mie25danielle

Lettre à mon fils

Lettre à mon fils

Mon fils, si je t’écris cette lettre aujourd’hui, c’est pour te renouveler mon amour même si mon absence te fait défaut. J’ai hâte de te serrer dans mes bras mon enfant. J’ai hâte de te dire à quel point que je t’aime, j’ai hâte de laisser ce pays pour venir retrouver ma famille.

Je voulais que tu lises cette lettre le jour de tes dix-huit ans. Ainsi, tu pourras te servir de cette histoire pour te battre dans la vie.

Ma mère a perdu la vie en me donnant la mienne et mon père m’a confié à une tante qui résidait dans la ville des Cayes. Exilé dans une ville qui n’est pas la sienne, maltraité par une tante qui ne t’appréciait pas parce qu’elle était stérile. Tous les jours, je devais l’accompagner au marché pour l’aider à vendre ses fruits et légumes. Elle ne m’avait pas inscrit à l’école parce qu’elle ne croyait pas en l’éducation. Parfois, je passe ma journée sans nourriture parce que si je ne vendais pas, je n’aurais rien. J’étais jaloux des autres enfants qui portaient leur beau sac à dos, leurs beaux vêtements, leurs belles chaussures. Ma tante ne  souciait pas de ma tenue vestimentaire. Elle me fouettait quand je refuse de lui obéir. Je dormais dans la salle à manger sous une à même le sol près du lit de son chat. Ce dernier était traité comme un roi alors dont moi, je n’étais qu’un moins-que- rien.

Le jour de mes dix ans, pendant que je dormais dans la salle à manger, j’ai ressenti une main qui me caressait le corps. Je croyais que je fantasmais,  mais c’était la main de ma tante et elle m’exhortait de ne pas faire du bruit. Elle me disait que j’étais beau et prêt pour la satisfaire. Je ne comprenais pas ce que se satisfaire signifiait. Elle s’est mise sur moi et m’a violé. J’avais peur et je n’avais personne à qui parlé de cette douleur qui me ravageait.

Après plusieurs agressions, j’ai décidé de fuguer en me disant peu importe ce que la vie m’apportera, je ne veux plus rester.

En me promenant dans les rues, j’ai trouvé d’autres enfants qui eux aussi subissaient le même sort que le mien, nous avions décidé de nous rendre à Port-au-Prince. Après avoir passé une année à nettoyer les voitures, avec ma petite économie, je me suis rendue dans cette ville tellement rêvée. Arrivé là-bas, la vie n’était pas facile non plus. J’ai connu l’enfer là-bas. Parfois, je passais des jours sans nourriture. Je ne voulais pas rentrer dans un cercle vicieux pour survivre. J’ai fait d’autres copains de rue au Centre-Ville. On quémandait les patents, on nettoyait les voitures, on nettoyait les chaussures pour survivre. Parfois, on jouait au hasard sur la place Champ-de-mars pour nous distraire. C’était notre maison aussi. Nous n’avions pas de foyer.

Malgré ma pauvreté, je gardais toujours mon rêve d’enfant. Je voulais avoir ma propre entreprise de lavage de voiture comme on le dit en anglais Car Wash. Certains enfants parmi la bande savaient lire et écrire. Avec une petite économie, j’ai fini par acheter un Ti-Malice et un cahier de lignes. Avec l’aide de mon ami Ti-Jean quelques fois, le soir, j’apprenais à lire et à écrire.

Quatre ans plus tard, une entreprise à but non-lucratif recrutait des enfants pour les apprendre un métier manuel. Mes amis ne s’y intéressaient pas, moi si.

J’ai appris la plomberie et continue de faire des petits boulots pour survivre. Je continuais de croire en mon rêve.

Un soir, pendant que je fêtais mes dix-huit ans dans un club avec mes amis, j’ai fait la connaissance de ta mère. Elle était accompagnée de ses amis. Toujours belle et timide. Cette même soirée, j’ai conquis son cœur et l’on a fait l’amour d’où ta naissance. Mais, malheureusement, je devais laisser le pays pour le Brésil, le lendemain. Ce n’est que dix ans plus tard, j’ai appris que j’ai un fils en Haïti parce que j’avais perdu les contacts de ta mère.

Tu lui dois respect mon enfant parce qu’elle s’est sacrifiée pour toi.

Moi également, je m’y suis sacrifié mon fils. À mon arrivée au Brésil, j’ai continué avec les études. Même si ce n’était pas facile pour moi entre le travail et les études, les humiliations, les peines, les déceptions mais, aujourd’hui, je suis fière de moi. Je possède l’entreprise de mes rêves avec une vingtaine d’employés. Derrière moi, j’ai laissé mon passé noir.

Quant à toi mon fils, suis les conseils de ta mère. Prends bien soin d’elle. Je sais qu’Haïti n’offre pas toujours ce que nous espérons. Le gouvernement ne pense pas aux enfants. Ils sont livrés à eux-mêmes. Pourtant, ils sont l’avenir du pays.

Concentre-toi sur tes études ! Tout comme moi, bats-toi pour ce que tu veux !

Je suis toujours amoureuse de ta mère, c’est pourquoi arriver au Brésil, je n’ai pas eu une autre femme, ni d’autres enfants. Quelquefois, je souffre de vos absences.

Pour finir, sache que toi et ta mère, je vous porte dans mon cœur. Vous êtes le trésor le plus précieux que la vie m’a donné en dépit de ma richesse dans ce pays. Nous nous verrons bientôt !

Je vous aime très fort.