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Construire des murs : une pratique de guerre ?

Le 9 novembre 1989, le rideau de fer qui séparait le monde en deux tombait. La chute du Mur de Berlin est le symbole du passage d’un monde conflictuel à un monde de paix. Il y a peu nous avons célébré les 25 ans de cet évènement. Mais l’usage des murs de guerre est plus que jamais d’actualité. L’exposition photo de Gaël Turine, qui a eu lieu à Bruxelles, nous permet de revenir sur cette pratique. 

Déjà Michel Foucault réfléchissait sur l’utilisation des fils de fer barbelé par le pouvoir politique. Cette forme de contrôle de l’espace semble vouloir définir tant l’appartenance que l’exclusion. C’était l’objectif du Mur de Berlin, c’est toujours l’objectif de tant de murs construits à travers le monde.

Gaël Turine a choisi de traiter par la photographie le cas du plus long mur du monde. Long de 3 200 km, le mur qui sépare l’Inde du Bangladesh est, au même titre que celui de Berlin ou d’Israël, » un mur de la honte ». Cependant, de l’effarant constat du journaliste lui-même « c’est le mur le plus long du monde et personne n’en connait l’existence ».

Gaël Turine, exposition photo, Bruxelles 2014
Gaël Turine, exposition photo, Bruxelles 2014

Pourtant, comme le souligne Amnesty International, « comme tant d’autres dans le monde, ce mur-barrière censé protéger et sécuriser est une source infinie de violence ». Le rejet de l’autre orchestré par les pouvoirs publics via la construction très onéreuse (4 milliards de dollars) de ce mur a pour conséquence l’augmentation de la pauvreté et de la violence. Conçu avec l’idée de se protéger de l’autre, de le cantonner dans un espace distinct, le mur sépare les peuples et répand son lot de misère: immigration illégale, pauvreté, drogues…

Ces murs créent la peur de l’autre, la méfiance et très vite on en arrive à la haine.  Au cours de cette exposition, les paroles d’un villageois bangladais résonnent :  « Avant l’installation de la clôture, les villageois de part et d’autre allaient et venaient librement. Ils parlaient la même langue et jouaient au cricket sur les mêmes terrains. Les filles d’un côté épousaient les garçons de l’autre côté et vice versa. Ils ignoraient la frontière ». 

 

Gaël Turine, exposition photo, Bruxelles 2014.
Gaël Turine, exposition photo, Bruxelles 2014.

L’idée est simple, « s’il y a un mur c’est qu’il y a un danger ». L’autre devient danger et il faut s’en méfier. La construction de murs passe par la transgression des droits de l’homme et du droit international. Amnesty International a déclaré qu’« alors que les échanges ne cessent de se développer, la mondialisation et les peurs qu’elle engendre semblent avoir pour corollaire l’édification de nombreux murs, comme ceux qui séparent les Etats-Unis du Mexique, Israël des Territoires palestiniens, ou encore les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla du Maroc. Pourtant ces derniers sont source de peur (…). Et s’impose le constat qu’une réponse à un problème par la violence est une impasse. Ces murs font peser un lourd danger sur le respect du droit international et des droits humains en générant souvent bien plus de violences et d’abus qu’ils ne prétendent en résoudre ».

L’histoire ne nous a donc rien appris?  C’est ce que révèle cette exposition de Gaël Turine. À travers une approche originale, le sujet de l’exposition nous renvoie à des considérations d’une criante actualité que l’on ne peut ignorer.  Alors que nous avons célébré récemment et en grande pompe les 25 ans de la chute du Mur de Berlin, d’autres se sont élevés. Leurs objectifs : dresser des barricades contre un autre, le cantonner dans un espace défini où, non seulement nous aurons la connaissance de sa position, mais nous l’y cloisonnerons afin qu’il reste distancé. Les objectifs sont donc encore et toujours les mêmes. A l’heure de la mondialisation où les flux de personnes, de capitaux, de biens et de services n’ont jamais été aussi rapides, cette frontiérisation agressive diffuse le message selon lequel l’autre est danger dont il faut se méfier.

La construction des murs comme volonté de se détacher d’une partie de l’humanité par un quadrillage territorial est sans conteste un acte qui va à l’encontre du maintien de la paix; objectif auxquels sont tenus l’ensemble des États comme le stipule la Charte des Nations unies. De ce point de vue, ériger des murs est une façon de faire la guerre. Si ce n’est par l’intention, les résultats montrent qu’il s’agit d’un acte qui asphyxie et appauvrit les populations civiles.

La construction du mur de la honte qui sépare l’Inde du Bangladesh a démarré en 1993 et a été achevée en 2013. Il mesure aujourd’hui 3 200 km. Il a coûté 4 milliards de dollars. Il sera bientôt détrôné par le mur que construisent actuellement les Etats-Unis à la frontière avec le Mexique.