isabellekichenin

Pulpe fiction

Pexel - Licence Cco
Pexel – Licence Cco

 

Dessiner un chemin

En ces courbes apparentes

Un sentier lambrequin

Une errance insolente

 

Libérer les chairs

De leur pudeur normée

Et sans en avoir l’air

Apprendre à s’aimer

 

Je compte jusqu’à trois

Et je me déleste

D’un zeste de complexe

La pulpe c’est pour toi

 

Prendre en bagage à main

Son excédent d’amour

Et s’imaginer loin

En pays Toujours

 

Transiter sans frayeur

En terre Souvenirs

Y laisser sa rancœur

Son besoin de remplir

 

Je compte jusqu’à trois

Et je me déleste

D’un zeste de complexe

La pulpe c’est pour toi

 

Atterrir en douceur

En pays Gourmand

Et dans un corps à cœur

Balayer ses tourments

 

Débarquer conquérante

En contrée Séduction

Et laisser la violente

Au dernier portillon

 

Je compte jusqu’à trois

Et je me déleste

D’un zeste de complexe

La pulpe c’est pour toi

 

Isabelle Kichenin


Cher taxi parisien…

Photo By jean pierre gallot (Flickr: Taxi Parisien) [CC BY 2.0
Photo By jean pierre gallot (Flickr: Taxi Parisien) [CC BY 2.0

Je te vois râler dans mon poste de télé, ici à la Réunion, à 10 000 km de la capitale. Et avant même de savoir pourquoi tu râles, je n’ai pas envie de te soutenir. Je me rappelle notre dernière rencontre, il y a un an, et je me dis que notre échange d’alors n’a visiblement servi à rien. Tu n’as pas gagné une once d’humanité, ami taxi parisien. Tu ne sais toujours pas respirer avec le ventre. Essaie encore.

Je revenais de Côte d’Ivoire, où j’avais passé dix jours en formation avec des blogueurs africains et l’expérience m’avait secouée. Ces jeunes cerveaux débrouillards et courageux avaient forcé mon respect et m’avaient fait relativiser mes petits soucis d’occidentale gâtée. Et pourtant, j’en avais des soucis : chômeuse et maman solo, je bataillais ferme pour remplir le frigo, de petite mission sous-payée d’auto-entrepreneuse en piges tout autant sous-payées. Justement, tiens, j’en avais une de pige à faire sur Paris : l’interview d’une réalisatrice pour un magazine culturelle. À la clé : 100€. Une somme certainement colossale pour certains de mes amis Mondoblogueurs et pourtant dérisoire au regard des tarifs « syndicaux » des journalistes français. Mais je digresse, ami taxi parisien.

J’aurais pu prendre les transports en communs depuis Orly mais j’avais peu de temps avant de reprendre l’avion pour la Réunion. C’est comme ça que je t’ai rencontré. Je suis montée tu as démarré en trombe sans répondre à mon bonjour je t’ai demandé si tu prenais la carte bleue tu t’es énervé et tu m’as dit non j’ai voulu descendre tu n’as pas voulu. Tu allais me déposer à un distributeur pour que je retire de l’espèce pour toi, ami taxi parisien.

Je t’ai donné l’adresse. Tu m’as posée une ou deux questions pour voir si je connaissais Paris. Je ne connaissais pas. Tu retrouvais le sourire. Intérieur le sourire. Très intérieur. « Une pas de chez nous », tu as dû te dire, hein, avoue ! Une facile à plumer. Combien de tours et de détours on a fait ? Et encore un petit tour pour le distributeur de billets. 60 euros tout rond. Gloups.

Pour le sourire apparent, il fallait sûrement un supplément. Je ne pouvais pas m’offrir ce luxe.

Je t’ai retrouvé quelques heures plus tard, taxi parisien. J’étais épuisée par cette interview et ma nuit sans sommeil. Je me suis installée et tu as commencé à râler. La grisaille les impôts le gouvernement ce pays pourri ta vie de merde.

– On a toujours le choix.

Ton regard m’a fusillée dans le rétroviseur. Oui, j’avais osé te répondre, taxi parisien. J’en pouvais plus de t’entendre râler.

– Si j’avais le choix, il y a longtemps que j’aurais arrêté. Encore dix ans avant la retraite. Et encore, si j’en ai une ! Parce qu’on paie, on paie, mais si ça se trouve on touchera rien ! On a vraiment des vies de con !

Respirer avec le ventre. Penser à mes amis Mondoblogueurs d’Afrique. Ne pas laisser cette négativité me contaminer.

J’imaginais le ciel bleu, la mer. Je pensais au rire de mon fils qui me manquait. J’essayais d’oublier les grognements du taxi bourru.

Et soudain la gerbe. Une insoutenable nausée. J’en voulais pas de sa colère.

J’ai ouvert en grand la vitre. Il s’est énervé. Il faisait froid ici (sous titrage : « on n’est pas dans les îles »).

– Vous savez monsieur, je viens de passer dix jours formidables en Afrique avec des gens qui n’ont pas grand chose, qui vivent dans des pays en guerre, subissent la maladie et qui transpirent l’optimisme et la volonté. Alors s’il vous plaît, arrêtez de vous plaindre. J’ai pas envie de vous écouter.

Tu m’as regardée dans le rétro et j’ai vu une once d’humanité traverser ton regard, ami taxi parisien. J’ai apprécié le silence. Et puis tu as parlé à nouveau. Une seule phrase au rythme calme et à l’accent chaleureux :

– Je me souviens quand j’étais enfant. On n’avait rien, mais qu’est-ce que j’étais heureux à manger un oignon face à la mer.

Je te regarde râler dans ma télé et je pense à ton oignon, à mon frigo à remplir et aux choix (bons ou mauvais) que j’ai faits.

Bisou réunionnais,

Isabelle KICHENIN

 

 

 

 


Comme un caillou dans la chaussure

filaos

 

Ça le grattait. Le sable gris venait crisser entre ses pieds nus et ses chaussures. Des chaussures bateau. En simili cuir. Il en avait rêvé longtemps de ces chaussures. Des chaussures, des vraies ! À 60 ans, il les avait enfin et il n’allait pas les quitter de si tôt. Pas question d’enfiler à nouveau une vulgaire paire de savates. Même pour arpenter la plage. Les savates, c’était sa vie d’avant. Maintenant il était quelqu’un. Il avait des chaussures.

Ça le grattait. Ses pieds s’enfonçaient un peu plus profondément dans le sable gris à chaque pas. Un peu plus profond à chaque pas, oui. C’était bien comme ça la vie. Un peu plus lourd à porter à chaque pas. Comme ses paniers sur son épaule gauche, ses saisies* et chapeaux sur la droite. Lesquels des trois pesaient le plus lourd ? Les paniers, tressés par ses petites nièces, là-bas, chez lui, à Madagascar ? Les saisies, qu’il devait sans cesse plier et déplier pour ces touristes exigeants ? Comme celle-là, tiens. Avec son chapeau, ses rides huilées coco et ses lunettes de marque. Il avait bien vu qu’elle lui faisait signe, mais il avait préféré faire mine de rien. Ça le grattait. Alors faire encore six pas de plus dans le sable pour s’approcher des rides huilées coco… À quoi bon ? Pour ne pas avoir droit à un bonjour – ou alors du bout des lèvres ?

Ça le grattait. Il ne pensait plus qu’à ça. Aux grains de sable contre ses vieux pieds abîmés. Ils étaient gros les grains de sable ici. Plus gros que chez lui. À la fin de la journée, il croyait avoir des petits cailloux dans ses chaussures. Il sourit aux filaos*. L’image de son petit-fils hilare lui revenait à l’esprit. Un soir qu’il rentrait harassé de sa journée, il lui avait confié cette image. Celle des cailloux dans sa chaussure.

– Oui madame. Bien sûr madame.

Elle avait insisté. Il avait fini par faire ces six fichus pas pour aller écouter les rides huilées coco qui parlaient trop fort. C’est fou ce besoin qu’ont certaines personnes de parler fort… Comme si le volume de leur voix allait leur faire pousser des racines. Ouvrir déballer parlementer. Mais combien ça mesure et c’est cher et ce matin j’en ai vu des moins chers au marché et c’est trop encombrant et comment je vais emmener ça dans l’avion.

Il souriait aux filaos.

– Oui madame. Bien sûr madame. Merci madame.

Il la connaissait la chanson. Il passait le plus clair de son temps à mettre un peu d’exotisme dans les vacances de ces Français de France déçus par la cherté de la vie dans cette France des tropiques. Avec lui au moins, ils pouvaient marchander un peu. Ça leur rappelait leurs vacances au Sénégal. Ça au moins c’étaient des vacances ! Les autochtones restaient à leur place, l’hôtel n’était pas cher et le shopping bon marché.

Il remballait sa saisie. Souriait aux filaos. Et souriait aussi aux grains de sable – cailloux dans sa chaussure. Il savait pourquoi il supportait tout ça sans broncher. Pour Guénolé, son petit-fils. Il venait d’obtenir son Capes ! Son petit-fils à lui allait être professeur de français ! Il rit au souvenir des cailloux dans sa chaussure.

– Tu as des scrupules, papi ?

Il n’avait pas compris la remarque amusée de son petit-fils, ce soir-là. Et Guénolé lui avait expliqué. Avec une joie non dissimulée. Pour la première fois, ça n’était plus lui qui écoutait son grand-père, avide des récits d’enfance et des légendes de la Grande île. Cette fois-ci, c’est lui qui expliquait l’origine du mot « scrupule », de « scrupus » en latin, signifiant « petite pierre ».

Ça le grattait et il riait le vieux. Il riait aux filaos et aux rides huilées coco.

Non, il n’avait pas de scrupule.

Isabelle Kichenin

* Saisie : nattes de plage en vacoa

* Filaos : arbre d’origine australienne de la famille des Casuarinacées présent sur les plages de la Réunion.

 

 

 

 


Midinette

Chante-moi encore des kiss

Mais oui pleure donc plus fort

Je suis pendue à tes lips

Tes tripes je les veux dehors

 

Je veux voir tes failles

Tes fêlures

Tes entailles

Tes brisures

 

Marcher sur les confettis

Poisseuses de bière après la fête

Me vautrer dans le lit

De ton angoisse sale bête

 

Tu t’obstines

Je midine

Je ronronne

Tu souris

Je m’en tamponne

On se fuit

 

On se muse

C’est pas drôle

On s’accuse

Punching ball

 

Gerbe-moi encore des non

Vas-y refuse plus fort

T’es beau quand t’es ronchon

En colère t’es Milord

 

 

 


Kaang: Pont sonore entre la Réunion et le Lesotho

Le Réunionnais Labelle et le Sud-Africain Hlasko fondent ensemble le groupe Kaang. (c) IK
Le Réunionnais Labelle et le Sud-Africain Hlasko fondent ensemble le groupe Kaang. (c) IK

 

Sacré deux fois à la dernière cérémonie des Voix de l’océan Indien (meilleur artiste de musique électronique et meilleur clip), Labelle revient en 2015 avec un projet passionnant. Le producteur réunionnais mêle sa musique ethno-futuriste à l’univers éthéré du compositeur et chanteur sud-africain Hlasko au sein du groupe Kaang, dont le premier EP sortira en mai. Un ange passe.

Il y a quelque chose de cristallin, d’aérien, d’éthéré dans leur musique. Pourtant, l’émotion qu’elle génère semble fouiller loin en nous. Avant nous, même. Quelque part dans nos racines. Quelque part aux origines.

Labelle, producteur électro réunionnais, et Hlasko, producteur et chanteur sud-africain, nourrissent tous deux dans leurs projets personnels la même curiosité pour les musiques originelles et leur lien au sacré et pour l’aspect futuriste de l’électro expérimentale.

Ensemble, ils fondent Kaang, un groupe en forme de pont sonore entre deux « îles » : La Réunion et le Lesotho, pays montagneux au cœur de l’Afrique du Sud n’ayant pas connu l’Apartheid, sorte d’île dans un continent. Et les ponts entre ces deux terres un peu à part se révèlent comme des évidences sous les notes de ces deux âmes poétiques.

Mettre en musique

L’impalpable

Labelle et Hlasko semblent avoir en commun une propension peu commune à saisir l’émotion, à poser musique et voix sur l’indicible, l’impalpable, à plonger dans une sorte de faille spatio-temporelle entre hier et demain.

 

C’est en 2013 que les deux artistes se sont rencontrés. Faisant des recherches sur la musique électronique sud-africaine, Labelle est attiré par la singularité de Hlasko, qu’il découvre via soundclound. Quelques contacts virtuels plus tard, ils se rencontrent lors d’une tournée de Labelle en Afrique du Sud. Ils enregistrent ensemble 3 morceaux improvisés à Johannesburg, dont le titre « Néo » figurant sur l’album Ensemble de Labelle. Hlasko enregistre aussi les backs vocals de « Lait sacré », dont le clip, réalisé par Pixeldealer, a été primé aux Voix de l’océan Indien.

 

 

Et l’envie d’une vraie création commune germe très vite. Car les deux artistes partagent la même démarche artistique. Comme Labelle, Hlasko s’est nourri d’influences multiples : La « musique un peu bizarre » qu’écoutait sa mère (Nico, chanteuse du Velvet Underground, Pink Floyd, Grace Jones), et l’héritage traditionnel du Lesotho qu’il explore encore davantage depuis le décès de sa mère.

« Notre société est très matriarcale. Quand la mère décède, il y a un rituel dans lequel l’enfant reçoit des choses. Je pense que j’ai été très influencé par ça. Je sens très fort que je suis là pour transmettre ma culture, que c’est une sorte de mission et plus je comprends qui je suis, plus je peux m’exprimer », confie le jeune artiste de 21 ans.

Ce souci de transmission et cette quête identitaire se perçoivent aussi dans la démarche de Labelle.  Depuis qu’il a mêlé les disques de son père réunionnais à ses sets de DJ à Rennes, où il a grandi, l’artiste puise dans les rites ancestraux de l’île pour concevoir son électro-maloya.

L’homme qui

Fait chanter la pluie

Au sein de Kaang, les deux musiciens explorent ensemble la mythologie Bushmen. Kaang, créateur de toute chose dans cette mythologie, vient ainsi faire écho à l’animisme qu’utilise Hlasko dans ses textes, cette façon de se mettre à la place des choses, des animaux ou des éléments et de les laisser s’exprimer. Cette délicieuse capacité qu’a ce jeune homme à faire chanter la pluie.

Kaang évoque également la passion pour la culture musicale Bushmen que nourrissaient déjà les deux artistes bien avant leur rencontre. Explorant la poésie et les textes anciens du Lesotho, pays de sa mère, Hlasko ne pouvait qu’être attiré par les Bushmen, qui en furent les premiers habitants. Quant à Labelle, il a découvert récemment un élément qui apporte un éclairage particulier à sa passion. « J’ai appris en faisant mon arbre généalogique que j’avais un ancêtre du Mozambique. Mais ce qui est dingue, c’est que j’ai découvert par la suite que les Bushmens y résidaient tout comme au Lesotho bien avant l’arrivée des autres ethnies ! », raconte-t-il.

L’affinité naturelle entre ces deux artistes semble, avec le symbole de ce lien enfoui et ancestral entre eux, empreinte d’une dimension presque magique … Et on comprend mieux, soudain, l’émotion puissante qui se dégage de leur musique. Ce je-ne-sais-quoi d’originelle aussi bouleversant que rassurant.

Isabelle Kichenin

Kaang: Premier EP à découvrir en Mai 2015 sous le label Eumolpe records.

 

 

 

 

 


Je technicolore #2

Grand Bassam - Côte d'Ivoire (c) IK
Grand Bassam – Côte d’Ivoire (c) IK

 

Quand l’excès de réel

Me vole mes envies

Que le ciel flétri

Me charcute les ailes

 

Je pédale grande vitesse

Aux 24 heures du rêve

De claques en caresses

De conflit en trêve

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Le petit vélo s’emballe

Et picore de l’espoir

Ouvre grand les malles

De contes illusoires

 

Je fais mes films, mes séries

Ecran noir pour nuit blanche

Serial lovers, amis

Vers la folie ça penche

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Je creuse un ciel sous la mer

Je dessine des moutons

J’oublie les muselières

Je croque les roses bonbons

 

Je fais des voyages lunaires

Sous tes longs cils trompeurs

J’invente le 8eme ciel

Tu l’entends la clameur

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Je me coule dans le bain

De notes acidulées

Symphonie de clavecins

Percussions déjantées

 

Je fais gronder la terre

D’un futur africain

Je me sers un jus de soleil

À la tienne frangin

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Isabelle Kichenin


Peine perdue

J’ai perdu ma peine

Au détour d’une rue

Crois-tu qu’elle revienne

Quand je n’y serai plus

 

J’ai perdu ma peine

Coucou la vois-tu

En joie diluvienne

Je me sens toute nue

 

J’étais là à compter

Les moutons, les pleurs

Quand elle m’a plantée

Dans un battement de cœur

 

Je la croyais fidèle

Compagne d’insomnie

La perfide pucelle

Comme les autres trahit

 

J’ai perdu ma peine

Vous y avez cru

Elle coule dans mes veines

En flots continus

 

Elle est l’éponge qui boit les pleurs

Elle est l’épine qui saigne le cœur

Elle est l’inspire, elle est l’expire

Elle est raison, elle est délire

 

De mon ciel délavé

Vous voilà lassés

Je suis qu’une âme grisée

Une fille un peu tordue

Qui vit avec sa peine

Si vous me voulez sereine

Si vous n’en pouvez plus

Faut me lobotomiser

Sinon c’est peine perdue

 

Isabelle Kichenin

 

 


Je technicolore

Borderline (c) IK
Borderline (c) IK

Quand le monde réel

M’éloigne de la vie

Que le ciel bas et gris

Me charcute les ailes

 

Je pédale grande vitesse

Aux frontières du réel

De claques en caresses

De piment en miel  

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Le petit vélo s’emballe

Et picore de l’espoir

Ouvre grand les malles

De contes illusoires

 

Je fais mes films, mes séries

Ecrans noirs pour nuits blanches

Serial lovers, amis

Vers la folie ça penche

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Je me raconte des histoires

Je romanesque tranquille

Je deviens cruche, poire

Dans la tempête une île

 

Je prends la pente en roues libres

La pluie abîme mes yeux

Dans ma chair la fibre

D’un borderline odieux

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Je le vois l’arbre au loin

Je pédale de plus belle

Je cherche le frein

Avant de prendre la gamelle

 

Je bovaryse

Je drive Mulholland

Je libère l’emprise

De ce tas de viande

 

Je technicolore

Je sous-titre Antiope

J’habille sonore

Double, redouble et hop

 

Isabelle Kichenin


Marchand de rêve

Sophia Loren 1963 - Life
Sophia Loren 1963 – Life

 

Mine de rien

Tu me fais du bien

Quand tu me causes

Quand tu oses

Quand mes points de suspension

Flirtent avec la déraison

 

Tu sais les éteindre

Mes colères éphémères

Un sourire une étreinte

Douces muselières

 

Dompteur de louve solitaire

Confident d’insomnie

Ami, amour, frère

Témoin de mes envies

 

Amant interdit

Muse involontaire

Marchand de rêve, de folie

De douceur solitaire

Merci

 

 

 

 

 

 


On est Charlie et on est légion

Rassemblement pour la liberté d'expression le 8 janvier 2014 à Saint-Denis de la Réunion. (c) IK
Rassemblement pour la liberté d’expression le 8 janvier 2014 à Saint-Denis de la Réunion. (c) IK

 

D’abord la boule au ventre

Puis l’envie de gerber

Terrasse ensoleillée

À l’abri de mon antre

J’en veux pas de ta nouvelle

On était à trinquer

À se la souhaiter belle

Tu viens nous la souiller

Notre année nouvelle

 

D’abord le déni

Puis l’envie de gueuler

Je vais dire quoi au petit ?

Ces mecs ils dessinaient

Alors on les a tués ?

Je pense aux amis lointains

Dans leurs terres belliqueuses

À leurs plumes courageuses

Leurs avenirs incertains

 

D’abord la colère

Puis l’envie de pleurer

D’expliquer aux teubés

Que l’appel à la prière

N’incite pas à tuer

Rassure toi voisine

C’est pas un coup de feu

Le chant du muezzin

Deviens pas conne, tu veux

 

D’abord la tristesse

Puis l’incompréhension

« Je ne suis pas Charlie »

Crie l’intello de mes fesses

« Non je suis pas un mouton »

Moi non plus du con

Je suis une femme en colère

Triste, furax, vénère

J’ai mal à ma démocratie

Comme lui, lui et lui aussi

On est des anonymes

On est dans l’émotion

On fait des dessins, des rimes

Et on est légion

 

Isabelle Kichenin


Avenir light

Des coeurs et des étoiles (c) Mélanie Chevallier - https://mchevallier.blogspot.com/
Des coeurs et des étoiles (c) Mélanie Chevallier – https://mchevallier.blogspot.com/

 

Je veux des pleins  des déliés

Des câlins des baisers

Je veux du rêve de l’espoir

Des bougies dans le noir

 

Que nos avenirs soient light

Que nos futurs sourient

Que jamais on se fight

Que la vie soit ici

 

Je veux la croquer la pomme

Sans regarder autour

Et je veux croire en l’Homme

Oublier les vautours

 

Que nos avenirs soient light

Et nos envies furieuses

Que la barrière soit hight

Et nos erreurs rieuses

 

Je veux que tu viennes avec moi

Et toi et toi et toi

Je veux qu’ensemble on soit forts

Et qu’on défie la mort

 

Je veux qu’on enterre nos peurs

Et qu’on danse sur leurs tombes

Et je veux qu’on oublie l’heure

Qu’on entre dans la ronde

 

Comment ça t’y crois pas

Je suis qu’une douce rêveuse

Le devoir tu le sais pas

C’est le make-up des gueuses

 

Moi je veux crever d’envie

Opérer à cœur ouvert

Réanimer le gris

Faire un appel d’air

 

Que nos avenirs soient light

Nos présents optima

Nos couronnes chapeaux de paille

Et nos désirs rois

 Isabelle Kichenin

Bonne année 2015!

 

 


Coup d’avance

dés bar (c) IK

J’ai un coup d’avance

Quand on me sous estime

 

Et si ça pue le rance

Moi je cherche la rime

 

Tu croyais m’achever ?

Accroche-toi jeunot

Celui qui me fera plier

L’en aura sous le paletot

 

J’ai un coup d’avance

Quand on me repousse

 

Et si tu mènes la danse

Fais gaffe aux secousses

 

Ah tu voulais jouer ?

Sors les dés frérot

Le double six je l’ai

On repart à zéro ?

 

D’avance je pare les coups

Je la connais la rengaine :

Tu sais je suis un peu ours

Je sais pas dire je t’aime

 

À coup sûr je t’aimais

Sans triche, sans coups fourrés

Debout ça y est j’avance

Les dés je les ai jetés

 

Isabelle Kichenin

 

 


ça se passe comme ça à Pôle emploi

Déclaration universelle des droits de l'homme. Affiche de la Ligue des Droits de l'Homme.
Déclaration universelle des droits de l’homme. Affiche de la Ligue des Droits de l’Homme.

 

J’ai déjà connu des périodes de chômage, mais jamais je n’avais encore ressenti une telle urgence, un tel désespoir, une telle désillusion. Depuis deux ans, les salles d’attente des agences de Pôle emploi me renvoient des selfies qui ne me font pas rire.  Autoportraits d’un suicide collectif par excès d’appât du gain. Déni de l’individu, broyé par la machine économique. Mépris de l’humain, réduit à un numéro d’identifiant, tatouage des perdants.

Alors qu’on fête aujourd’hui le 66e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, j’avais envie de partager cette petite chronique de la crise ordinaire. Libres et égaux?

Des longues files d’anonymes piétinant au milieu de pleurs d’enfants épuisés, patientant plus d’une heure, résignés, pour s’entendre dire qu’il faudra revenir. Il manque un papier. Ils viennent d’être radiés. Ils doivent appeler le 3949 pour s’inscrire à nouveau.

–       Tu as un téléphone à la maison ?

Le jeune homme regarde ses chaussures et marmonne une réponse gênée.

–       Tu fais le 3949, tu te réinscris et après tu reviens et on examinera ton dossier.

Le jeune homme prend la tête dans ses mains. S’éloigne du comptoir. Piétine encore un peu sur place et croise les dizaines de regards braqués sur ses yeux à lui, humides. Il s’approche à nouveau du comptoir, ouvre la bouche, se ravise  et finit par sortir.

La file piétine d’un pas.

–       C’est la troisième fois que je viens depuis ce matin. Tout à l’heure la file continuait loin dehors.

L’homme qui me parle a les cheveux grisonnants, la chemise bon marché impeccable et la dignité des petits travailleurs.

Je ne sais pas pourquoi, sans que je ne lui réponde rien, il se met à me raconter. C’est souvent comme ça : on me raconte. Et moi j’écoute.

–       37 ans de boîte et voilà : licencié. Ils en ont licencié une quarantaine comme ça. Là, ils viennent de me radier parce que soit disant j’ai manqué un entretien, mais je suis toujours venu ! Juste au moment où je n’ai plus droit à l’ARE*, où je passe à l’ASS*, ils me radient.

L’homme soupire. Réajuste sa chemise bon marché impeccable et poursuit.

–       Et la vieille patronne, la pauvre ! Elle est à l’hôpital. Je vais la voir à chaque fois que je peux.

Mon cœur gronde. La crise lui a tout pris : sa dignité de travailleur, son fragile équilibre économique et cet homme va rendre visite à son ancienne patronne à l’hôpital !

La chanson de Françoise Guimbert me trotte dans la tête :

Bann ti i soutyin bann gro / Bann gro i soutyin bann gro / Alor la mi vwa pa kisa i soutyin bann ti

(Les petits soutiennent les gros / Les gros soutiennent les gros / Alors là je vois pas qui est-ce qui soutient les petits)

 

 

Devant moi, une femme se retourne dans un soupir.

–       Moi je me suis occupée de deux vieux, tous les jours, le samedi, le dimanche, leur faire à manger, les laver. Il y en a un qui est mort dans mes bras. Je l’ai baigné et hop, il est mort dans mes bras… Dans mes bras oui … Et vous croyez que la famille m’aurait payée … C’est toujours pareil avec les gens qui ont ça.

Baissant les yeux, je vois sa main mimant  le geste de l’argent. Discrètement. Comme si évoquer ouvertement les plus fortunés pourrait lui attirer des problèmes.

Bann gro i soutyin bann gro…

Isabelle Kichenin

* ARE: Allocation d’aide au retour à l’emploi

ASS: Allocation de solidarité spécifique

 


WhatsApp

Mathilde en était là de ses réflexions quand son iphone bipa. Un message… mais où ? Rien dans les SMS, rien dans la boîte mail. Ah oui : WhatsApp. Elle avait oublié cette application et ne savait même pas s’en servir. C’est Damien justement qui lui en avait parlé, un jour où elle s’intéressait aux modes de communication de ces jeunes ultra connectés. Il lui avait demandé son numéro de portable et l’avait invitée, elle ne savait trop comment, à utiliser cette source supplémentaire de distraction.

Oui, tous ces outils ne faisaient que la distraire, l’éloigner de l’essentiel. Combien de pages aurait-elle pu écrire, si elle ne passait autant de temps à « liker » de stupides posts Facebook ? Elle chassa de la main l’once de culpabilité qui dessinait une ride à son front. Après tout, elle se tenait informée des usages des jeunes. N’était-ce pas primordial pour une enseignante ?

Elle avait du bon, tiens, cette génération : elle lui permettait de cacher sa paresse intellectuelle derrière des outils dernier cri.

Et ce message, alors ? ça ne changerait donc jamais. À 40 ans, elle restait la reine de la digression. Partout. Tout le temps. Impossible de forcer son esprit à ne suivre qu’un seul chemin. Une idée en emmenait une autre, puis une autre, puis une autre… Et elle avait parfois le sentiment de se perdre dans une forêt d’idées aux branches biscornues. Le message, oui, le message.

 < Ça vous va bien le noir…

1 heure du matin. Qui pouvait lui écrire ? Le numéro ne lui disait rien. Ah mais oui : c’est le numéro qui l’avait invitée à utiliser WhatsApp. Damien ? Il l’avait donc vue ce soir ? Il était au vernissage ? Elle avait envie de hurler de rire. Ce jeune homme était décidément plein de surprises. Sans réfléchir aux éventuelles conséquences, elle pianota une réponse.

 < Vous étiez au vernissage ?

 < Quel vernissage ? Je vous ai vue rejoindre votre voiture sur le parking. C’est mon quartier. Je pensais pas vous voir là un jour.

 < Pourquoi ? J’ai pas la tête à traîner aux Camélias ?

 < Ben je vous voyais plus au Carré cathédrale. Lol

 < Moi aussi je m’y voyais… Mais je me trompais.

 < Vous êtes très belle. Je voulais vous le dire. Voilà.

Là, ça dérapait. Que pouvait-elle répondre à ce jeune homme de 22 ans ? Elle esquissa un léger sourire. C’était flatteur tout de même de se sentir séduisante. Surtout après ces deux années de deuil amoureux. Elle sentit son corps chatouiller. Non, pas de digression, là. Que répondre ? Rien. Surtout ne rien répondre. Ne laisser aucune porte ouverte. Rester à sa place.

 < Si vous aimez mon quartier, je vous le ferais visiter. Je suis sûre qu’il y a plein de trucs que vous connaissez pas.

Elle n’eut même pas le temps de réfléchir et se mit à pianoter, piquée par cette remarque.

< Ah, vous croyez ça ? J’y ai traîné avant que vous ne soyez né jeune homme !

 < Ah ? Madame a eu une jeunesse décadente ? Intéressant…

Elle eut envie de répondre « P’tit con », mais s’abstint. Elle n’avait finalement pas tant bu que ça, puisqu’elle pouvait se contenir. Allez, 1000 points, Mathilde, t’es trop forte ! Elle pensait déjà au nombre de fois où son ivresse et son impertinence lui avaient dicté quelques textos ou mails vite regrettés, quand son téléphone bipa à nouveau.

< Vous êtes là ? Rendez-vous demain soir sur le parking où je vous ai vue.

Isabelle Kichenin

 

 


Natacha Tortillard en concert : Soley d’amour

Natacha Tortillard, lumineuse sur la scène du Téat Champ Fleuri. (photo DR)
Natacha Tortillard, lumineuse sur la scène du Téat Champ Fleuri. (photo DR)

 

Natacha Tortillard présentait le 5 décembre dernier au Théâtre de Champ Fleuri à Saint-Denis de la Réunion son nouvel album : Soley levé. Un concert lumineux, chaleureux et généreux. Rayons de soleil en ces temps de grisaille.

 

Il pleuvait sur Saint-Denis. Comme si le ciel voulait s’assortir au pessimisme ambiant. C’était sans compter sur la chaleur que Natacha Tortillard et ses musiciens allaient distiller au Téat Champ Fleuri. « Soley levé ». Le titre du deuxième album que la chanteuse originaire des Camélias* présentait ce soir-là tient ses promesses. La salle « Karo kan » quasi pleine du théâtre départemental peut en témoigner : debout, tapant des mains et ondulant du bassin en fin de spectacle, sur un « Pou mwin lamour » enjoué et chaloupé.

La soirée avait commencé dans une bulle d’élégance jazzy. Regard rieur, sourire partageur, Natacha Tortillard, fraîchement couronnée du trophée de la Meilleure voix féminine aux Voix de l’océan Indien,  dévoilait la palette de ses compétences acquises au CIM, fameuse école de jazz parisienne. Dans une complicité joyeuse avec ses musiciens, elle a fait monter crescendo le thermomètre, remerciant sincèrement les nombreux anonymes qui l’ont aidée à retrouver la lumière après l’incendie de son appartement l’an dernier, partageant son moment de bonheur avec les chanteuses Amélie Burtaire et Patcha en leur ouvrant la scène, et témoignant au fil des morceaux tout son amour pour le séga, l’ autre jambe de la musique réunionnaise aux côtés du maloya.

L’émotion,  palpable dans les regards complices échangés avec son équipe de très bons musiciens (Bernard Minatchy, Mathieu Brillant, Bernard Permal, Teddy Doris et Emmanuel Félicité), a atteint son apogée sur le morceau écrit après le décès de son frère de 36 ans dans l’éboulis survenu sur la route du littoral en 2008. Accompagnée d’un violoncelliste, Lilian Praya, Natacha Tortillard a suspendu l’instant. Un ange passait.

Un final joyeux et quasi familial pour ce concert de lancement de l'album "Soley levé" de Natacha Tortillard. (photo DR)
Un final joyeux et quasi familial pour ce concert de lancement de l’album « Soley levé » de Natacha Tortillard. (photo DR)

On se souviendra aussi de l’heureuse surprise de l’entendre sur du maloya, en duo avec son amie Yaëlle Trulès, avec qui elle reprenait ensuite le sublime morceau de Jim Fortuné, « Célimène ». Surprise aussi pour Jean-Luc Trulès, qui assurait la mise en scène du concert, invité à recevoir sur scène un gâteau d’anniversaire. Et quelle joie communicative ces dalons* de Bras-Panon ont insufflé au public en montant danser avec Natacha sur scène !

Car c’est aussi ce qui a fait le charme de cette soirée : sa spontanéité et son côté quasi familial. Les fans et amis étaient nombreux à se faire dédicacer l’album en fin de spectacle et un commentaire sur la page Facebook de l’artiste le lendemain résumait finalement bien l’atmosphère de la soirée : « gayar concert zot la refè magine a moin kan navè kabar lontan su terin chatau » (chouette concert, vous m’avez rappelé les kabars d’autrefois sur le terrain de Château Morange).

L’alliance de la qualité et de l’authenticité, ça touche. Forcément.

 Isabelle Kichenin
  • Camélias : quartier populaire de Saint-Denis de la Réunion
  • Dalons : amis


Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents socialistes

 

Petit Sphinx (c) Mélanie Chevallier - https://mchevallier.blogspot.com/
Petit Sphinx (c) Mélanie Chevallier – https://mchevallier.blogspot.com/

 

Mathilde quitta le vernissage passablement agacée. Qu’était-elle encore allée chercher dans ce pince-fesses élitiste ? Une confirmation supplémentaire de ce qu’elle savait déjà ? Elle n’appartenait pas à ce cercle et n’y entrerait jamais. Ses années d’études n’y changeraient rien. Pas plus que ces dîners stériles où ces tenants du bon goût se gargarisaient des dernières expos parisiennes.
Elle n’avait même plus envie de faire semblant. Ces gens-là ne l’amusaient plus.

Un soir, elle s’était vue dans la peau de Bacri, rejouant « Le goût des autres » au milieu d’un concours de références européennes. Et ça, ça l’avait fait beaucoup rire. Elle avait senti le fossé séparant leur vision de la culture et la sienne. Confiture de goyave de France versus songes au sucre*.
Comment avait-elle pu imaginer que ce petit monde l’accepte ? Elle avait cru naïvement que partager des valeurs, le goût pour la chose artistique et une certaine sensibilité suffirait. Grossière erreur. Si ces éléments comblaient son milieu de profs de Lettres, ils ne feraient jamais d’elle une bobo de gauche. Et finalement, elle s’en réjouissait.
Parce que sa gauche à elle n’était pas celle-là. Sa gauche à elle avait l’odeur des sardines Robert et des Solpak d’enfance. Elle avait le son des soirs de meetings à Cambuston, affiches de Mitterrand placardées sur le toit de la case, marmailles jouant dans la terre, aussi excitées que les adultes. Elle avait les cris de victoire de 81, ceux de l’espoir d’un monde moins inégal.
Elle a eu ensuite l’euphorie des radios libres, sa gauche, antennes plantées derrière les temples malbars*. Sa gauche à elle était partageuse et tolérante, jouait au babyfoot dans les « Case », ces MJC péi, ou les boutiques. Sa gauche à elle ne donnait pas de leçons et ne prétendait pas apporter la bonne parole culturelle parisienne aux Réunionnais. Sa gauche à elle n’avait pas de quoi se payer des vacances parisiennes de toute façon. Sa gauche à elle ne mettait pas la bouche en cul de poule pour prononcer le mot « populaire ».
Oui, il était temps qu’elle retourne à ses livres, à la musique et aux « vrais gens ». Il était temps qu’elle se plonge à nouveau dans le quotidien de ses jeunes étudiants, dans leurs coups de gueule posés sur des sons ou des murs.

Prometteur, ce Damien. Et sous ses airs de gros bras, il aimait Baudelaire . « Ça ferait un bon rap, madame », il lui avait dit. Elle avait souri et lui avait demandé s’il connaissait Gainsbourg. Elle lui avait prêté « Mélody Nelson ». Il avait aimé. Il allait le sampler.
Elle l’imaginait, Damien, dans ce vernissage, grand dadais à capuche brandissant son insolence adolescente à la face de la petite bourgeoisie. Oui, elle l’imaginait bien et ça la faisait bien rire. Et si elle l’emmenait, la prochaine fois ?

Isabelle Kichenin

• Goyave de France : Expression réunionnaise se moquant de l’importation de produits de l’Hexagone, considérés comme meilleurs, au mépris des ressources locales. Expression également utilisée par extension pour désigner les cadres dirigeants recrutés dans l’Hexagone.
• Songes au sucre : Dessert réunionnais fait de racines et de sucre, considéré autrefois comme la sucrerie du pauvre face aux confiseries importées.
* Malbars : Réunionnais d’origine indienne de confession tamoule.


Nocturne solitaire

Anna Karina et Anthony Quinn 1967 - Flickr
Anna Karina et Anthony Quinn 1967 – Flickr

Je marche dans le jardin des souvenirs
Parce que ce soir je suis seule

Un mâle s’endort au creux de mon lit
Mon cœur sonne creux
Il fait nuit

Nocturne solitaire
Pour âme trop câline

J’erre sur la route de l’ennui
Parce que l’erreur s’affronte seule
Avec la nuit pour ennemie
Et l’orgueil comme linceul

Nocturne solitaire
Pour âme trop câline

Je gambade dans les champs des soupirs
Parce demain, parce que jamais
Parce que j’aimais

Parce que ces bras trop grands
Parce que ces mots trop plats
Cette séduction convenue
Ce cœur qui ne bat pas

Ce désir fabriqué
Cette peau qui ne répond pas
Ces regards avinés
Cet homme qui n’est pas toi.


Pigeon vole

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Tu me la fais à l’envers ?

Je vais te le dire à l’endroit

 

Ton égo prospère

Et mon cœur amer

Observe le jeu malsain

De mains et de vilains

 

Tu me hais de travers

Quittons-nous beaux et droits

 

Se parler ? Pourquoi faire ?

Nos corps se sont tout dit

De cette inimitié, de cette antipathie

De cette posture guerrière

 

Je t’aimais à revers

De ton regard narquois

 

Serai-je la serpillère

D’une âme sans foi ni loi ?

Ou ferai-je reluire

Le lustre verdissant

D’un cœur dur à cuire

À l’appétit de géant ?

 

Ta peau ne vaut plus cher

À mes yeux fatigués

Je sauve la mienne j’espère

Et souhaite vous oublier