Widlore Mérancourt


Sur le prix du jeune journaliste haitien de l’OIF

J’ai été agréablement surpris d’apprendre dans la soirée de jeudi 22 septembre que j’étais le lauréat du « Prix du jeune journaliste haïtien » de l’Organisation Internationale de la Francophonie (Catégorie : Presse écrite). 

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En premier lieu, on est foudroyé par la nouvelle. Dans un bref moment de félicité, on se sent soulevé de terre, on flotte et on nage dans le bonheur le plus simple et le plus complet.

Puis, on se rappelle son mouvement originel de ne pas participer à ce concours. Doucement, remontent à la surface ces raisons logiques, sensées et froides qui ont entravé une décision tardive, mais aujourd’hui récompensée.

Évidemment on se sent honoré d’être aux côté de ces cinq jeunes qui, à l’aube de leurs carrières, éclaircissent déjà l’horizon de l’information responsable en Haïti.

On se sent surtout estimé d’être parmi la cinquantaine d’autres participants qui partagent cette vision d’une presse éthique, plurielle, moderne, intelligente et démocratique.

Mais qu’est-ce qu’un concours, sinon que la « photographie d’un moment» dans le travail, dans la carrière d’un ouvrier ? Comment restituer en un texte un quotidien, une vie dévouée au service de la parole juste et utile ? Le mérite n’est-il pas aussi et surtout dans la constance, l’honnêteté et l’engagement de tous les participants à démêler un présent toujours plus complexe, à inspirer les décisions éclairées ?

Et vient le calme. On s’explique qu’à travers soi, c’est une conception, un idéal, un désir de réforme qu’on met en avant. On comprend que cette reconnaissance n’est pas un aboutissement pour nous qui avons encore l’horizon brumeux à affronter. On prend conscience que ce prix du « Jeune journaliste en Haïti » de l’OIF n’est pas un bien, ni même une distinction, mais une injonction, une perche tendue à cette jeunesse insoumise, à cette génération qui veut saisir son avenir par les brides et l’orienter vers des lendemains fleuris et bienheureux.

Et l’on sourit à la responsabilité. Tel le manœuvrier exalté par l’immensité de la tâche, on considère l’obligation de porter maintenant, demain et après les idéaux de la francophonie, une façon de voir le monde, de s’y inscrire et de forger son destin personnel et collectif.

Puis on flotte à nouveau… pour nager dans le bonheur le plus simple, le plus complet qui soit.


Que révèle le festival féministe Nègès Mawon de la société haïtienne ?

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La marche artistique « feminis poukisa » organisée en marge du festival Nègès Mawon ce 20 juillet a fracturé l’opinion publique. Dans les médias traditionnels et sur internet, chacun y va de sa perspective. Il ne faut cependant pas s’y méprendre : quand certains remettent en question l’opportunité de la démarche, ses objectifs et les résultats escomptés, d’autres y découvrent l’occasion de déverser leur fiel sur un mouvement féministe qui au mieux serait incompatible avec la « culture haïtienne » quand il n’est au pire un complot ourdi par les sbires occidentaux pour pervertir la jeunesse du pays.

À défaut de procéder à un réquisitoire enflammé sur le mouvement en Haïti, que je réserve volontiers pour d’autres occasions, je souhaiterais revenir sommairement sur quelques éléments basés sur les réactions prélevées en majeure partie sur les réseaux sociaux.

Commençons d’emblée par éclaircir un point fondamental : « LE féminisme n’existe pas ». Aussi péremptoire que puisse paraitre cette affirmation, elle fait justice à la kyrielle d’orientations, de positions, de théories et de stratégies qui ont enrichi le mouvement depuis ses ébullitions dans les années 60-70.

Faute d’une définition unanime, qui d’ailleurs n’est point souhaitée, on s’accordera à dire que les féminismes s’inscrivent à la jonction entre les théories et la militance. Si dans les essais et conférences, les thèmes d’égalité entre les sexes et de justice sociale reviennent souvent, il n’y a aucun consensus entre les intellectuels. Cette divergence s’observe aussi dans les actions qu’on dit entreprendre au nom du féminisme. Loin d’appauvrir, le mouvement, cet arc-en-ciel de positions et de méthodes, l’enrichit et l’inscrit dans une dynamique où elle peut se remettre en question, s’universaliser tout en prenant le pouls des cultures locales afin de mieux s’orienter. Par conséquent, le festival artistique de Nègès Mawon, même estampillée féministe, n’est pas au-dessus des critiques au sein du mouvement.

Ces critiques, bienvenues à mon sens, sont constructives du moment qu’elles s’inscrivent dans le paradigme d’égalité sociale, politique et économique entre les hommes et les femmes. Or, tel ne me semble pas toujours le cas à lire les commentaires et réactions de certains.

En matière de lutte sociale, il n’y a pas de formules magiques. Tout mouvement embrasse l’orientation qui lui parait compatible avec ses buts tout en favorisant la réalisation de ceux-ci. De quel droit certains d’entre nous seraient d’ailleurs mieux indiqués à donner à un groupe de femmes la recette enchantée qui lui permettra d’atteindre ses objectifs ? Si telle solution existait déjà, il y a longtemps que parler de mouvement féministe paraitrait ridicule tant la justice, la liberté et l’égalité des chances règneraient à tous les niveaux de la société. En vrai, dans ce foisonnement d’outils et de stratégies, c’est l’indifférence qui consentit au système inégalitaire quand l’action, même désordonnée contribue à extirper la société de sa léthargie.

Ceux qui s’insurgent de la crudité des slogans sont pris au piège tendu par les organisateurs de l’initiative. Aussi bien que dans le monde médiatique traditionnel, sur les réseaux sociaux ou au niveau personnel, l’hésitation, le formalisme ou la complaisance n’attire guère l’attention. Ces femmes auraient paisiblement manifesté qu’elles termineraient dans un coin insignifiant en bas de page d’un communiqué de presse relayé par quelques affidés sur les réseaux sociaux. Est-ce là le but d’une manifestation artistique ? De passer incognito sans donner l’occasion à la société d’en débattre, de rejeter, d’être pour, mais surtout, d’en parler ?

Par ailleurs, quand une culture sans cesse te renvoie à ton sexe et à ton corps, te les spolie, en fait un critère de classification, de mobilité sociale, tu finis par intérioriser cette réalité jusqu’à parfois la revendiquer. Dans ce contexte, aucune libération n’est possible sans une réappropriation de ta dignité et le déplacement du curseur de ton intimité vers ton être entier, tes compétences, tes désirs, ta volonté et tes aspirations.

Il est aussi intéressant que d’un festival de sept jours, où dix-sept activités interdisciplinaires sont programmées, des traditionnelles conférences aux concepts innovants comme « kamyonèt cheri » l’on ne retient que la fameuse marche artistique de quelques heures du mercredi 20 juillet. Il ne m’est pas encore donné la chance de lire la position des intellos de Facebook ou les comptes rendus des médias sur les conférences gratuites comme « De la conscience féministe au militantisme », « Droits des femmes en Haïti : regards et rôles des hommes », « L’art : une forme d’expression et du combat pour l’action militante » où intervenaient des universitaires de haute pointure. Ces absences ne sont-elles pas révélatrices d’une tendance systémique à occulter la parole intelligente dans le débat public ?

Que cache ce puritanisme mal placé ?

« Tout pou ou cheri?, banm goute non, li te mouye donk li te dakò, banm yon bagay… » ne sont-ce pas autant d’invitations non sollicitées, de propos et attitudes dégradants, dévalorisants que risquent les femmes riches ou démunies dans « l’espace public » quotidiennement ? Ces paroles choquent-elles parce que prononcées par des lèvres féminines ou est-ce une réaction contre la brutalité du traitement inacceptable, des harcèlements répandus en milieu professionnel et violences sexuelles multiples auxquels elles sont confrontées ?

Il est clair que manifester contre l’oppression à caractère sexuel ne saurait être l’horizon indépassable de la lutte pour la justice sociale en faveur des femmes en Haïti. La pauvreté, l’emploi, la liberté intime, la protection des minorités sexuelles, la place de la femme en politique, l’instruction, l’éducation supérieure de haut niveau pour tous, l’association des hommes à une lutte dont les retombées leur sont bénéfiques, figurent parmi les enjeux du moment. Mais, que l’insolence féminine puisse déranger autant est un indicateur de la nécessité d’un mouvement féministe inclusif, intelligent et efficace afin que les 52 % de la population que représentent les femmes puissent pleinement contribuer au développement du pays pour le bonheur de tous.

Car, il ne faut point s’en douter : l’objectif ultime du féminisme est la liberté. Liberté d’agir ou de s’abstenir, liberté d’être dans le monde, de se réaliser pleinement et d’y forger son bonheur.


Maudit soit le téléphone !

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Il fut un temps où l’on pouvait meubler sa solitude. Remplir d’espoir ces parenthèses tristes qui s’étirent à mesure que s’égrènent les jours, les heures et les minutes d’une vie généreusement tendue vers l’autre, tendue vers son absence qui se dessine, s’accentue jusqu’à devenir étouffante, pénible. Des épopées romantiques, de la musique lente et mélancolique, l’on fabriquait des pansements pour son cœur endolori. L’imagination se substituait au réel. Un réel empoisonné par le manque, souffrant, recroquevillé mais non désespéré.

A ces âges perdus depuis, la séduction se rapprochait de la magie, partageant avec elle le même goût immodéré pour l’interprétation des signes. L’impatience se lisait dans la nervosité, le sourire avait ses nuances, la démarche recelait ses promesses et le silence hurlait discrètement ce que les mots échouaient à exprimer.

Aussi, la solitude du délaissé était moins pénible.

Et puis, le téléphone.

Depuis cette maudite invention, rien n’est plus pareil. L’on s’éloigne de l’autre à mesure qu’on s’accroche à son smartphone. L’appareil, perfide, nous offre l’ubiquité pour mieux nous dérober l’instant présent, le seul qui compte vraiment. A trop pouvoir communiquer, nous ne communiquons guère. Transformés en commentateurs et enregistreurs électroniques de nos propres vies, nous oublions de vivre, de sentir, d’aimer et d’être heureux, hic et nunc, sans témoins.

Et aussi, la solitude du délaissé se convertit en supplice.

La distance ne se prête plus aux fantaisies de l’imagination amoureuse. Sans cette consolation, l’indifférence devient plus froide, plus définitive. Whatsapp s’est planté à l’endroit où, plein d’espérances, l’on anticipait, impatient, le hasard de la prochaine rencontre. L’équivoque n’a plus sa place. Surtout quand la barre grise du message envoyé se dédouble, puis vire au bleu alors que la réponse, contingente, se fait attendre des heures, des jours, jamais. Internet nous prive du luxe délicieux de l’autre fantasmé, de son accompagnement par l’esprit et de ses caresses oniriques.

Par souci d’équité, certains rappellent la neutralité des prouesses techniques et moins que les outils, ils invitent à faire le procès de l’utilisation. La technologie ne viendrait qu’outiller nos incongruités et donner des ails à nos paresses. Mais le réquisitoire contre le téléphone portable est accablant. Ce démon frigorifie les dîners les plus goûteux et s’est rendu coupable d’animer la proximité des êtres lointains tout en éloignant ceux avec qui on partage le même air.

Et pour comble, lorsque le solitaire languissant d’amour se désole qu’on soit toujours plus seul avec son téléphone portable, il faudrait tous crier avec lui : maudit soit cet appareil diabolique.


Tony Mix : représentant fidèle de notre culture ?

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Une polémique a été provoquée par la nomination d’un DJ – dont les chansons sont décriées pour leur caractère sexiste – au poste d’ambassadeur de Carrefour, une grande ville d’Haïti.

Reclus qu’ils sont dans leurs bulles théoriques, certains intellectuels de ma génération excellent dans l’art de la pensée déconnectée. Pour eux, et pour certaines institutions internationales, le réel haïtien n’a pas lieu. Ses sinuosités d’une complexité infinie leur causent tant de vertiges qu’ils lui préfèrent l’assurance de leurs projections, le confort de leurs joutes éclairées et leurs solutions taillées sur mesure étrangère mais qu’ils croient, souvent de bonne foi, pouvoir proposer, quand ce n’est d’imposer ici.

Cette prédisposition à exclure la banalité du quotidien haïtien, ses contradictions et laideurs ontologiques de la discussion, conduit à des curiosités dont les conséquences ne sont pas étrangères à la situation actuelle.

C’est au nom de cette sorte d’illumination que certains estiment qu’au milieu d’une société éclatée, sclérosée et inégalitaire, surgirait subitement une institution universitaire héritière de Mandela, de Gandhi et de Martin Luther King, où l’arme de la dialectique l’emporterait sur l’impulsivité de la violence primitive. Ou encore, d’un système célébrant les réussites douteuses, on en tirerait des parlementaires dont la pureté morale n’aurait d’égal que leurs vestes d’une blancheur immaculée. L’étonnement se mue en hypocrisie quand il prend de haut les jeunes filles qui se blanchissent la peau alors que ce sont ces mêmes grands penseurs qui ne jurent que par les longs et soyeux cheveux comme horizon indépassable de la beauté capillaire. Et la liste pourrait se rallonger jusqu’à l’infini.

À chaque occurrence de ces poils dans leurs soupes doctrinales, ces militants de salon envahissent Facebook pour déverser leurs indignations. Le dernier motif en date semble être la nomination de l’égérie du rabòday comme ambassadeur de la culture haïtienne. Alors qu’il ne s’agit que d’une formalisation courtoise de ce qui, pour la multitude s’avère être un fait depuis des lustres.

Quand on oublie que l’art, comme mode d’expression, comme façon de dire le monde et de s’y positionner ne peut s’affranchir totalement de son milieu de production, on se met à la merci de coup de sang mortel. Tony Mix fait partie de ces artistes témoins, qui prennent le pouls de la réalité sociale pour en recracher les incongruités dans les speakers. C’est ce qui arrive quand on n’a pas le talent de forger par ses mots l’espoir, sa musique un élixir contre le fiel présent et son discours des lendemains prometteurs. Ses chansons vulgaires, sexistes et misogynes ne sont que la traduction de ce qui se dit et se fait au quotidien. La preuve : il a plus de succès et de respectabilité que certains de ses pairs. Ce n’est pas un hasard s’il est l’ambassadeur des plus grandes compagnies haïtiennes. N’était-ce l’engagement d’une minorité éclairée, le support d’institutions internationales et locales comme la Fokal, et les tournées à l’extérieur, il y a longtemps que des artistes que certains d’entre nous adulent pour la lumineuse qualité de leurs propositions musicales se recaseraient dans des domaines moins ingrats.

Qu’il soit dit que le rabòday comme genre musical n’est pas ici mis en cause. Ce mariage entre la musique électronique et le folklore porte en lui les promesses d’une musique pop dont l’originalité serait de loin plus exportable que le compas selon certains.

Mais je persiste à penser que seule une société aux valeurs différentes aurait pu empêcher l’aura de Tony Mix de dépasser les périmètres de ses Ti Sourit. Il est certain que d’autres pays ont aussi leur lot de personnages aux discours répréhensibles. Mais, des mécanismes structurels rendent quasiment impossible leur accession à de tels honneurs.

De ce fait, moins que Tony Mix, c’est la société haïtienne qu’il faudrait questionner. Pourquoi ici la morale publique figure parmi les abonnés absents de l’administration de l’état ? Pourquoi les corrompus, trafiquants, criminels et manipulateurs électoraux, même identifiés, ne sont jamais inquiétés ? Pourquoi un individu qui dénigre les femmes, promeut la violence peut être présenté comme modèle et s’offrir le luxe d’avoir tout un public jeune monstre à ses représentations ? Comment un personnage dénué de talent, dont le métier consiste à ridiculiser régulièrement le parler et la culture du paysan peu raffiné à son goût, peut-il être considéré comme l’un des meilleurs humoristes de sa génération ? Pourquoi par réalisme commercial et parfois positionnement idéologique, de jeunes talentueux (slameurs, romanciers etc.) se retrouvent à produire en français, une langue réellement parlée par moins de 15% de la population ?

De même que les trafiquants notoires et repris de justice au parlement, de même que les ministres et patrons harceleurs sexuels, Tony Mix a eu la validation du système. Toute critique constructive devrait d’abord remettre en question la structure, pas l’individu.


Les Cayes : L’Église catholique s’ouvre aux homosexuels

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Par un de ces hasards qu’occasionne l’oisiveté dans une ville sans véritable offre de divertissement comme Les Cayes, j’ai, chose fort peu coutumière allumé ma radio un jour au début du mois d’avril dernier. Entre les élucubrations d’un propagandiste politique officiel, le verbiage incohérent de tel envoyé du ciel et l’hymne à la bêtise d’un rabòday, je suis tombé sur une entrevue qui m’a fort troublé. Le responsable d’une organisation défendant le droit des homosexuels était venu annoncer la tenue d’une messe d’action de grâce en l’honneur des huit ans de militance de sa structure.

J’étais intrigué.

Ma perplexité était telle que j’ai contacté une connaissance à la radio afin de rentrer en contact avec ces militants LGBTI. Il était crucial de dissiper des interrogations qui depuis me taraudaient. Car si j’ai longtemps pris congé des ondes hertziennes par crainte d’user mon cerveau au contact trop répété avec ce que le média pouvait produire de plus empoisonné, je reste cependant accroché à internet où, pour le salut collectif, certains sites résistent au relâchement ambiant, ce lot de la parole fraîchement libérée qui confond la liberté d’expression avec la licence de déblatérer sans essence.

Et sur internet, l’ouverture de façade du pape François, son message acclamé d’ouverture et de charité ne trahissait, malgré les protestations extrémistes, pas un iota des principes centenaires de la vieille Église dont l’apparat usé, à défaut d’entrer dans la modernité, adopte ses couleurs pour mieux garder sa pureté originelle. Ce n’est donc point une surprise si l’avortement, le célibat des prêtres ou l’homosexualité symbolisent, parmi tant d’autres sujets, l’anachronisme d’une institution dont l’intransigeance n’a d’égale que la souffrance, le rejet de l’autre et l’incohérence qu’elle engendre.

J’étais donc intrigué.

Comment, mais surtout pour quelle raison un prêtre se risquerait à faire un pied de nez à Vatican et à la doxa catholique pour célébrer une messe en l’honneur d’une organisation qui, elle célèbre une sexualité interdite et la liberté pour la personne humaine de prendre les rênes de son destin sans avoir à s’encastrer dans les cases préfabriquées de la société ?

Plus par oubli que par mépris de la démarche consistant à diviniser une initiative dont l’essence devrait être fédératrice et laïque, je n’ai pas eu l’opportunité d’assister à la messe ce 8 avril 2016 à l’Eglise Sacré-Cœur des Cayes. Cependant, j’ai pu obtenir un rendez-vous avec Jasmin Désir, responsable de l’organisation, gay assumé et revendiqué.

Le jour J, 4h. J’enfourche mon vélo à moteur pour me rendre à l’adresse indiquée près du centre-ville. Ma surprise fut grande de découvrir, en lieu et place d’un endroit reclus et bunkerisé, un véritable centre ouvert dédié à l’éducation et la récréation de jeunes gens et jeunes filles dont l’orientation sexuelle, parce que différente, semble vouloir justifier leur marginalisation, souvent dans leur propre famille et parfois la violence sourde dont certains ont fait l’objet. Une cinquantaine d’entre eux était présente ce jour-là pour, me semblait-il, pour assister à une séance de formation.

Jasmin Désir m’apprend que son organisation, l’Union des Personnes luttant contre la Discrimination et la Stigmatisation (UPLCDS), comprend 150 membres actifs et 30 autres passifs. Dans ce local discret que nombreux d’entre eux considèrent comme un havre de paix au cœur d’une ville où la détestation de l’altérité est célébrée en public, le seul critère d’adhésion est de ne pas verser dans l’homophobie, cette haine viscérale de l’autre catalysée par l’ignorance et nourrie par la peur et l’intolérance.

Jasmin, jeune homme maigre, l’esprit vif, dans la trentaine est un ancien étudiant en infirmerie et dépisteur de MST à l’hôpital public de la ville. Il me fait part, avec cette force qui caractérise ceux qui ont touché le fond du rejet public et en sont sortis débarrassés des afféteries sociales, les difficultés auxquelles font face sa communauté dans la ville des Cayes. Ancien protestant, il a lui-même abandonné l’église sous le poids insupportable de l’acharnement des hommes de Dieu. Dans la société en général, on est passé, déplore-t-il, d’une homophobie délatrice à chaque catastrophe naturelle, pourchassant les boucs émissaires de la détresse collective assoiffée de sang, à des formes plus nuancées, mais dont l’imaginaire nourri des histoires de Sodome et Gomorrhe barricade encore les entrées à une coexistence égalitaire et pacifique. Cette situation aboutit entre autres, me dit-il non sans émotion, à des dénis de justice, la fermeture des portes d’hôpitaux et la violence gratuite dans des lieux publics et en privé.

Méfiance des institutions de la ville

L’affaire est tellement taboue qu’elle provoque des mésaventures totalement saugrenues où la mise à l’écart s’opère même de la part des organisations estampillées de défense des droits humains. Sur une quarantaine de radios et plus d’une dizaine de chaines de télévision, il n’y a que la radio Vwa Klodi Mizo, une station communautaire, à répondre à leurs invitations. Financés par des bailleurs de fonds internationaux, ils reçoivent néanmoins des soutiens de la MINUSTAH et du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP).

Pourtant, au milieu de toute cette détresse, le responsable de l’UPLCDS trouve étonnamment matière à se réjouir : « On accepte mieux les lesbiennes que les gays en Haïti, mais avec plus d’éducation, je suis convaincu que la situation s’améliorera ».

Il en veut pour illustration cette ancienne porte-parole de la Police Nationale qui, après une séance de formation dans le centre, comme un pêcheur en quête d’absolution, s’est précipitée pour lui confier comment lui et ses collègues ont arrêté et emprisonné de façon arbitraire à Saint- Marc une voiture remplie de jeunes gens qu’on disait homos avec pour seul reproche la rumeur qu’ils allaient participer à une journée récréative. Ou encore ces deux chrétiennes qui, dans une période de diète biblique ont bravé leur appréhensions pour se former. Aujourd’hui, elles se réjouissentde pouvoir vivre en bonne intelligence avec des concernés dans leur entourage.

Une organisation militante

Que mon engagement pour l’avènement d’une société libre où chacun ait la possibilité d’accorder son destin singulier au diapason collectif et où la recherche de sa vérité et de son bonheur soit le cadre du vivre ensemble, ne me prive de quelques bémols sur cette association.

Commençons par leur militance politique.

Lors des dernières élections, l’UPLCDS a fait officiellement campagne aux côtés d’un candidat au sénat. Il me semble qu’il s’agit là d’une erreur, au même titre que le parti pris religieux. L’engagement pour des valeurs  est meilleur s’il conserve son indépendance et se met à l’abri de l’aliénation politique ou confessionnelle.

De plus, à regarder leur dénomination, à analyser leurs supports de communication, on sent une tiédeur dont la finalité est de noyer la lutte spécifique pour la justice et l’ouverture sociale en faveur de la communauté LGBTI dans un combat non spécifié contre les discriminations. Jasmin m’informe qu’il s’agit par-là de ne pas choquer, je réplique qu’on ne changera jamais le regard collectif sur ce que l’on refuse de nommer soi-même.

Sur la messe

L’UPLCDS s’attendait à un refus de la part du clergé catholique, car certains de ses membres sont bien connus des prêtres qui sont donc au fait du bien-fondé de l’organisation et de ses actions. Mais curieusement, le prêtre Carlo St Simon de l’église Sacré-Cœur a décidé de célébrer la messe et même de glisser dans son homélie des souhaits de succès et de continuation heureuse à la structure. Si Jasmin se réjouit de la décision courageuse et inusitée du Saint-Père, il échoue à déceler ses véritables motivations. Comme quoi même dans l’ouverture, les voies du seigneur restent impénétrables !


Les médecins aussi ont du sang sur les mains 

Des médecins du secteur public de la santé sont entrés en grève générale depuis plus d’un mois en Haïti. Alors que la majorité des hôpitaux publics sont paralysés, les professionnels de la santé continuent de réclamer de meilleures conditions de travail et un salaire décent. Une femme enceinte a agonisé devant l’HUEH (Hôpital de l’Université d’État d’Haïti) le plus grand centre hospitalier du pays ce mercredi 4 mai sous le regard impassible des grévistes. L’État est responsable de la situation, les médecins aussi. 

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C’est Spinoza qui disait, ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre. Il est vrai que l’époque, shootée à l’émotion et aux rassemblements de façade sur les réseaux sociaux s’enivre de ses préjugés qu’elle confond, sous manipulations constantes, avec de la pensée. Aussi vrai que dans cette communion psychédélique où la bêtise est rarement loin, celui qui s’écarte du troupeau, même avec l’infime prétention d’une pensée complexe arrive à choquer, moins par la véracité de ses propositions que par l’effet du poil dans le potage.

De quoi s’agit-il ?

La façon simple sans être simpliste de poser le problème est qu’on a affaire à des médecins qui s’octroient la permission de laisser mourir leurs patients dans l’optique de soutirer de l’État de meilleures conditions de travail. Les malades sont ici les otages qui servent de boucliers à une cause dont le bien-fondé n’évacue pas le questionnement sur ses méthodes.

L’effondrement de la santé publique en Haïti

Ce n’est pas un hasard si malgré le flot continu de gradués annuels, les dizaines de bourses attribuées, il n’y a que 2 médecins, un engagé et l’autre en manque de perspectives, pour desservir chaque 10 000 Haïtiens. En un mois, un médecin en France gagne près de deux fois ce qu’un médecin haïtien espère obtenir pour une année entière. Au problème salarial, il faut ajouter les faiblesses inhérentes au système universitaire du pays et la gestion inconséquente du ministère de la santé publique. Il arrive que des praticiens opèrent des êtres humains de façon artisanale, amputés des outils de base nécessaires à l’exercice de leur métier.

Questionner alors l’essence de leurs indignations relèverait au mieux du mépris pour la noblesse de leur métier et le courage qu’ils ont d’exercer dans ces conditions infra humaines, au pire de l’indifférence par rapport aux victimes dont les manquements actuels du système ont ôté la vie parce qu’il n’y a pas eu d’électricité, parce qu’il manquait tel instrument ou tel médicament nécessaire à leur traitement.

Le médecin en Haïti est catapulté sur le front sans armes ni munitions. Il est sommé et condamné à l’exploit. Un exploit qu’on exige malheureusement aux enseignants, aux policiers et à d’autres métiers tributaires du bon fonctionnement de la société. S’il fallait trucider l’état pour ses manquements, son irresponsabilité, sa corruption, son incompétence et son cynisme, l’épieu des médecins ne serait pas suffisant.

Cela dit, si l’intenable de leurs situations les a poussés à la révolte, ce serait incorrect d’affirmer que les médecins n’avaient pas d’autres choix que de faire une grève TOTALE. Parmi des stratégies de luttes ils ont adopté celle qui travestît le serment d’Hippocrate et pénalise les miséreux qui ne peuvent se payer les hôpitaux de luxe. Entre la mollesse des pétitions, des marathons télévisés, des manifestations régulières, les menaces, les dénonciations, la grève dite douce où certains services essentiels sont maintenus, ils ont choisi le brutal rapport de force, le seul langage que semble comprendre l’État en Haiti.

Est-ce le meilleur timing ?

On sait bien qu’il suffit d’une étincelle pour embraser un baril de poudre, mais ici, la question du timing n’est pas inopportune. Est-ce vrai qu’il était bien trop difficile d’obtenir satisfaction sous le règne constitutionnellement stable des apôtres aux crânes rasés qu’il faille attendre l’instabilité, l’éphémérité, et l’héritage d’une finance publique à la précarité inouïe de l’administration en place pour faire valoir ces revendications ? Pourquoi maintenant ? Renversons la question : les médecins n’ont-ils pas anticipé la potentialité de récupération de leurs mouvements à des fins bassement politiciennes dans le contexte d’un gouvernement provisoire dont les actes sont décriés par l’international, une partie de la classe politique et les aficionados de Martelly ? Si la protestation est pensée, je m’étonne de la stratégie.

Deux camps, chacun sa part de responsabilité

Quand des médecins évoluent dans une précarité déplorable, quand pour l’accomplissement de leur devoir, il arrive à leur manquer l’essentiel, le nécessaire, c’est la définition même de leur métier qui est remise en question, c’est leur utilité qui s’en trouve amoindrie. Que la situation ait déjà causé des morts innombrables, que des dizaines, des centaines de vies se perdront encore sans une prise de conscience et des actions de la part des gouvernants est une certitude. Que les médecins soient donc révoltés, on le comprend. Les administrations successives, affairées à de plus nobles occupations, dont les représentants sont capables de s’offrir les meilleurs hôpitaux nord-américains, qui ont négligé le secteur, comme ils ont négligé l’éducation, les infrastructures routières ou la production nationale sont coupables d’avoir enfanté et entretenu le monstre à coup d’irresponsabilités et de mépris à la nation.

Cependant, cette crise n’est pas manichéenne. Il n’y a pas d’un côté l’état malfaisant et les gentils docteurs drapés de leurs blouses blanches immaculées. Lorsqu’un paysan, un démuni, un malade succombe dans l’indifférence de ceux qui ont juré de s’occuper des plus faibles, l’état a du sang sur les mains pour avoir fourni le poignard, mais les médecins grévistes sont aussi coupables pour s’en être servi afin d’éventrer leur propre patient. Le premier monstre est abstrait, se dissout dans le temps, est présentement dans l’incapacité de satisfaire pleinement les revendications, l’autre est concret, il a un visage et est en grève.


Comment les artistes haïtiens peuvent s’inspirer de Prince ?

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La radicalité ne peut être tiède. Son essence est de pousser jusqu’à l’extrême une pensée, la triturer et la démanteler. En solitaire dans sa singularité ou en entraînant la multitude vers d’autres horizons, c’est d’elle que vient le salut social. S’il faut des moutons pour stabiliser et rendre pérenne la collectivité, il faut aussi des originaux, des marginaux dont l’insolence n’a d’égal que le courage pour tâter de nouveaux terrains et tester des propositions novatrices. Ce faisant, ces esprits singuliers renvoient la société à ses travers ou confirment ses vertus. Ils introduisent de nouvelles normes ou rendent l’amendement de celles existantes inéluctable.

Prince était de ceux-là ! Il était l’éclaireur de l’aube dans un monde où l’on est sommé d’être quelqu’un en procédant comme la foule ou à être original dans la rumination machinale et la reproduction insipide. Auréolé de sa renommée, il impulsait, glorifiait même l’identité comme choix. Quand d’autres pâtissaient, hésitants et craintifs à s’affirmer, à parler la langue de leurs vérités, à « être » dans la plus simple expression, lui il exécrait l’aliénation.

L’ipséité n’est pourtant pas l’unique cause qui trouvait grâce aux yeux de ce chantre de l’amour. À l’ère de la charité cosmétique, de l’humanitaire des réseaux sociaux et de la compassion dévastatrice, ce génie avait la sagesse de s’effacer derrière la noblesse des causes qu’il défendait. Il aura fallu attendre qu’il expire pour que nombreux de ses engagements, gardés avec pudeur, soient déballés, comme un somptueux tapis funèbre, sur la place publique. Sa discrétion est un enseignement crucial pour ces incontinents bavards ou ces rapaces opportunistes qui trimballent dans un vacarme assourdissant leur certificat de générosité et affligent le monde de leurs supposées réalisations. Or souvent, leur arrogance est à proportion égale de leurs inutilités.

Prince était un génie. De la trempe d’un Michael Jackson, de la stature d’un James Brown. Comme ses pairs, il a créé pour défier la mort, il a chanté, dansé, joué à presque tous les instruments pour proroger sa naissance et rendre son absence tonitruante dans le présent et l’éternité. Rendre l’âme à 57 ans quand on s’appelle Prince, tirer sa révérence à 50 ans quand on se nomme Michael Jackson, c’est prendre le chemin de l’existence honorable par-delà l’insolence de la faucheuse.

En la matière, ils sont rares les artistes haïtiens qui paraissent déterminés à insuffler à leurs œuvres le parfum de l’universel. Par universel, j’entends moins la soumission aux diktats du marché culturel international, travestissant la beauté de l’exercice au profit d’une bouillie indigeste et jetable, que la proposition d’une œuvre haïtienne dans son authentique expression, mais humaine dans son essence. Il serait crucial de rappeler qu’être artiste n’est pas antinomique à la rigueur intellectuelle et la responsabilité sociale. Être artiste, c’est être chasseur d’étoile dans un ciel nuageux, mais aussi un vecteur d’éducation, un support pour les estropiés et un engagement envers les démunis.

Prince n’était cependant qu’un artiste. Exceptionnellement singulier, mais tout de même un artiste. Sa tribune n’a pas l’étendue qui justifierait d’évaluer son bilan, de sonder dans le concret s’il a changé sa société et rendu le monde meilleur. Qu’à cela ne tienne ! Dans un milieu où le racisme abject trouve encore terreau fertile dans des esprits ineptes, dans un pays où le diktat insolent de l’international peine à masquer son ressort lointain de mépris et de domination, il nous faudra toujours un Prince pour chanter : « Race, fais face à la musique. On est tous des os une fois morts. Race, dans l’espace que je dis humain, tu te coupes, tu me coupes, le sang est toujours rouge ».


5 questions que vous vous êtes sans doute déjà posées sur Élan Haïti 2016 !

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Deux ans après le succès de la première édition, le groupe ÉCHO s’apprête à lancer Élan Haïti 2016. La seconde édition du premier et seul Forum International de Jeunes en Haïti devrait se tenir du 13 au 16 août à Port-au-Prince. Voilà les réponses à cinq questions que vous vous êtes sans doute posées sur Élan Haïti 2016 :

Le symposium Élan Haïti est-il strictement réservé aux jeunes ?

Les jeunes sont en effet au cœur de l’initiative. À l’instar de la première édition, en plus des 30 jeunes qui coordonnent l’activité, ils seront 100 participants entre 18 et 30 ans à être sélectionnés via internet de façon compétitive à travers les 10 départements du pays et du reste du monde.

Cependant, Élan Haïti ne se prive pas de la compétence des moins jeunes forgée dans le fer de l’expérience après des années de brillantes carrières en Haïti ou au niveau international. De ce fait, les panélistes, les conférenciers et même les supporteurs émaneront de toutes les générations.

Est-ce une initiative fermée, dédiée à une élite ?

L’excellence que prône Élan Haïti n’est pas du snobisme ni de l’élitisme. L’objectif consiste à réunir de jeunes leaders compétents sans discrimination sur leurs provenances, leurs situations financières ou sociales. Tous ces jeunes d’horizons divers s’engageront dans la réflexion et la réalisation effective de projets pouvant concourir au développement d’Haïti.

Les critères prépondérants pour participer à ce grand forum international sont entre autres, être étudiant(e), professionnel(le) d’entrée de gamme, entrepreneur et/ou leader social âgé entre 18 et 30 ans, démontrer des capacités de leadership, pouvoir démontrer son intérêt pour aider au développement d’Haïti, être disposé(e), si sélectionné(e), à faire le suivi en équipe de l’exécution d’un des projets d’action qui découleront de l’événement durant une période d’un an et évidemment être disponible pour assister à la conférence du 13 au 16 août 2016.

Quels sujets seront abordés dans Élan Haïti 2016 ?

L’Agriculture, les Changements climatiques, l’Emploi et la Technologie sont les thèmes retenus pour cette année. Ces thèmes seront débattus durant le symposium autour d’une série d’échanges, conférences, visites, ateliers et tables rondes entre jeunes étudiants et professionnels, dirigeants actifs ou entrepreneurs haïtiens et internationaux.

Quel suivi sera fait des discussions après le symposium ?

Ainsi, comme en 2014, des projets concrets seront élaborés par les participants en marge du forum et se matérialiseront sur une durée d’un an.

Comment participer ?

Pour prendre part à Élan Haïti 2016, il faut se rendre sur le site du symposium www.elan.ht et y soumettre sa candidature. Vous avez jusqu’au 15 mai 2016 pour rejoindre les jeunes leaders les plus créatifs et progressistes de cette génération.


Nettoyer sa liste d’amis Facebook est une erreur ! Voilà pourquoi.

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Il est des publications qui vous partagent entre révolte et pitié. Entre l’envie de mener une fatwa contre la bêtise et le désarmement face à ce qui semble être l’ADN d’un système. Entre l’effarement et le dégoût, l’aigreur et le désespoir. La plupart des « posts » sur les réseaux sociaux sont des attestations de stupidité, des déclarations d’amour à l’ineptie ou des arrangements intéressés avec la réalité pour mieux duper, choquer ou exploiter les internautes.Or en la matière, les utilisateurs avisés du web, qui lisent plus qu’ils ne zappent, qui réfléchissent plus qu’ils ne « likent », qui vérifient plus qu’ils ne se noient dans la spirale de l’émotion, sont des perles précieusement rares.

Précieuses, parce que, sans tambour ni trompette, ils contribuent à rendre l’utilisation des réseaux sociaux intéressante. Rares, parce qu’ils font figure de bouée de sauvetage sur une « toile » haïtienne à la dérive et dont les protagonistes les plus influents excellent, peut-être plus qu’ailleurs, dans la superficialité, la désinformation et le fanatisme.

Dans mon fil d’actualité Facebook ou Twitter, ces nouveaux penseurs des temps modernes se bousculent. Leurs publications croulent sous les réactions. Ces « fast-thinkers », pour parler comme Bourdieu, informent, déforment et réforment. Ils proposent, dénoncent, distribuent bons et mauvais points, s’éructent, s’insurgent, le tout dans un tourbillon insupportable de préjugés, d’idées grandiloquentes, expéditives et insensées aussi décousues que préconçues.

Certains se distinguent dans cet étalage détaillé de leur intimité. En estimant nécessaire et vital que le monde entier soit au courant de leurs petits désagréments gastriques ou s’émeuve de la photo de leur arrière-grand-père haletant sur un lit d’hôpital plus proche de l’au-delà que d’ici, ils sont néanmoins enthousiastes (on se l’imagine) à l’idée de recueillir quelques misérables « likes » sur Facebook.

Pourtant, malgré la bêtise assommante de certains « posts » viraux, je me retiens constamment de faire le ménage et d’aseptiser ma liste d’amis. Le désir de contradiction et ma foi insensée dans le triomphe de la raison sur les ténèbres de « l’ignorance suffisante » entraînent le citoyen enfoui quelque part en moi sur les pentes dangereuses de la dépression.

Pour charmer l’inconvénient et rendre l’aventure un tant soit peu soutenable, je suis arrivé à me convaincre que ces testaments numériques, loin d’être des héritages encombrants, sont autant d’occasions pour moi de penser contre moi-même, de me remettre en question et de bousculer mes certitudes.

Mais plus encore, à chaque croyant compulsif transformé en citoyen réfléchi, à chaque fanatique invétéré, pourfendeur des évidences et contestataire des faits mutant en défenseur ardent de la devise des Lumières : Sapere Aude (aie le courage de te servir de ton propre entendement), c’est le monstre intraitable qu’est la bêtise, ennemi de la pensée libre, qui concède une défaite. C’est le citoyen, informé sur les enjeux de son temps, capable de synthétiser et d’exprimer son désaccord dans les limites de la dialectique, qui en vient à porter la démocratie chancelante sur ses épaules.

Car, faudrait-il le rappeler ? Sur Twitter ou Facebook, le sacerdoce du progressiste n’a jamais été d’avoir raison, mais d’amener son interlocuteur à se servir de la sienne.


Une affiche dénoncée porno exaspère la ville des Cayes

(c) Widlore
(c) Widlore Mérancourt

Une affiche publicitaire géante pour la boisson énergisante « RED » focalise l’attention de certains et crée le malaise chez de nombreux citoyens de la ville des Cayes (Sud d’Haïti). Placé à l’entrée de la cité touristique, un des quatre « billboards » de la série a subi les foudres d’un mécontent qui a aspergé de peinture bleue la partie visible du bas ventre de la femme estimée en trop.

L’affiche incriminée représente une jeune femme en sueur, arborant une tenue légère, la peau huilée, les seins gonflés, le nombril creux, dans un cadre rouge s’apprêtant à se défaire de ce qui ressemble plus à une culotte qu’un mini-pantalon. Ses yeux, dissimulés sous la visière de sa casquette semblent se tourner vers la boisson RED en bas et à droite du cadre. Sa langue tirée sensuellement et ses mains agrippées à son « shorty » sexy, visiblement impatient de dévoiler son trésor, confèrent à l’affiche une touche sexuelle indéniable. Une impression que vient confirmer la mention « Pi rèd », inscrite en grandes lettres dans la partie supérieure de l’affiche.

Manifestement, cette publicité s’adresse aux hommes. La jeune femme lascive est ici utilisée comme appât par association. Une interprétation plausible voudrait que boire « RED » attire irrésistiblement la femme qui à la simple vue de la boisson serait prête à faire tomber la culotte. L’endurance sexuelle est aussi mise en avant comme une des qualités de la boisson notamment avec la mention « Pi rèd » ; une référence directe et non voilée à la rigidité du sexe masculin jouant subtilement sur la consonance avec le nom du breuvage. RED exploite stratégiquement pour cette campagne les clichés sociaux de l’obsession masculine pour l’endurance, leur passion supposée pour la porno et le culte de la femme haïtienne parfaite devant afficher des cheveux longs et lisses, la peau claire, le ventre plat, le postérieur plantureux et les jambes fortes.

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Affiche pour la bière Prestige

Pour être honnête, les publicitaires ayant élaboré cette affiche jouent avec des stéréotypes très répandus mondialement et dont l’enracinement dans la société haïtienne est avéré. On se souviendra de la controverse qu’a suscitée en janvier 2005 la Brasserie Nationale d’Haïti (BRANA) avec une affiche géante montrant les fesses quasi nues d’une femme et sa bouteille de bière Prestige à la main sur une plage. À l’époque, selon le président de cette compagnie, Michael Madsen, l’indignation d’une partie de la société civile tenait de l’« émoi (…) chez des censeurs et des ligues féministes en mal d’occupation réelle ».

Et il a en partie raison : le rabaissement de la femme, devenue un simple et vulgaire objet sexuel, dénudée dans la publicité et les vidéoclips ne provoque pas l’horripilation ni de rejets véritables au sein de la majorité. À la limite, protesteront sans conviction ni conséquences certains religieux et quelques organisations de défense des droits humains. Pour autant, il n’est pas enfoui dans l’inconscient collectif aucun lien entre le rabaissement et l’infériorisation de la femme et l’inégalité entre les sexes, les violences conjugales, le viol, l’inquiétant chômage des femmes, l’idée de leur cantonnement à la sphère privée, leurs marginalisations des espaces de prise de décision, etc.

Alors, pourquoi autant de bruit autour de cette affiche « Pi rèd » ?

La meilleure hypothèse nous vient de son emplacement. Elle se situe juste à côté de l’église catholique Saint Michel à l’entrée de la ville. L’idée de placer devant la maison de Dieu la photo géante d’une jeune femme à moitié nue dans une pose suggestive limite concupiscente peut séduire quelques brebis égarés, mais ne recueille pas l’unanimité au sein de l’assemblée. Cette hypothèse est confortée par le fait que la même affiche, plantée à une centaine de mètres plus loin avec cette fois-ci son double masculin n’a pas été vandalisée.

Ainsi, ce n’est pas la dignité de la femme foulée au pied, ni l’exploitation de son corps, encore moins la transformation de celle-ci en objet de consommation sexuel qui fait débat et exaspère. L’on s’émeut principalement de la sensibilité des prêtres et des fidèles égratignées dans leur vertu. La perpétuation des clichés sexués et l’asservissement de la femme importent donc peu. Ce serait à en pleurer si nous ne savions pas tous que l’Église catholique restait encore au 21e siècle la championne incontestable de l’émancipation féminine.


Bloguer, c’est dangereux

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Bloguer est une activité délicate. Étaler ses opinions c’est tenter de penser dans un monde qui ne pense plus. Un monde impatient, pressé, qui dans la course à sa perte se heurte, au détour d’un clic, à l’implacable lucidité d’une phrase sensée, d’un billet pensé.

Bloguer est aussi délicat parce qu’il enseigne l’humilité. Plus on écrit, plus on lit, moins on devrait avoir de certitudes et reconnaître la pâleur de sa propre parole devant l’immensité et la complexité du réel.

Pour ma 100e publication depuis octobre 2013 sur Mondoblog, j’ai au moins tiré cet enseignement : être lent au clavier ! de sorte que le billet « posté » devienne la preuve d’un élan sur l’ignorance, le témoignage vivant d’un dépassement, d’un accomplissement… même provisoire.

Joyeux 100e billet à Encrier, le blog de Widlore Mérancourt.

Merci de continuer à me lire.


« Sipòte andikape se yon jès lanmou », un slogan démagogique ?

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La justice n’est point l’amour ; elle est ce qui soutient l’amour quand l’amour est faible, ce qui remplace l’amour quand l’amour manque.
Alain

Il est dans l’air du temps de faire appel à l’humanité enfouie en nous. L’Etat, les médias, dans la famille, les amis, tous rivalisent de stratégies pour nous rappeler notre nature et l’obligation de solidarité qui serait son corollaire indiqué. L’occurrence de ce rappel qui souvent n’est qu’un fragile paravent pour dissimuler et légitimer des requêtes parfois suspectes rend certains méfiants. Car la technique fonctionne : une simple demande refusée n’équivaut pas à une autre drapée dans son impératif d’humanité ; cette sorte d’obligation qui culpabilise quiconque serait insensible à son interpellation allant parfois jusqu’à dénuer au fautif le qualificatif « d’être humain » (avec un cœur qui bat).

Admettre que certains malfrats ont adopté la technique n’implique pas d’ignorer les flots incessants de corps épuisés, vidés et terrassés que la misère et les inégalités sociales recrachent quotidiennement sur nos trottoirs. Il s’agit plutôt de reconnaître que, de même le vœu de célibat ne met pas nos pauvres prêtres à l’abri des assauts fébriles du désir (même quand TOUJOURS ils exècrent les sentiers qui mènent au pénible passage à l’acte) de même, ne sont pas toujours bienveillants ces gens qui nous abordent dans la rue, prêts à louer un acquiescement, mais prompts à se scandaliser du refus dont serait responsable le suppôt de Satan qui enveloppe notre âme.

L’arnaque atteint son paroxysme quand pour taire ses faiblesses et détourner de son irresponsabilité, l’État fait immixtion dans l’intimité des citoyens pour leur réclamer ce qui ne lui est pas dû. J’entends par là qu’il n’est pas du ressort du président ou des institutions de la république d’exiger des citoyens de la tendresse pour les handicapés, de l’amour pour leurs voisins ou de la générosité pour les miséreux. On est ici en présence de sentiments qui échappent au suffrage public et qui parfois échappent à l’individu lui-même. Qui en effet connaît les mystères qui occasionnent l’emballement de deux cœurs éloignés ou entretiennent une fatale détestation entre deux frères consanguins ?

En lieu et place d’une campagne médiatique du genre « Sipòte andikape se yon jès lanmou* », la collectivité gagnerait mieux à ce que l’Etat fasse respecter scrupuleusement la législation en vigueur. La politique publique responsable, réaliste et potentiellement efficace est celle qui rappelle les normes d’accessibilités, construit des centres éducatifs spécialisés et favorise l’accès des handicapés au marché du travail en bravant nos préjugés par l’institution s’il le faut de quotas obligatoires.

Les handicapés n’ont que faire de l’amour de l’État. Ils ne quémandent pas la bonté contingente ou pire, la pitié de leurs concitoyens : ils ont soif de justice. C’est mal traduire leurs volontés que de demander qu’on s’apitoie sur leur sort, alors que réellement, ils exigent le respect de leur dignité humaine et que les récalcitrants soient contraints de se plier à la loi.

Le recours au compassionnel est pour l’État l’autre nom de l’incompétence

Les défavorisés, les pauvres, les rejetés et les damnés de la terre n’aspirent pas à l’intimité de l’amour sociétal. Les fruits saisonniers de cet arbre convoités bien qu’alléchants, surprennent parfois à être avariés. En vérité, la multitude se languit de l’établissement d’une communauté humaine équitable. Pour le reste, à chacun de faire comme il l’entend.

* Supporter les handicapés est faire un geste d’amour.


Ce féminisme au service du sexisme

Hillary Clinton
Hillary Clinton

Ce serait historique. Les États-Unis pourraient élire en 2016 leur première femme présidente. Après 44 chefs d’État, tous hommes, ce « serait un sacré changement » insiste Hillary Clinton. L’ancienne première dame sous la présidence de Bill Clinton (1993 –2001) et secrétaire d’État dans l’administration de Barack Obama (2009 –2013) est la seule femme en lice pour le parti démocrate et pour l’ensemble de ce processus présidentiel après l’abandon de Carly Fiorina, candidate aux primaires du parti républicain.

Présentée il y a un an comme l’inévitable candidate de son parti, Hilary Clinton est talonnée de près dans ces primaires par le « démocrate socialiste » Bernie Sanders. Cet ancien sénateur a créé la surprise dans l’Iowa en décrochant une quasi-égalité que beaucoup pensaient utopique il y a encore quelques mois (Clinton 49,9 % – Sanders 49.6 %).

Une semaine plus tard, celui qui dit mener une campagne notamment contre l’establishement, pour la régulation de Wall Street et la réduction des inégalités économiques fait l’histoire à New Hampshire en devenant le premier juif à avoir gagné une primaire aux États-Unis. Il a écrasé Hilary Clinton au score de 60,4 % à 38 %. Le seul autre candidat du parti à avoir battu son adversaire à New Hampshire avec un score aussi important est John Kennedy en 1960.

Adulé par les jeunes et les femmes, ce septuagénaire caracole à plus de 80 % dans des sondages auprès de la première catégorie. 55 % des femmes ont voté pour lui à New Hampshire contre 44 % pour sa rivale. L’enthousiasme créé par sa campagne n’est pas de nature à plaire à certains féministes qui supportent Hilary Clinton. Deux d’entre eux ont d’ailleurs fait des sorties médiatiques ayant choqué même dans leurs propres camps.

La première vient d’un personnage qui a su briser le plafond de verre pour devenir la première femme secrétaire d’État aux États-Unis sous la présidence de Bill Clinton. Madame Madeleine Albright a déclaré samedi 6 février lors d’un événement de soutien à Hilary Clinton « qu’il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui ne soutiennent pas les femmes ».

Deux jours avant, Gloria Steinem, une militante historique pour les droits des femmes a martelé à la télévision en faisant référence aux jeunes femmes qui votent pour Bernie Sanders : « Quand vous êtes jeune, vous vous demandez où sont les hommes, et les hommes sont avec Bernie… ».

Nombreux sont ceux qui ont été offusqués par ces déclarations. Un responsable de la campagne de Clinton a même avancé l’idée que la candidate fasse savoir son désaccord avec des propos sexistes qui potentiellement peuvent être contre-productifs dans une perspective de reconquête du vote des jeunes et des femmes. En réponse, Hillary Clinton a défendu Albright arguant qu’« on est choqué par toutes sortes de choses ces jours-ci ».

Une place spéciale en enfer pour les femmes qui ne soutiennent pas les femmes

Même plaidant l’humour, l’ancienne secrétaire d’État aura du mal à justifier cette petite phrase qu’elle a d’ailleurs répétée en 2008 alors que Hilary Clinton était face à Barack Obama. Dire qu’il y a une place en enfer pour les femmes qui ne voteraient pas Clinton implique d’abord l’idée que s’agissant de choisir, les « vraies femmes » doivent obligatoirement jeter leur dévolu sur la gent féminine. Celles qui se sont battues pour avoir le droit de voter il y a moins de cent ans aux USA voient corollairement leurs possibilités de choisir s’amenuiser puisque toujours, elles devraient voter aveuglément les femmes, quelle que soit la condition, quel que soit le programme politique.

En plus de restreindre drastiquement leurs choix, ce commentaire implique aussi l’idée qu’être femme, le genre, importe plus qu’être citoyenne libre et consciente des enjeux de sa société et du monde. La réflexion, le débat, la position intellectuelle par rapport à diverses offres politiques proposées seraient secondaires devant cette fatalité qui est d’être femme. Je suis femme avant toutes choses, je vote femme, le reste importe peu. J’aimerais savoir si madame Albright garderait sa position en face d’une candidate féminine ouvertement réactionnaire et dont la politique promettrait de rendre caduc des décennies de luttes pour le droit de celles-ci.

La position de madame Steinem est encore pire. Insinuer que les femmes qui votent Bernie le font parce que les hommes sont avec le sénateur est aussi soutenir subrepticement qu’au 21e siècle, les Américaines pensent plus avec leur « antre du plaisir » qu’avec leur matière grise. À l’idée que les femmes sont incapables de déceler avec réflexion et raison leurs propres intérêts, elle y a ajouté l’insulte et le mépris pour celles dont plusieurs disent voter Sanders pour le renouveau qu’il apporte dans la politique américaine et ses idées progressistes. À la décharge de Steinmen, elle a publié des excuses sur Facebook. Elle y affirme que les femmes sont plus engagées et plus sérieuses que jamais en politique qu’elles votent pour Bernie ou pour Hillary.

Il est difficile de ne pas mettre ces propos en relief avec ce qui se dit en Haïti. Pour expliquer le peu de représentation des femmes en politique, l’argument qui revient souvent dans la bouche de certains féministes est aussi que les femmes ne voteraient pas femme. C’est à se demander s’il IMPORTE pour ces militants qu’après le sexe féminin la femme ait une vision du monde, un programme politique fédérateur, une stratégie de campagne professionnelle ou même la compétence nécessaire pour prétendre au poste.

Rappelons nous ces mots de Simone de Beauvoir : « La femme n’est victime d’aucune fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux ». Alors, au travail !


Pourquoi le 7 février 2016 restera dans l’histoire ?

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Michel Martelly, ancien président d’Haïti

À mesure qu’on prend le chemin inverse des quelques rares hôtels de luxe construits après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les motifs de joie s’amenuisent. Le panorama de la misère est glauque et effrayant. Les tentes et habitats de fortunes plantés en plein cœur de la capitale dissimulent mal une grave crise de logement dont les prémisses dépassent l’administration Martelly. À l’intérieur de ces taudis déprimants, des enfants végètent dans l’insalubrité, la fièvre Zika et son cortège d’encéphalie et de dysfonctionnements cérébral sont à l’affût, la sous-alimentation assèche les tripes et le fléau de la drogue encore mal documenté anesthésie les consciences. Michel Martelly n’a ni résolu ni ébauché un début de solution au problème de l’habitat. Encore une crise qu’il passera « sans regret, sans envie et sans attaches » au gouvernement qui le succédera.

Aujourd’hui, environ 60 % des Haïtiens sont au chômage. Une inflation vertigineuse comprime l’économie nationale moribonde qui supporte avec peine les délires carnavalesques et la corruption endémique rongeant affreusement les miettes du trésor national et les dons conditionnés de la communauté internationale. Il faut en février 2016 plus de 60 gourdes pour acheter un dollar américain. Ce sprint du dollar va de pair avec une spéculation supplémentaire sur le prix de la plupart des produits de première nécessité massivement importés. Situation qui désespère plus de 75 % de la population qui râle plus qu’elle ne respire, qui vivote plus qu’elle ne vit en dessous du seuil de pauvreté.

Cette administration qui exècre la légalité et a remplacé des élus locaux par ses « attachés » laisse le pays embourbé dans une grave crise électorale. Des députés et sénateurs procédant d’une élection à la légitimité suspecte sont en charge de l’avenir du pays. La crainte de poursuites judiciaires et l’envie de se perpétuer au pouvoir par le truchement d’une « politique de doublure bananière » ont conduit le pays vers le fiasco. Le « mal élu » a « mal quitté » le pouvoir.

Après ces 5 années maudites, nous refaisons « encore » la une des médias internationaux. Haïti n’est certes pas « open for business », mais les frasques ineptes de notre cher président nous ont ouvert la porte des tabloïds les plus lus à travers le monde. Il ne lui a pas suffi de créer un gouvernement non paritaire, d’être président d’une société où être femme est un désavantage, où le sexisme rétrograde et le machisme sont piteusement célébré jusque dans les plus grands temples. Pour notre honte, le génie présidentiel a ajouté de la promotion à son échec, de la bêtise à son incapacité et avant son départ, il s’est assuré que ceux d’ici et d’ailleurs n’aient aucun doute sur sa pleine capacité à injurier, dénigrer ou à se dévêtir en public. Des talents exceptionnels qu’il n’a pas abandonné durant son passage à la tête de l’état et sur lesquels il se précipite sitôt son mandat terminé.

« La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures » disait déjà Noam Chomsky. Et en la matière, le dos du contribuable n’a jamais été aussi doux. Spots radio et télés, campagnes payées en dollar sur les réseaux sociaux, billboards à tous les coins de rue, achat pur et simple de médias ou de leurs rédactions entre autres ont assuré jusqu’à aujourd’hui au président une popularité artificielle créée non sur la base de réalisations concrètes, mais à la faveur d’une intoxication agressive et permanente de l’opinion nationale et même internationale. À entendre ingénument des citoyens déclarer qu’« il n’a pas été un président de rêve, mais il a fait mieux que ces prédécesseurs malgré le blocage de l’opposition », je ne serais pas étonné de les voir l’acclamer dans les années à venir.

Celui qui jamais ne cacha son infaillible admiration pour les Duvaliers laisse Haïti avec une cigarette allumée dans les deux bouts. Un malfrat recherché internationalement pour trafic de stupéfiants menace de scinder le pays, des individus paradent armés dans les rues (en passant, personne ne s’est demandé pourquoi l’administration Martelly a réveillé l’armée à la fin de son mandat), l’insécurité reprend son droit de cité, les caisses de l’état sont vides depuis longtemps et la population est plus pauvre que jamais.

C’est dur de l’admettre, mais le seul motif de joie du pays est que le président Michel Martelly a pris sa place dans le placard des modernités anciennes le 7 février 2016.


Ce que l’affaire « Bal Bannann Nan » révèle de notre société

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« Racisme, esclavagisme, sexisme : chaque fois, la victime a d’abord été dépouillée de sa pleine humanité pour être mieux avilie ». Barry Gifford

Les 6 minutes du carnaval de Michel Martelly (président d’Haïti pour encore quelques jours) ont provoqué un rejet phénoménal au sein la société civile haïtienne. Sur la toile, à la radio et à la télé, beaucoup de citoyens et d’organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé une attaque violente, bête et méchante contre la dignité de deux journalistes connus et dont l’opposition au régime Tèt Kale est notoire.

Monsieur Martelly n’en est malheureusement pas à son coup d’essai. Cet individu dont la grivoiserie et l’indécence divisaient déjà la société haïtienne du temps de sa sulfureuse carrière musicale a attaqué brutalement une femme en juillet de l’année dernière, pour avoir osé le mettre en face de ses mensonges et de ses contradictions.

À chaque fois, le schéma se répète. Les femmes qui lui tiennent tête sont renvoyées à leurs féminités comme preuve de leurs infériorités. Et pour cela, elles sont méprisées, humiliées et injuriées par celui censé être le premier citoyen du pays.

Au machisme arrogant et ignorant du personnage, il faut y ajouter sa haine de la presse et de la parole dissidente. En effet, dans cette chanson inepte, capitulation de la pensée chez quelqu’un incapable d’aligner deux arguments consécutifs sans tomber dans les bas-fonds de l’invective, Sweet Micky s’en est aussi pris à Jean Monard Métellus, un autre journaliste, animateur populaire de débat radiophonique. Il accuse ce dernier de blanchir sa peau. La dépigmentation étant culturellement considérée comme un attribut féminin, c’est son appartenance à la classe des hommes que le président a remis en question. Quel homme véritable se rabaisserait effectivement au niveau de la femme pour arriver à commettre l’infamie qui est de blanchir sa peau ? Sans commentaires.

Ces affaires disent beaucoup sur le caractère exceptionnel de la démocratie en Haïti. En effet, il est difficile d’imaginer un pays démocratiquement solide et viable qui élirait un tel personnage comme président de la République. Les tendances dictatoriales de l’individu sont connues de tous. Il a depuis toujours soutenu et défendu la dictature sanguinaire des duvaliers. Si bien qu’au mépris des nombreuses victimes et de leurs enfants, à la mort de Jean Claude Duvalier, Michel Martelly a « salué le départ d’un fils authentique d’Haïti ». À sa nostalgie de la dictature, il y a ajouté l’humiliation de la mémoire du peuple haïtien en voulant organiser des funérailles nationales pour l’ancien dictateur. N’était-ce pas la vigilance de la société civile, les protestations des victimes et l’indignation de la société internationale, Sweet Micky déroulerait le tapis rouge aux frais de l’état pour celui qu’il convient considérer comme son principal modèle politique.

Ces affaires disent aussi beaucoup sur l’état de la société haïtienne. S’il n’étonne quiconque de constater le manque de gêne, le peu de discernement et la complicité à la dégradation de la dignité humaine dont se rendent coupables certains nervis du PHTK, quelques médias irresponsables et de rares citoyens en défendant et en diffusant ce qui n’est autre qu’une honte nationale et le symbole d’une société effondrée, la réaction de la bien-pensance est aussi à questionner.

L’attaque, par le statut de son auteur et la presse, rempart de la démocratie, rare symbole d’un heureux héritage post-86 qu’elle dégrade, consacre une abjection absolue. C’est un fait. Pourquoi dès lors orienter l’ESSENTIEL des hommages vers madame Liliane Pierre-Paul ? Elle est atteinte dans sa dignité certes, mais qu’en est-il de M. Métellus ? Estimons-nous par là que seule la femme, par son sexe, mériterait notre attention, notre compassion, nos hommages ou pire, notre pitié ? Est-ce dire que ces sensibleries ne siéent guère à son collègue masculin qui de par son sexe serait naturellement immunisé ? Pourquoi peu de personnes ne parlent du dévoiement de la liberté d’expression ? Ni de la presse et de la liberté d’opinion qui semblent exaspérer au plus haut point notre illustre démocrate et commandant en chef ? N’est-ce pas encore renvoyer Liliane à sa « féminité » que d’essentialiser les crispations autour de sa personne dans un déluge « rosé » d’amour et de bons sentiments frisant la puérilité ?

Pour ces questions, je ne saurais y apporter de réponses définitives. Mais, ne pas les poser serait refuser d’y déceler, et par là de combattre les tentacules effrayants du sexisme et du machisme qui étouffent la société haïtienne. Des tentacules géants qui l’amputent de plus de 50 % de son potentiel créatif et opérationnel susceptible de favoriser son développement.

Sweet Micky et son cortège bruyant de vilénies passeront. Souhaitons le même sort à sa fameuse clique où les individus intègres et compétents sont de rares exceptions. Notre honte sera atténuée, mais qu’adviendra-t-il des mécanismes structurels ayant favorisé son arrivée au pouvoir et la commission impunie d’actes, que « l’immoral le plus intégriste » n’aurait même pas envisagé dans la plus désordonnée des anarchies ?


Le CEP, ce pantin géant

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Le pantin est un dispositif ingénieux. Processus régénérateur, il permet l’utilisation effective de matériaux inutiles à un assemblage dont la résultante présente quelques intérêts. Il permet aussi de vendre l’illusion d’une réalité inexistante, fait de fil et de bois. La connaissance par le spectateur de l’existence du stratagème ne tarit pas son émerveillement, elle l’excite. Ainsi, le comédien dans son cirque est admiré ! Non pour un géniteur d’enfants parce qu’il a créé des poupées en bois qui dansent. Mais pour son talent et son imagination qui font danser des poupées en bois.

Cependant, le fonctionnement du pantin est pour une institution le plus grand des périls. Il lui fait courir le risque des caprices, des intérêts et de la duplicité des différentes forces en présences. Pour peu qu’ils aient un minimum de pouvoir et d’influence, voilà l’institution ballottée au gré des diktats des uns et de la tyrannie des autres.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on a inventé l’État de droit ! Ce concept véhicule l’idée d’une institution étatique libérée de quelques hommes pour mieux servir tous les hommes. Rendre la loi impartiale et impersonnelle, descendre le législateur et les puissants au même niveau que le dernier des paysans quand il s’agit d’appliquer les principes sont autant de valeurs fortes garantissant la viabilité des institutions démocratiques et une justice équilibrée.

C’est du mépris arrogant de ces nécessités élémentaires que découle la crise électorale actuelle. La multiplication d’innombrables boussoles contradictoires a fait échouer le « bâtiment  » électoral. La constitution de 1987, la loi, le décret électoral, les procédures, les « best practices » en matière de gouvernance ont été troqués aux profit des desiderata peu avouables de l’administration en place, des vociférations désordonnés de pseudo-intello, de manifestations parfois violentes et des diktats de certaines ambassades influentes qu’un égarement journalistique a tort de qualifier de « communauté internationale ».

La machine électorale disgracieuse par l’assemblage d’individus dont on connaît aujourd’hui la cupidité sans limite est alors devenue un pantin géant manipulé, tiraillé et décrié même par ses concepteurs. À force de s’acharner tels des forcenés chacun sur leurs fils, nos manipulateurs électoraux sont arrivés à casser la mécanique.

La question maintenant n’est pas de s’atteler à replâtrer les morceaux pour produire encore le même spectacle de mauvais goût. Il s’agit plutôt de revenir vers une administration légale dont les bases sont le renforcement de la démocratie, le « vox populi » avec la loi pour seule boussole. Si pour cela il faut vendre le cirque et licencier tous les acteurs, moi je dis non sans abattement et moult soupirs découragés : pourquoi pas ?


La ville de Jérémie est mourante

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Basse ville – Jérémie

Entre les caresses de la brise matinale, le sifflement ensorcelant d’oiseaux aux mille couleurs virevoltant dans un ciel, dont les nuages, espiègles, concourent avec la mer pour ombrager et rafraîchir des journées d’ordinaire paisibles, celui qui a le privilège d’être né à Jérémie est plus proche d’Eden que de Port-au-Prince. Endimanchée au quotidien, la Cité des Poètes rougit encore d’être l’un des derniers coins verts d’Haïti. Si d’aventure on y ajoute ses délicieux « Konparèt » ou le plantureux « Tonm Tonm », mets régional, creuset d’une lente histoire de bravoure, d’audace et de triomphe, cette ville où jadis Etzer Vilaire, Émile Roumer et tant d’autres ont humé leurs inspirations serait sans prétention si de comparaisons elle renonçait à trouver sa siamoise sur cette île tourmentée.

J’y suis né ! Accident de parcours, certes. Mais toute naissance ne porte-t-elle pas en son sein les germes de l’attachement ? Les miens ont grandi, fleuri pour s’épanouir au même rythme que ma conscience et mon entendement. Sapere aude, « aie le courage de te servir de ton propre entendement » disait Kant dans son opuscule, « Qu’est-ce que les lumières ». À force d’être aveuglé par la scrutation amoureuse des feux célestes, j’ai donc appris à substituer par moment mon éblouissement à la raison critique. Pour passer de la naïveté contemplative à la réflexion salvatrice, de la poésie à l’engagement et mieux, des effluves verbaux à la tentation de l’acte, seul véritable moteur du changement.

Depuis lors, Jérémie n’est plus pareil. Là où j’ai applaudi la vénération et le respect pour les noms de la littérature qui y sont nés et dont les plumes universelles ont peint l’aurore, l’homme et la terre, je dénonce l’abandon des lettres. Je m’érige contre cette frénésie réactionnaire consistant à ne conjuguer la fierté qu’au passé quand l’avenir est à portée de responsabilité. Pourquoi n’encourage-t-on plus nos jeunes à la lecture et à l’écriture ? Pourquoi cette musique vide, hurlante, au message vulgaire et décousu a-t-elle remplacé les vers pétillants d’esprits ? Est-ce donc ça le devenir de la culture dans la cité des poètes ?

J’ai applaudi la singularité, la vaillance de certains aînés qui aujourd’hui encore siègent parmi la jeune génération. Mais leurs présences accentuent l’absence de régénération. Autant sont-ils grands, autant les maires successifs, les responsables politiques, les décideurs et militants d’aujourd’hui paraissent amoindris. Autant leurs œuvres sont des présents éternels pour la postérité, autant cette psychologie du minimum, ce nivellement par le bas et cette passion à vivre dans la laideur, à se contenter des oripeaux sans lueurs devient révoltante.

L’entrée de la grande ville de Jérémie est une torture visuelle. Le pont de la Grand’Anse non entretenu sera sous peu une passerelle vers l’au-delà pour de nombreux concitoyens. Que dire de « Obak » ? Ce carrefour que dessert des routes encore en terre battue où séjournent dans la pagaille absolue des marchands de tous acabits, des policiers en uniforme, des bus et camionnettes de toutes les teintes du misérabilisme et des mendiants aux yeux vidés par l’enfer de l’indigence.

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Rue étroite – Jérémie (c) Jetry Dumont

Faut-il parler des rues d’une étroitesse d’un autre temps, temps des chevaux et des carrosses, de ces maisons en plein cœur de la ville dont l’administration en place a sauvagement amputé de leurs façades afin dit-on d’agrandir les routes, laissant l’impression d’une ville après-guerre ou ayant subi quelques catastrophes défiant l’imagination ? Et le déboisement de subsistance non encadrée ? Que dire des trois heures d’électricité distribuées aléatoirement et surtout en périodes de fêtes ou de passage du président de la République ? Faut-il parler de la quasi inexistante distribution de l’eau potable ? De la prostitution s’épanouissant sur les carcasses humaines crachées par la misère, l’oisiveté, l’éducation au rabais, l’analphabétisme et le chômage…

Où est passée l’élite jérémienne éclairée et soucieuse du bien-être du plus grand nombre?

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Fatras au bord de la mer – Jérémie (c) Jetry Dumont

Entre l’amoncellement de fatras jonchant les rues, la déambulation de zombi d’enfants aux silhouettes faméliques abandonnés aux rues et le sifflement strident d’un « rabòday » rivalisant de stupidités pour dénigrer les femmes, je termine mes vacances à Jérémie. Loin de moi l’insouciance de l’idéaliste qui néglige et méprise la réalité. Je reconnais que certaines « petites choses » ont été faites et que des citoyens de bonne volonté s’acharnent incessamment à insuffler de la vigueur à cette léthargie qui tue lentement l’une des plus belles richesses culturelle, patrimoniale, historique et panoramique du pays.

Cependant, appeler cela développement serait non seulement une insulte à ma ville, mais un mensonge des plus éhontés. Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde disait Camus. Il est encore temps d’avoir de l’ambition, de concevoir, de construire, de recouvrer notre grandeur et de racheter notre dignité. La crasse n’étant pas une fatalité, jérémiennes, jérémiens, prenons-nous en main !