Le tourmalin

Veilleuse

Le bateau est immense, et toi à son bord tu traverses la mer

la mer partout présente, des vagues noires, invisibles. Tu les entends justes qui crient / qui hurlent / qui chuchotent / qui murmurent /

qui râlent / qui chantent / appellent les indécis

qui chuchotent qui murmurent

qui feulent.

Et puis, dernières touches avant toi sur ce décor de vide : la nuit dans le ciel, et la nuit tout autour, mêlée à la mer.

Peut-être es-tu là simplement par hasard. Embauché rapidement à la dernière escale, pour remplacer Georges…

le vieux Georges…

le vieux Georges qui, hier au matin, a déserté la mer…

…et toi, tu te tiens là, seul, accoudé à la nuit sans rien en savoir

…tu te tiens là, quand soudain

surgis d’on ne sait où,

deux grands yeux sombres

tournés vers toi.

 

(et ce n’était pas, ces yeux, un refuge éternel où le monde, enfin, devenait immobile.

C’était le monde par vagues, le monde remuant de partout – et aucune terre, aucune pause, aucun abri qui tienne face à cette tourmente qui refuse de finir – mais qu’importe

qu’importe,

car dans ces yeux tu pouvais l’apprendre – cette magie – toi et le monde (ton souffle, le sien) – toi et ces vagues incessantes (sa peau, la tienne) – cette magie de l’avec, toi, tu pouvais l’apprendre,

dans ses yeux – deux grands yeux sombres, et à ses lèvres, aussi)

− Je ne dis pas que j’aurais préféré mourir, hein.

(c’est toujours le même bateau)

− Tu voudrais juste comprendre.

− Voilà. Au moins un peu.

(c’est le lendemain soir)

− Comprendre pourquoi.

− Voilà.

(une grande salle éclairée, avec bar, et banquettes,

et petites tables, et tabourets, le tout riveté au sol – avec la mer, on ne sait jamais)

− C’est vrai que c’est dingue.

− …

(un instant bref, fait de silence. Dehors, c’est la nuit, de nouveau)

− Et Dieu, tu y crois ?

(cette question, tu la poses au grand type, qui est là devant toi.

Brian Finnigan, il s’appelle. L’équipage l’a sauvé, juste ce matin à 5h47. Plus vraiment le choix, te répond-il)

− J’imagine qu’il faut bien que je croie en un truc, à présent. Mais je ne sais pas vraiment quoi, remarque. Pas encore.

− Oui, oui, je comprends : trop tôt pour choisir.
− Oui, voilà, trop tôt. C’est ça.

(il les murmure encore un peu, ces deux mots – trop tôt – deux
mots légers, frontière de l’inaudible, et qui s’en vont dériver,
par là-bas, quelque part dans le silence qui à cet instant
retombe. Toi, tu l’as vu de loin, ce sauvetage. Tu étais presque
là ce matin, à 5h47, quand ils le remontèrent.
Lui, Brian Finnigan.
Lui qui pendant dix-sept jours avait séduit la mort, la faisant patienter – non non, pas encore, pas maintenant s’il te. plaît, attends encore un peu… –
tout ça pour finalement, et après dix-sept jours – dix-sept jours,
c’est-à-dire, disons-le, quasiment dix-huit –
lui, donc, qui fit patienter la mort, pendant presque dix-huit jours, avant de
(finalement)
finalement se barrer sans rien dire,
s’enfuir comme un voleur sur le premier paquebot venu croiser sa
route,
c’est-à-dire celui-ci – celui où tu te trouves – ce soir – à boire tranquillement un whisky avec lui.)

(– Quel salaud ! pensa la mort.

Et que n’aurait-on pas dit, si cet homme était une femme !)

Retour à ces yeux, à ces lèvres. À cette voix ce souffle, ces deux grands yeux sombres, qui se tournèrent vers toi. Ils sont gris ces yeux et quelque part en leur fond, une voix te dit de suivre – une voix qui te dit

«écoute…

«écoute… la plus belle chose que

j’ai vue, je l’ai vue là-bas…

écoute…
je l’ai vue sur le sable
sur les dunes…»

…et puis ce matin, tôt, tu es sorti sur le pont pour regagner ta cabine. Difficile de savoir, finalement, où tu l’as
vraiment passée, cette nuit.

Tu ne sais pas, peut-être bien ailleurs…
Puis, le soleil s’annonça – une pointe de lumière, diluée dans la
mer – et tu as vu cet homme que les marins remontaient.
Ils le tiraient vers eux, lentement, hors de la mort.

La soirée commençait à s’esquisser lorsque tu t’assis au bar, encore un peu perdu dans la nuit précédente, pour commander à boire. Quelque chose de fort, s’il vous plaît, comme au cinéma,

quand la vie se casse la gueule.

Le barman te dit

− Un whisky ? C’est du bon.

et toi de répondre, voix grave et solennelle

− Okay, un whisky.

Trente-sept secondes plus tard, une fois ton verre servi, et toi seul à une table :
− Vous avez raison, il paraît qu’il est bon ce whisky. D’ailleurs j’en ai pris un, moi aussi.

Et là, tu t’entendis répondre

− Oh. C’est vous l’homme qu’on a sauvé ce matin ?
− Vouais, c’est moi.

C’était lui, Brian Finnigan horloger irlandais, l’homme qui pendant dix-sept jours fit patienter la mort (avant de se tirer,
blablabla, sur le premier paquebot, etc.)

D’ailleurs, et pour tout dire dire, ce fut une histoire
personnelle qui le mena, lui, horloger irlandais âgé de trente-quatre ans – à marcher sur les quais d’un port d’Italie,

à la poursuite d’un homme (un homme, qui, depuis le jeudi
15 avril six ans plus tôt, quelque part dans le monde, le
fuyait à toutes jambes)

et puis à monter,
de là, sur un navire dont il ne lut pas le nom

navire qui par la suite explosa en pleine mer,
faisant plus de milles morts et un seul survivant, lui,
Brian Finnigan, horloger de génie,

Brian Finnigan qui,

suite à cet extraordinaire concours de
circonstances, fit patienter la mort pendant près de dix-huit jours, avant de se tirer à bord du premier paquebot venu croiser sa route,
pour se retrouver là,

assis,

finalement face à toi, j’te resserre un
verre Brian, oh ben oui, s’il te plait
merci,

c’est pas de refus.

− Comment c’est arrivé ?

(ta voix, dans le silence)

je veux dire, le naufrage.

(question légitime, après tout
– on veut toujours savoir)

− Une explosion.
− Une explosion ?
− Une explosion.
Un soir, le capitaine est arrivé. Il marchait bizarrement, avec l’air de celui qui à quelque chose à dire, qui se doute bien que c’est important, mais qui ne sait pas vraiment par où commencer.

Il s’arrêta au milieu de la salle,
regarda sa montre,
attendit un peu que le silence soit total
et puis enfin, il nous dit la chose de manière assez simple :
« Mesdames et messieurs, c’est ma dernière traversée, et dans trente-quatre secondes, je vous l’annonce, tout va
sauter »
− …
− Après cela, je ne sais plus vraiment. Je vois encore ce type, là, debout, sa casquette de capitaine, son regard d’halluciné en attente de la mort – j’entends encore les secondes – toutes les
secondes, décomptées par les montres, des battements de cœurs fous et désynchronisés, et puis…

Et puis il me semble qu’effectivement, au bout de trente-quatre, tout a sauté.

C’est comme ça qu’il raconte, Brian Finnigan.
L’histoire du capitaine, des dix-sept jours en mer, et de la mort qui patiente.

Un fragment de la sienne, d’histoire.

Pendant ce temps

(foudre /frayeur /fracas /torrent d’éclairs /la mer tout entière qui s’effondre /BLAM /et s’écroule sur le pont /BLAM)
la mer gronde – se soulève et s’échauffe
– fin du monde qui, lentement, se prépare.

…et sur la mer, pour cette nuit son

jouet la peur se met à souffler, remue les vagues, les soulève,
les transforme et ce ne sont plus des vagues, ce ne sont que
des monstres, les vagues, des spectres gigantesques et des ombres de mort, et si les bras du kraken surgissaient, ce bon vieux cauchemar venu des profondeurs, calamar géant pour mettre un terme au voyage,
même cela,
tu t’y attendrais presque.

Et ceux qui le verraient, avec toute cette peur, ils ne pourraient que dire
«ha ça, ça j’en étais sûr. Le coup du kraken, j’en étais sûr, que ça allait m’arriver, avec ma chance, bordel, avec ma chance…»
«on va tous crever on va tous crever on va tous crever» «c’est pas vrai, il manquait plus que ça, cette saloperie géante» «ON VA TOUS CREVER ON VA TOUS CREVER» «mais pourquoi je suis monté dans ce
foutu bateau si seulement je les avais écoutés je» «ON VA TOUS
CREVER BORDEL J’EN ETAIS SUR VOUS ENTENDEZ J’EN
ETAIS SUR» «SOS SOS AU SECOURS ! LE KRAKEN VA NOUS BOUFFER C’ETAIT COURU D’AVANCE
SOS VENEZ TOUS NOUS AIDER BORDEL !»

− Panique pas, dit Brian Finnigan horloger irlandais. C’est rien ; profite que t’es au sec et raconte moi,

toi,

ce que tu fais ici, à boire comme un trou avec un naufragé.

C’est qu’il en a vu d’autres des calamars, lui, pendant ces dix-sept jours où la mort patientait.

Deux grands yeux sombres, voilà le début, le point de départ.

Le début de l’histoire que tu lui racontes, toi, à Brian Finnigan.

Deux grands yeux sombres, qui s’ouvrent et se tournent vers toi.

(et ce n’était pas, ces yeux, un refuge éternel où le monde,
enfin, devenait immobile)

(C’était le monde par vagues, ces yeux, le monde qui remue de
partout – aucune terre, aucune pause, aucun abri possible face à
ce courant qui refuse de finir)

Tu lui racontes cette nuit – la nuit dernière, passée Dieu sait où, et où tu dérivais encore en commandant à boire.

(le monde/les vagues – son souffle/sa peau – cette magie de
l’avec, et dans ses yeux une voix qui appelle,
une voix qui te dit «écoute…»)

Écoute… la plus belle chose que j’ai vue, je l’ai vue là-bas…

écoute…
je l’ai vue là-bas, sur le sable
sur les dunes…

sur le sable il y avait cet homme

assis,

seul sur une chaise plantée dans les dunes…

… au milieu de ce vide qui dévore ce qui vit, qui dévore le
monde – et c’est un endroit terrible – c’est un endroit superbe –

il y avait cet homme, seul, assis, qui jouait…

… veillait face au sable, ce sable qui ronge, qui grignote peu à peu cette terre pourtant échue aux hommes –

mais si, à la rigueur,
il n’y avait qu’eux, les hommes…

… cet homme, et le vide qui s’avance, la fin qui rampe devant lui – et lui sur sa chaise, assis, saxophone à la bouche,
je te le promets

cet homme,

il joue…

Et elle vogue cette histoire – tissée de mots qui ne sont pas les tiens – c’est une histoire qui veille.
Une chandelle.
C’est une histoire qui veille pour faire passer la nuit,
pour les tenir au loin, la mort la peur la tempête,
les tenir en respect jusqu’à demain matin,
s’agripper à la vie jusqu’à demain matin.
Tenir jusqu’à l’aube et puis continuer

Tout droit

Finalement

Pour traverser la mer.


Entrer dans un temple et prier – Mais pourquoi diable ?

J’ai pour la première fois, hier matin, fait une chose inconcevable. De moi même, je suis entré dans le temple de ma petite rue taiwanaise, ai allumé trois bâtons d’encens, et les ai disposés en face de chaque dieu.
En d’autres termes, j’ai prié. Et le pire dans tout ça ? Je n’ai rien demandé, ni aide ni service, à la dizaine de statues qui peuplaient l’autel – je tenais seulement à les saluer, aussi étrange que cela puisse paraître.

Rigoureusement athé lors de mon arrivée sur l’île, il y a de cela cinq ans, je ne m’étais presque jamais aventuré dans un temple. La curiosité m’avait souvent tenté, c’est vrai, de rentrer dans l’un de ces nombreux bâtiments pour en voir l’intérieur – mais toujours quelque chose avait freiné mes pas.
C’était une sensation bizarre. Sans même vraiment regarder ces alcôves mystérieuses, je les voyais comme emplies de brouillard ; et l’intimidante impression d’y être étranger m’en tenait éloigné.

Je réalise à quel point, posant aujourd’hui des mots sur ces ressentis, ces derniers constituaient déjà une lézarde dans un athéisme féroce, rendu aveugle par ma méfiance envers le christianisme.

~

Ce sont les rencontres et les nécessités qui nous forgent ; et si j’avais à nommer un point où mon paradigme de vie s’est trouvé renversé, j’opterais pour l’histoire que me raconta un ami quelques mois plus tôt.

C’était à propos du bouddhisme et du taoïsme, les deux piliers spirituels de Taïwan, et de leur rapport à « l’autre monde ». Il est d’usage de penser que le taoïsme, avec sa cohorte de mediums et de chamans, fait preuve d’une approche plus décomplexée comparé au très austère « si tu vois le bouddha, tue-le » des enseignements bouddhistes. Mais mon ami m’expliquait que, malgré ces apparences abruptes, le lien avec la face spirituelle du monde était loin d’être coupé. Mais, plus que les enjeux théologiques de la discussion, ce qui m’importe ici est l’exemple qu’il me donna.
Le septième mois lunaire, à Taïwan, est appelé le mois des fantômes, et l’on y accomplit d’ordinaire, devant chaque immeuble, une cérémonie en l’honneur des esprits et des ancêtres qui y sont rattachés. Durant l’une d’elles, une connaissance de mon ami senti une pointe d’angoisse ou peut-être de tristesse : sa mère disparue était-elle vraiment là, parmi les vivants, à profiter des prières et des offrandes ? Tout cela était pour elle, mais n’était-ce pas en vain ?
Un moine bouddhiste assistait avec elle aux prières, et elle lui fit part de son inquiétude. En guise de réponse, le moine retira son écharpe, murmura quelques mots, puis lui mit à quelques centimètres des yeux.
Et à travers l’étoffe elle vit, et retrouva la paix.

Bien sûr, tout cela n’est qu’un récit. Le témoignage de l’amie d’un ami, que je relaie en tant que tel. Mais plus que les faits relatés, auxquels chacun, en l’état, demeure libre de croire ou non, c’est l’émotion que me laissa cette histoire qui bouleversa ma vie.
Je ne suis pourtant pas du genre à vouloir voir ou appeler les personnes disparues. Mais le geste du moine et le soulagement de cette femme – que je ne peux à vrai dire qu’imaginer – m’ont étrangement touchés. Et de cette émotion, une curieuse conviction s’est fait jour en moi :
S’il existe vraiment autre chose, si ce ne sont pas que des mythes et des contes, alors il faut y aller pleinement.

~

Tout cela, bien sûr, aurait pu ne jamais dépasser l’hypothétique stade du si ; Mais les rencontres et les nécessités, toujours elles, en décidèrent autrement.
Que ce soit à cause du climat taïwanais, de la pollution chinoise, ou simplement de ses gènes, ma fille souffre d’une forte allergie. Et là où d’autres parents s’appuieraient de tous leurs espoirs sur les traitements médicaux – allopathiques ou homéopathique, j’ai fait le choix du magnétisme. Avec résolution.
Cela ne veut bien sûr pas dire que les médecins se trouvent écartés, loin s’en faut – mais face aux crises quotidiennes, j’ai décidé de pouvoir faire autre chose que de seulement préparer les produits des docteurs.
Le temps du bilan viendra dans un autre texte ; disons seulement aujourd’hui qu’à travers mes victoires et mes défaites magnétiques, j’eus la surprise de découvrir un monde que je ne soupçonnais pas.
J’ignore encore s’il s’agit d’un sixième sens, ou seulement d’une amplification du toucher. Mais je sais qu’aujourd’hui, au quotidien, je sens les vibrations du monde. La matière, les corps, les courants électriques… tout rayonne d’une certaine force, que chercher à aider ma fille m’a fait découvrir.

Tout, y compris les temples.

~

Et donc nous y sommes. Ce n’est pas par croyance que je me rends dans un temple – on ne crois pas quelque chose que l’on vit tous les jours, que l’on sent physiquement sur sa peau de façon quotidienne.
Je me rends dans un temple en voisin, pour saluer les dieux qui s’y trouvent, et ne pas oublier cette prise de conscience : nous voguons tous, quoi que nous soyons, dans la même spirale d’énergie.


Taïwan : La collecte des poubelles, un choc culturel quotidien

Qu’est-ce qui définit un pays ? Qu’est-ce qui le marque comme unique et le distingue des autres ? Certains diront la langue, d’autres la religion, et tous les noteront comme représentant une part de cette culture intangible, celle qu’on invoque à tout va contre Hollywood et le Mac’do.

Soit. Ce n’est sûrement pas faux.

Une procession passe devant un 7eleven à Danshui
(Presque) tout Taïwan en une photo

 

Toutefois, vivant à Taïwan depuis quelques années, ce ne sont pas ces différences qui m’ont interrogé. Et, de façon très étrange, la chose qui pour moi restera liée à ma vie taïwanaise est un rite quotidien : la sortie des poubelles ! Cela n’a certes pas le faste et l’élégance des différents festivals de la culture chinoise, mais la petite musique des camions jaunes rythme l’existence  au quotidien avec la même puissance – et peut-être aussi la même effervescence.

Dans toute la ville, au hasard des rues, quelque soit l’heure du jour, il n’est pas rare en effet d’entendre une entêtante mélodie – pareille à celle d’une marchande de glaces qui sillonnerait la ville.

Mais une fois sur les lieux… une farandole de camions, roulant au pas, se voit assaillie par les habitants et par leurs sacs poubelles.

Cette embuscade quotidienne, ponctuelle, structure les habitudes de chaque jour. Quelques minutes avant l’heure prévue, les rues visitées prennent vie. Elles se gorgent d’âmes.

Leur épais silence se peuple doucement, et l’espace devant les portes, habituellement dévolu aux scooters à l’arrêt, accueille les résidents. Un par un, les voilà qui sortent, arborant tongues et vestes d’intérieur, et posant à leurs pieds de gros sacs plastiques roses.
Les notes des camions-bennes flottent dans l’air, elles sont encore lointaines – mais une première récolte les précèdent bien souvent. Trop souvent. Des vieux et des vieilles, glaneuses urbanisées, amassent les bouteilles, les cartons… et le tri sélectif, valeur verte, prend des couleurs sociales.
Puis vient un sonneur de cloche : ultime signal pour les retardataires. Quelques instants plus tard, la cohorte officielle s’engage dans la ruelle, et débute la procession.

Chacun son tour, chaque citoyen jette ses déchets, dans le sac rose consacré, au coeur de la première benne. Puis les déchets organiques, dans les seaux à composte de la seconde. Et puis enfin, certains jours, vient un troisième camion, qui emporte après contrôle les déchets recyclables restants – ceux qui ont échappé aux glaneurs.

Chaque fois qu’il m’est donné de plonger, sac rose au poing, dans cette réalité, j’éprouve un étrange sentiment de satisfaction. Celui d’accomplir un rituel social, un devoir citoyen, qui me masque un instant mon image d’étranger.