chanter.


Etre journaliste et blogueur, et en RDC

Être journaliste, c’est déjà trop risqué en République démocratique du Congo. Blogueur, en plus, n’arrange pas les choses. Et les deux à la fois, et vivre en RDC vous brisent le cœur.

Risqué, ce n’est pas seulement parce que pour un oui ou pour un non vous pouvez aller en prison, sinon mourir… Mais c’est aussi parce que journaliste, vous devez l’être comme ils se l’imaginent : les puissants. Journaliste racoleur, chantre, chien suiveur, et… arrêtons là, net, avant de toucher l’insupportable !

Journaliste, ça vous brise le cœur !

Etre journaliste, finit par faire mal au cœur. Mal de ne pas être journaliste, tel qu’on l’aurait voulu, comme on l’est simplement comme on le lirait dans un abécédaire. L’excuse, parfois légitime, c’est que vous devez vivre, survivre. Vous avez beau être « sérieux », correct, professionnels, intègre. Un jour, vous ne mettez pas ces mots dans un plat pour nourrir votre enfant qui pleure. Vous ne les donnez pas au médecin qui donne des paracétamols à votre parent en danger de vie, parce que vous n’êtes pas solvable, sinon crédible.

Etre journaliste, j’allais oublier, c’est déjà risqué, parce même les vôtres un jour, ne sont pas simplement d’accord avec vous.

L'usage des TIC limité dans l'administration publique en RDC
Les blogueurs de Lubumbashi au cours d’une conférence à la société civile du Katanga, 21 novembre 2015. Photo Didier Makal

Journaliste et blogueur, infortune !

Mais voilà que le journaliste endosse le costume de blogueur. Mon propos n’est pas ce débat vide qui veut savoir si journaliste et blogueur, c’est compatible. Je n’y perdais pas une ligne de plus ici. Mais journaliste, et blogueur, cela complique encore la vie. Car à défaut de ne pouvoir, ne fût-ce que présenter la petit vérité, bêtement contenue dans le culte des faits, sans une mise en perspective de l’information, s’ajoute la vérité que même avec son propre blog, un jour vous vous censurez. Pour longtemps !

En ouvrant mon blog pour la première fois, en effet, ma liberté je la voyais grande. Mais voilà, un jour, qu’entre la passion de dire les choses avec justesse ou de manière osée, et la quête d’un emploi qui rassure, il fallait choisir. En réalité, le choix n’existe que pour une option, et vous la connaissez. Du coup, il faut désormais la gérer, parfois la censurer soi-même, sa bouche. Et son blog ne se nourrit plus de cette substance qui ont fidélisé d’illustres internautes, décidés de ne plus vous oublier dans leur périple entre RFI, VOA ou Radio Okapi. Ils ne viennent plus s’abreuver, le blog se tarit de sève, …

Ni blogging, ni journalisme, mais l’autocensure ou l’abandon

Finalement, ni blogging, ni journalisme, … La liberté, ne fût-ce que la plus basse, sans forcément que des méchants vous le demandent, s’arrête un jour. « Désormais, il faut voir ce que tu dis », conseille un homme du haut de ses 36 ans dans les services publics. Ceci ayant valeur d’avertissement. Réflexe de survie exige, le journaliste et blogueur se censure, jusqu’à perdre sa voix.

Du coup, on comprend bien combien, être journaliste, blogueur, et vivre au Congo est dur. Cela vaut des privations, non pas parce que demain vous espérez rencontrer le Christ-Sauveur. Mais parce qu’il faut s’assurer un minimum vital. Un jour, notre vie semble se ramener à manger, et seulement manger.

C’est un espoir de vivre encore, bègue sinon muet, jusqu’à ce que qu’un mal inconnu mais évident vous emporte. Ou pire, après les massacres des voisins, arrive le jour où après tous les vôtres, l’égorgeur de Beni vous la tranche. Ou, que votre petit corps finisse dans une de 50 fosses communes du Kasaï. Un ami a résolu de ne plus en parler et s’y prépare, peut-être.


Le méchant, ce n’est pas Joseph Kabila

Je ne peins pas un enfer, pas une jungle, mais un pays où hier, a pris naissance une certaine liberté d’expression. Nos coups de gueule, nos cris de joie, même sans le dire, étaient expression d’un certain degré intéressant d’exercice des libertés citoyennes. Il faut en remercier aussi les inventeurs des TIC et d’Internet.

Mais au point où nous en sommes, en 2017, alors que la tendance des mouvanciers tend à faire de nous tous des chantres, sinon des opposants et donc des chairs à canon, je réalise combien la RDC est en train de reculer. Le pays est sur le point de perdre ce qu’elle a pu gagner durant les 16 ans de règne du président Kabila. Ce ne fut pas rien. Mais que tout cela s’écroule depuis sa volonté de prolonger son mandat, se moquant de toutes les tentatives de sortie de crise.

Mais au final, ce serait perdre son énergie que d’en vouloir à monsieur Kabila. Avec la classe politique congolaise entière, les gens auraient poussé un autre à faire pareil. Dans cette histoire, une fois de plus, celui que les politiques ridiculisent, c’est le journaliste que tout le monde désigne désormais incapable de dire la vérité. Même l’opposition !


RDC: Quand pauvreté et faim désamorcent les révoltes

Pauvreté et faim savent bien sauver le pouvoir en République démocratique du Congo. Kinshasa ne manquera de rien ! Lorsqu’éclatent les contestations, il lésine sur la peur armée. Et, au bout de trois jours, la faim ramène calme et tranquillité. RDC !

C’est une évidence : les manifestations ou révoltes congolaises ne savent guère franchir la limite de 3 jours. Pour cause : une pauvreté criante qui oblige les kinois, les plus politiquement actifs en RDC, à capituler. Ils auraient voulu faire mieux, mais ventre affamé n’a point d’oreilles ! De quoi réjouir le pouvoir menacé à chaque mobilisation de l’opposition.

La pauvreté, une douce répression en RDC

La participation citoyenne, aux luttes politiques, semble ainsi se ramener au ventre. On se bat pour manger. C’est d’ailleurs le sens même de l’expression devenue imparable pour les gens ordinaires, ceux-là même qui descendent dans les rues : « vivre au taux du jour. »

Voici trois chiffres qui en disent long sur la pauvreté comme mode de répression populaire. 64% (2005-2012) des 80 millions de congolais vivent dans une extrême pauvreté, d’après la Banque mondiale. Près de 40% du budget de la RDC sont absorbés par les institutions. Dans ce pays, manifester pour que les choses changent peut vous amener dans la tombe. Ainsi, en 2016, l’ONU a pu recenser plus de 5000 violations des droits humains (pdf). Soit une augmentation de 30% par rapport à 2015, en majeure partie, sur des questions politiques.

Pauvreté des jeunes en RDC
Un changeur de monnaie, vendeur d’essence dans une périphérie de Lubumbashi. Photo héritier Maila

La pauvreté pour parer aux révoltes en RDC

La leçon que l’on peut tirer des manifestations successives, c’est que la pauvreté protège le régime à Kinshasa. Quoi qu’ils fassent, au troisième jour de paralysie des villes, la tentions retombe comme un fruit mûr. Non, un fruit secoué par un ouragan : la faim. Pas que Kabila ait inventé cette stratégie pour se maintenir au pouvoir. Mais ayant testé son succès, il ne s’en est pas départi.

Du refus de réviser la loi électorale en janvier 2016, à l’expiration du mandat de Joseph Kabila en 2017, les révoltes kinoises se sont évanouies dans la faim. Or, en RDC, tout se ramène à Kinshasa. « Les kinois doivent sortir chaque jour pour se débrouiller. C’est ainsi qu’ils vivent. Ils ne peuvent tenir plus de trois jours », confie un journaliste de Kinshasa.

Opposition et pouvoir le savent. Bien plus, ce dernier, le pouvoir, a tout à gagner que la faim désamorce souvent la tension. N’attendez donc pas qu’il chasse la faim, cette précieuse parure ! Bien plus, que les congolais se préoccupent de leur nourriture, cela les démobilise du double sens de polis : cité, et citoyenneté, entendue comme participation à la chose politique.

Pauvreté, une femme vend du manioc
Une vendeuse de manioc (en tranche grillées) devant à Lubumbashi. | Capture d’écran, M3 Didier, février 2015

Ainsi, des ministres, maires et gouverneurs, répètent à chaque appel à la ville morte, à sortir pour chercher à manger. Le non-dit de cet appel apparemment normal, c’est qu’il reconnaît une situation sociale calamiteuse pour les congolais. Personne n’ose arranger.

N’est-ce pas curieux qu’en RDC, la faim qui révolte ailleurs dans le monde, serve plutôt de salut pour le pouvoir ?

Souriez, vous êtes au Congo ! Article 15, débrouillez-vous, c’est la règle pour survivre. Ainsi, l’État peut se servir des impôts et taxes, et soigner ses clans.


Amour scolaire et poésie tués dans l’œuf!

Invitation à voyager au cœur de l’école congolaise, en RDC, où aimer scandalise. Là, amour et poésie deviennent une flagrance. Des classes et élèves qui écrivent de lettres d’amour, ça fait rebelle, mais aussi répréhensible.

C’est un enseignant des moins aimés de mon école, comme la majorité de matheux, qui semble se charger de tout ce qui sonne amour. Un professionnel, qui en réalité, n’est qu’une forme à peu près améliorée de « mendiant d’amour ». Tel un gosse voyeurs près d’une rivière où se lavent les femmes, il passe son temps à épier, à savoir ce qui se raconte dans le coin…

Ce fut à peu près un maître de la rumeur. Mais aussi le maître du terrain. Vous avez dit amour ? Le voici en face de vous !

Elle écrit de lettres d’amour

Annie vient de franchir ses 15 ans. La faveur et la précocité de fille semblent ajouter à son âge, 4 ans de plus que moi. Aussi en sait-elle un peu trop sur « les choses de grands » que protège notre cher enseignant épieur. La classe est calme, mais pas de paix, en pleine interrogation de mathématiques. La seconde terreur de notre maître !

« Tentative de tricherie ! », crie l’enseignant en accourant vers notre banc. Dans la foulée, il permute Annie avec un camarade d’une autre rangée. À peine elle s’est levée, la peur au ventre de se taper un « zéro » pour tricherie, l’amie laisse tomber ses cahiers. Par malheur, un papier finement plié s’échappe. Il glisse jusqu’au pied de l’enseignant qui le bloque de son pied droit. En vain s’empresse Annie à le ramasser.

« Molo ! Montre ça », lance l’enseignant avec la hargne d’un crocodile qui a happé une grosse proie. « Lettre d’amour ! », s’écrie-t-il d’un air incitateur pour la classe vers qui il montre le papier. On peut y voir une fleur finement dessinée au stylo rouge en plein cœur.

Amour, poésie
Crédit photo: Myriams-Fotos

Pire que la côte zéro, amour dans une lettre à l’école!

« Lettre d’amour », il n’y avait pas pire comme scandale scolaire. Même à la maison, on supporterait la côte zéro que pareille lettre. Je me rappelle que le destinataire de cette lettre avait dû être bloqué à la maison par son père qui se montra plus que déçu. « Prépare-toi pour la dot, car tu veux te marier », menaçait son père, lui promettant la fin de ses études. « Les élèves ne se marient pas, ils étudient », considérait-il.

Quant à Annie, c’en était fini pour son interrogation. Bien plus, son cas était transmis au conseil de discipline de l’école qui convoqua ses parents le lendemain. Un peu comme pour leur reprocher une mauvaise éducation que leur fille allait propager dans l’école. Sa punition fut chargée d’une mission de prévenir les amoureux cachés. Annie devait remplir d’eau, un fût de 200 litres en une journée, avant de regagner la classe.

On tue poésie et amour dans les écoles congolaises

Devant un enseignant aussi doué en épiant qu’en dispensant ses maths, il valait mieux cesser de rédiger de missives d’amour pour se mettre à l’abri des risques. Finie la poésie d’Annie qui pourtant, déjà en 3e année secondaire, savait faire rêver et marcher sur les traces de Pierre Ronsard. « Arrose les roses de mon cœur pour qu’elles parfument ton être », écrivait-elle dans la lettre à problème. Et ceci encore : « Tu es le soleil qui éclaire mon âme. Mes jours sans toi sont rien ». De belles paroles criminalisées, une beauté étouffée, une vie assassinée !

Ainsi meurent, en RDC, poésie passion d’écrire, inspirées par amour. Plutôt que d’apprendre à aimer et à s’assumer, dans nos écoles, l’amour passe pour un drame. Dommage ! C’est sans doute, en partie, un héritage de la scolarisation par les religieux, notamment catholiques. On ne sait comment amour, pourtant une vertu cardinale (qui était, qui est et qui vient !), est devenu un péché capital.

Dieu seul sait combien dans ces écoles de filles et de garçons, la rêverie a germé. Mais qui pouvait l’arroser, la sarcler et la porter à la moisson ! Combien d’écrivains en herbe a-t-on tué dans ce pays ? Puisque l’amour est interdit dans ces écoles, les lettres d’amour par lesquelles apprend à rêver en couleur, porte béante sur la littérature, sont prohibées !