Autodérision algérienne en 2016
Samedi 13 février 2016, une journée placée sous l’autodérision algérienne : le temps est froid et pluvieux. J’ai rendez-vous à 9h30 au consulat général d’Algérie de Vitry sur Seine.
Rendez-vous au consulat.
6h du matin : l’alarme ne sonne pas. Je me réveille avant le cocorico matinal de mon alarme. Et je me lève avec cette pensée : je ne parie même pas un carambar qu’au consulat on me dira que mon dossier ne passera pas. Après mon petit-déjeuner, je me hâte de courir pour prendre les transports en commun. Et voilà que pour couronner le tout, il se met à pleuvoir. L’attente semble durer des lustres. Le périple est long en raison de multiples correspondances.
De nombreuses années se sont écoulées avant que je n’y remette les pieds. Rien n’a changé. J’arrive en retard d’un quart d’heure. Une file d’attente grossit raisonnablement à l’entrée consulaire entre le mur et les barrières métalliques. Mon tour arrive : je me présente à l’accueil. On me dit de me rendre directement aux guichets 10, 11 ou 12. J’ai l’embarras du choix.
J’entre et là, une foule stationne au rez-de-chaussée, j’essaie de me frayer un chemin tant bien que mal entre la valse des « excusez-moi » et des « je vous en prie ». Il m’a fallu moins de deux minutes pour parcourir moins d’un mètre cinquante après avoir gravi trois marches d’escalier: un record!
J’y crois. J’interroge une dame pour savoir où sont ces trois fameux guichets après lui avoir répété leurs numéros comme des tickets gagnant d’un loto hors du commun et inédit. Elle me les montre car les numéros ne sont pas visibles depuis l’endroit où je suis bloquée : on est serré comme des sardines dans une petite pièce de 35m2 environ. Les personnes âgées, assises, patientent en silence. L’esprit des adultes s’échauffent rapidement. Et pour preuve : devant moi, se trouve une jeune fille à qui je dis : « J’espère que l’agent de sécurité ne demandera pas un papier pour justifier de mon heure de rendez-vous. » Étonnée, elle me répond : « Ah ! Pourquoi ? » Et je lui apprends que l’agent vient de le réclamer à une personne avant de la laisser passer au guichet. Elle s’exclame alors : « Y a pas intérêt. C’est du grand n’importe quoi. Ça fait trop longtemps que j’attends ce moment. » Et j’ajoute : « Et en plus dans la liste des pièces à fournir, l’impression du courrier qui fixe le rendez-vous n’est pas mentionnée. » Et je conclus : « C’est toujours comme ça ici. Je prends mon mal en patience. » Des enfants pleurent, des esprits surchauffent, des hommes et des femmes s’emportent contre l’agent de sécurité. Pauvre monsieur. C’est alors que ce dernier se tourne vers moi pour répondre à un homme. Alors qu’il s’apprête à me tourner le dos, je lui dis calmement : « Bonjour monsieur. J’ai rendez-vous à 9h30 et je viens d’arriver avec du retard. » Il me dit de passer au grand étonnement de cette jeune fille et de bien d’autres personnes.
Un homme, hors de lui, s’énerve et nous bloque le passage à moi et à une autre personne en criant qu’il est là avant nous depuis un moment alors qu’il venait d’arriver après moi. Comme il n’obtient pas satisfaction, il crie de plus belle : « Moi aussi j’ai rendez-vous. » L’agent lui demande l’heure de son rendez-vous qui est 10h. Et il se voit asséner la réponse suivante : « Monsieur, les rendez-vous de 9h30 sont prioritaires sur le vôtre. » Je passe malgré son bras qui bloque l’accès aux guichets. Encore un petit effort, je suis en première classe. Quelle classe! Seule une personne attend devant moi pour passer au guichet. Je respire loin des effets secondaires de la boîte à sardines.
« Suivant »
« Suivant » : au consulat la « perfection au masculin ». Les « suivantes » n’existent pas. Pas étonnant dans le code de la famille, une femme est quasiment inexistante.
Au guichet, une jeune fille voilée qui ne me dit pas bonjour me demande de lui décliner mon identité. Allez ma petite dame, je vous offre d’abord un petit, mais vraiment tout petit « salam alikoum » et là elle me répond « alikoum assalam ». Elle ne trouve pas du premier coup mon nom sur la liste alors je l’aide en lui épelant les lettres. Bingo! Mon nom est rayé de leur liste et l’heure du rendez-vous aussi.
Je lui remets mes documents à sa demande. Elle me dit non sans agacement teinté de colère : « Il est où votre formulaire ? ». Je lui réponds calmement : « Ah oui le formulaire 02 ! Impossible de le télécharger depuis votre site car il n’existe pas. » Elle rit aux éclats en me rétorquant avec mépris « Mais c’est le formulaire du passeport ». Et je lui apprends qu’aucun formulaire téléchargeable n’a pour nom « formulaire 02 ». « Mais c’est normal, dit-elle, 02 ça veut dire 2 pages ». Je suis à deux doigts de lui répondre : « Ah oui, lol, mdrrr ». Comment oublier que « laugh out loud » est démodé! Je me contente de lui déclarer : « Ne vous énervez pas. Je ne pouvais pas deviner. Moi, je garde mon calme ». Aussitôt, elle s’énerve en ces termes : « On reçoit 400 personnes par jour. Alors si tout le monde fait comme vous. » Je lui réponds que les devinettes ne sont pas mon point fort. Bon elle me remet un formulaire, le seul qu’elle possède pour que j’aille le photocopier après m’avoir fait observer que ma carte d’immatriculation est non valide. Nouveau parcours du combattant pour me rendre à la photocopieuse entre les coups de coude, les « excusez-moi » et les « je vous en prie ». Je glisse ma monnaie. J’ai photocopié le recto. Il ne me reste plus que le verso à photocopier. Une véritable antiquité, cette photocopieuse : non seulement impossible de sélectionner le recto/verso mais encore elle ne rend pas la monnaie. Ah, la,la! Même entre les quatre murs du consulat, vous êtes au bled, donc en Algérie et on me taxe sans me rendre ma monnaie. Deux hommes se plaignent de ne pas avoir de monnaie. L’un d’eux me demande s’il faut ce formulaire en plusieurs exemplaires pour ses enfants. Je lui réponds simplement qu’il vaut mieux s’adresser aux employés du consulat en ajoutant : « Ça change tellement même entre eux. » Pendant que la photocopieuse avale mes pièces sans me rendre la monnaie, je me rends compte que j’ai deux photocopies du même verso et je donne l’excédent à ce père de famille. Il vient en aide à un autre homme qui n’a que des billets et lui photocopie ce dont il a besoin. La solidarité, au consulat, existe encore.
Je me faufile pour revoir la dame du guichet à sa demande et à cet instant elle est occupée. C’est alors que j’entends une autre dame au guichet mitoyen crier : « Suivant ».
Je me présente et lui explique très rapidement et très brièvement que j’ai rempli ma photocopie de mon formulaire. Elle vérifie jusqu’à ce qu’elle tombe sur mon groupe sanguin non renseigné. « C’est quoi votre groupe sanguin ? » Je lui réponds que je ne m’y suis jamais intéressée et ne le connais pas. Elle me répond : « Allez, dites-moi celui que vous voulez. » Je prends ça pour un canular et lui réponds que j’irai voir mon médecin pour apporter la réponse avec un justificatif car tout doit être justifié officiellement dans la demande. Elle insiste en me disant de lui en donner un. Je n’insiste pas et lui réponds « Quel est le groupe le plus connu ? » Elle prend son stylo et écrit après me l’avoir annoncé « O+ » sur mon formulaire. Je suis O+ made in bled et je risque de faire un carton et d’avoir un franc succès : ma foi, on n’arrête pas le progrès après avoir pensé que toute fausse déclaration peut me coûter ultérieurement des ennuis judiciaires avec l’Algérie. Il est possible de devenir célèbre grâce au sésame du O+ délivré par cette dame. Bref. Passons. Elle m’annonce avec un sourire que je peux patienter pour passer à la caisse. J’ai la présence d’esprit de lui demander s’ils acceptent un chèque faute d’avoir pu retirer de l’espèce ce matin. Elle me dit « Non de l’espèce ». Ça ne rigole plus : au bled, entre les murs du consulat, on ne veut que du cash. Je lui dis : « La vérité madame, ce matin à l’ouverture, au guichet, ma banque m’a dit qu’il y a une panne nationale : plus de retrait, plus de dépôt jusqu’à nouvel ordre. Je n’ai pas le choix. » Elle se rend dans un autre bureau. J’égrène dans mes pensées des « pourvu qu’ils acceptent mon chèque ». Au bout de quinze minutes d’intenses négociations avec le bureau inconnu, elle revient me voir et me tend tous mes documents après m’avoir montré un laisser-passer écrit au stylo « sans rendez-vous. 8h30 sauf le samedi. » sur mon formulaire. Elle ajoute : « Revenez dans la semaine avec votre groupe sanguin. » Je ne peux m’empêcher de lui sourire tout en pensant que le seul motif du refus de mon dossier est l’absence de cash et non celle de mon groupe sanguin.
Morale de l’histoire : ça fait presque un an que j’attendais ce rendez-vous et c’est reparti pour un nouveau rendez-vous. La suite au prochain épisode : j’aurai d’ici là obtenu mon passeport biométrique dans dix ans voire plus si affinités. M. Le Président de la République, pourriez-vous pousser les murs du consulat pour l’agrandir et recruter davantage d’employés ? Être parqué comme on l’est au consulat, c’est bézef, c’est trop. A défaut de « loller », je signe le tout par un smiley.