Mohamed SNEIBA

Présidentielle américaine : une élection par défaut

Les deux candidats à l'élection présidentielle américaine Hillary Clinton et Donald Trump. RFI/ REUTERS/

En novembre prochain, les Américains éliront leur 45ème  président. Une présidente est une hypothèse hautement probable.

Une élection aussi singulière que celle de 2007 qui a fait de Barack Obama le premier Noir à la Maison Blanche. C’est parce que l’Amérique aime les symboles forts qu’Hillary Clinton a toutes les chances de devenir, dans un mois, la première femme à diriger la première puissance mondiale. Je sais qu’en politique, il ne faut jurer de rien mais les Républicains seront vaincus pour n’avoir pas livré bataille. Ce sera une élection par défaut.

Le tort des Républicains est d’avoir laissé le champ libre à Donald Trump, un candidat qui, en temps normal, n’aurait même pas dû dépasser le stade des primaires. Bien qu’étant vu comme le « parti du business », dès 1896, avec l’arrivée à la présidence de William McKinley, la formation de l’éléphant pâti aujourd’hui de ce qui est considéré comme son péché originel : être à la fois progressiste, capitaliste et puritain. C’est ce mélange détonnant qui a joué en faveur d’un Donald Trump non compartimenté, jouant parfaitement sa partition sur tous les tons. Pour faire perdre aux Républicains, dominant les deux chambres du Congrès, une présidentielle qu’ils devraient pourtant gagner en toute logique.  S’ils n’avaient manqué de discernement, préalable à toute stratégie. Ils ont pris du temps pour tenter de barrer la route à Trump alors que les prétentions présidentielles de l’homme ne datent pas d’aujourd’hui. Le fait de n’avoir pas agi avec tact pour l’arrêter, par tous les moyens, y compris les moins orthodoxes, dès les primaires, est une capitulation qui livre la Maison Blanche à des Démocrates soucieux de rétablir les grands équilibres avec des adversaires politiques historiquement mieux implantés. Cet équilibre qui veut que les deux principaux partis américains se neutralisent quand aucun d’eux ne parvient à faire une OPA complète sur la Maison Blanche et le Congrès. De nombreux Républicains estiment improbable que Donald Trump batte la démocrate Hillary Clinton à la présidentielle de novembre, et cherchent désormais à sauver les meubles : garder la majorité au Congrès, et préparer l’élection de 2020.

Les Républicains jouent donc sur les apparences. Trump est l’un des leurs mais…une distanciation révélée aux Américains et au monde par le nombre exceptionnel d’absents lors de leur Convention du 22 juillet 2016. Aucun Bush, ni Mitt Romney, ni John McCain, ni même le gouverneur de l’Ohio John Kasich. « C’est sans précédent dans l’histoire récente des conventions », avait dit Robert Boatright, professeur de sciences politiques à l’université Clark dans le Massachusetts.  Lauric Henneton renchérit : « La fonction même de la Convention est de participer à la présidentialisation d’un candidat parmi d’autres en le candidat du parti tout entier, des deux côtés. La première fonction de la Convention c’est le rassemblement, le passage d’une période de divisions internes, qui peuvent être particulièrement violentes, à une unité au moins de façade, face à un adversaire pour qui la situation est exactement la même, sauf en cas de président sortant. Pour Trump, il est clair que beaucoup ne le voient pas en président ».

Le problème de Trump c’est de peiner, à un mois de l’échéance fatidique, de se présenter en rassembleur, notamment pour convaincre les plus sceptiques, mais aussi de démontrer qu’il a les qualités nécessaires à la fonction présidentielle.

Malgré donc ses problèmes de santé, rappelés aux Américains par son récent malaise, Hillary passe devant Trump, sauf perturbations de l’ampleur du cyclone Katrina, l’un des ouragans les plus puissants de l’histoire des États-Unis. On avait pourtant pensé que le nom qu’elle porte (Clinton, 42ème président des USA, de 1993 à 2001) allait être un sérieux handicap pour elle, comme ce fut le cas, côté Républicains, pour Jeb Bush, fils et frère d’anciens occupants de la Maison Blanche.

Oui, si le candidat en face n’était pas le fantasque Donald Trump, un homme qui fait peur plus à ses amis qu’à ses ennemis ! L’homme va à la présidentielle comme dans une partie de perd-gagne. Il met en avant sa personne et non le destin d’un pays, ni celui du monde. Face à tant de désinvolture, il est difficile de croire que les Américains prennent le risque de plonger le monde dans une période d’incertitude équivalent aux quatre ans que Trump pourrait passer à la Maison Blanche.

La présidentielle de novembre se jouera donc entre la santé d’Hillary Clinton et la folie de Trump. Le mal et le pire.


Ma vie ne regarde que moi (4)

ma-vie-ne-regarde-que-moiCependant, Lahi trouvait des excuses à Fatiha. Il l’aimait encore follement. Il se disait, par exemple, que le monde d’Adelaïde était moins trouble, troublé, que celui dans lequel il vit; et que les circonstances favorisaient plus les incompréhensions sentimentales. Submergée par les objets de la modernité, Fatiha avait toujours besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Et quand Lahi ne pouvait lui donner les sommes de plus en plus importantes qu’elle réclamait pour les mariages, les baptêmes et autres rencontres mondaines entre amies, elle se rabattait sur d’autres hommes qui n’attendaient qu’un geste de sa part pour satisfaire ses désirs les plus fous. Adelaïde luttait pour la survie, Fatiha vivait pleinement et intensément, comme si elle avait rendez-vous avec la mort dans l’instant d’après.

Lahi se surprend à envier Hyppolite. Un homme qui avait été aimé pour lui-même. Désiré pour son être et non pour son avoir. Il estima moins la différence de temps et de l’espace entre lui et ce personnage de roman que la similitude de caractères entre deux hommes séparés par un siècle et des milliers de kilomètres. Il se surprend, contrairement à Emma dans Madame Bovary, en train de rêver cette vie débarrassée des aléas d’une modernité factice.

Lahi attribuait tous ses échecs au symbolisme de son nom qui signifiait en hassaniya « je vais faire ». Une multitude de projets restés à l’état de projet par le fait de ce qu’il considérait, avec forte conviction, comme une malédiction. Il voulait devenir un grand spécialiste du droit et non un professeur de français n’arrivant pas à joindre les deux bouts. Il regrette aujourd’hui d’être rentré de France après avoir eu l’occasion, à ses vingt-quatre ans, de pouvoir vivre dans ce pays dont la culture et la langue n’ont aucun secret pour lui. Il y a vingt ans, Lahi ne pensait pas devoir regretter une décision prise en toute âme et conscience, et dictée par le désir ardent de réussir sa vie dans son propre pays, pas en exilé économique.

Mais comme Emma, Lahi se surprend à rêver d’une vie autre, dans  cette France du dix-neuvième siècle merveilleusement peinte par Flaubert et Balzac. Dans son esprit frustré par tant d’échecs, sur le plan sentimental et professionnel, les traits de Fatiha deviennent ceux d’Adelaïde. D’abord flous, ils finissent par encombrer sa vue lui faisant tendre le bras pour toucher un visage qu’il voyait maintenant distinctement.

L’effet de la lecture de La Bourse sur Lahi était vraiment inattendu. Il avait lu cette nouvelle dans le but d’aiguiser sa sensibilité à l’écriture et il se retrouve, en fin de compte, à comparer son être à celui d’Hyppolite Scheinner, le héros de cette histoire sentimentale. La redécouverte de ce personnage le plonge encore plus profondément dans sa conviction que la vie ne l’a pas vraiment favorisé.

 

 

 

 

 


Ma vie ne regarde que moi (3)

La Bourse

 

ma-vie-ne-regarde-que-moiJe ne lis pas pour imiter mais pour admirer. Je trouve mon plaisir dans ces pages, toujours actuelles, comme celui qui découvre, pour la première fois, la saveur d’un baiser livré sans résistance.

En lisant La Bourse de Balzac, j’ai compris une chose. Mon roman, s’il m’arrive de l’écrire un jour, ne doit pas commencer par l’action. L’admirable description par laquelle s’ouvre cette nouvelle du fabuleux écrivain du dix-neuvième siècle me fait tout de suite comprendre que la force de son écriture se trouve dans ces tableaux, ces scènes de vie qui donnent l’envie de découvrir le théâtre de ses intrigues. Pas dans l’histoire elle-même, comme le pensent beaucoup de ses admirateurs ! Lahi en faisait la découverte en lisant pour la énième fois La Bourse.

Au fil du temps, Lahi était devenu un grand nom du journalisme dans son pays, mais il ne pouvait imaginer, comme Hippolyte Schinner, que la célébrité que son talent lui avait procurée allait faire de lui l’un des communicateurs les plus célèbres de la Mauritanie, même s’il « commençait à ne plus connaître le besoin, et jouissait de ses dernières misères », selon l’expression de ce personnage balzacien.

Lahi avait mis moins de trois heures pour lire La Bourse. En choisissant ce livre, il ne pensait pas avoir affaire à l’un des textes les plus courts de Balzac. En fait, une nouvelle qui commence par un faux rythme de récit où les traits des personnages sont campés dès les premières pages mais qui, très vite, vous emballe.

En achevant la lecture de cette nouvelle, Lahi ne pouvait s’empêcher de la revivre, à rebours, se permettant de remplacer les noms de ces deux principaux personnages, Hyppolite et Adelaïde, par le sien et celui de Fatiha. Il trouvait une ressemblance, en certains points, entre cet amour ambigu, mais qui finit bien, et celui qu’il avait connu, il y a cinq ans, quand il avait rencontré cette jeune femme à Nouadhibou. Il suffisait qu’il inverse les traits de caractères entre lui et Hyppolite, Adelaïde et Fatiha pour que les deux histoires se confondent. Dans La Bourse, Adelaïde avait fait preuve d’amour envers le peintre, qui l’avait séduite sans le moindre effort, alors que, dans la vie, Lahi avait aimé une femme sans reliefs. Les personnages de Balzac dans cette nouvelle de trente-neuf pages étaient idéalisés, à souhait, alors que Lahi et Fatiha ne vivaient que par et pour leur médiocrité.

« Je n’aurai pas dû lire ce livre qui ne fait que renforcer ma conviction d’échoué dans la vie », dit Lahi à haute voix, faisant sursauter sa femme, assise tout près de lui, et qui pensa d’abord qu’il avait perdu la tête. Elle lui conseilla, une énième fois, de se reposer. Le ton qu’elle utilisa n’est pas celui d’une femme qui se sentait délaissée parce que son homme passait des heures et des heures à lire et à écrire, s’il n’était pas perdu dans d’interminables discussions sur facebook. C’était celui d’une épouse qui se souciait de la santé du père de ses enfants.

Lahi la regarda sans dire un mot et replongea dans son univers virtuel. Il revenait à sa lecture particulière de La Bourse pour comprendre comment Balzac pouvait imaginer des personnages presque sans défauts ! Adalaïde, et sa mère, Mme de Rouville, qu’il avait détestée pour son amour du jeu, avaient fini par conquérir son cœur, lorsqu’il apprit, à la fin du récit, qu’elle avait agi par dignité. Jouer pour ne pas devoir accepter l’aide d’un vieil ami était, à ses yeux, une qualité. Même si la différence n’est pas si grande que celle qui existe entre être et paraitre.


Ma vie ne regarde que moi (2)

ma-vie-ne-regarde-que-moiC’est décidé, il ira chercher l’inspiration là où elle se trouve ; chez ces centaines d’auteurs dont les œuvres sont livrés, gratuitement, sous format électronique, par « livres-pour-tous ».

En prenant cette décision, Lahi avait ouvert la porte à des dizaines d’histoires, les unes plus palpitantes que les autres ; histoires qu’il avait lues quand la télévision et l’ordinateur n’avaient pas encore pris une place aussi importante dans son quotidien de prof de lycée.

Les noms d’auteurs se bousculent dans sa tête. Les grands classiques d’abord : Balzac, Zola, Hugo, Cheikh Hamidou Kane, Driss Chreib, Henri Lopes, Mammeri, Taher Ben Jelloun, Camus, Sartre… Ceux que les préparations de cours de terminales l’obligeaient à lire et à analyser pour ne pas paraître ridicule devant des élèves qui étaient plus portés sur les études que ceux d’aujourd’hui. C’était il y a vingt ans, pas maintenant où ces noms d’illustres auteurs laissent de marbre des étudiants dont la plupart disent n’avoir jamais ouvert un roman dans leur vie.

Lahi ne sut pourquoi mais il ne ressent plus cette envie d’écrire. En lui naissait celle, irrésistible, de redécouvrir ces trésors de la littérature francophone dépréciée par la vocation « scientifique » d’élèves qui aspirent à devenir pilotes de lignes, officiers, médecins ou ingénieurs. Au cours des trois dernières décennies, la nourriture de l’esprit avait cédé le pas à la puissance de ces professions auxquelles les nouvelles générations aspirent de manière quasi mécanique.

Lahi avait envie de redécouvrir ces œuvres non pas pour assouvir un désir personnel mais pour les exhiber  au monde entier. Forcer à les lire ceux qui disent n’avoir jamais pu terminer les premières pages d’un roman. Il écrira le roman de ces romans. Il se sentait petit pour penser égaler ces monstres de la littérature françaises mais c’était une manière, pour lui, d’oublier trente ans d’échecs.

Lahi ne tenait pas compte, dans cette souvenance du désespoir, de ses années de jeunesse. D’ailleurs, entre onze et vingt-ans, il avait connu ce que tout jeune de son âge considérait comme l’âge d’or.

« Si l’écriture ne me réussit pas, j’aurais au moins pris du plaisir à relire ces belles œuvres », pensa Lahi. Et, sans tarder, il se déconnecta de son compte facebook pour aller directement sur le site livres-pour-tous.

 

 

 

 

 

 

 


Ma vie ne regarde que moi (1)

Tourments

 

ma-vie-ne-regarde-que-moiL’idée de devenir écrivain l’habite depuis plusieurs mois. Il pensait qu’il s’agissait de l’une de ces folies passagères qui le prend souvent, quand il réalise que sa vie est une succession d’échecs. Il se dit que c’est le seul moyen qui reste pour que, lui aussi, devienne « quelque chose ».

Il remettait pourtant à plus tard ce projet d’écriture, auquel il ne parvient pas à donner forme. Il se dit qu’il risquait de comptabiliser une déception de plus après avoir échoué en tout. Ses mérites de « grand professeur » de français ne l’ont pas mené très loin, après vingt ans de classe : directeur des études dans un lycée de Nouakchott puis chef de division au ministère de l’éducation. Des moins bons que lui ont pourtant réussi à devenir inspecteurs, directeurs, conseillers et même ministres. Lahi avait alors pensé qu’il pouvait réussir par la politique ce qui ne lui a pas été donné par l’enseignement.

La politique, la chère « bolletig », pensa-t-il, est le domaine de l’impossible. Il n’a jamais été d’accord avec l’assertion qui dit le contraire. La politique, « l’art du possible » ? Non, non, cria Lahi sans s’en rendre compte. La politique est faite pour les nuls et les menteurs, sinon comment expliquer que des moins que rien (il pensa à deux ou trois noms de parvenus que la retenue l’empêche de citer) puissent aujourd’hui diriger de grandes institutions publiques ?

C’est décidé donc, l’écriture sera sa revanche sur le sort. Lahi pensa d’abord aux sujets qu’il faut aborder. Des sujets susceptibles de faire sa notoriété. Mais écrire sur quoi ? Surtout, écrire pour qui ? Il faut d’abord répondre à ces deux questions essentielles.

Lahi a eu une mauvaise expérience avec son blog « Mauritanités ». Certains sujets pourtant très appréciés par ses amis étrangers sur les réseaux sociaux, lui ont attiré des problèmes dans son pays. Ici, les gens n’aiment pas entendre des vérités qui dévoilent leurs choses cachées, leur être. Par exemple, ne leur raconte pas des histoires de femmes. Ils te traiteront de perverti ou, plus grave, de mécréant. Chacun aura le reflet de son existence dans ce que tu écris. Il dira, en te lisant, « c’est de moi qu’il parle ; il a dû certainement apprendre mon histoire ». Evite aussi les sujets à polémique. Ne dis pas que l’esclavage existe dans ton pays. On te répondra que c’est faux, bien que des lois punissant ceux qui le pratiquent encore foisonnent ! L’Etat utilise une terminologie hypocrite, un euphémisme, en parlant de séquelles. Evite également d’aborder les discriminations raciales dans un pays où l’islam, religion d’égalité, est censé être pratiqué par toute la population.

Hum ! Bon, bon, se dit Lahi, à ce rythme-là, je n’aurai pas de problématiques à aborder dans mon livre. Si je continue à écarter les sujets qui fâchent, je dois renoncer tout simplement à ma nouvelle vocation et continuer à télécharger des films gratuits sur cpasbien. Subitement, il se rappelle d’un autre site qu’il visitait fréquemment quand il avait encore un peu de temps à consacrer à la lecture. Une idée lumineuse jaillit dans son esprit ravagé par le doute depuis qu’il avait raté un concours des inspecteurs. La première fois où son nom ne figure pas en bonne place dans la liste des admis. Il apprendra plus tard que c’était à cause de son âge. Le ministère ne voulait pas envoyer à l’ENS des professeurs qui iraient à la retraite quatre ans après leur sortie !

(A suivre)


Mauritanie: comment IRA a servi le pouvoir

Une précision d’abord: cette analyse politico-stratégique sort des sentiers battus de la querelle idéologique et communautaire. Elle n’aborde pas la question d’IRA (Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie) sous l’angle de l’affirmation (ou de la négation) du phénomène de l’esclavage mais cherche à montrer comment Biram et son organisation ont servi le pouvoir.

Biram Dah Abeid, président d'IRA (Photo google)
Biram Dah Abeid, président d’IRA (Photo google)

IRA existe depuis 2008 en tant qu’organisation non reconnue mais tolérée. Le discours de son Président, Biram Dah Abeid, est diversement apprécié. Il touche essentiellement des jeunes Harratines qui, pour la plupart, n’ont pas connu l’esclavage dont parle leur Chef mais l’assimilent inconsciemment aux injustices et inégalités sociales qu’ils vivent tous les jours.

Le premier service qu’IRA rendait au pouvoir est de « détourner » les nouvelles générations de Harratines du combat mené par les Anciens : Messaoud Ould Boulkheir, Boydiel Ould Houmeid, Mohamed Ould Borboss et, dans une moindre mesure, Samory Ould Bey. IRA renoue avec le discours musclé et plein de verve de ces hommes, anciens d’El Hor (le libre) ramollis par les postes et les privilèges. Même si son discours ne porte pas loin (Biram a eu 8% à la présidentielle de 2014), IRA permet au pouvoir de mobiliser une bonne partie des mauritaniens contre un « péril » qui rappelle étrangement celui brandi par Taya, entre 1987 et 2000, avec les FLAM (Forces de libération Africaines de Mauritanie). La stratégie élaborée pour décapiter IRA est la même que celle utilisée à l’époque pour éliminer les FLAM : diabolisation, procès, prison ou exil.

IRA a signé son arrêt de mort le jour où elle a changé de discours, quand Biram, grisé par la reconnaissance à l’extérieur et la pluie de distinctions qui pleuvaient sur son organisation, a voulu s’identifier, au moins dans le discours, à Ghandi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Le pouvoir avait besoin d’un Biram violent dans le verbe, exactement comme du temps où Messaoud avait été brandi comme une menace du temps de Taya. Le discours non violent du président d’IRA n’arrange pas les « noirs » desseins d’un pouvoir pliant sous les problèmes de toutes sortes et ayant besoin d’un expiatoire. Faire de Biram l’ennemi public numéro un, élever même au rang d’affaire d’Etat son organisation, avec les événements de la gazra (squat) Bouamatou, permet au pouvoir de détourner notre attention des autres problèmes. On parle peu aujourd’hui de la crise économique. On reparle du dialogue mais dans la perspective d’une fin de quinquennat en 2019 et, qui sait, d’un troisième mandat pour Aziz.

Cette histoire de participation d’IRA aux heurts de la gazra Bouamatou, même vraie, a servi de prétexte. Elle rappelle le « montage » de 2008 contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, chargé à fond de tous les maux et mots par l’entourage du général Aziz. Poussé à commettre des « erreurs » à n’en pas finir, pour qu’elles servent de pièces de conviction politiques contre lui et justifient la « Rectification » : suggérer à Khattou, la Première Dame de l’époque, de créer une fondation et à Sidioca de prendre son bâton de…voyageur, le pousser à parler, même sous forme d’hypothèse, de la vente de la SNIM, le rapprocher des « gens » de l’Ancien Régime.

IRA a servi le pouvoir en lui permettant de focaliser sur elle tous les mauritaniens, amis ou ennemis. Grâce à son activité non stop, à l’intérieur et à l’extérieur, elle banalise une opposition qui cherche à sortir de son long sommeil. Une opposition qui préfère réagir au lieu d’agir. Une opposition qui a été prise à son propre piège en voulant suivre les événements, et non les provoquer. Une opposition qui a toujours joué et perdu.

Aujourd’hui IRA est morte ou presque mais est-ce la fin de nos problèmes ? Des soucis du pouvoir ? De cette question de l’esclavage ou de ses séquelles ?

Il n’y aura probablement plus de marches tous les mercredis pour demander la libération des militants arrêtés, peu de présentation de cas d’esclavage et de mobilisation. Les « rêves » de présidence en 2019 pour Biram relèvent sans doute de l’anecdote mais il est sûr que la question Harratines restera posée. Elle n’aura même pas besoin d’être défendue  dans les prochaines années. Elle dérange parce qu’elle est visible partout. Dans ces écoles où la condition des jeunes Harratines les empêche d’être, à cause de leur pauvreté, non de la couleur de leur peau. Cette armée où ils forment l’essentiel des troupes, à cause de leur ignorance et, aussi, d’une volonté tapie quelque part, d’empêcher leur ascension à ce levier du pouvoir. Ces gardiens, ces blanchisseurs, ces vendeuses de couscous…Ces marchés où on les trouve cuisinant, faisant du thé ou trimbalant des ballots. Ces chantiers, ces taxis, ces magasins, ces rues où ils luttent pour la survie par des petits commerces, malgré la chasse que leur livre la Communauté urbaine de Nouakchott.

Cette question nationale n’a pas besoin d’IRA pour être posée. Elle troublera la conscience de tout mauritanien qui sait qu’il y a urgence à agir dans le sens de plus de cohésion sociale. La question harratine doit être la priorité de tous. C’est une question nationale qu’il faut traiter prioritairement dans tout dialogue à venir. Il ne faut surtout pas compter sur le pouvoir qui la regardera toujours comme une aubaine parce qu’elle lui permet des manipulations en temps de crise politique. Et c’est là le danger qui menace l’unité nationale et même l’existence de notre pays.

 


Sommet de la Ligue arabe : coups gagnants pour Aziz

Le président Aziz, à l'ouverture du 27ème Sommet de la Ligue arabe (Photo : AMI)
Le président Aziz, à l’ouverture du 27ème Sommet de la Ligue arabe (Photo : AMI)

La force du président Aziz, c’est sa témérité. Son courage, diront ses admirateurs. Sa « folie » (des grandeurs), rétorqueront ses opposants.

Qu’on l’aime ou pas, il faut reconnaître que l’homme tire un grand bénéfice de sa propension à agir. A ses collaborateurs, il dit : faites et puis on verra après !

J’étais de ceux qui pensaient qu’organiser un sommet de la Ligue arabe à Nouakchott était une folie. A plusieurs égards. Mes raisons ?

Nouakchott n’est pas une ville au sens où l’entendent nos frères du Machrek et du Maghreb. Les premiers ont converti (enfoui) leurs pétrodollars en villes qui concurrencent, du point de vue de l’architecture, des équipements, des loisirs et du plaisir, les plus grandes cités d’Europe et d’Amérique. Les seconds (Marocains, Algériens, Tunisiens) se confondent, à nos yeux, avec nos « ancêtres les Gaulois ». Comment alors penser inviter tout ce beau monde à Nouakchott et, sans peser le pour et le contre, passer à l’acte ? Aziz l’a fait.

A voir le déroulement du 27ème sommet de la Ligue arabe, on voit bien que c’est un coup gagnant. « Nous organiserons ce sommet, même sous la tente », avait dit le président Aziz. Et, effectivement, une tente gigantesque a été dressée dans l’enceinte du Palais des congrès de Nouakchott pour accueillir les réunions du « sommeil » de la Ligue arabe.

Cette infrastructure de fortune a coûté une fortune : 700 millions d’ouvrages (2,5 millions de dollars US), rapportent certains médias. Mais qu’importe ! Organiser le premier sommet de la Ligue arabe à Nouakchott dans l’histoire du pays n’a pas de prix. Les 22 pays membres sont là. Si les Mauritaniens déplorent l’absence de plusieurs têtes couronnées (Salman d’Arabie saoudite, Mohamed VI du Maroc, Qabous d’Oman, Abdalla II de Jordanie, etc.) et de présidents qui comptent (Egypte, Tunisie), d’autres ont tenu à honorer leur hôte mauritanien (l’émir Temim du Qatar, l’émir du Koweït). C’est un succès diplomatique notoire. Et certainement une bonne perspective pour les investissements en Mauritanie. Ces deux pays comptent en effet beaucoup pour Nouakchott, puisqu’ils sont de ceux qui, avec l’Arabie saoudite, ont permis à la Mauritanie de faire face à la crise économique consécutive à la chute des prix des matières premières (fer, or, cuivre) depuis 2014.

Autre coup gagnant : l’ouverture, un mois avant ce sommet, du nouvel aéroport international de Nouakchott « Oumtounsi ». C’est l’occasion pour le gouvernement de couper court à toutes les critiques sur la réalisation de cette infrastructure qui aurait coûté, selon certaines estimations, près de 300 millions de dollars US. Si la Mauritanie ne disposait pas d’un tel aéroport, elle devait attendre encore longtemps avant d’envisager l’accueil d’un tel sommet.

Le dernier coup gagnant du président Aziz est d’avoir profité de l’organisation de ce sommet pour mettre à niveau certaines infrastructures de la capitale.

Certes, on ne sait quelles sommes ont été engagées dans cette opération, également suspectée de forts relents de gabegie, mais les Nouakchottois sont contents que leur ville ressemble enfin, dans sa partie « utile », à quelque chose. Ce travail « dans l’urgence » a été mitraillé par une opposition qui, faute de dialogue, ne manque aucune occasion pour tirer à boulets rouges sur un pouvoir qui lui rend « au double » sa monnaie.

Globalement donc, le sommet de Nouakchott est une réussite. La Mauritanie aura eu son « tour » et prouvé qu’elle peut organiser une grande rencontre. Les « frères » arabes sont venus, ont vu et l’on espère qu’ils reviendront pour investir. Enfin, Aziz a joué et gagné : jusqu’au prochain sommet, il se présentera comme le « chef » des Arabes, comme il l’a été, en 2014, pour les Africains.


Harratines : À y perdre son Hassanya, son Pulaar, son Soninké et son Ouolof

Jeune harratine (crédit photo : haratine.blogpost)
Jeune harratine (crédit photo : haratine.blogpost)

La cacophonie qui a suivi les dramatiques événements de la « gazra » (squat) sise à l’hôpital Bouamatou est révélatrice du malaise social grandissant en Mauritanie. Ces événements, spontanés ou fruits d’une manipulation à certains niveaux, ont dévoilé le degré de gravité que fait courir au pays le traitement que le pouvoir et l’élite accordent à la question de l’unité nationale et, plus particulièrement, à la problématique harratine.

Disons-le tout de suite : il y a dérive de part et d’autre. Parce que chaque camp ne comprend pas que si par malheur le problème sort de son cadre de recherche de solution pour une question de justice et d’égalité pour se transformer en une lutte à mort pour le pouvoir, avec le positionnement de chaque communauté, personne ne se sauvera seul. La violence des faibles peut devenir un pendant à la force des puissants. L’ordre qu’on veut instaurer à tout prix peut engendrer le désordre.

La responsabilité de l’Etat est d’être au-dessus des velléités de puissance et d’hégémonisme des groupes et de leurs élites. Si l’Etat n’est pas servi par ceux qui se tirent une balle dans le pied, en appelant, à partir d’un pays voisin, à une intervention extérieure pour régler une question strictement nationale, il l’est moins par ceux qui exacerbent les tensions communautaires au motif que leur groupe est menacé.

Nous devons comprendre, tous, la nécessité d’aller de l’avant. Le pouvoir ne doit plus initier des lois et aller à l’encontre de leur application. Il doit mettre un terme à ses contradictions flagrantes. L’esclavage n’existe plus. D’accord. Mais pourquoi des tribunaux pour punir ceux qui s’y adonnent alors ? Le mieux pour lui, et pour les centrales de milliers de Harratines libres, mais non libérés psychologiquement et économiquement, est de mettre en œuvre de VRAIS programmes de « réparation » du préjudice historique subi.

Le tort de tous les pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie de l’indépendance à nos jours, est de se complaire dans le paraître. La démocratie, les lois et le développement ne sont pas pensés pour nous mais pour un Occident qui nous regarde du haut de sa suprématie et de son égoïsme. Pour combattre Biram, il ne faut pas utiliser la même arme que lui: l’amplification.

Oui, il n’y a plus de marchés aux esclaves en Mauritanie mais il y a ce fait que les Harratines sont bien les « esclaves des temps modernes », pour utiliser une expression d’Albert Memmi évoquant la situation des travailleurs immigrés dans la France des années 60. Qui nierait cette réalité répond au mensonge d’IRA par un mensonge plus grand. Je souris en  entendant la perfidie de ceux qui disent que la misère touche tous les mauritaniens ! Oui, mais à quelles proportions ?

Je mets sur le compte de la politique politicienne les déclarations de ceux qui reprochent aux Négro-mauritaniens de « s’appuyer » sur les Harratines contre les Maures, alors qu’en 1989 cette même communauté a été accusée d’avoir servi de bras armé dans les douloureux évènements que le pays a vécus. Tout est vérité ou tout est mensonge. C’est une question de rapport de forces qui m’a poussé dans des écrits antérieurs à dire qu’il faut laisser les Harratines être eux-mêmes.

Le recours à l’extérieur n’a jamais rien réglé. J’ai parlé du paraître de notre démocratie, de nos lois et de nos chiffres destinés à la consommation extérieure. Je dirais également à mon ami Biram qu’il ne faut pas que l’accumulation de médailles et de distinctions lui fasse perdre de vue le sens de la mesure et du discernement. Je range dans le même sac ces distinctions et les récents « succès » de notre diplomatie.

Le linge sale se lave BIEN en famille. L’appel lancé aux « cousins » d’Afrique pour aider au règlement d’un problème entre frères (ne serait-ce qu’au sens religieux du terme) est une erreur monumentale. Voyons ce qui se passe en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen. Nous avons évité d’être emportés par la vague de ces faux « printemps arabes » mais rien ne garantit que nos erreurs répétitives ne provoquent, demain, l’irréparable.


Agriculture : l’Afrique revendique toujours son « droit à la paresse »

Vue de l'atelier d'Abidjan sur l'agriculture (photo : AMI)
Vue de l’atelier d’Abidjan sur l’agriculture (photo : AMI)

À Abidjan, l’African Media Initiative (AMI) et la Banque mondiale avaient réuni, du 12 au 16 juin 2016, une cinquantaine de journalistes et de blogueurs venant d’une vingtaine de pays. Le thème choisi, l’agriculture, parait ordinaire, mais la problématique abordée l’était moins : renforcer les capacités et la couverture des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique subsaharienne.

A l’arrivée, j’avais certaines appréhensions : que va-t-on (encore) dire ? On restera sans doute dans une logique « banque-mondialiste » de perspectives et de stratégies, d’adoption et non d’adaptation, de similitudes débouchant, invariablement, à des simulations. En fait, une Afrique qui se cherche, soixante ans après l’indépendance de la plupart de ses États.

Pourtant cet atelier avait sa particularité. Le diagnostic des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique avait valeur d’autocritique pour ne pas dire d’autoflagellation. Critiques envers les dirigeants qui ont échoué à faire décoller les économies de leurs pays. Critiques envers les experts nationaux et internationaux qui pensent et repensent des politiques ne tenant souvent pas compte de « l’existant ». Enfin, critiques envers les journalistes africains, « coupables » de n’accorder à ce secteur vital que 10% de leur couverture médiatique. C’était d’ailleurs là la raison d’être de cet atelier qui se voulait être un « éveil » à l’agriculture. Et le choix de la Côte d’Ivoire, en ce sens, était loin d’être innocent.

Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)
Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)

Après deux journées sur le terrain, les journalistes ont découvert, après deux journées de réflexion intenses, qu’il y avait bien des choix économiques stratégiques possibles.

Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, ce choix était de miser, pratiquement TOUT, sur le secteur agricole. Certes, au début de l’indépendance, le président Houphouët-Boigny avait fait sienne cette orientation, malheureusement elle n’avait pas suffisamment bénéficié de la « vulgarisation » médiatique nécessaire. Se faisant comme en vase clos, sa portée d’exemple pour le reste de l’Afrique était très limitée. Pour un pays dont l’agriculture constitue 47% des exportations et près de 30% du PIB, c’était comme une sorte de négligence coupable.
Certains pays, ceux qui ont les mêmes potentialités que la Côte d’Ivoire, devraient être en mesure de « copier » l’exemple ivoirien. Mais il faut d’abord que cette expérience soit connue et reconnue. Éric Chinje, PDG de l’African Media Initiative (AMI), insiste sur cet aspect de la question : les journalistes africains doivent désormais s’impliquer totalement dans les questions de développement du continent. Ils doivent comprendre que ce n’est pas seulement une affaire de politiques et d’experts, qui les place, eux, dans la position statique de « l’attente du communiqué de presse ».

L’atelier d’Abidjan doit être le point de départ de cette nouvelle perception qui fait qu’aucun développement n’est possible sans une couverture médiatique pertinente des questions essentielles (comme, par exemple, les choix économiques stratégique, dont fait partie l’agriculture). Fournir des éléments essentiels pour forcer la décision dans les domaines fondamentaux. Laisser de côté les « bavardages » sur les stars et les personnalités politiques, dira un intervenant de la Banque mondiale. Mener un travail avec les institutions sur des questions comme celle de l’agriculture (qui représente près de 50% du PIB) et celle de la création de l’emploi. L’agriculture est vraiment un secteur dominant, bien que les gouvernements ne lui allouent qu’entre 3% et 10% de leur budget, cela représente une grande part de leurs ressources !

Les Africains dépensent 37 milliards de dollars US pour importer ce qu’ils consomment alors que les 2/3 des terres arables du continent sont inutilisées ! Ce ratio révèle les paradoxes d’une Afrique potentiellement riche mais qui peine à « transformer ses défis en masse d’opportunités », dira l’un des intervenants de la première journée.

Pour cela, les Africains doivent cesser de réclamer leur « droit à la paresse ». L’émergence ne se décrète pas, elle est acte ! Action ! Parmi les 3 milliards de personnes (petits producteurs) qui vivent de l’agriculture et produisent 70% de ce que nous consommons, la part de l’Afrique est moindre. Et si en 2016, le nombre d’obèses (2 milliards) dépasse, pour la première fois,  le nombre des personnes qui ont faim, les 2/3 de ces « sur-nourris » vivent dans les pays développés. Les Africains ne doivent plus attendre que le riz qu’ils mangent leur arrive de Thaïlande ou que le blé leur soit acheminé de Russie ou des USA. Comment l’Afrique doit-elle faire alors pour fausser les prévisions dans le bon sens ? Ne pas attendre, par exemple, 2030, pour produire SEULEMENT 35% de sa consommation. C’est maintenant aux journalistes de s’impliquer davantage, pour pousser dans ce sens.

Sneiba Mohamed

« Le Droit à la paresse » : ouvrage de Paul Lafargue, paru en 1880.


Je persiste et signe

imagesNous irons (encore) au dialogue. D’accord. Certains partis choisiront la politique de la chaise vide. On n’en doute pas puisque les désaccords sont encore nombreux. Préalables. Attaques, coups bas, (d)ébats sur les plateaux de télévision. L’Union pour la République (UPR) explique l’inexplicable. L’opposition réplique. Le dialogue est déjà là non ? Dialogue de sourds. Chacun tient à sa vérité.

Le pouvoir dit avoir transformé la Mauritanie en Eldorado. Il « a fait en sept ans ce que tous les autres n’ont réussi en quarante ans ». Dixit la bande à Ould Maham. Le patron du parti au pouvoir. Avant Aziz, il n’ y avait rien ? RIEN. Aucune route. Celle qui relie Nouakchott à Néma sur 1200 km était synonyme de désespoir. Les habitants des six régions qu’elle désenclave (Trarza, Brakna, Tagant, Assaba, Hodh Gharbi, Hodh Chargui) ont fini même par oublier jusqu’au nom du président qui l’avait construite. L’oubli est la « vertu » la mieux partagée en Mauritanie. Depuis toujours, un président en chasse un autre. Donc une chaîne d’oublis : Daddah, Ould Mohamed Saleck, Louly, Haidalla, Maaouiya, Ely, Sidioca. Aziz. Vive ! Vive ! L’histoire n’a commencé qu’en 2008. Le développement aussi.

La route Nouakchott-Nouadhibou, longue de 470 km, n’est plus évoquée que parce qu’il y a la ville de Chami. Notre Dubaï à nous. Une ville (presque) sans habitants. Et donc sans activités. Sans raison d’être autre que celle de s’entendre dire : nous avons créé une ville ex nihilo. Il est vrai que quand on parcourt cinq cents kilomètres, on a besoin d’escale pour boire du thé ou un coca mais la Gare du Nord jouait parfaitement ce rôle. Mais bon, Chami fait maintenant partie du décor ; il faut donc faire avec.

Domsat, le projet d’électrification des 13 villes, la route de Tidjikja, celle d’Aleg-Boghé-Kaédi ou encore de Rosso-Boghé, c’est de l’histoire ancienne ça. Ce qui compte aujourd’hui, ce sont les chantiers de l’est du pays. Amourj, Barkeol, Bassiknou…Ça c’est du Aziz premier choix. Même si des réalisations comme « Aftout essahili » ou la route Tidjikja-Atar sont des projets recyclés. Comme nos hommes politiques qui, par attachement à la Mauritanie Nouvelle, oublient leur statut d’Anciens. Cheikh Al Avia, Kaba, Zahav, Zamel, Sghair, Ba Bocar Soulé, Moudir Ould Bouna, Isselmou Ould Mohamed El Moustaf, Sidi Ould Didi, Mohamed Mahmoud Ould Brahim Khlil. J’en cite dix, il y en a des centaines, voire des milliers.

Mais bon, là n’est pas le problème. Comme le dit si bien un « journuliste » devenu « quelque chose », les lignes bougent. On n’est pas condamné à rester à l’opposition mais quand on va avec le pouvoir, on ne doit pas oublier d’où l’on vient. Le justifiable n’est pas le juste tout comme l’opinion n’est pas (forcément) la vérité.

Je vais avec le pouvoir parce qu’il m’accorde des privilèges, malgré mon incompétence. J’allais finir mes jours comme simple prof de collège ou agent d’une banque « tribale », si le pouvoir, adepte de la sélection par le bas, ne m’avait coopté dans son armée de « safagaa » (laudateurs).

On va me dire que j’attaque, une fois de plus, la majorité. Oui. Je suis contre les perfidies. Oui, le régime de Taya était mauvais. Oui, la transition militaire de 2005-2007 avait était menée comme une année sabbatique où tout était permis. L’année des manœuvres. Et tout ce que nous vivons aujourd’hui est le résultat de ses dérivés. Les putschistes, divisés en deux camps, et les « ciwil » qui les soutenaient (les manipulaient plutôt) ne jouaient pas à visage découvert.

Je sais qu’avec un autre qu’Aziz, la situation allait être la même. Peut-être pire, qui sait ? C’est une affaire de système, pas d’hommes ou de femmes.

Je persiste et signe en disant que la Mauritanie est malade de sa classe politique. L’amour pour la patrie est un « mensonge rouge ». Aziz a donné la démocratie, en « putschant » Taya. Peut-être. Il a protégé cette même démocratie en arrachant le pouvoir à Sidioca. Hum ! Il a plutôt transformé la démocratie naissante en démogâchis. L’opportunisme a fait florès. Les jeunes l’apprennent de plus en plus à l’école des grands. On pleure en expliquant le discours du raïs. On monte sur ses grands chevaux quand l’opposition s’oppose. Voudrait-on qu’elle applaudisse à tout rompre ôtant ainsi à la démocratie sa raison d’être ?

Je persiste et signe en disant que nous n’avons pas d’opposition. Seulement des « opposés ». Opposés qui s’opposent. Cupad et FNDU, coalition contre coalition, modérée contre radicale. Opposés à Aziz. Opposés à tout ce qui n’assure pas l’arrivée (ou le retour) aux affaires. Je vous l’ai dit, la Mauritanie est malade de sa classe politique. Il y a les opportunistes de la majorité mais aussi les aigris de l’opposition. Entre les deux, une minorité de patriotes qui cherchent à sauver ce qui peut encore l’être.

 

 

 

 

 

 


Partir : la question n’est pas de savoir quand mais comment ?

Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : google)
Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : google)

Les changements que la Mauritanie connaîtra, à la fin du deuxième mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz, favorisent de nouveaux « placements », au sens économique et financier du terme. L’effervescence politique actuelle est symptomatique. Chacun, dans le camp de la majorité, veut assurer un gain. Il table sur une double hypothèse : Aziz peut choisir de partir ou décider de rester. Dans un cas comme dans l’autre, il faut agir. Accompagner la mise en place de l’échafaudage politique que l’homme fort du moment mettra en place pour préparer sa « succession » (il a dit lui-même à Néma qu’il n’est pas question de laisser l’opposition arriver au pouvoir) ou continuer à gérer le pays en faisant fi de la clause qui limite les mandats présidentiels à deux.

Contrairement à ce que pensent beaucoup de mauritaniens, le sort du président Aziz n’est pas entre les mains du peuple. Un référendum est un acte formel qui vient « valider » la volonté du pouvoir en place. La rue, a démontré, depuis 2011, qu’elle reste en dehors des contingences politiques entre un pouvoir fort de sa majorité vaseuse et une opposition fluctuante.

Tant qu’il plait à l’armée et à l’Occident, Aziz n’aura pas à s’inquiéter. Il peut modifier la constitution, la « tuer » même, rien ne viendra perturber sa stratégie de conquête et de conservation du pouvoir entamée en 2005. La seule chose dont il doit se méfier c’est de continuer à négliger la détérioration des conditions de vie des populations. C’est ce qui a réellement perdu Taya, dès 2003, quand tout le monde avait commencé à sentir la fragilité de son système après 20 ans de règne sans partage.

Sur ce plan, la sonnette d’alarme est déjà tirée. La popularité du rais, à l’aune des discussions de salons et de bureaux, mais aussi dans les moyens de transports publics et sur les réseaux sociaux, est largement entamée. Rien à voir avec 2008 où des actions d’éclat à Hay Saken (quartier pop de  Nouakchott), le renvoi de l’ambassade d’Israël ou la mise à niveau des forces armées et de sécurité l’avaient présenté comme le digne héritier du « Père de la Nation », feu Moctar Ould Daddah.

Aujourd’hui, dix ans après, le système légué par Taya a repris ses droits. La « coalition » entre les trois pouvoirs (la tribu, l’argent et le savoir) a repris les choses en main. Le président est à nouveau son otage. Elle se sert de lui alors qu’il croit qu’elle le sert.

Cette coalition, ce système, est responsable des choix politiques désastreux. Elle est aussi responsable d’une crise politique qu’elle sait entretenir à merveille parce que sa raison d’être est qu’il y ait toujours une opposition diabolisée à outrance. Une opposition qui, elle aussi, fait le jeu de cette majorité en exacerbant les tensions par des déclarations à l’emporte-pièce et des calculs erronés sur la « fin de règne » d’Aziz.

Aziz ne doit cependant pas perdre de vue qu’il partira bien un jour. Le « quand » n’importe que pour ceux qui sont attachés à la démocratie (le principe des deux mandats), qui lient leur sort à celui d’un homme (la question des privilèges) ou qui pensent avoir une chance de lui succéder (l’opposition).

Le « comment » partir est la seule question qui vaille pour Aziz. Indépendamment de ses réalisations ou de ses erreurs, c’est sa façon de quitter le pouvoir qui déterminera sa place dans l’Histoire. Son entrée dans celle-ci, le 03 août 2005, a été annihilée par sa rebuffade-rectification du 06 août 2008. Un coup de tête fortement encouragé, on le sait, par cette majorité qui cherche aujourd’hui à le pousser à rester, non pas par attachement à lui (demandez à Taya) mais pour ses propres intérêts.

Si Aziz décide de quitter le pouvoir, volontairement, il pourra recouvrir une bonne partie de son aura politique et militaire acquise aux forceps. Mais s’il décide d’écouter les sirènes du troisième mandat, il doit savoir qu’il partira quand même un jour. Probablement avec les honneurs en moins.


Autour d’un thé : Sacrée Mauritanie !

Aziz sur le "front" de guerre contre le terrorisme (photo : noorinfo)
Aziz sur le « front » de guerre contre le terrorisme (photo : noorinfo)

Sacrée Mauritanie ! C’est inédit, historiquement parlant, que des mots clairement proférés en hassaniya fassent l’objet d’aussi mystérieuses interprétations. Pourquoi tout ce grabuge autour de quelques phrases prononcées, comme ça, mine de rien, dans un meeting populaire ? Ne dit-on pas que le grand dit son mot et le petit se tait ?

 

Quoi de plus grand qu’un président qui a encore, devant lui, trois années de son second mandat ? Qui connaît la volonté d’Allah ? Y a que ça : personne ne sait de quoi demain sera fait. Comme l’ont dit les bons harratines aux mauvais harratines, le Président ne s’adressait pas à vous.

 

Quelque chose comme soixante-dix enfants, certains à Tarhil¹, d’autres à la kebba² du Wharf, Dar El Beïdha, Neteg ou Kossovo. Pour un salaire de cinq cent mille, ça ne va pas. A plus forte raison, pour un salaire de moins de cinquante mille. Mais, ça, c’est pas que les Harratines ! Il ne faut pas vous faire adresser ce qui ne vous est pas adressé.

 

Ça, ce sont les séquelles de l’esclavage. Qui, soit dit en passant, n’existe pas que chez les Beïdanes³ dont vous n’êtes, mettez-vous bien ça dans le crâne, une bonne fois pour toutes, qu’une composante. Assalamou aleikoum : Aziz ne parle pas de vous. Mais depuis quelques temps, les Harratines ont la peau – et l’oreille – très fine.

 

Compliquée Mauritanie… Expliquer le hassaniya en hassaniya : « Harratines » ne veut plus simplement dire anciens et descendants d’esclaves. Les vingt-deux meetings de Nouakchott avaient pour objectif de démontrer que le concept englobe, désormais, tous les Mauritaniens : libres et esclaves dans le même paquet.

 

S’il y a insultes, c’est envers et contre tous. La majorité, c’est pas seulement que les Beïdanes et les Lekwar (négro-mauritaniens). Nooooon, c’est aussi les Bons harratines. A Néma et comme par enchantement, tous les Mauritaniens comprenaient, le 3 Mai, parfaitement le hassaniya.

 

C’est pourquoi, comme le disait si bien un ministre harratine, si celui qui parlait est con, ceux qui l’écoutaient sont intelligents. Les oppositions, ce ne sont pas seulement les Beïdanes. Nooooon, c’est aussi les mauvais harratines, les Lekwars et les islamistes.

 

Ces gens qu’il faut exterminer complètement, selon une proposition collinaire d’un certain conseiller présidentiel qui leur reprocherait d’être l’ennemi public numéro un, loin devant la mauvaise opposition, ennemi public numéro deux, juste devant quelques bandits de la Société civile, ennemi public numéro trois, qui ont inspiré un indélicat rapporteur spécial des Nations Unies sur la pauvreté, ennemi public numéro quatre peu reconnaissant et même pas comme les autres rapporteurs spéciaux.

 

Lui ne semble guère avoir beaucoup apprécié notre méchoui national, assorti de nos si jolis petits plats d’hors-d’œuvre, dattes et de boissons si délicieuses, si bien servis par de si bons harratines, un vrai panachage. Avec de si jolis sourires de si belles demoiselles, dames et autres.

 

Pouh ! Un rapporteur spécial qui ne sait pas apprécier le méchoui, le riz basmati bien assaisonné et le thé parfumé à la bonne menthe, ne peut produire que de mauvais rapports sur la Mauritanie ! Imaginez un rapporteur spécial missionné, par exemple, en Côte d’Ivoire, qui ne prenne pas goût au Aloko ou à l’Atiéké.

 

Sûr qu’il ne racontera que des cracks sur ce pays ! Alors que, s’il sait bien danser le pépé décalé, qu’il boive un bon verre à la terrasse du grand Bassam, alors là, oh la la, il saura quoi et justement bien dire ! Un rapporteur qui rapporte des idioties est un mauvais rapporteur. Vraiment très spécial. Ça, au moins, c’est vrai.

 

Et, manque de pot, le nôtre, là, de rapporteur est vraiment spécial. Mais il vient d’où, celui-là ? La pauvreté est partout. Elle n’est pas spéciale. Elle n’a rien de spécial. Il y a des beïdanes pauvres, Des kwars pauvres, des harratines pauvres.

 

Il y a, même, un président des pauvres ! En Mauritanie, la pauvreté, elle est bien traitée : elle a son Président. Mais si le rapporteur spécial ne voit qu’une pauvreté spéciale, quoi faire, alors ? Rapporteur spécial. Pauvreté spéciale. Rapport spécial. Rapporteur. Equerre.

 

Règle plate. Compas. Ardoise. Esclavage. Pauvreté. Racisme. Violences. Nouvelles formes d’exploitation. Quand on ne sait pas apprécier un bon méchoui, impossible d’établir un bon rapport. CQFD. Salut.

Sneiba (Le Calame)

 

1. Littéralement  : les déplacés. L’une des nouvelles zones d’habitations populaires de Nouakchott.

2. Littéralement : dépotoir, décharge, autre quartier pauvre de Nouakchott.

3. « Blancs ». Les Maures.


Les leaders d’IRA sortent de prison : les dessous d’une libération

Biram et Brahim, président et vice-président d'IRA (photo : alakhbar)
Biram et Brahim, président et vice-président d’IRA (photo : alakhbar)

La Cour suprême a prononcé ce 17 mai le verdict tant attendu. Un verdict qui met fin à l’incarcération de Biram Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Bilal Ramadan, respectivement président et vice-président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA), organisation non reconnue.

Cette libération met fin à un emprisonnement qui, sans être le premier dans la vie des leaders d’IRA, a été considéré par bon nombre d’observateurs comme éminemment politique. L’Ambassade des Etats-unis à Nouakchott a été la première à saluer cette libération et à réaffirmer son soutien à IRA.

Le motif évoqué par les autorités, lors de l’arrestation de Biram, Prix des droits de l’homme de l’Onu, en 2013 et de Brahim, il y a 16 mois, était due à leur participation à une marche contre l’esclavage foncier, partie de Boghé pour arriver à Rosso, 193 kilomètres plus loin, sur la route reliant ces deux villes de la Vallée du Fleuve Sénégal.

Incarcérés d’abord à Rosso, puis à Aleg, ils ont fini par être transférés à Nouakchott. Un long bras de fer a alors commencé avec les autorités qui, sous la pression conjuguée des manifestations organisées par les militants d’IRA chaque mercredi, et des appels des chancelleries occidentales présentes à Nouakchott, auraient tenté d’accorder aux deux encombrants détenus une liberté provisoire. Les leaders d’IRA m’avaient déclaré, lors de la visite que je leur avais rendue en prison, il y a trois mois, que l’acceptation d’une liberté provisoire équivaut à celle de tout le processus antérieur, entaché d’irrégularités.

 

Pourquoi le pouvoir lâche du lest ?

 

Biram entouré par des éléments de sa sécurité
Biram entouré par des éléments de sa sécurité

D’aucuns s’interrogent sur les mobiles qui ont poussé le pouvoir à libérer ces deux militants anti-esclavagistes.

La libération intervient à deux semaines du « discours de Néma » prononcé par le président Aziz et dont la partie concernant l’esclavage et ses séquelles a encore échauffé les esprits des Harratines, qui revendiquent représenter au moins 45% de la population du pays. Appelés de manière à peine voilée à une limitation des naissances, leur croissance démographique commence à gêner. La libération de Biram et de Brahim peut-elle apaiser un climat très tendu ? Rien n’est moins sûr.

On peut aussi considérer que l’arrestation du président d’IRA et de son adjoint avait pour seul objectif de les empêcher de perturber, à l’étranger, l’EPU (Examen périodique universel) de la Mauritanie, passé à Genève, en novembre 2015 avec des résultats mitigés.

Le dernier passage en Mauritanie de Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme a tellement exacerbé le régime de Nouakchott qu’il pourrait avoir joué en faveur de cette libération. Ce passage du communiqué publié à l’issue de cette visite a soulevé un véritable tollé au sein de l’élite maure : « les harratines et les négro-africains sont systématiquement absents de toutes les positions du pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces deux groupes représentent plus de deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles. »

Les dénonciations continuent encore à fuser d’organisations non gouvernementales proches du pouvoir, voyant dans le propos du responsable onusien une façon d’attiser la haine entre les communautés nationales qui, depuis l’indépendance du pays, font du partage du pouvoir une question essentielle.

Toujours est-il que, dès leur sortie de prison, les deux leaders d’IRA ont réaffirmé leur volonté de continuer la lutte contre l’esclavage et l’injustice. La lettre écrite par Biram, à la veille du verdict de la cour suprême, était même une sorte de provocation et une manière de dire que la prison n’a fait que raffermir sa position : « Je puis t’affirmer ici, à toi et à la clique qui te sert de laudateurs, que je n’attends rien de toi,  ni avant le 17 mai 2016, ni pendant cette journée là et encore moins après.  Je ne me sens pas concerné par tes verdicts que je ne reconnais pas. Alors, que ce soit deux ans, dix ans ou vingt ans, il n’y aura d’alternative à la confrontation, à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison. Nous proposons et Allah dispose. »


Mauritanie : l’or qui appauvrit

Chercheurs d'or (caricature de Taqadoumy.com)
Chercheurs d’or (caricature de Taqadoumy.com)

La fièvre de l’or est en train de retomber. Lentement mais sûrement. Laissant dans son sillage des histoires qui font pleurer ou rire. Si la ruée de l’or a fait des heureux (je n’ose parler de riches), elle a aussi provoqué la ruine ou l’appauvrissement du plus grand nombre.

C’étaient des histoires que j’entendais tous les jours sans les croire. Jusqu’au jour où j’apprends celle-ci de la bouche d’un homme venu de la « Mauritanie profonde », d’une région de l’Est, pour se lancer dans l’aventure de l’or.

Il s’occupait paisiblement de son troupeau de vaches, attendant l’hivernage qui approche pour pousser un ouf de soulagement. Il calculait déjà les acquis de l’année écoulée se disant qu’il dégagera un bénéfice consistant puisqu’il n’a pas eu à dépenser beaucoup durant la période de soudure. Mais quand il entendit parler de l’or, il perdit la tête. L’or qu’on ramasserait à la pelle, avec des moyens rudimentaires. Et un petit investissement. Il suffit de vendre quelques taureaux et vaches pour avoir l’argent nécessaire.

L’homme en question, qui racontait son histoire dans un taxi, a mobilisé rapidement 2600000 UM (7000 euros) pour acheter le détecteur, louer un véhicule tout-terrain, engager des « bras » solides et se ravitailler pour une aventure d’une semaine qu’il imaginait déjà « en or ».

Une semaine au bout de laquelle il est rentré à Nouakchott bredouille. L’or n’est qu’un mythe. En tout cas pour de nombreux mauritaniens, jeunes et vieux, qui ont cédé à la tentation.

Certains commencent à penser que c’est une histoire créée de toutes pièces par les RG (renseignements généraux). Dans le but d’occuper le peuple. Ce dernier avait l’esprit tourmenté par la montée vertigineuse des prix. Et le regard tourné vers Néma où le président Aziz devait annoncer un amendement de la constitution. On attendait le gaz de Banda et de Tortue 1. On retrouvait le sourire à l’annonce du retour des capitaux arabes, suite à l’engagement de la Mauritanie aux côtés de l’Arabie saoudite. Contre l’Iran. Et, subitement, on nous sort cette histoire « en or ».

Campement de chercheurs d'or (crédit photo : elhourriya.net)
Campement de chercheurs d’or (crédit photo : elhourriya.net)

« En or » pour ces importateurs de détecteurs qui ont fait passer les prix de leurs appareils de 500000 UM à près de deux millions ! Pour le Trésor public qui a renfloué ses caisses en exigeant le dédouanement de ces appareils importés de partout et de nulle part, à 300 000 UM et le payement de 100000 UM pour la délivrance du permis. Pour les agences de location de voitures. Pour tous les commerces de ravitaillement.

Pour faire face à toutes ces dépenses, certains ont vendu leurs voitures. D’autres « casse-cous » sont allés plus loin en vendant leurs maisons, se disant que si le sort leur sourit, ils pourront se rattraper et largement. Une hypothèse.

Installations de la société Tasiast (photo : google°
Installations de la société Tasiast (photo : google°

Le désespoir a failli pousser des chercheurs d’or à pénétrer dans les concessions appartenant à des compagnies étrangères comme Tasiast. Ils imaginent mal que cette société propriété du géant minier Kinross (Canada) puisse amasser des milliards en Mauritanie alors qu’eux ne tirent aucun profit des richesses de leur sous-sol. Ils oublient que les moyens et les méthodes sont différents. L’or qui enrichit les actionnaires de Kinross, certains hauts responsables mauritaniens et les commerçants ayant profité de l’importation de détecteurs, est en train de ruiner des dizaines de milliers de mauritaniens ayant succombés à la tentation…du diable.


Discours de Néma : Quand Aziz se prend trop au sérieux, vous devez avoir peur

Le président Aziz (photo : AMI)
Le président Aziz (photo : AMI)

Aziz a parlé. A évoqué les questions sur lesquelles il était attendu depuis l’annonce de la visite de Néma. Situation économique du pays. Sécurité. Réalisations. Chiffres. Politique. Dialogue. Constitution. Opposition. Esclavage. Démocratie. Sans ordre précis. Donc désordre. Va-et-vient. Dérapage. Oublis. Imprécisions. Indélicatesses. Quelques vérités. Beaucoup de contre-vérités. Voulues par lui ou par ceux qui l’ont « ravitaillé » en chiffres et en idées politiques saugrenues.

Aziz a parlé.

Il y avait du monde, il faut le reconnaître. Mais pas les SEULS habitants de Néma, ni même du Hodh Chargui. Les gens sont venus de partout : de Nouakchott, en très grand nombre. Du Hodh Al Gharbi et de l’Assaba voisins. D’autres régions certainement. Et probablement du Mali. Un meeting pas ordinaire. Donc, impossible de dire si le Hodh Chargui est toujours cette région majoritairement acquise au pouvoir. À tous les pouvoirs. Ceci n’a peut-être pas trop d’importance mais c’est un constat.

Aziz a parlé.

Mais avons-nous bien entendu ce qu’il a dit ? Entendu, au sens de comprendre pour ceux qui restent au niveau de la linéarité du discours du président.

Je pose la question parce que, quand Aziz se prend trop au sérieux, il faut avoir peur. Il perd alors sa spontanéité. Lui dont l’une des qualités est de dire ce qu’il pense. Sans se soucier des conséquences. Par exemple, l’allusion à son refus de se plier à la volonté de la France en s’engageant tête baissée au Mali est une chose à ne pas dire dans un meeting populaire. Le peuple va applaudir cette sortie à relents populistes, mais Paris peut grincer des dents.

Aziz a parlé.

Il s’est appuyé sur les dires des autres. Les chiffres des autres. Leurs allégations. Il a dit ce que ses « ministrés » disent. Répété le discours de l’Union pour la République (UPR) qui, de par sa qualité de parti au pouvoir, assume (toujours) sans s’assumer.

Quand Aziz dit mon « gouvernement a fait », il parle de croyances. D’une somme de données concoctées à la hâte pour lui. Le même discours. Les mêmes (in)certitudes. Les mêmes repères. 2007 et maintenant. Les mêmes contrevérités : les hommes politiques de l’Ancien Régime sont de l’autre côté! A l’opposition. Il oublie tous les anciens Premiers ministres (Cheikh El Avia, Sghair, Sidi Mohamed Ould Boubacar, Ould Guig). Il oublie que 80% des anciens ministres sont aujourd’hui à l’UPR ou dans l’antichambre de ce parti. Sa « majorité ». Certes, ils ne sont pas revenus au gouvernement mais ils sont ambassadeurs, conseillers, directeurs de « quelque chose » ou présidents de conseils d’administration. Il oublie les chefs de tribus. Il s’oublie. Exactement comme quand il parle de ces pères de familles (harratines) négligents, ne pouvant pas encadrer convenablement leurs progénitures.

Aziz a parlé

De chiffres. Du budget qui a doublé (toujours entre 2007 et maintenant) mais pas des prix qui ont été multipliés par cinq au cours de cette période. Il a parlé de la dette intérieure du pays ramenée à des proportions « acceptables » grâce à la diminution du taux d’intérêt (passé de 14% à 4%), mais aucun mot sur la dette extérieure de la Mauritanie qui a atteint aujourd’hui le seuil critique de 4 milliards de dollars US. Même Taya, vu par l’ancien chef de ses « janissaires » comme le symbole de la gabegie, n’a pas réussi un tel « exploit ». L’emprunt sans vergogne, orchestré par le ministre Ould Tah, et après lui par Ould Rayess et Ould Diay, l’APD et les ressources providentielles tirées de l’exploitation du fer, de l’or et du cuivre comptent-ils pour des miettes aux yeux d’un gouvernement fanfaron ? Des milliards de dollars investis, « sans études » dans des projets dont certains se sont avérés par la suite des éléphants blancs : Ribat El bahr, la fameuse ville touristique de 50000 habitants, la zone franche de Nouadhibou, dont se plaignent aujourd’hui les habitants de la capitale économique, Chami, la ville fantôme, la grande mosquée de Nouakchott qu’on attend depuis 2009 et qui ne verra le jour que quand la cité « Nejah » surgira sur l’aire de l’ancien aéroport international de Nouakchott…

Aziz a parlé.

De la démocratie « qui se porte à merveille » ! Alors que lui qualifie ses opposants d’ennemis de la nation, de « menteurs » et de…vauriens ! C’est ce que j’ai compris quand il a dit que le gouvernement agit et l’opposition « s’occupe » en parlant. Une démocratie qui soigne ses plaies par un dialogue sans cesse renouvelé. Aziz a dit qu’il y en aura un « dans quatre semaines, au plus ». Un dialogue prêt-à-porter quoi. Je vous ai dit qu’il faut craindre le rais quand il se prend trop au sérieux. Il a même annoncé quelques « menus » déjà au frigo et qu’il faudra réchauffer le moment venu : dissolution du sénat-gazra et création de conseils régionaux. Il ne s’agit pas de « propositions » mais de décisions déjà entérinées. Aziz l’a dit et il dispose des moyens nécessaires pour le faire : SA majorité et SON opposition. Pas celle qu’il qualifie de tous les mots et maux. Cette dernière peut venir, « merehba » (bienvenue) ou rester (tant pis).

Aziz a dit.

Il n’y a pas de prisonniers d’opinion. Biram et Brahim, emprisonnés pour avoir affirmé que l’esclavage foncier existe (et marché pour le dénoncer) sont considérés alors comme quoi ? Des meurtriers ? Des voleurs ?

Aziz a parlé.

De la constitution et c’était le moment fort de son discours. La constitution, « qui n’est pas le Coran » sera bien changée. Alors l’appel des « ministrés » Ould Diay et Ould Daddah n’était pas une sortie hasardeuse. Ils préparaient le terrain à ce fameux discours de Néma. D’ailleurs, le président a même repris, sur le ton de l’humour, le propos de l’un d’entre eux.

L’on comprend en écoutant Aziz parler de la « nécessaire » dissolution du sénat, un « copier-coller » dont l’on se rend compte maintenant, et de la création de conseils régionaux, que ce sera le loup dans la bergerie. Les changements au nom de la décentralisation sont loin d’être innocents. Quand on déplace une brique, on peut être obligé de toucher les autres. La constitution est une structure dont les éléments sont solidaires. Il ne s’agit pas de juxtaposition de lois et d’articles. La décentralisation renforcera les pouvoirs du Premier ministre. On peut alors se retrouver dans un contexte comme celui de 1981, avec Haidalla, pour ne pas avoir à aller chercher la pirouette politique du « je quitte tout en restant » dans la Russie de Poutine ou la Turquie d’Erdogan. J’avoue cependant que si c’est la voie que choisira Aziz, il restera dans la légalité. Du point de vue forme, pas du fond. Et ce sera un moindre mal.

Mais s’il décide de forcer la porte du troisième mandat ? S’il s’abrite derrière « c’est le peuple qui cherche à garantir la pérennité de sa démocratie » ? C’est le peuple qui veut. Qui peut.

Aziz a-t-il voulu aller dans ce sens quand il a blâmé une opposition qui appelait à son « rahil » (départ), alors que, disait-il, j’ai été élu par le peuple ? Dans la bouche d’Aziz, « le peuple décide » a la même valeur que la « fronde » qui avait fini par emporter Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi en 2008. A Néma, le signal a été donné et le Bataillon Civil au Service du Président, conduit par Ould Maham, peut commencer les manœuvres. Une nouvelle « Rectification » est en marche.

 

 

 

 

 


Visite de Néma : la revanche de Taya∗

L’ancien président Taya (1984-2005)

Gens de Néma (et du Hodh Chargui), détrompez-vous ! L’intérêt que vous accordent les hommes politiques de la « majorité », particulièrement le parti (non) au pouvoir, l’Union pour la République (UPR), la radio, la télévision officielle, l’agence mauritanienne d’information, la presse officieuse, « peshmergas » en tête, les intellectuels et même vos élus, est factice. Aujourd’hui est comme hier.

C’est seulement parce que le président a décidé de se rendre dans votre région, comme ci, comme ça, que les autres vous envahissent. Que les regards se tournent vers vous. Que la vie s’arrête à Nouakchott. Et dans tout le pays. Que vous êtes subitement dans toutes les bouches. Vous revivez non pas par vous, pour vous, mais par le président et pour lui. Vous devenez le centre de tout. Vous n’êtes plus « l’est du pays ». Ce « Charg » que certains désignent avec un manque de condescendance. A tort, bien sûr. La TVM ouvre son « journul » sur vous.

Pour une fois, elle parle de vos problèmes d’eau, d’électricité, de santé et d’éducation. Elle les découvre à l’occasion de la visite et les oubliera après elle. Elle parle de votre vie. Ou plutôt de votre survie. Du déjà vu, déjà entendu. Projet «Dhar », usine de production de lait, (dé)routes, « couranh ». La route du (dés)espoir devient sujet de reportages. De colportages. Prétexte pour dire que ce gouvernement-là a changé la Mauritanie.

Le peuple se mobilise pour réserver au président « fondateur » un accueil grandiose. Même Mamane est dépossédé ! Ici, à Nouakchott, l’administration se démobilise. Les « buroh » sont vides. « Ministrés » de la wilaya, directeurs et conseillers sont déjà sur place pour préparer la visite. Tout celui qui croit avoir une petite parcelle de pouvoir se sent concerné, obligé. Tout celui qui pense pouvoir tirer un profit quelconque de cet événement considère Néma comme sa nouvelle Mecque. C’est là-bas où il pourra approcher ces responsables en mal de reconnaissance.

Comme du temps de Taya, Néma ravit la vedette à Nouakchott. Le temps d’une visite. Des « visitations » qu’Aziz connait bien puisqu’il était toujours de la partie quand il assurait la protection de l’autre. Avant de le « putscher ». Il sait que les hommes politiques, les notables, le peuple même, jouent. C’est une mise en scène bien connue. Le peuple vous soutient. Tant que vous êtes au pouvoir. On vous admire, on loue vos réalisations. On vous mythifie. L’histoire a commencé un certain 06 août 2008. La « Rectification ». Le 05 août 2005, c’est déjà de la préhistoire puisque que la gloire ne se partage pas. 2005, c’était une junte qui disait avoir agi pour le peuple; 2008, c’est un homme qui a agi pour garder la main.

 

Aziz en visite à l'intérieur du pays (Photo : AMI)
Aziz en visite à l’intérieur du pays (Photo : AMI)

A Néma, on vivra donc avec Aziz tout ce que cette ville réservait à Taya, l’homme du 12/12. Grande mobilisation. Défilé de méharistes et de cavaliers. Youyous et klaxons de voitures de toutes les marques et de toutes les couleurs. Poussière. Sueur. Bousculades pour tendre la main. Se plier et supplier. Il faut bien que la télévision montre le responsable saluant le Rais, sinon, il aura fait 1200 km pour rien ! Il faut saluer Aziz comme on saluait Taya. Lui tendre la fameuse lettre de doléances. L’occasion est unique. Elle ne se présente qu’une fois par an. S’il faut demander qu’un cadre soit nommé ou qu’un autre soit dénommé, c’est maintenant ou jamais. C’est pas la peine de demander un puits, une école ou un poste de santé. A quoi serviraient alors nos chers « dépités », nos « oumda » (maires) et autres « choukoukh » (sénateurs) ? Il faut bien que nos « mountakhaboun » (élus) méritent leurs salaires et les privilèges afférents.

Gens de Néma, vous êtes les premiers à savoir que ce « cinémah » ou « tiather » (théâtre), comme on dit dans notre parler français hassaniya, ne dure que le temps de la visite. Demain, vous retrouverez votre vie de tous les jours. La télévision ne vous montrera que pour dire que le président était passé par là. Vos élus retrouveront leurs villas cossues de la capitale. Les « peshmergas » ne seront plus là pour dire qui a réservé le meilleur accueil au Rais. Vous avez payé l’instant pas l’éternité. Les milliers de personnes qui ont quitté Nouakchott et les wilayas voisines (Hodh El Ghargi, Assaba) retourneront chez eux et oublieront jusqu’à votre existence. Ne restera alors que cette vérité là : la visite du 05 mai 2016 n’a rien de différent de celle de mars 2015. Ou de celle que Taya avait effectuée, dans un décor similaire, un certain 05 mars 1986…Le fait que la fameuse soirée artistique où l’on mange, boit, chante, danse et loue les « réalisations » du Guide à travers des poèmes du dernier « cri » en hassaniya, en arabe pur et même en hindou, ne sera au programme n’y changera rien. Avec ce genre de visite, Taya tient sa revanche.

* Président de la Mauritanie entre 1984 et 2005.


La fièvre de l’or s’empare des mauritaniens

En Mauritanie, personne ne parle plus de cette fichue « bolletig¹ ». La visite que le président Aziz compte mener dans la wilaya du Hodh Chargui, d’où partent généralement tous les appels « historiques », n’intéresse plus personne. Le dialogue politique (inclusif ou exclusif) est devenu une banale discussion de salon. L’actu de l’heure, celle qui est dans toutes les bouches, qui crée une effervescence telle qu’on en a jamais vu en Mauritanie est celle de l’or que des citoyens ont ramené de la zone de Tasiat où opère, depuis 2010, la société canadienne Kinross. Reportage.

 

Chercheur d'or (Crédit photo : elhourriya.net)
Chercheur d’or (Crédit photo : elhourriya.net)

Ils entendaient parler de l’or sans croire en lui. Parce qu’ils ne le voyaient pas. Ne sentaient pas son apport dans une économie exsangue. Ils se disaient que c’est un mirage; une histoire entre l’Etat et la société canadienne Kinross, propriétaire de la mine d’or de Tasiast, située à 250 kilomètres au nord de Nouakchott. Les milliards qu’évoquent les journaux et sites ne leur disaient rien puisqu’ils ne les voyaient jamais. L’or était vendu ailleurs, loin de leurs regards et de leur envie. Kinross gardait sa part (97%) dans ses comptes domiciliés à l’étranger et ne retenait que le « minimum vital » pour faire tourner sa mine. Son business. L’Etat, lui, était ravi de ses revenus de 3% qui, convertis en ouguiyas, faisaient quand même quelques milliards ! Une manne qui lui permet de financer certains projets, sans parler de la « part du lion », celle des généraux et des hauts responsables qui couvrent les exactions commises par Kinross. La SEC américaine (Securities and Exchange Commission) a mené une enquête à ce sujet mais les mauritaniens attendent toujours ses conclusions.

Mais le vrai changement est intervenu il y a un mois. Quand on a commencé à parler de citoyens qui ont découvert de l’or en Inchiri ! Cette région où se trouve justement la société Kinross. Ce fut alors la ruée. On parle de 100 000 mauritaniens atteints par la fièvre de l’or. Quelques 16 mille demandes d’autorisations seraient actuellement en instance à la Société mauritanienne des hydrocarbures et du patrimoine minier (SMHPM).

À Nouakchott, c’est donc un « weilemak yel warrani² » qui s’est emparé d’une jeunesse désœuvrée et prête à tout pour sortir de la précarité. Le chômage atteint le seuil critique de 33%, selon les données les plus récentes de la Banque mondiale. Le gouvernement parle lui, on ne sait par quel effet de magie de 10% seulement ! Différence de perception sans doute. Et de motivations.

Toujours est-il que beaucoup de jeunes ont déjà pris la route de l’Europe et de l’Amérique. Au péril de leur vie. Maintenant qu’on leur dit que l’or est à 300 km au nord de Nouakchott, ils reprennent espoir. Ils croient en leur fortune. Ils n’hésitent que le temps de constituer une équipe, de dénicher le fameux appareil détecteur du métal jaune, dont le prix est passé en l’espace de quelques jours, de 500.000 UM à 1.500.000 UM ! Les commerçants qui ont flairé le coup les premiers ont déjà tiré profit de cette ruée vers l’or qui a aussi profité aux agences de location de voitures. Les tout-terrains sont pris d’assaut à 50.000 UM (125 euros) la journée et Nouakchott, en ces jours de fièvre de l’or, me rappelle les villes japonaises où ne roulent que les petits modèles.

 

L’Etat lève l’interdiction

 

Campement de chercheurs d'or (crédit photo : elhourriya.net)
Campement de chercheurs d’or (crédit photo : elhourriya.net)

L’Etat a voulu contenir dans un premier temps ce mouvement des populations qui s’effectue de Nouakchott vers la zone tampon entre les wilayas de Nouadhibou et de l’Inchiri. Ce grand désert où l’on se perd facilement et où aucun point d’eau n’existe. Il a voulu surtout protéger les intérêts des sociétés étrangères qui ont déjà des permis d’exploration/exploitation de l’or en Mauritanie (Tasiast et MCM).

Des unités de la gendarmerie nationale ont alors intercepté des groupes d’aventuriers qu’elles ont dépossédé de leur matériel et contraint à rebrousser chemin. Mais l’ampleur du phénomène était telle qu’elle faisait courir à l’Etat un risque de soulèvement. Nouakchott bruit de ces histoires de personnes devenues subitement riches et chacun voulait aller, voir et revenir avec des kilogrammes d’or. Journaux, sites et télévisions sortaient même quelques « cas ». La rumeur devient réalité. L’or existe. Ou plutôt : on peut l’avoir avec des moyens rudimentaires. Car Tasiast l’exploite depuis 2010 et prétend vendre une production de 250000 onces par an. Certains pensent qu’elle produit largement plus que ce qu’elle déclare à un État ne disposant d’aucun moyen de contrôle.

Et puis, il y a eu ce revirement spectaculaire. L’Etat décide de légaliser l’orpaillage. Sans doute avait-il vu que cette recherche traditionnelle de l’or existe dans plusieurs pays de la sous-région (Mali, Burkina, Guinée). Il faut seulement que les domaines réservés (les permis d’exploration délivrés à des sociétés étrangères) soient protégés pour ne pas enfreindre aux lois garantissant les investissements. Les chercheurs d’or doivent également être munis du matériel nécessaire et payer 100.000 UM à la SMHPM contre un permis valable quatre mois. Et, en cas de découverte, le produit doit être vendu à l’Etat qui s’est empressé de mettre en place une commission chargée de cette opération.

Cette sortie du gouvernement, par la voie du ministre du Pétrole, de l’énergie et des mines, Mohamed Salem Ould Béchir, a fini par convaincre les sceptiques que cette histoire de l’or découvert par de simples citoyens n’est pas une blague comme les mauritaniens savent en créer, surtout dans le domaine politique et social.

1. Politique

2. Gare au dernier.

 


Autour d’un thé :  » à partir de maintenant, sont nommés ministres… »

Mauritanie: Conseil des ministres (Photo: AMI)
Mauritanie: Conseil des ministres (Photo: AMI)

A partir de maintenant, sont nommés ministres les personnes dont les noms suivent… Je le fais illico, parce-que, moi, Président fondateur, j’ai besoin d’aller me reposer un peu, quelque part vers Francfort ou Raq’aa, histoire de respirer un peu, après nombre de mois d’intenses activités en tout genre. Deux semaines loin de vous, ça ne peut que faire du bien. Quoique, bien entendu, je ne suis jamais si loin de vous. Le Président fondateur ne s’éloigne pas : il bouge. Il ne voyage pas : il se déplace. Il ne vole pas : il prend un peu pour lui. Il ne change pas la Constitution : il la reformule. Il ne vend pas le domaine public : il l’attribue.

C’est ça que les gens de l’opposition – ou, pour ne pas mettre tout le monde dans le même sac, les gens d’une certaine opposition – ne comprennent pas. Le Président fondateur est intelligent. Il nomme un tel pour quelque temps. Le temps de voler. Astaghfiroullah*. Le temps d’améliorer sa situation. Puis il le dénomme. Le temps que ce dernier médite les bienfaits du Président fondateur, et le temps d’aller manger, tranquillement, ce qu’il a volé. « Pa’don », comme disent les Ivoiriens, ce qu’il a pris. Le temps d’aller fidéliser les gens de sa tribu aux vertus et valeurs du Président fondateur, en attendant que celui-ci repense de nouveau à lui. « Repenser de nouveau », oui, ça se dit.

Quand on voyage tous les trois ou quatre jours, comme le fait le Président fondateur, c’est « revoyager de nouveau », à tort et à travers. Sans raison. Imaginez un peu ce que les voyages de Président fondateur représentent en termes d’argent : kérosène pour l’avion et indemnités de déplacements aux ministres, conseillers et autres petits gnama-gnama, intrinsèques aux voyages présidentiels. Et puis, pardine, l’argent de poche du Président fondateur. Qui ne sait plus, soit dit en passant, quoi faire avec certaines personnes. Il laisse les ministres longtemps en place ? Oh lalala, ce président ne sait pas remanier ! Il les change au bout de trois à quatre semaines ? Oh lalala, ce président ne sait que faire danser les ministres !

La tête du Président se noue*. Alors, il se roule par terre, comme l’imam des autres. La Société nationale industrielle et minière* (SNIM). Marché Capitale*. Tripatouillage. Quels rapports ? Le propre d’une séance de thé est que tout passe autour. Entre la chute du fer et l’assainissement de Nouakchott, il y a quoi ? L’eau, le fer, les immondices. Comme ça, la SNIM va marcher. Cahin-caha. Sans qu’on sache dans quelles poches sont passées ses centaines de milliards. Imaginez un peu : si Président-fondateur ne connaissait pas très bien la SNIM et tout ce qu’il y a dedans, tout ce qu’il y a dehors, ça allait chauffer. Comme les autres grosses affaires d’emprisonnement de personnalités, avec force commentaires sur la volonté de Président-fondateur de lutter imparablement contre la gabegie. Mais, comme nous le rappelle si bien l’adage populaire « si ton dîner est dans la même calebasse que celui d’autrui, s’il essaie de le renverser, ne le laisse pas faire ». On peut paraphraser, ce n’est pas interdit. La chute des prix du fer. Le réinvestissement de l’argent de la SNIM.

La gestion de la grève. Toute cette argumentation, toutes ces manœuvres, nous sommes des « classes », comme disent les militaires. Justement. Nouveau général de brigade. Félicitations. Général simple. Général de division. Général de corps d’armée. Un bon paquet pour une bonne rectification ou un bon réajustement constitutionnel. Les noms ne manquent pas. Tout est dans la tête. Celui qui a donné plus d’un milliard « dans » le Marché Capitale a la « tête cassée ». Un ventre de patron et quelques boutiques en décrépitude dans les environs, c’est pas si important que ça. Aéroport international de Nouakchott. Route à péages de Boutilimit. Salle de conférence de la prochaine réunion de la Ligue arabe. Il faut bien qu’on les donne à quelqu’un. Pas à des Chinois quand même ! S’il vous plaît, soyons sérieux. Ce que je n’ai pu avoir que mon frère l’aie ! C’est la devise des bonnes gens. Et puis, il y en a pour toutes les bourses. Les monuments publics à « vandr » (la Semaine de la francophonie est finie non ?). Le marché d’impression de la nouvelle Constitution. Piètres ministres. Salut.

Sneiba El Kory (Le Calam)

 

* Astaghfiroullah – cette expression est utilisée pour demander pardon à Allah.

* La tête du Président se noue – être préoccupé (traduction de l’expression hassaniya « ertbat rassou »)

* SNIM –  acronyme de « société nationale industrielle et minière », c’est la plus importante entreprise en Mauritanie (elle exporte 13 millions de tonnes de fer/an).

* Marché Capitale – c’est le plus grand marché de Nouakchott, capitale de la Mauritanie.