Serge

PDF — La RDC face aux enjeux politiques et économiques à venir

https://www.flickr.com/photos/globalvoyager/363988726/sizes/o/
Première locomotive congolaise | Lubumbashi, Katanga, República Democrática do Congo| Crédit photo: Nick Hobgood – Flickr.com/cc

Analyse des enjeux politiques et économiques de la RD Congo à l’heure où les cours des matières premières baissent et que le cadre politique pré-électoral n’augure aucune stabilité à court terme. La succession politique n’étant pas institutionnellement assurée, le contexte économique n’étant pas favorable, comment sortir la RDC du marasme ? Deux spécialistes¹ de l’économie et de la décentralisation livrent leur analyse.

Un taux de croissance supérieur à la moyenne africaine, une économie boostée par le cuivre. Mais le pays ne semble pas avoir tiré les enseignements du passé et relègue ainsi l’agriculture, la pêche, l’élevage, le tourisme ou l’industrie de la transformation au rang de faire-valoir. Or , le cours des matières premières baisse partout dans le monde.

Le tableau risque-t-il de s’aggraver tout en se conjuguant avec une crise politique causée par l’incertitude maintenue autour de l’organisation des prochaines élections?

La décentralisation, promesse d’efficience et de progrès, ne semble pas non plus bien engagée. Selon les auteurs de l’étude que vous pourrez consulter en PDF à la fin de cet article, le méli-mélo actuellement visible dans les provinces n’augure pas une optimisation des recettes de l’Etat.

Alors que les regards des analystes politiques et économiques tendent à s’orienter vers le sens des événements présents afin de prévoir un futur plus ou moins proche, les chercheurs congolais Tony Nsimundele et Jean-Joel Beniragi proposent essentiellement d’apprendre de notre passé politique, de redéfinir nos modèles politiques ainsi que nos choix économiques.

De plus, que pouvons-nous apprendre du cas brésilien, un pays qui s’est plutôt bien comporté pendant la crise de la dette de 2008, mais qui maintenant vit une contraction économique due à la chute des prix des produits de base ?

La comparaison, très pondérée, est juste et force à s’inquiéter quant au cap sur lequel s’oriente la RDC. Cela dit, c’est ici que se trouve aussi la solution du problème. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs des autres.

La RDC se retrouve à un moment déterminant de son histoire, et on le sent bien à la lecture de ce travail qui démontre encore une fois que les jeunes du pays sont prêts à contribuer. Quoi de mieux qu’un travail produit en collaboration entre un Congolais vivant au pays et un expatrié, la parfaite synthèse de ce que devrait être l’avenir de ce pays: l’intégration des savoirs locaux aux connaissances venues d’ailleurs.

Cliquez également sur le lien suivant pour obtenir la version PDF de l’étude.

La RDC face aux enjeux politiques et économiques à venir

 

¹ Tony Nsimundele : licencié en droit économique et social de l’Université protestante au Congo ﴿ CPU﴾ . Il œuvre dans la sensibilisation de la jeunesse quant aux enjeux politiques et au respect des lois et règlements nationaux avec les plateformes mutuellse des jeunes Kinois ﴾MJK ﴿ et l’Ets Le Mystik. Actuellement conseiller juridique du groupe MINOCONGO.
Jean Joel Beniragi : licencié en sciences économiques de l’Universidade Federal Fluminense et actuellement en train de faire un master recherche en économie régionale à l’Universidade Federal do Rio Grande do Norte au Brésil. Il mène activement des recherches dans le domaine de développement en Amérique du Sud et en Afrique. Actuellement, il fait des recherches sur la décentralisation et le développement local en R. D Congo. 

________

Suivez-moi sur Twitter (@sk_serge) et n’hésitez pas à partager cet article.

Abonnez-vous au blog ! 🙂

 


Domingos da Cruz, l’intellectuel persécuté en Angola

L'écrivain, philosophe et militant politique angolais, Domingo da Cruz | image @Facebook
L’écrivain, philosophe et militant politique angolais, Domingo da Cruz | image @Facebook

Domingos da Cruz est un ami depuis plus de quatre ans. Je l’ai rencontré plusieurs fois dans la ville de João Pessoa où nous avons développé une relation basée sur une admiration mutuelle. Intellectuel acharné, chercheur et philosophe diplômé de l’Université fédérale de Paraíba au Brésil, il est l’un de ces symboles qui laissent entrevoir un avenir radieux pour l’Angola. Cela fait plus de quatre mois qu’il se retrouve derrière les barreaux en compagnie de quatorze autres militants. Accusé de mettre en danger la sûreté de l’Etat, Domingos da Cruz et ses codétenus ont en réalité organisé une journée de lecture autour de deux livres jugés subversifs.

Premier contact avec le racisme brésilien

C’est grâce à une bourse d’études de la Fondation Open Society que Domingos da Cruz arrive au Brésil pour y faire un master en droits de l’homme. Il se distingue tout de suite par son sens critique sans concession. Il bouscule les lignes, tient tête à certains professeurs reconnus au cours d’intenses discussions académiques et/ou politiques : c’est que pour lui, les deux sphères s’entremêlent.

Le racisme de la société brésilienne l’émeut immédiatement. Il ne sera plus jamais à l’aise au Brésil. Plusieurs fois, il m’avouera ne plus supporter de voir la misère sociale, politique et intellectuelle des Afro-Brésiliens. C’est que cette image d’un pays racialement divisé n’est pas sans rappeler la ségrégation raciale qui prévaut dans son propre pays, l’Angola. En effet, Domingos, comme il est connu, a conscience des privilèges sociaux dont bénéficient les métis en Angola. C’est d’ailleurs la première fois que cette problématique émerge sous mes yeux.

Mais, Domingos da Cruz s’indigne également contre le racisme qu’il découvre dans les institutions d’études supérieures au Brésil où les étudiants noirs sont constamment rabaissés.

L’influence sur mes recherches

Lors de nos premières rencontres, il insiste pour visiter mon appartement. Au départ, je ne comprends pas très bien sa démarche. Il me semble qu’il éprouvait une profonde solitude dans son appartement situé près de la plage. Au fil de nos discussions intellectuelles, il m’interroge sur la direction que je veux imprimer à mes recherches. Sur ce, je dois dire aussi que l’Afrique n’a jamais été une question fondamentale pour moi. Je n’y accordais que très peu d’importance. A ce moment-là, encouragé par une de mes enseignantes, je m’apprêtais à écrire un mémoire sur la démocratie brésilienne.

Nos échanges finissent par me convaincre que je serais plus utile en dédiant mes recherches  aux transformations sociopolitiques en marche dans une Afrique qui ne cesse de bouger.

Deux livres jugés dangereux

Domingos da Cruz est un homme inquiet qui a été formé chez les catholiques. Partout où il passe, il combat les injustices, en commençant par son pays. Son seul défaut, s’il en est, c’est son acharnement. A côté de lui, je me sentais un peu lâche, moi qui ne m’engageais politiquement pour aucune cause.

Quelques jours avant son retour en Angola, Domingos me confiait ses craintes face au durcissement du régime d’Eduardo dos Santos, l’homme qui a fait de l’Angola un pays dont la croissance économique se maintient à deux chiffres. Pour les observateurs internationaux, cela suffit.

Tout le monde sait pertinemment que l’Angola est une dictature, mais qu’importe, si ce beau pays est devenu le paradis touristique des Occidentaux, un modèle que d’autres pays africains n’hésitent plus à copier.

Cela fait plus de quatre mois que Domingos da Cruz est incarcéré dans une prison en Angola pour avoir organisé une journée de débat autour de deux livres jugés subversifs et dangereux pour la sûreté de l’Etat.

Pour lire le portrait de Luaty Beirão, rappeur angolais arrêté en même temps que Domingos da Cruz, cliquez ici.

Lire aussi le compte rendu publié sur le site Le Monde Afrique

______

Suivez-moi sur Twitter: @sk_serge 

 


C’est quoi au juste un blog ? La réponse en 25 tweets

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mini_Chaveiro_Twitter.jpg
Wikimedia Commons

J’ai participé ce samedi 3 octobre 2015 au #BlogForumDLA sans sortir de mon lit. Internet nous permet aujourd’hui de briser la distance physique et temporelle et donc de redéfinir la notion même de proximité. L’expérience a été très enrichissante tant les organisateurs ont effectué un grand travail en amont. Les débats ayant surtout tourné autour de sujets tels que la monétisation, l’originalité, la crédibilité du blogueur, la différence entre journalisme et blogging, etc., il est clair que le continent africain veut jouer un rôle actif dans l’émergence des « Nouveaux médias ». Bref, les sujets n’ont pas manqué. J’en ai donc profité pour distiller certaines idées formulées grâce à mon expérience de blogueur expatrié et de mes recherches en master et doctorat.

C’est quoi au juste un blog? Comment le monétiser, comment créer sa propre communauté? Quels usages du blog en Afrique ? Mes réflexions en vingt-cinq tweets ci-dessous:

Pour relire tous les tweets du #BlogForumDLA , c’est ici:


La terrifiante montée des extrémismes au Brésil

https://memoria.ebc.com.br/agenciabrasil/sites/_agenciabrasil/files/gallery_assist/24/gallery_assist695035/AgenciaBrasil160512_MCA1145.JPG
Des manifestants LGBT à Brasília, capitale du Brésil – Marcello Casal Jr./ABr

Dilma Rousseff sort enfin de son silence. L’inquiétante montée des extrémismes au Brésil a tiré la présidente d’un mutisme qui devenait pesant comme je le faisais remarquer sur Twitter. Racistes, homophobes, xénophobes, hommes politiques ou anonymes, tous les extrémistes se sentent pousser des ailes. Analyse d’un phénomène en expansion.

Le gouvernement brésilien sort peu à peu du profond sommeil qui l’empêchait de prendre la mesure du phénomène : une montée plus qu’inquiétante des extrémismes au Brésil. Une tendance en rupture avec les coutumes de ce beau pays. Internet facilite la mobilisation des radicaux alors que les médias déversent des discours dont l’éthique est pour le moins douteuse.

Réaction importante et incisive de la présidente Dilma Rousseff sur son compte Twitter, en vidéo:

 

Le discours clivant des hommes politiques

Les hommes médiocres ont de plus en plus d’espaces dans les médias brésiliens. Ne croyez pas que la France est le seul pays à avoir des politiques un peu « folkloriques » – soyons gentils -. Au Brésil aussi, nous avons « nos propres Donald Trump et Nadine Morano« . BBC Brasil s’inquiète d’ailleurs d’un scénario « à la Trump » d’ici 2018.

Jair Bolsonaro est sûrement le député politique le plus aimé et le plus détesté du Brésil. Il faut dire que le pire député du monde comme le rapporte le blog du Monde.fr, Big Browser ne fait pas dans la dentelle. Entre un discours homophobe, raciste et misogyne, il occupe constamment l’espace médiatique.

Il est certain que la grande visibilité médiatique dont jouissent les hommes politiques ultra-conservateurs comme Jair Bolsonaro (placé 4° dans la course à la présidence de 2018 par un sondage cette semaine) et le président du Parlement brésilien Eduardo Cunha a joué son rôle pour décomplexer les extrémistes.

Des hommes masqués et des justiciers de Rio

Certains n’y verront aucun lien mais la renommée internationale qu’a gagné le Batman des favelas portraitisé par Making-of a donné des idées à de nombreux jeunes qui veulent s’essayer à l’héroïsme des populistes. Ces derniers jours nous avons vu proliférer des groupes extrémistes prétendant se faire justice eux-mêmes. Dans leur ligne de mire, les jeunes des favelas qui organisent des « rafles » sur les plages cariocas… sacrilège! Le lieu le plus démocratique au Brésil, la plage, est devenu un territoire de terreur et tout indique que désormais un apartheid se prépare.

Capture d'écran d'un reportage de Folha de SP sur les justiciers de Rio de Janeiro
Capture d’écran d’un reportage de Folha de SP sur les justiciers de Rio de Janeiro

Les nouveaux justiciers de Rio de Janeiro n’hésitent pas sur le choix des suspects : « il s’agit de jeunes dont l’aspect indique qu’ils n’ont pas d’argent sur eux pour retourner dans leur quartier. » Comme on peut le lire sur le site Internet de Folha de SP, La police n’a pas l’air dérangée par ce problème. Ces jeunes justiciers ciblent de préférence des bus sur la ligne d’autobus 474 qui relie Copacabana et les quartiers pauvres.

Des vols en série sur les plages de Rio sont à l’origine de ces mouvements de défense organisée, mais une analyse objective devrait les mettre en perspective avec l’exclusion de moins en moins acceptée des jeunes issus des quartiers pauvres.

Série de vols violents sur les plages de Rio de… par lemondefr

Le « modèle américain » fait des émules

Que les Brésiliens aiment imiter les Américains n’était un secret pour personne. Toutefois, les nouvelles que nous recevons de Rio de Janeiro et sa périphérie ne cessent de nous inquiéter.

Deux reportages ont attiré mon attention et celle du public en général. Le premier, signé par O Globo publie des photos d’affiches imitant le mouvement suprématiste Ku Klux Klan placardées un peu partout dans la ville de Fluminense dans la Grande Rio. Les Noirs, les habitants du Nordeste brésilien et surtout les musulmans sont la cible de ce groupe qui opère essentiellement à la tombée de la nuit.

Capture d'écran sur le site d'O Globo
Capture d’écran sur le site d’O Globo

Le second est un article publié par BBC Brasil qui dresse le portrait d’Henrique Maia, fondateur de la milice non armée Guardian Angels Brasil, un mouvement qui s’inscrit dans la lignée d’un groupe de vigilantes new-yorkais connu pour ses actions dans le Bronx au début des années 1980.

A la décharge de ce groupe, soulignons que ses actions ne sont pas basées sur des critères racialistes.

Un infirmier sénégalais insulté sur Internet

Il sauve une vie dans le métro, reçoit une cinquantaine d’offres d’emploi puis se fait insulter sur Internet [Lire en espagnol sur El País]. C’est en résumé l’exploit réalisé par un dénommé Moussa, infirmier pendant plus de 15 ans au Sénégal et travaillant aujourd’hui dans une fabrique.

C’est encore une de ces belles histoires que l’on trouve sur la Toile, un jeune homme – pour le coup, un véritable héros – sauve la vie d’une femme victime d’un malaise cardiovasculaire. Cette bonne action le rend célèbre et fait connaitre l’histoire de cet infirmier immigré et sous-employé.

S’en suivent plusieurs interviews, des offres d’emploi (une cinquantaine) et la jalousie des internautes des sites d’information les plus lus. On se demande ce que font les modérateurs. Complices, complaisants, indifférents, ces derniers laissent s’exprimer des lecteurs dont le racisme et la xénophobie ne feraient pas rougir un lecteur du blog d’Ivan Rioufol.

Soyons nous-mêmes…

Aujourd’hui, j’ai très envie de conclure mon billet par un choix musical comme mon ami JR. Qui d’autres, sinon femme noire, étrangère dans son propre pays, exilée en Afrique puis aux Barbades… une femme de combat : Nina Simone 

_____

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner au blog.


Quatre films pour comprendre le Brésil contemporain

https://pt.wikipedia.org/wiki/Rosa_Berardo#/media/File:Rosa-berardo-pelicula.jpg

Je maintiens que le meilleur film sur les années «post-Lula»au Brésil reste Les Bruits de Recife de Kléber Mendonça Filho. Une oeuvre que j’ai longuement décortiquée sur ce blog il y a de cela deux ans. Si d’un côté, le cinéma brésilien tarde à produire un film qui soit le miroir des « années Dilma Rousseff » (il n’y a pas non plus de livre sur ce thème), il est déjà possible de dresser une liste des films qui caractérisent le mieux le Brésil contemporain. Entre cinéma indépendant et films grand public, voici en substance ce qu’il faut retenir des années post-Lula.

Ascension sociale et classes moyennes

Pour comprendre ce qu’on appelle maintenant les « années Lula » au Brésil, il convient de considérer les deux catégories suivantes : l’ascension sociale et les classes moyennes. La première constitue le socle électoral du Parti des travailleurs – « les bases sociales du lulisme », selon André Singer. Et ce sont ceux-là qui feront élire par deux fois l’ancien ouvrier de São Paulo, et plus tard encore, la première femme élue présidente du Brésil. Les Brésiliens les plus pauvres ont eu beaucoup à gagner grâce à Lula da Silva qui a redistribué les richesses du pays sans pour autant perturber l’ordre établi par les grands patrons.

La deuxième est évidemment la garantie de la croissance économique et du consumérisme qui caractérise le Brésil contemporain. « Consommez! » C’était l’injonction de « Lula » aux Brésiliens des classes moyennes. Considérant ces deux critères, voici donc la liste des films qui rendent au mieux le portrait d’une société en constante transformation:

1. Troupe d’élite

José Padilha aime faire de la politique dans ses films même s’il a beau s’en défendre. Son dernier travail, Narcos pour la plateforme de vidéos à la demande Netflix le prouve. Mais son chef-d’oeuvre reste à ce jour Troupe d’élite avec à l’affiche, l’incontournable Wagner Moura. On mettra aussi sur le compteur du cinéaste brésilien un film sur la trajectoire d’un jeune délinquant, Bus 174 (2002). Un film inspiré de faits réels.

Toutefois, c’est avec Troupe d’élite que José Padilha atteint le sommet en remportant notamment l’Ours d’Or à Berlin. La violence des favelas est traitée avec un réalisme stupéfiant, Wagner Moura atteignant un niveau d’interprétation inouï : le rôle de sa vie. Bref, vous ne verrez plus jamais le Brésil de la même manière après ce film.

2. Les Bruits de Recife

Il aura fallu attendre six ans pour que le cinéma brésilien se réveille enfin, sous l’impulsion des nouveaux arrivants derrière la caméra, ici, le Recifense Kleber Mendonça Filho. Lire ma critique en lien au début de l’article.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cine_Olinda_-_Disused_Art_Deco_Cinema_-_Olinda_-_Outside_Recife_-_Brazil_-_02.jpg
Ancienne salle de cinéma à Olinda, près de Recife | Adam Jones | Wikimedia Commons

3. Une seconde mère

Intéressant projet d’Anna Muylaert qui s’attaque directement au problème des inégalités (pas nécessairement raciales cette fois-ci, et c’est la force du film); à la dialectique du maître et de l’esclave à la manière d’Hegel bien que la fin soit une négociation conçue pour plaire à Hollywood. Non, les choses ne finissent pas toujours bien dans la vie.

Car au Brésil, on discrimine les gens du Nordeste, les Noirs, les pauvres, les Indiens, les étrangers. En choisissant Regina Casé*, qui n’est évidemment pas noire, comme personnage principal, Anna Muylaert s’éloigne judicieusement des clichés adoptés par le cinéma brésilien ces dernières années. Les Blancs se discriminent également entre eux.

Pour autant, aucune surprise à la fin. On attendra encore un peu pour qu’un film brésilien nous surprenne outre mesure, à la manière d’un Campanella (Dans ses yeux) qui pose sérieusement le problème de la justice personnelle même dans une démocratie.

Pour comprendre la lutte des classes au Brésil, les manifestations diffusées dans les médias internationaux, Une seconde mère est le film indiqué. La haine entre les classes est visible, on comprend mieux ce qu’a réalisé Lula da Silva en permettant l’ascension sociale des plus pauvres. Une amie, chercheuse en histoire, me faisait remarquer que le film racontait l’histoire de sa vie.

Mais de part et d’autre, il y a une misère culturelle qui contraste avec le faste quotidien de certaines familles. Le Brésil contemporain, plein écran !

4. Casa Grande

https://www.lojasdaju.com.br/news/dicacultural-38-dia-do-cinema-brasileiro/

Le titre est quelque peu pamphlétaire, car il renvoie au livre de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala (The master and theslave), l’une des oeuvres majeures sur les origines de la société brésilienne. S’il se donne une ambition a priori démesurée, le cinéaste Fellipe Barbosa, formé à Columbia, réussit le pari de montrer de l’intérieur le quotidien d’une famille de classe moyenne plutôt riche.

Le père, ancien directeur d’une banque, est probablement le personnage le plus intéressant. Alors qu’il croule sous les dettes, il doit en même temps faire face à un nouveau standing de vie: pour la première fois, il soumet son CV au marché de l’emploi. Il démet un employé de maison et doit faire face à une plainte pour violation des droits du travail, une action qu’il sait perdue d’avance : « Dans ce pays, aucun patron ne gagne un procès de cette nature. » Est-ce le sentiment des patrons dans le monde réel ? C’est possible, au vu de la défiance des marchés contre le gouvernement Dilma Rousseff.

Le film est ponctué de phrases chocs qui laissent entrevoir le dilemme d’une société en mal d’intégration. Un film à voir, un cinéaste à suivre.

Comment parler des « années Dilma »?

Les années 2010 apportent une vague de demandes sociales des minorités sexuelles, raciales, ethniques, culturelles, etc. Ce sont là les problèmes récurrents au Brésil, au-delà de la crise économique elle-même. Le Brésil doute. L’enchantement voit ses effets disparaître tandis que le pays tangue…

Scandales de corruption, mouvement LGBT de plus en plus fort, la droite et l’extrême droite de plus en plus décomplexés. Le PT a partagé, il récolte la colère.

_______

* Regina Casé est une vedette de la télévision brésilienne. Elle anime l’émission Esquenta tous les dimanches sur Globo; c’est notamment grâce à cette émission que j’esquisse désormais quelques pas de samba.

P.S : Je passerai la semaine à Curitiba pour des vacances bien méritées, mais vous le savez bien que pour moi, vacances veut dire billets d’humour ou d’humeur sur un pays en constante mutation. A bientôt, donc, pour des histoires de la plus belle ville du Brésil.

Pour poursuivre le débat, retrouvez-moi sur Twitter (@sk_serge) ou simplement dans les commentaires.

 


José Padilha: « Avant d’occuper les favelas, c’est la police qu’il faudrait occuper »

https://www.flickr.com/photos/guadalajaracinemafest/5527966086/sizes/o/
Crédit photo: FICG.mx | Flickr.com

Faut-il avoir la cervelle complètement en bouillie pour apprécier « Narcos » de José Padilha? Le cinéaste brésilien emprunte dangereusement les sentiers battus par Luc Besson: ceux qui consistent à construire des oeuvres d’une mièvrerie dérangeante, presque gênante, pour quiconque essaye de porter un jugement objectif sur ses films.

Je n’irai pas jusqu’à dire que Padilha tombe dans un discours manichéen, au contraire. Chez lui, tout est forcément complexe. Trop complexe. On aurait même envie de lui suggérer de faire plus simple. L’utilisation constante d’une voix-off encombre le récit au point d’en être absurde. Citons seulement ce passage du deuxième épisode où Pablo Escobar est arrêté – ce spoiler est absolument nécessaire, sorry. Alors qu’il passe par l’identification des criminels, l’omniprésente voix-off nous prédit l’avenir: « Pablo ne le sait pas encore, mais cette photo lui apportera beaucoup de souffrances ». Etait-il nécessaire de le dire ? José Padilha croit tellement en sa propre complexité qu’il nous explique ce qui apparaît comme une évidence.

Capture d'écran d'une scène de "Narcos" mise en ligne sur Netflix
Capture d’écran d’une scène de « Narcos » mise en ligne sur Netflix

A en juger par certains critiques brésiliens, le réalisateur du très acclamé « Troupe d’Elite » témoigne son admiration à Martin Scorsese en insérant intempestivement une voix-off dans ses films. Le geste est louable. Pour autant, il sert plus à le rassurer dans ses certitudes qu’à rendre hommage au réalisateur de Goodfellas. Padilha veut nous faire croire qu’il a raison, et pour ce faire il nous prive de tout jugement autre que le sien.

Une récente interview du réalisateur nous le confirme. A ses risques et périls, José « do Brasil » – comme l’a nommé un critique carioca – se livre à l’exercice de l’analyse politique n’hésitant pas à égratigner l’ancien président Lula da Silva qu’il traite « d’escroc de seconde zone ».

Padilha fustige la corruption qui gangrène le Brésil (et il a raison); réprouve l’initiative des polices communautaires (UPP) qui « occupent » les favelas afin de les pacifier: « Avant d’occuper les favelas, c’est la police qu’il faudrait occuper« . Suivez mon regard.

Revenant sur l’un des faits marquants de l’année 2015, l’assassinat d’un médecin d’une cinquantaine d’années à Lagoa de Freitas, un quartier chic de Rio de Janeiro, alors qu’il faisait du vélo, Padilha s’engage finalement sur le terrain glissant de l’aveuglement de classe. « Jamais, dit-il, ce crime ne se produirait sur Central Parc. On bouclerait New York, il y aurait cinq cents policiers dans le secteur ». Rien que ça…

Bah oui, qu’attendent-ils pour boucler Rio ? Tiens, « Rio, La Cité Interdite », ça ferait un bon titre de film. Escape from Rio, voilà un joli titre pour un troisième opus de la série de John Carpenter.

Toujours est-il que le cinéaste nous révèle que la sauvagerie – sic – dans laquelle le Brésil est empêtré l’a poussé à réaliser cette « cure » new-yorkaise de quatre ans. C’est plus sûr aux Etats-Unis…

Soit. Mais Padilha a-t-il lu ce reportage du New York Times sur le danger que cela implique de naître noir au pays de l’oncle Sam ?

Si cette fameuse interview ne traite pas à proprement parler de « Narcos », n’empêche qu’elle nous aide à décrypter la série produite par Netflix grâce à quelques éléments biographiques sur Padilha.

Netflix, par ailleurs, qui fait le grand écart en passant d’Orange Is The New Black à Narcos. Ce qui en fait un gros récidiviste (Marco Polo).

Si l’on espérait que le Troisième Age d’Or de la télévision américaine se poursuivrait sur cette plateforme de vidéo à la demande, José Padilha vient d’enterrer nos espoirs.

______

Narcos – Netflix

Réalisateur: Jose Padilha. Scénaristes: Chris Brancato, Carlo Bernard, Doug Miro.

Casting: Wagner Moura, Pedro Pascal

______

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner au blog.

 


Le Brésil doit regarder ses propres migrants

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Navy_090525-N-4774B-032_Somali_migrants_in_a_disabled_skiff_wait_for_assistance_from_Sailors_aboard_the_guided-missile_cruiser_USS_Lake_Champlain_(CG_57).jpg
Des migrants somaliens – crédit photo: Daniel Barker | Wikimedia Commons

Est-il possible de comprendre le tsunami émotionnel qui a emporté le monde médiatique ces derniers jours après la publication de la photo du petit Aylan Kurdi? Oui. Il suffirait de lire le sociologue Luc Boltanski – Distant Suffering, décidément, ce livre s’impose comme la meilleure autopsie de notre époque. Je m’étais décidé depuis un moment à changer la ligne éditoriale de ce blog me refusant de commenter à chaud l’actualité médiatique. Une façon de prendre du recul face à la déferlante médiatique que la société du spectacle nous impose.

Mais il arrive qu’un lecteur demande mon avis sur une question spécifique, en l’occurrence, le mort tragique du jeune Aylan, échoué sur une plage turque.

Des arguments insensés

Je vous épargnerai la rhétorique du « deux poids et deux mesures », franchement, personne n’en a rien à cirer. Je vous épargnerai également les arguments chiffonnés que je lis sur les réseaux sociaux, notamment de mes amis brésiliens : « Oh mon Dieu, dans quel monde vivons-nous ? » « Mon Dieu, l’humanité a échoué… Comment a-t-on rendu tout cela possible ? » Ces arguments sont non seulement insensés mais aussi enfantins. Réveillez-vous, bon sang ! C’est exactement le monde que nous participons à créer tous les jours. Des gens meurent chaque jour sur le palier de votre immeuble.

L’hypocrisie que nous vivons est absolument magnifique. La classe politique française, aux abonnés absents ces derniers mois, nous gratifie de ses états d’âme soudainement humanistes. Ici, Jean-François Copé, là, le président François Hollande. Mais au final, tout cela ne me concerne pas.

La poutre dans notre oeil

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?

Mat. 7. 3-5

En mai dernier, j’écrivais sur ce même blog l’urgence de traiter la situation des Haïtiens de São Paulo comme un problème humanitaire. Je me limiterai donc à ce cas précis.

Je suis étonné de constater que la tragédie du petit Aylan Kurdi ait occupé le trending top du réseau social Twitter pour la ville de São Paulo. Cette même ville où l’on a tiré sur des immigrés haïtiens sous prétexte qu’ils voleraient le travail des Brésiliens. Mais quel travail ?

Cette même ville de São Paulo incapable d’adopter une vraie politique d’immigration pour les Haïtiens, les Africains, les Boliviens et j’en passe, fait le deuil du jeune Aylan.

Quelle époque où l’indignation n’est plus possible que par écrans interposés, à distance (on en revient au livre cité au début de cet article). Franchement, quelle époque !

Je vis dans une ville où le nombre des sans-abris augmente vertigineusement. L’autre jour, en sortant du Carrefour, j’ai partagé un pain sec avec l’un d’eux. Que pouvais-je faire d’autre ?

Il y a tout juste un mois, le grand journal brésilien Folha de São Paulo publiait un article sur le fait que la célèbre Avenida Paulista perdait son identité à cause de la présence constante des sans-abris. Oui, Folha se lamentait de la perte d’identité de la belle Paulista au lieu de s’émouvoir et de s’interroger sur la situation sociale du Brésil qui ne cesse de se précariser. Hallucinant, n’est-ce pas?

Je regarde tout ce qui s’écrit et se dit dans les médias internationaux et mes sentiments s’alternent. J’ai tout d’abord éprouvé de l’empathie, et ensuite un certain remords pour avoir publié la photo de cet enfant, d’autant plus que quelqu’un me l’a reproché. J’ai par la suite éprouvé du dégoût face à l’hypocrisie des politiques et des citoyens.

Ne nous indignons pas uniquement du destin tragique et de la vie gâchée de Aylan Kurdi. Indignons-nous aussi de voir des sans-abris crever de faim à deux pas du Carrefour… et donnons-leur un pain sec, une couverture puisque l’Etat ne fait rien. Indignons-nous de vivre dans un monde qui n’a plus aucun sens. 

A São Paulo où les migrants ne meurent pas sur la plage mais dans l’hiver du centre de la ville, indignons-nous du fait qu’on leur tire dessus. Et exigeons un débat public sur cette question des réfugiés haïtiens.

« Show Me a Hero »

Pour finir, je voudrais mentionner une série dramatique actuellement diffusée sur HBO, Show Me a Hero de David Simon. Elle raconte l’histoire trouble d’un jeune maire de l’Etat de New York à qui il incombe la responsabilité de faire accepter à ses électeurs blancs la construction de logements sociaux destinés aux Noirs. Là aussi, il est question d’acceptation de l’autre, de tolérance et d’intégration. Mais rien n’est fait pacifiquement quand bien même la justice tente d’imposer ses habitations à coup de lois. Une belle métaphore pour réfléchir à la question des migrants. Un mécanisme de quotas obligatoires serait donc un leurre. Parce que la solidarité ne s’impose pas.

______

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner au blog.


La crise brésilienne en six mots, selon BBC News

https://www.flickr.com/photos/fotosagenciabrasil/16679353840/sizes/c/
Une manifestante anti-Dilma prise en flagrant délit de panelaço | Flickr.com/ Agência Brasil

C’est d’une sympathique vidéo accessible en ligne sur le compte Youtube de la chaîne BBC News que je souhaite vous parler cette semaine. Elle explique de manière assez ludique, et dirons-nous, en anglais facile (!), la crise brésilienne en six mots-clés. Je n’ai pu m’empêcher de noter que la plupart de ces mots-clés font allusion au football. Focus sur ce florilège de mots-clés typiquement brésiliens et souvent péjoratifs.

1. Panelaço

C’est une forme de protestation politique qui consiste à faire du bruit avec des casseroles

Mode d’emploi : on se place à la fenêtre de son appartement (à son balcon, ça va aussi), on éteint la lumière – sauf une, pour qu’on sache d’où vient le bruit -, on attend que la présidente Dilma Rousseff apparaisse à la télévision pour un discours à la nation et hop, on tape de la casserole. Sans rythme, c’est l’idéal. Le but étant de couvrir la voix de la présidence par le bruit des casseroles.

Techniquement, faire du panelaço dans une favela ne compte pas. Il est souhaitable que cela se fasse dans des appartements luxueux… OK!

Lien avec le football : bien que BBC News ne le dise pas, on peut penser que la référence avec le football soit purement littéraire. Vous remarquerez (pour les lusophones et les Hispaniques) que panelaço rime avec golaçoun mot appartenant au vocable « gol » auquel on pourrait ajouter golzinho*.

Notez bien : les casseroles peuvent être importées de France ou d’Espagne comme on l’a vu récemment sur Internet.

2. Coxinhas

Personnellement, j’en raffole. Ok, ça ne doit pas être très sain, mais qu’est-ce que c’est bon… « La coxinha est un aliment à base de viande de poulet haché, recouvert de pâte moulée dans une forme ressemblant à une cuisse de poulet » (merci Wikipédia) qu’il faut frire comme des beignets. C’est un aliment traditionnel du Brésil. Eh oui, pas la peine d’en chercher à Mexico ou à Dakar.

Histoire : l’origine politique n’est pas claire… mais le mot renvoie à une personne de droite, bête , moche et méchante, celle-là même qui dit des choses un genre, un genre**. Oui, c’est ça: un genre, un genre, comme aiment à le dire nos amis camerounais. Bref, des choses qui n’ont pas beaucoup de sens.

via GIPHY

3. Lava-Jato

Lave-auto ou car wash ou plus couramment kärcher,  est le nom donné à une vaste opération menée par la police fédérale brésilienne ayant pour but de démanteler un réseau de blanchiment d’argent qui toucherait les plus hautes sphères du pouvoir. Plusieurs personnalités politiques sont mises en cause, mais également des grands opérateurs économiques comme le milliardaire Marcelo Oderbrecht mis aux arrêts le 19 juin.

Bien évidemment, dans cette affaire, tout le monde y va de son balai de nettoyage. D’un côté, les politiciens et les hommes d’affaires corrompus spécialisés dans le blanchiment d’argent et le nettoyage des coffres publics; de l’autre, la police et les juges spécialisés dans le « blanchiment des moeurs ». Allez, du balai !

https://pixabay.com/pt/bruxa-bruxaria-broomstick-vassoura-155291/
Image Pixabay

4. Petrolão

Franchement, il aurait fallu plus d’imagination pour désigner le scandale de corruption qui frappe la société pétrolière Petrobras. C’est clair, il s’agit d’un plagiat délibéré du mot mensalão, tellement célèbre tant il avait ébranlé le gouvernement Lula. Non, vraiment, j’aurais préféré un autre mot, plus original, pas celui-ci qui me donne un sentiment de déjà-vu.

Bon, en même temps, au Brésil, la corruption est en soi, c’est du déjà-vu

Lien avec le football: Petrolão, bien que pas trop sexy comme appellation évoque pour les amoureux du ballon rond des noms aussi populaires que ceux des stades Minerão, Castelão, Baradão… et maracanaço?. Euuh, naaan! Ça, c’est une autre histoire…

5. Pauta-Bomba

Les Brésiliens aiment les drames. Depuis qu’il a été lié par le principal témoin de l’affaire Lava-Jato au scandale de corruption (voir point 3), l’actuel président de la chambre des députés Eduardo Cunha – un typique coxinha (voir point 2)- menace de faire exploser le gouvernement Dilma Rousseff. Il s’est ouvertement déclaré opposant du palácio do Planalto.

Rapport avec le football: aucun.

via GIPHY

6. Pedalada

Couverture du livre Eloge de l'esquive publié chez Grasset
Couverture du livre Eloge de l’esquive publié chez Grasset

Pedaladas fiscais renvoie directement au génie brésilien lorsqu’il s’agit de dribler le fisc. Ici, au fisc comme au football. On drible, on danse, on esquive comme dans le livre d’Olivier Guez, Eloge de l’esquive. Extrait :

Le dribble n’est pas né par hasard au Brésil. Les premiers joueurs noirs ont commencé à dribbler pour éviter les contacts avec les défenseurs blancs et éviter de se faire rosser sur la pelouse et à la fin des matchs. Il s’est développé sur les plages et les terrains vagues, avec une pelote de chaussettes ou une petite balle en caoutchouc. C’est un mouvement de hanche, similaire à celui des danseurs de samba et des lutteurs de Capoeira, ludique, acrobatique, marque des plus grands solistes. « Audace et joie » – la devise de Neymar. Le football est sublime, puéril, et s’il suscite tant d’émotions, il le doit au dribble brésilien : un art libre, joyeux, passionné, habité par les mots.

Référence au football: Le dribleur fiscal, le « passeur de jambes », c’est le Brésilien corrompu par excellence. Pédaler, c’est faire des passements de jambes. Aucune allusion au vélo, ni à Mathieu Valbuena… plutôt à Robinho, je dirais…

_______

* Pour désigner un petit but insignifiant ou un score de 1-0

** Pessoas que dizem coisa com coisa.

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil : @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner sur le blog.

 


Dilma Rousseff : « Bénissez-moi mon père, j’ai péché, je suis une femme »

 Blog do Planalto| Flickr.com
Blog do Planalto| Flickr.com

Pendant la campagne électorale de 2014 au Brésil, une caricature avait été remarquée sur Internet grâce à son caractère très critique. On y voyait un journaliste faire face à son créateur au moment du Jugement dernier. Face à Dieu, l’homme plaide pour sa cause demandant la clémence pour ses péchés ici bas. Alors que Dieu s’apprête à le condamner, il décide de sortir son arme secrète, imparable comme le marteau de Thor, il assène une défense infaillible : au moins moi, je n’ai pas travaillé pour Veja… ». Désormais, il faudra inclure le Magazine Epoca dans la liste des médiums non grata au Brésil.

Alors que Veja semblait détenir le monopole de l’imbécilité dans la presse brésilienne, le magazine Época vient tout juste de lui ravir le « prestigieux » poste de leader de l’anti-journalisme. En effet dans un article intitulé « Dilma et le sexe » qui a par ailleurs provoqué un tollé dans le pays, et également sur les réseaux sociaux, un éditorialiste du magazine Época attribuait « les mauvais résultats de l’administration Dilma à un manque de sexe évident chez la présidente ».

Dans une espèce de psychanalyse tirée directement de la tête de Raspoutine*, l’éditorialiste affirme :

Je ne la connais pas personnellement, mais il est probable que sa sexualité ait été soustraite depuis au moins une décennie, comme pour prouver exactement le contraire, à savoir que : »le pouvoir et le sexe doivent s’anéantir ».

Si l’on était à l’échelle internationale, on ne serait pas loin de l’incident diplomatique. Le fait est que Dilma Rousseff n’a jamais été épargnée par les médias. Sans jamais être pris au sérieux, plusieurs analystes ont par le passé pointé du doigt le machisme dont la présidente Rousseff était clairement victime. Cet article de Época est un marqueur. Je n’ai pas mémoire d’un autre chef d’Etat à qui l’on aura infligé un tel traitement.

Pas la première fois

Cela remonte à plusieurs années déjà, mais ce fait m’avait déjà semblé atypique en 2010 lors de la première campagne électorale de Dilma Rousseff. Reçue par le journaliste Datena (prochain candidat aux élections municipales de São Paulo) dans une émission quotidienne de la chaîne de télévision Band, Dilma Rousseff avait dû faire face à un interrogatoire « musclé » sur ses années de captivité, le journaliste n’hésitant pas à lui demander si elle avait été violée pendant la dictature militaire.

S’il le savait déjà, pourquoi poser la question? S’il l’ignorait, pourquoi poser la question? Quelle était l’utilité publique d’une telle question? Personnellement, je n’en vois pas.

Etre la première femme élue présidente du Brésil s’avère être un motif supplémentaire qui l’expose à la critique. Dilma Rousseff doit presque s’excuser de ne pas être un homme dans un pays où les médias constituent le symbole le plus visible du machisme séculaire.

A l’instar de l’opposition acharnée dont Barack Obama a été la cible par le simple fait d’être un Noir, certains médias brésiliens souhaiteraient sans doute qu’il y ait plus de testostérones dans les couloirs du palais du Planalto. Dilma Rousseff paye le prix d’être une femme.

La presse française pratique le « deux poids deux mesures »

J’en profite pour rebondir sur un sujet connexe qui me dérange particulièrement. Alors que les manifestations politiques au Brésil gagnent en visibilité sur le plan international, il est tout à fait triste de constater le niveau – très bas – des articles publiés sur le site internet du journal Le Monde. Pour un journal de cette envergure, on est en droit de se demander si ce média n’a pas adopté le « suicide médiatique » comme modus operandi.

Avec des correspondants qui parlent à peine portugais et se permettent de prendre parti pour l’opposition chaque fois qu’ils publient un article sur le Brésil, on ne s’étonne plus de voir les ventes du Monde chuter. Pendant ce temps, le New York Times voit le nombre de ses abonnés augmenter. C’est qu’ils traitent l’information avec beaucoup plus de sérieux.

Deux articles du Monde ont attiré mon attention cette semaine. Le premier, publié lundi dernier, titrait sobrement « Au Brésil, la présidente Dilma Rousseff fortement contestée dans la rue ». Aucun problème, a priori, si ce n’est le parti pris qui allait suivre dès vendredi avec un article discriminant les manifestations de soutien à la présidente Dilma Rousseff, les qualifiant d' »ambiguës ». Une curieuse démarche quand on sait que les manifestants opposés à la présidente demandaient, entre autres, l’intervention des militaires; ce que Le Monde se gardera bien de signaler.

Cela me paraît être une faute grave, évidemment. D’autant plus qu’un journaliste chilien a quant à lui fait un travail plus complet sur les manifestations « anti-Dilma »:

Le Monde n’est pas le seul à commettre ce genre de « facilité ». Il m’a toujours semblé très problématique qu’à chaque article portant sur la corruption au Brésil, le site de RFI attache invariablement une photo de Dilma Rousseff. On peut comprendre que l’image de la présidente représente le Brésil, mais pourquoi ne le fait-on pas pour les articles qui parlent de football? Cela me dérange, et je pense qu’un effort doit être fait pour corriger cet aspect.

Capture d'écran sur le site de RFI
Capture d’écran sur le site de RFI

S’il n’y a aucune preuve contre elle, pourquoi rattacher son image à ce genre d’articles? 

________

* Le fidèle compagnon de Corto Maltese.

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner sur le blog.

 


Les six religions en vogue au Brésil

https://pixabay.com/pt/photos/bible/
Image libre de droit: Pixabay.com

Qu’est-ce qu’une religion ? « C’est tout système de pensées qui établit une claire distinction entre ce qui relève de l’ordre du sacré et ce qui appartient au profane ». C’est  ce qu’on peut lire dans le livre fleuve d’Emile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse [PDF]. Et qu’est-ce qui relève du sacré alors ? Dans un système religieux, donc, c’est tout ce qui est frappé du sceau de l’interdit. Hum, on avance un peu. Maintenant, voyons quelles sont, à partir de cette petite définition, les six religions les plus importantes du Brésil. Je vous préviens tout de suite que ce ne sont pas celles que vous pensez.

Les anciennes grandes religions…

Si vous êtes étranger et qu’on vous demande de citer trois grandes religions au Brésil, je devine qu’il vous viendra à l’esprit de mentionner le catholicisme, le mouvement évangélique et peut-être même le candomblé si vous êtes un peu « zinzin »…

Je vous dirais tout de suite que vous vous trompez simplement parce que les religions que vous citez ne distinguent pas clairement ce qui relève de l’ordre du religieux et ne sont frappées par aucun interdit, du moins au Brésil. Tenez un exemple. Le candomblé, qui est une religion africaine très répandue dans l’Etat de Bahia, notamment parmi les stars du showbiz (!), que peut-il vous arriver si vous la critiquez ? Rien.

D’ailleurs se moquer des religions afro-brésiliennes est un sport collectif assez prisé, surtout par les médias. Prenons maintenant les évangéliques. Que vous arriverait-il en les critiquant publiquement ? Rien du tout. A contrario, ne pas les critiquer vous ferez passer pour un fou. Après tout, ces gens sont notoirement homophobes, ils pratiquent l’extorsion comme nos amis de la Scientologie …  ils sont contre l’avortement, ils sont pour la réduction de la majorité pénale, ils sont contre la consommation récréative du cannabis… les salauds ! Bref ils sont infréquentables.

Et les « cathos »? Bien qu’au Brésil, les catholiques n’organisent pas souvent de « Manif pour tous« , ils sont très bons pour mettre en place des manifs contre la démocratie, ou plutôt, en faveur de l’intervention militaire comme l’indique si bien le chercheur Richard Marin [PDF]:

L’Église catholique brésilienne s’est ralliée dans un premier temps au régime militaire avant de s’y opposer. Pourquoi un tel revirement ? Et comment rendre compte de la posture inverse du monde protestant, largement soumis à la dictature ?

A partir de mars 1964, les Marches de la famille, avec Dieu, pour la liberté, organisées par des associations civiles traditionalistes, prennent le relais. Rosaire et drapeau du Brésil à la main, d’impressionnants défilés se déroulent dans les grandes villes, les clercs en bonne place.

Cette photo a été prise par un collègue blogueur pour Mondoblog à Abidjan, Grand Bassan
Cette photo a été prise par un collègue blogueur pour Mondoblog à Abidjan, Grand Bassam

« Ne nous fixons pas d’objectifs »

Quelles sont-elles alors, ces religions? Il s’agit de Lula, l’ancien président du Brésil – futur aussi ? -; de l’actuelle présidente du Brésil – bientôt « ancienne » avant l’heure? -; d’un ancien présidentiable, Aécio Neves; du Parti des travailleurs (PT); du PSDB, l’éternelle opposition – depuis 2002 – et finalement de… Neymar.

Je vous le dis, en arrivant au Brésil, évitez ces six sujets si vous ne voulez pas qu’une conversation dégénère, un peu comme on fait en Côte d’Ivoire pour Laurent Gbagbo.

Pour Neymar, par exemple, le fait que l’UEFA ne l’a pas mis dans sa liste des trois meilleurs footballeurs de 2015 a été vécu comme un affront du côté de Rio et São Paulo. Pour les Brésiliens, dans le football, il y a « Saint Neymar » et les autres. L’ancien président Lula est l’autre religion du peuple brésilien. Enfin, ceux de gauche. Parce qu’à droite l’idole du moment se nomme Aécio Neves. J’éviterai de trop en parler… un de mes amis pourrait me lire.

Ensuite, il y a le PT. Ah le PT! Quel parti ! Pour certaines personnes le PT est la manifestation même de l’éthique en politique; alors que pour d’autres, c’est exactement le contraire. Je ne sais pas qui a complètement tort ou complètement raison (probablement personne). Je sais seulement qu’il y a des professeurs – membres du PT – qui préfèrent participer aux meetings du parti plutôt que donner cours… ils servent leur pays, disons-le comme ça.

Et puis, le PSDB, le parti d’Aécio Neves et du gouverneur de São Paulo, tous deux opposants de Dilma Rousseff. Ces trois-là jouissent d’une immunité auprès de leurs supporters qui relève de la religion. Du fanatisme même.

Même lorsque la présidente Dilma Rousseff énonce la plus grosse bêtise du siècle, elle trouve encore du soutien, preuve qu’elle n’est pas la seule à abuser de la caféine :

Ne nous fixons pas d’objectifs, mais dès que nous les atteindrons, nous tâcherons de les multiplier par deux ».

Et pourquoi pas par trois? Enfin, on en est là.

Quant à nous, les athées qui n’ont pas de fausses idoles et ne vénérons que les seules vraies divinités de l’univers – Maradona, Zidane, Bielsa et Clint Eastwood (oui, messieurs!) – il est très difficile de s’engager dans une discussion avec un Brésilien.

______

Pour plus d’informations et d’analyses sur le Brésil, suivez-moi sur Twitter: @sk_serge

P.S: Lien utile sur les manifestations de ce dimanche 16 août contre Dilma Rousseff. (en portugais)

 


Télévision : l’Africain idiot, on voudrait rire, mais…

https://www.flickr.com/photos/javic/300263702/sizes/o/
Maasa Marai warriors jumping – crédit photo: JaviC | Flickr.com

Au Brésil, on considère qu’un Haïtien est un Africain. N’y voyez pas une espèce de prise de conscience post-colonialiste mixée de l’idéologie de la négritude. Non, c’est par pure ignorance. Un état de fait qui se ressent surtout dans les médias. L’Africain est une généralité, une banalité sans nom, sans identité, hybride et grotesque. Une émission de la chaîne de télévision Band cristallise tous les clichés sur l’homme noir et l’Africain. Mais, il paraît que cela doit nous faire rire.

Il y aurait beaucoup à dire ici. Doit-on encadrer l’humour ? Les Haïtiens victimes d’une tentative d’assassinat à São Paulo, etc. Tout cela en dit long sur le statut des Noirs au Brésil. Je me souviens bien de ce jour où en sortant du Carrefour une femme arrête sa voiture à ma hauteur pour me demander si j’étais Haïtien… J’imaginais bien qu’elle souhaitait témoigner sa solidarité envers le peuple haïtien, d’où cette interpellation plutôt maladroite à laquelle je n’ai d’ailleurs pas répondu.

Néanmoins, ce geste est aussi la preuve d’une ignorance sans bornes. S’il faut arrêter tous les Noirs dans le pays sous prétexte qu’ils ressemblent aux Haïtiens, nous ne sommes pas sortis de l’auberge… Notez bien qu’ici, « Haïtien » prend curieusement un nouveau sens, il acquiert le statut d’une race.

Pour en revenir à l’humour et donc à l’objet de cette note, je vous soumets tout de suite la vidéo qui crée la polémique.

Il s’agit d’une tranche de l’émission Pánico na Band – Panique sur Band TV – à l’humour très franchement douteux. Sur un tout autre registre, il convient de dire que l’émission est un condensé de machisme et de sexisme; les femmes y étant exposées comme de la chair fraîche tout juste bonne à se trémousser le derrière. Le cadrage du caméraman, très subjectif, n’hésite pas à se focaliser sur une paire de fesses bourrées de silicone. Bon appétit !

On y voit ensuite un jeune homme assez maigre (premier cliché sur les Noirs au Brésil, et surtout les criminels… pas les politiques, hein!) descendre d’une Mercedes blanche. Le sujet n’a pas de nom. Pas besoin, le seul adjectif africano suffira. On retiendra qu’il est blanc et que pour représenter un jeune Africain, il a recouvert sa peau d’une peinture noire. Ça ne vous rappelle rien?

A partir de là, tout est permis. On nous présente un personnage grotesque, caricatural, frisant la folie; car, tenez-vous bien, il mange des cigarettes… Une petite concession lui est faite. Il aura droit à un deuxième nom, moins général mais tout aussi troublant. On l’appellera aussi Zulu. Tiens donc, on évolue. Il y a quelques années, on l’aurait appelé angolano.

Lorsqu’on lui demande de parler, on atteint le summum du racisme déguisé en humour. L’africano hurle dans un langage qui fait qu’on lui devine une parenté avec le Chewie du Star Wars ou, pour les plus jeunes, avec le Groot de Guardians of the Galaxy, la nouvelle franchise de « Marvel ».

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chewbacca_Supanova_2014_(1).jpg
Chewbacca, un personnage de la saga Star Wars – crédit photo: Eva Rinaldi | wikimedia commons

Voilà à quoi se résume le divertissement à la télévision brésilienne. On y ridiculise chaque jour une catégorie de personnes que déjà l’histoire de ce pays n’a pas épargnée. Quotidiennement, les Afro-Brésiliens, les Africains et maintenant les Haïtiens doivent vivre avec cette représentation caricaturale, raciste et soit-disant humoristique produite par les médias.

Et gare à vous si vous ne la trouvez pas drôle!

_______

Partagez ce billet s’il vous a plu.

Suivez-moi sur Twitter pour en savoir plus sur le Brésil: @sk_serge


Quand les peoples se ruent sur la mairie de São Paulo

https://www.flickr.com/photos/zmi66/6204480929/sizes/z/
Crédit photo: zmi66 – ZMIphoto | Flickr.com

On découvre incrédule les noms des peoples qui annoncent leur candidature à la mairie de São Paulo, plus vaste métropole de l’hémisphère sud et capitale économique du Brésil. Rien de ce qui se passe dans cette ville n’obéit à la logique humaine. L’Etat le plus instruit du Brésil ne cesse d’élire des personnages controversés aux plus hauts postes politiques: un clown à peine alphabétisé, Tiririca, élu député fédéral étant l’exemple le plus récent. Les électeurs de São Paulo font-ils un pied de nez aux politiques en plébiscitant leurs caricatures?

Ça en a tout l’air. Les hommes politiques brésiliens n’ont plus le moral. Les scandales à répétition ont terni leur image au point que les peoples se voient pousser des ailes et se présentent aux élections certains de remporter un poste public.

A Rio de Janeiro, Romário, le plus létal des buteurs du sport roi a été largement élu sénateur pour son Etat. S’il apparaît désormais en costume-cravate, le footballeur carioca n’a rien perdu de son folklore; ses déclarations sont toujours un pur régal. Toutefois, à tout seigneur tout honneur, o baixinho – le petit homme – semble avoir gagné le respect de ses confrères aussi bien que des journalistes en raison de son acharnement contre la corruption qui gangrène son pays.

En mode « pilote automatique »

Pilote automatique

Du côté de São Paulo, j’ai plutôt l’impression que la plus grande métropole du pays navigue en mode « pilote automatique ». Pour y avoir passé quelques jours en mai dernier, j’ai pu constater que le système de transport fonctionne de façon assez efficace. Le métro est très rapide et réduit considérablement la durée des déplacements dans la ville.

Même ce qui ne marche pas semble être plutôt acceptable pour nos amis paulistanos. Du côté d’Itaquera par exemple, s’il manque parfois de l’eau, la vue du joli stade des Corinthians permet toujours d’étancher d’éventuelles sources de frustrations

Alors qu’on s’approche de la fin de l’année, certaines personnalités médiatiques officialisent leurs candidatures à la mairie de São Paulo. Ont-ils aussi l’impression que cette gigantesque métropole fonction de toute façon en mode « pilote automatique »?

Il est vrai que le maire gauchiste (et un peu gauche) de São Paulo, Fernando Haddad n’aura pas rempli le mandat le plus spectaculaire de l’histoire de l’Etat. Les philosophes ne font pas nécessairement des bons maires… Ce qui fait le charme de « l’administration Haddad », c’est qu’on a le sentiment qu’il n’y est pas du tout.

C’est déjà ça… 

São Paulo, ville autonome donc. Littéralement. Sinon qu’est-ce qui justifie que deux animateurs de télévision – l’un étant beaucoup plus connu que l’autre, il faut le dire – annoncent coup sur coup leur intention de briguer un mandat?

Tout d’abord, c’est José Datena qui s’est déclaré. Le personnage est complexe. Il aime le foot, c’est déjà ça. Avec sa voix nasale, il s’efforce d’intervenir lors des matchs de Ligue des Champions diffusés sur sa chaîne de télévision Band. C’est déjà ça !

Mais, l’homme est surtout connu pour son émission quotidienne Brasil Urgente, une espèce de téléréalité sur la violence urbaine à São Paulo. Vous savez, ces émissions de télé où les caméras suivent en direct l’action des policiers, sauf qu’ici, ça peut devenir très très dangereux…

Attention, violence !!!

« Standard, ici le maire! »

Celso Russomanno est l’autre people qui se présente. Lui, il roule pour Record. La chaîne de télévision rivale de Globo. Celui-ci présente une émission indéfinissable dont le pitch semble être la résolution des conflits entre consommateurs et entrepreneurs pas toujours honnêtes. Autant vous dire que l’on nage en mer profonde du populisme et de la démagogie journalistique. Espérons qu’il garde le standard ouvert s’il est élu… hum, hum !

En tous les cas, cette année la course à la mairie de São Paulo risque aussi d’être celle des « paparazzi ». A côté de ces deux présentateurs vedettes se présente un… autre présentateur d’émission de télé. Vous l’aurez compris, on est en pleine téléréalité.

João Doria, présente également une émission d’interview sur la chaîne Band. Homme d’affaires plus que journaliste ou animateur, l’homme apprécie le bling-bling. Il sera peut-être le plus à l’aise lors des débats (s’il y arrive) car habitué à interviewer… des peoples. Je ne le fais pas exprès, c’est promis.

Je me suis souvent demandé comment une ville comme São Paulo (et plus largement l’Etat de São Paulo) continuait d’élire des gouvernements conservateurs malgré un niveau de culture relativement élevé par rapport au reste du pays? J’ai vite compris en y passant un moment que « Sampa » n’avait pas besoin de gouvernant. La ville est en autogestion. En mode pilote automatique.

Alors, élire un philosophe, un clown ou un people, qu’est-ce que ça change au fond?

______

Partagez ce billet s’il vous a plu.

Suivez-moi sur Twitter pour en savoir plus sur le Brésil: @sk_serge


Ce qu’un Brésilien trouve d’étrange en Belgique

Portrait à l'huile sur toile à quelques mètres du Forum de Liège - crédit photo: @sk_serge
Portrait à l’huile sur toile à quelques mètres du Forum de Liège – crédit photo: @sk_serge

Vous l’ignorez peut-être, mais quand on passe plus de sept ans au Brésil, on développe un trouble de la personnalité qui nous fait penser par moment qu’on est nous-mêmes brésilien. Vous imaginez bien que lors de mon séjour en Belgique, plus précisément à Liège, je n’ai pu m’empêcher d’observer certains phénomènes culturels qui apparaissent tout à fait étranges pour un « Carioca comme moi ». Voici, voici… 

1. L’histoire des gaufres

Vous me direz que c’est d’une grande banalité cette histoire de gaufres. Mais essayez d’expliquer à un Haïtien ce que c’est qu’une gaufre. Si vous ne lui faites pas un dessin, il n’y  a aucune chance qu’il vous comprenne, et encore, le dessin n’est pas une garantie. La meilleure solution c’est de la lui offrir en chair et en os. Heu, pardon ! En blé et en sucre…

Au Congo, nous connaissons évidemment les gaufres belges qui à la longue sont devenues les nôtres; d’où ma surprise quand j’ai découvert que même au Brésil on n’en trouvait pas, sauf dans certaines villes du Sud. Et elles sont, paraît-il, salées… Nul n’est parfait.

Il paraît même qu’en France, elles ne sont pas aussi bonnes et on n’y met pas autant de caramel. Il paraît aussi que les frites belges sont plus grandes qu’en France… mais ça c’est une autre histoire.

https://en.wikipedia.org/wiki/Waffle#/media/File:Gaufre_liege.jpg
Gaufres de Liège – crédit photo: Jrenier | wikimedia commons

2. Les Liégeois sont gentils, les Liégeois sont gentils… ça dépend !

On raconte un peu partout que les Liégeois sont gentils. J’en étais certain jusqu’à ce que je sois victime d’un accident. Premièrement, je confesse à tous mes amis qui me liront ici que je leur ai menti sur le moment. Je ne me suis pas cogné contre une porte quelconque. En fait, en rentrant très tard la nuit, après m’être perdu (on y reviendra) près du restaurant la Capitainerie, j’ai cherché le McDonald’s le plus proche.

C’est en essayant de passer par une porte en vitre, dont j’ignorais l’existence (encore une raison de changer mes lunettes) que je me suis heurté à une barrière drôlement solide pour du verre. Je peux vous dire que ce sont mes lèvres qui ont volé en éclats alors que le propriétaire du « McDo » me traitait de fou. On a vu Liégeois plus gentil en effet. Et les passants me fuyaient comme si je sentais la crotte de… bref, pour la gentillesse des Liégeois, on repassera.

Si je reviens sur cet épisode humiliant, c’est parce que je me suis finalement remis de mes émotions. Je vous promets que j’ai perdu beaucoup de sang sur le moment…

Ah oui, avant que ça ne m’échappe. Pendant mon agonie, seul un couple de sans-abris m’est venu en aide. Sympathiques ces Liégeois, n’est-ce pas ?

3. Les toilettes, c’est par là… oui, mais où ?

https://la.indymedia.org/news/2009/09/230277.php
Toujours plus bas les toilettes… c’est l’impression que ça fait.

L’une des choses qui m’ont le plus surpris à Liège est que dans tous les restaurants et bars, les toilettes se trouvent au sous-sol. C’est un peu effrayant quand on vous dit :  » C’est  par là… «  et que vous êtes confronté à un escalier menant au sous-sol en serpentant un abîme sans fin apparente…

Je me suis souvenu qu’au Brésil quand quelqu’un va aux toilettes, il communique souvent à ce sujet. Combien de fois n’ai-je pas dit aux gens   » Les gars, vous n’êtes pas obligés de dire ce que vous  faites à vos heures sup… allez-y, un point c’est tout « .
Eh bien, pour un Brésilien en Belgique, surtout s’il communique sur ces intentions, aller aux toilettes peut être un moment intéressant parce qu’il entendra probablement quelqu’un lui souhaiter « Bonne chance! » en référence à la difficulté de trouver l’endroit.

4. Le haricot au petit déjeuner

Si vous me suivez également sur Facebook, vous avez probablement remarqué que je désespérais un peu avant mon voyage face à l’idée d’être sevré de haricots pendant mon séjour en Belgique. Comprenez bien que pour un Carioca comme moi, cela est loin d’être évident. Tant et si bien que la dernière chose que j’ai faite avant de partir fut de manger un bon plat de feijoada. Idem au retour. Mon petit rituel brésilien.

Arrivé à Liège, je guettais tous les menus histoire de repérer une portion de haricots même mal faits.

Quelle surprise donc de constater que nos amis belges servent du haricot au petit déjeuner. J’avoue que je me délecte de ce plat, mais l’idée ne m’effleure pas la tête d’en manger le matin. Il est vrai qu’à Liège, on nous l’a proposé au petit déjeuner parce qu’un esprit vif a dû penser qu’il y aurait beaucoup d’Anglais à un Forum mondial de la langue françaised’où l’intérêt nous servir ce fameux « Fry-Up ».

5. Se perdre dans Liège est un vrai plaisir

 » Je me suis perdu dans Liège, quel bonheur ! « .  Voilà une phrase qui ne fait aucun sens si on la prononce à Rio de Janeiro. Je me souviens d’une sinistre histoire de touristes égarés dans une favela à cause d’un défaut sur le GPS de leur véhicule; ils avaient fini par être kidnappés par des trafiquants.

Eh ben, cela ne risque pas de vous arriver à Liège. Je suis peut-être la personne qui s’est le plus perdue dans cette ville. Je n’ai aucun sens de l’orientation. Mais pour moi, cela était presque un moyen ludique de découvrir la ville. Liège est un peu comme Internet, il est parfois bon de s’y perdre pour mieux le comprendre.

Or quand on vit depuis longtemps au Brésil, on développe forcément une sorte de syndrome pré et post-traumatique liés à l’expérience future ou passée de la violence urbaine. C’est fou, hein !

Je me suis quand même demandé comment un peuple peut atteindre un tel degré de pacification de sa société.

_____

P.S.: – D’autres histoires sur/de Liège suivront

         – Suivez-moi sur Twitter: @sk_serge

 


#FMLF2015 : « j’irai voir mes oncles belges »

https://www.flickr.com/photos/saigneurdeguerre/11913463083/sizes/z/
Brussels Balloon’s Parade 2013 – crédit photo: saigneurdeguerre

En 2013, je passais par une phase de transition dans ma vie académique et professionnelle. J’hésitais entre deux projets de recherche pour mon master en Sociologie des médias. J’avais le choix entre étudier l’Industrie culturelle suivant une approche allemande ou alors me dédier à une étude concrète de l’émergence des Nouveaux médias en Afrique. Mais même dans ce second cas, le thème n’était pas clairement défini. Cette même année, les responsables de l’émission Atelier des médias (RFI) m’invitent à participer à une formation pour « des blogueurs du monde entier… ». J’étais loin de me douter que ce voyage me permettrait de rencontrer l’une des personnes qui a le plus influencé ma trajectoire académique et professionnelle: Benoît Thieulin (@thieulin).

Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, je vous recommande de regarder la vidéo ci-dessous. Benoît Thieulin est une personne qui, à chaque fois qu’il s’adresse aux médias, inspire la jeunesse un peu partout dans le monde. Je crois même qu’il ne s’en doute pas lui-même. A titre personnel, je suis un fan de ce monsieur…

J’ai rencontré monsieur Thieulin à Dakar dans une auberge où nous étions tous logés à l’occasion de la formation annuelle de Mondoblog. Profitant d’un des rares moments où nous avions du temps libre, Ziad Maalouf nous a invités sous la paillote (hé hé, joli cliché africain, mais c’est vrai…) afin d’écouter « quelques mots que Benoît souhaitait partager avec nous ».

S’ensuivait un discours sur l’émergence des Nouvelles technologies et leur capacité à donner du pouvoir aux citoyens un peu partout dans le monde – le fameux concept de l’Empowerment qui n’a malheureusement pas de traduction en français.

L’optimisme de Benoît Thieulin contraste avec le pessimisme d’un Finkielkraut ou d’un Umberto Eco (même les génies ont un moment de bêtise) quant à l’importance d’Internet.

Umberto Eco et Internet por liberation

Je rappelle juste que les affirmations d’Umberto Eco et Finkielkraut ne sont basées sur aucune recherche de terrain…

Bref, ce « discours de Dakar » sous la paillote a changé ma vie puisqu’il m’a irrémédiablement fait pencher du côté de la seconde option qui s’offrait à moi. Dès mon retour au Brésil, je rédige un projet de recherche sur les « Nouveaux médias et l’empowerment en Afrique francophone grâce aux blogs ». Le projet sera retenu en première position et obtiendra un financement.

Fin 2014, mon amie Mylène Colmar m’encourage à envoyer un projet au Forum mondial de la langue française (que nous résumerons par #FMLF2015) qui devait se tenir à Liège, en Belgique. Ce que je fais sans aucune hésitation d’autant plus que j’ai compris que les idées de Benoît Thieulin ont tendance à porter des fruits.

Me voilà donc embarqué dans une nouvelle aventure en tant que porteur de projet au #FMLF2015 , une expérience qui s’annonce déjà très riche.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis rendu à São Paulo cette année. C’est aussi pour cela que j’ai considérablement réduit mon rythme de publication sur ce blog, car j’étais engagé sur plusieurs fronts à la fois. De toute façon, j’adore travailler sous pression…

Voilà donc pour les nouvelles chers amis du blog Carioca Plus. Je me rendrai dès samedi à Liège pour présenter un atelier au #FMLF2015 en pensant très fort à Benoît Thieulin et au jour où j’aurai l’occasion de le remercier personnellement; et j’en profiterais pour revoir une très grande amie de Guadeloupe

_______

P.S: – Pour ceux d’entre vous qui se demandent encore pourquoi les Belges sont mes oncles, sachez que depuis la fin de la colonisation belge au Congo, ces derniers ont acquis ce statut dans la culture populaire congolaise… puis zaïroise… puis congolaise. Les « noko » (nos oncles), c’est ainsi que nous nous référons affectueusement ou haineusement (!) à nos perpétuels anciens colons belges en RD Congo.

– Si vous avez le temps la semaine prochaine, suivez ce mot-clé sur Twitter : #FMLF2015

 

Suivez-moi sur Twitter: @sk_serge


Brésil: En finir avec la « Seleção »

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brazil_1970_Subbuteo_P1010304.JPG
Crédit photo: Sportingn | Wikimedia Commons

J’ai hésité avant d’écrire ce billet, mais l’heure n’est plus à la tergiversation. Il est temps de prendre des mesures drastiques pour en finir une bonne fois pour toute avec ce spectacle décadent qu’est dévenue la « Seleção ». Neymar, David Luiz et Dunga ne sont que les bouc émissaires d’un mal plus profond qui détruit le football brésilien depuis des décennies. Il faut en finir avec l’équipe brésilienne de footaball.

« Sommes-nous arrivés au point de non-retour avec cette équipe brésilienne de football? ». Je posais la question sur le réseau social Facebook puisqu’un ami brésilien montrait son inquiétude quelques minutes après la victoire sur le fil du Brésil face aux vénézueliens. Sans vouloir leur manquer de respect, on connait les vénézueliens pour leur capacité à remporter Miss univers et consorts. Le football a toujours été la chasse gardée des « canaris ». Mais ça, c’était avant. Car aujourd’hui, les vénézueliens proposent un jeu égal, sinon meilleur que celui de la Seleção « Venezuela toca, Brasil corre »*.

Tragique football brésilien. Tragique journée que ce dimanche 21 juin. Les joueuses brésiliennes qui tombent face à une équipe bureaucratique d’Australie. Sérieusement? L’Australie? N’est-ce pas le pays des Kangurus plutôt connu pour produire des grands champions du Rugby? Les voilà reconvertis en bourreaux des brésiliens.

A qui la faute?

La question mérite d’être posée. Et il convient de dépasser les arguments de comptoire. Les premiers respondables sont simultanément la Confédération Brésilienne de Football (CBF) ainsi que les plus grands sponsors qui la financent. Le journal brésilien Folha de São Paulo publiait une série d’articles dénonçant les nombreux scandales touchant la seleção; cela va jusqu’à l’influence de certains équipementiers dans le choix des joueurs ainsi que de leurs remplaçants.

Même le « teigneux » Felipe Scolari n’a pu résister à la pression, souligne Folha. Le scandale à la Fifa a eu raison de Sepp Blatter, mais il aura surtout servi à montrer la profondeur des dégâts produits par une corruption séculaire dans les hautes sphères football sud-américain. « A quoi aura servi, par exemple, ce match de football au Qatar entre le Brésil et l’Argentine? »**, s’interroge le journaliste de ESPN Brasil, Paulo Calçade. « Quel est le rôle des joueurs? », poursuit un autre.

Il m’arrive très souvent de m’arrêter à un café et de discuter avec des personnes beaucoup plus âgées que moi. Qui sait la sagesse que je pourrais leur soutirer? C’est ainsi qu’un vieux monsieur ayant passé la soixantaine me racontait « son histoire » de la Seleção qui pour lui s’arrête en 1982, autant qu’elle commence en 1958. Il entonne une chanson citant les grands joueurs de l’époque: « Pelé, Garrincha, Vavá, Bellini, Rivelino, mais lui c’est juste après, en 1970 » me dit-il pour prouver que sa mémoire tient encore. « Clodoaldo! », lui dis-je. « Oui, Clodoaldo », retorque-t-il avec un gros sourire. Essayez de trouver quelqu’un qui vous cite le onze titulaire du dernier match de la Seleção

https://pt.wikipedia.org/wiki/pt:Brasil?uselang=en#/media/File:Selo_da_Copa_de_1970_3_cruzeiros.jpg
Un timbre rendant hommage à seleção de 1970 – crédit photo: Halleypo

Je lui dis que le problème de la Seleção, c’est qu’il lui manque un entraineur. « Mais non », répond-t-il, comme qui connait des secrets. « Le problème de la Seleção, c’est que l’entraineur ne choisit par ses joueurs ». Ce qui n’est pas le cas du Chili vraisemblablement.

La simple lucidité de cet homme fait échos à l’enquête de Folha de São Paulo et révèle le discrédit de cette équipe de football qui ne représente plus personne. Et chez les femmes, la situation est encore pire. Puisqu’elles n’ont aucun soutient.

Pose café:

suite…

Clivage et crispations

Cela fait un moment déjà que je vis au Brésil et je vous garantis que ce peuple est un don du ciel. Vous rencontrerez des personnes fascinantes qui vous passeront toute envie « d’aller voir ailleurs ».

Et pourtant, il suffit que la Seleção rentre sur la pelouse pour qu’enfin se manifeste le côté le plus rétrograde et conservateur du Brésilien. Pardonnez-moi de généraliser encore une fois, mais c’est malheureusement le cas de la majorité. Un brésilien n’acceptera jamais d’admettre qu’une autre équipe de football développe un jeu plus attractif. Critiquer Neymar alors, un sacrilège. Pas étonnant que le môme ait la tête enflée.

Les brésiliens, en général, sont incapables de faire une autocritique lorsqu’il s’agit de football. S’ils se montrent démésurément critiques contre leur propre pays quand le sujet est la pauvreté ou le sous-développement, ils ont l’assurance des nord-américains lorsque le débat tourne autour du ballon rond.

Imaginez quelle fut ma stupéfaction lorsqu’un journaliste de ESPN Brasil affirmait d’un air aussi naturel qu’un Donald Trump se présentant aux présidentielles américaines: « qu’aucun autre technicien étranger ne pourrait coacher le Brésil parce que c’est quelque chose de particulier ». Bon sang! Cet homme essayait de faire comprendre au public (qui paie un abonnement pour écouter ses inepties…) que Dunga ferait nécessairement un meilleur travail à la tête de la sélection « canari » qu’un Guardiola ou un Mourinho.

De plus, 2014 a été une année extrêmement stressante tant en matière de politique – à cause des élections – que de sport – à cause de la Coupe du monde. Et de manière plus dramatique, la crise économique, les scandales politiques et Petrobras… Je ne me souviens pas avoir passé une année aussi clivante au Brésil. Pour couronner le tout, la lourde correction administrée par les allemands à le seleção (7-1) a confirmé l’annus horribilis que nous vivions et, dès lors, annihilé le mythe du jogo bonito***.

Pose café de 10 minutes:

Suite…

D’autres priorités

Cet état de chose ne me convient plus. J’aime le football. Je l’aime lorsqu’il véhicule encore certaines valeurs. Je ne suis pas un partisan de « la fin justifie les moyens ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle j’aime Arsenal et non Paris SG.

Mais dans la vie, il y a d’autres priorités. Il y a par exemple, l’épineuse question de la réduction de la majorité pénale dont personne ne parle, il y a la grève des professeurs d’universités, il y a aussi le taux élevé des noirs assassinés dans tout le Brésil.

Pourquoi donc ne pas capitaliser notre énergie sur ces questions qui servent vraiment à quelque chose; et ainsi arrêter d’accorder de l’importance à cette seleção de la CBF pilotée essentiellement par les intérêts de Nike; une équipe de football qui symbolise l’outrageante arrogance du foot business, et qui par ailleurs ne joue plus sur le sol brésilien. On l’appelle même la « seleção de Londres« …

Pour le reste, je pense bien que c’est mon dernier billet sur la Copa América. En effet, pour une raison d’équilibre, je ne lui dédie « que » deux articles comme pour la CAN. Même niveau de jeu, même nombre d’articles. Soyons justes.

______

* Le Vénézuela joue à la passe, le Brésil court après le ballon.

** Nous avions noté la présence remarquée de Zinédine Zidane à l’occasion.

*** Le beau jeu.

Suivez-moi sur Twitter, pour plus de commentaires sur le Brésil: @sk_serge

 


Cinq raisons de regarder la Copa América au Chili

Neymar pendant la Coupe du monde 2014
Neymar pendant la Coupe du monde 2014

Ouf ! On y est ! La grande bataille américaine a commencé jeudi dernier à Santiago do Chile comme on aime le dire du côté de Rio. Michelle Bachelet est plus Merkel que Merkel, les argentins sont fidèles à eux-mêmes, ils envahissent votre pays pendant une compétition et à la fin du tournoi, ils pleurent tous comme des bébés; David  » la Tour Eiffel » Luiz est fidèle à ses stats: une bourde par match. Bref, bienvenidos en Chile !

L’Amérique du sud s’endort bien tard ces temps-ci avec cette Copa América pleine de passions et de rivalités: entre Messi et Tévez… entre Neymar et Messi… entre Cavani et le fantôme de Suarez. On se régale, on voit des grands joueurs totalement investis dans ce qu’ils font contrairement aux Bleus de Deschamps « la dèche ». Voici donc mes cinq raisons très subjectives de regarder cette Copa América qui est partie pour rentrer dans l’histoire.

Mais avant de poursuivre, voyez plutôt la sympathie de « mamie » Bachelet…

5. Les stats de David « la Tour »

Il est fidèle à lui-même, David Luiz, avec cette stat qui le poursuit depuis le début de sa carrière et qui lui a coûté sa place à Chelsea (on ne badine pas avec Mourinho…). Le brésilien du PSG nous gratifie systématiquement d’une bourde par match. La dernière en date face au Peru et ce but cadeau pour les coéquipiers de Paolo Guerreiro.

Heureusement pour lui, Neymar était là pour recoller les morceaux mais la presse brésilienne lui a dirigé quelques avertissements. On lui demande surtout d’être plus sérieux, ou plutôt de ne pas prendre trop au sérieux le slogan « Je suis Paris », ou « Je suis la tour »car on sait que deux petits ponts sont vites passés…

zoacao_na_web_david_luiz

4. Messi vs Tévez

On les dit réconciliés depuis un dîner à Milan alors que la pulga y rencontrait son nutritionniste personnel, mais le premier match de la selection argentine augure un sombre destin pour les hommes del « Tata Martino » , le tintin des entraineurs. Des changements douteux qui sentent la politique politiciennes plus que les nécessités tactiques qu’impose une rencontrer de ce niveau, le public qui scande le nom de Carlito « Apache fuerte » Tévez, et non pas celui de Messi. Bref, on demande à voir une équipe, et jusque là, on a surtout vu des individualités déconnectées les unes des autres.

3. Neymar, l’artiste

Neymar est-il déjà plus fort que Cristiano Ronaldo? En tous les cas, plus fort que Benzema, c’est une certitude. Mais passons. Parfois les mots ne suffisent pas pour exprimer certaines choses, donc allons-y en images et à la fin dites-moi si Neymar est déjà plus fort que Cristiano:

2. Une Copa América vraiment américaine

Elle déchaîne les passions, cette Copa. On se régale franchement malgé les problèmes d’organisation, comme ce double retard (15 minutes avant les deux mi-temps) lors du premier match, le manque de ralenti sur certaines actions (tiens, comme à la CAN…), et notamment pas de ligne jaune numérisée sur les hors-jeu. On sent bien que les organisateurs veulent à tout prix éviter les polémiques… mais on s’en moque franchement. Sans une dose d’improvisations, il serait impossible de parler d’Amérique Latine, n’est-ce pas?

Et puis, les couleurs. Oui, les colombiens sont bien là avec leur propre mur jaune, les « miss copa » aussi, ces belles muses qui volent la vedette aux stars du ballon rond grâce à d’autres types de rondeurs… si, si.

Et puis, il y a James Rodriguez. Comme on l’aime ce James. Non seulement il est beau, mais en plus sa patte gauche est absolument magique. Et aussi ce pauvre Cavani. Il mène son propre combat contre le fantôme de Luis Suarez. Pourvu qu’il trouve un jour le cadre…

1. Alexis Sanchez, la petite merveille

Les médias vous parlent de Messi et de Neymar, mais si vous aimez voir le football joué avec passion, rage et une belle palette de technique, suivez Sanchez, el niño maravilla… Alexis Sanchez respire le foot, aucun autre footballeur ne joue avec la même envie que le chilien d’Arsenal, il est tout simplement extraordinaire et injouable en un contre cinq…

(voir à partir de 3’48 »)

Et si vous n’aimez pas trop le foot, pas de problème, cette vidéo fera de vous un éternel fan d’Alexis:

Bonus:

– Parce que CR7 ne la joue pas

– Parce que Dilma Rousseff ne se fera pas huer

– Parce que sans les allemands, aucune chance de revoir un 7-1

– Parce que sans Karim Benzema et Prince Boateng, pas de tweets publiés par la chanteuse Rihanna.

_____

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’histoires sur le Brésil: @sk_serge

 


Comment les femmes sont devenues plus méchantes dans les télénovelas

 

favorita-rede-globo

C’est un phénomène typique d’une époque qui exige bien une analyse ici. Les femmes sont de plus en plus méchantes dans les télénovelas brésiliennes (feuilletons tv de soirée). Contrairement au désormais cultes « Hommes difficiles » des séries US, la télévision brésilienne mise sur le côté obscure de la femme. Tentative d’analyse.

Les spécialistes de la télévision américaine, Emily Nussbaum (@emilynussbaum) du New Yorker en tête, se plaignent de l’absence de personnages féminins importants dans la dernière décennie pourtant définie comme celle du Troisième Age d’Or de la Télévision américaine. Brett Martin, auteur d’un ouvrage de référence en la matière y voit une marque de l’époque inséparable de la personnalité des principaux showrunners américains. Le Troisième âge d’or de la télévision américaine a essentiellement porté sur des « Hommes Difficiles ».

Lire aussi Pourquoi aime-t-on les hommes tourmentés? 

Crédit: @cariocaplus
Crédit: @cariocaplus

Au Brésil, la chaîne de télévision Globo accorde beaucoup d’importance aux femmes, mais cette fois, dans les « mauvais rôles ». J’ai surtout remarqué que depuis 2008, bon nombre de télénovelas ont eu pour protagoniste principale une femme diaboliquement manipulatrice et eventuellement assassine.

La série A Favorita fut, à mon avis, un point d’ancrage. Elle coincidait avec l’année de mon installation à João Pessoa, et je peux vous dire que c’est la série que j’ai suivie avec le plus d’intérêt en bientôt 8 ans de « vie brésilienne ». Cette télénovela misait sur la dualité de la femme, le ying et le yang en conflit, le bien et le mal dans un duel interminable

Mais c’est bien la qualité des personnages qui frappe en comparaison avec les séries américaines. Plus tard, c’est dans une télénovela ayant eu un succès international que l’on retrouve une femme centralisant l’attention et surtout le don de la méchanceté.

La Carminha d’Avenida Brasil est un archétype. Ne vous laissez pas berner par ce joli prénom qui rime avec Djalminha, Ronaldinho (!)… Carminha est un monstre! Elle a marqué cette deuxième décennie du 21° siècle. Après elle, toutes les « méchantes » ne sont plus que des pâles caricatures. Cela est d’autant plus paradoxale que sa méchanceté était une garantie du succès auprès du public. Celui-ci étant majoritairement composé de femmes, peut-on dire qu’un tel personnage d’autorité et pouvoir (même négatif) reflétait l’image de ce que les brésiliennes souhaitaient être?

Ce court extrait me permet de rebondir sur une autres question. Pourquoi les femmes noires et pauvres sont systématiquement décrites comme des victimes? Est-ce là le rôle définitif qu’est appelée à assumer la femme noire dans la société brésilienne: celui d’une pauvre victime consentante?

Je ne dispose malheureusement pas d’assez d’éléments pour répondre à cette question. Le fait est que ce motif se répète en 2015 dans une autre télénovela diffusée par Globo, I Love Paraisópolis. La même scène se répète, une femme noire, doméstique – normal (!) – est constamment rabaissée par sa maîtresse blanche. La société esclavagiste est loin d’être morte on dirait.

Pour autant, ce portrait de la femme brésilienne par les télénovelas est-il réaliste? La télévision est-elle entrain de construire au forceps une image de la femme rebelle?  Cette image d’une femme cruelle portée sur le petit écran a-t-elle une résonance dans la société? La femme riche (donc blanche) est-elle forcément diabolique?

C’est là un détail important aussi. Le Brésil est un pays profondément catholique avec ces dernières années une augmentation décisive des mouvements évangéliques. Cette représentation quasi biblique (et donc condamnable) de la femme a donc des chances de trouver son public.

Curieusement, l’émergence de ces femmes fatales (littéralement) n’est peut-être pas anodine dans un contexte politique patriarcal où les femmes s’emparent du pouvoir. La télévision joue aussi ce rôle de rupture avec l’image idyllique de la « mère poule ». Les femmes assassinent bien plus que les hommes dans les télénovelas brésiliennes. Beatriz, la nouvelle anti-héroïne qui se distingue dans Babilônia atteint de nouveaux sommets de la « cruauté genrée »…

Conclusion? Bah, réveillez-vous les mecs!

_____

Bonus: Je poste une vidéo pour les lusophones qui lisent ce blog; un excellent documentaire sur la présence des noirs dans les télénovelas brésiliennes. Un thème qui mériterait un billet à part… un jour prochain, je l’espère. Il y aurait tant à dire, sur les actrices noires, les acteurs noirs aussi, car chacun des sexes a eu un traitement particulier.

A Negação do Brasil – O Negro nas Telenovelas Brasileiras from Ronaldo Coutinho Pereira on Vimeo.

Pour plus d’informations et d’analyses sur le Brésil, suivez-moi sur Twitter: @sk_serge


A table: une crème de beauté au menu d’un restaurant nigérian à São Paulo

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Stir-Fried-Okra-2008.jpg
Crédit photo: Kham Tran / wikimedia commons

Dans le centre historique de São Paulo on aperçoit enfin des Africains. Ils vont et viennent sans but précis. Souvent en groupe. Un petit comité de Congolais passe à un mètre de moi. Je devine leur nationalité par leur démarche pleine d’assurance, comme si le monde leur appartenait (ça me rappelle cette fille de mon ancien collège qui me dit un jour: « Serge, tu marches comme un Américain… », bon!). Mais, c’est surtout la langue qu’ils parlent sans gêne qui m’enlève tous mes doutes. Ecouter des inconnues parler Lingala à São Paulo fait un peu froid dans le dos. On ne sait pas trop bien comment réagir: faut-il les embrasser ou pas? Je décide de continuer mon chemin sans indiquer que j’étais également Congolais. L’ont-ils noté à ma démarche?

J’avance vers la mairie de São Paulo. Là encore, des Africains, des Haïtiens aussi. J’ai laissé des Boliviens sur la le trottoir de la grande Avenida Paulista, le rendez-vous obligatoire de tous ceux qui se rendent à São Paulo. Elle est surtout impressionnante sur les photos et à la télé. La Bolivienne, une femme ayant passé la quarantaine vendait de petits bidules sans valeur…

Il fait presque 15 degrés et le ciel est gris dans le centre de São Paulo. Pour quelqu’un qui vient du Nordeste, c’est l’hiver. Je me rends dans un coin où se trouvent côte à côte deux restaurants africains: nigérian et camerounais. Pendant la Coupe du monde, Samuel Eto’o Fils y a visité ses compatriotes.

Le restaurant camerounais est plus propre, les Brésiliens n’hésitent pas à s’y rendre. Une jeune femme et sa mère s’attablent, un couple japonais aussi (bon, plutôt brésilien d’origines japonaises…). Sur le mur, une photo de la propriétaire avec Eto’o Fils.

Finalement, je me dirige vers la porte à côté. Chez les Nigérians. L’endroit n’est pas très propre, un simple rideau fait office de porte d’entrée. Juste au-dessus de ladite porte, une télévision plasma est accrochée sur le mur. CNN, le journal. Pas de doute, nous sommes bien chez les Nigérians. Tout le monde parle anglais ici. Certains écorchent le portugais. A l’intérieur  des jeunes Africains à l’aspect plutôt crasseux sont accommodés à des tables en bois, ils avalent des boules de fufu fait à base de semoule accompagnées d’une sauce gombo au poulet.

Je demande la même chose. On me dit que je dois payer avant. 20 reais (10 dollars). C’est fait.

Un jeune homme avec des drealocks s’approche et pose un plat de fufu puis un bassin d’eau – en forme de coeur (!) – pour se laver les mains. La sauce suivra tout de suite après. Sur la table, il y a aussi de l’eau minérale, du savon liquide et… une crème de beauté pour se parfumer les mains une fois l’opération terminée. J’avoue que je ne m’attendais pas à cela. Je vérifie bien qu’il y en sur toutes les tables. Effectivement. Il s’agit donc d’un rituel maison.

J’ai aussi le temps d’observer comment un Africain qui possède un visa permanent peut en traiter un autre n’en possédant pas: exactement comme un moins que rien…

J’attaque ma commande en me méfiant des conséquences sur ma santé. Je suis fragile, c’est comme ça. Ma petite amie ne m’aurait peut-être pas laissé manger dans ce restaurant nigérian. Mais, c’était plus cher chez les Camerounais d’à côté…

Je termine mon plat avec peine. Je complète le rituel en me parfumant les mains après les avoir lavées dans ce bassin bleu – en forme de coeur (!). Il est midi passé. J’ai envie de rentrer chez moi après une journée plutôt réussie. Et finalement, je suis assez impressionné par les lignes de métro de São Paulo. Je décide de poursuivre mon exploration.

Vais-je parler de la place de la République? Ce lieu où se réunissent tous les travestis de la ville? Et de cet immeuble de douze étages où les prostitués vous reçoivent comme un prince? Hum, plus tard peut-être. Plus tard…

______

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’informations sur le Brésil: @sk_serge