Responsabilité de la Minustah pour l’épidémie de choléra en Haïti : Et si la solution était ailleurs ?
Depuis octobre 2010, le dossier de l’épidémie du choléra brouille un peu plus les relations déjà tendues entre les haïtiens et la Minustah. Dès l’apparition des premiers cas et l’identification de la source possible dans une base où venaient de s’installer des soldats népalais, la Minustah se campe dans un inconséquent ‘pa fòt mwen’, ou sa correspondance diplomatique. Un tribunal de New York vient d’être saisi du dossier et les procédures prendront sûrement plusieurs années. Mais si la responsabilité de l’introduction de la bactérie en Haïti ne soulève plus aucun doute rationnel – sauf dans l’obscurantisme onusien –, celle de l’évolution de l’épidémie qui continue de toucher l’ensemble des départements du pays sera plus difficile à établir. Dans ce contexte où la recherche d’une ‘vérité’ pourrait nous amener dans des procédures aussi longues qu’inefficientes, pourquoi ne placerions-nous pas l’intérêt collectif au centre d’une discussion autour des moyens à mettre en œuvre pour résoudre le problème ?
Le choléra, comme un tremblement de terre
J’ai été coincé deux jours au Cap Haïtien en novembre 2010. Les deux seuls jours de ma vie haïtienne (j’y suis installé depuis novembre 2008) où j’ai eu réellement peur. Même dans le stationnement du Caribean Market (Delmas 95) le 12 janvier à 16h50, bagay la ne m’avait pas fait sentir une frayeur aussi intense. Je ne suis pas des Nations Unis, mais je suis blanc, ce qui dans le contexte des troubles au Cap Haïtien correspondait à une cible potentielle. Des haïtiens – financés par quelques politiciens en mal de visibilité dans la lutte électorale qui se jouait – ont tout cassé pendant deux jours pour protester contre la Minsutah qui « aurait » introduit la bactérie Vibrio cholerae en Haïti. À cette période, une période électorale faut-il le rappeler, plusieurs villes du pays faisaient face à ces poussées d’adrénaline.
Dès le début de cette crise – et encore aujourd’hui – la Nations Unies jouent à l’imbécile irresponsable. Refuser sa responsabilité face à de si fortes évidences relève ou de l’idiotie ou à une mauvais tactique communicationnelle. J’avais illustré le tout de la manière suivante en décembre 2010 (le lien), je ne vois pas aujourd’hui comment faire mieux : « Imaginez-vous avec votre timoun de 4 ans dans une verrerie. Vous êtes au comptoir en train de payer et pendant que la caissière grille votre carte de crédit, une bonne centaine de flutes de champagne s’allongent bruyamment sur le plancher, juste au pied du timoun. Personne d’autres dans le magasin et il ne semble pas que bagay la ait refait des siennes. Vous ne croirez certainement pas le petit ‘pa fot mwen’ (pas de ma faute) qui sortira tout doucement de la bouche coincée de votre héritier. Mem bagay avec le choléra. Tout pointe vers la Minustah, ça ne prouve rien c’est vrai, mais disons que ça regarde mal ! » Des scientifiques se sont penchés sur le dossier depuis pour confirmer ce que tout le monde sait. S’affrontent ici la logique de la pensée scientifique (la probabilité de se tromper est trop infime pour ne pas confirmer l’hypothèse que les népalais ont trainé la bibitte dans leurs bagages), et celle des légalistes pour lesquels un doute subsistera toujours, raisonnable ou pas. Devant un tribunal, je serais assez confiant de voir le verdict des scientifiques se confirmer.
Celui qui a introduit la bactérie dans le pays est-il le seul responsable de l’épidémie ?
Il y a actuellement dans le discours populaire un raccourcis un peu trop simpliste (désolé pour le pléonasme) qui permet de conclure que celui qui a introduit la bibitte au pays, est responsable de l’épidémie. On me semble effectivement verser dans le paralogisme. Il faut discuter avec des cadres de l’État haïtien pour constater la tiédeur de certains à lancer le pays dans une telle guerre. Dans les heures qui ont suivi l’identification des premiers cas, 36 heures avant les résultats d’un premier test et 60 heures avant le test confirmatoire, des organisations des nations unies avaient mobilisé en Ayiti experts et argent pour pondre une première intervention coup de poing qui aurait pu circonscrire et traitée la zone touchée. Zone bien délimitée et connue très rapidement des autorités sanitaires. Cette intervention aurait pu éviter que le choléra se propage dans les dix départements du pays. Plusieurs personnes affirment ici que cet argent et ces experts seraient restés près d’un mois en attente d’une réponse des autorités haïtiennes, un délai qui aurait permis à la bactérie de se disperser un peu partout dans le pays. On connaît la suite, plus de 8000 personnes sont mortes et près de 400 000 ont été hospitalisées.
Une porte s’est ouverte
Dans un tel contexte, quelles sont les chances de voir un tribunal forcer les Nations Unies à assumer l’entière responsabilité du désastre et ainsi, rembourser les victimes ? Personnellement, je ne gagerais même pas ma plus vieille chemise. Surtout que je ne suis pas certain du tout, qu’à cette étape, le pays ait besoin d’une longue et hasardeuse bataille juridique pour identifier le ou les responsables de ce fiasco, et le cas échéant, toucher une compensation. J’avance plutôt l’idée que la priorité devrait être de se donner les moyens pour éliminer définitivement cette bactérie du territoire national et tenter de dénicher un arrangement qui offrirait l’expertise technique et le financement nécessaires à la mise en œuvre du plan d’éradication de la bibitte et de gestion de la maladie que le pays s’est donné (le lien).
Dans ce fiasco, tous les acteurs ont intérêt à sauver la face et tous devraient profiter de la porte qui a été ouverte par le dépôt des procédures légales pour négocier un arrangement. Avec cette poursuite effectivement, le pays a maintenant un meilleur rapport de force avec les Nations Unies et pourrait ainsi tirer son épingle du jeu dans la perspective d’une amélioration réelle des conditions de vie de la population haïtienne relativement à cette maladie.
Être assis dans l’un des sièges de conducteurs de cette course, j’inviterais mes adversaires à prendre place autour d’une table et commencerais des négociations pour trouver un terrain d’entente. Une solution qui éviterait le saupoudrage actuel dont profite plusieurs ONG en temps de recrudescence de l’épidémie, et qui viserait l’atteinte de résultats durables pour la population haïtienne. Surtout, une solution qui permettrait au pays de comptabiliser moins de victimes. Une victoire collective qui m’apparaît aujourd’hui nettement plus essentielle que les éventuelles victoires individuelles de ceux qui auront été touchés directement ou indirectement par la maladie. Sur ce dernier point, les lacunes dans la gestion des systèmes d’information risquent de rendre hautement compliquée une identification consensuelle des victimes, étape préalable à toute forme de recouvrement.
Mais dans un pays où les conditions de vie et l’histoire politique poussent à l’individualisme, on risque une fois de plus d’oublier l’intérêt collectif. Une autre victoire du proverbe « Tout koukouy klere pou je-l », chaque luciole fait de la lumière que pour elle-même …