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Les freshnies*, ces mineures qui se prostituent à Abidjan

(c) negronews.fr

Minuit passé, dans la pénombre, se taille une silhouette que je distingue mal. J’entends des chuchotements à peine audibles puis fusent des rires clairs et juvéniles, presqu’enfantins. Je me rapproche du mystérieux couple, une nymphette à l’allure débridée enlace fougueusement un homme âgé. La scène me semble surréaliste, irréaliste. La fillette encore aux portes d’une puberté semblable à un orage avorté dans un ciel étonnement bleu, est une » freshnie djandjou » (jeune prostituée).

 

Elles sont belles, fougueuses, endimanchées dans des vêtements qui couvrent à peine leur nudité. Elles trainent aux abords des maquis, bars et hôtels de la ville, elles sont déterminées et surtout, elles sont jeunes, très jeunes. Des enfants de 14 à 17 ans à peine qui s’adonnent au plus vieux métier du monde, la prostitution. Le phénomène est bien réel à Abidjan.

Les raisons en sont multiples. La paupérisation accentuée des populations est en grande partie responsable de ce drame. Après les nombreuses crises armées que vient de traverser le pays, les jeunes filles abandonnées à leur propre sort sont bien obligées de  se chercher  comme on le dit ici chez nous. Elles vendent leur corps, pas forcement aux plus offrants, pour avoir de quoi s’entretenir ou venir en aide aux parents. En Afrique, l’enfant est un investissement dont on veut récolter les fruits, même quand ils ne sont pas encore mûrs. Hélas ces pauvres enfants font les frais d’une telle mentalité.

En milieu scolaire, le phénomène est bien connu, des filles mineures livrent leurs joyaux pour améliorer les notes ou les moyennes. On parle alors de « MST » (moyennes sexuellement transmissibles). Certaines sont issues de milieux aisés mais cherchent la facilité ou s’y adonnent pour le plaisir.

Les conséquences en sont terrifiantes et nombreuses : grossesses précoces (on a enregistré plus de 5 000 cas de  grossesses précoces en milieu scolaire en Côte d’Ivoire en 2012 et 2013), dépravation des mœurs, propagation à vitesse grand V des maladies sexuelles et surtout élévation du taux de prévalence du SIDA. Toute chose qui constitue un frein notable à notre émergence prévue pour quelques années.

Je ne veux surtout pas parler de ce que je viens de voir à ma petite femme. Elle qui a l’habitude de se mettre en souci pour tout et pour tous, rougira certainement de colère et d’inquiétudes. Non je ne veux pas me donner cette peine là.

Mais à bien y réfléchir, je crois que je lui en parlerai finalement. Je lui dirai qu’elle doit être assez forte pour donner une éducation adéquate à nos futures princesses de peur qu’elles ne dérivent dans la dépravation. Je lui dirai que les autorités semblent trop lourdes à intervenir parce que trop occupés à élaborer des subterfuges pour occulter les vrais problèmes.

Je lui dirai encore que nos sociétés d’aujourd’hui acceptent trop facilement l’immoralité. Je lui dirai que si la prostitution enfantine prend de l’ampleur, c’est que tapis dans l’ombre, des hommes âgées apprécient bien la chair fraîches de ces « freshnies ». Je lui dirai aussi que ce genre de personnes mérite de rôtir en enfer.

Je lui dirai surtout que tout espoir n’est pas finalement perdu, qu’il existe belle et bien des moyens de prévenir ce phénomène en menant une lutte en amont. Je lui dirai finalement que j’ai griffonné un papier dans ma colère pour interpeler la conscience des uns et des autres sur ce malheureux drame qui se déroule sous nos yeux.

*Freshnie : jeune fille, mineure


Les arrangements, ce mode de vie incontournable à Abidjan

Un taxi-compteur à Abidjan (c) www.auto.ci
Un taxi-compteur à Abidjan (c) www.auto.ci

J’aime la Côte d’Ivoire mon pays. C’est un pays de grandes possibilités. Chez nous, on s’arrange sur tout. Tout devient possible lorsqu’on fait des arrangements. Et ces arrangements se font partout et en toutes occasions, au marché, à la justice, dans les transports, à l’hôpital et même au cimetière !

Lundi.  Midi passé. Un soleil de plomb s’abat sur Abidjan dans un orage de chaleur. Je tiens une grosse enveloppe au bout trempé par la sueur de ma main. Je dois impérativement déposer ce dossier au plateau avant 13h. Je suis presqu’en retard. J’en suis à regretter de n’avoir pas écouté ma petite femme. Elle m’avait pourtant bien prévenu du danger qu’il y avait à attendre les derniers délais. Mais en bon ivoirien j’avais fait la sourde oreille pour en être là sous ce soleil, mourant d’impatience. Je suis à l’arrêt du bus. Mais emprunter un bus à pareille heure serait un suicide programmé. Je décide alors d’ »écraser une tomate » c’est à dire d’emprunter un taxi-compteur. Ce n’est pas toujours que des gens de ma condition empruntent les « woyos » (taxis-compteurs).

J’en aperçois un, je le hèle. Il s’arrête dans un crissement effroyable de pneus. Je me rapproche de lui en arborant un large sourire et en me flattant le dessus du crâne avec ma main restée libre : « bonjour chef – je dois l’amadouer, dans ce genre de situations ceux qui ont la main en haut sont toujours les chefs- plateau, j’ai « barre » (1000 f CFA) », nouveau crissement de pneus, encore plus terrifiant que la première fois. Il démarre en trombe crachant sur moi une volute de fumée noire que me donne une quinte de toux. La somme proposée pour l’arrangement était trop insignifiante à ses yeux. J’en arrête un second et je lui propose la somme de 2000 f.
Cette fois-ci, c’est lui qui sourit et se gratte machinalement la tête : « chef faut ajouter « gbêssê » (500 f Cfa) on va partir ». L’arrangement nous arrange tous les deux.

Je monte et m’installe confortablement à l’arrière du véhicule. Siège capitonné en cuir, intérieur frais d’où s’échappe une belle musique douce, je ferme légèrement les yeux humant avec délice le parfum du déodorant de la voiture. Une sonnerie de téléphone me sort brusquement de ma rêverie. C’est le portable du chauffeur qui sonne. Il décroche de la main gauche et commence à bavarder joyeusement dans une langue qui m’est inconnue. Je m’apprête à lui dire qu’il est interdit de téléphoner au volant lorsque qu’un coup de sifflet strident m’interrompt dans mon entreprise. La scène n’a pas échappé à un agent de police commis à la régulation de circulation. Le chauffeur gare à regrets sur le bas côté. Le policier se rapproche un fait un salut militaire impeccable. Monsieur votre permis s’il vous plaît, vous êtes en infraction ».
Le chauffeur tâte ses poches et sort un billet de 2000 F qu’il adjoint à son permis : « chef on peut s’arranger ». Le poli agent des forces de l’ordre me fixe un instant, jette aussi un bref regard au permis et au billet de banque, fait mine de noter quelque chose sur son calepin et se retourne. Le chauffeur ayant compris le code descend et suit le policier. Il revient quelques instants plus tard l’air contrarié mais heureux d’avoir échappé aux 10 000 F CFA de la contravention. L’argent n’ira pas dans les caisses de l’État. Il ira plutôt dans les poches du policier. Mon chauffeur quant à lui, il économise la rondelette somme de 8 000 F CFA, c’est un arrangement parfait.

Une fois au Plateau, l’hôtesse d’accueil me signifie que le délai du dépôt des dossiers est passé. Je m’emporte, tempête, commence à faire un boucan de tous les diables. On essaie de me calmer, mais cela a le don de m’énerver encore plus. Un agent de sécurité me saisit par les colles et tente de me faire sortir, je m’accroche, je lutte. Mais il est plus fort que moi et il me trimballe dehors. Arrivé là, il devient tout à coup gentil, s’excuse pour sa brutalité, me fais comprendre que c’est comme ça dans ce service et ajoute : «chef, on peut s’arranger, je connais des gens au bureau ». Il est paraît-il le frère cadet de l’ex-maitresse du Directeur. Je lui tends un billet de 5000 f. Il m’arrache presque mes dossiers et repart l’air triomphal. Il revient au bout d’une dizaine de minutes avec un reçu de dépôt. Il m’explique que les 5000 f sont pour lui et l’agent qui a accepté mes dossiers hors délai, il conclut de manière cinglante : « patron, ici là on peut toujours s’arranger, on est à Abidjan ».

Il a raison. A Abidjan, lors des recrutements des agents de la fonction publique, les arrangements sont légions. Certaines personnes occupent des postes qu’elles ne méritent pas. On s’arrange sur les diplômes, sur les CV, sur les noms, sur l’âge et sur l’identité. Dommage qu’on ne puisse pas faire des arrangements avec la mort, sinon, le taux de mortalité en Côte d’ivoire serait de 0% sur une bonne décennie. On fait des arrangements pour ne pas payer la totalité des impôts et autres taxes. On en fait de même lorsque les constructions ne respectent pas les normes d’urbanisation ou sont carrément sans permis de construire. Ainsi, on échappe aux démolitions. J’ai même appris que sur le tout nouveau  troisième pont, la nouvelle fierté nationale qui vaut à lui seul deux mandats présidentiels, les belles hôtesses aux postes de péage font des arrangements avec des automobilistes. Sacré pays !

 


Suis-je vraiment Charlie?

 

 

 

 

 

 

 

Je suis Charlie, nous sommes tous Charlie. Face à la barbarie sans nom qui a tué nos confères français de Charlie Hebo le 7 janvier 2015, nous nous levons tous, nos armes à la main (nos plumes et nos crayons) pour faire front. Vous ne nous ferez jamais taire, vous ne nous faites pas peur, parce que nous, nous sommes Charlie, nous sommes la liberté et la liberté ne mourra pas.

Bon tout cela est bien et beau, mais moi, suis-je vraiment Charlie?

 

J’avais laissé ma plume pendant un bon moment pour courir un peu partout pour le bien-être de ma petite femme et de mon petit garçon qui est finalement né il y a plusieurs mois déjà. Mais les assassins de Charlie Hebdo m’ont forcé à reprendre la seule arme que je possède, ma plume. Ils ont éveillé en moi la sale envie de tuer… ma peur, pour me dresser au-devant de tels actes avec détermination.

Je suis Charlie. Charlie étant pour moi le symbole de la liberté d’expression. Sous d’autres cieux, ce slogan merveilleux peut être vrai, mais sous nos tropiques, pas vraiment sûr qu’il y ait des Charlie, il n’y a que des « Charlotte ». La liberté d’expression est bâillonnée par les tenants du pouvoir. Tu oses parler de trop, on te fera taire à coups de botte, de cravache et de jugements hâtifs et bonjour la prison, si tu as eu la chance de ne pas être abattu.

La liberté d’expression est un luxe qu’on ne peut pas se permettre dans nos pays africains. On n’aura même pas besoin que des frères Kouachi aillent se former au Yémen, reviennent et se servent de failles dans les services de renseignements pour poser leur acte ignoble. Non c’est un processus trop fastidieux. Ceux qui agiront à leur place sont justement ceux là-mêmes qui sont censés garantir cette liberté. Chez nous, on n’aime pas les critiques trop directes. D’ailleurs moi j’ai trouvé ma voie: je suis bien obligé d’édulcorer mes critiques dans une satire joviale et comique noyée dans mes expériences quotidiennes pour faire passer la pilule. J’ai souvent envie de dire les choses comme elles sont, d’appeler un chat, un chat, mais bon…

Je veux être Charlie, dire ce que je pense sans crainte aucune jusqu’à la mort. Bravo Charlie!

 

 


Côte d’Ivoire : Championnat national de football, entre anonymat et indifférence

Match Asec-Africa (c) nordsudquotidien.com
Match Asec-Africa (c) nordsudquotidien.com

Le football local ivoirien souffre d’un désintérêt total et général de la part de la population. Le championnat national se joue devant des gradins désespérément vide. Il n’attire plus personne comme il y a une dizaine d’année de cela. Pourtant, selon le classement FIFA des nations du monde en matière de football, la Côte d’Ivoire occupe le 1er rang des nations africaines. Les ivoiriens eux préfèrent les championnats étrangers, surtout européens, affichant leur désamour total des clubs nationaux.

 

« Qui est en tête du championnat ivoirien ? », j’ai posé cette question à plus d’une dizaine de personnes dans mon quartier. La meilleure réponse que j’ai pu avoir est une autre question : « Quel championnat, y a-t-il un championnat en Côte d’Ivoire ? ». Cette réponse peut paraître être d’une inacceptable mauvaise foi mais elle traduit bel et bien la réalité du terrain en matière de football  local. Moi-même je ne sais pas s’il se joue un championnat dans mon pays. J’ai beau scruter la une des journaux ivoiriens pour avoir une quelconque information sur la ligue 1, aucun n’en fait cas. Elle  se déroule dans l’anonymat le plus complet. La belle période des derbys Asec-Africa attirant un monde fou dans les stades est terminée depuis longtemps et rangée au placard. Plus personne ne va au stade pour supporter son équipe.

Pourtant, on aime bien le foot en Côte d’ivoire. On l’apprécie à un point tel qu’il fait parti de notre quotidien. Les centres de formation de football se multiplient chaque jour dans le pays. Mais on préfère plutôt supporter  le Bayern, Chelsea, Barcelone, etc.  Il de se passe pas de minute sans qu’un groupe de jeunes de mon quartier ne se forme pour parler uniquement de foot. La politique et les questions s’y rattachant ont fini par déprimer les populations. La sainte colère du peuple gronde, mais en silence. Ces jeunes gens parlent de la champions League, de la premier League anglaise, de la Bundesliga, de la Ligue 1 française, de Barcelone, de Samuel E’too et Didier Drogba, de Neymar, Ronaldo et Messi et j’en passe. Ils connaissent le nom du père du joueur le moins connu de l’équipe la moins connue du championnat le moins connu d’Europe. Mais très peu sauront vous dire quelle est l’équipe qui est championne de Côte d’Ivoire, leur propre pays où ils vivent.

Les causes d’un tel désamour du foot pratiqué sur le sol ivoirien sont multiples. L’avènement des chaines câblées et internet, la surmédiatisation des championnats européens même par la chaîne nationale, la surévaluation des salaires des joueurs  ont fortement contribué à tué l’amour du football local. Les joueurs eux-mêmes ne veulent plus jouer dans le championnat national. Tout le monde veut être un Drogba ou encore un Yaya Touré pour  brasser des milliards. Les meilleurs joueurs émergents s’envolent aussitôt pour l’Eldorado avec la complicité des acteurs du milieu footballistique national sans toucher le moindre ballon sur le sol ivoirien. Toute chose qui a rabaissé le niveau du championnat national et provoqué la désertion des terrains de foot du public. Et, sans public, pas d’entrée d’argent, sans argent, pas de salaire conséquent et par ricochet, pas de football attrayant ; un cercle infernal en somme. La fédération Ivoirienne chargée de gérer le foot (FIF) aide à peine les clubs locaux avec environ 50 millions par club. Ce qui représente une manne très insuffisante quant on a connaissance du demi-milliard des fédérations maghrébines versé à leurs différents  clubs. Il semble donc impossible de sortir de ce carcan qui a pour résultat, la méforme totale des équipes locales engagées dans des compétitions continentales.

Je ne sais pas comment la FIFA fait ses classements, mais je suis sûr que seule l’équipe nationale A, les éléphants des Drogba et autres pros évoluant à l’étranger est l’unique raison du rang de leader africain occupé par la Côte d’Ivoire. Et heureusement encore qu’en dépit des crises cardiaques et autres maux de cœur que donne cette équipe, elle reste la fierté nationale à l’opposé des équipes comme l’Africa Sport, ancienne référence du football ivoirien qui se noie dans sa propre bave. En effet, que de querelles de clocher et de luttes intestines de leadership n’ont causé et continuent de causer la décadence  de ce club jadis grand par son talent et ses prouesses. L’Africa sport est aujourd’hui à l’image du monde politique où l’on s’entredéchire et massacre le peuple parce que, dit-on, on  aime ce même peuple.

Le football ivoirien repose uniquement sur les performances de son équipe nationale constituée à 99% de professionnels évoluant à l’étranger. Il faudrait une bonne politique du football pour relever le niveau de ce sport roi sur le territoire national à l’image des pays du Maghreb ou encore du Congo où le football national est aussi apprécié que les championnats étrangers.

On veut être émergent d’ici 2020, on chante l’émergence à tous les coins de rue, on arbore même des cannes émergentes pour nous permettre de marcher vers l’horizon 2020. N’oublions pas d’adopter une politique émergente du sport pour rendre notre football émergent et remplir à nouveau les stades. Tout le monde ne pouvant pas être Drogba ou Yaya Touré, il serait utile de développer notre football national pour donner la chance à nos jeunes footballeur locaux.


Côte d’Ivoire : « Fais on va vite faire  » ou cette gangrène nommée corruption

Panneau publicitaire de lutte contre la corruption (c) Fabrice Djaha/Abidjan live News
Panneau publicitaire de lutte contre la corruption (c) Fabrice Djaha/Abidjan live News

L’un des maux qui font souffrir la Côte d’Ivoire et qui semble avoir la peau tellement dure qu’aucun couteau ne peut l’égratigner est sans nul doute la corruption. Elle est présente à tous les niveaux. Chez les gens d’en haut, elle fait un feu de tout bois dont les cendres retombent sur nous en bas. Nous non plus, nous ne sommes pas en reste de ce phénomène. Dans les choses les plus insignifiantes de notre quotidien, la corruption ou le « fais on va vite faire » semble s’être installée pour de bon.

Un soleil de plomb me brûle la peau pendant que j’attends un gbaka pour me rendre dans l’une des nombreuses mairies annexes de la grande commune de Yopougon à Abidjan. Je dois établir un document d’état civil. La mairie annexe en question est bondée de monde qui attend docilement sous une grande bâche dressée dans la cour. Je pénètre l’enceinte et me dirige vers les stands. Des indications inscrites sur des papiers collés au mur m’indiquent le chemin.  J’arrive à mon guichet. Un monsieur très serviable, sourire aux lèvres m’accueille. Je me sens soulagé. Généralement dans ce genre de services, l’accueil est très médiocre, voire nul.

Je lui explique ma préoccupation. Il me répond gentiment en me donnant la liste des documents à fournir. Il n’oublie pas aussi de m’indiquer les tarifs en vigueur. J’ai tous les documents demandés, il ne me reste plus qu’à faire des photocopies. A l’entrée de la mairie, j’avais remarqué la présence d’une photocopieuse. Mais juste avant que je n’y retourne, le gentil monsieur m’interpelle. Il rapproche doucement la tête de moi, la flatte avec sa main gauche, affiche son plus beau sourire : « N’oublie pas ton serviteur ». Je n’ai pas bien compris. Je secoue la tête pour lui signifier que la phrase est, pour le moins, énigmatique.

« Je veux dire, qu’il faut faire on va vite faire ». Je comprends de moins en moins. Je lui répète que je n’ai toujours pas saisi le sens de la phrase. Il me fait de grands gestes. Là, je comprends : il veut un peu d’argent. Je lui lance un sourire narquois en lui signifiant que je ne l’oublierai pas. Il est heureux. A mon retour de la photocopieuse où un monsieur bien habillé brasse des sous sans le moindre sourire, je suis reçu par deux dames, une jeune et une moins jeune. Elles sont elles aussi tout sourire. Je remplis le formulaire avec leur aide. La plus jeune des dames me demande de contourner le comptoir et de venir jusqu’à elles. Elle rapproche sa tête du mien et me chuchote : « Monsieur, faut faire on va vite faire ». Elle aussi réclame de l’argent alors que j’ai payé tout ce que je devais payer pour mes papiers. Je lui tends un billet de 1 000 F, elle me l’arrache des mains et me montre un autre bureau où mon dossier doit être consigné dans les archives.

A mon retour de ce bureau où j’ai également payé la somme de 1 000 F, je suis redirigé vers le service informatique pour la saisie du même document. Deux dames,  assises face à des ordinateurs de dernière génération semblent très occupées. J’attends, piaffant d’impatience qu’elles veuillent bien s’occuper de moi. L’une d’entre elles finit enfin de chercher les lettres à taper sur le clavier et lève les yeux vers moi. Je lui tends le document à informatiser. Elle prend le document et me montre un bol caché sous un bout de pagne : « Des œufs à vendre ». Je lui dis que je ne suis pas intéressé par l’achat des œufs. Elle insiste, précisant qu’elle ne voit pas bien et que seul l’achat de ses œufs lui permettra de voir plus clair pour saisir mon document sur le formulaire informatique. Je pense à une blague de mauvais goût. Mais en fixant son visage, je comprends qu’elle ne plaisante pas. Je lui demande le prix. « 300 francs Cfa l’œuf » me répond-elle, trois plus cher que le prix normal sur le marché.

–          C’est des œufs de poule ou des œufs de  dragon ? je lui demande.

Elle lève les yeux sur moi et me regarde avec un air méchant. Elle n’a pas du tout apprécié ma plaisanterie. Je lui tends alors un billet de 1 000 f et j’en commande trois . Un beau sourire commence à se dessiner sur son visage. Elle saisit mon texte avec une dextérité et une rapidité étonnante. Je lui réclame mes œufs, nouveau regard méchant. Je laisse tomber l’histoire des œufs de dragon imaginaire et je sors le cœur serré. Je me suis fait avoir une fois de plus et je viens de dépenser tout le petit sou qui me restait pour la semaine. J’ai payé 5 fois plus que le prix réglementaire affiché.

Dans mon pays, tout le monde veut être riche, rapidement. La corruption a atteint un tel degré qu’elle est quasi institutionnalisée. Les chiffres en la matière sont effroyables. La Côte d’Ivoire est classée 44e sur 52 pays dans le classement de la Fondation Mo Ibrahim sur la gouvernance africaine en 2013. Selon ce même classement, nous occupons le rang honorifique de 15e sur 16 dans l’espace Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Par ailleurs, sur l’indice de perception de la corruption 2013 de l’ONG Transparency International, la Côte d’Ivoire est classée 136e sur 177 et elle est le pays le plus corrompu de l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) de quoi avoir la chair de poule. Pour exemple, le concours le plus convoité est celui de l’ENA surtout les filières des douanes, des impôts et du trésor. Ce sont des postes « à mangement  » comme on le dit chez nous ici.

Les salaires de misère réussissent à peine à couvrir les besoins essentiels. Seul le « faire on va vite faire » semble avoir pignon sur roue pour combler le fossé entre le salaire et la cherté de la vie. Mais là encore, c’est relatif, car même les plus nantis, ceux qui ont des salaires faramineux, les gens d’en haut sont aussi impliqués dans le « faire on va vite faire », la corruption. Les marchés publics sont cédés gré à gré sans appel d’offres dans des conditions très nébuleuses entre copains. Il règne une certaine opacité dans la gestion de la chose publique. Dans les services publics, les hôpitaux, les écoles et même à la justice, cette gangrène appelée corruption gagne du terrain, elle est omniprésente dans tous les secteurs. Elle a rendu le pays tellement malade qu’il risque d’en mourir.

Rien de concret n’est fait pour arrêter le fléau.  Simplement, on prétend lutter contre la corruption en engloutissant encore des milliards de nos francs dans des campagnes publicitaires ridicules : des spots télévisés avec une réalisation digne de films hollywoodiens, des messages creux affichés dans les rues et publiés dans les journaux à l’emporte- pièce. Et la corruption peut continuer de galoper derrière ce voile pour nigauds.

En sortant penaud de la mairie, j’ai vu l’un de ces milliers de panneaux publicitaires géants placés un peu partout dans la ville sur lequel il est écrit : « Nous avons corrompu nos institutions, ça a ruiné notre pays ». J’ai éclaté de rire, l’émergence c’est vraiment pour bientôt.


Transport urbain à Abidjan : un vrai enfer !

Crédit: https://www.centerblog.net/actualite/456368-2-la-sotra-societe-de-la-triste-realite-d-abidjan
Crédit: https://www.centerblog.net/actualite/456368-2-la-sotra-societe-de-la-triste-realite-d-abidjan

Yopougon-Niangon, 6h00. La rue est bondée de monde attendant des véhicules de transport en commun pour aller au travail. Les Bus de la SOTRA sont plein à craquer, les taxis compteurs sont devenus rares comme l’argent dans ma poche. Les gbakas sont remplis, restent plus que les wôrô-wôrô, les taxis communaux. A de pareilles heures, les chauffeurs de wôrô-wôrô deviennent les maîtres du monde. Ils refusent de s’arrêter, ils démarrent en trombe avant même que tu n’aies placé le moindre mot sur ta destination.

J’attends, comme tout le monde, qu’un de ces rois veuillent bien me prendre. Un wôrô-wôrô vide pointe son nez, on le hèle, il s’arrête. C’est la ruée vers le véhicule bleu.

Clients : A gauche.
Chauffeur : Non
Clients : A droite ?
Chauffeur : Non
Clients : Tout droit ?
Chauffeur : Non

Apparemment, le monsieur ne va nulle part. Je décidé d’enfoncer le clou.
Moi : Nulle part ?
Chauffeur : Non monsieur, je ne vais pas là-bas !

Toutes ces personnes qui attendent sont pour la plupart des fonctionnaires, des travailleurs dans le privé, des hommes et femmes installés à leur propre compte, des élèves et étudiants et au bas de cette chaîne alimentaire, que dis-je, au bas de cette chaîne laborieuse, cette chaîne de travail, se trouvent les en bas de en bas. C’est-à-dire nous autres, nous qui ne travaillons pas. Ou plutôt, nous qui travaillons à trouver du travail. On fait comme tout le monde. On sort aussi les matins et on attend les véhicules, gonflant ainsi inutilement le rang des gens bien, les gens utiles à la société, les travailleurs.

La situation du transport urbain est très difficile à Abidjan. Aux heures de pointe, il est quasiment impossible d’avoir un véhicule pour se déplacer. Face à cette difficulté, les populations font preuve d’ingéniosité. Certains font le « super-po », technique consistant pour deux personnes à utiliser le seul et même siège dans un gbaka. D’autres font le « gbé ». Le gbé, en langage ivoirien, c’est lorsque le chauffeur décide de faire de la surcharge. Dans ce cas, plusieurs passagers sont debout dans le gbaka, s’agrippant à qui mieux mieux aux fers rouillés du véhicule. D’autres encore, ceux qui ont un peu plus de moyens, font du covoiturage ou transforme carrément leur véhicule personnel ou de fonction en wôrô-wôrô (Taxi inter-communal), c’est malin.

Au bout de plus d’une trentaine de minute d’attente, je décidé de marcher. La marche est une activité très bénéfique. Non seulement elle va améliorer ma santé, mais elle me permettra de faire des économies. Large sourire aux lèvres en pensant à cette ingénieuse idée de génie, je m’engage sur la route, riant intérieurement des travailleurs qui attendent et qui sûrement, attendront longtemps. Après 1 h de marche, le sourire s’efface complètement pour faire place à une mimique de colère et d’exténuation, le tout arrosé de sueur me dégoulinant de partout.

Je marche en ayant dans le cœur un profond regret. Nous aurions dû voter, il y a quelques années, un certain candidat qui nous promettait le métro à Abidjan. Cela nous aurait sans doute permis de trouver une solution définitive à ce récurrent problème de transport dans la capitale économique. Le métro aurait permis de décongestionner un temps soit peu le circuit classique de transport en commun pour permettre à nos vaillantes couches sociales laborieuses de vaquer tranquillement au développement et à l’émergence de notre pays. 2020 n’est pas loin. On entend sonner les sirènes de l’émergence dans un horizon encombré de masses nuageuses noires, denses et difficilement accessible.


Trop boire n’est pas bon !

boireMa petite femme s’est enfin résolue à sortir un peu de son nid douillet (enfin, je le crois plus ou moins). Elle s’est rendue à Treichville chez sa sœur pour passer une semaine. Je suis seul dans notre foyer. En plus de tourner en rond à chercher du travail, un travail qui semble avoir pris un vol en aller simple pour Je-ne-sais-où, je dois faire le ménage.

Je frotte, les dents serrées, des assiettes rebelles qui refusent de blanchir. La pauvre petite marmite noircie par la fumée m’attend l’air impassible dans l’autre coin de la pièce. En me retournant pour prendre le savon, je renverse malencontreusement un verre qui se brise en morceaux. Je ramasse les morceaux de verre et je me coupe le doigt.  Une boule de feu commence à me monter à la gorge. Je suis presque sur le point de craquer et pleurer comme un enfant  tant tout me semble difficile et impossible à faire. Dès cet instant, j’ai une pensée affectueuse pour ma petite femme qui est obligée d’accomplir toutes ces tâches ingrates et ennuyeuses tous les jours. Au moment où je m’apprêtais à tout laisser tomber, mon téléphone sonne. Un ami m’invite à sortir un peu pour passer du bon temps.

04 h du matin ; Je rentre chez moi après une nuit bien arrosée en compagnie de mon bienfaiteur d’ami. Confondant la clé et mon doigt, je tente vainement d’ouvrir la porte. J’échoue, recommence, échoue, recommence encore….

05 h. J’en suis encore à mes infructueuses tentatives, maudissant le propriétaire de la maison et le menuisier qui a fait la porte. Mes bruits réveillent le voisin qui court à mon secours. Je rentre enfin chez moi. J’ai à peine le temps de fermer les yeux que l’alarme de mon portable hurle de colère à mon endroit. Je dois aller à la recherche de mes illusions. Je verse péniblement de l’eau sur moi et m’habille en titubant.

Au kiosque à café de Diallo, je commande une tasse de café et un long morceau de pain. Diallo me fixe bizarrement ayant remarqué mes yeux tuméfiés par le sommeil et la fatigue. J’ai une terrible gueule de bois et une folle migraine qui bouillonne dans ma tête. Je réussis avec peine à avaler le café et je me lève pour partir. Confortablement installé dans le gbaka, les cris de l’apprenti m’agacent. Je glisse les oreillettes de mon écouteur dans les oreilles et mets une bonne vieille chanson que j’aime: Katin de Jess Sah Bi et Peter One et je commence à somnoler.

Une main nerveuse et horriblement rugueuse me secoue violemment l’épaule gauche: « Mon Vié, on est arrivé ! ». Je sors lentement de ma torpeur et jette des coups d’œil stupéfaits autour de moi. Je suis à Adjamé. Merde, j’ai loupé mon arrêt!

Maintenant je dois refaire le trajet en sens inverse. En revenant, je fais l’éternel vœu des buveurs invétérés d’alcool: « je ne boirai plus jamais ». De toutes les manières, j’en suis à mon quinzième vœu. J’espère cette fois ne pas rater mon arrêt.


Abidjan: l’immeuble écroulé de Yopougon

Une vue des dégâts
Une vue des dégâts

Ma petite femme est à terme. Son cas m’inquiète de plus en plus d’autant que je n’ai pas un sou qui veille. La dernière fois, mon frère m’a demandé si j’avais déjà fait le trousseau pour la venue de l’enfant. Je l’ai regardé droit dans les yeux et j’ai éclaté de rire. Comment quelqu’un qui n’arrive même pas à faire manger sa femme enceinte ne serait-ce qu’une fois par jour peut-il penser à faire le trousseau d’un autre qui n’est pas encore né ?

Mon cas, je le comprends, mais ce que je comprends mal c’est l’attitude de certaines personnes d’en haut qui mettent la vie des autres en danger en construisant des tombeaux de béton qu’ils appellent immeubles. Hier, ma petite femme est arrivée de chez le voisin, comme à son habitude, l’air effarouché. Son visage m’a fait rappeler l’épisode des caïmans et de leur gardien. J’ai compris que quelque chose de grave venait de se produire. Toute tremblante, elle m’a confié qu’un immeuble R+4 venait de s’effondrer à Yopougon. Je n’en revenais pas. Qu’est-ce qui arrive à ces immeubles ? Ce n’était pas la première fois qu’une telle nouvelle épouvantable me parvenait. Le 25 novembre dernier, un autre immeuble s’était écroulé à la Riviera, causant d’immenses dégâts.

Tout notre petit quartier s’est mis en branle. On racontait se qui venait de se passer, chacun y ajoutant son grain de sel. Bernard, mon cher voisin se passait pour l’homme le plus informé. Il racontait, à qui voulait bien l’écouter, le drame dans des détails saisissants. Comment pouvait-il savoir toutes ces choses alors que nous étions tous tranquillement assis chez nous cet après-midi. Il connaissait l’ampleur des dégâts et, de peu, il nous citait les noms des victimes, leur âge et le nom de leurs parents. Sacré Bernard ! Il est à l’image de la plupart des personnes que je connais ici : des colporteurs de nouvelles, des j’ai-entendu-dire, des on-dit et j’en passe. Le même mal se reproduit forcement dans notre pauvre presse qui n’est que le reflet d’une société friande de nouvelles sensationnelles souvent imaginaires.

Pour me faire une idée claire de la chose, j’ai décidé de me rendre sur les lieux du drame et de jouer les reporters. J’ai alors emprunté l’appareil numérique de mon ami Alexis et je me suis retrouvé à Yopougon-Maroc. La première impression que j’ai eue en arrivant sur les lieux du sinistre était l’effroi: un grand immeuble étalé de tout son long sur la route comme foudroyé par une bombe. Il y avait des gravats partout et une foule compacte de spectateurs. Chacun y allait de son commentaire exactement comme dans mon quartier. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu sur les causes de ce drame? Un homme apparemment cultivé, tiré à quatre épingles parlait d’un obus qui serait tombé sous l’immeuble en période de guerre; une grosse femme transpirante d’inspiration soutenait  que le dessous de la maison était creusé par la pluie du 30 décembre dernier. Quelqu’un a même parlé du propriétaire qui aurait fait des sacrifices humains, bref, j’en passe.

Je ne suis pas expert en construction mais j’ai pris le temps d’observer les fers utilisés dans la construction de cet ex-immeuble. Même pour un inculte comme moi, cela saute aux yeux: c’est du n’importe quoi! De petits fers à béton pour un immeuble R+4, il fallait le faire. Et le plus étonnant, c’est qu’il n’y ait pas eu de contrôle. Et le résultat était là, stupéfiant.  J’en ai fait quelques clichés. J’ai ensuite tenté de jouer les journalistes en posant quelques questions aux supposés témoins. Les versions étaient trop contradictoires pour que j’en retienne une. J’ai finalement décidé de m’en tenir à la vidéo du drame qui avait fait le buzz sur internet.

Les fers et le béton utilisés dans la construction de l'immeuble R+4
Les fers et le béton utilisés dans la construction de l’immeuble R+4

Après ma visite à Yopougon-Maroc, j’ai eu peur. Peur de vivre dans une maison à Abidjan. Peur de toutes ces constructions ne respectant pas les normes et sur lesquelles, le gouvernement semble fermer les yeux. En entendant de sortir de ma baraque branlante en bois pour espérer vivre dans un immeuble, je crie ma rage contre toutes les personnes impliquées dans de tels drames. Que cela cesse et que le Ministère de la Construction, du Logement, de l’Urbanisme et de l’Assainissement joue véritablement son rôle. Heureusement que le gouvernement, lors du conseil des ministres qui s’est tenu le  mercredi 8 janvier, a décidé d’initier des contrôles sur les bâtiments et les chantiers.

Rentré à la maison le soir, j’ai vu un petit attroupement chez mon voisin Bernard. Il racontait le même fait avec une nouvelle version beaucoup plus détaillée et plus sinistre parlant de plusieurs tués sur le coup et plus d’une vingtaine de blessés graves. J’ai raconté à ma femme qu’il n’y a heureusement pas eu de perte en vie humaine et qu’il n’y a eu que quatre blessés. Elle semblait soulagé, elle a éclaté de rire en regardant l’épouse de Bernard qui remuait la tête d’incrédulité en fixant son mari. Bernard ferait vraiment un bon journaliste dans ce pays.


Dans la peau d’un balanceur

Un gbaka. © Marvinhostin
Un gbaka. © Marvinhostin

Je crois qu’il est désormais temps que le président de la République me décerne une médaille de mérite pour le plus brave homme en tentatives infructueuses de recherche de boulot. Je le mériterais amplement. Qu’est-ce que je n’ai pas encore empilé sur ma liste de petits boulots accomplis ? Bien malin qui pourra répondre.

Tout commence un lundi matin. La veille, mon voisin Sekou le chauffeur de gbaka* avait eu un problème avec son apprenti titulaire et il n’arrêtait pas de geindre sur sa situation. Voyant l’occasion bonne, j’ai voulu en profiter. Je lui ai proposé de remplacer l’apprenti en question vu que je n’avais rien de prévu le lendemain. Cinq heures du matin, je place un petit baiser sur la joue humide de ma petite femme. Elle ouvre un œil, me regarde et me sourit. En refermant l’œil, elle marmonne quelque chose à propos de la fausse idée que je voulais coûte que coûte mettre en œuvre.

Petite sacoche en bandoulière, les yeux tuméfiés par le sommeil, le pas engourdi et lent, je marche dans les pas de Sékou, non sans un certain germe de fierté dans le cœur. Il monte dans un tas de ferraille en ruine qui lui tient lieu de gbaka, met la clé de contact et démarre. Je suis aussitôt littéralement submergé par une épaisse couche noire et menaçante de fumée d’échappement. Ça commence plutôt sous d’étranges auspices.

A 6 h 30, je suis solidement agrippé sur le rebord rouillé de la portière branlante, le visage crispé. Je me mets à hurler à m’en casser les cordes vocales : « Adjamé, Adjamé ! ». J’ai déjà vu mes doyens dans le métier le faire. J’emprunte tout le temps les gbakas. Apprentis-Gbaka ou balanceurs, on fait du racolage. Il faut appeler, sourire, draguer, convaincre le client. Dès cet instant, on est doux, attentionné, prêt à aider quiconque le demande ou pas. On aide les piétons à se frayer un passage en se faufilant parmi les véhicules pressés. On soulève leurs faix tout en sachant qu’ils ne monteront pas dans notre véhicule. Le client est roi. Je vois mon premier client et je hèle en souriant au moment où il s’apprêtait à venir vers moi, un autre balanceur* se glisse entre nous l’attrape doucement par le poignet et le dirige vers son gbaka. Il se retourne, me dévisage et émet un son que je prends pour un rire moqueur. Là, tout devient clair pour moi.

Une fois jeté dans cette arène impitoyable, tous les coups sont permis. On ne se fait pas de cadeau. Le même collègue loufoque revient vers moi tentant de m’arracher une autre proie. Mais j’ai bien assimilé la leçon. Je le rabroue violemment et mène, l’air triomphateur mon client dans mon gbaka. C’est la même scène jusqu’à ce qu’on soit prêt de lever le camp. Le gbaka repart vrombissant de fatigue laissant derrière lui cette volute noire de fumée qui semble indiquer notre passage. Une fois le client à bord et l’argent des frais de transport encaissé, les données changent. L’apprenti que je suis devient violent, méchant, impoli. Mon chauffeur change de destination sans préavis. Les clients ? Bof, qui s’en soucie, du moment où ils ont déjà payé. D’ailleurs, l’apprenti que je suis refuse de soulever le bagage du client pour l’aider à descendre. Je n’ai non plus pas de monnaie pendant que mes poches et mains sont remplies de sous.

Je ne tiens pas la cadence bien longtemps. C’est un monde trop cruel et difficile. Je rentre chez moi vers 11 heures le regard hagard et les mains en sang. Ma petite femme éclate de rire en me voyant. Apparemment, elle a toujours raison. Elle m’avait prévenu de me méfier de ce monde bizarre là. Ha oui, le monde en question me fait penser au monde de la politique et ses acteurs, les politiciens. C’est un monde où tous les coups sont permis, un monde de malhonnêteté, d’hypocrisie et de coups bas. Les politiciens sont doux pendant les campagnes électorales, ils font des promesses et des projets, mais une fois élus, les données changent, ils retournent la veste et pensent à se remplir le ventre et les poches au détriment des pauvres populations que nous sommes.

*balanceur : apprenti de minicar

*Gbaka : minicar de transport en commun


Une douloureuse affaire de noël

chat

Une brume blanche et  épaisse enveloppe la ville depuis quelques jours rendant l’air sec et difficile à respirer. Partout, des concerts de toux rauques se font entendre: l’harmattan s’est couché sur Abidjan en cette fin de mois de décembre. C’est le temps des bilans. Moi, mon bilan est simple : je ne travaille pas encore, ma petite femme est pratiquement à terme et je ne sais pas où donner de la tête. J’attends impatiemment de monter dans le train des 1 million d’emplois promis par le Président de la République. Soit le train a pris du retard, soit je suis du mauvais côté de la gare. Il y a 4 jours, ma femme a écouté sur RFI le bilan du gouvernement en matière d’emplois. Il paraîtrait que  l’Etat ait créé 1 043.000 emplois en trois ans. Je n’en crois pas mes oreilles. Où avais-je le dos tourné pendant que tous ces milliers et milliers d’emplois me passaient sous le nez ?

Ma petite femme ne comprend pas qu’avec tous ces emplois créés, j’en sois encore à effectuer de petits boulots dégradants très peu rémunérés.  Elle pense même que si je ne travaille pas encore, c’est de ma faute.  Elle s’est alors mise à me reprocher des tas de trucs inutiles et a ramené sur la table l’éternelle question de chat que je croyais avoir résolu par mon subterfuge. La statue ne lui suffisait plus, elle voulait un chat comme cadeau de noël. J’aurais bien voulu lui acheter une belle chaussure pour détourner ses idées, mais quand réussir à manger une fois par jour devient un combat acharné, comment pourrai-je m’offrir le luxe de payer quoi que se soit ? J’ai échafaudé un plan, celui de kidnapper un chat dans la rue et de le ramener à la maison. Je grinçais les dents rien que d’y penser mais il le fallait pour calmer l’ardeur insufflée à ma femme par l’écoute de RFI.  J’avais beau lui expliqué que les chiffres annoncés par RFI n’étaient finalement que ceux énoncés par le gouvernement ivoirien lui-même, elle ne voulait rien comprendre, si RFI l’a dit, c’est que c’est vrai, telle était sa conclusion. Il me fallait donc vite agir.

J’avais remarqué, il y a quelques jours un petit chat gris non loin de chez moi. Je me suis résolu d’aller le chaparder pour le bonheur de ma petite femme et pour ma paix avec elle. Arrivé sur les lieux, le petit animal, comme à son habitude, se reposait sous un arbre. Je m’en suis approché à pas feutrés et j’ai bondi sur lui avec le réflexe d’un grand chasseur. La réaction de l’animal ne s’est pas fait attendre. Le petit chat a craché toute sa haine et sa rage à mon égard en me lacérant la peau à coups de griffes bien placés. Je l’ai aussitôt relâché d’un geste  rapide et j’ai pris mes jambes à mon cou, le laissant sur place le dos recourbé, les poils hérissés, sifflant de colère et de mépris. Je crois que cet épisode douloureux n’a fait que renforcer la haine viscérale que je voue à cette sale petite bête ignoble et malfaisante. Arrivé chez moi, je me suis mis à nettoyer mes blessures avec dans le cœur, un fort sentiment de regret de n’avoir pas assommé ce petit monstre.

 

Je crois bien que ma fête de Noël est encore fichue pour cette année. Je n’ai pas pu avoir un emploi, un vrai, je n’ai pas acheté de cadeau pour ma petite femme, je me suis pris la correctionnelle en essayant de capturer ce maudit chat, le gouvernement annonce des chiffres à faire tourner la tête au sans emploi que je suis.  Pour cette  nouvelle année 2014, J’espère être parmi ceux qui profiteront des milliers d’emplois qui se créent en secret.

 

 


La diarrhée

credit photo: www.la-recette-de-cuisine.com
credit photo: www.la-recette-de-cuisine.com

Je n’en reviens pas, mais je tiens dans ma main un billet violet, un billet de 10 000 F Cfa (16 euros). Cela n’arrive pas souvent. Je rentre chez moi l’air triomphateur. A ma démarche, ma petite femme a compris que je viens avec de bonnes nouvelles. Je lui demande de s’apprêter, car nous sortons. Nous allons au glacier. Une fois n’est pas coutume. Elle est souriante. Bernadette, la femme du voisin Bernard a entendu. Elle veut nous accompagner, mais son mari s’y oppose catégoriquement. Ma petite femme réussit tout de même à lui faire changer d’avis. Dans notre bouge, tout se partage : peines et joie, douleurs et bonheur. Je demande aussi à Bernard de venir. Il est désolé, il aimerait bien, mais il me montre du doigt ses quatre marmots. J’ai de la bonne volonté, mais ça fait un peu trop. Je n’insiste pas.

Notre soirée est féérique. Après les glaces nous prenons de bons et gras morceaux de porc au four et nous ingurgitons quelques litres de bière bien fraîche. Le tout est un cocktail détonnant et je ne tarderai pas d’ailleurs à m’en rendre compte. Nous avons dépensé la rondelette somme de 7 000 F Cfa pour cette seule soirée. C’est énorme pour ma bourse rabougrie, mais nous sommes heureux. Ma petite femme se passe la main sur le ventre et caresse le petit bonhomme qui saute aussi de bonheur. La vie est bien courte et il faut savoir en profiter.

Je me réveille le lendemain plein d’entrain, mais le ventre bourdonnant. Je dois me rendre à Treichville voir mon frère. Dans le bus qui peine à monter la côte de l’Indénié, râlant et crachant de la fumée noire, je sens des bouffées de chaleur m’envahir. Mon ventre se met à tourbillonner comme un orage qui va éclater. Sans nul doute, la bière et les bons morceaux de porc font leur effet. A la sortie du Plateau, l’orage éclate effectivement dans mon ventre et dévale la pente à toute vitesse: c’est la première attaque. Je me cramponne à la barre de fer et usant de mes muscles fessiers, je tente de repousser l’assaut. Je deviens pâle, transpirant à grosses gouttes. L’offensive est repoussée après une féroce lutte de mes fesses et de mes pauvres sphincters. Un bref soulagement, et la seconde attaque arrive, violente, très violente. Le bus est coincé dans un embouteillage à la sortie du pont de Gaulle. La sueur me dégouline du visage. Ma respiration devient courte. Tout devient flou autour de moi. Mes membres tremblotent. Je mets à rude épreuve mes sphincters qui n’en peuvent plus. Je n’entends plus rien, ne vois plus rien. Au terme d’un ultime effort, je réussis à repousser la tornade dans mon ventre. Ouf ! Mais je crois que je ne survivrai pas à une troisième attaque.

Le bus se dégage et bondit comme un ivre vers le premier arrêt près de l’immeuble Nanan Yamousso. Je lutte, je pousse, je bouscule. On m’insulte, on essaie de me retenir le bras. Je deviens violent, incontrôlable. Usant du peu de force qui me reste, je mets le pied dehors. Un petit vent glacial me fouette le visage et me redonne de l’espoir dans cette lutte à mort. Je cherche un WC public, le plus proche. Je me renseigne presque, en chuchotant mes mots. Une main indécise me montre une direction. La troisième attaque commence, fulgurante. Je marche à petits pas rapides les fesses serrées. J’aperçois des toilettes publiques et je m’y dirige telle une roquette tirée contre un char d’assaut. J’y suis presque. Je touche la porte. Mes  mains tremblent violemment. A cet instant, mes sphincters lâchent prise. C’est le syndrome de la clé dans la porte. J’ai juste le temps de descendre la fermeture éclair de mon pantalon que….

La suite n’intéressera personne. Qui d’entre nous n’a jamais été victime d’une telle diarrhée ? Quels conseils n’ai-je pas reçus sur le danger que représente la consommation abusive de la viande de porc ? Ici, c’est la viande des pauvres. Avec ma condition, je ne peux que m’offrir ce luxe-là. Chez nous, le luxe c’est ça. Un luxe empoisonné accompagné de bière fraîche comme nos malheurs d’ici.


Appelons un chat, un chat

source: fr.123rf.com
source: fr.123rf.com

A dire vrai, je n’aime pas les chats. Je les déteste. Je hais leurs manies à vouloir coûte que coûte se frotter aux gens et surtout leur miaulement rauque. Ma petite femme elle, elle les adore.

Elle m’a sérieusement boudé lorsque j’ai refusé de lui en offrir un. Le compromis que nous avons trouvé m’arrangeait à peu près. A défaut d’avoir ce petit animal domestique encombrant, elle s’était acheté une petite statue lui ressemblant. Bon, j’ai beau regardercette œuvre d’art majeur, je ne lui trouve aucune ressemblance avec un chat.  C’est plutôt un genre de machin-truc sculpté certainement avec hâte dont les contours mal définis lui donnent un aspect difforme. Il ne me plaît pas non plus, mais du moment où il peut me protéger de l’encombrement d’un vrai chat, tant mieux. Ce n’est pas  que je sois prévenu contre l’art en général et la sculpture en particulier, mais vous auriez vu ce machin-truc que vous m’auriez sans doute donné raison. Chacun à son opinion sur les chats. Certains les aiment pour leur compagnie tandis que ceux d’en face les adorent dans la sauce. On dit que cuit avec du vin, le chat est un met délicat de choix. Moi quelle que soit sa forme, je le déteste.

Un dicton bien connu dit qu’il faudrait appeler un chat un chat. C’est dire qu’il faut éviter de tourner autour du pot et dire ce qui est comme il l’est. Et ma femme a cette qualité à appeler un chat un chat surtout lorsqu’il s’agit d’un chat. Mais j’en connais qui appelle un chat : petit animal domestique de la famille des félidés qui miaule. Ouf ! J’y suis parvenu. Et ceux-là, c’est les politiciens. Ils ont l’art d’esquiver les vrais problèmes. L’un d’entre eux est allé jusqu’à dire « qu’en politique, on ne résout pas les problèmes, on les déplace ». En d’autres termes, quand ta femme veut un chat, tu lui achètes une statue qui n’est ni chat ni vraiment statue, un type de ce machin-truc qui traîne  et qui occupe entièrement l’esprit. Et voilà le tour est joué! Ma petite femme jure qu’il ressemble à un chat, moi je trouve que c’est plutôt un je-ne-sais-quoi. Et là, fini la question de posséder à tout prix un chat. On passe le reste du temps à discuter sur la fameuse et vulgaire sculpture. Sur sa nature, sur le maître d’œuvre qui l’a réalisée, sur ses motivations. Puis sur sa place dans la maison, sur son entretien et blablabla.

Les politiciens ont la manie, comme les chats, de nous caresser dans le sens du poil,  nous monter qu’il nous aime, qu’ils se préoccupent de nos maux et surtout qu’ils agissent pour notre bien. Ils esquivent les questions et se perdent dans des conjectures « abradacabrantesques ». Ils jouent avec des expressions curieuses du genre « l’argent travaille «  quand nous leur crions que nous avons faim et que nous voulons travailler. Ils parlent de croissance à deux chiffres pendant que le nombre de nos repas quotidiens est passé du triple au simple (mort subite) et que les prix des denrées eux sont passés du simple au triple. Curieuse loi de proportionnalité. On a connu une refondation qui était plus fragile que la première fondation. Les vrais démocrates ont applaudi des coups d’Etat opérés au nez et à la barbe de la démocratie puis on a appelé cela une « révolution des œillets », « sans effusion de sang ». Le « ET et le OU » ont occulté les vrais problèmes de chômage et de manque de repères d’une jeunesse aux abois. Puis quand les armes un soir ont tonné, on a entendu des mots : « Résistance, patriotisme, attaques extérieures, rébellions, Forces nouvelles, nouvelles forces, CNO, com-zone, division » et vlan !

Quand je serai rassasié chaque jour et que je serai sûr de l’être le lendemain et les jours suivants ; quand je serai rassuré que mon petit bonhomme, après sa naissance, ait une bonne éducation et un système qui lui permettra de s’intégrer dans la vie active, quand je n’aurai plus à trimer si dur à m’en casser les côtes pour un minable billet bleu de 2000 f Cfa (3, 05 euros) la journée, je ne prendrai jamais d’armes pour suivre un aventurier prestidigitateur.

Appelons un chat un chat. Nous voulons que vous vous penchiez chers politiciens de tous bords sur les vrais sujets. On n’est pas obligé de tous s’aimer. On n’est non plus pas obligé d’être d’accord sur tout. Mais on peut néanmoins s’asseoir et s’entendre sur l’essentiel. Nous sommes tous concernés.

En attendant, le chat-machin-truc de ma petite femme aura longue vie sur ma table estropiée. Il me permet de refuser de lui acheter un véritable chat pour la satisfaire. J’ai appris à être politicien, en quelque sorte et à mes dépens. Mais nous, ma petite femme et moi, contrairement aux autres, nous savons ce qui est nécessaire pour nous. Nous restons unis et soudés pour contrer le froid la nuit et pour lutter contre cette cruelle vie en entendant la naissance de notre petit bonhomme. Nous, nous ne mettons pas le feu à notre petite maison branlante en bois pour un désaccord sur une question de chat.


La main nourricière et les crocodiles

Crocodile dans les rues d'Abidjan.© France24/Nasser Eddy.
Crocodile dans les rues d’Abidjan.© France24/Nasser Eddy.

Avant-hier, ma petite femme est arrivée de chez la voisine tremblante d’effroi. Elle m’a confié la voix enrouée d’émotion qu’elle venait de voir une vidéo dans laquelle des crocodiles ont happé un pauvre monsieur, l’ont transporté dans les eaux glauques du lac de Yamoussoukro et l’ont tranquillement dévoré sous les yeux médusés d’une foule de spectateurs impuissants. Elle avait les larmes aux yeux. Elle semblait sérieusement bouleversée. Je lui ai rappelé que c’est un drame qui s’est produit depuis 2012 et qu’elle gagnerait à suivre l’actualité de son pays au lieu de s’enivrer avec les séries brésiliennes et indiennes qui ne lui apprennent rien.

Elle voulait en savoir plus. Le vieux Monsieur en question est Dicko Toké, gardien des crocodiles du lac de Yamoussoukro. En service auprès de ces sauriens depuis un peu plus de 30 ans, il les nourrissait, les soignaient et faisait des tours publics avec eux pour les visiteurs et touristes de passage dans la capitale ivoirienne. Il ne craignait pas ces bêtes à la mâchoire terrifiante et hyper puissante. Il les touchait, les caressait, soulevait leurs puissantes queues sans risque jusqu’au jour où les sauriens sont passés en mode déglinguage, ont perdu les pédales et ont dévoré la main nourricière. Ma petite femme n’en revenait pas. Elle trouvait cela injuste et ingrat. Elle m’a demandé ce qui avait bien pu se passer dans la tête des crocos pour qu’ils en arrivent à une telle extrémité. Je lui ai répondu que c’est plutôt aux crocos qu’il fallait poser la question, pas à moi.

Elle avait les deux mains jointes sur le menton et la bouche ouverte d’émotion. Elle s’est mise à plaindre les populations de Yamoussoukro qui selon elle, courraient un grand danger avec ces bêtes qui n’avaient aucun sens de la loyauté, ces bêtes ingrates et peu reconnaissantes qui pouvaient, sans remords, mordre la main qui les nourrit et même la manger, cette main nourricière. Je lui ai dit qu’elle n’avait pas à autant s’en faire pour ceux qui habitent Yamoussoukro. Je lui ai dit qu’on avait récemment vu l’un de ces sauriens préhistoriques déambulant tranquillement dans les rues à Abidjan à la recherche d’une quelconque main nourricière.

Je lui ai aussi dit que c’est ce qui arrive généralement quand la main nourricière se croit tout permis et invulnérable, quand elle se croît la seule capable de tout faire et impose son dictat ; quand elle décide de contourner les conventions, s’arroge le droit de décider à la place des autres et se montre arrogante; quand elle ne tient pas ses promesses et que la misère va grandissante; quand ceux qui se reconnaissaient en elle commence à douter. Cette main là, elle sera hardiment happée, ramenée dans les eaux troubles de l’incertitude et du chômage galopant par des crocodiles frustrés et révoltés et elle sera… Je n’ose pas imaginer l’effroyable perspective.


Union SDF

Le mariage n'est pas envisagé dans les unions SDF.
Le mariage n’est pas envisagé dans les unions SDF.

Dans mon pays la Côte d’Ivoire les unions sans engagement semblent avoir pignon sur rue. De nombreux couples vivent ensemble pendant des années sans dot, sans fiançailles et donc sans mariage. Ces genres de situations créent parfois des problèmes pour la femme au décès du conjoint. Chez nous les gens d’en-bas, on appelle cela une union SDF.
J’aime ma petite femme. Je le rappelle à chaque fois que cela est possible. Elle me le rend tellement bien que je me sens coupable de ne pas lui offrir le bonheur qu’elle mérite. Dire de cette belle jeune femme qu’elle est ma femme est en réalité un abus de langage. Nous ne sommes pas mariés. Je ne l’ai même pas encore dotée. Je vis avec l’enfant des gens sans que les gens n’en soient officiellement informés. C’est vrai que les gens en question me connaissent bien. Je me suis même rendu dans leur village, histoire de les saluer pour qu’ils me voient et sachent à quoi je ressemble. Mais officiellement, je ne suis rien pour eux en dépit dufait qu’officieusement, on m’appelle beau. Je suis en union SDF avec ma petite femme (SDF : Sans Dot ni Fiançailles).

Je veux bien doter ma femme et passer devant le maire mais je suis SDF (Sans Dotation financière). Dans un pays où l’argent a déserté les rues, les banques et les poches pour s’enfermer à triple tour dans son bureau, occupé à travailler, ce n’est pas étonnant que les Unions SDF (Sans Dot ni Fiançailles) foisonnent. Tiens, mon voisin Bernard est en union SDF depuis un peu plus de 15 ans avec 4 enfants. De telles unions ne procurent pas toujours la sécurité aux femmes. Ces genres de femmes sont en mode SDF (Sécurité Définitivement Foutue) dès que leur mari décède. Les rapaces parents du mari se ruent alors sur les biens du défunt faisant fi de l’avenir des enfants issus de telles unions. Ces actes sont le fait de SDF (Sociétés de Dépouillement Familiale). Ils revendiquent leur droit à la propriété de leur frère, oncle, fils ou cousin. La pauvre femme éplorée est alors livrée à la vindicte populaire et à la famine. L’avenir des enfants des unions SDF est alors compromis.

C’est bizarre, souvent certains hommes SDF (Sans Difficultés Financières) vivent en union SDF. Ils s’y sentent tellement bien et qu’ils en sont SDF (sans Doute Fiers). On parle alors de concubinage. Ils s’en contentent durant des années et font une pléiaded’enfants. Ils oublient de sécuriser leurs progénitures et leur épouse en légalisant leur union. C’est des situations difficilement explicables. Je ne veux pas laisser ma petite femme dans une telle condition. Je ferai tout pour la doter et la marier légalement. Faire tout ne signifie pas pour moi Sources Douteuses de Financement (SDF) mais Sources Difficiles et Fiables (SDF).


Pauvreté et chômage galopants en Côte d’Ivoire : chut, l’argent travaille !

La une du quotidien proche du pouvoir Le Patriote du 02 janvier 2013
La une du quotidien proche du pouvoir Le Patriote du 02 janvier 2013

Le quotidien ivoirien  Le Mandat dans sa publication  du lundi 12 aout dernier a révélé que  selon l’INS (Institut National de la Statistique), 70% des familles vivants en Côte d’Ivoire ne mangent pas à leur faim. Le Président ivoirien Alassane Ouattara avait tenté d’expliquer cette situation éprouvante pour les couches défavorisées de la société dans son discours de fin d’année en affirmant que « l’argent ne circule pas, il travaille ». C’était en décembre 2012. Et depuis, l’argent est encore au boulot oubliant de circuler au grand dam de nous autres, les gens d’en bas.

 

Nous sommes dans mon quartier, il est 17 heures. La boule de feu orangée dandine dangereusement sur l’horizon. Ivre de tant d’effort à donner gratuitement de sa lumière et de sa chaleur, le soleil tombe majestueusement dans une agonie sanguinolente. Il jette ses derniers jets ensanglantés de lumière peignant le ciel en un tableau de feu et de sang. Le crépuscule s’installe lentement et une rude journée d’effort tire sa révérence. Je rentre chez moi les mains dans les poches.

 
Ma petite femme a tout compris à ma démarche. Lente et démesurément nonchalante, elle lui inspire que la journée n’a pas été bonne. Je rentre dans ma tanière la tête basse comme une lionne affamée rentrant bredouille de la chasse. Malgré tout, ma petite femme me regarde et me sourit. La belle rangée blanche de ses dents me donne du réconfort. Je pose ma main sur son ventre. Le petit, notre petit bonhomme n’a pas arrêté de bouger de toute la journée. Il a certainement faim comme moi et sa mère. Je me sens tellement impuissant face à la vie. Mais elle est là, elle me rassure, elle me dit que ce n’est pas bien grave et qu’elle ira manger chez la voisine. J’ai honte. Moi, je dormirai le ventre creux. Je le mérite bien.

J’ai beau tourné, supplié, mais en vain. Il n’y a pas d’argent. L’argent, paraîtrait-il, travaille. Il est tellement occupé qu’il ne circule plus. Il a rangé sa voiture au garage, fermé son portable. Il ne veut surtout pas être dérangé. Il paraît également qu’en ses temps de durs labeurs, il n’aime pas le bruit. Il s’est donc barricadé derrière une porte insonorisée. C’est un bon travailleur. Il fait même des heures sup non rémunérées. Il espère décrocher la palme du meilleur travailleur du siècle. Pendant ce temps, moi je circule à n’en point finir. J’ai moins de chance que l’argent. Je ne travaille pas ou plutôt, je travaille à circuler pour chercher du travail. C’est bien malin de ma part.

Dans mon pays la Côte d’Ivoire, l’argent a arrêté de circuler pour se mettre au travail. En termes plus clairs, il n’y a pratiquement plus d’argent en circulation dans le pays. Le panier de la ménagère s’est dangereusement  et outrageusement amenuisé pour se transformer en un vulgaire sachet noir qu’elle utilise pour faire le marché. L’INS (Institut National de la Statistique), organe national des statistiques  parle de 70% des familles ivoirienne qui n’arrivent pas à se nourrir convenablement et 60% qui ne peuvent pas se soigner. Les chiffres sont effrayants. Les prix des denrées de premières nécessités flambent sur le marché tandis que de grands travaux d’intérêts publiques se multiplient dans le pays : le 3ème pont reliant Cocody à Marcory, l’échangeur de la Riviera 2 et celui de Marcory qui passe pour être l’un des plus grands en Afrique, le pont de Bouaflé, etc.

Tous ces travaux, c’est bien et beau. Mais quand la population qui sort à peine d’une décennie de crise politico-militaire est affamée par ce fait, il y a forcement de quoi grincer les dents. En ces périodes, essayer de trouver un travail convenable, c’est se lancer à la recherche du saint Graal. Toutes les portes semblent fermées à mes efforts. Lorsque je tente de me plaindre, l’on me répond  qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Mais dans mon cher pays, en plus de casser les œufs, on tue également la poule. Un dicton bien connu chez nous dit: « un homme  qui a faim n’est pas un homme libre« . Je ne suis pas libre, ma femme et le bébé non plus, nous ne sommes pas libres. Nous sommes prisonniers d’un avenir incertain cohabitant avec la faim et le désespoir. Tous nos regards se tournent alors vers le haut. Les politiques tentent désespérément de nous rassurer. Ils  parlent d’une certaine  émergence à l’horizon 2020. Moi je ne sais pas ce que cela signifie. Je serai rassuré seulement le jour où j’arriverai à nourrir convenablement ma petite femme et le bébé qu’elle porte.

En attendant ce jour , je me couche sur ma petite natte et tente en vain de lire un livre pour me consoler. Je lis et relis la même phrase sans rien y comprendre. Je balance le livre avec force, le peu qui me reste, dans un coin de la maison. Il heurte violemment un verre et le brise net. Je n’ose me lever pour nettoyer. Mon ventre crie famine. Avec autant de bruit qu’il fait, pas étonnant que l’argent m’insupporte et refuse de prendre du repos pour venir me voir lui qui n’aime pas le bruit. Le jour où enfin, il aura un petit congé, j’espère qu’il aura assez de force pour m’envoyer au cimetière et m’enterrer parce qu’entre temps, je serai mort de faim.