Eliphen Jean

Libre malgré le froid dans cette ville

Douarnenez. Vue du port du Rosmeur

Bientôt l’été. Je deviens de moins en moins costaud. Je ne porte plus mes trois pulls. Je m’acclimate. Je suis un pauvre errant dans cette ville que le froid m’empêche de conquérir, en voulant faire de moi un casanier chronique. Cette ville Douarnenez où l’odeur des poissons me va droit au nez. Où le cri des mouettes m’empêche parfois de dormir. Cette ville de la Bretagne, métropole de la sociabilité humaine, est la ville de ma liberté. J’ai toujours rêvé de cette liberté. Comme j’ai toujours rêvé d’un vélo. Comme j’ai toujours rêvé d’avoir, à moi seul, une chambre.

Pour une fois dans ma vie, je suis plus libre que le chien. Dans cette ville, les chiens ont tous des colliers et sont toujours accompagnés de leur maître. Alors que là-bas, dans le pays natal de ma poésie, c’est plutôt les hommes qui auraient des colliers. Les chiens de mon pays errent seuls et librement dans les rues. Les hommes, non. Peut-être à cause des bandits, la faim qui tire à hauteur d’hommes, à bout portant.

A voir le lien affectif et puissant entre les chiens et leurs maîtres en Bretagne, je me demande pourquoi, chez moi, s’engueulent les hommes et les chiens tout le temps. Et bien voilà! Ce contentieux ne date pas d’hier. Napoléon apportait le 1er mars 1803, au Cap-Français (actuellement Cap-Haïtien deuxième ville d’Haïti) des chiens cubains, égaux des plus grands lévriers écossais ou russes, pour chasser les escvlaves. Ces chiens passaient d’instrument d’intimidation à celui de lutte et de répression contre les marrons. Les chiens et les hommes n’ont jamais été des amis.

Pas comme chez moi, les chiens d’ici n’aboient pas sur les passants et respectent les immigrés. Mais le froid, pour moi ici le seul raciste, n’a pas de pitié.

Toutefois, cette liberté, je n’ai pu l’avoir pleinement en Haïti qu’entre les lignes de mes cahiers d’écoliers, premières ruelles de mon enfance.

Éliphen Jean
en résidence d’écrivain en Bretagne

 


Haïti et les attentats de l’impérialisme

Tensions et manifestations a Port-au-Prince
Tensions et manifestations a Port-au-Prince

Les multiples valeurs qui fondent Haïti se dévaluent en faveur d’une démocratie qui ne colle pas. Les gouvernements, tous de mouvance despotique, adoptent des mesures d’exception qui réduisent les libertés citoyennes. Des gouvernements dont l’objectif est de rester au pouvoir à s’en rassasier jusqu’au dégoût. Des dirigeants virtuoses de la politique politicienne, des politicards vautours qui ne peuvent émaner que du fumier social.

La jeunesse comme fer de lance de la nation, doit, aujourd’hui plus que jamais, endosser les habits de soldats de guerre, contre les attentats de la colonisation, de l’impérialisme culturel et économique, contre tout un système de gouvernance politique, complice de cataclysmes et des fléaux de tout genre, qui maintient le pays dans le fouillis inextricable de ses crises. Crises qui paupérisent jour après jour les classes déjà défavorisées et le prolétariat.

Ne serait-ce que pour une cause commune, la jeunesse qui ne se fanera pas sur le fumier de la misère, à moins que ce soit pour son fruit qui doit être d’enlever son pays sous  le pesant harnais de l’occupation, proclamera un jour qu’Haïti est en nécessité de se défendre contre toutes ces formes d’attentats, contre la gérontocratie et cette démocratie paralysante, en mettant au goût du jour ses valeurs et ses forces, et de s’affirmer dans la lutte pour une nouvelle forme de société, une société évoluée.

Une détermination froide ne saurait mieux combattre les attentats dont il est ici question, les multiples crises dont le maquis terrifie la jeunesse montante, et la gérontocratie que je qualifie de primitive. Il faut une affirmation massive, des actions citoyennes positives et des discours logiques nuancés de valeurs élitaires. Ces discours ne doivent pas être la répétition angoissante et presque mot à mot de termes ou propos qui font rêver.

Peut-être par peur d’un naufrage collectif, ce qui n’est pas fondamentalement le cas, il faut cette posture martiale, des mesures d’engagement citoyen s’adressant à l’international pour dire qu’Haïti peut voler de ses propres ailes si l’on mise sur la force et les valeurs de la jeunesse. La jeunesse est le privilège incessible de la société, sa fine fleur, l’espoir du fumier social. Ces mesures s’adresseront aussi bien à ces classes dirigeantes, tracassières et frondeuses, que j’estime inamovibles depuis deux siècles déjà. Deux classes dirigeantes, à mon sens : la classe de l’opposition et celle au pouvoir. Je dirais plutôt deux classes au pouvoir. Enfin, autant de mesures qui doivent aussi s’adopter contre les écarts dramatiques du droit en faveur d’une constitution faite de lois qui semblent respectueuses pour la population haïtienne.

Si la jeunesse ne s’implique pas, si la jeunesse ne s’affirme pas au prix même de sa vie, il y aura toujours ce doute d’un progrès social, politique et économique possible qui s’instille jusqu’à confortablement s’installer dans les esprits. La caractéristique essentielle des mesures d’engagement est de relever de la conscience citoyenne, de cette reconnaissance d’appartenir à une même nation, et de voir Haïti comme une tâche à accomplir ou achever, comme un héritage légué par la gérontocratie dirigeante qui n’a jamais su jouer efficacement son rôle.  Et s’il faut périr, ce doit être par l’engagement à défendre sa nation et à la revitaliser, non par faute de connaissance, de conscience ou par indifférence.

Par ailleurs, ces mesures à adopter s’identifient à l’état d’urgence qui doit être la suspension du pouvoir populaire caractérisé par les manifestations souvent sanglantes, une régulation ou surtout une limitation des partis politiques qui n’ont aucun projet de société. La question à se poser est : pourquoi tant de partis politiques sans un tel projet? Ils s’identifient tous de gauche et de droite, ils augmentent au fil des ans, ils participent tous aux élections, rien que pour bénéficier du budget qui est disposé pour les campagnes électorales. Autant d’argent qui aurait mieux servi à créer des emplois, à créer des entreprises d’Etat… contre les ONG qui viennent carburer à la fortune.

Nul ne contestera, bien sûr, qu’Haïti est un pays fort et puissant, tenant compte de sa culture et tout ce qui fait de lui l’appât des Etats-Unis et de la France qui le colonisent encore. On devrait au moins douter que la colonisation puisse combattre réellement la pauvreté du colonisé, si ce n’est pour se pérenniser ou se fortifier. D’où l’ironie de l’assistanat international.

Toutefois, tout un risque est à reconnaître. Celui de ne pas mettre en danger les valeurs, le pays, au lieu de les défendre, au lieu de défendre réellement le pays contre les attentats de l’impérialisme. L’assistanat international, les ONG qui se nourrissent de la pauvreté du pays, ne font que l’enfermer jour après jour dans un piège mortifère : devra-t-il, par souci de développement, au nom de la défense démocratique et des accords diplomatiques  ou complomatiques1, abandonner un à un les principes qui l’ont fondé depuis plus de deux siècles déjà ?

Les grandes puissances nous mettent tous dans un nœud coulant où toute progression vers la victoire est impossible, où la fatalité a raison de nos capacités d’agir. Nous ignorons tous que nous désunir ou rompre l’unité nationale, est un point accordé aux colonisateurs insatiables, une béance offerte à leur rapacité.

 

Eliphen JEAN

1- Accords diplomatiques qui ne sont pas en faveur du pays…


Haïti en nécessité d’un renouveau

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Haiti elections

Il est temps de passer à autre chose. Haïti a besoin d’une élite politique qui incarne son avenir, le renouveau politique dont elle a impérativement besoin. Haïti périclite sous nos yeux. Elle se consume et s’aveulit considérablement sous le poids du dénuement, et aucune élite dirigeante ne semble désespérer de n’avoir jamais su faire bonne figure, et réussir à remembrer les appareils de l’Etat.

Après tant d’années où les fléaux de tout genre tiennent les rênes du pays, tant d’années de présidence invariable, observons le bilan global – sous l’investigation d’un regard citoyen – en terme d’emploi, de chômage des jeunes non-licenciés et licenciés, de croissance économique… et disons-nous, avec une conscience humainement citoyenne, qu’il est vraiment temps de passer à autre chose. Nous sommes un peuple qui vit obscurément en enfer. Et, pour dissiper les flammes sulfureuses qui assombrissent nos jours, il faut de nouvelles vagues, un ouragan à bousculer tout sur son passage. Ce sera la fin d’un système nul, la fin d’une gouvernance immature, la fin d’une mauvaise façon de gérer les préoccupations des Haïtiens.

Les candidats de différents et innombrables partis politiques, à tous les postes électifs, plus particulièrement à la présidence, prononcent des discours basés sur rien, mais donnant l’impression d’être basés sur tout, des discours vibrant de dynamisme, avec des idées qui semblent claires, des projets qui semblent ambitieux. Ils ont toutes les chances d’être élus. Pourtant Haïti a besoin d’un renouveau. Pourtant la jeunesse qui incarne la diversité de l’île, a besoin d’une élite qui puisse se mettre, en toute liberté, à portée d’orbite de son système solaire, pour comprendre la chaleur de ses rêves, ses ambitions, ses désirs.

La Gauche et la Droite n’existent pas. Le Pro et l’Anti n’existent pas. C’est la même pièce de monnaie avec ses côtés pile-face. Cependant les électeurs continuent à se fier aux pros et aux antis qui sont tous des opposants, avec leur couteau en mains, luttant pour la plus grosse tranche du gâteau. Quelle coupe d’orgeat intarissable qu’est le pouvoir ! Le peuple s’y fie au mépris du bon sens et de la raison. Peut-on dire que les électeurs n’ont jamais fait un bon choix ? On ne sait pas. Car, ils sont, pour la plupart, des rongeurs, à la solde des rapaces. Ils sont payés pour leurs votes, et ils votent les meilleurs rémunérateurs. Ce sont plutôt les innocents qui ne font jamais un bon choix. Ces électeurs innocents n’ont pas jamais été clairs. Ils veulent enfin de la clarté. Ils veulent que les votes cessent de se payer, pour qu’enfin les leurs aient leurs effets et le poids qu’il faut dans la balance électorale.

Le renouveau dont Haïti a besoin, doit illustrer la clarté de la parole politique. Un renouveau incarné par une élite honnête et transparente – peut-être qu’elle viendra du ciel – qui saura défendre les valeurs, les principes, les convictions et les patrimoines. Tout est ici question de loyauté, de respect des électeurs, de respect à l’égard des Haïtiens, et de cette capacité d’écouter ce qu’ils ont à dire, de passer du temps avec eux, et de comprendre leurs problèmes. C’est ce respect et cette capacité qui limiteront les manifestations populaires sanglantes et constantes.

Il est temps de passer à autre chose. Il faut une vision de l’avenir. Sans une vision de l’avenir de l’île d’Haïti, sur quoi va-t-on le bâtir ? Les situations sociopolitiques, les agitations sociales incessantes, vues comme spectrales, sont, en elles-mêmes, des gribouillages de l’avenir sur le front de la jeunesse. En tient-on réellement compte Et si ce n’est pas le cas…

Il est aussi temps de comprendre que c’est dans le dynamisme économique, dans la création d’emplois, dans la capacité de se battre et de réussir, dans la capacité de se soucier de la jeunesse et de s’investir en elle, qu’Haïti pourra tirer profit de ses atouts.

Éliphen JEAN


Dakar mon amour, je suis pédé si tu es un homme

Lorsqu’il m’était venu le temps de prendre l’avion, j’ai répondu à ceux qui me demandent raison de mon voyage, que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche… et que c’est bien de se laisser surprendre par les jours qui viennent.

Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale, disait Claude Lévi-Strauss. C’est aussi un exercice profitable qui consiste, à mon sens, à découvrir des choses nouvelles et inconnues. Cela permet de connaître d’autres peuples, d’autres cultures et d’autres vies. Toutefois, je n’ai pas autant pensé, autant existé, autant vécu, non plus autant été moi-même, si j’ose ainsi dire, car je n’ai pas fait ce voyage seul ni à pied.

Comme j’ai voyagé en avion, j’ai eu raison d’imaginer des avatars… c’est le pessimisme de ceux qui voyagent, comme moi, en avion pour la première fois. Et, Charles Baudelaire me chuchotait ses vers à l’oreille :

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !

Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :

Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

 

Mais, étudiant l’homme par rapport au temps, j’admets volontiers que voyager peut calmer ses peines et que c’est l’antidote du souci.

Sénégal,

Je suis de cette terre, ce pays dont la misère n’altère pas la beauté. Je suis d’Haïti, ce pan exilé de l’Afrique. Je suis de l’Afrique. Je viens de loin pour arriver jusqu’ici. J’ai survolé l’Amérique et l’Europe… Mais inquiet comme le flamant rose survolé par le busard. Je m’imaginais tellement des avatars… je n’ai pourtant pas eu peur. Les malaises créés par les turbulences se coulaient bien dans le stéréotype des petits repas simples et cordiaux servis avec bonhomie…

Sénégal, j’étais très heureux de te connaître. À peine arrivé sur ton sol, j’ai tressailli comme d’un frisson patriotique. Jai perdu mon sang-froid. J’ai senti céder le fil de mon cœur. Mon cœur est allé se cacher entre mes orteils…

Dakar est si belle ville… Dakar est si belle fille. Je me demande quelle contrée, quelle région ne serait agitée du désir de vivre son charme. Sa beauté qui fait craquer les insensibles. J’aimerais y vivre toute ma vie, j’aimerais vivre à l’étendue paradisiaque dont elle est une région.

J’ai laissé ma terre. Je suis parti vers mes origines. Je voulais prendre racine dans une nouvelle aventure de maturation… Je me ressourçais donc en ton sein, comme un moine dans la solitude d’un monastère.  Et, j’aimerais le faire chaque jour.

En dix petits jours, en dix petits siècles, en un cercle de jours, tu me gâtes déjà. Tu me deviens vite indispensable.  Tu me gâtes avec les cris de tes chèvres, tes moustiques qui ne piquent pas fort, tes mers propres et légères, tes plats raffinés et tes cocktails rafraîchissants… le chant de tes oiseaux que j’écoutais avec émerveillement. Ton île de Gorée pour laquelle Haïti m’est devenue ex-île. Et aussi, le musée de Léopold Sédar Senghor dont l’intérieur a quelque chose d’alchimique et de magique, le pittoresque du monument de la renaissance africaine où mes pieds m’ont porté sans se lasser. Et, comme dit le message d’Abdoulaye Wade, je pense et je penserai toujours à tous les sacrifices qui ont arraché l’Afrique à l’obscurité pluriséculaire, pour la propulser dans la lumière de la liberté.

monument de la renaissance africaine

Crois-moi, si la pureté est la sublime maîtresse des valeurs paradisiaques, passer un séjour à Dakar, c’est me faire purifier par la respiration paradisiaque de l’univers… Dakar est si belle ville, Dakar est si belle fille.

Et si Dakar est un homme ? Sincèrement, je te l’avoue, je serai pédé…

Éliphen Jean


Haïti sous le joug de la superstition…

Jusqu’à quand cesserons-nous d’avoir une conception atavique des choses ? Notre atavisme culturel nous prédispose toujours à l’idée que tout ce qui nous arrive est surnaturel, nous ne tenons donc pas compte de la scientificité des faits. C’est, en fait, de la superstition. Un comportement irrationnel, généralement formaliste et conventionnel, vis-à-vis de l’insolite et du bizarre, et, dans un certain contexte, une attitude religieuse considérée comme vaine. Ce comportement semble n’être autre chose que des préjugés contraires à la raison.

En effet, la superstition qui consiste toujours à expliquer des effets véritables ou scientifiques par des causes surnaturelles, torture sans relâche l’esprit de l’Etre ayisyen, et a un impact considérable sur la créativité qui, chez nous, comme dans les sociétés occidentales, devrait symboliser la réussite, la modernité et l’attrait pour la nouveauté, et qui transmettrait une image de dynamisme. Mais, il arrive que notre société soit loin de s’embarquer dans la quête de l’innovation et du progrès, tant elle est superstitieuse. Alors, pour comprendre cet impact, j’invite à juger la société haïtienne à ses bruits, son art, ses us et coutumes, ce qui aussi, dans une large mesure, aidera à comprendre les faits ou phénomènes culturels haïtiens.

Faisons une mise au point de quelques faits culturels pour comprendre cet impact

Si un paysan se trouve en altercation avec un autre, peut-être dans le même voisinage, et qu’il lui arrive d’avoir le même jour une migraine, il préférera voir un houngan ou un docteur-feuilles, une personne qui prescrit des remèdes naturels qu’il prépare lui-même. Il pourra même jeter des sorts sur son adversaire qui ne sait peut-être rien de sa migraine… Naturellement, dans la paysannerie, quand on est malade, on a recours d’abord au fétichisme. Dans ce cas, l’impact de la culture ou ce phénomène culturel qu’est la superstition est lié au fait que les hôpitaux dans les milieux paysans reçoivent de moins en moins de patients. Qui sont généralement les patients dans ces milieux ? Les paysans qui n’ont pas cette chance d’être, pour la plupart, scolarisés, qui continuent de croire que les pluies sont pleurs des anges que le tonnerre effraie…

C’est la croyance aux présages, aux signes

En effet, les phénomènes culturels, la superstition concourent à priver notre société du sens de créativité et à l’empêcher d’évoluer. Et les faits sont là. Ils militent en faveur de l’idée que ces phénomènes ont un impact grave sur la créativité, sur la vie des gens.

Voyons ! Si on veut qu’une boutique reste fermée toute une journée, on n’a qu’à placer devant les portes de cette boutique ses batteries de fétiches composées d’une bouteille de rhum vide ou remplie, d’une corde de paille, d’une bonne poignée de maïs grillé, de quelques pièces de monnaie… Le propriétaire de cette boutique devra d’abord voir un houngan ou évoquer des Esprits. S’il est un bon protestant, il lira des psaumes…

Si l’on vend au marché, il y a des choses à faire si l’on ne veut pas que son argent disparaisse à chaque article vendu. C’est drôle, hein ! Mais, c’est bien vrai. Et, si l’on veut avoir beaucoup de clients, il y a aussi des choses à faire, comme enterrer des animaux, des bouteilles de sang ou vides… placer des batteries de fétiches à l’intérieur de sa boutique ou son entreprise, etc.

Si quelqu’un vient chez soi sans y être invité, au moment du repas du midi, et qu’on ne veut pas lui servir à manger, on n’a qu’à mettre en croix les couteaux, les fourchettes, et renverser la salière. Ce quelqu’un ne mangera pas même s’il a mortellement faim, à moins qu’il ignore tout de la culture haïtienne ou qu’il soit lui-même un mystique.

La société haïtienne est superstitieuse, et la superstition se voit aussi comme la croyance que certains actes, certains signes entraînent, d’une manière occulte et automatique, des conséquences bonnes ou mauvaises. C’est la croyance aux présages, aux signes… Ainsi, dans ce contexte, on refuse de passer sous une échelle. Les enfants ont peur de marcher avec une seule sandale, de peur qu’ils n’entraînent la mort de leur mère. Quand on balaie, on évite de passer le balai sur les pieds des célibataires, sinon ils ne pourront pas se marier. On évite de passer sous les jambes de quelqu’un quand on est enfant, sinon on cesse de grandir. On n’ouvre pas un parapluie à l’intérieur d’une maison, car ça porte malheur. Quand on a la paume de sa main gauche qui lui démange, on va sûrement avoir de l’argent. Quand un chien aboie la nuit, c’est qu’il voit un loup-garou, un sorcier, un malveillant, un « lève-mort », quelqu’un qui ressuscite les morts au moyen d’un certain rituel du vodou… Les chiens haïtiens sont dotés de cette capacité de voir l’invisible. Ouf !!! N’importe quoi !

Les stéréotypes causent la mort de beaucoup d’innocents.

Ces phénomènes ne se connaissent pas seulement dans la paysannerie… car la culture n’est pas paysanne, mais plutôt haïtienne. Ils se connaissent partout, même dans la classe, dite haute classe, à la seule différence que dans cette classe, on préfère les rituels maçonniques, rosicruciens… quand il faut exorciser un démon, faire du mal à quelqu’un ou s’en venger, etc.
Par ailleurs, une telle culture semble réductrice de la réalité des phénomènes naturels et simples, réductrice des singularités, surtout quand elle est pétrifiée, stéréotypée dans ses formes. La société a donc besoin, pour évoluer, d’affranchir son esprit des schèmes négatifs et stéréotypes culturels…

C’est triste de voir à quel point les stéréotypes causent la mort de beaucoup d’innocents. Qui sont ces innocents ? Ce sont les vieillards laids, et barbus (pour les hommes), les chats et chiens tout à fait noirs ou blancs, les nains… On les considère comme des malveillants, loups-garous ou lycanthropes. C’est généralement des vieillards paysans. Si dans les mythes, les loups-garous sont des hommes transformés en loup, chez nous, ils peuvent être aussi, des hommes transformés en chat, en chien, etc. C’est pourquoi les vieillards ont peur de marcher le soir quand les rues sont vides de gens, et sans se faire accompagner par quelqu’un de jeune; sans quoi, ils risquent de se faire tuer à coups de machette. C’est pourquoi aussi on ne laisse pas son chien noir ou son chat noir errer le soir dans les rues…

Mais, en dépit de l’impact négatif des phénomènes culturels, ce n’est pas trop idiot d’y croire. Les stéréotypes, ceux dont il est ici question, naissent d’une réalité culturelle complexe. Il arrive que des gens puissent se métamorphoser en bêtes, user des batteries de fétiches… Il arrive bien cela. D’aucuns savent en voir de leurs propres yeux.

Eliphen Jean


Haïti ou le paradoxe du normal

Mon p’tit pays, le pays où tout se mêle, alterne et fusionne. On n’a pas à faire travailler sa matière grise, peut-être de peur qu’elle ne devienne noire… D’ailleurs, trop d’esprit et d’intelligence nuisent. Bref ! Ici, on est doué de la plus remarquable intelligence, l’intelligence associative.

Vous avez besoin de détails ? Je le sais, vous êtes friands de buzz. Ben, voilà !

Dans ce pays, c’est la mentalité de « qui se ressemble s’assemble. » C’est un pays où tout ce qui brille est or. Et, ceci, même en politique ! Le peuple aime le président Martelly dit « président TÈT KALE » (Tête rasée) , tous les militants politiques qui se rasent la tête bénéficieront de l’amour du peuple. Alors qu’il est fort probable que ce soit des militants opposants.

Voyons !

Le patron ou la patronne envoie sa servante au marché. Elle doit acheter du riz. Arrivée au marché, elle est en face de plusieurs types de riz différents, et elle oublie ce qu’elle doit choisir. Elle n’a pas à se casser la tête, elle achète n’importe quelle sorte, pourvu que les sacs soient de la même couleur. A l’instar de la patronne, elle achète le riz le plus coûteux, le plus coûteux est souvent le meilleur… mais, ce qui est marrant, le vendeur intelligent n’a qu’à hausser le prix du soi-disant mauvais riz, un p’tit jeu qu’on fait aux servantes qui ne savent pas lire. Donc, si pour la servante, c’est le même riz dans tous les sacs puisqu’ils sont de la même couleur, pour le vendeur, les riz sont aussi de même qualité, car ils proviennent tous de la terre. Tous les riz doivent alors se vendre.

Pratiquement, dans mon pays de miel, quand un conteur va dire son histoire, il dit : « cric ! », et l’on répond : « crac ! ». Mais, je ne vous dirai jamais cric ! Car, sans blague, on a, ici, des raisons d’être fiers d’être Haïtiens.

Moi, étant vrai haïtien, je n’ai pas à être vexé quand mes amis blancs se targuent de leur pays qui produit des voitures ou véhicules de marque. Je n’ai pas à être vexé, car, mon pays a de très bons mécaniciens qui produisent des voitures de marque indéfinissable. Il reste au gouvernement d’en faire promotion et d’en exporter quelques-unes.

Cela vous étonne qu’Haïti produise des voitures ?

Mais, bien sûr ! Haïti se développe. Venez et vérifiez. Sur dix voitures qui roulent, vous en trouverez au moins cinq de marque haïtienne. Des voitures ainsi fabriquées : la portière de gauche est Mazda, celle de droite est Toyota, la carrosserie peut être Nissan, le moteur est Isuzu, etc. Une partie de chaque marque étrangère. Et, voilà ! C’est tout à fait o-ri-gi-nal. Il arrive aussi ce cas où l’on transforme sa voiture à quatre portières en tap-tap ou camionnette, pour le service de transports en commun quand rien plus rien ne va.

hpnhaiti.com
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Parlons un peu santé !

Si vous êtes malade, et que vous ne voulez pas moisir à l’hôpital, Haïti a de très bons médecins. Vous êtes une femme qui ne veut pas faire attendre son mari qui doit être revenu, affamé, de son bureau, vous êtes à l’hôpital pour cause d’infections vaginales, vous n’avez qu’à ouvrir ou laisser le docteur ouvrir votre appareil à deux tranches bien joufflues, et d’un coup d’œil, il vous prescrit vos antibiotiques. S’il est galant ou « vivant », il n’à qu’à vous persuader que c’est important qu’il vous passe une serviette mouillée d’une eau que vous pensez différente de celle que vous buvez. Un p’tit job que pourrait bien faire votre mari qui croit que sa bonne femme préfère toujours les analyses médicales. Hélas ! La voix du médecin est la voix du Bon Dieu, comme aussi celle du pasteur. On s’en fout de cette question d’analyse. D’ailleurs, si vous étiez plus gravement atteint, vous seriez en salle d’urgence… Et après consultation, vous n’oserez pas oublier de laisser votre numéro.

Et si vous voulez moisir à l’hôpital, faites-vous accompagner de votre mari ou votre petit ami, et préférez les analyses médicales.

Le paradoxe de l’emploi

Dans le bas peuple, tout le monde cherche un emploi, mais on a, pour la plupart, peur de travailler. La raison est que, quand on trouve de l’emploi, les autres membres de la famille n’ont pas besoin de travailler. On s’imagine alors le chanceux de la famille avec son premier boulot. Il va nourrir une famille où les enfants constituent un véritable escalier sans paliers, tellement ils naissent. Pire, on représente les rampes de bois pourri ou de fer rouillé de cet escalier.

Mais, Haïti reste un pays de miel. On n’a pas de taxe à payer comme aux Etats-Unis. On conduit sans permis, on brûle les feux rouges, on n’à qu’à cracher dans la main d’un policier un billet de 100 G. (environ 2 US), puis on s’en va. Un chauffeur intelligent saura se munir de billets de 100 G.

En tout cas, j’ai beaucoup à dire… je vous reviens.

Eliphen Jean


Haïti en flammes

Le panorama social et sociologique haïtien se déroule, sinistre, comme l’incendie de l’explosion démographique déroule son ardente spirale autour des mornes. Un incendie dont chaque arbre est un brandon, c’est-à-dire un débris enflammé qui s’échappe de cet incendie. C’est comme la vie qui se déroule aussi, toujours pareille, avec la mort au bout…

Cet incendie fait rage au fil des jours. Il fait rage au mépris des braisiers de l’écologisme et de la législation y relative. Les normes juridiques de construction qui doivent aussi jouer le rôle de gicleurs d’incendie sont ignorées par certains, et inconnues chez d’autres. Et les nantis, et les gens à faible économie construisent dans les mornes qui constituent le pittoresque même du pays. Ce serait abusif de dire que tout système de législation, pour être puissant, nécessite un système d’éducation, car ces gens dont il est question sont pour la plupart éduqués.

Voilà, ici, une vue panoramique d’une île en proie à une crise d’asthme, avec son atmosphère d’étuve qu’on ne retrouve pas souvent même dans les pays équatoriaux.

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Haïti n’était qu’une île nichée dans un écrin de verdure. Jadis, lorsque le soleil était de plomb ou qu’il faisait très chaud, j’allais à la campagne prendre un bol d’oxygène… Je me délectais à regarder les enfants folâtrer comme des poissons dans les rivières qui s’agitent dans les pierres entre les arbustes fleuris, je m’amusais à faire la cour aux oiselets, aux hirondelles qui chantent, gazouillent et trissent, et qui rasent le sol avant l’orage. Où sont aujourd’hui ces hirondelles pour m’annoncer le printemps, comme les premiers jours de mars ?

uic.edu
uic.edu

Aujourd’hui, la vie agreste et rustique est d’enfer. Cette île s’asphyxie, par manque d’oxygène. Les arbres sont trop coupés. Ils ont peur de pousser. Les gens en ont besoin pour faire du charbon de bois ou pour construire des maisons. Les montagnes se déboisent. Les gens ont besoin d’espace pour construire. Ils ont besoin aussi de la terre et de la pierre ; alors, ils concassent les mornes. Le déboisement se fait à outrance, ce qui expose le sol aux phénomènes d’érosion. Et, à cause de ce phénomène de déboisement occulté aussi par la mythomanie de l’Etat, le climat est d’une lourdeur irrespirable, il devient plus tropical que les tropiques.

Les crêtes dentelées qu’on peut encore deviner sous les flancs bien enveloppés des montagnes, les indentations, les échancrures… disparaissent. La faune, comme la flore, qui fait l’intérêt constant du paysage s’éteint peu à peu. L’avifaune, qu’on appelle aussi la faune ailée puisqu’elle désigne l’ensemble des oiseaux, tend à disparaître. Les oiseaux n’ont presque pas où se poser. Ils n’assistent guère au concert des étoiles…

Par ailleurs, ne serait-il pas vital ce que j’appelle « une politique de l’environnementalisme » ou de prôner l’environnementalisme haïtien, comme c’est le cas des Etats-Unis et de tant d’autres pays? La réponse doit être oui. Il est vital de faire appel à l’écologisme dans le cadre d’une politique de développement économique.

Mais, un jour, à défaut de mesures contre cet incendie, Haïti pourra ne plus signifier « Terre haute, terre montagneuse ». Cette terre pourra connaître des spasmes plus épouvantables qu’en ce 12 janvier 2010. Ainsi, promouvoir l’écologisme n’est-il pas antispasmodique ?

Eliphen Jean


Haïti, malgré tout

elphjn01.mondoblog.org
elphjn01.mondoblog.org

Haïti, jadis perle des Antilles, se trouve depuis si longtemps vouée sans appel à la platitude… J’en ai déjà fait mention dans un article. C’est, autrement vu, un déshonneur qu’est condamnée à vivre la communauté antillaise en raison de la pauvreté. Cette île n’est pourtant pas le seul pays pauvre en Amérique centrale ou dans les Caraïbes. Il y en a d’autres, plus pauvres.

Je reconnais que si vraiment l’histoire est faite de progressions et de régressions, celle d’Haïti n’est faite que de régressions. Et, là encore, j’en douterais. Car, selon que la régression est l’évolution vers le point de départ, Haïti devrait recouvrer sa gloire, sa dignité… de nouveaux noms auraient figuré dans le panthéon de son histoire.

En dépit de ce que représente Haïti aux yeux de l’Etranger, elle est quand même parvenue à se faire accepter comme une civilisation nègre en plein cœur de l’Amérique. Haïti que j’appelle l’Afrique exilée, ou plutôt la pointe avancée de l’Afrique en Amérique où elle continue d’être le symbole de la fierté et de la dignité des Noirs du monde entier, malgré tout…

Si Haïti a conservé le français, langue des colonisateurs comme première langue, c’est en ce sens que cette langue reste, pour elle, un trophée supplémentaire dans son butin de victoire, comme l’a bien énoncé François Duvalier…

Toutefois, il faut souligner qu’étant Haïtiens, descendants de l’Afrique, avoir le français comme langue officielle ne signifie pas qu’il n’y a pas de contradiction entre la négritude et la francité, ce que prétendait Léopold S. Senghor. Il y en a. La francité est européenne et strictement française. La négritude, quant à elle, est purement relative aux Noirs. Elle n’est pas tout à fait africaine, comme on peut le penser.

Et, en aucun cas, souligner la négritude n’est nullement un moyen d’accentuer le racisme, car, nous, Noirs, considérons aussi l’Homme comme universel. A moins que ce soit un racisme à rebours… Mais, il s’agit plutôt d’une forme d’affirmation de la civilisation nègre.

Dans le creuset des malheurs, Haïti miroite au soleil de sa gloire qui paillète sa jeunesse de ses humides étincelles, et y couve aussi une révolution de cette jeunesse qui ne tardera pas. Sa jeunesse aussi immarcescible que sa gloire, aussi forte que le temps.

Eliphen JEAN


La vie en Haïti, un défi…

lematinhaiti.com
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Les crises haïtiennes font encore le plein d’audience à la radio comme à la télé, et font encore couler beaucoup d’encre. Elles s’empirent au fil des jours. Et, quand à défaut de solutions les contingences de la vie quotidienne deviennent crises, les inquiétudes dues au marasme socioéconomique sont davantage irrémédiables et cruelles… Dès lors, les rêves de la jeunesse populaire restent, pour la plupart, au stade du mirage. Ils renvoient, pour reprendre Jean-Paul Sartre, aux raisons du cœur, aux vertus, aux vices, cette grande peine que les hommes ont à vivre.

Généralement, une célèbre phrase caractérise le discours quotidien de l’Etre Ayisyen (Haïtien). « Lavi a di » (La vie est dure). Et, il semble bien évident que la vie est, ici, injuste et cruelle. Ce qui entraîne – je le souligne dans plusieurs articles – une fuite constante de valeurs. Une fuite pourtant pas inexorable comme celle des heures, puisqu’en étant conscient, on peut miser sur la jeunesse montante comme on doit toujours miser sur les hommes et les femmes, autrement dit sur le capital humain. Cette fuite de valeurs n’est pas une fatalité à laquelle on ne peut se soustraire. Mais un défi. Même s’il n’y a pas que ce défi. En effet, pourvu que l’Etre Ayisyen veuille sortir de ces ornières qui sillonnent sa voie, il peut défier la fatalité. Car, comme disait Romain Rolland, cet écrivain français du 20e siècle, la fatalité, c’est l’excuse des âmes sans volonté. Et, si l’avenir est menaçant, il doit le défier pour ne pas se réduire à le redouter chaque jour.

Par ailleurs, comme un œil en pleurs aux prunelles malhabiles, s’ouvre le cul d’Haïti au regard insensible et méprisant de l’Etranger. Haïti est mal vue. Et, quiconque se croit être bien vu comme Haïtien, se trompe sur toute la ligne, tant qu’il ne se voit pas bien lui-même en premier lieu. Je veux souligner, ici, le cas d’une crise de confiance généralisée et de fierté-nègre, le cas d’un déficit moral profond qui se creuse considérablement. On se croit inférieur à l’Etranger, on ne croit pas qu’on peut comme lui… on se méfie de soi et des autres. En effet, on ignore qu’Haïti peut positivement bouger dans la mesure où l’on croit qu’on peut comme l’Autre, et qu’on se décide d’agir. Mais… c’est cela, un autre défi, le défi d’être Haïtien.

L’Etre Ayisyen (Haïtien), douloureusement affecté par son état et conscient, lassé de tout, même de l’espérance, s’aveulit gravement devant le défi d’une vie dont l’instauration ne date pas d’hier. Aujourd’hui plus que jamais, Haïti est en urgence d’une transformation sociale et sociétale, en raison de la menace qui pèse lourd sur la masse populaire, classe des plus faibles. En raison, surtout, de ces calamités séculaires et indomptables qui fondent sur Haïti. Cette transformation, au-delà d’une politique d’amélioration des conditions actuelles d’existence, nécessite une politique de structuration du système éducatif haïtien, où une éducation adaptée à la réalité haïtienne doit prévaloir contre cette forme importée qui dépossède systématiquement l’Etre Ayisyen de sa culture. Je pose là un problème aussi ethnique que social. Améliorer ces conditions, c’est les proportionner aux standards sociaux (référentiel de normes, de valeurs…) C’est, en d’autres termes, tenter de corriger ce sérieux décalage entre les normes et les conditions factuelles de la vie sociale haïtienne.

Outre que cet article consiste en une configuration multifactorielle des crises dites haïtiennes, en accéléré, sur fond d’incidences comme la fuite et la bizarre mutation des valeurs, il invite à poser le regard sur la réalité sociale où les problèmes sociaux ont le visage de plus en plus hideux. Il invite à l’observation des hideurs sociales, en vue d’une meilleure compréhension du défi de la vie en Haïti, et de celui de l’Etre Ayisyen.

Eliphen JEAN


Je suis Kenya

J’ai vu des Noirs d’Afrique crier « Je suis Charlie ! ». Je les ai vus. Ils étaient, pour la plupart, unanimes à penser que justice se doit à Charlie qui n’était pas Noir. J’ai aussi assisté à des manifestations virtuelles auxquelles j’ai moi-même participé. Des mobilisations internationales et des débats ont fait le plein d’audience à la télévision. Des cris d’indignation et de vengeance fusèrent de toutes parts, des quatre coins du monde… Et, force est de constater enfin, sur les réseaux sociaux, que même des gens qui ne savent rien du dossier Charlie ont changé leur photo de profil en « Je suis Charlie ».

Je suis aujourd’hui triste de voir si peu de réactions à cet événement qui désole le Kenya. Un groupe terroriste somalien (les shebabs) a perpétré un massacre pour cause de religion. Un affreux et un monstrueux carnage : 148 morts à l’université de Garissa, dont 142 étudiants, tous tués pour avoir été chrétiens. Un lourd bilan par rapport au massacre de Charlie Hebdo (10 morts) et celui du musée de Bardo (20 morts) à Tunis. Cette indifférence traduit l’idée que, pour les silencieux et indifférents, l’extinction de la race africaine ferait du bien aux autres races de l’humanité dont nous sommes tous, quelles que soient nos différences.

upjf.org
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Outré d’une telle indifférence, je rappelle que l’espèce africaine est prolifique. L’espèce humaine l’est. Regarder tomber des Africains ou des gens d’autres nations sans dire mot, parce qu’ils ne sont pas de sa nation, c’est regarder s’écrouler tout un pan de soi, car il y a des milliers de nations, mais une seule humanité. L’eurythmie du monde ou de l’humanité entière doit dépendre de cette reconnaissance universelle que le monde est le bien de tous, non l’apanage d’une grande puissance. Cette reconnaissance doit être la négation des préjugés qui s’opposent à l’émancipation complète des uns et des autres.

Je suis Garissa.

Éliphen Jean


Le tourisme : un secteur économique porteur pour Haïti

haitilibre.com
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Le tourisme est un secteur économique vital pour Haïti. Promouvoir le tourisme haïtien, c’est contribuer à un développement socioéconomique durable. Haïti est une destination à allécher les étrangers. Dès lors, il est de bon ton d’encourager les entreprises et/ou initiatives touristiques, et de faire du tourisme un véritable secteur créateur d’emplois dans la perspective d’une nouvelle Haïti. La nouvelle Haïti est avant tout une Haïti en plein essor économique. Sans une politique de croissance durable, le développement s’avère difficile. Si le développement est caractérisé par la disponibilité d’un minimum pour assurer la survie et de services de base comme l’éducation ou la santé, il est impliqué véritablement la nécessité d’élargir l’éventail des possibilités d’emplois. À défaut d’emplois, les valeurs et normes sociales risquent d’être reléguées au second plan. Le rêve de la nouvelle Haïti risque d’être relégué parmi les chimères.

En effet, ce changement effectif dans la structure sociale et ce phénomène de transformation sociétale qu’est le développement, est utopique si l’Etat haïtien ne tient pas compte des besoins essentiels qui sont justement des facteurs de croissance économique. Tenir compte de ces besoins, c’est tenir compte, au moins, des critères suivants proposés par la PNUD:

-La productivité qui permet d’enclencher un processus d’accumulation ;
-La justice sociale : les richesses doivent être partagées au profit de tous ou le marché de l’emploi est ouvert à tous;
-La durabilité : les générations futures doivent être prises en compte (dimension à long terme du développement) ;
-Le développement doit être engendré par la population elle-même (nécessité de création d’emplois) et non par une aide extérieure.

Ce sont là aussi des mesures à prendre contre la pauvreté et la misère au gré de laquelle, la structure économique reste déséquilibrée, et l’organisation sociale déstructurée. La théorie des « besoins essentiels » met l’accent sur la notion de « manque ». En Haïti, les besoins fondamentaux de la masse populaire ne sont pas pris en compte (alimentation, sécurité, santé, éducation…).

Pour résoudre ou pallier les problèmes ici posés, il est nécessaire de s’investir dans un secteur inexploité, mais porteur, comme le tourisme. Le tourisme peut, dans l’ensemble des secteurs d’activités, générer un nombre d’emplois infinis. Pour comprendre cela, il faut, d’une part, tenir compte de tous les attraits touristiques, comme la mer, les montagnes, les patrimoines historiques etc. qui ont besoin d’un entretien permanent, et, d’autre part, de l’afflux de visiteurs étrangers. J’invite, ici, à comprendre que le tourisme risque d’être (s’il ne l’est pas encore) un poste excédentaire des échanges extérieurs. D’où une nécessité de création d’emplois, même par la population elle-même.

Par ailleurs, à tenir compte des chiffres publiés par le ministère du tourisme dans un communiqué de la mi-novembre 2014, le nombre de visiteurs étrangers peut s’estimer à plus de 362 980, à compter de janvier 2014. Un nombre de plus en plus croissant. Dès lors, dans le cadre d’une politique d’expansionnisme économique (où la croissance doit être systématiquement favorisée), l’Etat ne doit pas seulement promouvoir les belles plages, et ce paysage pittoresque d’Haïti. Il doit se soucier de tout un éventail historico-culturel haïtien. Haïti est une destination attractive qui a vraiment beaucoup à offrir aux étrangers. D’ailleurs, la Banque Interaméricaine de Développement (BID) a fait récemment un don de 36 millions US à seules fins de mettre en valeur et d’entretenir les ressources historico-culturelles et naturelles haïtiennes sur la côte sud du pays. Un don, à bien préciser, qui s’est inscrit dans le projet de création d’emplois.

zoomsurhaiti.com
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A la perspective de contribuer à un développement durable qui requiert une politique de croissance effective, l’Etat haïtien peut tabler sur les opportunités offertes par le secteur touristique où la population peut commercialiser les produits artistiques et artisanaux, où les talents comme poètes, slameurs, danseurs folkloriques, graffiteurs et peintres, peuvent se vendre pour vivre, grâce à l’appui, surtout promotionnel, de l’Etat. Les touristes ne sont pas venus passer seulement des jours en Haïti, mais aussi découvrir ce qui est substantiellement haïtien. Dès lors, il leur faut des guides et interprètes. Ils sont nombreux les jeunes interprètes amateurs et professionnels qui sont en quête d’emploi et qui, pour la plupart, ont des enfants à nourrir et élever. Dans cette optique, l’Etat pourrait bien, d’abord, réaliser une institution qui offre le service d’interprétariat. Ensuite, recruter ces interprètes. Les touristes sauront alors une institution à contacter, en cas de besoin.

Au-delà des opportunités liées au culturel, je pense qu’un programme d’éducation à l’écocitoyenneté est vital, et peut générer des emplois. Ils sont aussi nombreux les étudiants diplômés en sciences de l’environnement qui n’ont pas d’emplois et qui vivent déjà à leurs dépens. Un tel programme viserait à promouvoir un comportement responsable et civique à l’égard de l’environnement et à combattre ce que j’appelle les fléaux de l’environnement, caractérisés par la pollution et les nuisances. Un environnement mal entretenu ne peut que dégoûter les touristes. Les nuisances se définissent comme l’ensemble de facteurs d’origine technique (bruits, dégradations, pollutions, etc.) ou sociale (encombrements, promiscuité) qui nuisent à la qualité de la vie.

Vu cette ambivalence du tourisme haïtien caractérisée, dans cet article, par la visite massive des étrangers et cette gamme d’opportunités d’affaires et d’emplois, il est indéniable que la nouvelle Haïti est possible, si L’Etat et les organisations de la société civile s’investissent dans ce secteur.

Éliphen Jean


Cette jeunesse, voilà qui je suis

lionsurmer.com
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L’envie de croire, l’envie d’aimer,
l’envie d’être, l’envie de vivre
j’incarne tous les sentiments : triste, enthousiaste, passionnée, confiante, inquiète…

C’est comme disait Baudelaire qui en eût parlé mieux que quiconque.
« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage
Traversé ça et là par de brillants soleils ! »

Je suis cette Jeunesse,

l’absolu me hante,
je me crois forte, si forte que tout me paraît possible
je suis insouciante, les obstacles de la vie ne me font pas peur
un mélange de bon sens, de non-sens, voilà ce que je suis encore

je m’enlivre et je m’enivre
je m’enivre de la substance des livres

C’est comme disait aussi Rimbaud :
« Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – on se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête… »

ivresses et vertiges
vestiges de rêves… je suis cette Jeunesse

la vie est presque synonyme de jeunesse
des jeunes qui naissent
des vieillards qui renaissent…qui s’en vont dans le sein de la terre
et qui disparaissent du visible
des vieillards qui redeviennent bébés

Je suis cette Jeunesse

Celle qui connaît des faiblesses, des blessures, des épreuves
cette Jeunesse qui agit malgré tout
et qui dit : « Je ne dois pas broncher devant les obstacles,
car je suis le fer de lance de ma nation. »

cette jeunesse qui espère malgré les espoirs déçus
et qui rêve parfois d’un rêve relégué parmi les chimères

je suis cette jeunesse qui refuse d’être adulte
car la vie me paraît trop belle…et les soucis moins lourds.

(extrait)

Éliphen Jean


Une jeunesse dans la rue…

Ils sont nombreux. Ils pourrissent dans les coins de rue, entre ordures hétéroclites et mares fangeuses. Ils chargent les camions à tous les carrefours servant de station de taxis et de voitures de transport en commun. Ils traînent à tous les coins de rue. Ce ne sont pas des va-nu-pieds, mais ils vont pieds nus partout. La plante de leurs pieds est éraflée, rayée, brûlée sur l’asphalte chaud, sous le soleil de midi. Ils sont tous abandonnés à leur triste sort. On les appelle comme on veut. Clochards. Voyous. Mendiants. Escrocs. Chenapans ou vauriens. Ils sont tous en loques, haillonneux ou dépenaillés. Quant à moi, je n’ignore pas qu’ils sont aussi des humains qui méritent une vie normale. J’aurais pu être d’ailleurs comme eux ou avec eux si mes parents m’avaient délaissé. Comme certains de ma génération, je pars du bas de l’échelle sociale que je gravis encore à une allure vertigineuse, non désespérante… Ils ne choisissent pas de vivre en marge de la société. C’est plutôt la société qui s’oppose violemment à eux.

Ces humains à la misérable existence, n’ont pas tous une même cause de misère. Certains sont délaissés de leurs pauvres parents et de parents pauvres. D’autres sont influencés par leurs compagnons de route, en revenant de l’école. Tous petits, ils font l’école buissonnière, ils déferlent en masse sur les places publiques. Il arrive que la plupart soient des orphelins qui empruntent la voie des sans-voix, faute de tuteurs.

Par ailleurs, on ne peut parler d’une jeunesse haïtienne, sans penser à cette couche sociale marginale, et prolifique, que rien n’empêche, selon moi, d’être majoritaire. Cette couche d’enfants de rue. Enfants disparus, pour la plupart, qui se retrouvent dix par rue, et qui, à dix pas, se ruent sur tout ce qui semble alléchant : un portefeuille égaré, par exemple.

hpnhaiticom
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Ils s’habituent à la misère du temps, à l’incommodité, à l’infortune, à la disgrâce. Ils s’aguerrissent au dénuement. Le trottoir sent le taudis. Abject. Sale. Fétide. Le soir, ils étalent leurs morceaux de carton sur le trottoir pour se coucher, en haillons ou torse nu. Les plus faibles n’ont pas de cartons. Au matin, ils quittent le trottoir, ils trottent par toutes les rues, ils s’en vont à leurs petits métiers. Sans se brosser. Sans se laver. La vie les appelle…ils s’en vont au hasard du temps.

Incroyable, mais on peut y croire. Ils savent s’aimer. Leur fraternité d’esprit est réelle. Leur esprit d’équipe aussi. Si seulement, nous pouvions tous nous aimer, au moins, de l’amour des enfants de rue… Haïti en a besoin.

Éliphen Jean


La TNJH sonne le glas…

elphjn01.mondoblog.org
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La jeunesse haïtienne s’affirme au jour le jour. Elle affirme son existence par des actions citoyennes. Ces actions témoignent, chez les jeunes, d’une prise de conscience qu’ils doivent être, chacun, un maillon d’une chaîne de solidarité. Alors, ils s’entraident. Ils s’entraident pour sauver Haïti. Ils reconnaissent que leur action est la moelle épinière de leur nation.

L’évidence est là. Elle saute aux yeux. L’Organisation de la Tribune Nationale de la Jeunesse Haïtienne (TNJH) vient d’organiser, ce samedi 28 février, sa cinquième assemblée générale en Haïti, au prestigieux hôtel Oasis. Des jeunes étaient venus de toutes parts. Car, le thème était ‘‘Jeunesse d’Haïti, Jeunesse de la diaspora, une seule jeunesse, une nation”. Et, sur leur Tribune, ils s’étaient bien fait entendre. De tant d’échos ont franchi les murs du silence.

Aujourd’hui plus que jamais, les jeunes n’ont pas besoin de barricades pour se faire entendre. Cette organisation se veut l’organe des sans-voix. Elle marque, comme beaucoup d’autres organisations, le début d’une ère nouvelle dans le cadre de la construction d’une nouvelle société. Elle évoque le tic-tac du métronome. Elle bat la mesure. Elle donne le signal d’un nouveau départ. C’est l’horloge nationale qui sonne le glas de la misère et des inquiétudes qui rongent l’esprit de la jeunesse. Inquiétudes liées aux marasmes socioéconomiques qui désolent leur pays.

La TNJH constitue, par ailleurs, un point de ralliement de toutes couches sociales. Elle invite à s’asseoir ensemble, se parler, s’écouter, et harmoniser les points de vue. Elle contribue à tisser les relations sociales à travers des rencontres, des causeries citoyennes, et d’autres activités y afférentes. C’est dans cette perspective, comme de coutume, elle a livré ses micros aux grandes personnalités suivantes :

M. Philippe Gérard Tardieu, PDG de l’Hôtel Royal Oasis et Membre d’honneur de la T.N.J.H
Honorable Valérie M. Cartright, conseillère municipale de la ville de Brookhaven, Long Island, Suffolk County, New York, membre d’honneur de la TNJH
Prof. Mirlande H. Manigat, ex Première Dame de la République
M. Daniel Gérard Rouzier, PDG de E-Power & SunAuto
M. Jacques Joël Orival, commissaire principal de Police de la commune de Pétion-Ville
M. Mario Andresol, ex commissaire de division, ex commandant en chef de la P.N.H
M. Pieriche Olicier, Ministre des Haïtiens Vivant à l’Etranger (MHAVE)
Mme Yvanka Jolicoeur, Mairesse de la commune Pétion-Ville, Haïti
M. Jimmy Albert, Ministre de la Jeunesse et des Sports.

Chaque intervention consistait dans un appel lancé à la conscience de la jeunesse. La jeunesse qui a besoin de repères.

Eliphen Jean


Ma banlieue

Ma banlieue est un dédale de couloirs noirs. Un dédale inextricable de ruelles, de rues frêles et de carrefours. Ma banlieue est un écheveau de fil brouillé par un chat affamé et diffamé, comme des chevaux embrouillés aux poils embroussaillés. Dans ma banlieue, des gens croient qu’on est que dalle, on ne dalle pas les cases, la misère nous écrase, la nourriture est rare chez tous même chez Richards…

Pourriture qu’on est aux yeux des uns et des autres, on naît odieux pour qui n’est pas des nôtres. Mais, à Dieu notre destinée, adieu discriminations. Chaque jour, plus de faim, plus de dix cris minent ma nation. Chaque jour on meurt de faim, demain on est défunt.

Ma banlieue est une bande de lieux malfamés. Lieux surpeuplés. Lieux de gens affamés. Lieux mal desservis où pour dessert on tue une vie. On asservit pour régner à vie. On tue, on torture. On tue à tort ceux qui vont à pas de tortue.

Ma banlieue est cette zone de la ville qui est au ban des lieux. Un canton populeux en marge de la ville. Quand on y est, on s’égare. Ma banlieue est fourmillante, on dirait des fourmis en hiver…

thenowinstitute.org
thenowinstitute.org

My bro and sis, que six reste six, ne le change pas en dix. Frère, respecte les pères et les mères. Respecte minou qui ne miaule pas, notre p’tit chat par où nous voyons le jour. Minou poilu ou chauve, minou en chair de poule plumée… Si tu veux du changement, situe-toi parmi nous. Tutoie tes amis jeunes, vouvoie les plus âgés. Donne quand tu déjeunes, Tends la main charitable à qui pourrissent dans les coins de rue, entre ordures hétéroclites et mares fangeuses. Ils sont nombreux les miséreux…

Soyons compatriotes. Soyons compatissants. Soyons Haïtiens. Respectons-nous. Respectons les autres qui sont une part de nous. Ainsi, nous aurons tous une autre vie, une autre bande de lieux. Un jour, un concert d’amour en ces lieux aura lieu…

Éliphen Jean


Dans ma ville, après la pluie, c’est…

À l’école, dans des manuels scolaires, on apprend toujours qu’après la pluie, c’est le beau temps. Alors que la réalité dit tout le contraire. On fait même croire aux enfants que les pluies sont pleurs des anges que le tonnerre effraie, ou que Dieu pisse sur nos têtes. On leur inculque n’importe quoi. On parle donc de la pluie et du beau temps, c’est-à-dire qu’on dit des banalités.

La réalité, quant à elle, ne ment pas. Après la pluie, c’est la boue. On patauge dans la boue. On a l’impression de jouer aux dames avec des détritus hétéroclites, dont les rues sont parsemées, pour la plupart. C’est ce que je vis dans ma ville, Cap-Haïtien. C’est aussi le cas de certaines autres régions d’Haïti.

Elle s’appelle Cap. Vous savez pourquoi ? Une ville qui s’avance dans la mer, et qui risque de s’y noyer à n’importe quel moment. Il n’est pas nécessaire que les pluies soient diluviennes pour que les quartiers populaires soient inondés. Rien que d’imperceptibles gouttelettes… Et, s’il pleut à seaux, c’est plutôt la mer qui s’avance dans la terre. La mer est presque au niveau du sol. On peut donc comprendre comment les habitants de cette ville, les Capois, risquent d’être des Jésus, sans magie et sans rituel.

minustha.com
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La ville de Cap-Haïtien est, en effet, en proie à des inondations permanentes. Permanentes, car il n’y a pas un bon système de canalisation. Les eaux restent stagnantes pendant longtemps, moyennant un bon soleil chaud. Heureusement qu’Haïti est un pays du soleil. Par ailleurs, je me demande si ce problème n’est pas lié à la mauvaise construction des maisons, et surtout à une surpopulation liée au dépeuplement des communes ou des campagnes qui se désertifient en conséquence. Les gens qui viennent des campagnes construisent comme ils veulent et où ils veulent. Ils doivent nécessairement trouver un endroit où construire. Ils construisent alors dans les ceintures populeuses de la ville, ils repoussent la mer. Comparez la mer à un sachet d’eau que vous pressez petit à petit dans vos mains… Vous comprendrez.

Enfin, on peut se demander pourquoi l’existence d’une mairie à Cap-Haïtien.

Eliphen Jean


Haïti et déperdition des valeurs

hpnhaiti.com
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La jeunesse haïtienne est pilotée par tout un éventail d’inquiétudes, de soucis et d’ambitions. D’une part, elle est rongée par le mal du pays en crises constantes, qui s’aggrave, empire considérablement. D’autre part, elle est obsédée par le désir ou le rêve légitime de quitter son pays ou plutôt son île. Ce rêve qui obnubile sa pensée, lui impose alors l’obligation de fouiner, comme moi parfois, sur le net en quête de bourses d’études. Dès lors, on est prêt à apprendre n’importe quoi, pourvu que ce soit hors de son pays. En effet, j’invite à comprendre qu’Haïti n’endure pas seulement une hémorragie de militants (militants détruits ou exilés pour causes politiques), mais aussi une hémorragie de valeurs. Et, cette hémorragie entrave beaucoup le développement du pays, puisque, selon moi, le développement d’un pays repose sur le capital humain.

Parler de l’hémorragie des valeurs dans un contexte aussi clair, c’est dire que les jeunes, pour la plupart, tendent totalement à échapper à leur milieu d’origine, à leur classe sociale. Avant de vouloir quitter le pays, ils sont, pour moi, des transfuges de premier degré (c’est-à-dire qu’ils changent d’abord de région ou de province en quête d’un mieux-être). Nombreux quittent leur province pour venir s’installer dans la capitale. Ils croient que la capitale possède les meilleures facultés d’Etat, et qu’il leur est plus facile de trouver un emploi. Ce qui est faux ! Les crises sont les mêmes partout. En outre, Port-au-Prince reste, pour moi, le théâtre des hostilités. Une ville trépidante où la vie s’imagine toujours péjorativement comme quelque chose de volcanique. Je pose donc ici une notion sociologique, celle de « transfuge de classe ». Celui qui est né dans un milieu social va vivre adulte dans un tout autre milieu social. Qui plus est, on ne pense pas toujours à retourner à son milieu d’origine. Je dois préciser que les cas les plus fréquents sont ceux de mobilité sociale ascendante par la voie scolaire.

Normalement, il appert que cette fuite constante de valeurs et de cerveaux qui contribue à maintenir le pays dans la cavité amniotique du sous-développement, dans l’aventure et le chaos, témoigne aussi du non-respect des droits fondamentaux inhérents à l’Haïtien, précisément aux jeunes. Les jeunes aspirent à une éducation de qualité. Ils ont besoin de se nourrir et de se vêtir convenablement. Ils ont besoin d’électricité pour étudier etc. Ils ont besoin de professeurs dans leur salle de classe aux heures de cours. Ils ont besoin d’espérer d’un ferme et juste espoir de réussir, non désespérément ou contre leur gré. Dans ce cas, l’Etat leur doit une assistance tant sociale qu’économique. Il faut qu’il y ait une politique à résorber le chômage. Ils sont nombreux les parents qui se trouvent involontairement privés d’emploi. Ceux qui se disent employés ou travailleurs ont, pour la plupart, un salaire grotesquement disproportionné à leurs besoins socioéconomiques, et surtout à ceux de leurs enfants.

En effet, les conditions sociales actuelles sont jugées incapables de répondre adéquatement aux standards sociaux. D’où une situation de problème social, et l’opinion de la collectivité la considère ainsi. Cette situation est considérée comme telle, car le décalage entre les normes et les conditions factuelles ou réelles de la vie sociale est nécessairement perçu comme corrigible, et la population doit croire qu’elle peut y remédier. À cet effet, l’Etat doit jouer efficacement son rôle qui est, avant tout, d’améliorer les conditions d’existence du peuple. Sans le respect des droits fondamentaux et sans poser le problème social, la cohésion sociale reste davantage compromise. Et, selon moi, c’est en posant un regard pluriel et holistique sur la réalité sociale que l’Etat parviendra à suturer, à un certain niveau, les relations sociales. Sans quoi, l’inquiétude des jeunes par rapport à leur avenir catalysera toujours cette hémorragie dont, je le précise, seul le respect de leurs droits fondamentaux constitue le garrot ou l’hémostase.

En fonction de ces analyses, les jeunes qui représentent, pour moi, le fer de lance de la nation, méritent l’assistance réelle et honnête de l’Etat. L’assistance de l’Etat, comme le respect des droits de la jeunesse, est le baromètre de la confiance juvénile. J’invite à comprendre ici que dans la perspective d’une nouvelle Haïti, il est vital d’accompagner les jeunes et de tabler sur leurs potentialités. Les problèmes sociaux qui requièrent, par ailleurs, l’emploi des moyens symboliques, économiques et techniques de l’action sociale, doivent être aussi perçus comme provenus de plaintes de la jeunesse. Ils régissent, dans un certain contexte, l’optique des grèves et revendications populaires. Toutefois, la seule référence à des faits objectifs ne suffit pas à jeter les bases de l’émergence d’un problème social. La dimension subjective des problèmes sociaux est tout aussi importante. C’est la dimension des valeurs dont la question est aussi centrale dans l’analyse des problèmes sociaux.

En définitive, cet article tend à sensibiliser à la complexité de l’analyse des problèmes sociaux, car il faut prendre en considération une multiplicité de points de vue. Cette analyse veut un regard sur les conditions objectives, les conditions subjectives, les conflits de valeur, les processus de construction sociale. Un regard aussi sur les diverses formes ou modalités de l’intervention sociale et de prise en charge des problèmes sociaux qui renvoient, pour l’anthropologue français Louis Dumont, à des jugements de valeur, c’est-à-dire à des normes collectives. De mon côté, je pose les problèmes sociaux comme des revendications légitimes, le plus souvent basées sur l’énoncé d’un droit particulier. Cette légitimité appelle de par des lois au respect des droits fondamentaux. Et, ce respect est de satisfaire, dans une certaine mesure, aux revendications légitimes des jeunes que je perçois comme des valeurs en extinction, à défaut même de ce respect.

Éliphen Jean


Les manifestations populaires sont justes

Nancyroc.com
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Peu importe ce qu’on dit de moi. Je ne suis pas contre les manifestations populaires dans mon pays. Les causes des manifestations sont profondes. Les mouvements de grève dans la fonction publique sont justes. Le théoricien politique français George Sorel du 19e siècle l’a déclaré : c’est dans les grèves que le prolétariat affirme son existence. C’est vrai, car l’État se fout du prolétariat. L’Etat s’en sert pour réparer les détournements de fonds, les dépenses injustifiées, les blanchiments d’argent. C’est une vérité, croyez-moi. Les prolétaires ne peuvent alors que se soulever. (En août 2014, j’ai payé 50 gourdes pour réaliser mon numéro d’Immatriculation fiscale. L’espace d’un cillement ! Trois mois plus tard, on exige aux salariés 300 gourdes et 150 gourdes aux sans-emplois. Qu’est-ce que cela veut dire ?

En effet, je veux montrer que les contestations populaires ne sont que la conséquence des injustices sociales et des abus de pouvoir. La résistance à l’oppression est un des droits du citoyen. Le pays entier est soumis à une autorité qualifiée d’excessive et injuste. Haïti gémit sous une forme d’autorité et de violence morale. Qui plus est, la bourgeoisie est de nouveau au pouvoir, elle qui a toujours été en faveur des Etats-Unis. Souvenons-nous de l’époque de l’occupation américaine. La bourgeoisie, sous le paravent monstrueux du nationalisme a dirigé et malmené le pays après la chute du président Louis Borno en 1930. La masse populaire a toujours servi de tremplin à la bourgeoisie haïtienne. Une bourgeoisie commerçante en décadence constante, car elle est incapable d’entraîner son pays sur la voie du développement durable et du progrès.

« De grâce, ne me lancez pas des pierres, mais soyez plutôt de mon côté. Je suis moi-même de votre côté, malgré tout, car si je parle de vous en ces termes, je parle aussi pour vous comme pour moi, car Haïti c’est notre affaire. »

Il est temps de sonner le glas de la misère et de la pauvreté. La liberté d’expression est maintenue trop longtemps sous les barreaux. On doit cesser d’étrangler la liberté des plus faibles. Ils souffrent véritablement. Ils n’en peuvent plus ces pauvres manifestants, affamés, pieds nus, qui marchent dans les rues pour des causes justes. Si les causes n’étaient pas justes, pourquoi l’État haïtien accepterait-il aussi vite cette semaine une baisse quoique maigre du prix du baril de pétrole ? Pourquoi a-t-il été accepté la démission du premier ministre récemment, bien que certains l’aient vue comme planifiée ?

À l’aune des crises et faits, il faut comprendre que la vie sociale est corrompue, car l’élite politique est corrompue. Honnête, l’élite politique de mon pays ne l’a jamais été. Si de génération en génération la misère ou la pauvreté sévit encore considérablement en Haïti, c’est parce qu’il n’y a jamais eu une politique transparente, généreuse et honnête. Il n’y a jamais eu une politique fondée véritablement sur la primauté de la nation. Et, ce phénomène doit, selon moi, remonter à plus de deux siècles. Nos ancêtres voulaient simplement être libres. Une fois libres, ils se sont laissés, pour la plupart, dominer par l’instinct du tambour-major, pour répéter après Martin Luther King, l’instinct de domination, de tenir le gouvernail à leur façon. Folie de grandeurs, vous savez bien ce que c’est. Pourtant, Haïti entière leur doit une fière chandelle.

Le drame moral que vit le pays est profond. Les injustices ne sont pas imaginaires. L’indépendance du premier peuple noir est à remettre en question. Le parallélisme entre l’esclavage et cette occupation déguisée qui s’appelle impérialisme est évident. Les choses vont de mal en pis. Nous assistons à une résurgence barbare de l’occupation. L’élite politique et filiation profite de cette situation au détriment des masses populaires.  Je ne suis pas contre le phénomène de manifestations, mais je souhaite un meilleur encadrement des mouvements populaires par un leadership organisationnel responsable. Toutefois, sera-t-il possible sans une élite politique civilisée et honnête ?

Éliphen Jean