Abdoul Nazirou SANI

Togo : Une crise sociale sous un mandat social

Depuis le 19 août 2017, la vie des togolais rime au rythme d’une crise profonde qui peine à trouver un dénouement. Ils sont des milliers à descendre dans les rues à travers tout le pays. Ça jase sur les réseaux sociaux. Facebook, twitter, whatsapp, tous les moyens sont bons pour y arriver. Deux grands objectifs se dégagent pour les protagonistes en jeu. D’un côté, finir avec le pouvoir en place (du RPT à l’UNIR) depuis 51 ans, en exigeant un retour à la constitution originelle de 1992 votée à plus de 97% limitant à deux le mandat présidentiel. De l’autre, se maintenir au pouvoir en brandissant les textes et lois constitutionnels et institutionnels qui arrangent, ceci pour aller à un référendum synonyme d’un compteur à zéro pour l’actuel président.

Une crise politique profonde constate plusieurs analystes. Crise politique ?? Et si on se trompait ? N’est-ce pas plutôt une crise sociale sous un mandat social du président actuel ? J’y vais de mes analyses.

 

 L’appel à manifestation du Parti National Panafricain (PNP), la goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Si beaucoup s’accordent à qualifier la présente crise de politique c’est parce qu’elle fait suite à la marche organisée par le « nouveau » leader de la scène politique ; Tikpi Salifou ATCHADAM. A cet appel, les togolais qui se montraient depuis quelques années lassent des appels à manifestation des poids lourds de l’opposition se retrouvent très mobilisés. Une mobilisation qui devient de plus en plus gigantesque après la mise en place « express » d’une coalition regroupant 14 partis politiques. Mais est-ce une raison suffisante pour qualifier cette crise de politique ? Non !

Une population en perte de confiance et de repère très remontée

Arrivé au pouvoir en 2005 à la faveur d’un forcing maquillé (coup d’état militaire suivi d’une élection controversée) à la suite du décès de son père (Eyadema GNASSINGBE, 38 ans au pouvoir), Faure E. GNASSINGBE (39 ans à l’époque) se réclamait candidat de la jeunesse. Une alternance dans la continuité mais avec une nouvelle vision plus tournée vers la grande franche de la population (plus de 50%) : la jeunesse. Vision qui a séduit et apaisée plus d’un malgré les antécédents.

Après 13 ans à la magistrature suprême et 3 ans du mandat en cours dénommé « mandat social », chacun y va de son bilan. «Je suis plus que déçu. Malgré les violences qui ont précédé sa venue au pouvoir, je me disais que c’était pour la bonne cause. Ils forcent les choses (les barons du régime) pour pouvoir redonner une bonne impression du parti auprès de la population. Malheureusement je suis resté sur ma soif. Rien que du dilatoire » a affirmé un journaliste qui a préféré garder l’anonymat.

Les réformes sociales tant promises tardent toujours à voir le jour. Celles qui sont déjà en cours d’exécution sont mal menées selon plusieurs observateurs et les crises dans divers secteurs d’activités ne cessent de refaire surface.

Il suffit d’interroger les manifestants qui descendent dans les rues pour comprendre le mécontentement. Pour eux, le régime en place doit céder le fauteuil parce qu’il n’arrive pas à résoudre les problèmes sociaux : la santé, l’éducation, l’emploi des jeunes, la pauvreté etc, alors qu’une minorité proche ou du régime en place vit dans le luxe total.

 

Des revendications sociales de plus en plus récurrentes et toujours mal gérées

Les souvenirs des revendications sociales sont encore frais dans les mémoires avec à leur solde le décès de deux adolescents tués à balles réelles lors des manifestations des élèves pour réclamer la reprise normale des cours.

Depuis 5 ans, les grèves se multiplient dans plusieurs secteurs d’activités. Dans le domaine éducatif, les problèmes des enseignants du primaire et du secondaire ne trouvent toujours pas de satisfaction si ce n’est des promesses non-tenues du gouvernement. Ajouté à cela, des affectations dites « punitives » par les concernés. La grève de cette semaine a pris fin hier mais est toujours reconductible selon le communiqué de la Coordination des Syndicats des Enseignants du Togo (CSET).

Même son de cloche auprès de leurs collègues du supérieur. A  l’heure où nous écrivons ces quelques lignes, ils sont en grève de deux jours qui finit aujourd’hui.

Dans le domaine sanitaire la tension est aussi vive. La plateforme revendicative du personnel soignant semble être une arrête dans la gorge du gouvernement. Et on n’en finit pas avec les sit-in et les grèves. Tout comme les enseignants du supérieur, ils sont également en grève de deux jours depuis hier. Si rien n’est fait, le principal syndicat du personnel soignant (le Syndicat des Praticiens Hospitaliers du Togo  SYNPHOT)  menace d’accentuer leur mouvement de grève dans les jours qui viennent.

Sit-in du personnel soignant
Sit-in du personnel soignant au CHU Sylvanus Olympio le 03 janvier 2018

Les corps de service  qui, auparavant, n’observaient pas des mouvements de grève rentrent dans la danse. C’est le cas du personnel du ministère de la fonction publique qui manifeste, depuis quelques mois déjà, son mécontentement et exige de meilleures conditions de travail.

Les étudiants de leur côté ne baisse pas la garde. Depuis la semaine dernière ils sont montés au créneau dans les deux universités publiques du pays. Ils réclament de meilleures conditions d’étude et surtout dénoncent la hausse « exagérée » des frais de scolarité.

Sans oublier la menace de grève que brandit actuellement la Synergie des travailleurs du Togo, l’une des plus grandes centrales syndicales, pour ne pas dire la plus représentative. Les négociations sont en cours avec les ministères concernés et les jours prochains nous situerons.

La liste des revendications sociale est assez longue et je ne saurai faire une liste exhaustive.

 

Chômage masqué, sous-emploi galopant

Après 13 ans de règne, le pouvoir de Faure n’a à son actif qu’un seul concours de recrutement général à la fonction publique. Le seul secteur qui recrute fréquemment au Togo n’est autre que l’armée. Et beaucoup y vont de plus en plus, pour fuir le chômage et son lot de misère. Le mot « passion » ou « rêve » n’a vraiment plus de sens auprès de la jeunesse. Il suffit de trouver de quoi manger. Le taux de chômage est en baisse depuis 2011 (de 6,5% en 2011 à 3,4% en 2015 d’après le Document Stratégique de Réduction de la pauvreté, DSRP).  « Le Togo ne peut pas avoir un taux de chômage de 4%. C’est totalement absurde qu’un pays en pleine récession depuis 4 ans, voit son taux de chômage en baisse », s’est indigné Thomas KOMOU, économiste et Président de l’association Veille Economique lors d’une conférence-débat en 2017 reporté par le site d’information icilome.com.

Comme l’Etat n’est pas en mesure de recruter le secteur privé est débordé par les demandes d’emplois. Place au désordre et bienvenu au monde du sous-emploi. Malgré que le SMIC du pays  soit le plus bas de la sous-région (35.000F CFA), fort est de constater que la majorité des entreprises privées payent moins que ça. Une véritable exploitation qui ne dit pas son nom et qui se nourrit du silence des autorités compétentes constate-t-on. Toute initiative de revendication dans ce domaine est souvent tuée dans l’œuf par des menaces de licenciement. Une bonne partie des diplômés s’est convertit en « Zémidjan-man » (conducteur taxi-moto).

Une situation qui encourage malheureusement beaucoup de jeunes à abandonner leurs études. « Poursuivre, les études pour devenir un conducteur de taxi-moto » argue tout jeune sur le point d’abandonner ses études. Et aux parents incapables d’assurer les études de leurs enfants pour manque de moyens financiers, de se consoler avec ce même refrain « même ceux qui sont allés à l’université sont maintenant en grande partie devenus des conducteurs de taxi-moto. Qu’il vienne rester à la maison le temps de réunir le nécessaire en apprentissage ».

 

Des programmes et projets toujours pas convaincants pour résorber les problèmes de chômage, de pauvreté et de sous-emploi

Pour régler le problème de chômage et de pauvreté ambiante auprès des couches les plus vulnérables, le gouvernement ne cesse d’innover. L’ANPE, le programme national du volontariat (PROVONAT) devenu l’Agence Nationale du Volontariat du Togo (ANVT), le Fonds d’Appui aux Initiatives Economiques des jeunes (FAIEJ), le Fonds Nationale de la Finance Inclusive (FNFI) etc. sont entre autres initiatives gouvernementales menées mais qui sont loin de satisfaire les attentes des uns et des autres. D’aucuns parlent même d’illusion.

Quels sont les impacts concrets de ces projets/programmes sur leurs cibles? Que pensent les togolais de ces initiatives ? Je vais y revenir dans un autre billet

 

En définitif, il est clair que les réformes institutionnelles et constitutionnelles scandées presque chaque semaine dans les rues de Lomé n’ont d’avantage immédiat que pour les politiciens et seules les réformes sociales pour un mieux vivre seraient la véritable avantage des populations aujourd’hui dans la rue. La voie qui semble être aujourd’hui baliser pour le référendum n’est malheureusement pas la réelle solution pour le gouvernement aux attentes profondes des populations. Ce n’est qu’une fuite en avant. Aussi, la gestion économique du pays avec des prêts tout azimut ne laisse pas non plus présager des lendemains meilleurs aux togolais quant aux différentes revendications sociales. Quand on sait que le service de la dette (c’est à dire la somme affectée chaque année au remboursement de la dette et des intérêts) n’a pour conséquences directes que la réduction drastique des dépenses  publiques notamment par des coupes sombres dans  les budgets sociaux

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Je me suis saoulé ce matin sans avoir bu !

Il  est 06h35, heure à laquelle je quitte habituellement la maison pour me rendre au lieu où je suis employé et exploité. Ah zut ! Que dis-je ? Pour me rendre au boulot. 300 mètres de marche, Oléyia ? (Tu y vas ? appels que lancent les conducteurs de taxis-motos à la recherche de client en langue locale). Une voix m’interpelle. Enfin ! Oui oui mouléyi (j’y vais), ai-je répondu. Il s’arrête et aussitôt les négociations commencent. C’est calé ! D’un signe de la tête, comme ils en ont l’habitude, il acquiesce et me demande de monter. « C’est le trajet que vous faites tous les jours ? » me lance-t-il pour engager une discussion. Deux de mes cinq sens ont reçu le message. Mon odorat et mon ouïe. « Que vous puez l’alcool », j’ai failli lâcher comme réponse avant de me contenir. Perplexe, j’ai dû répondre d’un mauvais ton et en un seul mot « OUI ». Véritable calvaire. Je recevais en plein visage cette odeur insupportable pendant les quinze minutes de trajet.

Dégueulasse ! Mais malheureusement ce n’est pas ma première mésaventure de ce genre. Et comme moi, c’est ce que supportent bon nombre de mes concitoyens qui n’ont pas de moyen de déplacement personnel. Un phénomène qui non seulement en attriste plus d’un, mais suscite aussi beaucoup d’inquiétudes sur la santé et l’avenir de ces jeunes qui embrassent, malgré eux, ce métier pour avoir leur pain quotidien.

En effet, Zémidjan, j’avoue, est un métier très pénible. Il faut supporter la fatigue causée par le trafic et surtout par les secousses régulières, risquées et rudes, dues à l’état dégradé de certaines routes de la capitale. Aussi faut-il subir l’humeur des clients et très souvent des autres usagers de la route. Pour pouvoir donc tenir tout au long de la journée, la majorité des « z-man » fait de l’alcool et des substances dopantes son fidèle compagnon. Sodabi (alcool local), les whiskys en sachets et des analgésiques comme le tramadol et bien d’autres sont des substances qu’ils s’ingurgitent à longueur de journée.

Les zems étant mon quotidien, il arrive des jours où j’engage des discussions pour satisfaire ma curiosité. Pour se dédouaner, beaucoup affirment que cela leur donne l’énergie nécessaire pour affronter la pénibilité de la journée. Convaincant ou suffisant cet argument ? Mais « NON » ! Comment conduire dans un état presque semblable à l’ébriété en soutenant une thèse pareille ?

Ces « vilaines » habitudes ne sont malheureusement pas sans conséquences sur le trafic routier. Le nombre d’accidents sur nos routes est en constante progression chaque année. Le lourd tribu est payé par les conducteurs de taxi-moto et leurs passagers. Le dernier rapport rendu public par le ministère de la Sécurité et de la protection civile sur les accidents de route est très alarmant. Au premier semestre de 2017, le Togo a enregistré 2559 cas d’accidents de route ayant occasionné 5215 blessés et 315 décès soit une moyenne de 57 décès par mois. Les premières personnes mises en cause dans ledit rapport ne sont autres que les zems. Sur un total de 4696 engins impliqués dans les accidents sur la période du 1er janvier au 11 juin 2017, on dénombre 3083 deux roues.

Toutefois, le métier de taxi-moto étant en perpétuelle évolution au Togo dû au fait qu’étant l’un des secteurs absorbant le chômage des jeunes diplômés ou non, des réglementations particulières devront être prises et mises en vigueur pour organiser ce secteur afin d’éviter des désagréments aux passagers et surtout de réduire le nombre d’accidents causés par ce corps de métier.