Emmanuelle Gunaratne

Sri Lanka : et le président Mahinda quitta Temple Tree*…

Huit heures du matin le 9 janvier 2015. En cette journée décisive pour le Sri Lanka, alors que nous parviennent les résultats de l’élection présidentielle, un brouhaha envahit l’atmosphère. Un réel brouhaha perceptible, pas de cri ni d’euphorie. Une série de pétards pendant une heure durant, la musique. Ce sont les premières réactions. Le président Mahinda Rajapaksa, que l’on disait bec et ongles accroché au pouvoir, vient de quitter paisiblement sa résidence officielle de Temple Tree et dit s’en remettre à la volonté du peuple. Les élections les plus calmes que le Sri Lanka ait jamais connues. Pas de violence, ni de couvre-feu comme on avait craint. Une très large participation au scrutin… Un dénouement pour le moins inattendu.

Une situation inimaginable il y a deux mois

Mahinda Rajapaksa, le président sortant.
Mahinda Rajapaksa, le président sortant.

Le président Mahinda Rajapaksa, depuis 10 ans à la tête du pays, avait appelé à cette élection présidentielle, certain alors de les remporter aisément. Pas de leader d’opposition crédible. A son actif, principalement, avoir mis fin à un conflit interne vieux de 26 ans, opposant le gouvernement aux indépendantistes tamouls du nord-est de l’île. Une opposition sourde cependant contre des dérives autocratiques, la naissance d’une oligarchie familiale et l’extension de la corruption… Pour contrer ces éléments négatifs, le président Mahinda s’est alors assuré auprès de ses astrologues de fixer la date de la victoire, déterminée, d’après sa bonne étoile, au 8 janvier 2015.

Alors que s’est-il passé pour que l’on constate ce retournement de la situation ?

Maithripala Sirisena, nouveau président du Sri Lanka
Maithripala Sirisena, nouveau président du Sri Lanka

Dans l’arène politique lankaise, les défections (« cross-overs ») sont fréquentes. Pas de fidélité à des principes ou à des valeurs politiques qui seraient représentées par un parti… il est fréquent d’observer ces passages d’un parti à l’autre juste avant ou après l’élection, en fonction du contexte. Parce qu’il est plus intelligent d’agir et de lutter au sein du pouvoir? Par opportunisme?

Toujours est-il que les défections ont soudainement été annoncées en novembre dernier. Alors ministre de la Santé et secrétaire général du parti au pouvoir, le SLFP (Sri Lanka Freedom Party), Maithripala Sirisena a pris son dernier repas avec le président puis le lendemain, a annoncé qu’il quittait le parti et rejoignait l’opposition, accompagné de nombreux autres membres du parti. Il rejoignait la coalition d’opposition.

Une brèche s’ouvrait pour les électeurs sri lankais.

Une nouvelle coalition hautement improbable

Deux mois plus tard, Maithripala Sirisena est donc élu président de la République lankaise, remportant  51, 3 % des suffrages. Ministre depuis l’arrivée de Mahinda Rajapaksa au pouvoir en 2005, son allié et personne de confiance jusqu’à novembre dernier, il  s’est, en devenant le candidat unique de l’opposition, attiré le soutien des minorités tamoules et musulmanes, mais aussi de la majorité bouddhiste cinghalaise, sur un programme simple : rétablir une bonne gouvernance au Sri Lanka en luttant contre la corruption.

Discret et certainement dénué du charisme de son prédécesseur, il va devoir, en tant que président, composer avec une coalition de personnalités aussi variées qu’opposées .

L’ancienne présidente de la République, Chandrika Kumaratunga, est revenue sur la scène politique avec ces élections. Le SLFP, c’était son parti, le parti de son père, de sa mère, de la famille. Elle a rejoint l’ennemi politique d’hier, Ranil Wickramasinghe, leader du parti d’opposition, pour faire tomber le président. Parmi leurs alliés, on compte également Sarath Fonseka, ancien général de l’armée, qui a conduit à la défaite des Tigres tamouls à l’issue du conflit ethnique en 2009, aux côtés de Mahinda Rajapaksa. Candidat de l’opposition en 2010, il perd la présidentielle, est accusé de haute trahison contre l’Etat, emprisonné. Libéré, il maintient sa participation à la vie politique.

Maithripala Sirisena et son nouveau gouvernement vont donc devoir activer maintenant cette coalition. Après avoir réussi la majeure partie de leur programme – la défaite du président Rajapaksa – ils vont devoir s’attaquer au reste : mettre en place un dispositif pour restaurer une gouvernance honnête et transparente (« යහ පලනය », lisez yaha palanaya).

Emmanuelle Gunaratne

* Temple Tree est la résidence officielle du président sri lankais.

Les célébrations sont tranquilles et sans euphories.
Les célébrations sont tranquilles et sans euphorie. Devant le siège du parti vainqueur, quelques musiciens entonnent leur animation et font danser les passants, à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle, le 9 janvier 2015. Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne


Itinéraire d’une dentelle italienne

Décembre 2014, Anuradhapura… Temple Sri Maha Bodhi, terre sacrée pour les bouddhistes sri lankais puisqu’elle porte et nourrit un arbre bi-millénaire, issu de l’arbre pipal sous lequel Bouddha connut l’éveil, il y a plus de 2500 ans, à Bodh Gaya dans le nord de l’Inde…

A deux pas de ce temple, où affluent les pèlerins tout au long de l’année, existe un arbre de santal noir, un arbre précieux qui abrite des divinités. Et, parce qu’il exauce les voeux, cet arbre attire aussi les fidèles. Tout de blanc vêtus, ils se présentent, le front et les mains posés sur l’écorce brune devenue douce, lisse et polie à force de caresses et de supplications. Des singes dansent nonchalamment sur ses branches et on ressent une grande sérénité devant ces yeux fermés, ces âmes pures et concentrées qui prient toutes dévouées à la réalisation de leurs souhaits. Mais, là n’est pas le coeur de mon récit. 

Arbre qui exauce les voeux, Anuradhapura
Un arbre de santal, qui exauce les voeux, Sri Maha Bodhi, Anuradhapura. Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

J’attendais mon tour devant cet arbre. Une famille devant moi, dont une jeune fille de  14 ou 15 ans, avec une jupe blanche en dentelles. Et moi, les yeux rivés sur cette dentelle dont je ne pouvais me détacher. Parce que son histoire m’était bien trop familière, moi qui avais, 10 ans durant, côtoyé étroitement l’univers de la dentelle et de la lingerie.

Cette dentelle avait été conçue certainement l’année d’avant, au coeur d’une bourgade d’Italie près du lac de Côme et de la ville romantique de Vérone. Là, Daniella ou Francesca, stylistes de lingerie pour une marque italienne, avaient rêvé la voir un jour légère, gracieuse, audacieuse, orner les balconnets de belles et plantureuses Italiennes. La dentelle serait déclinée en trois coloris, noir, framboise et champagne, coloris tendance pour la Saint-Valentin 2015.. Elle porterait des bouquets de petites fleurs sauvages indisciplinées, des ajourés sexy, des guimpes fines, brillantes comme de la soie, des brodeurs discrets. Ce serait une collection tout en subtilité et en transparence. Un rêve fou.

Esquisse d'une dentelle
Esquisse d’une dentelle

On appelle Calais*, on parle aux professionnels de la dentelle et le projet atterrit chez Michel, esquisseur aguerri, vous pensez, 40 ans d’expérience dans le métier, expert de ce style de petites fleurs délicates. Pendant 2 jours, Michel soigne son esquisse, la visualise tout en y travaillant les détails. Légère elle sera, toujours plus légère. Puis, direction le Sri Lanka. Ruwan prend la suite, dans l’usine de Biyagama, où a lieu le développement et la production de la dentelle. Il réalise le dessin technique, qui consiste à assurer que cette dentelle sera complètement faisable une fois sur la machine. Ce sera un beau et fin textronic, une dentelle avec du relief. Ceci pour donner du corps à la finesse. Chandika orchestre le développement, on commande des fils de Chine, de Taiwan et d’Inde. Puis les machines, fabriquées en Allemagne, commencent le tricotage de la première pièce. Et voici le rêve de l’Italienne Francesca qui devient réalité. Et voici que les mailles se forment pour décrire ce rêve. La dentelle est belle déjà, tendue sur le métier et on sent d’avance l’excitation de la cliente.

Mais voilà. Là, s’arrête l’itinéraire rêvé de ce bout de dentelle. Parce que, entre temps, Francesca en a décidé autrement. Elle a changé d’avis, tout bonnement. A ces audacieuses petites fleurs sauvages, elle a préféré d’autres motifs. Rejetées, dénigrées, nos petites fleurs ne pourront pas s’épanouir  sous le soleil d’Italie. La dentelle restera blanche. On ne prendra même pas la peine de l’écailler en galons. Elle restera une pièce entière, se perdra bientôt dans l’anonymat des rejets et finira par sombrer dans l’oubli total. La poubelle.

Quartier de Pamunuwa, Maharagama. Textiles.
Quartier de Pamunuwa, Maharagama. Textiles.

Cette triste destinée, ce serait sans compter sur la magie du recyclage au Sri Lanka! Rebelle, la pièce atterrira un jour dans le quartier de Pamunuwa, à Maharagama, sur les étals des grossistes en tissus acheminés principalement d’Inde et de Chine. Elle croisera alors le regard d’une jeune entrepreneuse sri-lankaise, Sithumini, qui lui imaginera une seconde vie. Et elle sera alors, de nouveau l’objet d’attentions, d’un autre rêve. Certes, jamais elle ne voyagera vers l’Italie. Jamais, non.

Mais, jupe sage, tranquille et blanche, doublée d’un jupon de coton, elle ira en pèlerinage à Anuradhapura, se prosternera devant les divinités de l’arbre de santal noir, qui exauce les voeux. Priera intensément pour qu’enfin, un jour, se réalise, pour elle aussi, son rêve fou. Un jour, peut-être, – qui sait? – à la Saint-Valentin 2015.

Emmanuelle Gunaratne

* La ville de Calais est le berceau de la production de la dentelle industrielle en France, dès la fin du XIXème siècle. Aujourd’hui, le label « Dentelles de Calais » désigne des dentelles d’une excellente finesse et de qualité supérieure, produites sur les métiers Leavers. Si vous passez par Calais, nous vous recommandons la  visite de la Cité internationale de la dentelle et de la mode.


Les trucs & astuces de Aachchi #3 : une pause méditative

6h du soir… une lumière dorée presque orangée emplit l’atmosphère. Le temps semble suspendu. L’instant illuminé, magique. C’est beau et reposant. Aachchi s’assied sur ce rocher, qu’elle affectionne particulièrement, au détour du chemin, à la sortie du village. 

Aujourd’hui, Aachchi, notre grand-mère sri lankaise, nous raconte les bienfaits de ses pauses méditatives. En exclusivité pour les lecteurs de Trek’Ceylan.

Immobile sur ce rocher, Aachchi ébauche un sourire apaisé. Elle sent la brise caresser son visage. Au loin, on entend les jeunes jouer au cricket. La balle retentir sur la batte, les cris qui s’ensuivent, l’excitation du jeu. Ses petits-enfants, Lasantha et Yasith doivent s’amuser là-bas avec les autres garçons du village. Dans les rizières gorgées d’eau en face d’elle, les paysans, l’échine courbée se relèvent et ramassent leurs outils. C’est la fin de l’activité journalière. Il est temps de rentrer chez soi. Les aigrettes picorent ici et là. La vache, sauvée* par Ravi Mahaththaya**, broute tranquillement l’herbe du jardin….

Aachchi écoute les rituels du crépuscule. Elle observe le jour se coucher. Elle ne fait rien. C’est son temps à elle, un temps pour se retrouver, pour écouter les émotions accumulées pendant la journée, les laisser s’échapper au rythme de ses expirations. Sa pause méditative de fin de journée. Temps de méditation. Temps pour prendre du recul. Il fait bon s’arrêter pour prendre le temps de vivre, d’exister simplement, de respirer, d’être là. Elle sent alors son corps et son esprit s’emplir d’une intense sérénité. Qui lui permettra ensuite de reprendre la route, pleine d’énergie, de rejoindre son foyer.

6h du soir. Les aigrettes picorent dans le champs. La vache se prélasse.
6h du soir. Les aigrettes picorent dans le champs. La vache se prélasse. Crédit Photo : Anuradha Ratnaweera via Flicker.

C’est quotidiennement qu’Aachchi prend cette pause méditative. Elle s’arrête sans doute une petite demie-heure, et cela assez régulièrement dans la journée. Le soir, elle aime particulièrement ce rocher, ce crépuscule orangé, les cris des enfants au loin, la paix sur les rizières, la nature autour d’elle, les oiseaux blancs qui se régalent dans les rizières au milieu des épouvantails, la vache qui se repose. Ce calme lui permet de faire le vide dans son esprit. La lenteur du paysage d’en apprécier la beauté. La continuité de la vie de se sentir complètement reconnectée avec elle-même, avec sa terre, intimement. Elle accueille les pensées qui lui passe par la tête, les petites choses qui ont embelli sa journée. Les pensée qui la font souffrir aussi. Elle leur donne de l’espace.

Que dit Aachchi?  Il arrive quelquefois qu’Aachchi se rende à Galle, la ville la plus proche, ou même, bien que ce soit plus rare, à Colombo. La vie y est trépidante. Les klaxons des bus, la circulation étourdissante, la foule. Elle remarque surtout qu’on ne s’y arrête pas. Les gens vivent vite, courent, faisant plusieurs choses à la fois. Et si le vide pointe le bout de son nez, bien vite, ils reprennent leur téléphone portable et se changent les idées. Action. Distraction. Action. Distraction… Mais jamais un instant pour souffler et se recueillir. Quelle pression intenable, pense-t-elle alors!

Aachchi sait, elle, qu’il est essentiel de se préserver des moments de tranquillité, des espaces protégés, de nourrir son esprit de lenteur, de calme et de continuité***. De faire ces pauses méditatives plusieurs fois au long de la journée. Ainsi, elle entretient en elle une grande paix intérieure, une douceur de vivre qui lui permettent d’habiter le mieux possible le temps, la vie.

Ailleurs, loin, on appelle cela « Vivre en pleine conscience »***. On réapprend ces méthodes ancestrales qui permettent de se reconnecter à son intimité. Aachchi, elle, pratique ses pauses méditatives depuis toujours, comme le faisaient sa mère, ses tantes, comme savent encore le faire les villageois.

Emmanuelle Gunaratne

* Il est coutumier au Sri Lanka, à l’occasion d’un événement spécial, un anniversaire par exemple, de sauver un animal, souvent une vache, en route vers l’abattoir, en échange d’un don monétaire. Ce don contribue aux « mérites » de la personne qui le fait. Pour éviter que l’animal ne se retrouve plus tard livré au même sort, on le garde dans son jardin ou dans un temple. Il s’agit d’une coutume bouddhiste couramment pratiquée.

** Les villageois emploient toujours, par déférence, le terme de Mahaththaya (මහත්තය en cinghalais), pour s’adresser  au propriétaire de leur terre.

*** Vivre en pleine conscience – Dans un monde où tout va toujours plus vite, où l’on est sans cesse sollicité, stimulé, le psychiatre Christophe André nous apprend, dans son livre Méditer jour après jour, à ralentir, à nous reconnecter à nous-mêmes. A vivre en pleine conscience.

Retrouvez tous les trucs et astuces de Aachchi dans notre rubrique Bien-Etre : les bienfaits de la préparation miel – cannelle de Ceylan et de l’eau de coco.

Sri Lanka. 6h du soir. Les paysans terminent leur travail dans les rizières.
Sri Lanka. 6h du soir. Les paysans terminent leur travail dans les rizières. Crédit Photo : Global Water Partnership via Flicker.


Teruni Wikramanayake, artiste peintre et exploratrice d’imaginaires

Soirée pluvieuse à Colombo. Un vendredi en octobre. Grisaille dans les rues. Presqu’au coin du boulevard Guilford Crescent, le Lionel Wendt Art Gallery a ouvert ses portes. A l’intérieur de cette galerie d’art renommée de Colombo, se dégage un déchainement de lumière, de vie et de mouvement, qui contraste avec la monotonie ambiante. C’est « Wild and Wonderful », une exposition de tableaux aux couleurs vibrantes et au rythme audacieux. Pour le vernissage de sa seconde exposition, Teruni Wikramanayake, artiste peintre abstrait, nous dévoile en avant-première son monde de couleurs et de totale liberté.

Il y a quelques années, après avoir travaillé l’art réaliste depuis son enfance, Teruni choisissait délibérément la voie de l’art abstrait, qu’elle jugeait plus ardue et plus stimulante aussi. Comme point de départ, rien ou plutôt, soi, ses propres sentiments, ses propres émotions. Mais de la réalité que voit l’oeil, rien. Partir de soi pour créer son oeuvre d’art. Un défi que Teruni relève avec talent : le résultat est vibrant et rayonnant et invite chacun à s’arrêter devant ces peintures, pour faire voyager son imaginaire et y découvrir sa réalité. Quelques semaines après le succès de son exposition, nous revenons avec Teruni sur ses choix artistiques et sur les coulisses de la création d’oeuvres.

« Trek’Ceylan : Vous considérez-vous comme une autodidacte?

Teruni Wickramanayake : Non. J’ai été guidée par trois différents professeurs.  Mme Latifa Ismail, Melle Dora Tomulic, et actuellement par Pr. Sarath Chandrajeewa, doyen de la Faculté des Arts Visuels de l’Université des Beaux-Arts à Colombo. On me dit parfois que, en tant qu’artiste, je ne devrais pas avoir besoin de suivre des cours. Mais, j’aime ces rencontres de styles différents, ces échanges avec les autres étudiants, qui me stimulent. J’apprécie les critiques de mon professeur. Même si il me « corrige » moins maintenant, il me donne toujours son avis, qui reste extrêmement précieux pour m’aider à évoluer, à développer mon propre jugement et à gagner en confiance. Au niveau de l’expression artistique, je suis complètement libre cependant. Durant les cours, nous n’avons pas de technique imposée. Je peins selon mon désir et mon professeur intervient pour améliorer la production.

Quand avez-vous commencé à vous consacrer à la peinture pour en faire une activité majeure dans votre vie?

T.W. : Je peins depuis mon plus jeune âge, mais je m’y suis attelée plus intensément après avoir vendu certaines de mes oeuvres en 2012 lors d’une co-exposition intitulée « Dream Catchers ». Je suivais alors des cours avec une autre élève qui vivait son art de façon très intensive. Elle y travaillait dur et fournissait beaucoup d’efforts pour avancer dans sa voie. C’est elle qui m’a incitée à exposer et nous avons organisé ensemble notre première exposition. Sa ténacité m’a beaucoup inspirée. Par ailleurs, le fait de rencontrer le public, de m’exposer à la critique, de voir mon oeuvre soudain valorisée par d’autres personnes m’a investi d’une certaine « responsabilité ». Je ne voulais pas décevoir. Cette année-là (2012) a été de ce point de vue une année charnière et dès lors, j’ai cessé de peindre en dilettante et je me suis mise à étudier et à travailler la peinture abstraite de façon beaucoup plus poussée.

Misty Morning - Peinture abstraite de Teruni Wickramanayake
Misty Morning, 2013 (120×60 cm) – Teruni Wikramanayake
Comment est-ce que vous définiriez votre style?

T.W. : Je suis une peintre abstrait et une coloriste. Mon professeur dit de moi que je suis une « colorista » et j’aime ce mot. Généralement, quand je commence une toile, je n’ai pas de projet ou d’idée préconçue. Je joue avec les couleurs très librement et crée mon oeuvre spontanément. Chaque pièce est unique et ne peut pas être dupliquée!

Vous identifiez-vous à un mouvement d’art?

T.W. : Non!

Pour quelles raisons peignez-vous?  Avez-vous un message à transmettre à travers votre oeuvre? Avez-vous certaines humeurs qui vous incitent à peindre?

T.W. : Tout d’abord, je peins parce que j’aime peindre et quand je termine une oeuvre que j’apprécie, je ressens une grande satisfaction et j’ai alors vraiment le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Bien que je n’aie pas de message exprimé à travers mon oeuvre, il m’arrive de la « creuser » et d’y découvrir des choses. Chercher quelque chose à éclaircir, explorer l’imaginaire, cela m’amuse et donne à l’oeuvre une dimension mystérieuse.  J’en éprouve beaucoup de plaisir et ça m’aide à donner un titre à mon travail, de façon à ce que les spectateurs puissent – je l’espère – « communiquer » avec l’oeuvre. Je peins plus facilement si je suis dans un état d’esprit favorable à la création artistique, mais en même temps c’est aussi une discipline.  J’essaie de tenir un rythme d’une peinture par semaine, peu importe l’humeur dans laquelle je me trouve! J’aime être seule chez moi, avec une musique  de fond, quand je peins.  J’aime écouter Enya, Yanni et Katherine Jenkins.  Leur musique m’inspire et m’aide à entrer dans l’humeur propice à mon activité créative!!

Quelles sont les matières que vous utilisez pour peindre? Mis à part le pinceau, à quels outils avez recours?

T.W. : Pour le moment, j’utilise principalement les couleurs acryliques.  Dans mon mixed média, j’utilise aussi la gouache, les pastels, des morceaux de dentelles de couleur, des bouts de ficelle, pour ajouter de la profondeur et jouer avec les textures. Mis à part les pinceaux, je peins avec mes mains, des éponges, toute un palette de différents types de couteaux, et même des cartes de crédits expirées!

Mother Embrace
Mother’s Embrace, 2014 (70×50 cm) – Teruni Wikramanayake
Quelle est l’importance que vous accordez aux expositions et aux rencontres avec le public? Etes-vous surprise par les réactions que vous entendez?
Exposition Wild and Wonderful
Durant l’exposition « Wild and Wonderful » – 10 octobre 2014 – Lionel Wendt Art Gallery

T.W. : Jamais je n’ai été préoccupée par l’idée d’exposer mes peintures jusqu’à ce que j’y sois fortement incitée en 2012. Cette exposition m’a alors prise par surprise!  Elle m’a ouvert sur des perspectives totalement nouvelles.  Bien qu’extrêmement éprouvantes nerveusement, et parfois angoissantes, ces rencontres sont très riches et essentielles pour recevoir les réactions du public.  Même si je suis très heureuse de l’exposition de cette année, je me rends compte que l’art abstrait n’est pas toujours bien compris. Les gens aiment, ou n’aiment pas du tout ou bien simplement n’accrochent pas, restent indifférents!! L’interprétation de l’art abstrait est pourtant un exercice qui aide à développer l’imagination et la créativité… Mais la plupart des visiteurs préfèrent contempler des paysages, des portraits ou des choses concrètes avec lesquelles ils peuvent s’identifier plus facilement. Je pense que cela va évoluer.

Ce qui vous inspire le plus?

T.W. : Les couleurs qui m’environnent produisent beaucoup d’effet sur moi et sont source d’inspiration. Je suis extrêmement sensible à la couleur.  Quand je voyage à l’étranger, je visite des musées autant que possible. Je regarde des livres et fais des recherches sur internet.

Votre vie au Sri Lanka influence-t-elle votre oeuvre? De quelle manière? Certaines de vos peintures sont-elles plus sri lankaises que les autres?

T.W. : Mes peintures n’ont rien à voir avec mon pays, et n’ont pas d’identité sri lankaise à l’exception de l’une d’entre elles intitulée « Lanternes de Vesak ».

 Des artistes que vous admirez particulièrement?

T.W. : J’aime Jackson Pollock, Kandinsky, Picasso, Matisse, Monet, Rothko…!

Comment définissez-vous le rôle de l’artiste dans la société?

T.W. : Pour ma part, je pense que je dois partager mon art avec les autres, qu’il soit un vecteur de lien social… Je peux tout simplement inspirer certains à se lancer dans un hobby. Mais j’espère surtout qu’un jour, mon activité artistique puisse se mettre au service des autres. Quand ma fille sera plus grande et plus indépendante, j’aurai plus de temps pour mener à bien certains de mes projets : vendre des peintures pour financer un projet social, aider des personnes âgées à peindre comme une forme de thérapie, ou bien encore aider les enfants défavorisés, trouver les fonds pour leur fournir le matériel qui coûte assez cher. Ce sont des projets qui me tiennent à coeur…  »

Et nous, visiteurs, laissons flâner notre imaginaire sur ces tableaux… L’oeil ne s’ennuie pas, éveillé, émerveillé, il interroge, trouve parfois des réponses, à mesure que les émotions remontent à la surface. Nous vous invitons à retrouver Teruni Wikramanayake sur sa galerie virtuelle, www.teruniart.com.

Emmanuelle Gunaratne

Teruni Wikramanayake, peintre abstrait
Teruni Wikramanayake, artiste peintre sri lankaise – Crédit Photo : Nilmini De Silva


Le Sri Lanka dans l’attente du pape François

C’est sur  fond de polémique que l’on attend le pape François sur l’île du Sri Lanka. Prévue sur 3 jours, du 13 au 15 janvier 2015, la visite a été remise en question, l’Eglise catholique craignant qu’elle n’influence les résultats de l’élection présidentielle du  8 janvier 2015.

En pleine campagne présidentielle, les autorités religieuses sont intervenues à plusieurs reprises pour mettre en garde contre toute récupération politique. Dimanche dernier, Rev. Cyril Gamini Fernando, vicaire épiscopal, a fermement demandé que soient enlevés les posters électoraux montrant le pape François avec un candidat (non cité mais qui s’avère être le président de la République, S.E Mahinda Rajapaksa).

Viendra, viendra pas? Dans notre paroisse de Saint Thomas à Kotte, capitale administrative du pays, la question animait vivement  les discussions sur le parvis de l’église le dimanche après la messe. Ouf, oui, la visite aura bien lieu, cela a enfin été confirmé. Il faut dire qu’il aurait été vraiment très décevant voire inenvisageable d’annuler cette visite. Car cela fait plus de six mois qu’on s’y prépare officiellement, dans les hautes sphères de l’Eglise tout comme au niveau paroissial. Le sujet alimente prières et homélies. Et cela fait des années, peut-être bien depuis la visite de Jean-Paul II en 1995, que l’on prolonge les messes dominicales par des prières pour la canonisation de Joseph Vaz (1651-1711), ce missionnaire indien venu de Goa au 17e siècle afin de protéger les catholiques sri lankais et raviver la foi à une période de grande persécution. Face à tant d’effervescence, qui aurait pu priver les quelque 1, 2 million de catholiques recensés dans le pays de cette visite?!

Logo pape Sri Lanka
Logo officiel de la visite du pape François au Sri Lanka

Préparations sur tous les fronts! Oui, on n’en finit pas de s’extasier devant tant de ferveur et de vivacité. La foi est jeune et elle vibre. Une prière spéciale a été diffusée. Un site internet dédié est accessible dans les trois langues officielles (cinghalais, tamoul et anglais). On peut y lire les dernières dépêches. Et sur la Home, le décompte à la minute près, du temps qui reste pour cette visite. 48 jours, 17 heures, 45 minutes. L’excitation est palpable!

Selon les premières communications concernant le contexte de la visite, qui coïncide exactement avec le dixième anniversaire du tsunami*, le souverain pontife devait initialement faire une visite spéciale dans les régions affectées par le désastre naturel en 2004, spécialement sur la côte Est du pays. Après le Sri Lanka, le pape François est d’ailleurs attendu aux Philippines, archipel qui a aussi été très secoué par le tsunami.

Le thème de la visite a cependant été affiné. On attend finalement plus le pape sur le terrain de la réconciliation nationale, qui s’annonce certainement comme un des chantiers essentiels pour l’avancée sociale du pays. Alors que la reconstruction et les grands projets de développement des infrastructures vont bon train, la réconciliation d’après-conflit reste le roc sur lequel la « Maison » devra être bâtie. Le conflit ethnique, qui a duré près de 30 ans (et s’est achevé en 2009), opposant le gouvernement aux Tigres tamouls du LTTE, a laissé le pays douloureusement meurtri. Les catholiques, à la fois présents au sein de l’ethnie majoritaire cinghalaise mais aussi parmi la minorité tamoule, ont un rôle à jouer dans cette réconciliation nationale. Ce sera probablement un des accents majeurs des discours pontificaux. On attend un message fort.

L’itinéraire de la visite a été confirmé, sur les terres de l’Ouest, zone côtière et bastion des chrétiens catholiques sri lankais. La capitale Colombo sera évidemment la première escale, où auront lieu les réunions officielles avec le président de la République, puis les dialogues interreligieux. La canonisation du Père Joseph Vaz, premier saint du Sri Lanka, sera prononcée et célébrée le 14 janvier au matin, durant l’Eucharistie sur le « Galle Face Green », le grand terrain qui longe la mer au coeur de Colombo. On recrute d’ailleurs des « porteurs de parapluie » en vue de l’événement!

L'église de Madhu
L’église de Madhu (région de Wanni, Sri Lanka), où affluent les pèlerins – Crédit Photo : Buddhima W. Wickramasinghe via Flicker

Puis le pape se rendra à Madhu, au nord-ouest de l’île, symbole de la résilience de la foi catholique dans le pays depuis 400 ans et haut-lieu de pèlerinage qui rassemble des milliers de catholiques chaque mois d’août. L’église de Madhu est aussi un symbole d’unité, dans cette région du Wanni, qui s’est longtemps trouvée au coeur du conflit ethnique. Non seulement entre les catholiques cinghalais et tamouls, mais aussi un symbole d’unité entre les différentes religions.

Répartition géographique des principales religions au Sri Lanka
Répartition géographique des principales religions au Sri Lanka (recensement national officiel 2012)

Le message du pape François pourra en effet également porter sur la paix interreligieuse. Sur ses 20 millions d’habitants, le Sri Lanka compte 70 % de bouddhistes. Les tensions entre extrémistes bouddhistes et musulmans ont provoqué plusieurs morts et des dizaines de blessés lors d’émeutes en juin dernier. La venue du pape, sur invitation du président Mahinda Rajapaksa, apparaîtra alors comme une main tendue, un message de tolérance envers toutes les minorités, chrétiennes, hindoues, musulmanes. Ce qui pourrait s’avérer utile au président Rajapaksa, alors qu’il brigue son troisième mandat.

Emmanuelle Gunaratne

* : On estime à environ 35 milliers le nombre de victimes décédées au Sri Lanka lors du tsunami le 26 décembre 2004.

Le pape François durant les Journées Mondiales de la Jeunesse au Brésil (Vargihna)
Le pape François durant les Journées mondiales de la jeunesse au Brésil (Vargihna) – Crédit Photo : Tânia Rêgo / ABr – Agência Brazil

 

 

 


Les trucs & astuces de Aachchi #2 : l’eau de coco

On retrouve Aachchi (« ආච්චි » en cinghalais) avec joie. Vous vous souvenez de  notre chère grand-mère sri lankaise au regard pétillant et espiègle qui, de son village, nous livre ses trucs et astuces… Aujourd’hui, Aachchi nous parle des bienfaits de l’eau de coco. En exclusivité pour les lecteurs de Trek’Ceylan.

Aachchi
Aachchi… « The Walking Stick » – Crédit Photo : Rajith Vidanaraachchi via Flicker

10 h 30 du matin. Aachchi est affairée dans sa cuisine. Le riz cuit sur le feu. Aujourd’hui, elle prépare un mallung* de mukunuwenna, elle vient d’en cueillir des feuilles dans son jardin, des lentilles et un curry de betteraves… Elle est affairée mais elle a le temps. Les uns et les autres n’arriveront pas avant 2 h pour le déjeuner. Son fils lui a préparé un tas de noix de coco ce matin avant de partir travailler, en les débarrassant de leur bourre**, opération qui requiert des bras plus musclés que ceux de Aachchi.  Il les a laissées, là, entassées sur le côté de la maison, près du margousier. Quotidiennement, Aachchi utilise une ou deux noix de coco pour la cuisine : le « mallung », les curry, le kanda (crème de riz)…

La bourre de la noix de coco
La bourre de la noix de coco, compost pour les arbres du jardin – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

Elle saisit une noix, s’empare aussi de la machette, débarrasse encore la coque de son enveloppe fibreuse qu’elle laisse au pied des fougères dans le jardin, compost naturel, puis elle revient vers la cuisine. Là, de deux ou trois coups secs de machette, elle craquelle la noix, l’entrouvre en insérant la pointe de la lame, légèrement mais suffisamment pour en laisser couler l’eau dans une jarre. L’eau est un peu trouble.

Noix de coco
Noix de coco dans le jardin d’Aachchi – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

Aujourd’hui, la noix est mûre à point. Elle récolte un grand mug de ce liquide magique. Il n’y a personne autour à qui l’offrir. Une femme enceinte, un convalescent, un jeune enfant auraient pu en profiter. Ce sera donc elle, Aachchi, qui la boira. Elle la filtre à la passoire pour la purifier des particules fibreuses qui s’y sont mêlées. Puis, s’assoit et sirote tranquillement le jus. Arôme subtil et délicat, délicieusement… fade. Boisson désaltérante. Ah, qu’il fait bon de s’arrêter. Ensuite elle reprendra sa cuisine.

Que dit Aachchi? Aachchi, elle ne tarit pas d’éloges quand elle évoque son eau de coco (« පොල්  වතුර » que l’on prononce « pol vathura »)… Très riche en vitamines, sels minéraux et oligo-éléments : vitamine C, chlorure, fer, potassium, magnésium, calcium, sodium et phosphore. Elle possède d’excellentes propriétés antivirales, antibactériennes, anti-inflammatoires et anti-oxydantes!!! Aachchi vous dira même que l’on s’en sert comme solution intraveineuse quand l’hôpital est dépourvu de la solution chimique, car sa composition est proche de celle du plasma sanguin. C’est dire!

Planche scientifique du Coco Nucifera (Kohler)
Planche scientifique du Coco Nucifera (Kohler)

Et si vous souhaitez titiller Aachchi un peu, alors essayez de lui faire entendre que l’eau de coco n’est qu’une lubie propulsée par des stars américaines, qu’une mode à passer depuis que Rihanna ou Madonna en ont fait un succès aux Etats-Unis. Alors, là, Aachchi va d’abord ouvrir de grands yeux ronds, ronds comme des noix, puis une fois l’effarement passé, elle va laisser échapper sa colère et se lancer dans une de ces diatribes dont vous vous souviendrez… Elle vous dira que cette eau de coco, cela fait des millénaires qu’on la boit sur son île et ce n’est pas une nouveauté en brique ou canette inventée en Occident. Non mais…

 

Emmanuelle Gunaratne

* Vous en saurez plus sur le mallung en cliquant sur ce lien : recette du dambala mallung.

** La bourre (ou la glume) de la noix de coco est son enveloppe extérieure, extrêmement dure.

Les bienfaits de l'eau de coco
Les bienfaits de l’eau de coco – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne


Dis Maman, ça veut dire quoi «équitable»?

Lucie contemplait avec ravissement son nouveau jouet reçu de sa tante : un singe tout doux adorable bleu pastel et turquoise qui semblait vous sourire toujours. Coco. Elle déchiffra l’étiquette.

Tissage pour le commerce équitable (Sri Lanka)
Tissage pour le commerce équitable (Sri Lanka) – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

– Dis Maman, ça veut dire quoi « équitable »?

– Tu vois ce joli tissu en coton rayé, tout doux, eh bien, on sait d’où il vient… Il a été fabriqué par des femmes d’un village sri lankais, Nelliya Kumbukgete, à 30 km de la ville de Kurunegala*. Les ateliers de fabrication ont été placés dans des villages où les femmes n’avaient pas de travail, pour leur donner une activité professionnelle. L’argent qu’elles gagnent les aide à nourrir leur famille et assurer l’éducation de leurs enfants. Avec le commerce équitable, on connaît l’origine des produits qu’on achète.

Jardin d'enfants - Selyn (Sri Lanka)
Jardin d’enfants – Selyn (Sri Lanka) – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

– Les enfants sont tout seuls pendant que leurs mamans travaillent?

– Non, il y a un jardin d’enfants tout à côté de l’atelier, pour les plus jeunes. Les plus grands viennent faire leurs devoirs sur une table dans l’atelier l’après-midi après l’école. Les mamans peuvent même emporter du travail chez elles pour être près de leurs enfants. Si c’est équitable, ça veut dire que c’est juste. On fait attention à la famille des producteurs et on leur donne accès à plus de services sociaux.

Leçons - Selyn (Sri Lanka)
Deux enfants  font leurs devoirs en attendant leur mamanl. Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

– Elles travaillent beaucoup ces dames ?

– Normalement, elles commencent le matin à 8 h et s’arrêtent le soir à 17 h. Le midi, elles vont à la cantine pour déjeuner, et prennent une pause pour boire le thé en matinée et dans l’après-midi. Elles travaillent en toute sécurité, certaines d’entre elles portent des masques sur la bouche et le nez, les protégeant des poussières qui pourraient être dégagées par le coton. Ces femmes travaillent donc dans la dignité, dans un environnement de sécurité, de respect de chacun.

– Et ensuite, comment est fabriqué Coco?

– Dans un autre atelier, beaucoup plus grand! Tu vois Lucie, l’entreprise française qui achète les jouets travaille avec cet atelier depuis plus de 16 ans ! Elle paie un peu plus cher pour ton jouet. En échange, nous, on sait que les gens qui l’ont fabriqué travaillent dans de bonnes conditions. On est aussi rassuré sur le fait qu’il n’y a que des adultes qui travaillent – contrairement à d’autres pays où les enfants ne vont pas à l’école parce qu’ils sont obligés de gagner leur vie pour manger. Avec le commerce équitable, le travail des enfants est interdit.

Atelier de la fabrique de jouets à Kurunegala (Sri Lanka) - Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne
Atelier de la fabrique de jouets à Kurunegala (Sri Lanka) – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

– Comment peux-tu être sûre de cela ?

– Parce que la société qui fabrique ces jouets est labellisée « commerce équitable ».  Un label c’est l’assurance qu’on respecte des règles. Et parce que j’ai lu cet article (cliquez ici pour lire) sur la fondatrice de cette entreprise, Sandra. Depuis qu’elle a créé son entreprise, elle mène beaucoup de projets pour améliorer la vie des gens de sa région de Kurunegala au Sri Lanka. Elle construit des écoles, des crèches pour les enfants. Elle écoute les femmes qui travaillent dans son entreprise qui lui suggèrent leurs idées. Le commerce équitable assure que les valeurs de démocratie, d’équité, de solidarité et de transparence prédominent dans les entreprises labellisées.

Atelier de tissage (Selyn)
38 employées dans cet atelier de tissage (Selyn). Elles viennent  en vélo. La plupart travaillent là depuis 5 à 10 ans. Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

– Et Coco, tu me montres comment il est fabriqué?

– Tiens, regarde… On va voir ensemble les étapes de la fabrication de ton petit singe. Mais avant ça, je veux aussi te dire que pendant toute la fabrication, on fait attention aussi à utiliser le moins possible de produits nuisibles. On protège ainsi les rivières et la terre près desquelles vivent les producteurs. Les rizières sont moins polluées.  Les gens respirent un air plus sain. C’est important pour leur santé de protéger l’environnement. Ils seront ainsi moins malades. Par exemple, dans la teinturerie qui donne ces belles couleurs turquoise à ces tissus, on a un système de traitement des eaux usées, ce qui veut dire qu’on purifie l’eau avant de la rejeter dans la nature. On utilise aussi des produits de qualité, comme des colorants en provenance d’Allemagne. Ils sont plus chers, mais plus contrôlés que certains autres produits. On appelle cela le développement durable.

Rizières proches de Kurunegala
Les ateliers de Selyn sont situés dans des villages perdus au milieu des rizières, la principale production agricole à proximité de Kurunegala. D’où l’importance de protéger l’environnement. Crédit photo : Emmanuelle Gunaratne

– Alors Maman, tu me montres la fabrication?

– Ah oui, regarde Lucie…

Les oreilles du singe - Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne
Les oreilles de Coco
Bras du singe - Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne
Les bras de Coco
La queue du singe - Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne
La queue de Coco
L'étiquette "équitable"
L’étiquette « équitable »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– Maman, mes jouets ils sont tous équitables comme Coco ?

– Non, et c’est bien dommage quand on connaît la différence… Maintenant, quand tu viendras avec moi faire les courses, il faudra bien regarder ce qu’on achète, où les produits sont fabriqués et comment ils sont fabriqués avant de les mettre dans le panier. Tu peux également lire les étiquettes et les logos! Et essayer de faire le choix d’aider les petits producteurs. Ça, c’est le logo « équitable » de Coco :   WFTO_Logo

– Allez, viens Coco, nous, on va jouer…

 

Emmanuelle Gunaratne et Lucie

* Ce mini reportage a été effectué le 5 novembre 2014, dans les ateliers de Selyn, seule société labellisée commerce équitable au Sri Lanka. Retrouvez les principes de commerce équitable de Selyn sur ce lien.

 

 


L’ayurveda ou l’art de vivre au naturel

Ayurveda.. « Ayur », la vie. « Veda », la science. Un terme simple pour une médecine naturelle plusieurs fois millénaire. Une science héritée d’une sagesse de l’humanité, mais préservée spécifiquement en Inde et au Sri Lanka à travers les traditions, les rituels et les coutumes locales. Spécialiste de l’ayurveda au Sri Lanka, Dr Danister Perera* nous explique comment cette science de la vie nous aide à retrouver le bien-être.  L’ayurveda intervient à trois niveaux en tant que système de  santé : elle nous enseigne d’abord comment maintenir notre bien – être, ensuite comment prévenir les maladies dans des périodes critiques et enfin, comment guérir une fois que la maladie a frappé. Le principe fondateur de cette médecine naturelle est de respecter la nature, d’en accepter ses lois, de s’adapter au rythme de la nature en acceptant le fait que nous ne pouvons pas la contrôler.

L’être humain a pourtant tendance à s’éloigner de la vie simple et naturelle.

En raison de la sur-information, nos organes sensoriels sont « globalisés », vulnérables à la propagande et contrôlés par des influences externes médiatiques. Dans la société moderne, nous sommes pris dans le cercle vicieux dépense – consommation – insatisfaction qui nous incite à chercher toujours plus et nous envoie des messages erronés. Par exemple, l’idée générale que le coca cola apaise la soif.

Tendance aussi à ignorer son horloge biologique.

Nous négligeons notre horloge biologique personnelle… nous malmenons notre corps. Par exemple, si nous écoutions notre horloge biologique personnelle, nous ne changerions pas notre programme le dimanche matin ou le vendredi soir… Le corps ne sait pas ce qu’est le week-end. Or notre corps, cadeau de la nature, qui nous a été donné tout neuf à la naissance, mérite que nous en prenions soin, que nous le protégions. Nous n’avons pas le droit de lui faire de mal. Si nous ignorons notre horloge biologique, alors notre corps va penser qu’il n’a plus de propriétaire, il va commencer à faire n’importe quoi.. Alors attention, c’est le début de la crise. Il va commencer à se défendre tout seul et n’importe comment. Par exemple, il est tard le soir et je suis fatigué. Je bâille. Mon corps a besoin de dormir. C’est normal, il fait nuit. Il produit de la mélatonine. Mais moi, j’ignore ces messages. Et je retarde le moment du coucher. Je travaille, je zappe sur internet.. Bref. Mon corps continue à m’envoyer des messages. Je continue à les ignorer. Et cela tous les soirs. Un jour, le corps se lasse. Il cesse d’envoyer des messages et devient silencieux. Danger, il ne répond plus à l’environnement extérieur naturel et il se sépare de moi. Je perds contrôle. Inflammations, sécrétion anormale d’hormones, rébellion des cellules qui se mettent à lutter contre mon propre système immunitaire….

Que faire alors quand le corps s’est déconnecté?

Alors que la médecine occidentale vous dira ignorer les causes de ces maladies graves, en ayurveda, nous les connaissons parfaitement. On les appelle les maladies liées au mode de vie. Elles apparaissent quand la personne dévie de la vie naturelle. Il faut alors casser le cercle vicieux qui nous emporte quand nous sommes contrôlés par le système externe néfaste. Même temporairement, le temps de vacances, il faut synchroniser notre système, le reprogrammer sur le rythme de la nature.

Et comment ça se passe concrètement?

L’ayurveda nous enseigne clairement comment changer de mode de vie, en adoptant un comportement complètement axé sur la santé. Etre en bonne santé devient le but ultime de l’existence. Reprendre en main sa santé. Décider par soi- même. Etre acteur de sa propre vie. En particulier pour la nourriture. Savoir ce que l’on mange et manger sainement. C’est un point essentiel. Exercer chaque partie de son cerveau. A travers la lecture, la méditation, l’imagination, le yoga, par exemple travailler différentes parties du cerveau et du corps. Se reconnecter, chacun dans son unicité, à la nature. Retrouver son horloge biologique. Changer de vie est la meilleure façon de lutter contre ces maladies. Assister la nature dans son action positive, la sentir, la toucher.

Et quand, pris par le quotidien, nous ne pouvons pas répondre aux messages que nous envoie notre corps?

Alors, au moins, prenez quelques minutes pour lui parler, une conversation avec votre corps qui saura alors que vous ne le négligez pas.. Réservez vous des moments pour votre vie spirituelle, dans le silence. Cela vous aidera à vous synchroniser avec la nature.   Emmanuelle Gunaratne * Dr Danister Perera est professeur des sciences ayurvédiques à l’université de Kelaniya et de Sri Jayawardena. Il intervient régulièrement en conférences. Il est actuellement responsable du programme ayurvédique pour la société lankaise spécialisée dans les soins ayurvédiques Siddhalepa.

Nil manel (lotus bleu), fleur nationale du Sri Lanka
Nil manel (lotus bleu), fleur nationale du Sri Lanka, Crédit Photo : Michael Shehan Obeysekera via Flicker


Les trucs & astuces de Aachchi #1 : Miel – cannelle de Ceylan

Aachchi (prononcez « ආච්චි » en cinghalais), c’est notre grand-mère sri lankaise. Un sarong fleuri et coloré entoure sa taille fine. Le buste enserré dans une tunique de coton blanc brodé, ajusté grossièrement devant par plusieurs épingles à nourrice. Les cheveux argentés retenus en chignon. Le verbe haut et l’oeil pétillant de malice. Elle sillonne les chemins de son village et nous conte ses expériences. Dans ses trucs et astuces, Aachchi donne ses conseils pour garder la forme à tout âge. Simplement et avec beaucoup de plaisir. Aujourd’hui, les vertus de la préparation miel-cannelle. En exclusivité pour les lecteurs de Trek’Ceylan.

Elle se lève tôt le matin. 6 h. La journée commence par des rituels. La journée est faite de rituels. Elle remplit la bouilloire d’eau, la laisse frémir sur le feu. Ce sera pour le thé. Elle ouvre ensuite portes et fenêtres et laisse l’air frais matinal pénétrer les murs et toutes les pièces. La maisonnée se réveille de la torpeur de la nuit, des rayons de soleil percent à travers les feuillages du jardin et viennent bientôt baigner la pièce principale de leur chaleur. Les oiseaux chantent déjà à tue-tête. Puis vient le rituel miel-cannelle.

Dans la cuisine, elle tire le pot de miel du placard. Un miel de la jungle. Du « mii paeni »*. Remède universel, également prescrit largement dans la médecine ayurvédique . Dans le calme matinal, elle ne peut s’empêcher d’y goûter juste une cuillerée, par simple gourmandise. Dégustation de cet arôme typé, pur, des saveurs tropicales sucrées persistantes en bouche et dans la gorge, d’une grande richesse aromatique aux notes boisées.

Ensuite elle ouvre le pot en verre dans lequel elle conserve la cannelle en poudre. Elle a moulu elle-même ces bâtonnets de couleur ocre et cette cannelle provient de chez son frère. Il a une dizaine de canneliers dans son immense jardin. Le temps venu,  il pèle lui-même l’écorce puis la fait sécher. C’est donc de la « vraie » cannelle, celle de Ceylan, naturelle**.  Saveurs chaudes, douces, intenses et tout en rondeur.

Une cuillerée de cette cannelle moulue au fond d’un ramequin. Elle y fait couler le miel et mélange jusqu’à absorption complète de la poudre de cannelle en une pâte homogène. Puis elle revient s’asseoir dans son fauteuil, face au jardin maintenant inondé de soleil. C’est le temps de la dégustation. Elle savoure chaque goutte de ce mélange délicieux. C’est ainsi que sa journée commence. Elle s’en porte très bien.

Que dit Aachchi ? La préparation miel-cannelle augmente les défenses immunitaires de l’organisme et peut être consommée au quotidien, à jeun de préférence, en prévention de nombreuses maladies. Puissant anti-oxydant, elle facilite la digestion, soigne les problèmes d’acné, les mauvaises articulations, prévient contre la grippe, stimule l’appétit… Elle agit efficacement pour abaisser naturellement le taux de cholestérol. Préférez un miel 100% naturel et assurez-vous que la cannelle provient bien du Sri Lanka ce qui garantit sa qualité (cannelle de Ceylan, biologique).

 

Emmanuelle Gunaratne

* Nous trouvons du bon miel sri lankais sur les marchés bio. Bien que communément prescrit dans la médecine ayurvédique, le « mii paeni » (මී පැනි ou miel en cinghalais) reste un produit rural recherché en raison du délaissement de l’apiculture.

** La meilleure cannelle se trouve en grande quantité sur l’île de Ceylan (ancien nom du Sri Lanka). Elle est de couleur ocre, une fois l’écorce interne ôtée de l’arbre et séchée au soleil. Elle appartient à la famille des lauracées. Nom scientifique : Cinnamomum verum (syn. zeilanicum). Le terme « cannelle » est apparu au XIIe siècle. Il vient du latin « canna », qui signifie « roseau », probablement par allusion à la forme que prennent les bâtons de cannelle en séchant.

 

Les trucs et astuces de Aachchi (Sri Lanka) : préparation miel-cannelle
Préparation miel – cannelle de Ceylan – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

 


Sandra Wanduragala, tisseuse d’humanité au Sri Lanka

Fondatrice de la marque Selyn, société de tissage artisanal labellisée “commerce équitable”, Sandra Wanduragala reste une personnalité très discrète de la société sri lankaise. Grande humaniste, elle a fait de l’éthique le coeur de sa vie, à l’image des tissus et vêtements aux couleurs chatoyantes qu’elle fabrique.

Depuis la conception de la société en 1991, Sandra a parcouru un long chemin, employant désormais plus d’un millier de personnes dans la ville de Kurunegala, située à deux heures de route de Colombo. Parallèlement, elle a aussi créé une école privée internationale dans cette même ville, Royal International School, qui compte aujourd’hui environ 2500 élèves, en primaire et secondaire. 

Sandra a cordialement accepté de nous rencontrer. Lumineuse dans son sari bleu roi et turquoise, elle nous reçoit autour d’un jus de fruits frais, dans un petit café près de la boutique Selyn, sur Fife Road à Colombo 5. La discussion est immédiatement animée, vivante et passionnante. Sandra est une personne vraie, humble et bouleversante de sincérité.

 

Il est rare de rencontrer une femme d’affaires complètement altruiste… Deux termes antinomiques? 

« J’avais en moi le désir de faire quelque chose d’utile à la société. » Ce comportement altruiste, Sandra le tient de l’enfance. Aînée de six enfants, elle hérite très tôt d’un sens aigu des responsabilités, quand, faisant face à des difficultés familiales multiples, elle prend en charge en grande partie l’éducation de ses frères et soeurs. Elle retire de cette expérience un sens profond du devoir et de la responsabilité envers autrui, la capacité à prendre des décisions et des risques. Avec une conscience morale à fleur de peau, elle sent que sa vie ne prendra de sens que si elle peut avoir un impact positif sur sa communauté.

Quel a été le déclic pour, en 1991, vous lancer dans le projet Selyn? 

“Vous avez des portes qui parfois s’ouvrent et alors, il faut avoir la capacité à reconnaître et apprécier les opportunités.” Pour Sandra, cette porte lui fut ouverte par un couple de Néerlandais, en poste à Colombo comme consultants dans le domaine du tissage artisanal. En contact via son mari, qui lui-même était exportateur de produits tissés artisanalement, ils lui ont un jour suggéré de se lancer elle-même dans un atelier de production, puis lui ont donné une formation. C’est ainsi que tout a commencé.

Après avoir investi ses propres deniers pour le démarrage de l’activité, Sandra s’est toujours assurée de reverser les bénéfices dans les projets communautaires, l’école ou dans les projets d’extension de Selyn et n’a elle-même touché de salaire qu’après 16 ans d’exercice! C’est dire si l’éthique demeurait au coeur-même du projet…

Sandra voit cette mission comme une chance extraordinaire. “Je me sens extrêmement chanceuse de m’épanouir autant dans ma vie mais je crois aussi que c’était ma destinée et que j’ai juste su écouter ma voie”.

Au plus proche de la communauté de Kurunegala, Sandra a adapté ses méthodes de gestion aux nécessités locales. Par exemple, plus de la moitié des employés travaillent au moins partiellement de chez eux. La garde de leur fille* ou petits-enfants ou la participation à la vie agricole dans les rizières font partie des préoccupations quotidiennes dans les régions rurales et il est important de permettre aux femmes de continuer à mener leurs responsabilités familiales.

Dirigeante de l’entreprise Selyn qui grossit au fil des ans, impliquée personnellement dans l’établissement scolaire qui attire chaque année plus d’élèves, vous êtes aussi mariée, mère de deux enfants et également avocate! D’où vient cette volonté de continuer à tout mener de front?

“Cette activité professionnelle  juridique était indispensable pour garder mon indépendance financière. C’est pour moi un point essentiel. Elle m’a permis au départ de constituer les fonds nécessaires pour la fondation de Selyn. Elle m’a aussi permis de surmonter des phases difficiles pour ma famille. En Asie, ce sont sur nous, les femmes, que les responsabilités finalement retombent pendant les phases difficiles.” 

Après ses études de droit, pour lesquelles elle a dû affronter beaucoup d’opposition et d’incompréhension de la part de sa famille, Sandra n’a en effet jamais discontinué la pratique de son métier, ni avec l’arrivée des enfants, ni après la fondation de Selyn ou de l’école.

Cette force par le travail, cette persévérance dans l’effort, Sandra y est très attachée. Cela reste un principe clé de son entreprise et elle exige cette qualité de ses collaborateurs. “Le meilleur conseil que je puisse donner à mes collègues est la persévérance. Quoi qu’il arrive, n’abandonnez jamais, gardez le cap et vous parviendrez à vos fins”.

Sandra ébauche un large sourire. “oui, nous faisons tous des sacrifices mais les récompenses sont énormes.”

Au Sri Lanka, ses efforts ont en effet été reconnus et salués officiellement au fil des années et à travers de nombreuses récompenses. La dernière en date vient du Asia Pacific Entrepreneurship Awards qui l’a reconnue comme “Best Women Entrepreneur 2014”.

Quelles ont été vos plus belles récompenses?

 “Les moments les plus gratifiants sont ceux où je ressens que mon action a un réel impact sur notre communauté rurale, quand les gens me remercient, quand les enfants de l’école accourent vers moi pleins de reconnaissance. Ce sont des moments très forts. Je suis très fière d’avoir accompli ce chemin en ayant démarré toute seule. Et pourtant je ne réalise pas vraiment le chemin parcouru. Je fixe la barre toujours plus haut. Il y a tellement à faire encore.”

Sandra mentionne aussi qu’elle est émotionnellement très impliquée dans la vie de l’école, touchée et triste quand il y a des problèmes disciplinaires et heureuse d’aider. Elle a pour ces enfants les mêmes aspirations que pour ses propres enfants.

Toujours entièrement engagée et impliquée dans chacun de ces projets, Sandra essaie cependant de se focaliser maintenant sur l’essentiel, l’école, la fondation… “Pour moi, il est essentiel de transmettre aux enfants éducation, morale, qualifications et leadership. Sans cette éducation en anglais, comment ces enfants de Kurunegala pourront-ils obtenir des qualifications reconnues?”

Afin de se consacrer à cette tâche, Sandra a réussi à passer le cap difficile d’accepter de déléguer son rôle à Selyn où elle intervient toujours mais plus ponctuellement, se reposant sur une bonne équipe opérationnelle. Il n’est cependant pas aisé de trouver du personnel qualifié sur Kurunegala, à 2h de route de Colombo. De même, pour l’école, Sandra se heurte à la difficulté de trouver le personnel enseignant approprié.

Un modèle, une personne qui vous a inspirée dans votre vie? 

“Initialement, non. Je pense que je me suis construite assez seule, envers et contre tout. Ensuite, j’ai été très inspirée par l’action de Mère Thérésa. Elle qui donnait tant pour les autres. Je me demandais ce que moi je faisais. La vie prend tellement de sens quand on la donne pour les autres.”

Sandra insiste cependant sur le fait qu’elle ne donne pas sans rien attendre. Sa mission reste  de protéger la communauté des tisserands de Kurunegala tout en faisant en sorte qu’ils gagnent en autonomie à travers leur travail.

Sandra garde aussi de son enfance l’apprentissage d’une vie simple et un détachement vis-à-vis du luxe. Pour preuve, elle montre ses bras sans bijoux (rare pour une femme sri lankaise!). Elle évoque encore les difficultés financières pendant ses études de droit, période durant laquelle l’achat de livres demeurait un souci majeur. “Cependant, jamais je n’ai ressenti d’amertume par rapport à ma situation, ou de jalousie vis-à-vis d’autres plus fortunés. Ces signes extérieurs m’importaient peu. »

Des regrets? 

“Pas vraiment. Peut-être d’avoir raté des opportunités pour avoir retardé certaines décisions mais même dans ces cas là, je me dis que ces choses ne devaient sans doute pas se faire.”

Des choses que vous voudriez changer?

“Je souhaiterais que les donateurs s’intéressent plus aux entrepreneurs privés et mènent leurs projets en collaboration avec nous. Cela permettrait d’inscrire leur action dans la durée. Ils ne travaillent souvent que sur des projets temporaires, ce qui aboutit à former des gens, leur donner du travail puis quand le financement s’arrête, les individus se retrouvent à nouveau délaissés, sans travail et sans espoir. Pire encore!”

Avis donc aux intéressés! Retrouvez les projets de Sandra Wanduragala, de Selyn et de son équipe en cliquant ici

Emmanuelle Gunaratne

Note : Photo de Sandra Wandurangala dans sa boutique à Colombo – Crédit photo Emmanuelle Gunaratne

* Plus encore que la garde du petit garçon, la garde des filles est source d’inquiétude au Sri Lanka et difficilement déléguée.

Sandra Wanduragala, fondatrice de Selyn (Sri Lanka)
Sandra Wanduragala, fondatrice de Selyn (Sri Lanka) – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne


Vibrez avec Cee-Roo sur les bruits et pulsations du Sri Lanka

 

Des souvenirs de vacances au Sri Lanka. Des sons, des murmures. Des bruits de rues. Sous le génie Cee-Roo, tout devient instrument merveilleux.

Comment définir ce jeune artiste biennois? Cee-Roo est avant tout un beatmaker exceptionnel. Sa passion, une musique extraordinairement inventive, il nous l’offre en images. En produisant lui-même ses vidéos fantaisistes et souvent désopilantes, ce graphiste de profession réussit à allier talentueusement son et images, pour en faire deux éléments complètement indissociables dans ses créations. «Le visuel enrichit le musical et vice versa. Cette combinaison me permet d’immerger complètement le public dans mon univers.»

Katakatakatak… C’est le couteau hacheur qui prépare le « kothu roti »*, ambiance du soir, côté rue. Ffff Ffff Ffff, ce sont les fibres d’ « ekel »** qui frottent et balaient la terre battue, réveil-matin, côté cour. Le tintement grave et lumineux d’une cloche dans un temple. Les rires cristallins des enfants. Le rythme des percussions et des « gatabera »*** kandyens ponctue le flot d’images colorées et livrées sans fard, adoucies ensuite par les aigus soyeux d’une cithare. Une balle de cricket qui, frappant sur la batte, retentit puissamment.  Une cascade rafraîchissante et le reflux des vagues. Le calme et la volupté des profondeurs sous-marines.

Ecoutez les pulsations du Sri Lanka, c’est le coeur d’un peuple qui bat.

En associant les sons de rue et la musique folklorique traditionnelle, pour y ajouter sa touche de soul, Cee-Roo nous plonge dans l’univers musical quotidien des Sri Lankais. En train, en tuc-tuc, à pied ou à la nage, il réussit à saisir l’esprit et l’essence du pays.

On finit sur un rideau de dentelle qui bruisse à peine et laisse place au silence. Epoustouflant!

 

 

Emmanuelle Gunaratne

 

* Le « kothu roti » est un plat sri lankais populaire, préparé sous vos yeux, à partir de galettes, oeufs, légumes et/ou viande, frits puis finement hachés sur une plaque métallique, ce qui crée une ambiance sonore distinctive et festive.

**Les balais d’extérieur sont fabriqués à partir de tiges séchées de cocotiers, appelées « ekel ». Typique de l’ambiance matinale avec le chant des oiseaux.

***La gatabera est un type de tambour traditionnel.

Danseur kandyen - Vibrations sur les bruits et la musique du Sri Lanka
Danseur kandyen – Vibrations sur les bruits et la musique du Sri Lanka – par James Gordon via Flicker CC (image modifiée)


Saveurs authentiques du Sri Lanka : le « dambala mallung »

Voici une fiche pratique de la recette de « dambala (දඹල) mallung », mixture de feuilles tendres de haricots ailés (Psophocarpus Tetragonolobus), fraîchement cueillies dans un jardin sri lankais.

Cuisine authentique du Sri Lanka : le "dambala mallung"
Saveurs authentiques du Sri Lanka : le « dambala mallung » – Crédit Photos : Emmanuelle Gunaratne

 

Ingrédients :

  • 1 saladier de feuilles fraîches et tendres de haricots ailés
  • environ 1/4 de noix de coco
  • 1 c.s. d’eau très salée
  • 1 blanc de poireau
  • 1 c.s. d’huile de noix de coco

 

  1. Râper la noix de coco.
  2. Ciseler finement le blanc de poireau.
  3. Mélanger et ajouter le sel liquide.
  4. Hacher très finement les feuilles de haricots ailés bien lavées avec un couteau bien aiguisé.
  5. Malaxer le tout.
  6. Verser l’huile dans une casserole puis recouvrir avec la mixture de feuilles.
  7. Laisser revenir quelques minutes sur feu vif en mélangeant à la fourchette. Une délicieuse fragrance se dégage de notre cuisine. C’est prêt.

 

Le haricot ailé ou « dambala » est une légumineuse très nutritive et un concentré de vitamines et de minéraux.  Ses graines et toutes les parties de la plante (feuilles, fleurs et racines) sont comestibles! Par ailleurs, cette plante a la particularité de fixer l’azote de l’air et donc ne requiert pas d’engrais. Elle se plaît dans les régions tropicales à forte pluviosité et prolifère donc dans nos jardins sri lankais.

Commentaires de Kusuma, la cuisinière, qui nous explique les bienfaits de ce plat tout simple, tout en terminant sa préparation : « Typique de notre “gama kaema” (ගම කෑම – les plats traditionnels des villages sri lankais), ce « mallung » se prépare à partir des feuilles tendres de dambala. “harima gunai”, (හරිම ගුනය්, c’est très bon pour la santé). »

Délicieux en accompagnement d’un riz au curry!

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L’histoire extraordinaire d’une assiette sri lankaise, pour d’autres détails savoureux sur notre délicieuse cuisine traditionnelle…

Emmanuelle Gunaratne


Leçons de vie et de charité sur les routes du Sri Lanka

Une distraction des automobilistes sri lankais, quand coincés aux heures de pointe, ils attendent, le pied entre les pédales du frein et de l’accélérateur, de pouvoir bouger à nouveau, consiste à repérer l’arrière des taxis trois roues. On peut en effet souvent y lire des maximes philosophiques, décomplexées et il faut l’admettre, assez hilarantes.  Sous la canicule, notre moquerie silencieuse nous évite ainsi de sombrer dans la crise de nerfs.

“La paix commence avec un sourire”, “L’amitié est un esprit deux corps”, “L’amour est la lumière de la vie”, “La conversation d’un homme est le miroir de son corps”, “La beauté est faite pour regarder pas pour toucher” ou encore “Fais de ton rêve une réalité, Réveille-toi et vis”, “Ne te complique pas l’esprit”… Voilà des exemples de ce qu’on peut méditer ou tourner en dérision, selon l’humeur.

Et pourtant récemment, c’est une jolie leçon de vie que nous a livrée un chauffeur de taxi. Kelum Jayarathne, 35 ans, résidant de Kegalle, bourgade provinciale sur la route de Kandy* a laissé à l’arrière de son taxi, un message insolite, voire déroutant. Une offre généreuse, pour toute course après 20h, aux patients qui souhaitent se rendre à l’hôpital de Kegalle. Suivi de son numéro de téléphone. Et précédé de l’information suivante : “pour accorder des mérites à mon père”**.

Cette notion de mérite, propre à la philosophie bouddhiste, n’est pas toujours facile à saisir pour nos esprits occidentaux. Il s’agit d’actes bénéfiques, positifs qui permettent au disciple de se purifier, de s’améliorer et de progresser sur le plan tant moral que spirituel. L’acquisition de mérites est recherchée au travers d’actes de générosité.

Revenons à Kelum. Il a perdu son père il y a 18 ans, alors que la famille traversait une période financièrement difficile. N’ayant pas à l’époque de véhicule à leur disposition, ils ont mis 45 minutes avant d’atteindre l’hôpital. Kelum, impuissant, a vu son père souffrir et s’est persuadé qu’il aurait pu être sauvé s’il avait atteint l’hôpital à temps.

D’où sa décision, il y a deux ans, quand il a pu acheter son taxi trois roues, de lancer cet appel généreux, charitable. En dépit des remboursements d’emprunts auxquels il doit faire face mensuellement, Kelum réserve donc la totalité des bénéfices de ses heures de travail nocturnes à aider les moins fortunés. Il n’attend rien en retour ni ne cherche à faire des émules. Il s’étonne même de l’intérêt qu’a pu susciter son message dans les journaux locaux ou même sur Facebook.

Quelques jours après la Journée mondiale de la Charité, fixée le 5 septembre, jour de l’anniversaire de la mort de Mère Thérésa, voici une jolie leçon de vie à méditer. Nous saluons nous aussi l’action caritative de Kelum.

 

Emmanuelle Gunaratne

 

* Kegalle se situe géographiquement sur la route menant vers Kandy, au centre du Sri Lanka, à environ 150km de la capitale économique de Colombo.

** Message dans son intégralité : තාත්තාට පින් පිණිස ? 8.00 න් පසු කෑගල්ල රෝහල වෙත ලෙඩුන් රැුගෙන යාම නොමිලේ, soit « courses gratuites pour les patients qui doivent se rendre à l’hôpital de Kegalle après 20h, afin d’accorder des mérites à mon père »

Taxi trois-roues dans les embouteillages à Colombo
Taxi trois-roues dans les embouteillages à Colombo – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne


L’histoire extraordinaire d’une assiette sri lankaise

C’est mon assiette que je souhaiterais vous présenter aujourd’hui. Une assiette simple, toute ordinaire. Une assiette colorée, équilibrée. Peut-être pas complètement sri lankaise, il aurait fallu y ajouter encore un peu de piment et beaucoup de riz. Et alors, ça aurait sans doute pu être l’assiette de mon voisin.

Voilà, cette assiette toute simple au premier abord, j’ai appris, au fil du temps, à l’apprécier, à l’attendre, à m’en réjouir. Et c’est en hommage à toutes celles et ceux qui ont contribué à la remplir et à l’embellir que j’écris ces lignes.

 

Une assiette simple et élaborée

 

Simple? Eh bien pas tant que ça. En comptant les ingrédients, je parviens à plus d’une trentaine! Commençons par le bas de l’image pour remonter ensuite dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :

Un riz rouge, riche, une variété indigène très rare en fait, que l’on appelle “Gonabaru”. On disait autrefois de ce riz qu’il faisait le repas du paysan aussi bien que le repas du roi. On le trouve de temps en temps sur les marchés bio.

Les graines rouges (petites boules) s’appellent “Olu hal”, mot pour mot, riz du lotus, une graine sensée être pauvre en glucide.

Le légume vert, cuisiné en curry, se nomme “kohila”, une plante qui pousse dans les milieux marécageux et que l’on recommande fortement aux personnes colériques pour ses vertus apaisantes! Ses feuilles et tiges, très fibreuses, ont été cuites dans du lait de coco aromatisé des nombreuses épices entrant traditionnellement dans la composition des curry : feuilles de curry (“karapincha”), graines de moutarde, un peu de blanc de poireau (pour remplacer l’oignon banni chez nous), gousses d’ail, piments verts, graines de cumin, poudre de curry fraîche (qui elle-même est composée d’une dizaine d’épices!), du piment en poudre, une pincée de curcuma, sel et poivre.

Vient ensuite le “mallung”*, un mélange de feuilles de « mukunuwenna » qui poussent sauvagement dans les jardins, finement ciselées et de noix de coco râpée, auquel on a ajouté un peu de blanc de poireau, d’ail et de citron. Ce “mallung” est particulièrement délicieux et acidulé. Un véritable régal, sincèrement.

Les concombres sont simplement arrosés d’un jus de citron vert frais.

Puis, le poisson, du “thalapath” (“sail fish” en anglais, un poisson des mers tropicales, parfois difficile à mâcher si il n’est pas soigneusement sélectionné), en curry, cuisiné avec la plupart des épices mentionnées plus haut, et parfumé également de gingembre, de cannelle, de cardamome, de clous de girofle, de poudre de curry grillée, d’une marinade de “goraka” (petit fruit proche du tamarin), de graines de fenugrek, d’un peu de sauce soja, d’une tomate, d’huile de coco.

Enfin, au centre de cette assiette déjà riche et pour terminer ce tour, des lentilles corail en curry aussi, douces au palais, avec des feuilles de « sarana », tendres, que l’on trouve à l’état sauvage le long des chemins et dans les jardins.

 

Cette assiette ordinaire s’avère dès lors très élaborée. Elle l’est plus encore certains jours, la plupart du temps d’ailleurs, quand on associe plusieurs feuilles dans le mallung par exemple ou bien quand on fait un mélange de légumes pour les curry ou les salades.

 

Epices sri lankaises - Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne
Epices sri lankaises – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

 

Du temps, de la patience, un immense savoir-faire et un zeste de fun

 

Rien n’y est évidemment laissé au hasard. Et il faut l’expérience d’une vie de cuisinière pour connaître les mariages heureux d’ingrédients, avoir traîné ses pattes dans celles de sa mère ou de sa grand-mère depuis l’enfance.

 

Sans être forcément familier avec les recettes, on n’a pas de peine à deviner le temps passé à la préparation :

Le riz, le riz de lotus et les lentilles doivent être lavés et soigneusement triés afin d’éviter le désagrément de grains de sable sous la dent. On utilise un bol spécifiquement conçu pour garder les petits cailloux et autres résidus au fond et ne laisser passer que les bonnes graines.

La noix de coco est râpée manuellement.

La chair acidulée du “goraka” est réduite en pâte sur une pierre de granit.

L’ail et le gingembre sont réduits au pilon.

On utilise aussi des pots de terre cuite pour conserver les saveurs et l’authenticité du plat et dans les cuisines traditionnelles, l’âtre, le bois étant moins cher que le gaz.

Dans la plupart des cuisines, les maîtresses de maison préfèrent préparer elles-mêmes leurs poudres de curry, afin de garantir les saveurs de leurs préparations. Elles y passent un après-midi de temps à autre.

Le poisson n’arrive jamais propre ni découpé.

Le mallung est souvent préparé à partir de feuilles du jardin que l’on sélectionne soi-même. Il faut aussi le découper en mini-lamelles, opération minutieuse qui se fait au couteau.

Enfin, quand ils ne proviennent pas du jardin, ces ingrédients sont trouvés sur un marché de petits producteurs bio, avec qui on discute, on s’informe, on échange.

 

Ce sont donc deux à trois heures par jour minimum qui sont consacrées au seul déjeuner. Les femmes sont très souvent absorbées par cette préparation toute la matinée, parfois assistées par leur employée de maison qui s’occupe des tâches menues. Les différentes générations présentes sous le même toit s’en mêlent. Un brouhaha constant, un étalage de condiments sur la table, de vaisselle sale empilée dans l’évier. Les cuisines sri lankaises sont un lieu de vie bruyant, joyeux et animé où parfois aussi on se crêpe le chignon. Un bazar. Le coeur de la maison.

 

J’aurais voulu détailler ici la valeur nutritive de mon assiette. Plus encore, j’aurais voulu vous raconter l’origine de ce riz et l’histoire de ce paysan sri lankais, qui cultive toutes ces variétés de riz indigènes selon des méthodes ancestrales, en fonction des moussons, et qui refuse l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides, de tracteurs ou de semences de variétés hybrides. J’aurais voulu vous parler de son immense savoir-faire, de son talent, de son héritage. Seulement, ce serait encore une longue histoire, que je garde pour une prochaine fois.

 

Pour aujourd’hui, je veux tout simplement vous rendre hommage, à vous, cuisinières nutritionnistes, paysans avertis, pêcheurs matinaux, cueilleurs, grimpeurs de cocotiers, jardiniers. බොහොම ස්තුතියි**!

 

 

You made my day***!

 

Emmanuelle Gunaratne

PS : Retrouvez une recette de « mallung » en cliquant juste ici… Fiche pratique du « dambala mallung ».

*Les « mallung » sont des préparations à base de feuilles cueillies dans les jardins ou feuilles de légumes (navets, choux par exemple). On ajoute souvent ail, oignons, jus de citron en les faisant légèrement revenir dans une casserole.

**Bohoma Stouti : Merci beaucoup en cinghalais

***You made my day : Vous avez ensoleillé ma journée

Assiette lankaise
Assiette sri lankaise – Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne


Colombo, ça marche fort !

 

Inshira, 35 ans. Comme tous les matins, lorsqu’il ne pleut pas, elle dépose sa fille à l’école aux aurores, vers 7 heures. Puis elle traverse la rue et, vêtue de sa kurta en coton et munie de bonnes chaussures de marche, se dirige vers le parc jouxtant la place de l’Indépendance, pour sa marche quotidienne. Elle rejoint ainsi toute une communauté d’hommes et de femmes qui s’activent déjà à vive allure dans ces allées vertes et ombragées.

Une ville qui soigne son apparence

De nombreux citadins, habitants de Colombo et de sa banlieue, bénéficient ainsi des programmes de “mise en beauté”* de la capitale. La restauration du parc de l’Independance Square, du Vihara Maha Devi Park et l’ouverture de parcours dans les banlieues proches, autour du lac du Parlement (Sri Jayawardena Pura Kotte) ou à Nugegoda, sont saluées par les résidents, qui foulent par milliers leurs allées, de l’aube à la nuit (en évitant la canicule!).

L’activité sportive de marche urbaine, réservée il y a quelques années à une certaine élite et localisée dans quelques rares parcs, s’est ainsi fortement étendue et démocratisée. Colombo s’est donc mis au diapason des villes agréables aux piétons, des villes “marchables”… C’est le résultat d’une intense politique de la ville, menée tambour battant par le ministre Gotabhaya Rajapaksa, puissant secrétaire de la Défense et du Développement urbain. Cette politique, instaurée après la fin du conflit (2009), vise à faire de Colombo une des capitales d’Asie les plus propres, les plus vertes, les plus accueillantes.

Parallèlement à l’éclosion et à la renaissance de ces parcs, des arbres plantés et des trottoirs élargis ont permis de créer une ambiance urbaine propice à ce changement.

Détente assurée

Et c’est un vrai microcosme que l’on retrouve désormais sur ces sentiers urbains : tous les âges, (presque) toutes les conditions physiques et sociales. Ils sont là pour des raisons aussi variées que leur style vestimentaire.

Ishan, la quarantaine, fait une escale en allant au bureau… De même pour Niranjan, il s’agit d’un effort nécessaire pour réduire son embonpoint et maintenir un capital santé sur la pente descendante : “Je fais deux-trois tours de parc, soit environ 3 km et ceci deux à trois fois par semaine, avant de me rendre au travail. Mon médecin me l’a prescrit, en parallèle avec un traitement anti-cholestérol ”. Les bienfaits de la marche urbaine sont en effet considérables : outre le fait qu’elle réduit la fonte de la masse musculaire liée à l’âge, ou maintient le poids de forme, la marche vide l’esprit, détend et permet de se préparer pour une bonne nuit de sommeil réparateur.

Ainsi Fazeema vient régulièrement avec deux de ses amies. Le rythme de ces femmes au foyer est nonchalant, souriant et ponctué d’éclats de rire.  Elles jasent, papotent et rient des derniers potins. Car la marche, activité sportive, est aussi socialisante et on devine que l’objectif premier de ces dames n’est sans doute pas de faire fondre leurs chers bourrelets, mais peut-être plus simplement,  profiter d’un bon moment de convivialité.

Ah j’oubliais, cette jeune femme, dont je ne connais pas le nom, car, pressée, elle ne sourit pas. Sa marche à elle, est très sérieuse, mesurée podomètre au bras. Rythme accéléré, elle porte des poids et elle trace son chemin d’un air décidé. Des couples à la retraite font leurs étirements et quelques asana*, des étudiants traversent le parc en se rendant à leur cours, et un couple en tenue de mariage style kandyen s’expose dans les poses les plus classiques pour immortaliser ce jour unique. Senani, elle, pensive, reprend son souffle, le regard noyé dans cette verdure.

Et puis, il y a moi, l’observatrice émerveillée de toutes ces humeurs sociales qui, mine de rien, tout en marchant, ne perds pas une miette de cette scène croustillante et colorée.

Ayubowan* et bienvenue sur mon Trek!

Emmanuelle Gunaratne

* en anglais, “Colombo Beautification Programme”

* le terme asana désigne une posture méditative de yoga, qui peut être maintenue de manière confortable et détendue pendant longtemps.

* “Ayubowan”, du cinghalais et qui signifie, “longue vie à toi”, les mains jointes devant la poitrine, une très discrète révérence et un large sourire irradiant le visage. Ainsi accueille-t-on, au Sri Lanka, les nouveaux venus.

Marche urbaine à Colombo
Marche urbaine la matin à Colombo – Crédit photo : Emmanuelle Gunaratne