Serge

Cinq profils du député brésilien

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CMCVM_-_Comiss%C3%A3o_Permanente_Mista_de_Combate_%C3%A0_Viol%C3%AAncia_contra_a_Mulher_(21905429733).jpg
Benedita da Silva a participé, comme ici, à plusieurs commissions parlémentaires sur les droits de l’homme, des indigènes, des noirs et des femmes | crédit photo: Senado Federal | wikimedia commons

Les jeunes parisiens ne sont pas les seuls à passer des Nuits debout. Les parlementaires brésiliens participent depuis vendredi à un marathon. Dimanche 17 avril ils ont voté en faveur de la procédure de destitution de Dilma Rousseff. L’occasion pour nous de découvrir ces figures si étranges qui contrôlent et bloquent la politique brésilienne. J’ai donc décidé de vous présenter, sur un ton léger et provocateur cinq d’entre eux. Des figures assez connues du grand public et/ou/aussi bien polémiques les unes que les autres.

J’imaginais, à tort, que le seul clown du Parlement brésilien était le député Tiririca, mais force est de constater que je me suis trompé. La longue session qui décide quel sera l’avenir du Brésil, en résumé, avec ou sans Dilma Rousseff (présidente réélue en 2014), a le mérite de nous faire découvrir des personnalités incroyablement caricaturales, voire rétrograde, qui font figure de législateur au Brésil.

1. Frank Underwood ou le « facteur » Eduardo Cunha

On l’avait un peu beaucoup sous-estimé, mais l’homme a montré qu’il était constitué d’adamantium (l’indestructible métal dont est constitué le squelette de Wolwerine, quoique). C’est le cerveau derrière la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff. On a longtemps pensé que Jair Bolsonaro était l’homme le plus dangereux du Brésil, sûrement le pire député du monde, mais on se trompait. C’est bien Eduardo Cunha qui aura raison du PT et de Dilma Rousseff.

Ses méthodes ressemblent à s’y méprendre à celles employées par le personnage fictif Frank Underwood dans la série américaine diffusée sur Netflix, House of Cards.

Bien plus dangereux que le vice-président Michel Temer (lire mon analyse ici) , c’est au président du Parlement national, ennemi juré de la présidente qui a porté les coups les plus durs au gouvernement Rousseff.

Comme le rappelle le New York Times, Cunha n’est pas un saint ou un chevalier qui lute contre la corruption, au contraire. Il est mis en examen dans plusieurs affaires de corruption et détention de comptes bancaires occultes (Panama Papers compris). Cunha est même un habitué des restaurants les plus luxueux de Paris tels que le Guy Savoy, comme on peut s’en rendre compte dans ce reportage sur la vie luxueuse du président de l’Assemblée nationale, diffusée sur Globo.

2. Jean Wyllys, gay-pop

C’est un peu le Bruce Willis de Brasília. Le Bruce Willis du pauvre, évidemment. Premièrement, une curiosité chez lui. Quelque chose qui me fascine d’ailleurs. Aucun de ses noms n’est proprement brésilien. Jean est un prénom français alors que Wyllys ne ressemble pas vraiment à un nom de famille brésilien ou portugais.

On apprend grâce à sa page Wikipédia (merci Wiki…) que son nom complet est Jean Wyllys de Matos Santos. Ah, ça me rassure. Je commençais à penser qu’il était juif. On apprend également qu’il s’est fait connaître en remportant la cinquième édition du reality show Big Brother Brasil. Hum, c’est pas bien ça, Jean. L’occasion pour moi d’aller reluquer sur Youtube…

Ok. Tout le monde a le droit de faire des bêtises dans la vie. Surtout si ça vous rapporte un million… Il s’est bien récupéré depuis. Jean Wyllys a décroché ses diplômes universitaires, il est devenu professeur puis l’un des députés les plus connus et pertinents du Brésil. Il milite notamment pour les droits des minorités au Parlement.

3. Jair Bolsonaro, « l’ami » d’Ellen Page

Le pire député du monde selon le journal Le Monde est connu pour ses positions polémiques sur les homosexuels, ce qui lui a valu d’être interviewé par Ellen Page. S’il était le président du Brésil, sa première mesure serait peut-être d’envoyer le gentil Jean Wyllys au goulag. Bref, on trouve de tout dans le Parlement brésilien. Je vous laisse le découvrir en tête en tête avec Ellen Page qui, pour le coup, est plus effrayante que Jair. A partir de 2’30 » (sous-titrage en anglais).

4. Fille à papa

Femme brillante et controversée, Luciana Genro est avant toute chose la fille de Tarso Genro, un poids lourd du Parti des Travailleurs (PT) de Lula da Silva et Dilma Rousseff, ancien ministre et ancien gouverneur de l’Etat du Rio Grande do Sul, deux fois maire Porto Alegre, professeur, philosophe, poète, etc, etc. Autant dire que « Luciana » a longtemps navigué dans « les eaux troubles du PT » avant de s’en séparer et de fonder son propre parti, le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) dans lequel elle milite avec Jean Wyllys.

On imagine bien qu’à un moment de sa vie, elle a dû appelé Lula, « tonton », et Dilma, « tantine ». C’est peut-être ce qui explique la scène la plus marquante des débats pour les élections présidentielles de 2014 lorsqu’un candidat d’extrême droite ordonne qu’elle se tienne devant lui  afin d’être « recadrée »…

5. L’ancienne femme de ménage

Benedita da Silva a été gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro, mais aussi sénatrice. Elle a raconté sa vie lors de « l’interminable session » parlémentaire au cours de laquelle tous les députés ont défilé à la tribune. Elle a raconté la plus belle histoire du marathon des parlémentaires. Elle a raconté l’histoire d’une femme de ménage qui n’avait pas de quoi nourrir ses enfants, une femme qui n’avait pas les moyens de payer le transport pour que sa fille réalise son rêve d’être dentiste. Elle a raconté l’histoire de millions de familles brésiliennes d’avant Lula da Silva. Elle a raconté l’histoire du Brésil.

Mais elle a aussi parlé d’espoir, de la vie de ces femmes qui ont finalement réalisé le rêve de leurs filles. C’est peut-être sa vie qui a inspiré le magnifique film d’Anna Muylaert, Une seconde mère. Elle a rappelé quel était le crime parfait de Dilma Rousseff: réaliser le rêve des millions de jeunes filles qui rêvaient d’être dentiste.

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Fuite d’écoutes téléphoniques : quelle utilité pour la démocratie ?

wiretapping

N’en doute pas cher lecteur, c’est bien une question philosophique que je te propose aujourd’hui. Oui, oui. Une question si sérieuse que même le grand Kant a dû y répondre dans son article sur « l’histoire universelle du point de vue cosmopolitique ». Le philosophe allemand avait compris que la paix dans le monde (et dans nos pays) dépend du fait que certaines informations, même d’intérêt public, doivent être maintenues secrètes.

Or, nous vivons à une époque où tout fuite, pour le meilleur et pour le pire. Nous vivons à l’ère des GAFA, ces corporations qui contrôleront le monde dans un futur pas si lointain, si ce n’est déjà le cas (GAFA, est l’acronyme constitué des géants américains Google, Apple, Facebook, Amazon). Ce n’est plus un secret pour personne, nos vies sont pratiquement « sous écoutes ». Le délire libéral nous a conduit à la matérialisation d’un scénario que même la Stasi aurait eu du mal à prévoir  (la Stasi était le service de police politique, de renseignements, d’espionnage et de contre-espionnage de la République démocratique allemande (RDA) créé en 1950). Si tu as vu le film  La Vie des Autres, tu comprendras mieux de quoi je parle ! Nous avons pratiquement délégué la surveillance de nos vies privées aux marchés des Nouvelles Technologies… rien de nouveau jusqu’ici.

Edward Snowden a radicalement changé notre perception du rôle de l’Etat en révélant leurs activités occultes notamment en matière de violation de la vie privée des citoyens. Il est d’autant plus incompréhensible de constater qu’à grande échelle, le public a plus ou moins accepté l’idée d’être espionné par un gouvernement, si en échange sa sécurité était assurée. Belle illusion. Mais, comme l’affirmait le sociologue Pierre Bourdieu, l’illusio* est bien la condition moderne par excellence.

La nouveauté, de mon point de vue, consiste en cette banalisation de la vie privée de nos dirigeants : une banalisation du pouvoir, sa démystification, sa désacralisation.
Ceci est particulièrement vrai aujourd’hui au Brésil. En fait, ce qui motive ce commentaire, ce sont les derniers événements qui ont touchés Dilma Rousseff et Lula da Silva, autrement dit un chef d’Etat et son prédécesseur : leurs conversations confidentielles ont été largement exposées.

Mais cette semaine, le Brésil a atteint un niveau supplémentaire d’immaturité politique – voire d’irresponsabilité tout court –  lorsque des propos du vice-président de la République (Michel Temer) ont fuité, tiens-toi bien ami lecteur, sur … WhatSapp ! Non, tu ne te trompes pas. J’ai honte d’écrire ce billet. J’ai honte d’avoir à me demander pourquoi le vice-président d’un pays aussi grand (et aussi sérieux ?) que le Brésil utilise l’application Whatsapp à des fins personnelles alors que même les filles de Barack Obama n’en ont pas le droit ! Question de sécurité…

Ci-dessous, l’audio du vice-président, Michel Temer, qui a fuité le 11 avril 2016:

Le contenu de cette fuite ? Tout un programme. Littéralement. La présidente Dilma Rousseff n’a pas encore été éjectée de son fauteuil que son « vice » (qui grimperait sur la première marche du pouvoir si la présidente venait à être destituée) déroule son programme en 13’52 » sur Whatsapp. Delirium ! Résultat, une semaine (et peut-être plus) de délire collectif sur l’irresponsabilité de la classe politique brésilienne.

Trop de transparence dans une démocratie peut produire l’effet contraire en la détruisant de l’intérieur. La philosophe du droit Simone Goyard-Fabre nous avisait sur ce danger.

Cela dit, il faut bien dénoncer la responsabilité des médias qui ont fait de la politique un spectacle. Chaque jour apporte son lot de révélation, ici  la « fuite » d’une conversation « d’intérêt public », là une nouvelle « écoute téléphonique », nous savons tous que le seul but inavoué de tout ceci n’est autre que la course à l’audience.

 

* Dans la théorie du Champ, de Pierre Bourdieu, l’illusio se réfère à une forme spécifique d’intérêt « pour le jeu », dont le caractère historique assure son fonctionnement. 

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Brésil : « C’est la fin de notre système politique »

Image: Wikimedia Commons
Image: Wikimedia Commons

« Vai terminar em pizza ». C’est une expression très connue au Brésil. Elle symbolise l’impunité dans les institutions publiques de ce grand pays d’Amérique latine. Une manière très brésilienne de résoudre les conflits, c’est le jeitinho brasileiro, c’est-à-dire, « trouver une solution à l’amiable ». Le grand scandale brésilien de corruption qui fait l’actualité internationale en ce moment se dirige vers un épilogue aussi convenu que honteux.

La publication d’une liste reprenant plus de 200 noms d’hommes politiques soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin de la société de BTP Odebrecht dont le patron, l’héritier Marcelo Odebrecht a été condamné à 19 ans de prison par le juge fédéral Sergio Moro, a eu l’effet d’un séisme dont la magnitude peut s’élever à 7 sur l’échelle de Richter.


A en croire les propos de l’ancien président de la République, Fernando Henrique Cardoso : « C’est la fin de notre système politique ».

200 noms d’hommes politiques, ce n’est pas rien. D’autant plus qu’on retrouve dans cette liste les noms de l’actuel président de la chambre des représentants, Eduardo Cunha, l’ancien gouverneur de São Paulo et ancien candidat à la présidence José Serra, le leader de l’opposition et candidat perdant aux élections présidentielles de 2014, Aécio Neves. Ces derniers sont tous favorables à la destitution de Dilma Rousseff dont le nom ne figure pas sur la liste. Cette dernière a par ailleurs été mise sous secret judiciaire par le juge Sergio Moro, 4 heures seulement après la fuite… contrairement aux écoutes téléphoniques de Lula et Dilma.

Mais internet a joué son rôle et chacun connait les noms de ceux que l’on soupçonne désormais d’être aussi corrompus voire plus corrompus que la présidente Dilma Rousseff, prise en otage par des institutions vicieuses.

La liste contient aussi sa petite dose d’humour, preuve que les brésiliens ne perdent pas le sens de la dérision, même dans la tourmente. Les politiques se voient attribuer des petits noms plus ou moins liés à leur personnalité. On y retrouve ainsi quelques perles : La brute, avion, Rio, gardien de but, viagra, athlète, écrivain, le crabe, le nerveu, Proximus (!), le grec, etc.

La fameuse liste des noms figurant sur la feuille de paiement d'Odebrecht
La fameuse liste des noms figurant sur la feuille de paiement d’Odebrecht

Sentant bien le parfum de l’effondrement du système, puisque seuls deux ou trois (petits) partis se tireraient d’affaire, la télévision Globo a décidé de « ne pas citer les noms parce que la liste était trop longue » (sic).

Excuse bidon ou foutage de gueule ? A chacun d’en juger. Le fait est que depuis ce fameux mercredi 23 mars où la « Planilha da Odebrecht » a fuité, le ton des partisans de la destitution a considérablement baissé. On a presque passé un week-end sans grand drame national.

A quoi s’attendre, alors ? A tout ou rien ! Quand l’humanité est menacée d’extinction, que fait la nature selon les lois de l’évolution ? Elle s’auto-préserve. La divulgation de la liste a montré que personne n’est clean, ni les politiciens, ni les journalistes, et encore moins le citoyen qui vote. Le « système » va-t-il enclencher un mécanisme de survie afin d’éviter l’effondrement ?

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Politique-fiction: la chute du plus grand président africain du 21° siècle

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Joseph_Kabila_with_George_Bush_October_26,_2007.jpg
L’ancien président de la RDC Joseph Kabila en compagnie de l’ancien locataire de la Maison Blanche George W. Bush | crédit photo: Eric Draper | Wikimedia Commons

Ceci est l’histoire récente du Brésil, racontée avec des personnages congolais… 

Cela fait maintenant 6 ans que Joseph Kabila a quitté le pouvoir. En 2010, lorsqu’il décide de passer la main à sa soeur, Jaynet Kabila qui sera élue présidente de la République aux termes d’une élection saluée comme « la plus démocratique » de l’histoire récente du Congo, il laisse un pays au sommet de sa gloire avec des chiffres enviés par les plus grandes puissances du monde: la RDC a réussi à éradiquer la pauvreté, le chômage est tombé à 5 % en 8 ans seulement, depuis peu, l’université publique est devenue gratuite et sa qualité n’a fait qu’augmenter. Le PIB du pays se calcule en trillions de dollars américains, la RDC a payé toutes ses dettes devenant par ailleurs un des contributeurs de la Banque Mondiale et du FMI.

Depuis son ascension au pouvoir en 2002, Joseph Kabila a signé un nouveau contrat social national incluant la société civile, les chefs d’entreprises et les plus grands propriétaires fonciers du pays. Même les médias ont été invité à la table de négociation afin de former un gouvernement d’union nationale, en thèse.

Une paix de braves a donc été signé dans le but de sortir le pays de la misère et d’en faire le porte étandard de l’économie africaine. Joseph Kabila a donc rassuré les banques, donné des garanties et promis un crédit moins cher à la population. La classe moyenne de la RDC est multipliée par vingt en un peu moins de dix ans.

Jamais les banques et les entreprises privées n’ont gagné autant d’argents que pendant les années Kabila. Le monde parle du « miracle congolais ».

Il mène sans broncher une politique économique de gauche, avec différents programmes sociaux qui ont objectif de réduire considérablement l’analphabétisme et la pauvreté. Un programme de transférance d’argent est même créé afin de bénéficier à plus de 20 millions de congolais à la seule condition que ces familles envoient leurs familles à l’école et les fassent passer des examens médicaux une fois par mois, ainsi qu’un examem chez le dentiste.

Par ailleurs, la santé est devenue gratuite. Les soins médicaux les plus complexes sont assumés par l’Etat y compris les chirurgies de changement de sexe pour qui le souhaite. La RDC est d’ailleurs devenue le deuxième pays au monde en termes de chirurgies de changement de sexe après la Thaïlande

C’est aussi en Asie qu’une banque de développement formée par des pays émergés comme la RDC, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud voit le jour.

Différentes politiques affirmatives sont adoptés comme par exemple, ce programme qui concède des places aux minorités tutsis dans l’administration publique, dans les tribunaux; la même attention est portée aux femmes qui deviennent partie prennante du développement congolais. Leur scolarisation a triplé en huit ans.

Le riposte de l’opposition et des médias

Cependant Joseph Kabila a commis une grossière erreur. Il n’a jamais mené, malgré l’énorme crédit et le capital populaire dont il jouissait, de véritable réforme des médias. La RDC ne compte aucune télévision publique ou radio de poids. Les chaînes télévision, qui sont le véritable pouvoir dans le pays, appartiennent à des intérêts privés qui commencent à se lasser de la situation. Le status quo commence à être perturbé et le pacte nationale est fragilisé depuis que Jaynet est arrivée au pouvoir.

Bien qu’élue démocratiquement, il lui manque une certaine légitimité populaire. Beaucoup ne voit en elle qu’une marionnette placée par l’ancien président Kabila qui passe désormais le plus clair de son temps à récolter les titres de Docteur honoris causa qui lui tombent dessus comme de la neige sur l’Etat du Wyoming…

Certains opposants comme Vital Kamerhe, Olivier Kamitatu ou encore Martin Fayulu y trouvent l’occasion parfaite de revenir sur la scène politique après quatorze ans de disette. Mais pour ça, ils ont besoin d’un ancien routier. Le vieil opposant Etienne Tshisekedi, fort d’un groupe parlementaire ultra-puissant a réussi à négocier le poste de vice-président de Jaynet Kabila. C’est essentiellement grâce à lui que l’équilibre du pouvoir tient.

L’année du renversement…

Le pouvoir de Jaynet Kabila, qui n’est pas vraiment une grande communicante et encore moins une fine négociatrice, tangue. Des scandales de corruption frappent la Gécamines et ses proches sont directement mises en causes. Le juge d’instruction qui mène « la plus grande enquête de corruption et de blanchiment d’argent de l’histoire de la RD Congo » établit même une filière qui menance désormais d’entâcher l’image de Joseph Kabila. Les médias aussi saisissen l’opportunité. Les pertes en dollars se calculent à 4 milliards.

Source: Jeune Afrique
Source: Jeune Afrique

Profitant du brouhaha médiatique, les opposants parviennent à rallier Etienne Tshisekedi à leur cause. Ce dernier quitte le gouvernement et fragilise la présidente Jaynet Kabila au Parlement congolais étant donné que son parti n’a pas la majorité des élus. Désormais, sa destitution se discute librement, et sur elle aussi pèse la menace du nouveau justicier des médias. Le juge de « l’affaire Gécamines » est bien décidé à rentrer dans l’histoire à l’instar de son homologue italien Antonio Di Pietro qui mena l’opération Mani pulite, opération Mains propres, dans les années 1990.

Le pays se tient en haleine et observe dans la plus grande tranquilité le dénouement des accords parlementaires. Le calme avant la tempête?

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P.S: Cette histoire est fictionnelle, son récit s’étant largement inspiré des faits politiques récents du Brésil.

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Radicalisation

https://www.epochtimes.com.br/brasileiros-ruas-protestar-contra-dilma-rousseff-pt-foro-sao-paulo/#.Vu2ZkPkrLIU

Avec un peu de recul, je relis certains de mes articles publiés sur ce blog à la fin de l’année dernière, et j’ai franchement l’impression que mes dons de clairvoyance ont augmenté. En fait, il se peut que ce ne soit que la simple lucidité de l’observateur qui applique la vieille méthode de la science historique: « regarder le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir ». « Il n’y a pas de Science politique sans histoire », disait Raymond Aron. Il était aisé de prévoir la radicalisation actuelle de la sphère politique et sociétale au Brésil. Maintenant, savoir ce qui nous attend relève de la magie. Et cela ne s’enseigne pas à l’université de la République.

L’élection de Maurício Macri en Argentine était un indice d’un mouvement structurel en Amérique Latine. Le continent s’engage désormais sur une nouvelle voie, on ne saurait encore dire clairement laquelle, mais les indices données aussi bien par les récentes manifestations au Brésil que par les déclarations des différents acteurs politiques montrent qu’il y a de quoi se préoccuper.

Il ne s’agit pas tant que ça d’un mécontentement envers les partis progressistes, que ce soit en Argentine ou au Brésil, même au Chili, la présidente Michelle Bachelet – coqueluche d’Arte TV – voit sa popularité chuter. De mon point de vue, la population en général a l’impression d’un manque d’alternance au pouvoir. J’en ai déjà parlé ici.

Changer pour changer

Littéralement. Il faut changer. Peu importe qui arrivera au pouvoir. Il faut changer. Pour calmer la population. Il y a des signes qui ne trompent pas. Dimanche dernier, lors de la manifestation « anti-Dilma », le chef de l’opposition politique, Aécio Neves, qui était pourtant à l’origine (on va dire) de la mobilisation a été hué à son arrivée sur l’Avenida Paulista au point d’être obligé de se rétirer. Le mécontement n’est pas que contre le Parti des travailleurs et Dilma Rousseff. Ce que l’on voit est le résultat d’une radicalisation autrement plus dangereuse.

« C’est une masse incontrôlée qui est descendue dans la rue le 13 mars », affirme un politologue et professeur d’université avec qui je me suis entretenu vendredi. Tout le contraire des mouvement observés ce 18 mars en soutien de Lula da Silva; ce dernier étant même apparu sur la même Avenida Paulista.

Lula a parlé devant des centaines des milliers de personnes clairement identifiables par la couleur de vêtements, le rouge. Preuve que six ans après son passage au Palácio do planalto, il reste l’un des principaux leaders politiques du Brésil, sinon, LE plus important.

Pour autant, on ne peut pas négliger la masse informe descendue dans la rue le 13 mars. Que trois millions de personnes soit aussi opposées à un gouvernement et descendent pour le manifester dans la rue montre que certains canaux institutionnels ne fonctionnent plus et que le gouvernement n’est pas assez responsive, pour utiliser un terme en vogue dans le jargon numérique. C’est ici que se situe le danger. Puisqu’une telle situation ne fait qu’augmenter le dégré de radicalisation des opinions politiques.

« House of Lula »

L’important journal paulista Folha São Paulo a lancé la web-série House of Lula en trois épisodes. La série est une référence parodique au chef-d’oeuvre de la plateforme de vidéos à la demande Netflix, House of Cards. Elle n’est pas forcément heureuse, mais montre les coulisses de crise politique brésilienne, écoutes téléphoniques à l’appui. Edward Snowden n’a pas manqué l’occasion de nous rappeler que le monde dans lequel nous vivons a vraiment changé…

Cette radicalisation montre aussi une chose: que d’une certaine manière, la population brésilienne est loin d’avoir atteint la maturité politique nécessaire pour le maintien de la démocratie. L’impopularité d’un chef d’Etat n’a jamais été le motif, nulle part (dans une vraie démocratie), d’une destitution. François Hollande lui-même peine à dépasser 25 % d’opinions favorables, mais a-t-on vu un groupe politique ou les français demander sa destitution avant la fin de son mandat?

La mésentente est souhaitable dans une vraie démocratie; c’en est même le principe, selon Rancière. Cependant, mésentente n’est pas synonyme de radicalisation. Au contraire, la radicalisation signifie l’absence de dialogue et l’impossibilité même d’une mésentente.

Au stade où nous en sommes, il ne reste pas beaucoup d’options. Les médias ont joué leur rôle dans l’histoire, comme le montre un montage-vidéo parodique (ci-dessous). Dans les coulisses, les faits politiques évoluent à un rythme vertigineux. Tout se joue dans les tribunaux (Suprême ou de première instance), mais paradoxalement, la seule voie qui semble être en mesure de mettre un terme à la radicalisation est celle du « changement pour le changement ».


Bonus: Un montage vidéo du traitement médiatique de la crise révèle avec humour qui est la véritable cible dans cette affaire, et ce n’est certainement pas Dilma Rousseff.

L’analyse du rôle des médias occidentaux dans la crise politique brésilienne par Glenn Greenwald, en anglais… et en portugais.

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Crise politique au Brésil, en parler ou pas?

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Un journaliste d’une chaîne sportive brésilienne commence son émission du lundi soir par un mea-culpa par rapport à un sujet qu’il n’allait finalement pas aborder: « Je demande aux téléspectateurs de me pardonner de parler d’un sujet qui bouillonne en moi. Après tout, le pays va très mal… », commente-t-il en référence aux manifestations de ce dimanche dans plusieurs capitales du Brésil.  « Cela arrive souvent, qu’un journaliste sportif éprouve, face à l’urgence, l’envie de parler de politique. Et Dieu sait que j’en meurt d’envie. D’ailleurs nos collègues spécialisés ‘politique’ ne se privent pas de commenter le sport pendant la Coupe du monde ou les Jeux Olympiques. Cependant, il semble qu’une interdiction s’impose à nous. Nous, journalistes sportifs ne pouvons pas aborder des thèmes ayant trait à la politique. J’irai donc directement au sujet qui nous intéresse, la Copa Libertadores! ».

Après ce faux mea-culpa, j’ai longuement réflechi sur ce qui a pu l’empêcher de parler de politique, lui qui en général, ne s’en prive jamais. Puis, j’ai pensé que cela avait sans doute un rapport avec la férocité des conflits politiques actuellement au Brésil. N’avais-je pas dit l’autre jour sur le réseau social Facebook que la parole libre serait sous peu cloîtrée. Nous y voilà.

D’autres part, je reçois des messages de membres de ma famille, de certains amis très proches, évidemment; tous africains et me demandant de faire attention à moi. Mais pourquoi? Ne sommes-nous pas en démocratie? Ou suis-je revenu en RD Congo sans le savoir?

Une personne très chère me rappelle une injonction des ambassades brésiliennes à tous les étrangers qui se rendent dans leur pays: « Vous ne devez vous livrer à aucune activité politique ». Loi, dois-je le rappeler, entrée en vigueur à l’époque de la dictature des militaires (1980) et depuis inscrite dans le Statut des Etrangers [PDF en portugais] au Brésil.

Ce dernier a été amendé en 2014 comme vous pouvez vous en rendre compte en suivant le lien ci-dessus. Mais que dit-il exactement?

Si l’on s’en remet aux articles 95, 106 et 107 du Titre X , il est possible d’obtenir quelques renseignements utiles sur ce point. Je dois dire que ces articles ne sont pas loin de présenter quelques contradictions.

L’article 95, par exemple dit explicitement que « les étrangers résidents aux Brésil jouissent de tous les droits réservés aux brésiliens », ce qui, selon, mon entendement, inclurait la liberté d’expression; d’autant plus que le Brésil est signataire des conventions internationales relatives aux Droits de l’homme.

Mais, les articles 106 et 107 compliquent notre affaire. L’article 106 interdit aux étrangers résidents au Brésil de, je cite: « d’être propriétaire d’un média journalistique de toute nature, ou d’une chaîne de télévision et de radiodiffusion, d’en être l’associé ou l’actionnaire. » Jusqu’ici, tout va bien.

Au point III, « il lui est interdit d’être responsable, mentor intellectuel ou administratif des sociétés mentionnées au point précédent. Posséder, entretenir et exploiter, même en tant qu’amateur, un appareil de radiodiffusion de télégraphie et similaires, sauf en cas de réciprocité diplomatique. » Vous conviendrez que ce point est assez obscur. Posséder un blog est-il un acte subversif? Il s’agit bien en effet d’un moyen de diffusion d’information « et similaires », bien qu’hébergé par internet et les Nouvelles Technologies de l’Information. Je dois avouer que je me sens bien nu là. En d’autres termes, sans protection face aux éventuelles interprétations malveillantes.

Mais, tout cela va devenir encore plus restrictif.

Puisqu’à l’article 107, on lit notamment que:

« L’étranger admis sur le territoire national ne peut pas exercer une activité politique, ni intervenir, directement ou indirectement, dans les affaires publiques du Brésil; et il lui est particulièrement interdit: d’organiser, créer ou maintenir des entités ou sociétés de caractère politique, même si elles ont pour but uniquement la publicité ou la diffusion exclusivement entre compatriotes, d’idées, des programmes ou d’actions des partis politiques des pays d’origines. »

Il est vrai qu’avec l’arrivée d’internet, les lois doivent s’adapter. Le monde a changé. On ne pourrait interdire à un citoyen normal « d’intervenir dans le débat public » de son pays de résidence sous prétexte que cet acte relèverait de l’ingérence dans les affaires de l’Etat.

Comment définir les limites de la liberté d’expression d’une part, et la participation des étrangers au débat public d’autre part?

A part ces questions d’ordre légal et journalistique, je me demande bien qui ça intéresse de lire les commentaires d’un blogueur résolument à gauche sur l’échiquier idéologique international et, par conséquent, ayant choisi son camp dans cette affaire…

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En attendant, sur Twitter, je commente, attaque, retweete, interpelle, interprète… j’informe même, comme ce soir par exemple:


La Fin de l’Histoire

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lula_Pernambuco115935.jpeg
Lula da Silva lors d’un déplacement dans son Etat natal du Pernambuco, Nordeste du Brésil – crédit photo: Ricardo Stuckert/PR/Wikimedia Commons

Quelque chose a définitivement changé hier matin au Brésil. Un mythe a été ébranlé dans un quartier huppé de São Bernardo, ville historique et industruelle à quelques quilomètres de la métropole São Paulo. C’est aussi une page de l’histoire du Brésil qui se tourne avec cet épilogue de l’opération Lava Jato – opération nettoyage – qui frappe le plus grand symbole mondial de la gauche pragmatique des vingt dernières années. 

En écrivant son célèbre essaie La Fin de l’Histoire, Francis Fukuyama ne se doutait pas que plus de vingt ans après, son livre resterait d’actualité. Beaucoup de choses ont été dites sur cet ouvrage qui au fond ne parlait que de la fin d’une dichotomie idéologique marquant de manière irreconciliable la frontière entre la gauche et la droite, le capitalisme et le communisme, le libéralisme et le socialisme. D’un retour impossible aux grandes dualités politiques…

La chute du Mur de Berlin était donc le moment historique qui définissait clairement une rupture dans la « Grande Histoire », celle des idées. Le fameux « TINA« *, Il n’y a pas d’alternative, de Margaret Thatcher était enfin théorisé. Avec la chute du mur, les hommes n’avaient plus à faire un choix sur quel régime était le meilleur. En même temps que cela, se matérialisaient les propos de Platon dans La République: « La démocratie n’est pas le meilleur régime politique, mais c’est le moins mauvais que nous connaissons ».

Il semblait donc que le doute n’avait plus lieu d’exister. Et pourtant, ces dernières années, le Brésil joue dangereusement avec ses acquis démocratiques de l’après 1988, année de l’adoption de sa nouvelle Constitution. Il y quelques mois, au début de l’affaire de la destitution de la présidente Dilma Rousseff j’affirmais sur ce blog que le Brésil se trouvait à un moment décisif de son histoire puisque sa démocratie était mise à l’épreuve.

Lire aussi l’article Cinq impressions sur Lula

Le symbole

Je parlais du symbole. Lula da Silva est sans doute l’un des hommes politiques les plus admirés au monde. Il reçoit la reconnaissance du monde entier, y compris des universités les plus prestigieuses bien que n’ayant pas poussé les études bien loin. La preuve ici, à Sciences Po Paris:

Parmi ses actions, on ne cessera de le dire: il a sorti plus de 40 millions de brésiliens de la pauvreté; Lula a aussi l’intelligence de renforcer les relations diplomatiques « sud-sud » grâce notamment, pour ce qui nous concerne, à un vaste programme de soft power orienté vers l’Afrique et les pays d’Amérique Latine.

Lire aussi l’article La crise brésilienne en six mots, selon BBC News

Une opération de police sous le signe de la polémique

Le réveil fut dur pour beaucoup de militants pro-Lula ce vendredi. Choc et indignation sont les sentiments partagés par nombreux de ceux qui défendent bec et ongles l’ex-président du Brésil. La journée a par la suite tourné au combat de boxe façon Hagler vs Hearns; peur, colère, euphorie, circonspection, jubilation, manifestations pro et contre, combat de rue devant la résidence de l’ancien président Lula da Silva à São Bernardo, mobilisations dans toutes les capitales, etc.

Il y avait de quoi tant l’action de la police fédérale fut spectaculaire. Pouvait-il en être autrement à une époque comme la nôtre. La Société du spectacle a ses propres codes. La perquisition menée par la police fédérale au domicile de Lula da Silva a indigné plus d’un observateur note le journal espagnol El Pais qui donne la parole à plusieurs juristes qui interrogent la nécessité d’une action coercitive alors que l’intéressé ne se refusait pas à comparaître devant le juge en qualité de témoin.

BBC rapporte les propos d’un ancien ministre de la justice sous le gouvernement de droite de F. H. Cardoso qui dénonce « une action exagérée » (sic); un autre juriste de ce même gouvernement de droite qualifie l’action « d’illégale » (sic); bref, le débat prend une tournure conceptuelle et philosophique inattendue…

De son côté, le juge Sérgio Moro a justifié cette action policiaire coercitive par une volonté de protéger l’ancien président contre d’éventuelles violences populaires…

Il est clair que dans cette affaire c’est bien plus que l’image d’un homme qui est en jeu, c’est l’avenir d’un projet politique et sociale qui se joue.

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*There Is No Alternative

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Ta-Nehisi Coates, un livre pour la paix ou pour la guerre?

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Black_Lives_Matter_protest_against_St._Paul_police_brutality_(21578729135).jpg
Une manifestation contre la violence policière aux Etats Unis – wikimedia commons/Fibonacci Blue/St. Paul, Minnesota/2015

Le nouvel apôtre de la conscience noire apporte-t-il un message de paix ou de guerre? Porte-il l’épée ou apporte-t-il la paix? Chacun se souviendra du célèbre verset biblique où Jésus explique le sens de sa mission: « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Mattieu 10:34). La question mériterait d’être posée au terme de la lecture du livre le plus populaire du moment, Between The World and Me de Ta-Nehisi Coates.

Le rebelle… 

La lettre de Ta-Nehisi Coates à son fils n’est qu’un prétexte pour transmettre un message dont la portée est en réalité universelle. Les plus fidèles de mes lecteurs savent que le thème du racisme m’est chèr (c’est peut-être le sujet le plus traité sur ce blog). Normal. Je vis depuis huit ans dans un pays où le racisme est profondément ancré dans les mentalités, bien qu’il soit subtil.

A une brésilienne de race blanche (je m’excuse auprès de mes lecteurs de revenir sur le mot « race », mais c’est une réalité que nous vivons) ayant eu un enfant avec un ami proche, congolais, lui, je disais il y a un peu plus d’un an: « Il y a deux façons d’élever un enfant noir au Brésil. Soit comme un rebelle, soit comme un soumis conformiste ». Ce à quoi elle répondait « c’est la dure tâche à laquelle je me prépare à faire face ».

Croire en l’universalisme?

C’est exactement la démarche de Ta-Nehisi Coates qui s’engage à faire connaître ce monde à son fils. Ce monde tel qu’il est et non pas comme on voudrait qu’il soit. Ils sont bien gentils ceux qui veulent nous faire avaler la pilule de l’universalisme, mais tous les jours dans les rues, dans les supermarchés, notre couleur de peau nous joue de tours. Même quand nous essayons d’oublier qui nous sommes, les autres sont là pour nous ramener à la dure réalité.

Pas plus tard que cette semaine, en sortant de chez moi pour faire une course, j’ai vécu une expérience déplorable: une jeune femme brésilienne a bien changé de troittoir en me voyant avancer dans la même direction qu’elle…

Bien qu’étant né en France, c’est bien en Afrique que j’ai grandi, et là-bas, je n’avais pas conscience de la couleur de ma peau. Au Brésil, j’ai su. Cette terrible vérité, douloureusement révélée, a-t-elle été utile pour moi? Pour tout dire, je suis plutôt content de m’être rendu compte, bien que par la manière la plus difficile, de qui j’étais vraiment.

C’est au Brésil que j’ai lu l’autobiographie – écrite à deux mains – de Malcom X. Un livre fondateur de mon identité noire. Une identité de combat.

Between The World and Me de Ta-Nehisi Coates aux éditions Objetiva/Rio de Janeiro/2015
Between The World and Me de Ta-Nehisi Coates aux éditions Objetiva/Rio de Janeiro/2015

Commentaire

Ecrit sur un ton libre et léger, le livre de Ta-Nehisi Coates n’en demeure pas moins pesant. On le lit à ses risques et périls, car l’auteur n’entend pas faire dans la dentelle, ni carésser dans le sens du poil blanc. Les phrases se succèdent comme des coups de poing. Il faut parfois souffler. S’arrêter. Respirer et continuer malgré tout à lire.

Le livre de Coates est notre chemin de croix à tous. Il nous parle autant qu’aux hommes blancs. Même s’il sera lu différemment. Forcément. Coates raconte une expérience charnelle, il raconte l’histoire d’une violence cristalisée dans la chair. L’histoire de l’Amérique est celle d’une confiscation. C’est l’histoire d’un holp up mené au détriment du corps des afros-américains. « Ils seront libres, mais nous disposerons de leurs corps ». Voilà le mot d’ordre sur lequel est bâtie la démocratie américaine. Tout le reste n’est que fable. Un clin d’oeil donc au nouveau film de Tarantino que j’abordais ICI.

Reste à savoir s’il y a dans ce texte plein de colère et de rage une place pour l’espoir; s’il reste un moment qui permette une quelconque réconciliation. Je le découvrirai au sommet de « mon » Golgotha…

Extraits:

1.

Ta_Nehisi_Coates_Book

Plus précisément, la journaliste a voulu savoir pourquoi je pensais que les progrès de l’Amérique blanche, ou plutôt le progrès de ces Américains qui croient être blancs, a été construit par le pillage et la violence.

2.

Ta_Nehisi_Coates

Ce dimanche-là, en compagnie de la journaliste, pendant le journal, j’ai essayé d’expliquer le mieux que je pouvais dans le temps qui m’était destiné. Mais à la fin de la tranche, la journaliste m’a présenté une photo amplement diffusée dans les médias d’un garçon noir de onze ans embrassant, en pleurant, un officier de police blanc. Ensuite, la question qu’elle m’a posée portait sur « l’espoir ». C’est alors que j’ai su que j’avais échoué.


Ecoutez une interview exclusive en français de Ta-Nehisi Coates pour Senenews.com

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Une colère noire de Ta-Nehisi Coates, aux Editions Autrement, 17 euros.

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P.S: Au moment où j’écris ces lignes, j’en suis encore à la moitié du livre.

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Racisme? une semaine haute en couleurs au Brésil

https://bahamut-eternal.deviantart.com/art/Aladdin-x-Jasmine-Cosplay-Session-15-386260765
Crédit photo: Bahamut-Eternal

J’aurais pu écrire un long billet de blog pour vous raconter cette « semaine typiquement brésilienne », surtout pendant le carnaval (ça réveille, n’est-ce pas?), mais, je vais me contenter d’un petit résumé de l’actualité très colorée du côté de Rio et de Belo Horizonte. Et je ne parle même pas du virus Zika… 

1) Le petit singe et le petit prince:

Imaginez, un couple blanc (hétéro, soyons précis, parce que la dernière fois que j’étais à un café avec mon frère, une amie lui a demandé s’il était marié en précisant: « avec un homme ou avec une femme? C’est dire, il faut être prêt à tout…) qui adopte un petit garçon noir. Pour le carnaval, ils décident d’arborer une combinaison plutôt sympathique (naïve?!) représentant Aladdin, la princesse et … un petit singe. Dévinez qui joue le rôle du singe? Disons seulement, en toute naïveté (?!) que le père a commis une petite maladresse (d’homme blanc) en oubliant de se prévenir de toute association « dramatique » (et racialisante) à l’ère des réseaux sociaux, mais surtout, en plein carnaval.

2) Une vraie noire et une bonne noire:

Le journal britanique (toujours eux) The Guardian crée le buzz au Brésil et un peu partout (je crois, vu le thème) en racontant l’histoire d’une passiste de samba sélectionnée par le public, puis évincée du traditionnel programme de télévision Globeleza diffusé sur Globo. Nayara Justino, bien trop noire pour passer à la télé à midi, juste à l’heure du déjeuner de ces petites familles blanches comme on les aime au Brésil, a été remplacée par une autre passiste, un peu moins noire (donc plus claire, donc plus belle, donc plus acceptable, donc plus commercialisable…) sans aucune autre raison que … le mérite. Bien sûr, ça aide, d’être plus claire, lorsqu’il faut danser toute nue à midi devant de millions de brésiliens.

 
Bom carnaval !
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Quand le virus Zika révèle des inégalités sociales au Brésil

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Aedes aegypti, le moustique qui transmet le virus Zika – crédit photo: James Gathany /Wikimedia Commons

« Les femmes doivent éviter de tomber enceinte! ». Voici l’une des phrases les plus entendues et lues ces derniers mois dans les médias en général et particulièrement sur les réseaux sociaux. Après que le Ministère de la Santé ait annoncé une « possible » corrélation entre l’occurrence de la microcéphalie chez les nouveaux-nés et la contamination [de leurs mères] par le virus Zika pendant la période de gestation, un terrorisme médiatique s’est peu à peu installé au Brésil. Ce raccourci, dont la méthodologie a été remise en question par plusieurs anthropologues cache également une stratification sociale que personne ne veut assumer.

Le Zika, les noires et les blanches

Oui. Il faut assumer cette analyse. Il faut méconnaître le Brésil pour penser que les femmes noires sont exposées à la même enseigne que leurs compatriotes blanches des classes plus aisées. Loin de moi l’idée d’adopter une posture complotiste sur ce blog; toutefois, il est intéressant de s’attarder sur la lecture de l’anthropologue brésilienne Débora Diniz qui dénonce la campagne médiatique visant à terroriser les femmes à défaut de proposer de mesures sanitaires plus intelligentes.

Une fois que la corrélation entre le « Zika virus« , comme il est également connu, et la microcéphalie chez les nouveaux-nés n’est pas encore démontrée scientifiquement, il apparaît que toute interdiction de tomber enceinte faite aux femmes relève pure et simplement du contrôle de natalité.

Sur les réseaux sociaux, il n’est plus rare de tomber sur des messages sans aucune objectivité appelant les femmes à ne pas tomber enceinte.

On conseille aux femmes de ne pas tomber enceinte (capture d'écran sur Facebook)
On conseille aux femmes de ne pas tomber enceinte (capture d’écran sur Facebook)

De qui parle-t-on objectivement?

A y regarder de plus près, ce ne sont pas les femmes blanches les plus concernées par ces alertes de panique. En 1995, une étude menée par des scientifiques de l’Université de São Paulo établissait une corrélation entre la race des individus et l’accès à l’assainissement. L’étude concluait [PDF en portugais] que les inégalités sociales qui ont déjà des déterminants raciaux produisaient des incidences selon les races.

En 2013, une étude encore plus concluante de la chercheuse Sônia Beatriz dos Santos montrait de la même manière que les familles noires se retrouvent au bas de l’échelle sociale sur la question de l’accès à l’assainissement.  Plus encore que les inégalités raciales déjà conséquentes – 77 % des blancs ont accès aux infrastructures publiques d’assainissement de l’environnement contre 60 % des noirs – , ce sont les inégalités sociales qui sont les plus flagrantes: les noirs vivant dans de conditions de vulnérabilité les plus évidentes.

Les quartiers à prédominance noire sont ceux où l’on compte plus de cas d’internations causées par la diarrhée et également un manque d’égouts.

Il semble donc évident que ce droit jusqu’ici naturel de chaque femme de tomber enceinte soit devenu malheureusement le privilège des seules riches. En somme, là où l’Etat peine à proposer des solutions qui soient de l’ordre d’une politique de santé publique [égalitaire] bien pensée, nous sommes reduits à accepter un contrôle de natalité pour les pauvres imposé par ce maudit virus Zika.

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Les Huit Salopards : traité hilarant contre le racisme

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Quentin Tarantino | Wikimedia Commons

Le cinéaste américain Quentin Tarantino fait très fort avec un retour aussi bien violent qu’hilarant au Western classique. Les Huit Salopards est sans doute la synthèse la plus complète et la plus critique du cinéma américain et au-delà de cela, des mythes américains. Tarantino règle des comptes avec John Ford, D. W. Griffith ou Spielberg prenant en charge la problématique indépassable du racisme aux Etats-Unis.

Le vrai visage de la femme tarantinienne

Que ce soit dans Kill Bill ou dans Jackie Brown Quentin Tarantino dresse un portrait des femmes que l’on pourrait qualifier de flatteur. Ils sont nombreux à considérer que Kill Bill, avec son personnage désormais mythique Béatrix Kiddo, comme l’un des films les plus féministes des vingt dernières années, bien que dans un tout autre registre que Telma et Louise. La même chose pourrait être dite des trois filles surpuissantes de Boulevard de la Mort encore chez Tarantino.

Le cinéaste semble s’être accommodé de ce rôle de défenseur inconditionnel de la gente féminine. Or, avec Les Huit Salopards, Quentin Tarantino rompt radicalement avec cette première démarche créant au passage l’une des figures les plus détestables de l’histoire du cinéma américain.

Rien, absolument rien dans le rôle incarné par Jennifer Jason Leigh n’invite à la sympathie. Toute trace de féminité est effacée, pendant une heure, elle assume le rôle de punching ball sur lequel les différents personnages déverseront leur rage quitte à abîmer son visage. Pourtant, il ne faudrait pas la confiner dans une fonction de souffre-douleur, car elle porte elle aussi des coups, plus sournoise que quiconque dans ce western; on notera le petit sourire lors de la « scène du café », mais je n’en dirai pas plus…

Comment dialoguer avec Spielberg et Ford

Dans le cinéma américain John Ford et Steven Spielberg occupent une place réservée aux plus grands. On trouve difficilement une voix capable de remettre en question le statut des deux géants, à l’exception de Tarantino. Dans Les Huit Salopards, le réalisateur revisite l’image construite autour du personnage d’Abraham Lincoln (d’abord par John Ford avec Young Mr. Lincoln) tout au long du dernier siècle hollywoodien et au-delà. La présence du seizième président américain est récurrente tout le long du film à travers des dialogues cocasses et souvent mythifiants d’un personnage tenu comme le premier responsable de l’émancipation des africains (sic) en Amérique.

Et c’est exactement à ce mythe que Tarantino s’attaque.

  1. Premièrement dans le discours très réussi d’un Samuel L. Jackson au moment où il affronte son pire ennemi (le tueur des nègres, mais là encore, je n’en dirai pas plus…) pour qui l’émancipation des noirs est un gros mensonge.
  2. Deuxièmement, et c’est pour moi LE moment le plus marquant du film, dans le geste presque banal avec lequel un renégat se débarasse d’une fameuse « lettre de Lincoln »… c’est toute l’histoire officielle de l’Amérique qui s’évapore dans ce geste. On retrouve là, la main de maître de Quentin Tarantino.

Le salut arrivera par les hommes

Si Tarantino s’attaque ici au cinéma de ses illustres prédécésseurs que sont Ford, Spielberg ou Griffith, notamment sur l’épineuse question de l’intégration des noirs dans la société américaine, la solution proposée au dilemme américain reste ancrée dans une tradition libérale plutôt inquiétante pour le coup.

Car, c’est toujours à partir du choix des individus, même lorsqu’ils agissent suivant les codes les plus primitifs de l’individualisme américain, que la réconciliation arrive. Elle le sera d’abord comme une nécessité de survivre pour chaque individu. Tarantino s’éloigne du profond sens de la communauté des Ford et Spielberg – aucun jugement de ma part.

Ce n’est pas non plus par décret présidentiel (Lincoln) que les hommes deviendront égaux, mais par l’action quotidienne de chaque individu confronté à la dure réalité d’une guerre civile dans l’éventualité où le racisme triompherait.

On entre dans une nouvelle ère à Hollywood. Celle du cinéma post-Ferguson.

Bonus: Pop Fiction sur France Inter débat sur le cinéma de Tarantino

P.S: Le personnage de Kurt Russell me fait forcément penser à un autre mythe de l’Ouest américain, Wild Bill Hickok, vu également dans la série américaine Deadwood.

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Comment dit-on « El dorado » en mandarin?

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Le dragon chinois – crédit photo: GoShow | wikimedia commons

Pas facile d’être optimiste quand son pays se fait gentiment plumer par les chinois. Il n’y a, dans mes propos, aucun sentiment xénophobe, loin s’en faut. Tout de même, les « attaques » directes, menées depuis la Chine, contre les clubs de football brésiliens, n’augurent rien qui vaille pour le géant sud-américain. Le Brésil apparaît, pour le coup, comme un petit oiseau blessé face au dragon d’Asie.

Le championnat brésilien de football est à peine terminé que les plus grands clubs (les plus riches, c’est plus approprié) de Chine décomposent un effectif plus que respectable. Les supporters du Corinthians de São Paulo se voyaient déjà tenir tête au futur champion européen en Coupe du monde des clubs. Eh bien, c’est râté!

En rouge, deux joueurs négociés en Chine à prix d'or. En jaune, ceux qui pourraît partir, dont l'attaquant Vagner Love pour un été à Monaco - capture d'écran.
En rouge, deux joueurs négociés en Chine à prix d’or. En jaune, ceux qui pourraîent partir, dont l’attaquant Vagner Love pour un été à Monaco – capture d’écran.

Effrayante conjoncture que la nôtre. Brésiliens ou pas, pour les résidents du Brésil, le moral n’est franchement pas au zénith, bien au contraire. L’économie va mal. Et notre plus grand garant économique, la Chine, n’est pas au mieux, à en croire les plus sombres prévisions du monde de la finance

L’encombrant ami chinois commence à agacer du côté de São Paulo. Le géant chinois éternue au Brésil, la terre tremble. Après tout, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, au détriment des Etats Unis d’Amérique. Et quand il n’éternue pas, il nous plume.

Source: https://www.latribune.fr/
Source: https://www.latribune.fr/

Le football, métaphore d’un pays à la dérive?

On n’en est pas certain, mais il y a bien anguille sous roche. L’économie brésilienne va mal, mais jusqu’où cela peut aller? Le drame est qu’on ne voit pas la fin du tunnel, malgré les belles promesses de notre présidente Dilma Rousseff, et Dieu sait que je l’adore cette femme, combattante depuis l’époque de la dictature des militaires. Malheureusement, la santé économique du Brésil ne dépend pas que d’elle. Très précisement, elle dépend d’elle à 50 %. Le reste étant fondamentalement entre les griffes du fameux dragon.

Une pause de deux minutes est essentielle à ce niveau:

Voilà donc où nous en sommes. Les meilleurs talents brésiliens s’exportent désormais en Chine et au Japon. Les joueurs de football et les entraîneurs (Felipe Scolari, Mano Meneses et Luxemburgo, tous trois d’anciens sélectionneurs des auriverdes) ne sont que le sommet de l’iceberg.

Décidément, le Brésil est redevenu le pays de l’incertitude…

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Pourquoi la France ne peut pas copier le vote obligatoire brésilien

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crédit photo: 7com | Wikimedia Commons

La France doit-elle copier le vote obligatoire appliqué au Brésil? Ce système est-il idéal pour une démocratie aussi « vieille » que la France, ou bien reste-t-il adapté aux « jeunes démocraties »? Le site internet Slate.fr a publié un excellent article qui tente de comprendre l’engouement des électeurs brésiliens; un fait qui contraste avec le taux élevé d’abstention en France. De mon point de vue, le vote obligatoire n’est ni idéal ni démocratique en soi. De plus, le contexte peu flatteur particulier de la société brésilienne explique son application.

1. Une jeune démocratie

Le Brésil est une jeune démocratie et de ce point de vue, plusieurs électeurs ne sont pas habitués à voter, certains votent pour la première fois. Cela est loin d’être l’explication la plus définitive, mais elle a son poids pour comprendre le taux de participation des brésiliens aux élections contrairement aux français qui sont de plus en plus nombreux à s’abstenir.

A cela s’ajoute évidemment le vote obligatoire en application dans le pays pour les populations âgées de 18 à 65 ans. Dans un pays comme la France ayant une longue tradition démocratique, une certaine lassitude des électeurs se comprend d’autant plus que les élections ne jouent pas nécessairement un rôle déterminants sur le niveau de vie des électeurs. Ce qui n’est pas le cas du Brésil.

2. Sanctions ou pas sanctions?

S’abstenir au Brésil peut avoir des conséquences assez variées selon les catégories sociales. Par exemple, si on est pauvre et qu’on s’abstient, on est obligé de payer une amende de 4 reais (1 euro). Il y a donc de nombreuses personnes qui ne votent pas, même si le taux d’abstention reste très faible. Pour une personne de classe moyenne ou riche, ne pas voter peut avoir des conséquences plus sérieuses (1 euro n’étant pas vraiment une sanction objetive): il y a par exemple, l’interdiction d’obtenir un passeport pendant les quatre prochaines années, l’interdiction de participer à un concours pour la fonction publique (un emploi dans ce secteur étant considéré comme le graal par de nombreux brésiliens: on ne peut pas être licencié même « Pour juste cause », à la limite, on se voit muté dans une ville assez éloignée des grands centres).

Dans ce cas, il est légitime de se demander si ces sanctions pèsent plus lourdement sur les plus riches ou sur les plus pauvres. De toute évidence, les plus riches en souffrent plus, car une interdiction de participer à un concours public ou celle d’obtenir un passeport sont deux mesures restrictives des libertés individuelles beaucoup plus graves. L’interdiction d’obtenir un passeport n’affecte que très rarement un pauvre qui ne songe évidemment pas à voyager. Cette réalité lui est étrangère.

3. Les leaders charismatiques

La démocratie Brésilienne, comme la plupart des démocraties sud-américaines tient souvent sur un leader charismatique. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la crise politique et économique dans laquelle le Brésil est empêtré depuis la fin de l’ère Lula da Silva. L’ancien président éait une figure qui parvenait à contenter aussi bien les plus riches que les plus pauvres.

Sans lui, le Brésil a l’air d’un grand château de cartes. Tout semble plus fragile alors que dans les faits les choses ne sont pas foncièrement différentes. De Lula da Silva à Hugo Chavez en passant par le couple Kirchner, Evo Morales ou José Mujica, on ne peut comprendre les systèmes politiques sud-américains sans comprendre le rôle de ces personnalités « magiques », pour garder une terminologie weberienne.

4. Une campagne électorale « à l’américaine »

Les campagnes électorales brésiliennes sont de plus en plus chères; elles tendent à s’américaniser. Selon plusieurs études, les chiffres pour se faire élire peuvent atteindre des niveaux exorbitants.

On sait par exemple que pour être élu maire de la grande métropole de São Paulo, Giberto Kassab aurait dépensé plus de 50 millions de dollars américains, soit 110 millions de reais. La candidate perdante de l’époque Marta Suplicy en aurait dépensé 34 millions.

Tout cela est le résultat du rôle croissant des spécialistes de marketing dans les campagnes électorales. On ne vend que très rarement des projets politiques. Ce sont au contraire des « marchandises » qui sont vendues aux électeurs. Dans un article publié sur ce blog il y a un an, je vous parlais de l’homme derrière Dilma Rousseff et Eduardo dos Santos, le président angolais – car, oui, le système s’exporte.

Depuis douze ans, les chiffres ne cèssent de grimper. Ainsi, rapporte Huffpost Brasil, le coût des campagnes électorales est passé de 792 millions à 5 milliards de reais. « De quoi construire une ligne de métro et 20 hôpitaux », insiste le site. Par ailleurs, pour être élu député fédéral, il faut dépenser au moins 4 millions pour sa campagne électorale.

https://veja.abril.com.br/blog/impavido-colosso/campanha-de-dilma-gastou-39-mais-que-a-de-aecio-nas-urnas-diferenca-foi-de-8/
Capture d’écran d’une infographie publiée sur le site internet du magazine Veja

La réélection de la présidente Dilma Rousseff a coûté pas moins de 300 millions de reais (800 millions selon Folha de São Paulo) alors que la campagne électorale de son adversaire Aécio Neves a coûté plus de 200 millions de reais. Autant de dépenses qui font du Brésil le deuxième pays qui dépense le plus d’argent pour les élections au monde juste après … les Etats-Unis.

Pour les lecteurs lusophones, ces explications d’un spécialiste pour lequel « le coût élevé des élections est proportionnel au niveau de pauvreté des électeurs ». Plus les électeurs sont pauvres, plus les élections sont chères

5. Une société clivée

Il s’agit de mon point de vue, de l’une des raisons pour lesquelles les brésiliens votent massivement depuis plusieurs années. Le Brésil est une société de plus en plus clivée. Les tensions idéologiques ne cèssent d’augmenter. Le clivage est tel que chaque élection est perçue comme une vraie bataille engageant vie et mort des personnes.

Il ne faut pas non plus oublier l’importance des politiques sociales appliquées par le Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir depuis douze ans. Le très discuté Programa Bolsa Família, une espèce d’allocation familiale dont bénéficient les populations les plus pauvres sous la simple condition d’inscrire leurs enfants dans une école et de les soumettre à un contrôle médical (gratuit au Brésil) régulier.

En résumé, une élection au Brésil n’est jamais une simple élection.

Brésil : reportage sur les bénéficiaires de l… por franceinter


C. Vainer (Univ. Rio) : « Les membres du PT… por franceinter
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Le Brésil à l’épreuve de la démocratie

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crédit photo: Editorial J | Flickr.com

Les brésiliens aiment copier les Etats-Unis. Chaque étranger vivant au Brésil a déjà entendu cette phrase lors d’une conversation banale autour d’une table, à l’université entre collègues, au travail ou lors d’un match de football informel du samedi matin. Pendant mes études de Sciences politiques, j’ai vite compris que même cette branche très austère des Sciences sociales copiait assez nettement le « modèle américain »: la hard politics. Celle-ci a pris l’habitude de créer des axiomes à l’exemple de celui qui affirme « qu’aucun pays ayant établi un régime démocratique pendant vingt années successives n’est jamais revenu vers un régime autoritaire ». Cela fait près de vingt cinq ans que le Brésil est une démocratie. Le géant sud-américain va-t-il déjouer les pronostiques et faire réécrire les livres de Science politique?

La procédure de destitution lancée contre la présidente Dilma Rousseff sans aucune preuve solide de malversation ou d’irresponsabilité budgétaire constitue un test de maturité pour la population brésilienne qui devra démontrer son attachement à la démocratie. C’est en substance ce qu’affirme le rédacteur du Monde Diplomatique pour sa version brésilienne lors de l’interview ci-dessous.

Le défi est immense. Il faudrait être inconscient pour sous-estimer la menace qui pèse sur le gouvernement élu de Dilma Rousseff, mais surtout sur la solidité des institutions brésiliennes.

Lire l’article: Comprendre la crise brésilienne en six mots-clés

J’ai l’habitude de dire à mes amis que le Brésil est le pays de l’incertitude. Elle est aussi bien politique qu’économique. L’une des plus importantes fragilités institutionnelles que l’on rencontre au Brésil consiste à l’impossibilité pour tous les opérateurs économiques, acteurs politiques, et autres analystes d’établir une quelconque prévisibilité de la dynamique sociale du pays. Autant dire, que le Brésil n’est pas tout à fait entré dans la modernité (weberienne…). De ce point de vue, le Brésil reste un grand monstre kafkaïen…

Comprendre les raisons de la procédure de destitution contre Dilma (en anglais)

Depuis l’arrivée de Lula da Silva au pouvoir les brésiliens avaient pris goût à une relative stabilité aussi bien en politique qu’en matières économiques. La gueule de bois qui a suivi l’ascension au rang de septième puissance économique produit aujourd’hui des effets politiques.

Une véritable crise de confiance gangrène la société, les politiques ont perdu toute crédibilité à gauche comme à droite. Cette frontière idéologique est par ailleurs incompréhensible tant les alliances du pouvoir se caractérisent par leur éclectisme.

Dès les années 80, le sociologue brésilien Francisco de Oliveira avait qualifié le Brésil d’Ornithorynque: une anomalie capitaliste. L’anomalie achève aujourd’hui sa mutation politique. En cause, ces alliances dénuées de sens idéologique. Faut-il rappeler que le responsable de la « guerre » politique lancée contre la présidente Dilma Rousseff est un membre du parti politique de centre droit (PMDB), principal allié du Parti des Travailleurs, dont le président n’est autre que … le vice-président de Dilma Rousseff.

En validant cette demande de destitution, Eduardo Cunha, président de l’assemblée nationale sert les intérêts (ocultes?) de son chef de parti et vice-président du Brésil, Michel Temer. Ce dernier se garde bien de montrer ses ambitions présidentielles, exceptée dans une « lettre personnelle » adressée à la présidente Dilma Rousseff , que l’on retrouve miraculeusement diffusée dans toute la presse brésilienne. Son contenu est surréaliste: démonstration faite de « l’incompétence politique » de la présidente Dilma Rousseff par le biais de leurs conversations secrètes, grosso modole vice-président réitère sa loyauté envers la présidente tout en lui signifiant que la confiance entre eux est désormais rompue

On sait bien qu’en politique, la trahison n’est jamais trop loin des alliances formées sous les lumières des projecteurs. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la démocratie brésilienne.

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François Muleka : «Vouloir chanter et pouvoir chanter sont deux choses passagères»

François Muleka lors d'une de ses présentations @Facebook
François Muleka lors d’une de ses présentations @Facebook

C’est un peu comme vivre. C’est comme cela qu’il perçoit son travail, sa passion : une chance, le temps qu’elle dure. Car chanter n’est jamais acquis. « Vouloir et pouvoir chanter, deux choses qui au fond ne sont pas à notre portée. Pas de manière définitive en tous les cas ». Il faut un rapport humble à son art pour conclure un concert par ces paroles pleines de sens, de tendresse et de reconnaissance.

La reconnaissance envers un public qui par sa simple présence devient co-créateur de son oeuvre. « Je ne chante pas pour recevoir les applaudissements du public », dit François Muleka, timide et humble. Il tremble au milieu du podium, comme une feuille, cette feuille qu’il observe parfois au balcon de son appartement de Florianópolis, au sud du Brésil. Elle aussi a appris à sécher… à frémir légèrement aussi, quand le vent souffle.

Rien n’est acquis. Jamais. Ni l’art, ni la vie, ni le talent, ni beauté des fleurs, ni la grâce des oiseaux. Passagers nous sommes, tout comme nos désirs et nos peines. On apprend à vivre, comme on apprend à chanter, à aimer, à marcher, à sécher, grandir et frémir.

« Ma musique est un prétexte », avance-t-il. « Un alibi servant à tisser des liens, faire de nouveaux amis », comme ce producteur du Nordeste brésilien rencontré sur le réseau social Facebook, promoteur ce soir de ce concert.

Merveilleuse synthèse

Il est né au Brésil où ses parents vivent depuis le début des années 80. Il a été élevé dans une double culture. Une éducation qui fait de lui une synthèse de l’Afrique et du Brésil. Un passé trop lointain réconcilié avec le futur dans un pays qui a du mal à reconnaître ses origines esclavagistes, et donc, ses racines africaines.

Comme la musique facilite les rapports humains. François s’en sert à dessein. Avec sa plume, il guide les Brésiliens vers un paradis perdu en même temps qu’il facilite l’intégration des Africains qui arrivent. Il y a effectivement un monde merveilleux à découvrir des deux côtés.

Au nom d’une mère, d’un père aussi…

La famille Muleka père mère et fils - crédit photo:  Bruno Ropelato @Facebook
La famille Muleka: père, mère et fils – crédit photo: Bruno Ropelato @Facebook

Enfant, ses parents lui parlent swahili et kiluba. Il n’oubliera jamais ses racines. Ainsi commence-t-il son spectacle : « Mon nom est François Muleka ». Il dit son nom avec une intonation brésilienne. Une heure plus tard, il s’empresse de me montrer son premier CD, « Karibu », cela veut dire « Soyez les bienvenus. » … en swahili. « Je parle swahili », m’avoue-t-il. Forte impression! Encore. Depuis le début de la soirée, tout s’est enchaîné, sa voix a conquis l’auditoire. Pour être juste avec l’artiste, je dois dire « SES voix ».

Il faut dire que François manie les inflexions de son timbre comme il tripote sa guitare. Pour son deuxième album, Feijão e Sonho, une opération de crowdfunding – l’une des rares dans le milieu artistique brésilien – a été menée pour financer sa réalisation.

Dans cette famille, le talent s’exprime au pluriel. Multiforme. Multiculturel. De père en fils. De mère en fille. Mixte. Mon collègue Didier Mukaleng-Makal, blogueur à Lubumbashi, avait découvert que le père Muleka est un éminent historien des mathématiques, et c’est peu dire : pionnier devant l’éternel.

Quant à sa mère que je connais depuis plusieurs années maintenant, elle est juste devenue un guide pour moi.

Bonus

Retrouvez la présentation de son nouveau disque Feijão e Sonho:

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Retrouvez d’autres portraits sur le blog ici.

 


Victoire de la droite en Argentine: nouveau cycle en Amérique Latine?

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Cristina Kirchner et Dilma Rousseff lors d’une rencontre au Chili – crédit photo: ItamaratyGovBr | Flickr.com

Un nouveau cycle politique est-il en marche en Amérique Latine ? On peut dire que oui. La gauche est au pouvoir dans plusieurs pays importants de la région depuis plus de douze ans. Elle n’a pas pu empêcher une crise économique et une forte inflation de frapper de plein fouet les foyers. La bataille idéologique perdue par la gauche aux élections présidentielles de ce week-end (notamment sur les médias sociaux), on doit s’attendre effectivement à un grand changement des équilibres politiques dans la région. 

La gauche brésilienne est sonnée et accuse la victoire de Mauricio Macri aux élections présidentielles en Argentine comme un coup de massue.

Moi qui consacre mes recherches aux médias sociaux, il ne m’a pas échappé que la droite est mieux organisée (et de ce point de vue, elle obéit aux enseignements de Mosca et Pareto sur la « Théorie des élites »). Pour autant, ce qui m’étonne c’est l’absence de réaction ou d’initiative de la part de la gauche.

Toute bataille politique est avant tout idéologique, en accord avec Gramsci. Il serait mieux que les militants ainsi que les partis politiques de gauches investissent ce champ où sont menés les combats idéologiques les plus décisifs de notre époque, à savoir les médias sociaux.

L’alternance politique en démocratie

Dans une analyse datant d’Octobre 2014, je proposais déjà une grille de lecture de la conjoncture politique brésilienne que l’on peut aisément transposer à l’Argentine et aux autres pays qui ont effectué leur virage démocratique à gauche après les années de dictature militaire. J’avançais notamment l’idée qu’en toute démocratie, plusieurs années consécutives d’un même courant politique au pouvoir, produisent une certaine lassitude.

Lire l’analyse: Seize ans sans alternance politique au Brésil.

En science politique, cette lassitude renvoie aux perceptions des électeurs pour qui une telle situation transmet la fausse impression qu’il n’y a pas d’alternance. De plus, une certaine progression économique chez une population de classe moyenne fait qu’elle se désintéresse des questions politiques profondes. A cela s’ajoute les effets délétères d’une crise économique certes mondiale, mais dont les conséquences se font ressentir dans « le panier de la ménagère », les effets ne peuvent que provoquer le rejet du gouvernement en place.

https://en.wikipedia.org/wiki/Mauricio_Macri#/media/File:Mauricio_Macri_fue_recibido_por_el_Papa_Francisco_(9837004385).jpg
Le nouveau président argentin Mauricio Macri en compagnie du Pape François – Wikimedia Commons

La bataille idéologique sur les médias sociaux

Sans vouloir proposer une analyse des causes profondes de la radicalisation islamiste en France, je profiterai de l’actualité pour expliquer la bataille idéologique. Cela fait un moment que je le dis sur ce blog: les mouvements conservateurs se renforcent en Amérique Latine et rencontrent un terrain fertile sur les réseaux sociaux.

Au Brésil, il suffit de lire les commentaires sur les différents forums de sites d’information pour s’en rendre compte. La parole de droite s’est libérée. A vrai dire, c’est la parole de l’extrême droite qui s’émancipe. La parution, dans le journal La Nación, d’un éditorial au ton polémique dédouanant les tortionnaires du régime militaire, au lendemain même de l’élection de Macri est symptomatique.

 – Je travaille pour La Nación, mais je ne partage pas l’opinion de cet éditorial. Je ne suis pas le seul journaliste de LN dans ce cas. Voilà.

Preuve qu’un travail républicain doit encore être accompli dans nombre de ces pays où le dialogue démocratique devient de plus en plus difficile.

Lire sur le site du Monde-Diplo: Vers la fin du Kirchnérisme en Argentine?

Quelles relations avec le Brésil ?

On savait que Dilma Rousseff et son homologue argentine Cristina Kirchner étaient plutôt proches. Les liens historiques qu’entretiennent les partis de gauche en Amérique du Sud y sont pour beaucoup. Le projet commun du renforcement de la coopération régionale dans le cadre de l’Unasur a joué un rôle dans ce rapprochement. Pour autant, le silence qui a suivi l’élection de Macri du côté de Brasília inquiète. Aucun commentaire de félicitations publié sur le compte Twitter pourtant très actif de la présidente Rousseff, pas de communiqué non plus sur le site internet de la présidence du Brésil.

Il faudra voir comment la présidente Dilma Rousseff se récupère…

L'Unasur félicite le nouveau président élu en Argentine - capture d'écran.
L’Unasur félicite le nouveau président élu en Argentine – capture d’écran.

 

Actualisation du billet: Dilma Rousseff a téléphoné au nouveau président élu en Argentine Mauricio Macri. Les deux personnalités ont échangé pour un peu moins de dix minutes. Aucun message sur les réseaux sociaux.

Bonus:

Le président élu de l’Argentine Mauricio Macri est un personnage connu dans le milieu du football pour avoir été président du mythique club de Buenos Aires, Boca Juniors. Ci-dessous Macri s’exprime sur le dopage de Maradona.

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Blocus pour Cuba et libre-échange pour Daech

https://en.wikipedia.org/wiki/Fidel_Castro#/media/File:Lula_anda_Castro9822.jpeg
Lula da Silva rencontre Fidel Castro à Cuba – crédit photo: Antônio Milena/ABr

Avant toute chose, je voudrais témoigner ma complète solidarité envers la France. Je suis né en France, j’ai reçu une éducation mixte, entre les valeurs de la France et la tradition congolaise. Mon père a été enseignant à Bordeaux puis est reparti au Congo appliquer ses connaissances en exploitation aéronautiques. Cela dit, je voudrais rappeler ici certains faits qui m’indisposent quant à la politique de la France et des pays occidentaux en général face à l’Etat Islamique, et revenir spécialement sur la question du blocus économique contre Cuba.

Premièrement, je ne suis ni expert en Islam [VIDÉO], ni expert en politique étrangère, encore moins expert en matière de lutte anti-terroriste. Mais je m’informe. Beaucoup. Peut-être même trop. C’est l’un des avantages de parler plus de cinq langues.

Vivant en Amérique Latine depuis bientôt huit ans, je voudrais établir un parallèle avec la situation d’une petite île au sud des Etats-Unis: Cuba. Il y à peine deux jours je regardais une interview du président Evo Morales dans laquelle il affirme que « Barack Obama est une grande déception pour le monde », se référant notamment à ses échecs sur le dossier cubain, et le maintient du blocus économique. Un vrai scandale.

D’un autre côté, vous avez l’Etat Islamique. Assis sur une mine d’or à en juger par les reportages et documentaires produits sur la mouvance islamiste. C’est ce que montre cet excellent documentaire difusé par Télérama: Daech vend son pétrole via la Turquie et « peut engranger jusqu’à 10 millions de dollars en une journée d’un même acheteur ». En clair, Daech devient économiquement autonome.

Il se peut que je sois vraiment bête, mais je vais tout de même poser la question à monsieur Hollande et surtout à son homologue américain Mr. Obama: « Cuba est-il vraiment un ennemi tellement plus dangereux que Daech au point d’être sous le coup d’un embargo et pas l’Etat Islamique ? »

 

Rappel des faits: L’UE lève le blocus sur les armes à destination de la rebellion syrienne

Voilà, ça c’est fait:

Et le résultat:

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#IGF2015: les bons et les mauvais points du Forum de la Gouvernance d’Internet

 

https://pt.wikipedia.org/wiki/Internet#/media/File:PikiWiki_Israel_32304_The_Internet_Messenger_by_Buky_Schwartz.JPG
Obra Internet Messenger, de Buky Schwartz em Holon, Israel

Poeta Ronaldo Cunha Lima Conference Center, voilà un bien joli nom pour un édifice qui représente, jusqu’à preuve du contraire, l’image parfaite de la ségrégation économique qui prévaut dans les grandes villes brésiliennes.

Ce Forum de la Gouvernance de l’Internet est aux antipodes de ce que fut le Forum Mondial de la Francophonie à Liège. Pour avoir participé aux assises du #FMLF2015 à Liège (Belgique) en juillet 2015, je ne peux m’empêcher de penser que ce contraste en termes d’organisation et d’inclusion entre les deux événements témoigne de deux idées distinctes de société.

A ce propos, les mots d’un taximan qui m’y conduisait sont révélateurs: « C’est culturel, les autorités politiques ont ‘privatisé’ l’événement, seuls deux ou trois personnes en tireront profit ». Comme quoi, un taximan peut donner un avis tout aussi bien pertinent que celui d’un correspondant de Mediapart au Brésil. Il serait intéressant d’observer pour les prochaines années les effets concrets de ce Forum sur la ville de João Pessoa.

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil

This year’s IGF will focus on a range of sub-themes, including Cybersecurity and Trust; Internet Economy; Inclusiveness and Diversity; Openness; Enhancing Multistakeholder Cooperation; Internet and Human Rights; Critical Internet Resources and Emerging Issues.

Au regard du projet et des promesses, disons tout de suite que la diversité et l’inclusion n’étaient pas, dans les faits, des priorités. Comment peut-on évoquer l’inclusion sociale lorsque pour se rendre sur les lieux du Forum il fallut dépenser au moins 20 dollars par jour pour un taxi. L’endroit est parfaitement inaccessible en Bus. Alors, certains diront, « mais de quoi il se plaint? Ce ne sont que quelques malheureux dollars ». Sauf que quand tu es dans une ville comme Paris ou São Paulo, tu t’attends à ce qu’il y ait d’autres options de mobilité que de dépenser 20 dollars pour aller d’un point A à un point B, désolé! J’ai même eu l’impression que si je venais de l’étranger cela m’aurait coûté moins cher en logistique. Bref, ce Forum a été organisé pour tout le monde sauf pour les habitants de João Pessoa et c’est bien regrettable. 

A cela s’ajoute que pour ceux qui n’auraient pas fait en amont une inscription sur le site de l’ONU, toute entrée était interdite. Pour un forum basé sur l’idée d’inclusion, il fut tout de même très prohibitif.

Une personnalité importante de la « gouvenance d’Internet » dans le monde m’a avoué « en off » sa déception par rapport à ce Forum confiné à l’extrémité de la ville.

Deuxième journée au Forum

Direction le Centro de Convenções de João Pessoa pour obtenir mon accréditation; le bâtiment qui abrite le forum possède d’ailleurs la plus grande salle de conférence du Brésil; la deuxième d’Amérique Latine.

Dès mon arrivée, première déception: sans accréditation, le commun des mortels n’aura pas accès au forum, ce qui me semble déjà problématique pour un… « forum ».

Deuxième aspect: comme un peu partout au Brésil, j’ai eu une énième preuve que la Police Fédérale nous fournit (aux étrangers) une carte d’identité que les autorités brésiliennes ne connaissent pas ou ne font aucun effort de « comprendre ». Il aura fallu six personnes pour décider que la pièce d’identité (très belle au passage) que je leur présentais pouvait être considérée comme une ID Card « délivrée par les autorités compétentes » – tel que mentionné sur le site du forum -. Ciel !

Participants are required to go to the badging desks with a printed copy of the registration confirmation and a picture ID issued by a national authority of a state recognized by the United Nations.

Facile à dire.

J'ai quand même pu récupérer mon badge #IGF2015
J’ai quand même pu récupérer mon badge #IGF2015

Ce sont là malheureusement les effets de la sous-traitance. Des personnes sans compétences sont placées un peu partout et nous devons nous y faire. La même chose m’est arrivé un jour à l’aéroport de São Paulo. Un agent de contrôle des frontières était incapable de reconnaître mon document d’identité.

Le prix de la communication

S’il y a bien quelqu’un qui mérite le prix de la communication c’est bien le congolais Arsène Tungali, activiste pour les droits de l’homme dans la région des Grands-Lacs, sélectionné pour les #Yali2015, un garçon vraiment dynamique.

Un vrai plaisir de le rencontrer. J’ai le sentiment que nous aurions dû nous connaître depuis longtemps d’autant plus que nous avons beaucoup d’amis en commun, sans parler du fait que nous possédons tous les deux des racines dans l’île d’Idjwi au Nord-Kivu.

Son compte Twitter était vraiment le must de cette édition du #IGF2015.

La « manif » du contre-Forum

Qui dit Brésil dit manifestations. On n’allait pas déroger à cette règle lors de ce Forum de la Gouvernance d’Internet. Pour le coup, c’est Marc Zuckerberg qui en a fait les frais. Dès l’ouverture officielle du forum par le ministre de la Communication du Brésil, André Figueiredo, un groupe des manifestants s’introduit dans la salle de conférence archicomble désorientant la sécurité…

Perplexes, les officiers de l’ordre n’ont pu empêcher les manifestants d’arborer des banderoles contre l’initiative Internet.org.

Lundi déjà, une amie m’informait qu’un contre-forum avait lieu en marge du #IGF2015, preuve que tout n’est pas beau dans ce genre d’événements. Evidemment, les paricipants étrangers ont eu de fortes sensations, la preuve sur le réseau social Twitter:

Un groupe de manifestants interrompt le ministre de la communication lors de l'ouverture officielle du Forum
Un groupe de manifestants interrompt le ministre de la communication lors de l’ouverture officielle du Forum

Pas évident d’être le centre du monde.

Les belles rencontres

De gauche à droite: Chancel Malanga, Serge Katembera et Arsène Tungali
De gauche à droite: Chancel Malanga, Serge Katembera et Arsène Tungali

Ce qui a vraiment fonctionné lors de ce forum, c’est l’environnement très professionnels des assises et le cadre propice aux rencontres de tout genre. Or, c’est souvent ce qui manque à de nombreux forums où les participants sont tellement dispersés qu’ils finissent par ne pas avoir le temps d’échanger. Pour ma part, j’ai pu revoir des personnes rencontré en Belgique lors du #FMLF2015, mais également des acteurs de l’innovation technologique en Afrique. Je vous ai déjà parlé d’Arsène, ce gomatracien très dynamique – une vraie dynamite d’émotions. J’ai revu également un malien qui mérite un chapitre à part, Tidiane Ball (@tidianeball), fondateur du Donilab et porteur d’un projet récompensé par le Fire Awards (en partenariat avec Afrinic et Seed Alliance) grâce au projet Malisante.net.

La RD Congo se fait de plus en plus présente lors de rencontres internationales de cette nature. A Liège , j’avais été impressionné par le nombre de porteurs de projets en provenance du Congo. Là également un congolais avait remporté un prix de l’innovation. C’était donc le cas pour Chancel Malanga, cet ingénieur formé à l’Université de Kinshasa qui a développé un projet tech visant à améliorer le système d’implantation de notes d’étudiants dans les institutions d’enseignement supérieurs. Un système très en vogue dans les pays plus avancés.

Comment ne pas mentionner l’autre moment fort de ce forum, en tout cas de mon point de vue: le débat sur les responsabilités des grandes plate-formes d’Internet notamment sur la question des données (BigData); un débat auquel a participé Benoit Thieulin, président du Conseil National du Numérique de France.  C’était aussi l’occasion pour moi de constater que Google est mur d’arrogance qui ne s’intéresse qu’à son modèle économique.

En gros, le représentant de Google a expliqué que nous avions le choix entre une bonne expérience d’utilisation des services de Google Maps, par exemple (en échange de nos données personnelles), soit le service ne fonctionnerait plus correctement. Oushhh!

Ce n’est pas aujourd’hui que les gouvernements arriveront à leur imposer un quelconque agenda « démocratique ». Un premier pas dans ce sens serait d’y travailler en bloc tel que l’Union Européenne l’a montré pour la loi du droit à l’oubli.

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