Mamadou Alimou SOW

Ces femmes au « métier d’homme » : Jeannette Haba, chauffeur professionnel

Jeannette HABA - Crédit photo: Sidate
Jeannette HABA – Crédit photo: Sidate

D’une fille, comme Jeannette, qui s’adonne à des activités habituellement réalisées par les hommes, on dit souvent qu’il s’agit d’un garçon manqué. Mais Jeannette Haba n’est pas un garçon manqué : elle fait nettement mieux que les garçons normaux ! Chauffeur professionnel en service au Bureau des Natio​​ns Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), à N’Zérékoré, cette mère de famille de 40 ans cumule une expérience professionnelle à faire pâlir de jalousie le plus courageux des mecs.

Dans un mois, Jeannette Haba fêtera son premier anniversaire à UNOPS dont elle a rejoint les équipes en avril 2015 après une courte période d’inactivité due à la crise Ebola qui a durement frappé la Guinée forestière obligeant la société minière où elle travaillait à s’arrêter. Une consécration pour cette battante « partie de rien » pour tutoyer aujourd’hui les sommets dans sa profession.

Femme de défis

Comme la plupart des chemins conduisant au succès, celui qu’a suivi Jeannette Haba a été sinueux et semé d’embûches. Mais qu’importe pour cette amoureuse de défis et du riz sauce feuilles de patate ?

Son premier défi sur le plan professionnel, elle l’a relevé, haut la main, en 2002. A l’époque, le Bureau du Fonds international de développement agricole (FIDA) basé à N’Zérékoré lance un appel à candidature pour le recrutement de cinq (5) chauffeurs. Un ami, animé a priori d’une bonne intention, suggère à Jeannette de mettre en avant son statut de femme pour bénéficier d’un traitement de faveur de la part des recruteurs. Elle rejette poliment mais fermement la proposition.

« Je voulais concourir au même titre que les hommes, sans bénéficier d’aucun traitement de faveur lié à mon statut de femme », se rappelle-t-elle.

La suite lui donne largement raison. Le coup d’essai se transforme en coup de maitre. A l’issue des épreuves théorique et pratique, Jeannette, l’unique femme candidate, se classe quatrième sur les 320 dossiers déposés. Elle travaillera pendant cinq ans au FIDA.

Pour le poste suivant, dans une Mutuelle de santé, elle fera mieux en surclassant tous les candidats hommes : 1ère sur 25 candidatures.

Après plus de six ans d’expérience dans le privé, Jeannette change de secteur et de lieu de travail. Elle est recrutée par le Gouvernement et rejoint, en 2009, le ministère de l’Energie et de l’Hydraulique à Conakry. Au plus fort de la campagne électorale de 2010 dans l’équipe du candidat Papa Koly Kourouma (ancien ministre de l’Energie), Jeannette accomplissait jusqu’à deux allers-retours Conakry – N’Zérékoré dans la semaine.

Elle travaillera près de deux ans et demi au compte du ministère avant de regagner sa ville natale de N’Zérékoré à la suite du décès brutal de son mari. Un épisode difficile à surmonter. Mais son moral est à l’image du physique imposant de cette femme Guerzé qui fait crisser la balance. Solide.

Self-made-woman

Jeannette est une self-made-woman pure sang. Elle doit sa réussite en grande partie à une philosophie de vie toute simple : « tout ce qu’un homme est capable de faire, une femme peut le faire également si elle le désire ».

Son désir à elle d’embrasser le métier de chauffeur remonte de très longtemps. Devenue orpheline de père à l’âge de 17 ans, cette fille d’un couple de paysans du village de Gbowo (N’Zérékoré) s’est responsabilisée très tôt, bien que troisième d’une famille de 4 frères et sœurs. Ayant abandonné l’école en classe de 4ème année de l’élémentaire, Jeannette a rapidement pris conscience que sa vie ne sera pas un conte de fée.

Sa mère veut qu’elle soit coiffeuse ou couturière de talent. Jeannette rêve de conduire une voiture. Son sens d’observation inné lui a déjà fait comprendre que pour émerger et réussir dans son milieu, il faut faire un métier diffèrent, un « métier d’homme ». Par deux fois elle oblige sa maman d’aller reprendre la caution versée pour son inscription dans un salon de coiffure. Jeannette remporte le bras de fer.

Désireuse de faire le métier de chauffeur par la pratique du terrain, elle n’hésite pas un seul instant à rejoindre le conducteur d’un vieux camion pour faire l’apprenti-chauffeur ! Nous sommes en 1997. Oui, comme les jeunes hommes Jeannette s’accrochait sur les arceaux du camion qui sillonne les petits villages de N’Zérékoré pour alimenter les marchés hebdomadaires en produits locaux et manufacturés.

Au bout de trois ans d’apprentissage, la jeune femme était non seulement capable de jauger le niveau d’huile d’un camion, monter la crique pour changer une roue crevée, poser la cale sur les pentes glissantes mais aussi et surtout conduire un poids lourd ! Forte de cette expérience pratique acquise à la sueur de son front, Jeannette peut passer à l’étape suivante.

En l’an 2.000 elle s’inscrit à l’auto-école et obtient son permis de conduire au bout de trois mois. Elle commence immédiatement à travailler pour son propre compte. Son mari, également chauffeur, lui achète une Toyota Pick-up grâce à laquelle elle fait le transport en commun pendant deux ans sur le même parcours que durant ses années d’apprentissage en camion. C’est le piédestal pour grimper au FIDA…

Près de deux décennies plus tard, Jeannette habite sa propre maison au quartier Boma de N’Zérékoré où cette veuve élève tranquillement son petit garçon et ses deux jeunes filles. Ces derniers sont également futurs héritiers de plusieurs parcelles de terrain grâce à leur mère, brave femme jouissant auprès de sa petite famille du fruit mûr de ses efforts dix fois bien mérités.

Bien qu’ayant abandonné l’école à l’élémentaire, Jeannette Haba parle un français d’un niveau correct acquis aux côtés des centaines de cadres qu’elle a côtoyés et transportés. Elle s’enorgueillit également d’un bon niveau d’anglais parlé grâce à un court séjour à Monrovia, au Libéria.

Mais de tous les succès de Jeannette, il existe un dont elle est particulièrement fière : en 20 ans de carrière au volant, Jeannette n’a jamais fait d’accident de circulation !

A toutes les jeunes filles guinéennes, Jeannette Haba a un message qui tient en neuf mots: « le premier mari d’une femme est son métier ». Venant d’elle, on ne peut que respecter.

Bonne fête du 8 mars à Jeannette Haba et à toutes les femmes du monde.

Jeannette 3


Lectures déambulatoires dans les rues de Conakry

20151220_102441Matin frisquet de fin décembre. Le klaxon strident du train minéralier, faisant écho à la voix amplifiée du muezzin, déchire l’aube naissante dans une chorale sublime. Une ombre en haillons faufile entre deux murs, une planche garnie de baguettes de pain en équilibre sur la tête. A l’est, le soleil, l’air timide, entame l’ascension harassante du mont Kakoulima. Conakry émerge progressivement de son lit, drapée d’un épais voile formé par les volutes de poussière et de fumée s’échappant des vieilles guimbardes devenues le décor de la ville.

Comme à l’accoutumée, je suis débout dès potron-minet. Baskets aux pieds, maillot de jogging au dos, je mets à profit quelques jours de congé de fin d’année pour dégonfler une petite bedaine qui commence à s’installer sournoisement me flanquant un aspect d’officier des douanes africain. La pente raide sur la route qui traverse notre quartier est une sacrée aubaine. Je vous en dirai des nouvelles, l’année prochaine…

Cette activité sportive, sporadique, est également une aubaine pour redécouvrir Conakry sous un autre jour : celui de l’écriture et des inscriptions urbaines.

Ça a l’air totalement badin mais ma curiosité innée et mon amour acquis pour la lecture m’ont permis de comprendre que Conakry est un véritable livre ouvert. On peut y lire les transformations continues de la ville, son essor économique, ses fantasmes et ses codes mais aussi ses douleurs et ses plaies cicatrisées ou encore ouvertes. Pour peu qu’on y prête attention, Conakry parle à celui qui écoute, instruit celui qui lit.

Pour s’en rendre compte, le meilleur moyen est de déambuler dans les quartiers, de préférence à pied.

Sur les deux principaux axes routiers de la capitale, les autoroutes Fidel Castro et Leprince, le florilège des affiches publicitaires géantes témoigne de l’entrée de la ville de plein pied dans la société de consommation qui s’universalise. Ici, un panneau d’opérateur de téléphonie mobile annonce des tarifs mirobolants, là une société de paris incite à miser gros pour toucher le jackpot. Miroir aux alouettes pour une jeunesse en proie au chômage, déchirée entre espoir de rester et rêve de partir.

Entre les deux affiches, brusque changement de thème : un Alpha Condé candidat, costume-cravate, étale sur 18 mètres carrés de vinyle un sourire photoshopé. Le slogan de campagne qui barre le panneau est sans appel : « Le progrès en marche ». Ma curiosité également, Monsieur le président. En avant.

Plus loin, sur les hauteurs de Bambéto, une main anonyme a tracé à la chaux sur un pan de mur branlant : « Vive l’UFDG ». A côté, on distingue le dessin maladroit d’un lance-pierres. Mieux que quiconque un gendarme de Conakry sait interpréter ce « message » dans ce  quartier qualifié, à tort ou à raison, de « contestataire ». Le « combat » politique s’étale à ciel ouvert.

Redescente dans cet autre quartier de banlieue : Sangoyah. Une épaisse couche de poussière ocre tapisse les toitures des maisons en taules ondulées. Quand les ruelles sont bitumées, elles mènent généralement chez un ancien dignitaire du pouvoir. Mais shiitt, mieux vaut se taire car comme partout ailleurs, les murs ont des oreilles. Mieux, ici ils parlent !

Justement à l’angle des deux rues, on peut lire au mur, écrit par un riverain dans un français approximatif, « interdit de jeter des ordures ici, amende 150.000 FG ». Une interdiction que portent quasiment tous les murs de Conakry. Elle matérialise le conflit entre voisins autour de la gestion des déchets que l’on balance où l’on peut, faute de collecte et de circuits de ramassages organisés et efficaces.« Interdit d’uriner ici » est l’autre inscription qui décore les murs des quartiers ; baromètre de l’absence de toilettes publiques.

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Au-delà du montant de l’amende qui varie suivant la courbe de l’inflation (dans le années 90, elle tournait autour de 5.000 francs), les deux formules sont souvent complétées par une menace de sévices corporels auxquels s’exposent les contrevenants. Ainsi, on retrouve les variantes : « interdit d’uriner ici, amende 100.000 francs, plus 50 coups de fouet », «amende 200.000, plus bastonnade », « amende 50.000, plus 2 heures de combat ». La meilleure que j’ai trouvée, est celle qui, pour souligner la rigueur de la punition, était illustrée d’une image montrant une paire de ciseaux qui coupent un pénis urinant. Aïe !

Douloureux aussi est le pari fou de ce… malade mental qui prend les fondations de l’échangeur de l’aéroport Gbessia pour un tableau qu’il s’acharne à peindre à la craie ou au charbon de bois. Des bouts de phrase sortis des méandres de son imagination alternent avec des célèbres proverbes et des citations d’auteurs connus. Un monologue en écriture, le temps que l’impitoyable flotte de Conakry lave les murs du pont. Puis, notre artiste se remet à l’œuvre, et le cycle recommence.

Les taxis, eux, ont choisi l’encre indélébile pour faire parler leurs engins sans âge. Si à Dakar, les taxis-ville arborent une queue de vache à l’arrière-train, ceux de Conakry sont porteurs de messages. Messages de gratitude à l’endroit du Seigneur, « Grâce à Dieu », aux parents, « Grâce à ma mère », ou à un obscur bienfaiteur, « merci maitre ». Ces bout de phrase peints sur les véhicules en disent long sur la traversée du désert de leurs propriétaires qui ne cachent point leur joie d’en sortir. Sur un taxi inter-urbain au décor exubérant, l’on précise que c’est la réussite de « l’enfant de Horé-Fello ». Un Magbana suranné porte, lui, tout « l’espoir de Banamorydougou ».

Un poids lourd au moteur fatigué ploie sous des tonnes de bananes plantain en provenance du sud du pays. Si l’on se fie à l’inscription haut placée sur la cabine, c’est « Jack Bauer » qui est au volant. En réalité, Maitre Niankoye, éreinté par le trajet difficile et brulé par le soleil de Faranah puise dans ces dernières réserves d’énergie pour livrer sa cargaison fragile au marché forestier de Tanéné à Conakry.

« Bonne chance », en lettres capitales, barre tout le flanc gauche d’un «School bus surchargé en route pour Kankan. De la chance, en a vraiment besoin la centaine de passagers de cet ancien autocar américain dans lequel pétaient, jadis sur les routes du Mississipi, une trentaine d’écoliers américains. On continue, certes, à péter dans cette épave d’autocar sur les virages en épingle de Yombokouré, mais pour d’autres raisons…

De l’Amérique, nous vient également Madonna, en posture lascive sur un poster qui colonise les taxis. On se croirait à la veille d’un concert de la superstar à Conakry, ville qu’elle ne saurait même pas géolocaliser sur son Google Earth.

Ce sont des banderoles en percale, tendues entre deux poteaux, qui annoncent les concerts à Conakry. Fantaisies d’écritures et fautes d’orthographe se disputent la vedette sur ces bouts de tissus qui inondent les axes routiers. Les enseignes d’échoppes de quartier, d’atelier de couture et de coiffure, sont le porte-étendard de ce massacre organisé de l’orthographe. Ici, la prononciation d’un mot passe avant le respect des règles d’écriture. Qu’importe ! « Pouleh rauty » ou « poulet rôti » ne change pas la saveur de votre plat dans ce resto de banlieue.

Conakry est dépourvue de graffitis, excepté quelques inscriptions murales que l’on rencontre par exemple au quartier Wanindara, inspirées par le lointain hip-hop américain des années 90 que de petits délinquants tentent de perpétuer. A Kaloum, au centre administratif, les murs témoignent de la guerre des factions de jeunes manipulés par les politiques locaux.

Désignée capitale mondiale du livre en 2017, Conakry offre d’ores et déjà une littérature murale riche et diversifiée. Un livre dont chaque coin de rue est une page ouverte. Il suffit de lever le regard pour en saisir le sens. Bonne lecture et bonne année 2016.


Conakry, le règne de la télécommande

Photo: www.ssofast.com
Photo: www.ssofast.com

Kaléta commence à mettre toute la lumière sur la vie des foyers à Conakry bercés par une obscurité permanente, 57 ans après l’indépendance de la Guinée. Depuis le lancement, fin septembre 2015, de ce barrage hydroélectrique de 240 MW qui fournit jusqu’ici régulièrement du courant électrique à la capitale et à quelques villes de province, les habitants de Conakry émergent progressivement de l’ignorantisme sous lequel ils étaient ensevelis.

Mais ils n’échappent pas à la règle de l’éblouissement, effet d’optique qui frappe celui qui passe de l’ombre à la lumière éclatante. Les Conakrykas usent et abusent du courant, aveuglés par la découverte presque inattendue de cette denrée rare. Plusieurs fois désabusés, ils sont sans doute sceptiques sur la pérennité de ce service social de base dont la fourniture a toujours été un enjeu électoral majeur.

Alors on en « profite ». Et pas qu’un peu ! En attendant la pose systématique des compteurs électriques dans les foyers pour l’établissement correct des factures de consommation, c’est la course à l’armement… électroménager. Fers à repasser énergivores, réfrigérateurs grabataires, thermoplongeurs antédiluviens, four à micro-ondes, climatiseurs, téléviseurs, cuiseurs…Conakry est littéralement noyée sous un déluge de matériels électriques souvent de seconde main importés de l’Occident.

Au grand dam de la sécurité des consommateurs et de la protection de l’environnement. A ce rythme, il faut espérer que la COP22 sera organisée à Conakry pour sauver ce qui aura survécu… En attendant, la petite classe moyenne émergente entend bien profiter de l’opportunité pour améliorer sa qualité de vie. Grand, risque d’être le désenchantement quand le courant sera facturé à sa juste valeur.

Sans surprise, la télé occupe la tête de la longue liste d’appareils électriques achetés. Elle trône au salon dans pratiquement tous les foyers urbains électrifiés. Au sein des jeunes couples, les femmes la désirent aussi plate et large que possible. La longueur de la diagonale de l’écran est un étalon de mesure de leur satisfaction. C’est à croire que, physiquement, elles s’identifient à cet objet devenu leur second miroir après Facebook.

Passé ce détail esthétique, l’inévitable débat sur les programmes à suivre s’impose. Et c’est là que, toujours au sein des couples, la télécommande prend toute son importance. Discrète habituellement, elle savoure sa revanche suscitant l’envie de chacun au point de semer la zizanie entre mari et femme. Pour mieux régner, la télécommande divise les chaînes de télé en nombre, mais surtout en genre. Jeux et sports pour le mâle, musique et feuilletons pour la femelle.

Et c’est parti pour la « guerre » alimentée par les distributeurs d’images satellites qui jettent régulièrement de l’huile sur le feu en proposant de nouvelles chaines dans chaque catégorie.

Si pour les hommes le sport se résume aux championnats de football européens et les compétitions internationales, pour les femmes, en revanche, les sujets sont plus complexes et variés.

La passion de nos femmes pour les feuilletons est un véritable sujet d’étude sociologique. Elles sont insatiables de ces histoires d’amour à l’eau de rose déclinées en un chapelet interminable d’épisodes quasi-identiques. Et c’est là que ça devient vraiment intriguant, puisque voir un seul de ces feuillons, c’est voir tous les autres.

Le scénario est généralement construit autour de l’amour, la gloire, la beauté, l’argent, le mensonges et les trahisons. Des thèmes que les scénaristes, selon leur imagination, mixent et remixent à l’envie en y ajoutant quelques ingrédients : de l’eau et du sable fin saupoudrés de musique exotique.

C’est au milieu des années 1990, selon mes souvenirs, que notre télévision nationale a commencé à diffuser ces télénovelas à travers le feuilleton Mari Mar. Par la suite, on a vu fleurir dans les rues de Conakry des Rosa et des Léopoldina étrangement fagotées. Le Cercle de feu et Femmes de sable allaient enfoncer le clou. Depuis l’arrivée des bouquets, c’est le déferlement : Amour Océan, Cœur Brisé, Vaidehi, Main Teri, Paloma, La Patrona, …

En dehors du plaisir de voir la fin du film, qui se termine toujours par  un « happy end », l’apport culturel de ces télénovelas est fort discutable. Y en a qui pensent qu’elles contribuent tout simplement à abêtir davantage celles qui en sont accros. Au regard de la culture générale de nos braves étudiantes, je suis tenté d’y croire. Inversement, nul ne peut affirmer que le foot à la télé favorise l’émergence des Senghors dans les universités…

En tout cas, ni la bizarrerie des titres, ni les réalités socio-culturelles éloignées, ni le doublage de piètre qualité de ces feuilletons latino-américains ou indiens ne constituent un frein pour leur succès fulgurant chez nous. Au contraire.

Les fournisseurs d’images sont ceux qui ont le mieux compris ce phénomène, multipliant l’offre sur les bouquets satellitaires. En mars dernier, le groupe THEMA a sauté le pas pour créer carrément la chaine bien nommée NOVELAS TV sur le bouquet CanalSat. Désormais, dans les foyers, il faut engager des pourparlers même pour voir le Journal sur la chaine nationale ! On ne respire plus.

Quand la tension monte gravement dans les couples pour le contrôle de la télécommande, certaines femmes n’hésitent pas à proposer à leur mari d’acheter un second téléviseur. Quitte à chasser définitivement le très peu de quiétude qu’on trouve dans un appartement à Conakry ou à saler un peu plus la facture d’électricité et d’abonnement aux chaines de télé. Aux frais du Monsieur, bien sûr.

Mais ne dit-on pas que ce que femme veut, Dieu le Veut ? Reste à savoir si l’inverse est valable.


Conakry by night, version 2015

Au Crisber - Photo: Alimou Sow
Au Crisber – Photo: Alimou Sow

Conakry est ineffable. C’est une ville bouillonnante qui vit à 100 à l’heure. Agressive et stressante le jour, elle est calme et apaisante la nuit en cette fin d’année 2015. Quand le soleil incandescent décline derrière l’archipel des îles de Loos, la cité vous rend au centuple ce qu’elle vous aura pris la journée. Une équité que les noctambules ont bien comprise. Je suis un des leurs ce samedi soir-là.

J’ai craqué pour une sortie en boîte de nuit organisée par un ami de Facebook à l’humour vif et tranchant. Une première depuis quasiment mes années d’adolescent timide que les potes du quartier étaient obligés de traîner pour aller danser à l’occasion de grandes fêtes de fin d’année.

J’ai toujours préféré potasser un bouquin de 500 pages que d’aller me défoncer les tympans et les chevilles dans une discothèque surchauffée de Conakry. J’abhorre danser. L’idée de serrer une fille sur un air de zouk était pour moi la pire torture psychologique qui soit. Peur de danser faux, peur de piétiner ma cavalière ou de lui faire sentir la dureté de mes tibias d’enfant berger des montagnes

Du temps a passé. J’ai également plus d’assurance avec ma cavalière de ce soir (ma femme).

Au volant, je suis bluffé par le contraste de la circulation entre le jour et la nuit. Les voies de circulation de la capitale, éternels parkings géants et marchés le jour, retrouvent leur raison d’être la nuit. Tout est dégagé, faisant apparaitre la largeur réelle des routes, inimaginable aux heures de pointe. A 2H du mat’, on peut se taper un tour complet de la capitale et sa banlieue tentaculaire en moins d’une heure d’horloge !

Routes dégagées mais aussi éclairées. Du moins, les deux principales qui desservent la presqu’île de Kaloum : les autoroutes Fidel Castro et Leprince, tracées en parallèle  et reliées entre elles par des « transversales » à la manière d’un chemin de fer.

Les noctambules, excités par la fluidité de la circulation, écrasent le champignon sous la lumière blafarde des centaines de lampadaires solaires plantés en rang d’oignons entre les deux voies autoroutières. Le malheur est vite arrivé. Un motard a été écrasé à Koloma, près du siège de la télévision nationale. Preuve, s’il en était besoin, que les nombreux check-points installés aux principaux ronds-points ont d’autres objectifs que de décourager les chauffards roulant à tombeau ouvert.

Au niveau de l’un de ces « barrages routiers », au quartier « Cité Enco5 », deux garçons sont soumis à une séance humiliante de pompes verticales devant leurs petites amies qui en rigolent (ah les meufs !). De jeunes gens paisibles, sans moyens de déplacement, qui profitaient simplement de la fin des vacances pour s’amuser . Les autoroutes sont peut-être éclairées, mais les idées sont encore obscurantistes dans ce pays…

Malgré l’heure tardive, les abords des routes sont animés. Le courant du barrage de Kaléta fait monter la tension tous les soirs chez les fêtards des cabarets. Dans presque chaque quartier, des spectacles folkloriques (pôodha) très populaires réunissent des nostalgiques qui noient leurs soucis dans le Skool et la cigarette, esquissant des pas de danse mal assurés. Rendez-vous incontournables des ouvriers, manœuvres, petits commerçants et femmes divorcées.

Pour danser, les étudiants et les diplômés, eux, préfèrent les discothèques. Les plus huppées sont concentrées le long des deux corniches, nord et sud, de Conakry dans la proche banlieue de la capitale, notamment dans les quartiers de Kipé, Taouyah et La Camayenne.

Mon ami « organise » au « Crisber », à Kipé, l’une des discothèques les plus populaires de Conakry. La seule fois que j’ai dansé ici, ça s’appelait le « Climax ». C’est peu de dire que ça a changé depuis. Côté décor et installations, tout a été revu et corrigé : pistes de danses modernes, reposoirs propres, éclairages au top, espaces mieux insonorisés et surtout bien climatisés. Il faut vraiment épuiser un album entier de techno ou du reggae pour sentir ses aisselles humides. La sécurité est également omniprésente. Des videurs trainant des quintaux de muscles veillent au grain.

La seule fausse note (partagé avec d’autres lieux), c’est l’absence d’aire de parking. Les véhicules s’alignent le long de la route générant un petit bouchon alentour. Je doute également que la boîte soit équipée des issues de secours et de plan d’évacuation en cas de sinistre.

Pour l’animation, je suis un peu déçu. Trop de Dancehall et de hip-hop américains ultra saturés (Dj Quick, Patoranking, Wandecoal, etc.). J’ai certes eu du Korede Bello avec son captivant « Godwin » mais pas assez de guinéen. Enfin, j’étais choqué de voir les petites filles, à l’accoutrement aux effets Viagra, se déchaîner sur le très vulgaire clip  « Coller la petite » du  Camerounais Franko (Kinguè Franck Junior).

La nuit s’étire. Les articulations sont fatiguées, les ventres vides. La faim étant la plus fidèle compagne des sortants de soirée de danse, des vendeurs de viande sont stratégiquement installés à l’affût aux alentours du rond-point « Centre Emetteur » à Kipé. Chèvre et poulet grillés au menu.

Des noctambules affamés, assis à califourchon sur des bancs en bois, démembrent impitoyablement des poulets braisés sous les néons du centre Plazza Diamon situé de l’autre côté de la route. Ça dévisse bruyamment entre deux bouchées de chèvre ou de poulet entrecoupées de longues lampées de breuvage. Il est déjà 3 heures du matin. Personne ne semble se soucier de l’heure.

Conakry est définitivement une capitale qui ne dort jamais.


Leur histoire d’amour née sur Facebook se termine au village au premier rendez-vous !

crédit photo: lecontrarien.com
crédit photo: lecontrarien.com

C’est l’épilogue d’une histoire d’amour tout droit sortie d’un roman de Yasmina Khadra qui s’est joué, jeudi 13 août 2015, à Brouwal Sounki, un village de Télimélé perché sur les contreforts du Fouta Djallon. Sur place, elle fait la « Une » des potins des chaumières, amusant les jeunes gens, horripilant les vieilles personnes qui découvrent Facebook pour la première fois. Hélas, sous le plus mauvais jour du réseau social de Mark Zuckerberg.

Tout, a priori, séparait A.B et F.D, la vingtaine révolue. D’abord la distance, l’un vivant à Abidjan en Côte d’Ivoire, l’autre à Ziguinchor, dans la région de la Casamance au sud du Sénégal. Ensuite la disponibilité, tous deux étant mariés, chacun de son côté.

Il n’y a que la magie de Facebook qui soit capable de rapprocher de tels extrêmes au point de favoriser l’éclosion d’une incroyable histoire d’amour virtuelle entre deux jeunes gens dont la naïveté et l’imprudence feront la honte.

A.B est ce qu’on appelle un aventurier. Le jeune homme affable a roulé sa bosse dans plusieurs pays ouest-africains à la recherche d’un travail rémunérateur. Il a même tenté l’aventure périlleuse en Angola avant de revenir poser ses valises à Abidjan. Marié, sa femme vit au village, en Guinée, aux côtés de ses parents.

F.D quant à elle est femme au foyer. Calme et effacée. Elle est mariée à un commerçant guinéen établi depuis plus d’une décennie à Ziguinchor en Casamance où leurs affaires prospèrent. Elle élève paisiblement ses deux enfants aux côtés de son mari à qui elle donne un coup de main à l’épicerie familiale de temps en temps.

C’est cette harmonie que Facebook a à jamais bouleversée.

A.B et F.D se sont donc rencontrés sur ce réseau social il y a de cela plusieurs mois. Ils se lient d’amitié qui glisse progressivement en amour, consolidé par des sulfureux messages privés qu’ils s’échangent dans l’intimité de l’application Messenger.

Personne dans leur entourage n’a la moindre idée de ce que fricotent les deux amants virtuels. Jusqu’à ce que disparaît miraculeusement F.D, début août, laissant derrière elle ses deux enfants et une énorme angoisse à son mari et à ses parents. On la cherche partout à Ziguinchor. Introuvable. Une alerte disparition est lancée, les forces de sécurité sénégalaises sont mises au courant.

Deux jours après sa disparition, la famille de la jeune femme retrouve un téléphone de F.D sur lequel elle avait oublié de se déconnecter de son compte Facebook toujours actif. Très vite, l’application livre les secrets de sa fugue. A la stupéfaction générale, on découvre que derrière la timidité feinte de la jeune mère se cachait une malice très discrète. Elle est amoureuse d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de là qu’elle n’a jamais rencontré dans la vraie vie. Ils se sont donné rendez-vous en Guinée !

Les messages privés révèlent la véritable identité de A.B qu’il avait réussi à dissimuler en utilisant un pseudonyme sur son compte Facebook. Le lieu de leur rendez-vous, l’itinéraire que F. D devait suivre pour y arriver, les complicités… tout avait été orchestré via Facebook. Pire, ils avaient un projet de taille :  se marier !

Coups de fil en Guinée pour prévenir les autorités et les parents. Les informations sont rapidement recoupées. A.B a effectivement quitté Abidjan. Il est repéré à Conakry, puis dans son village natal où il arrive le lendemain.

Il n’a pas le temps de déposer son sac. Une unité de la gendarmerie de Brouwal alertée, fait irruption dans son village et le met immédiatement aux arrêts. Transféré à la sous-préfecture, il nie dans un premier temps être à l’origine de la disparition de F.D. Mais ses échanges Facebook le trahissent. Il finit par tout avouer révélant par la même occasion que la femme disparue se trouve quelque part à Télimélé ville où ils ont passé la nuit ensemble la veille.

Elle est retrouvée par les gendarmes qui la conduisent aux côtés de son amant pour s’expliquer.

Voici l’explication : le jeune homme était spécialement revenu au village, qu’il a quitté depuis plus de trois ans, pour trouver un prétexte de divorce avec son épouse légitime afin d’épouser la femme du commerçant. Cette dernière s’était financièrement préparée à cette issue en dérobant une importante somme d’argent à son mari avant de prendre la tangente.

Comme souvent au village, l’affaire a été réglée à l’amiable et comme toujours à la grande satisfaction des forces de sécurité qui ne se déplacent jamais pour rien.

Cette histoire est révélatrice du danger des réseaux sociaux quand ils sont utilisés à mauvais escient. Malheureusement, elle est loin d’être un cas isolé.

On ne dira jamais assez qu’il faut se méfier des inconnus et de l’apparence, surtout sur Internet.


Ces catastrophes qui ont ôté le cache-sexe de Conakry

Une rue de Conakry sous la pluie - crédit photo: Alimou sow
Une rue de Conakry sous la pluie – crédit photo: Alimou sow

La scène, filmée avec un téléphone portable, est digne d’un documentaire de National Geographic Channel tourné à l’archipel des Bissagos. On y voit  trois personnes juchées sur l’épave d’un congélateur traversant les deux voies de l’autoroute Fidel Castro de Conakry à la nage ! Cela s’est passé au quartier Bonfi où le temps s’est arrêté ce samedi 25 juillet 2015 en fin d’après-midi.

De mémoire d’homme, rarement la capitale guinéenne n’a été autant lessivée que pendant les 10 derniers jours de ce mois de juillet 2015. Une semaine, quasiment sans interruption, les vannes du ciel sont grandes ouvertes déversant des mètres cubes d’eau sur chaque millimètre carré du sol de Conakry.

Puis arriva ce qui devait arriver.

Des catastrophes en cascade : inondations, éboulements, accidents de circulation. Au moins quatre personnes ont perdu la vie depuis le début du déluge, selon les médias.

Sur les principaux axes routiers, les caniveaux ont recraché sur la chaussée tout ce qu’ils avaient dans le ventre offrant un spectacle dégueu.

Dans les anciens quartiers de Conakry, comme celui au nom évocateur de Tombo, les vieilles maisons ont l’air d’être bâties sur des pilotis, certaines n’étant accessibles qu’en radeau de fortune de type vieux congélateur. Plusieurs citoyens sont courbaturés à force d’évacuer les eaux pour déblayer leur … Tombo.

Les nouveaux quartiers, en haute banlieue, n’ont pas été épargnés. Evidemment pas dans les mêmes proportions que pour « la vieille ville ». Les intempéries savent, elles aussi, distinguer le riche du pauvre.

Décidément, 2015 est un millésime poisseux pour les habitants de Conakry déjà éprouvés par des décennies de malaria et près de deux ans d’Ebola.

Dans la nuit du 13 au 14 juin dernier, une tornade accompagnée des vents violents avait balayé la ville provoquant des dégâts matériels et humains considérables. Au moins un mort et des centaines de maisons détruites ou endommagées. De ces dégâts, l’opinion publique n’avait choisi de retenir qu’une histoire à dormir debout selon laquelle un manguier arraché par le vent se serait replanté tout seul dans un quartier de la capitale ! Œuvre signée des épiciers de la rumeur.

Cette banalisation des drames humains est caractéristique de Conakry, cité ineffable. Elle est révélatrice de la haute idée qu’ont les habitants et leurs dirigeants de la vie humaine. Ici tout est banal, puisque tout est banalisé.

Le citoyen qui balance des ordures dans les caniveaux destinés à drainer les eaux de ruissellement, c’est une banalité.

Les commis de l’Etat qui vendent des parcelles à des citoyens dans des zones réservées, le même Etat qui revient casser les constructions, c’est anodin.

Les femmes qui mangent et pataugent dans les détritus des marchés à longueur de journée, c’est banal.

Le taxi et ses passagers qui se tuent en s’encastrant dans la carcasse d’un camion-remorque garé au beau milieu de la chaussée, c’est un non-événement.

Les jeunes qui barrent la route pour jouer au foot et qui cassent les pare-brise des conducteurs, on s’en fout c’est banal.

Les militaires qui fendent les files de véhicules, roulant à tombeau ouvert dans les embouteillages, c’est vicinal.

Les petits délinquants de Madina qui font pleurer des femmes tous les jours en volant leur téléphone portable au nez et à la barbe des forces de sécurité, c’est rien.

Bref, en attendant d’être la capitale mondiale du livre en 2017, Conakry est la capitale de l’insouciance et du laisser-aller. Chacun fait ce qu’il veut en s’asseyant sur le droit des autres.

Le résultat est une anarchie à ciel ouvert qui règne sur une presqu’île de près de 50 km de long. Et quand les éléments de la nature se déchaînent comme cette fois, ils balaient tout sur leur passage ôtant par la même occasion le cache-sexe de notre invulnérabilité supposée.

A bien observer Conakry, la réalité saute aux yeux. C’est une ville qui a chassé un village. On le sent à travers la flore essentiellement constituée d’arbres fruitiers, plantés non pas pour embellir une quelconque rue, mais pour répondre à un besoin primaire : calmer la faim. Ce sont ces manguiers, avocatiers, et palmiers qui ont causé les plus gros dégâts dans la nuit du 13 au 14 juin dernier.

La « ville-village » continue pourtant de s’étendre sauvagement se livrant chaque jour à la férocité de la force destructrice de la nature.

Bien que la Guinée tout entière soit exposée constamment à des vents violents, à des inondations et à des séismes, le pays ne dispose d’aucun moyen sérieux pour prévenir ces catastrophes naturelles. Encore moins de plan d’évacuation de la ville de Conakry, cette bande de « Gaza » guinéenne à la merci des intempéries.

Notre plan Vigipirate ? Euh… Vigi quoi ? Et pour l’organisation des secours, revenez le 14 février pour en parler.

Samedi, 20 juillet 2013 (encore en juillet!) un séisme a frappé une bonne partie du pays et notamment la capitale Conakry. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu’un responsable de la Direction nationale de la géologie prenne la parole pour annoncer fièrement que selon ses collègues du Centre sismique de Mbour, au Sénégal, la magnitude du tremblement de terre était de 2,5 sur l’échelle de Richter (sic). Quelle prouesse !

Cette fois, c’est après une semaine de déluge que la Direction nationale de la météorologie (DNM) s’est fendue d’un communiqué pour nous dire quelle quantité de pluie nous avons prise dans la gueule durant les sept derniers jours. Je rappelle également qu’après la violente tornade de juin, ils ont eu la gentillesse de nous révéler la vitesse du vent qui nous a secoués : 90 km/h ! Merci chef.

A la décharge de ces services, il faut reconnaître qu’ils végètent dans un dénuement complet. Matériels obsolètes, vieillissement du personnel, manque d’investissement et de motivation. La DNM ne dispose même pas d’un  site web ou d’une page Facebook (c’est gratuit non ?) pour publier ses communiqués post-dégâts !

Avez-vous croisé un élève guinéen qui aspire à devenir un Texan Camara, euh… pardon, un météorologue ? Ou bien un sismologue ? Ou encore un océanographe ? Tout le monde veut être journaliste, juriste, informaticien, banquier, minier, diamantaire, argentier, président, etc. Et on en est là.

En tout état de cause si vous attendez le bulletin météo d’avant le journal TV pour décider ou non de prendre votre parapluie à Conakry, c’est que vous êtes vraiment, mais alors vraiment mal barré !


Bienvenu au massif du Ziama

Vue du massif de Ziama à Sérédou - crédit photo: Alimou Sow
Vue du massif de Ziama à Sérédou – crédit photo: Alimou Sow

Dans ma tête, le massif du Ziama a toujours été cette tache baveuse que nous montrait notre Instituteur, Monsieur Diallo, sur une carte de la Guinée quelque part dans le sud du pays près d’une encoignure qui évoque le bec du perroquet. Vingt-et-un ans plus tard, j’ai la chance de toucher le Ziama du doigt, d’écouter ses multiples gazouillis, d’humer ses mille et une senteurs, de sentir sa fraicheur équatoriale.

Mais le confort est au bout de l’effort. Pour arriver au Ziama à partir de Guéckédou, le voyageur doit affronter le fameux tronçon de « l’enfer » Guéckédou – Kondébadou. Trente-cinq kilomètres parsemés de nids de poule, de crevasses et de véritables cratères, par endroits, dans lesquels pataugent des poids lourds surchargés au moteur fatigué. Des morceaux de goudron s’accrochant désespérément au sol argileux rappellent que la route était bitumée jadis.

Le soulagement s’appelle Kondébadou (Macenta) où, au milieu de nulle part, surgit un ruban de bitume en parfait état qui serpente à travers la forêt et illumine les visages d’un sourire presque involontaire. L’habitat est très dispersé à travers un relief vallonné. Des hameaux défilent à intervalle irrégulier d’un côté et de l’autre de la route ; puis apparait la ville de Macenta encastrée dans une cuvette cernée de montagnes granitiques.

A 30 km de Macenta, changement de décor. Les clairières et les montagnes chauves font place à une forêt dense et humide. C’est le massif du Ziama avec son micro-climat exceptionnel. Des arbres au tronc démesuré s’élancent dans le ciel formant une canopée céleste. La route franchit un col donnant accès à la cuvette de Sérédou située à 37 bornes de Macenta-centre. Nous sommes au cœur du Ziama.

Le Ziama est un massif montagneux de la dorsale guinéenne, mais c’est aussi et surtout une réserve forestière de près de 120.000 hectares à cheval entre la Guinée et le Libéria voisin. Erigé en forêt classée depuis 1942, le site compterait plus de 1.300 espèces végétales. Un havre de paix pour pas moins de 547 espèces animales, dont 22 espèces protégées par la convention CITES pour le respect de laquelle la Guinée est un mauvais élève. Selon un vieux recensement daté de 2004, on dénombrait 214 éléphant, y compris le fameux éléphant nain d’Afrique. Ziama est classé patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1980.

Sa biosphère est si attractive que l’ancien gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF), qui avait pour résidence Dakar, venait se la couler douce ici-même pendant ses vacances. Il s’était tapé une coquette cabane dans la montagne, à Quinadou, à 15 km de Sérédou-centre. La maison est aujourd’hui en ruines, au grand dam du maire de la commune rurale.

Grâce à la fameuses forêt de quinquinas du Ziama, la Guinée disposait de l’un des premiers laboratoires de production de la quinine en Afrique. Les quinquinas sont toujours là, mais le labo lui est mort enterré. Un sort identique a frappé la célèbre scierie de Sérédou aux immenses hangars qui meurent à petit feu, rongés par la rouille sous le regard attendrissant du massif montagneux.

Le défi de la préservation des trésors de biodiversité du Ziama s’est toujours posé avec acuité. La majorité de la population riveraine dépend de la forêt d’où elle tire l’essentiel de sa nourriture à travers l’agriculture, la chasse et l’exploitation du bois. Les métiers les plus courants à Sérédou ? La menuiserie et le braconnage. Et si l’on lorgne de plus près, on ne sera pas surpris de découvrir un petit trafic d’animaux protégés.

Depuis près d’un demi-siècle, différents projets ont été mis en œuvre pour préserver les richesses fauniques et floristiques de la réserve, avec plus ou moins de succès. Pour décourager les braconniers et les trafiquants des produits ligneux et animaliers, une unité d’une centaine de gardes forestiers non armés veille au grain. Autant dire, une goutte d’eau dans l’océan de verdure du Ziama.

Pour préserver toutes ses richesses et espérer en tirer profit à travers l’éco-tourisme par exemple, il faut plus que des mesures coercitives. Il est impératif de développer des activités génératrices de revenus en faveur des riverains afin qu’ils fassent la substitution.

Cela pourrait passer par le café car le terrain est très propice. Quelques producteurs locaux, réunis en coopératives, essaient de perpétuer une culture domestique du caféier sur flanc de montagne. Leur combat consiste également à labéliser le café du Ziama aux saveurs exceptionnelles selon les connaisseurs.

En tout cas, siroter une tasse de café du Ziama dans la maison réhabilitée de l’ancien gouverneur, à Quinadou, est un rêve que je caresse avec tendresse…

 


Cinq choses que les célibataires (hommes) devraient savoir sur le mariage en milieu peul

couple marié, la fille en habit traditionnel
Couple marié, la fille en habit traditionnel – crédit photo: Cellou

Une idée, sans doute reçue, veut qu’en Guinée la proportion de filles célibataires soit nettement supérieure à celle des hommes du même état civil. Aucune étude n’existe pour étayer cette affirmation, ceux qui la colportent se fondant en général sur les données de quelques foyers où le nombre de filles domine celui des garçons. Toujours est-il que des contingents entiers de célibataires hommes sont convaincus qu’il existe tellement de princesses au cœur à prendre qu’ils auront l’embarras du choix le jour où ils se décideront de convoler en noces et qu’avec un peu de chance ce sont ces princesses qui viendront demander carrément leur main !

Seulement, il y a cet impitoyable proverbe peul qui enseigne que « Mö yawi kouthioun ö souwâki » que l’on pourrait traduire littéralement par « celui qui minimise un morceau de viande n’est pas circoncis ». Autrement dit, sous-estimer un défi que l’on n’a pas affronté relève de l’imprudence ou de l’ignorance. Et, en dépit des apparences, le défi du mariage en milieu peul (de Guinée) n’est pas une mince affaire… Preuve par cinq.

  1. Le choix de l’épouse : En fait de choix, c’est à une véritable quête que le mâle sera soumis. Vous ne le saurez que quand vous y serez confronté. On a beau supputer que les filles célibataires sont à ramasser à la pelle, parvenir à dégoter l’une d’elles peut se révéler un réel parcours du combattant. Trois raisons à cela : la religion (l’islam) qui interdit d’avoir une relation avec sa future épouse avant le mariage, la famille qui détient le vrai pouvoir décisionnel et l’endogamie quasiment érigée en règle. A la fac, ton cœur d’étudiant célibataire s’emballe pour une belle fille que tu as vu faire mijoter des dizaines de marmites de mangues. Tu en parles au « vieux », qui en parle à son frère et voilà ton oncle qui te soupçonne de velléité d’épouser ton ex-copine et t’impose l’une de ses boutonneuses filles. Si tu n’as pas de charisme, c’est-à-dire pauvre comme un étudiant de province, l’affaire est pliée. Si au contraire, tu as voix au chapitre, on passe par les liens familiaux pour te flanquer une pression qui t’oblige à accepter « Binta », ta cousine, comme femme. Les parents font les démarches nécessaires et on passe à l’étape suivante.

 

  1. Le mariage religieux : C’est l’affaire des sages. Le mariage religieux est généralement scellé à la mosquée entre les deux familles devant les notables. Il précède obligatoirement celui civil. La présence des mariés n’est pas requise, celle de la fille étant même proscrite dans certains cas. La procédure, d’une durée variable, est un mélange de questions-réponses ponctuées d’une litanie de bénédictions extraites du Coran. Des enveloppes font la navette. Le minimum de la dot tourne autour de 500.000 GNF, sans maximum. Elle peut grimper suivant la richesse de l’homme ou la beauté de la femme ! Presque toutes les femmes peules étant belles, 500.000 GNF c’est prix de l’eau. La dot est accompagnée d’un lot de noix de cola au nombre impair (généralement 101), artistiquement emballé dans de larges feuilles sauvages nouées à l’aide des ficelles artisanales, le tout formant une longue tige verticale qui évoque un phallus en érection gorgé de Viagra. Tout un symbole.

 

  1. La cérémonie traditionnelle : Le rite traditionnel du mariage chez les Peuls a fortement subi l’influence de la modernité et s’est enrichi d’autres cultures. Il n’est pas homogène et peut différer d’un clan à un autre, voire d’une famille à une autre. On retrouve cependant quelques traits communs dans la couleur : « Diomba » (la mariée) est d’abord drapée dans une toile blanche non cousue qu’elle remplace ensuite par un joli complet de couleur rouge. Pour accentuer la beauté de ce complet, la modernité veut qu’il soit recouvert d’un tapis de billets de banque neufs, tout comme le parapluie, également rouge, que tient la mariée. Comptez entre 200.000 et 500.000 GNF pour cette opération esthétique. A ce niveau, je me permets de commettre un délit d’initié : mettez le montant le plus élevé et faites en sorte que le complet soit cousu le maximum de gros billets. Achetez une lame et attendez le lendemain de la cérémonie, où vous serez plus fauché qu’un rat d’église, pour vous attaquer sans scrupule au complet de Mme. Ça s’appelle du « donnant donnant ».

 

  1. La cérémonie civile : Elle représente tout ce qu’il y a de brillant, de bruyant et d’abondant. Un mariage civil en milieu peul, c’est d’abord de la bectance à foison. On ne lésine pas sur les moyens pour nourrir les invités dont on ne connaît jamais le nombre exact. Ce sont des mètres cubes de fonio et de Latsri-et-Kossan, les deux plats traditionnels, qui sont engloutis en quelques heures. Du début à la fin, il faut que les gens mangent, boivent et s’amusent. Pour la brillance, la mariée est au centre du soleil. Avant de se présenter devant l’officier de l’état civil pour la signature de l’acte du mariage, votre princesse passe de longues heures dans un salon de coiffure où elle doit subir une opération chimique esthétique qui la transformera de fond en comble. Le saupoudrage peut la rendre méconnaissable (parfois de beauté, parfois de quelque chose d’indéfinissable). Puis, la miss factice est escortée dans un vacarme assourdissant de motos et de voitures. Destination, la « Réception ». Avant, au village, les femmes se réunissaient autour de « Diomba » et chantaient de belles mélodies traditionnelles. Ça, c’était avant. Maintenant, ce sont des artistes, facturant leur prestation à prix d’or, qui prennent possession de l’arène. Ils enchaînent les dédicaces et dépouillent tout le monde jusqu’à épuisement.

 

  1. Le budget : Combien coûte un mariage chez nous ? Nul ne le sait avec précision. Tu fais l’intello, tu consultes et crées un tableur Excel sophistiqué pour inscrire toutes les lignes des dépenses. Le jour du mariage, on te sort des charges insoupçonnables qui rendent totalement caduques tes prévisions. Entre les entrées, faites des contributions des proches, parents et amis, et les sorties incontrôlées qui coulent de tes poches, difficile d’appliquer une quelconque opération comptable. De toute façon pour espérer s’en sortir, débrouillez-vous pour que le montant de la ligne des imprévus soit égal ou supérieur au total du budget. Si après tout ça tu râles, on a une formule couperet pour te recadrer : « Fâaladho djwö bhé haylaymbha». Son équivalent en français serait « l’homme en quête d’épouse doit mouiller le maillot ». En Poular, le sens de l’expression est un peu plus ambigu et pourrait signifier : « L’homme en quête d’épouse doit secouer (sous-entendu le pantalon, ou bien les bijoux que cache celui-ci) ». Vous voilà avertis, chers célibataires.


Conakry, côté pile

Une vue au large de Room - crédit photo: Alimou Sow
Une vue au large de Room – crédit photo: Alimou Sow

Dans le palmarès des villes propres où il fait bon vivre, Conakry est en queue de peloton. Les habitants de la capitale guinéenne sont sempiternellement pressés, stressés et cassants. A bien regarder leur habitat sur une carte, on comprend leur situation : ce n’est pas facile de vivre dans un cigare !

Plus de deux millions de personnes sont entassées sur une bande de terre en forme de cigare géant qui plonge dans l’océan sur 40 km de long, avec en moyenne 8 km de large. Deux routes parallèles servent de voies de circulation qu’empruntent chaque jour des dizaines de milliers de véhicules presque toujours au même moment et dans le même sens. Même au cinéma on ne saurait récréer un capharnaüm plus abouti.

La promiscuité, les frustrations, la galère et les rancœurs, entretenues par des discours politiques ravageurs font que, durant les 20 dernières années, la cité est devenue un volcan en ébullition où la moindre humeur s’exprime dans une violente éruption : les ordures quittent, un temps, les fossés pour la chaussée, des pare-brises volent en éclats avant que les écœurés n’hument du lacrymogène pour se calmer.

Pour échapper à ce chaudron incandescent à la quête d’un bol d’air frais, il faut gagner les terres de l’intérieur du pays ou prendre le large. Mon choix porte sur la seconde option.

Mais 20 ans de vie à Conakry n’ont pas effacé mes souvenirs d’enfance de petit berger peul sur les hauts plateaux de la partie occidentale de la région du Fouta Djallon. Je sais faire le Tarzan en balançant au bout d’une liane entre deux rochers, mais pas accrocher un appât sur une ligne pour aller à la pêche. Bref, la phobie de l’océan a fini de me convaincre que je pourrais me noyer dans un verre d’eau.

Pourtant, je me jette à corps perdu pour l’archipel des îles de Loos. Le 14 février est en effet une occasion plus que… romantique pour rendre visite à mes insulaires compatriotes ou sombrer dans l’Atlantique façon Jacques Dawson dans Titanic.

Notre Titanic à nous sera une pirogue, longue d’une quinzaine de mètres, à l’arrière de laquelle est flanqué un moteur Yamaha aux vrombissements pas très rassurants. Pas rassurants non plus le matelot occupé à vider l’eau de mer infiltrée dans la coque… Pour 50 000 francs la traversée, une vingtaine de personnes prennent place à bord, serrées en rang d’oignons. Gilets de sauvetage enfilés, on met le cap sur les îles de Loos. L’image n’est pas sans rappeler les embarcations de fortune des immigrés clandestins qui affrontent la Méditerranée. Je me tape l’Ayatal Koursiou en rafale pour chasser l’idée maléfique de ma tête.

L’archipel des îles de Loos, situé à une dizaine de km à l’ouest du port de Conakry, est composé de trois îles principales : Kasa, Tamara et Room par ordre de distance de la terre ferme. Elles forment une sorte de demi-cercle autour duquel sont parsemés des îlots inhabités de faible importance. L’ensemble représente un certain havre de paix particulièrement prisé par les expats en quête d’exotisme et de loisir.

Kasa, l’île la plus proche de Conakry est également la plus grande et la plus peuplée. Elle a été récemment érigée en sous-préfecture dans une certaine confusion des textes … A l’exception de quelques endroits, Kasa a la réputation d’être envahie et polluée ; donc moins attrayante. Ce n’est pas trop à mon goût.

Tamara a un côté sauvage avec très peu d’habitations et d’hôtels. C’est encore une île vierge, toutes proportions gardées. Pour les amateurs de randonnées à la découverte d’endroits inédits, c’est la destination privilégiée. J’adore la randonnée, mais ce sera pour une autre fois.

Je suis plutôt en quête de calme, d’air frais, d’eau turquoise et de sable fin, bref du romantisme en ce 14 février. Tout ce qu’offre Room, à 11 km des côtes de Conakry.

Il est 10 heures tapantes. Le moteur de la pirogue pétarade de plus en plus fort. L’embarcation prend son élan et s’élance sur les commandes d’un mec baraqué à la peau en écailles, brulée par le soleil de Guinée. Un genou plié, il tient une barre de fer verticale en guise de gouvernail. De furtives images de « Dents de la mer » défilent dans ma tête. Dieu, sauve tes créatures…

Pas sûr que le Seigneur m’entende puisqu’un groupe d’expatriés d’origine russe pèchent juste devant moi en buvant de la vodka à grandes lampées. Ils fument, nous enfument et dévissent bruyamment. Dans leurs conversations désarticulées reviennent pêle-mêle, la guerre à l’est de l’Ukraine, le statut de la Turquie en tant que pays européen ou non. Le tout noyé dans des effluves de vodka russe et de Marlboro.

Une scène moins amusante que les plongées spectaculaires à la verticale des sternes qui capturent des petits poissons qu’ils emportent manger sur les berges du port de Conakry. La technique de pêche de ces oiseaux est bluffante !

Voici Kasa qui défile à notre gauche. Sur les côtes rocheuses aux allures de falaises, des femmes sèchent de petites crevettes sur des pagnes colorés. Plus loin apparaît un hôtel en cases rondes surmontées d’un toit conique de tôle ondulée. Tout autour de l’île, des vieux pêcheurs solitaires, torse nu, bravent le soleil de midi et la mer à la recherche de quelques capitaines et de langoustes.

Au bout d’une heure de voyage surgit l’île Room. A gauche de la petite bande de terre en forme de « 8 », une enfilade de résidences privées sur la plage, à droite le village de l’île. Au milieu de deux, entre une langue de sable et des rochers basaltiques, les pirogues déversent autochtones, touristes et randonneurs.

Mon hôtel est situé sur l’autre versant auquel on accède par une ruelle rocailleuse qui serpente à travers une forêt de palmiers qui dandinent sous le vent. Ici, la plage est immaculée, quoique parcimonieuse. Le ressac des vagues sur les falaises, la pureté de l’eau et de l’air font oublier le tumulte de Conakry et vous plongent dans un calme romantique.

En parlant de romantisme, beaucoup ignorent que la beauté de Room donna autrefois à l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson le décor pour son roman mythique « L’Ile au trésor »! En tout cas, de petits malins ont flairé le trésor caché de l’île en y faisant pousser des hôtels aux tarifs qui frisent le scandale pour un service et un confort minimalistes. La chambre à 100 euros et un vague petit déjeuner qui dope votre appétit au maxi.

Au resto de l’hôtel, le menu tracé sur un tableau noir annonce la couleur : deux tranches de filet de capitaine à 130 000 GNF. Je me suis sauvé pour retrouver les pêcheurs au village en contrebas. Au bout de quelques minutes de conciliabules, Naz, un grand gaillard, prend sa pirogue pour me ramener deux gros capitaines qui frétillent encore. Deux heures plus tard, ma femme et moi nous avions écaillé, vidé et grillé le poisson. Installés à l’ombre d’un baobab, le regard rivé sur l’île de Tamara de l’autre côté de la mer nous avons dégusté ces délicieux capitaines.

Ça fait partie des bons plans de Room où je reviendrai plus souvent pour humer l’air pur et manger du poisson frais, les pieds dans l’eau. J’aime ce Conakry-ci.


Covoiturage Bruxelles-Paris : quand les fraudeurs prennent le volant

Dans la Ford - crédit photo: Alimou Sow
Dans la Ford – crédit photo: Alimou Sow

Le « covoiturage ». Joli néologisme désignant l’utilisation d’une même voiture particulière par plusieurs personnes effectuant le même trajet. Ce mode de transport permet d’alléger le trafic routier et de partager les frais. Trouvaille à la fois économique et écologique. Désormais, des applications mobiles rendent la pratique ludique. Il est possible de choisir son trajet, réserver une place et même payer son frais de transport en quelques clics.

A l’occasion d’un voyage Paris – Bruxelles, j’ai voulu tester le covoiturage. Manque de pot, je suis tombé sur des magouilleurs durs à cuire.

Dimanche 10 h 30, gare du Midi au cœur de Bruxelles. Le thermomètre affiche zéro degré. Ressenti : -2, à cause du vent qui souffle. J’ai des acouphènes dans les oreilles et les mains transies. Un colosse de près de deux mètres, la tête à moitié enfoncée dans un bonnet rayé, m’intercepte.

« Paris ?

–          Oui.

–          C’est par ici, venez. Donnez-moi votre sac. »

Aidé d’un autre gaillard, mon interlocuteur – j’apprendrai plus tard qu’il se fait appeler Adolphe – entrepose mon sac à l’arrière d’un véhicule garé à l’angle des deux rues. Il m’annonce qu’il ne reste que trois personnes et que nous allons bientôt bouger pour Paris. Génial, je vais pouvoir voyager en dépit du fait que le covoitureur que j’ai réservé via l’application mobile a annulé son voyage in extremis. Ici, pas la peine de faire de réservation en ligne. Les gars sont prêts à tout moment. En somme, la « solution gare du midi » est tout bénef. Enfin, a priori.

Première déception : le tarif : 30 euros le trajet Paris – Bruxelles ! Contre 20 euros à travers l’application, y compris les frais de réservations (on peut trouver même moins cher). Devant mon étonnement, Adolphe se montre ferme, mais joue les gentils. Il nous offre un café, mon accompagnateur et moi, en attendant le départ.

Dix minutes plus tard, le véhicule est complet. Une, deux, trois, quatre…  neuf personnes y compris le conducteur Adolphe ! La porte coulissante de la Ford Transit se referme sur nous. Cap sur Paris. Personne ne semble être choqué de notre inconfort accentué par l’intérieur de la camionnette complètement en rade. Pas plus que moi ; j’ai vu pire sur les routes d’Afrique. Tant pis. Chacun fourre son nez sur son mobile. Ce n’est pas ce matin qu’on va socialiser…

Ma voisine de siège est pendue au téléphone depuis une heure. Elle roucoule, sans doute avec un mec qui passe son dimanche sous la couette.  Le conducteur a la bonne idée de détendre l’atmosphère avec de la musique congolaise (RDC). Soukouss. Roumba. Il maîtrise les refrains de toutes les chansons qu’il imite en avalant des gâteaux roulés dans une feuille d’aluminium posée sur le tableau de bord à portée de main.

J’ai compris que notre voyage risquait de partir en couille lorsque, à la première station d’essence, Adolphe demande à trois passagers de le régler afin qu’il puisse faire le plein de carburant. C’est pas bon signe ça, me dis-je intérieurement. Mais bon, comme on est en Europe…

Après une heure et demie de trajet, le chauffeur annonce une pause pipi de 5 minutes à une station-service en territoire français. Il en profite pour demander aux autres passagers de s’acquitter de leurs frais de transport en toute discrétion. Il empoche 150 euros. On remet les gaz.

L’autoroute du Nord est fluide. Le regard rivé sur l’asphalte, notre Adolphe siffle les refrains en dodelinant de la tête. Deux kilomètres après le second péage, un bruit bizarre se fait entendre de la voiture. Adolphe se rabat et se gare pour vérifier. Lui et moi mettons pied à terre. Un tour et mes soupçons se confirment : crevaison de la roue arrière gauche.

« Tu as au moins une roue de secours ?

Non, je n’en ai pas » ! J’ai d’abord pensé qu’il ironisait sur ma question débile jusqu’à ce que je l’entende pousser un juron en Lingala, « Mama nan ngaï », les deux mains croisées sur la tête. On est mal barré. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la Ford d’où l’on s’extirpe l’air hébété. Les reproches pleuvent sur Adolphe qui encaisse sans broncher.

Pour notre sécurité, le chauffard est prié de traîner le véhicule jusqu’à la bande d’arrêt d’urgence située quelques mètres plus loin et de poser le triangle de présignalisation. L’Adolphe n’a pas de triangle de présignalisation! Pas même de crique pour soulever le véhicule, encore moins de clé de roue pour démonter celle-ci. Et quelqu’un de sortir cette comparaison : « Même les charrettes tirées par un âne en Afrique valent mieux que ça », en désignant du menton notre vaisseau amiral Ford Transit. Nous sommes à exactement 42 kilomètres de Paris, bloqués sur l’autoroute A2 sans solution en vue.

La tension monte. Le conducteur indélicat est sommée de nous trouver une solution dare-dare. Le gars est tellement imprudent qu’il n’a même pas de crédit sur son téléphone pour joindre ses comparses. On lui prête main forte. « Allô Pépé… Okenda Wapi… Bruxelles ? Oh là là !!! » Il raccroche le téléphone, le visage déconfit, et répète sans cesse : « Matata, Matata ».

L’angoisse d’Adolphe grimpait à mesure que le temps passait. Huit passagers dans un véhicule déglingué et dépourvu de tout, faisant du transport illégal de personnes… il avait bien des raisons de s’inquiéter avec toutes ces forces de l’ordre qui se promènent, un couteau entre les dents, après les attentats contre Charlie Hebdo.

Après une heure trente minutes d’attente, un de ses copains vient nous transbahuter à Paris, Porte de la Chapelle. Entre-temps, d’autres covoitureurs avaient déjà appelé des proches pour venir les chercher.

Le covoiturage est un bon plan pour voyager à moindres frais. Malheureusement, des fraudeurs se sont engouffrés dans la brèche, profitant des failles du système. Au détriment des usagers. En France la loi punit lourdement le transport illégal des personnes (trois ans de prison et 45 000 € d’amende), mais rien n’empêche quelqu’un de transporter des personnes dans sa voiture. Ce qui est interdit, c’est de les faire payer au-delà des droits de péage et des frais de carburant.

Bon bref, c’est assez flou pour décourager des types comme Adolphe qui peuvent se taper jusqu’à deux aller-retour Paris-Bruxelles par jour, à raison de 240 euros par voyage. Sortez vos calculettes pour voir combien ils peuvent gagner par mois.

 


Guinée, un an d’Ebola : la cata !

Centre de traitement Ebola à Donka - crédit photo: Alimou Sow
Centre de traitement Ebola à Donka – crédit photo: Alimou Sow

A l’heure des bilans et des rétrospective des faits marquants de l’année écoulée, je voudrais revenir sur l’évènement qui m’a le plus sonné au cours des 12 derniers mois. Il s’agit, sans suspense, de la tragédie Ebola.

2014 aura été l’année la plus désastreuse dans l’histoire de la Guinée indépendante. C’est un peu notre année zéro. Personne, ici, ne risque de regretter ce millésime durant lequel un malheur nommé Ebola s’est abattu sur le pays, faisant de ses habitants, du jour au lendemain, d’indésirables pestiférés dans les quatre coins du globe.

Tout est parti du sud du pays. En début d’année, la presse locale rapporte des cas de décès attribués à « une maladie mystérieuse » en Guinée forestière, notamment à Guéckédou et à Macenta. Cela dure environ deux mois (janvier et février). Le 21 mars, les autorités annoncent que la « maladie mystérieuse » en question n’est autre que la fièvre hémorragique à virus Ebola. Stupeur. Puis interrogations. Qu’est-ce qu’Ebola ? Quels sont ses modes des transmission ? Peut-on en guérir ? Comment la maladie est-elle arrivée en Guinée ? Face à l’absence ou au retard des réponses à ces questions, que chacun se posait dans son for intérieur, les populations ont fini par tomber dans le déni.

Des rumeurs, relayées par téléphone arabe, ont commencé à courir niant l’existence d’Ebola en Guinée. Certains analystes de bar-cafés de Conakry ont vite fait d’attribuer l’origine de la rumeur au pouvoir en place pour des « fins politiques » selon eux. Vérités et contrevérités se mêlent et s’entrechoquent. De la cacophonie, commence à naitre le doute. Tergiversations jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Quelle attitude faut-il adopter ? On nage dans le flou total.

Médecins Sans Frontières (MSF) est la première organisation à sonner le tocsin. Elle déclare que la maladie est très dangereuse et que si rien n’est fait, elle pourrait se propager et causer d’énormes dégâts. Une sorte de prémonition, puisque c’est ce qui est arrivé finalement après que le Libéria et la Sierra Léone aient déclaré des cas. Panique générale. La presse étrangère se mêle dans la danse et réoriente ses projecteurs sur les trois pays « ébolatés » après la guerre de Gaza. Le 13 aout, l’état d’urgence sanitaire est décrété après moult hésitations.

La Guinée devient ostracisée. Les expatriés plient bagages, laissant derrière eux des hôtels déserts. Les Etats voisins, pris de frilosité, ferment leurs frontières en cascade. L’isolement culmine quand l’Arabie Saoudite déclare les pèlerins guinéens indésirables pour le Hadj 2014. C’est l’apocalypse chez les candidats au départ. Jamais cela n’était arrivé en Guinée, pays à nette dominance musulmane. Même avant la naissance de l’aviation, nos fidèles musulmans avaient accompli ce pilier de l’islam en se rendant aux Lieux Saints de l’Islam à pieds ou à dos de cheval…

Les réticences d’admettre la maladie et l’hostilité contre les personnels soignants se multiplient à la vitesse de propagation de l’épidémie qui touche désormais l’ensemble des quatre régions naturelles du pays. Un pas est franchi mi-septembre avec le massacre d’une équipe de huit personnes parties sensibiliser à Womey, un village de N’Zérékoré perdu dans la forêt. L’indignation et la honte dépassent les frontières guinéennes.

Fin septembre, les fêtes de l’indépendance prévues à Mamou, le 2 octobre, sont reportées sans surprise au mois de décembre. La rentrée scolaire et universitaire, elle, est renvoyée sine die. Ebola fait comprendre qu’elle ne joue pas. Ce que confirment les économistes de la Banque mondiale qui annoncent une baisse  de 2,1% du PIB de la Guinée en 2014.

Sur le plan humain, l’épidémie continue à faire des ravages : 1.697 décès sur 2.695 cas au 29 décembre 2014, selon l’Organisation mondiale de la santé ! Et l’on continue à égrainer les macabres statistiques.

Mais satané Ebola n’a pas que refroidi les relations avec nos voisins, détruit l’économie et surtout enlevé de précieuses vies humaines. La maladie nous oblige également à modifier nos comportements, les plus naturels : serrer la main du voisin, accueillir et prendre soin d’un proche malade, laver et enterrer nos morts selon nos traditions et religion.

Personnellement, Ebola a rendu dingue l’hypocondriaque qui m’habite. Un mal de tête passager, la moindre fièvre, un léger gargouillement ventral me font systématiquement penser à Ebola, sans raison. Impossible de tomber normalement malade à cause de ce maudit virus.

Pourtant, nous vivions presque harmonieusement avec notre cher paludisme, notre fidèle fièvre typhoïde et nos inséparables dysenteries amibiennes.  Ebola est venu casser tous ces liens d’affection séculaires. En 2014, il nous a même privés du choléra saisonnier de l’hivernage à Conakry. Avant, nous amenions ces maladies dans nos centres de santé pour les tuer. Maintenant, elles nous tuent à la maison de peur d’aller choper Ebola dans les hôpitaux délabrés. Voyez combien ce virus est sadique…

Ebola nous a également prouvé nos carences en matière d’organisation et d’équipement. On pensait pouvoir venir à bout de l’épidémie en six mois. Un an plus tard, on ne voit toujours pas le bout du tunnel ; et sans l’aide de la communauté internationale, les ravages auraient été sans doute plus catastrophiques.

2015 est une année pleine d’espoir pour nous donc même si l’horizon est loin d’être dégagé: rentrée scolaire et universitaire incertaine, menace de grève générale des syndicats, meeting à hauts risques de l’opposition, élections locales et présidentielle, en principe, et bien sûr la cata Ebola et son cortège de dégâts. Dieu sauve nous !


La Case de l’oncle … Touré*

Question pour un champion : où se trouve la tombe de Sékou Touré ? Trente ans après la disparition de l’ancien président guinéen, ses compatriotes ne savent toujours pas avec certitude où il est enterré. Nos historiens contemporains n’ont jamais réussi à se mettre d’accord pour nous prouver de façon irréfutable que la dépouille mortelle du président Touré repose bien au cimetière de Camayenne, à Conakry, comme le prétend la version officielle.

Le 26 mars 1984, le premier président de la Guinée indépendante, Ahmed Sékou Touré (AST), meurt d’une crise cardiaque dans une clinique de la ville de Cleveland, aux Etats-Unis. Le 28 mars, ce qui est présenté comme son « corps » est rapatrié à Conakry pour des funérailles grandioses, mobilisant des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement venus du monde entier pour assister à l’inhumation le 30 mars.

A peine les délégations réparties qu’une folle rumeur s’empare du pays. Ce ne serait pas la dépouille mortelle du président Sékou Touré qui a été enterrée à Conakry ! Les tenants de cette version s’appuient sur plusieurs hypothèses, des plus crédibles (AST serait enterré à  Médine, en Arabie) aux plus farfelues (les médecins américains l’auraient décapité pour étudier son crâne…).

Dans le troisième tome du hors-série de Jeune Afrique, « Dossiers secrets de l’Afrique contemporaine », publié en 1991, l’historien guinéen, Ibrahima Baba Kaké, conclut l’enquête qu’il consacre à cette mystérieuse affaire par la phrase suivante : « Espérons qu’un gouvernement prendra un jour la décision courageuse d’ouvrir le cercueil de la Camayenne pour résoudre définitivement l’énigme que nous a léguée le grand Syli ».

Aucun gouvernement n’a encore eu ce courage et le « grand Syli » reste endormi probablement dans son sarcophage. Y songe-t-on d’ailleurs ?

Bref, les Guinéens ignorent où est enterré leur premier président. Mais pas où est né celui-ci.  

Sur la page Wikipédia consacrée au très controversé Sékou Touré, il est mentionné qu’il est né dans la préfecture de Faranah, sans plus de détails. A la faveur d’une récente virée dans cette localité, j’ai pu  mettre pied à l’intérieur de la case de naissance de l’ancien Responsable suprême de la Révolution, au village de Sidakoro.

Pour arriver à Sidakoro, il est préférable de se lever de bon matin. A l’est de la ville de Faranah,  au centre de la Guinée, une piste poussiéreuse s’enfonce dans la savane qui devient forêt au fur et à mesure que l’on s’avance. Le paysage est agréable, quoique brumeux en cette fin d’année. De gros baobabs chauves dominent la végétation et servent des repères aux voyageurs étrangers. Des rizières de mi-décembre jaunissent la campagne aux mille senteurs. Les vaches paissent tranquillement au milieu des champs. Nous sommes dans la vallée du Djoliba (Niger).

Au bout d’une heure et trente minutes en 4×4 pour parcourir la cinquantaine de kilomètres, surgit Sidakoro. Le village, qui ne paie pas de mine, se dresse à la lisière de l’immense Parc du Haut-Niger (1,2 million d’hectares) abritant diverses espèces animales et végétales. Des jeunes garçons vêtus de haillons et couverts de poussière accourent pour intercepter notre cortège de véhicules. Quelques vieilles personnes à la démarche soutenue par une canne nous souhaitent la bienvenue. Un vieil homme s’avance et tend l’index vers une case qui attire l’attention : « C’est la maison de Sékou » annonce-t-il, laissant découvrir des dents jaunies par la noix de cola.

La maison en question est une case dans la case ! (voir photo). Une construction en ciment surmontée d’un toit conique de tôle ondulée protège un muret en banco d’environ deux mètres de hauteur. Le mur circulaire est ouvert de deux portes opposées. A l’intérieur, on distingue un rebord qui devait servir de lit en terre. C’est en ce lieu rustique qu’est né Sékou Touré, premier président de Guinée, le lundi 9 janvier 1922. Son portrait est accroché à l’entrée, à droite, aux côtés de celui de Sékouba Konaté, ancien président de la transition (2009-2010), auteur de la construction de protection de la case en ruine.

Le vieil homme improvisé guide demande à chaque visiteur de faire des invocations à l’intérieur de la case. Il est le seul à se déchausser avant d’y pénétrer avec déférence.

Un majestueux baobab (Sida en langue locale malinké) se dresse devant la maison de naissance. Il est à l’origine du nom du village Sidakoro qui signifie littéralement « sous le baobab ». Les sages de Sidakoro, intarissables d’anecdotes, racontent à qui veut les entendre qu’à sa naissance, le bébé Sékou a été lavé non pas à l’eau de canari, mais à celle puisée dans le creux du baobab d’en face. Pas de creux visible sur le tronc de l’arbre, mais on veut bien les croire sur parole…

Ce que l’on sait avec certitude c’est que Sékou Touré est l’aîné des trois fils d’Alpha Touré, boucher à Sidakoro. Il est également descendant de Samory Touré par la lignée de sa mère, Aminata Fadiga, fille de Bagbè Ramata Touré elle-même fille du grand Almamy Samory Touré (1830-1900).

L’enfance de Sékou Touré à Faranah et à Kissidougou est caractérisée par des défis envers l’autorité, y compris pendant ses études. Devenu syndicaliste, puis président de la République à l’indépendance du pays, en 1958, Sékou Touré, « le père de l’indépendance », se mue peu à peu en un redoutable dictateur et fait périr des milliers de Guinéens, notamment dans le tristement célèbre Camp Boiro de Conakry (rebaptisé camp Camayenne).

Devant sa case de naissance, dans le paisible village de Sidakoro, on imagine mal comment le fils prodige de la contrée a pu devenir un président si impitoyable et à la fin si énigmatique.

Arrière-petit fils du sanguinaire Samory Touré et fils de boucher, n’était-il pas naïf de s’attendre à ce que Sékou Touré soit un enfant de chœur ?  

* parodie du titre « la Case de l’oncle Tom »,  roman de l’écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe


Conakry-Boké : les écueils d’un voyage de deuil

J’ai de la famille, en deuil, du côté de Boké. Au siècle dernier, un arrière-grand-père maternel qui en avait marre de vivre de l’agriculture sur brûlis et d’un rudimentaire élevage domestique, dévala les montagnes de son Télimélé occidental pour s’essayer au petit commerce de noix de colas sur les terres de la Basse-Guinée. Les pérégrinations du vieux Sinny l’amenèrent à Boké où il déposa son baluchon au lieu-dit Kolia Sanamato, à une soixantaine de km du centre-ville, sur la Nationale Boffa-Boké. Il y fonda une grande famille. Un descendant de cet aïeul, un cousin, vient de mourir m’obligeant à effectuer le déplacement depuis Conakry pour présenter les condoléances.

Une semaine entière je tente de savoir, discrètement, de quoi est mort mon cousin. Satané Ebola n’est pas que mortel, il souille également l’intimité des morts. Bref, je finis par me rassurer sur la cause de son décès. Paré au voyage.

J’ai beau chasser l’idée superstitieuse de mon esprit cartésien – de plus en plus poreux -, elle persiste. En Guinée, il se raconte qu’un voyage de présentation de condoléances est périlleux, puisque comportant de graves risques d’accidents de circulation. Ou au mieux, à de nombreuses tracasseries sur la route. Aucune explication rationnelle, mais les sinistres exemples sont légion.

Durant mes cinq années d’études universitaires à Labé, j’ai pu compter, sur la route de Conakry, des dizaines d’accidents graves impliquant des personnes en voyage de présentation de condoléances ou qui transportaient une dépouille mortelle. Je l’ai moi-même échappé belle en septembre 2013 de retour de cette même ville où je m’étais rendu avec des amis pour saluer la mère de mon regretté ami, Boubacar Diallo. Un dérapage nous avait violemment projetés dans le décor. Plus de peur que de mal, mais ma malheureuse Peugeot 306 ne s’en est jamais remise m’obligeant à m’en débarrasser.

Je refuse évidemment de croire à cette superstition mettant tous ces accidents sur le dos du mauvais état des véhicules et des routes, ainsi que sur la conduite plus que suicidaire des chauffeurs.

Pour le présent voyage, trois éléments jouent en ma faveur : ma voiture est en parfait état (ce qui ne m’empêche pas de faire un checkup la veille), je serai au volant (bien que novice sur les longues distances) et surtout j’emprunterai la meilleure route actuellement en Guinée : la Route Nationale N°3 (RN3).

Cap sur Boké, à quelque 300 km au nord-ouest de Conakry, en compagnie de trois proches.

Je m’extirpe du capharnaüm de la capitale à grand renfort de klaxons et de furieux coups de volant. Contrairement à ce safari de mars 2013 sur Koba, sur la même route, j’ai le regard rivé sur la bande d’asphalte qui serpente à travers la végétation. Je ne puis profiter de toute la splendeur de la nature de la Basse-Guinée en ce mois de novembre finissant.

Tout baigne jusqu’à l’entrée de la localité de Tanéné, près de Boffa, où la fameuse superstition me flanque un premier frisson. A Tanéné, quatre ponts métalliques successifs, hauts d’une quinzaine de mètres, enjambent le fleuve Konkouré en forme de nœud à ce niveau. Les ouvrages datent des années 1960 à la faveur de la construction de la première usine d’alumine en Afrique dans la ville de Fria, aujourd’hui à l’agonie à cause de l’arrêt de l’unité industrielle.

Quelques jours plus tôt, un poids lourd fou chargé de fer à béton et de ciment s’est fracassé sur le premier pont ébranlant dangereusement sa structure. Le conducteur du camion-remorque aurait été coupé en deux par la violence de l’impact qui a réduit sa cabine en une bouillie de métal. A l’aide d’énormes barres de fer, des ouvriers s’échinent à remettre le pont en état. Aucun camion ne passe. Un énorme bouchon s’est formé en travers et de part et d’autre des trois autres ponts. Des vendeuses de Mâalé Gâteau sillonnent la file de véhicules usant leurs cordes vocales pour écouler leurs beignets.

L’arrêt forcé me permet de faire un terrible constat : les messages de prévention et de sensibilisation contre Ebola s’arrêtent aux portes de Conakry ! Ici, on se mêle et s’entremêle dans des étreintes insouciantes, aux antipodes des mesures préventives ressassées à travers les médias dans la capitale. Femmes et enfants, jeunes et vieux sont entassés avec des poules et autres ballots dans des cadavres de minibus qui ahanent sur les pistes rurales. Pourtant Boffa a connu Ebola ! Devant un tel spectacle, mon tube de gel antibactérien parait bien dérisoire…

Après une heure et demie d’embouteillage, nous réussissons à traverser. La route est de plus en plus rectiligne. Je me permets même un 120km/h au compteur avant que, tel un radar, l’image d’une carcasse de véhicule quatre roues en l’air sur le bas-côté de la chaussée ne vienne me rappeler à l’ordre.

Quelques kilomètres après Boffa, un panneau indique, à gauche, la direction de la magnifique plage de Bel-air. Au beau milieu de l’embranchement, le cadavre d’une biche balance en l’air sur un piquet. Elle est à vendre. Un de mes compagnons, l’eau dans la bouche, veut l’acheter contre vents et marées. J’oppose un refus catégorique. Tout le monde dans la voiture m’en veut et dément l’explication selon laquelle la viande de brousse pourrait véhiculer le virus Ebola. A court d’argument sur ce point précis, je fais observer que de toutes les façons j’entends respecter la mesure interdisant la vente, l’achat et la consommation de viande de brousse. On maugrée que je suis compliqué, que je me prends pour un Blanc. J’encaisse, mais pas de gibier dans ma bagnole. On passe.

Sur le chemin de retour après la furtive présentation des condoléances, plus de biche au carrefour. Un voyageur l’a emportée. Je pousse un discret ouf de soulagement.

A Tanéné, le bouchon s’est allongé sur près de 6 kilomètres. Une véritable opération escargot a lieu sur les ponts métalliques alors que le soleil décline à l’horizon. Des voyageurs harassés pestent sans succès.  « C’est quoi ce bordel ? Comment peut-on laisser perdurer une situation si désastreuse depuis près d’une semaine ? » lance une femme visiblement hors d’elle.

Les vendeurs à la criée et les conducteurs de taxis-motos, qui font le relais, profitent pleinement du marché improvisé qui s’est créé. Nous faisons la queue pendant trois heures d’horloge. Un chauffard nerveux vient heurter mon pare-chocs de plein fouet, y imprimant une horrible éraflure. Brusque montée d’adrénaline. J’enrage. Il s’excuse platement. On parvient à me calmer au bout de quelques minutes.

La nuit est déjà tombée depuis deux heures. La conduite devient de plus en plus dangereuse sur la route de la capitale avec les camions qui roulent à tombeau ouvert aux virages en épingle. Concentration maximale en dépit du petit énervement de tout à l’heure. Sans incident majeur, nous atteignons Conakry aux routes cahoteuses.

Sur les hauteurs du quartier de la Cimenterie, un embouteillage pire que celui de Tanéné s’est formé. Des conducteurs indisciplinés sont sortis de la file pour aller s’agglutiner sur une colline bloquant tout passage. On inhale des volutes de poussières mélangées aux gaz des pots d’échappement des heures durant avant qu’une âme charitable ne nous montre une échappatoire inespérée.

Je rentre à la maison en un morceau, certes, mais encore plus hanté par la fameuse croyance sur les voyages de condoléances.

Repose en paix cousin.


Conakry, manger une pizza par temps d’Ebola

Pizza - crédit photo: CSMB
Pizza – crédit photo: CSMB

Conakry, samedi après-midi. Accoudé à la balustrade d’un balcon, je contemple et écoute les pulsions de la ville, vaste puzzle aux pièces violemment disloquées. Loin là-bas, dans le ciel pourpre de Kaloum, le soleil, d’un pas hésitant, s’en va se coucher dans une mare de métal fondu. L’ombre des cocotiers qui bordent la côte s’étire et ondoie sous l’effet de la brise marine chargée d’odeur saline. Peu à peu, un voile noir recouvre les quartiers de la capitale qui retrouvent progressivement un calme inquiétant. Le ciel gronde, un chien aboie au loin, le klaxon tympanisant du train minéralier retentit. Pourtant, c’est décidé, ce soir j’irai manger une pizza.

Ce n’est pas tant le goût tropicalisé de cette spécialité d’origine italienne qui me manque, mais l’envie de mettre le nez dehors et rompre avec ce quotidien de plus en plus monotone se résumant en auto-boulot-dodo. C’est aussi l’occasion de briser les chaînes de ce confinement physique et mental que la tragédie Ebola nous a imposé depuis six mois, à notre corps défendant.

Justement, sur le front Ebola, les nouvelles ne sont pas bonnes. Les statistiques grimpent. L’épidémie se répand, les foyers se multiplient à travers le pays. La fièvre monte gravement. Au Sud, l’obscurantisme a pris le dessus par endroits. A N’Zérékoré, un village jusque-là inconnu du grand public, Womey, est tristement entré dans l’Histoire. Huit membres d’une équipe de sensibilisation y ont payé de leur vie l’ignorance et la bêtise humaines. Mon indignation est sans nom.

Vu de l’intérieur, le pays est comme ostracisé. Le vrombissement des avions dans le ciel de Conakry a considérablement diminué. Les étrangers ont fait leurs bagages, désertant les zones minières, les hôtels, les restos et … la bande passante sur Internet ! Depuis quelque temps, la connexion est devenue étonnamment fluide. Les téléchargements sont lénifiants.

Vu de l’extérieur, sous le prisme des médias – nouveaux et anciens – toute la Guinée n’est qu’un océan d’Ebola. Beaucoup se sont barricadés de peur d’être contaminés. L’amitié, la solidarité et la convivialité ont laissé place à la suspicion et à la stigmatisation. Ebola va certainement faire son entrée dans les cursus de formation en relations internationales. L’épidémie a ouvert un nouveau chapitre pour cette discipline.

Pourtant, nous vivons. Le cœur de Conakry palpite. Toujours le même chaos sur les deux principaux axes routiers : les mêmes taxis jaunes indélicats, les mêmes cadavres de Magbana chargés à ras bord, le même joli vacarme qui rythme la vie des habitants de ma capitale avec les klaxons qu’on pousse à fond, les invectives, les aboiements des Coxeurs qui arrondissent leur fin de journée par de petits larcins sur les passagers. Les marchés sont bondés, les cafés animés. Les rumeurs et les ragots, l’essence même des Conakrykas, vont bon train.

Mais les habitudes se bouleversent. Dans les milieux intellectuels, on se serre de moins en moins la main privilégiant les salutations à distance. Le chlore, le savon, l’eau de javel et le gel antibactérien sont devenus des compagnons de tous les jours. A chaque endroit public son seau de solution chlorée. Jamais les Guinéens ne s’étaient autant lavé les mains. Résultat : Ebola a chassé le choléra. Pour l’instant.

Dans les hôpitaux, la méfiance et la peur se sont installées. La résignation aussi, car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.

Quand, de passage au marché de Matoto, je vois chaque jour ces femmes pataugeant dans la fange, plus préoccupées à vendre leurs fruits et légumes pour nourrir leur famille qu’à l’application d’une quelconque mesure d’hygiène, ma conviction selon laquelle c’est « Dieu qui protège » se raffermit.  S’assoir sur un tas d’immondices et tremper ses doigts dans une solution chlorée pour manger des boulettes de poisson infectes est une scène ubuesque que j’observe presque tous les jours. Une scène de théâtre délirante jouée en temps réel.

De toute façon, avec ça, on ne pouvait pas y échapper: c’était soit Ebola ou choléra. Dieu qu’on aurait préféré ce dernier si seulement on avait eu le choix …

Je décide donc d’aller manger une pizza, en compagnie de madame et de quelques amis que j’ai réussi à embarquer dans mon bateau. Direction, un petit restaurant de la haute banlieue. Le voile noir qui recouvre la ville est de plus en plus épais. Le resto, alimenté par un groupe électrogène, apparaît comme un îlot de lumière au milieu de l’océan d’obscurité.

L’endroit, fleuri, semble propret et même coquet. A l’entrée, trône le fameux seau d’eau chlorée. Lavage de mains obligatoire supervisé par un vigile baraqué. Sur des chaises en plastique, dans la pénombre des néons installés sur une terrasse, de jeunes couples murmurent au-dessus d’un poulet aux frites. Etonnamment, il y a du monde. Joyeux. En fond sonore, discrètement, des haut-parleurs distillent du zouk antillais et des airs locaux. On s’installe autour d’une longue table.

J’esquive la carte que me tend le serveur ayant une idée préméditée de ce que je suis venu manger. Au bout de quelques minutes d’attente, notre table se remplit: assiette de charwarma, poulet aux frites, brochettes de viande, brochettes de lotte … et bien sûr ma pizza ronde. Une napolitaine réadaptée, délicatement posée sur une rondelle de bois emmanchée. Classe ! Je la dévore avec boulimie, me pourléchant même les doigts trempés de la petite sauce épicée qui l’accompagne.

A côté, les cuisses de poulet sont désossées dans un macabre cliquetis de fourchettes et de couteaux. On se taille une bavette. J’évite soigneusement le sujet Ebola. On s’envoie une tonne de vannes sur des thèmes moins déprimants. Les filles rigolent aux larmes.

Deux heures après que la pizza se soit reposée dans mon estomac, un crachin vient nous rappeler que nous sommes en saison de pluies. Avant la séparation, les filles tiennent à respecter la tradition des sorties : les mecs se partagent la douloureuse pendant qu’elles sortent les smartphones et se tapent des selfies à qui mieux mieux. Le résultat ce sera demain, sur Facebook. Bonne nuit et bonne digestion.


La Guinée ou le supplice de Tantale

Supplice de Tantale - catimini
Supplice de Tantale – catimini

Tard dans la nuit quand nous veillions et que je me blottissais contre elle, glacé par les hululements du hibou perché dans les branchages du bois qui jouxtait notre village de montagne, feu ma mère me disait souvent : « Alimou, Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ». Je mis du temps, beaucoup de temps à percer le sens de cette citation qui me paraissait à la fois énigmatique et si absurde.

« Comment pourrait-on avoir un joli basin et ne pas pouvoir le porter, surtout pendant les jours de fête ?», était la question qui hantait mon esprit enfantin sans que ne je n’eusse le courage de la lui poser de peur de la contrarier ou de paraître idiot à ses yeux et de compromettre ainsi notre complicité cimentée par la haute estime qu’elle avait de moi.

Ce n’est que bien plus tard, quand mon esprit a commencé à se raffermir au contact des premières sourates du Saint Coran et que les leçons de géographie basiques de M. Diallo, notre maître d’école, balayèrent ma conviction selon laquelle les limites de la Terre s’arrêtaient à Sogoroyah – le plus lointain endroit que je connaissais à l’époque -, eh bien c’est à peu près à ce moment-là que je compris tout le sens de la parole proverbiale de ma mère. « Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ».

En personnifiant, je trouve que le pays que j’habite pourrait être ce « maudit » du dicton. Il est indéniable que la Guinée est une jolie femme à laquelle Dieu a donné un basin si riche que chaque millimètre carré de son tissu aurait été capable de faire baver d’envie Crésus en son temps. Des parures de toutes sortes qui sommeillent encore dans les tiroirs du Temps en attendant de trouver la bonne combinaison pour les ouvrir.

Les plus éloquents ont puisé dans les tréfonds de la métaphore pour affubler de la Guinée les qualificatifs les plus flamboyants : « Rivières du Sud », « Scandale géologique », « Château d’eau de l’Afrique », « l’Afrique en miniature », etc. Des titres ronflants dont on se gargarise depuis plus de 50 ans et qui laissent un gout métallique dans nos grandes gueules affamées, aphteuses et baveuses.

La réalité crève les yeux : la Guinée est tout simplement un scandale. Ni géologique, ni humain. Mais un scandale tout simple, au sens premier du terme.

Nous, habitants de ce pays dit « béni des dieux » sommes à l’image de Tantale, ce personnage cannibale de la mythologie grecque puni à souffrir un triple supplice. Placé au milieu d’un fleuve, Tantale, malgré sa soif lancinante, ne peut boire son eau qui lui arrive pourtant jusqu’au menton. A chaque fois qu’il baisse la tête pour prendre une gorgée, le niveau de l’eau baisse. Affamé, des arbres aux fruits murs l’entourent. Dès qu’il étend son bras pour en cueillir un, le vent qui souffle et qui lui rapproche les branches s’arrête. Le comble est qu’un énorme rocher tenu en équilibre au-dessus de sa tête menace de se détacher et l’écraser à tout moment.

Transposons ce mythe dans notre réalité quotidienne de Guinéens et constatons l’effroyable similitude des faits.

Le bassin fluvial guinéen constitué d’une centaine de cours d’eau mis de côté, des spécialistes affirment que l’unique nappe phréatique située dans l’agglomération de Conakry suffirait à alimenter une bonne moitié du pays en eau potable.

Pourtant certains habitants de la capitale, de moins de trois millions d’âmes selon les statistiques officielles, n’ont jamais accompli chez eux le simple geste de tourner un robinet pour faire couler de l’eau potable.

Pourtant, la nuit, j’ai souvent peur qu’un avion n’atterrisse dans mon quartier prenant les lampes chinoises des vendeuses d’Attiéké dans la rue pour les balises de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Gbéssia.

Pourtant, dans l’épave de taxi-brousse qui s’y rend de façon hebdomadaire, il me faut 12 heures d’horloge pour rallier mon village situé à moins de 300 km de la capitale.

Depuis toujours, je vois le train minéralier transporter de la terre rouge au port de Conakry, pourtant je continue à boire la bouillie de maïs du mois de ramadan avec des louches en plastique. Le sandwich que j’achète chez l’épicier du coin est emballé dans du papier-ciment. Visiblement l’aluminium issu de notre bauxite, lui, sert à protéger les cigarettes qui défoncent les poumons de mes compatriotes fumeurs.

Je pourrais multiplier les « Pourtant » à l’infini, mais ce serait enfoncer une porte ouverte et tomber dans la tautologie. Le diagnostic des maux qui minent la Guinée est fait, reste le remède miracle pour soigner la patiente. Hélas, le plus souvent c’est un cautère qu’on pose sur une jambe de bois.

 « Travail, Justice, Solidarité », trois mots nobles qui ornent les en-têtes des papiers officiels et qui constituent notre devise nationale. Trois mots devenus des coquilles vides dans la vacuité desquels raisonne notre hypocrisie collective. Notre fierté exaltée à grand renfort de démagogie et de mensonge a viré au chauvinisme chez certains. Un terrible virus est venu balayer tout ça et nous prouver notre fragilité.

Le terrible rocher qui plane sur la tête des Tantales que nous sommes se résume en trois termes : la politique, la division et le repli identitaire. Le fil qui retient ce rocher s’effrite dangereusement, à l’approche de chaque échéance électorale.

Je laisse le soin aux sociologues, politiques et autres spécialistes d’étudier la cause de notre déliquescence. Et peut-être à en proposer des solutions. Je me borne à constater que le minimum de services me manque : l’eau, l’électricité, le transport, l’éducation de qualité, l’hygiène et la santé.

Je m’en fous du nom de famille de celui ou celle qui peut me les apporter. Je me contrefiche de savoir comment il ou elle va procéder pour me les apporter. Je les veux juste.  Puisque j’en ai le droit. Puisque je suis Guinéen et que la terre qui m’a vu naître me les a généreusement offerts.

Bref, je veux porter mon basin, je veux me délivrer du supplice de Tantale !


A Télimélé, le virus Ebola s’est cassé la gueule

sogoroyah
Falaises de Sogoroyah

Disons-le d’emblée : à Télimélé, chez moi, Ebola a trouvé garçons ! Le redoutable virus s’y est heurté contre une résistance inattendue, héroïque et même historique. Les professionnels de santé en sont encore tout baba !

Les autorités sanitaires ne l’ont pas encore officiellement annoncé, mais l’épidémie d’Ebola a été très vraisemblablement vaincue à Télimélé. Avec brio. Depuis plus de 21 jours (période d’incubation de la maladie), les rapports de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) répètent la même phrase concernant la préfecture : « Aucun nouveau cas, zéro malade, zéro décès, il n’y plus de contact à suivre ». Du coup, le centre de traitement d’Ebola de Sogoroyah situé à 15 km du centre-ville a été fermé. Bien que la vigilance reste de mise, l’agitation du mois de juin nourrie par les rumeurs les plus folles s’est estompée. La tempête est passée.

Fin mai, l’épidémie d’Ebola qui sévissait jusqu’ici à Conakry et surtout en région forestière, a été déclarée à Télimélé créant ainsi un nouveau foyer de la maladie et semant la psychose. Je suis l’une des premières victimes collatérales. Mon mariage civil prévu pour se tenir le 15 juin à Télimélé-ville est reporté, plusieurs invités saisis de panique, ayant décliné poliment mais fermement l’invitation.

Si l’organisation de la riposte contre la maladie au plan local a été unanimement saluée, c’est surtout le taux de guérison des personnes infectées par le virus  qui intrigue. Celui-ci est sans précédent à en croire les spécialistes.

Sur 23 malades admis au centre de traitement, 16 en sont sortis complètement guéris ; soit un taux de létalité de seulement 30 %, contre 65 % en moyenne à l’échelle nationale ! Sur la totalité des cas confirmés de la préfecture (26), la fièvre n’a tué que 10 personnes, les trois autres décès étant intervenus avant l’installation du Centre de traitement de Médecins sans frontières, donc pas pris en charge. Une centaine de contacts avaient été identifiés et suivis, seule une infime partie a développé la maladie.

C’est du jamais vu !  À titre de comparaison, la préfecture de Guéckédou, épicentre de la maladie en Guinée, a enregistré au 12 juillet 2014 : 168 cas dont 135 décès, soit un taux de létalité de 80 %. Dans les autres localités affectées par l’épidémie, le taux de létalité dépasse les 50 % (sauf à Conakry où il était de 44 % à la même date).

La question est simple. Pourquoi un taux de guérison si élevé à Télimélé ?

La réponse ne tient pas en une ligne. Dans un article publié le 10 juillet sur le site de la Fondation Reuters, des chercheurs interrogés avancent plusieurs hypothèses :

  • Culturellement, certains spécialistes pensent que la gestion des dépouilles mortelles est différente entre Télimélé, en Basse Guinée, et  la  Guinée forestière. Le contact avec les défunts est rare en Basse Guinée, pays musulman. Ce qui, selon cette théorie, limiterait la quantité de virus inoculé dans le corps des contacts ;
  • Il se peut aussi que la prise en charge des patients soit plus efficace au centre de traitement de Télimélé qu’ailleurs. Il est démontré qu’une prise en charge assez tôt augmente jusqu’à 10 % les chances de guérison des patients atteints d’Ebola ;
  • D’autres chercheurs imaginent aussi qu’une mutation virale ait pu avoir lieu, c’est-à-dire une version Ebola moins tueuse serait allée chez nous ;
  • Génétiquement, les personnes infectées à Télimélé pourraient être résistantes au virus mortel. Comme pour certaines maladies incurables y compris le SIDA, il existe  effet des personnes naturellement prédisposées à lutter contre les germes ;
  • Enfin, les résultats étonnants enregistrés à Télimélé seraient dus à des erreurs d’analyses de laboratoire. Cette hypothèse voudrait que les résultats des analyses effectuées dans les unités de laboratoires internationaux délocalisés en Guinée, soient parfois erronés. Cela peut arriver, confirme un spécialiste, mais rarement nuance-t-il.

De toutes ces hypothèses, la piste génétique retient mon attention. Pour deux raisons, sans doute discutables. Mais bon…

  1. A Télimélé, le foyer de la fièvre –importée de Conakry – a été le village de Sogoroyah dans la commune rurale de Sâarè Kaly, à 15 km du centre-ville. Sogoroyah est, en termes de superficie, l’un des plus grands villages de la Guinée, bâti sur une plaine au pied d’une falaise de calcaire et s’étendant sur plusieurs km. L’agriculture maraîchère y est très développée ainsi que celle de tubercules. Le niveau de vie de la population est relativement élevé.

Sogoroyah est un village « Roundè » peuplé majoritairement de descendants d’esclaves. Physique de catcheurs aux muscles pétillants de féculent, les natifs de la  contrée sont réputés « robustes » et « endurants ». Aux antipodes de nos corps frêles de bergers Peuls arpentant les flancs de coteaux.

J’ai grandi plus haut sur la montagne, à une vingtaine de km de Sogoroyah. Les jeudis, jour de marché, nous descendions la montagne, mes amis d’enfance  et moi, pour venir nous approvisionner en pain, bonbons sucrés (moura-bounga) et autres babioles pour bambins que nous revendions dans nos villages à prix d’or. Notre hantise était de croiser les jeunes incirconcis de Sogoroyah. Tels les éléments de Boko Haram au Nigeria, ces gamins nous flanquaient la trouille au point qu’on ne se hasardait jamais à se déplacer en solitaire. Nous étions toujours dans les jupes de nos mamans, prêts à grimper sur leur dos au moindre signal annonçant l’approche d’un Sôlidjö de Sogoroyah.

Vous me direz que je grossis un peu le trait, mais je me laisse imaginer que le virus Ebola a eu la même trouille que nous pour oser s’attaquer aux habitants de ce coin. Leur génome est fait d’acier.

  1. La deuxième raison est purement culturelle et consolide la première. Il est apparu en effet qu’en matière de polygamie, les pères de famille de Sogoroyah ne font pas dans la dentelle. On y aurait découvert un patriarche qui a au moins 12 épouses ! Supposons que ce viril monsieur soit génétiquement résistant au virus Ebola et que chacune de ses femmes lui donne cinq gosses. A lui seul, il a aura créé un petit village de 60 personnes Ebola-résistantes ! La suite c’est comme les amitiés sur Facebook, les liens (de mariage) se créent et se développent.

Si cette hypothèse venait à être confirmée, Ebola aura trouvé son tombeau en Guinée et la polygamie connaitrait ses lettres de noblesse. Et bien sûr, Sogoroyah sera notre nouveau Facebook où on ira créer de liens (de sang) pour blinder notre immunité.

Pour les incrédules qui persistent à croire que tout ceci n’est que batifolage, rappelez-vous de l’étymologie du nom de notre préfecture. Télimélé vient de deux mots : Téli désinge une essence végétale particulièrement résistante. La légende raconte que le Téli vit trois siècles : un siècle avec le feuillage, un siècle effeuillé, et un siècle couché au sol avant de se décomposer. Méli ou Mélé signifie toxique.

Il n’y a donc aucune raison que les habitants de Télimélé ne soient pas immunisés contre cette maléfique bestiole nommée Ebola. CQFD


Mes folles années d’étudiant : quand « Jet Lee » s’invite à la fac !

Crédi phto: funcheap.com
Crédi phto: funcheap.com

La Guinée, terre de superstitions, a elle aussi ses « monstres du Loch Ness ». Tout phénomène extraordinaire, inattendu et surprenant trouve une explication proportionnellement irrationnelle.

Ainsi, la conjonction de fléaux qui ravagent actuellement le pays (méningite, rougeole, charbon, choléra, sida, malaria et Ebola) n’a pas d’autre explication, aux yeux des superstitieux, qu’une punition divine infligée au peuple guinéen à cause de ses turpitudes. Ce sont les sept plaies … de la Guinée ! Patati et patata.

L’analphabétisme aidant, les gens sont plus enclins à croire aux phénomènes paranormaux qu’à la plus élémentaire des démonstrations scientifiques. Mais il n’y a pas que les analphabètes qui soient superstitieux. Et comment !

Année 2004. Le Bac 2 et le défunt concours d’accès aux institutions d’enseignement supérieur en poche, je suis orienté – l’expression est consacrée – au Centre universitaire de Labé (CUL). Le site est situé à Hafia, une bourgade à 400 km au centre-ouest de Conakry et à 20 km de la ville de Labé, sur la nationale Pita-Labé. Vous l’aurez remarqué, l’abréviation du nom du Centre, CUL, en disait long sur son côté obscur…

No man’s land

L’infrastructure ne paie de mine. Les cours sont dispensés dans deux bâtiments rustiques aux allures d’école primaire rurale construite près d’une colline au pied de laquelle s’étend une vaste plaine infestée de scorpions et de serpents à sonnette. S’écarter de la petite piste latéritique qui serpentait à travers la broussaille pour aller à l’école, équivalait à prendre de gros risques de morsure.

Pas de dortoir, ni de réfectoire. Les quelque 400 étudiants que nous étions étaient logés à leurs propres frais chez les habitants du coin (très hospitaliers) dans des bâtiments en chantier où l’on s’entassait à plusieurs pour éviter de partager une case ronde avec une colonie de guêpes ou une intégrale (surnom que l’on donnait aux serpents).

Pour la bouffe, on mangeait ce que la nature nous offrait : pommes de terre (très bon marché), laitue, avocat, papaye, banane, orange, târo, mangue (en veux-tu, en voilà), etc.  Pour la viande, ceux qui n’avaient pas la possibilité de s’offrir un kilo de filet de bœuf pouvaient partir à la chasse et rentrer avec une belle perdrix ou un joli agouti (Ebola n’était pas là). Les Tarzan avaient toujours la possibilité d’attraper un gibier encore plus gros.

La brousse était pour nous un inestimable réservoir alimentaire. Mais aussi un formidable dépotoir d’ordures. Les toilettes, même turques, étant aussi rares que l’eau et l’électricité, chaque buisson était un W-C idéal ! Les abords des villages devaient être particulièrement riches en engrais naturel !!!

Le courant électrique était donc pour nous un luxe inaccessible. Pour voir une ampoule allumée, fallait attendre le soir quand on mettait en route pour quelques heures le groupe électrogène de l’école. Quant à l’eau, l’unique forage du village, perpétuellement pris d’assaut, était souvent le théâtre de bagarres entre étudiants eux-mêmes, puis entre étudiants et villageois. Pire qu’un puits en Somalie.

Jet Lee

Bref, c’est dans ce Koh-Lanta local, avec ces conditions de vie spartiates, qu’un mystérieux phénomène apparut et bouleversa l’ordre établi.

Ça a commencé par des murmures entre copains. Puis, peu à peu certains étudiants ont élevé la voix. Les témoins disaient avoir reçu sa visite. La nuit. Pour les uns, c’était un homme tout de blanc vêtu qui surgissait au beau milieu de la chambre et restait là immobile. Pour d’autres c’était une femme, une vieille femme édentée qui se penchait sur eux comme pour les embrasser. Pour d’autres encore, c’était un oiseau rapace aux griffes acérées et aux roucoulements glaçants.

La nouvelle fit le tour du village. Un diable pour certains, un sorcier pour d’autres, voulait du mal aux étudiants. Panique générale. On ne dormait plus, de peur de recevoir sa visite nocturne.

Rapidement, deux écoles naquirent pour interpréter le phénomène paranormal. Selon les adeptes de l’école du diable, on avait violé le domicile d’un esprit maléfique sur le chantier de construction des logements pour étudiants. Les  partisans de la version du sorcier, eux, étaient formels : un sorcier de Hafia (Hafia = Paix en langue locale Pular) voulait punir les étudiants qui avaient dérangé la tranquillité de la localité et qui couraient les filles du village dont plusieurs étaient tombées enceintes.

Un étudiant (sans doute un cinéphile) lui trouva un sobriquet assez original : « Jet Lee ». A défaut de pouvoir l’identifier, l’esprit avait au moins un nom. Bible et Coran furent mis à contribution pour exorciser le mauvais sort, chasser Jet Lee. Sans succès. Au contraire, les témoignages de vision se multiplièrent, plus effrayants les uns que les autres. Mais uniquement parmi les étudiants.

Un matin, très tôt, le village fut réveillé par un retentissant concert de casseroles. Une partie des étudiants n’ayant pas fermé l’œil de la nuit ont décidé de donner l’alerte et d’affronter Jet Lee frontalement. Mobilisation à l’école. Le mot d’ordre est simple : on veut quitter Hafia. Deux étudiants, pâles comme des anémiés, se présentèrent comme les toutes dernières victimes de Jet. L’un d’eux affirmait avoir été griffé la nuit passée. Il portait de légères égratignures dont il était difficile de juger l’origine en toute objectivité. Mais il n’était pas permis de douter. Conclusion : nos vies sont sérieusement menacées.

Branle-bas de combat. Tension à couper au couteau. Les responsables du Centre sont mis sous forte pression. Les étudiants veulent être transférés à Labé-ville pour y continuer les cours tranquillement. C’était une vieille réclamation d’ailleurs. Pour montrer notre détermination, une marche pacifique est organisée. Armés de rameaux, entonnant des chants guerriers, nous couvrons à pied les 20 km qui séparent Hafia de Labé. Entrée triomphale en ville. L’action mobilise toutes les autorités qui nous reçoivent et nous écoutent. Une seule réclamation : nous voulons rentrer en ville.

Finalement le transfert est acté. Le lendemain, nous votons à l’unanimité le départ de Hafia après 12 mois passés dans la localité.

Personnellement, je n’ai jamais su l’existence de Jet Lee. Au fond, je ne l’ai jamais cru à cause de mon esprit cartésien qui s’accommode mal de certaines convenances. Je me suis solidarisé à cause des conditions de vie difficiles qui nous faisaient passer pour des Robinson.

Ce dont je suis certain c’est qu’en ville, nous aurons trouvé un « Jet Lee » plus redoutable se manifestant à travers la vie chère, la faim, la poussière et la précarité. Un Jet Lee avec qui nous vivrons quatre ans durant. Quant au monstre de Hafia, personne n’en entendit plus parler. Alors bizarre ou pas ?


Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa

Virus Ebola
Virus Ebola

De leur abri haut perché sur les crêtes ferrugineuses des monts Nimba, les singes du sud de la Guinée boivent du petit-lait ! Depuis quelques semaines, les primates assistent, sans doute effarés, à un spectacle des plus absurdes. Leur redoutable prédateur, l’homo Guinéenus, se bat contre un ennemi invisible dans un combat déloyal, puisque à armes inégales : Ebola !

C’est à la radio, quelques rares fois, que j’entendais parler de cette saloperie incurable qui tue les gens atrocement loin là-bas dans l’ancien Zaïre, terre d’instabilité. Le virus Ebola sévissait en Afrique centrale, notamment en Centrafrique et en RDC où il a été découvert en 1976 près d’une rivière qui porte le nom d’Ebola. Comment cet inconnu a-t-il pu se taper un safari de milliers de kilomètres, traversant une dizaine de pays pour atterrir en Guinée pour faire coalition avec la malaria, le sida et le choléra contre une  population déjà éprouvée par un quotidien loin d’être tendre ?  En avait-il marre des fesses des rebelles maï-maï et autres fripouilles de la Seleka et anti-balaka ? Mystère.

Toujours est-il qu’Ebola est là, avec son cortège de malheurs et de désolation. Plus de 100 cas et des dizaines de morts tués par une fièvre foudroyante accompagnée de vomissements, de diarrhées et de saignements. Une contagion à travers les fluides biologiques. Aucun vaccin ni remède. Un cocktail qui fait que devant Ebola, le sida fait figure de rhume des foins.

Rumeurs. On dit. Puis panique générale qui n’a pas tardé à virer à la paranoïa depuis la découverte de quelques cas à Conakry la capitale. Les médias s’en sont mêlés, la rue et les réseaux sociaux ont récupéré la rumeur pour laquelle la Guinée est une véritable industrie.

Bonjour les anecdotes, les situations tragi-comiques et les dérives à la con.

Un petit importateur de produits cosmétiques doit une fière chandelle au filovirus Ebola. Il se demandait que faire d’une quantité importante de gel de mains qui arrivait à expiration quand l’annonce a été faite que le virus ne résiste pas au gel antibactériologique, au savon, au chlore et à l’eau de Javel. Sa marchandise est partie comme des petits pains.

Désormais à  Conakry, tous les jours c’est journée internationale de lavage des mains. A l’entrée de grands restaurants, de certaines écoles, ONG, institutions, banques et assurances, des vigiles armés de seaux d’eau javellisée appliquent les consignes à la lettre. Lavez-vous les mains avant de rentrer. Les épiceries sont déjà en rupture de stock de chlore et d’eau de Javel.

Ce dimanche j’ai été chatouillé par la vision d’un de ces paranos se promenant dans la rue sous 35°C, les mains rôtissant dans des gants de toubib. Il saluait à bonne distance, voyant Ebola en chaque individu croisé. Les Chinois, qui marchent en troupeau dans une Conakry chauffée à blanc, ont tous la bouche masquée par un cache-nez.  Donc votre Kung-fu peut être neutralisé par Ebola ?

Des années successives d’épidémie de choléra n’avaient pas pu rendre les Guinéens si prévoyants et hygiéniques. Mais aussi hystériques.

C’est dans les transports en commun que la situation devient ingérable. Faut voir les gars se faire encore plus petits pour ne pas se toucher dans un taxi où s’entassent jusqu’à sept gaillards. Chacun a la gueule tirée qui plonge dans le décor. On se veut moins tactiles, chaque cas de fébrilité étant suspicieux.

Ce week-end, un drame a été évité de justesse dans un bus de transport en commun sur l’autoroute Fidel Castro. Dans l’autocar plein comme un œuf, la chaleur était suffocante. C’est à ce moment-là que quelqu’un pris de nausée a vomi à l’intérieur! C’est le sauve qui peut. Le conducteur a détalé le premier abandonnant le bus surplace d’où s’échappaient les passages dans un chaos indescriptible. Plusieurs cas de blessés légers. Tant pis, mieux vaut un bras fracturé qu’Ebola dans le ventre.

Moins amusante est la bêtise de ce prof d’université qui relaie une connerie devant ses étudiants selon laquelle il serait déconseillé de s’assoir avec un Forestier au risque de contracter la maladie. Il a failli être lynché par ses propres étudiants, toutes ethnies confondues.

Par ailleurs, de petits malins – mais gros cons – s’amusent à faire de la publicité intrusive en diffusant des SMS selon lesquels un médecin chercheur guinéen vivant au Sénégal a trouvé un remède miracle et bon marché contre la fièvre Ebola : de l’oignon cru ! Des âneries.

Mais dans cette Ebolaphobie, la panique n’est pas uniquement au niveau individuel. Elle est aussi étatique. C’est toute l’Afrique de l’Ouest, en émoi, qui est tétanisée. Le Mali, l’autre poumon de la Guinée, annonce des mesures préventives, la Côte d’Ivoire a constitué une cellule de crise, le Liberia et la Sierra Leone sont déjà suspectés d’abriter la maladie, et le Sénégal vient de fermer sa frontière terrestre au nord-ouest de la Guinée bloquant des milliers de personnes dans les deux sens. Youssou N’Dour, qui devait se produire à Conakry le 29 mars, a été contraint d’annuler son concert in extremis.

Pourtant, le risque de transmission de l’Ebola est très faible comparé à certaines grippes comme celle aviaire ou le coronavirus qui a ravagé le Moyen- Orient l’année dernière. Mais si vous voulez avoir la tête carrée, allez répéter ça à un analphabète chômeur qui a la rumeur chevillée à l’âme…

Ebola est vraiment garçon hein. Il a déclenché un tsunami de paranoïa par-delà les frontières guinéennes, mais il a néanmoins le mérite d’avoir réussi à baisser la tension à Conakry sur le front social. On oublie les problèmes d’eau, d’électricité et d’insécurité pour faire face au redoutable ennemi commun qui ne fait pas de distinguo entre partisans et opposants. Il les mange tous à  la même sauce.

Justement en parlant de sauce, les rats, les écureuils, les macaques et les agoutis du pays pavoisent. Ils ont bénéficié d’un sursis inespéré et sans doute pour une longue période. Les défenseurs de l’environnement, en particulier de la faune, peuvent prendre leur congé sabbatique. Les braconniers et autres singivores sont tombés sur os. Ebola kö dougoulaa!*

*Ebola est néfaste