Valéry Moise

Où va le monde ?

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J’ai pris un recul. Pendant un certain temps, j’ai remis en question l’utilité et l’impact de la vulgarisation de mes pensées. Il me révulsait de me pencher sur les mêmes sujets et leurs corollaires, d’agiter les mêmes questions et de soulever les mêmes préoccupations. J’avais l’impression de ruminer, de battre du vent. Je me suis imposé une pause. Le moins évident, cependant, a été de me soustraire aux deux exercices qui ont longtemps influencé ma vie : l’observation et l’analyse. C’est au milieu de cet exercice vital que je me tiens pour adresser à chaque être humain  qui lit ce texte et à quiconque le lira la question suivante : Où va le monde ?

Il peut vous manquer l’intérêt de vous poser cette question, mais je suis sûr que vous éprouvez tous, à des degrés divers, le même pincement de cœur quand vous lisez les nouvelles. Sur les réseaux sociaux, à travers les médias traditionnels, il ne se passe pas un jour sans qu’on ne soit exposé à la bêtise humaine. Ici, on sépare les enfants d’avec leurs parents sur la base de l’irrégularité de leur présence sur un territoire. Là-bas, on extermine son propre peuple parce qu’il ose ne plus accepter les affres de la dictature. Nous sommes parvenus à ce point où il devient urgent, et même pour l’intérêt de la santé publique de créer, un peu partout, des rubriques de ‘’ bonne nouvelle’’. Récemment, j’ai vu un média international faire un reportage sur un enfant de 8 ans prêtant mains fortes à une vieille ayant du mal à gravir un escalier. Tout en saluant la générosité du geste, je n’ai pu m’empêcher de réfléchir à l’hostilité générale qui rend héroïque un acte qui devrait être normal dans un monde civilisé.

Il ne suffit plus maintenant de se borner aux problèmes de son pays. L’internet et les facilités de déplacement exigent une compréhension globale des réalités qui se dessinent autour de nous. Il est donc crucial de se poser la question : Où va le monde ? Pas nécessairement pour le suivre mais pour qu’on soit au moins capable de tracer sa voie en toute conscience. Parce qu’à dire vrai, au rythme où nous dévalons la pente de la sauvagerie et de l’inhumanité, je crains qu’il ne vienne un temps où l’on sera porté à préférer la jungle à la société. N’écarquillez pas les yeux : les animaux ne chassent pas en fonction de la couleur de la peau de leur proie. Pouvons-nous prétendre à la même impartialité, en tant qu’humains ? N’abattons-nous pas en fonction de l’abondance de la mélanine ? Ne fermons-nous pas nos frontières en fonction de la provenance du voyageur ? N’accordons-nous pas la liberté en fonction du taux de testostérone ? N’élevons-nous pas nos religions au-dessus de l’auto-détermination ?

Où va ce monde ? Il est triste de constater que l’humain est devenu tellement dangereux qu’il constitue une menace pour sa propre personne, pour sa propre existence. Pour les besoins de la surconsommation quotidienne, nous détruisons l’environnement qui nous abrite. Nous conduisons vers l’extinction des espèces qui assurent l’équilibre de la chaîne alimentaire. Nous sommes devenus suicidaires. Nous nous tuons à petits feux. La laideur de l’âme collective est telle que certains remettent en question l’envie de procréation. Ils se demandent avec raison s’il serait juste d’introduire un être fragile comme un enfant dans ce monde en décomposition, dans cet environnement de plus en plus toxique. Où va le monde ? Où sont passés notre solidarité et notre bon sens ? Le mot ‘’ solidarité’’, évoqué seul, est devenu vide de sens. Il faut désormais le faire précéder d’un qualificatif (vraie solidarité) pour le revêtir d’une certaine signification.

Où va le monde ? Je ne sais pas. Plus j’y réfléchis, plus cela m’interpelle. Aujourd’hui, l’avenir de l’humanité se joue suivant l’ego de quelques immatures portés au pouvoir à la faveur de la lâcheté ou de l’ignorance collective. Je ne suis pas Dieu. Je ne peux pas ramener ce qui autrefois nous garantissait un climat apaisé à défaut d’un environnement fraternel.

Si je prends le temps d’exposer le thermomètre au regard de chacun de nous, ce n’est point parce que je désespère. Je ne hoche pas les épaules, je ne baisse pas les bras. Mais je sais qu’en chacun de nous brille, ne serait-ce que faiblement, une étincelle de volonté et d’intelligence supérieure. C’est à l’augmentation de l’éclat de celle-là que je fais appel en ce temps où la bêtise éclipse de plus en plus la raison et la charité : Où veux-tu conduire ce monde ?

 

Dr. Valéry Moїse et Lyne-Stéphanie Moїse

 


Le monde que je veux laisser à la postérité

Crédit Photo: Triptease Tolérance

S’il est un trait commun entre les différentes cultures de notre époque, c’est notre rapport à l’instantanéité. Il semble que le désir le plus partagé c’est de pouvoir montrer et dire en premier, de créer la vague, de faire ‘’ le buzz’’. S’interdire de réfléchir tout haut, d’émettre des pensées abrégées et des paroles précoces, est devenu acte de rébellion et d’héroïsme. Les limites de la liberté d’expression deviennent de plus en plus floues et les temps de réflexion de plus en plus courts. Chacun se place au centre du monde et crée son propre système de valeurs et de mise en valeurs. L’instant engloutit l’éternité et le présent avorte le futur. Au rythme où grandissent notre ego et notre irresponsabilité, il est à se demander si à notre génération ne succèdera que le néant.

Il ne s’agit point ici d’une posture de bien-pensant ou d’une inclination au pessimisme facile. Il ne s’agit pas non plus d’une révolte par rapport à la prédominance de la pensée-minute. C’est plutôt un acte de responsabilité face à ceux qui arrivent, ceux qui sont déjà là et ceux qui doivent nous succéder. Je reconnais qu’il n’est pas évident de penser à l’autre quand sa survie est menacée et de planifier demain quand aujourd’hui n’est pas certain. Cependant, il faut faire attention car tout le piège est là. On dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions. C’est à notre génération de briser le cercle de la misère et de la survie, et donc de maitriser notre destin comme le cavalier maîtrise son cheval. L’essence de notre mérite et de notre gloire est là. Elle réside dans notre volonté de plonger au plus profond de nous-mêmes et de remonter avec les solutions que nous attendions longtemps des autres et que nous cherchions sans succès sous d’autres cieux. Nous valons plus que ce que nous faisons maintenant. Nos meilleurs jours ne sont pas prisonniers de novembre 1803. Il y a parmi cette génération des noms qui sont faits pour marquer le temps, pour rétablir l’Homme dans sa dignité, pour imprimer une marche ascendante à l’humanité et pour transformer le plus petit en un millier.

Je veux que nous laissions un meilleur monde à notre postérité !

Le monde que je veux laisser à ma postérité est un monde où la bêtise n’attire plus la foule. Un monde où le mérite épouse la constance dans l’effort. Un monde où le puissant ne tue plus pour dépouiller le plus faible des richesses de son sous-sol. Un monde où l’enfant puisse regarder ses parents et voir en eux des modèles. Un monde où la justice n’aura point égard à la raison du plus fort. Un monde où l’on accepte l’autre avec sa différence, où l’on n’impose plus le salut par l’épée et la tolérance par l’insulte. Un monde où la sévérité du jugement est remplacée par l’entraide. Un monde où l’on voit l’humain avant le phénotype. Un monde où du Nord au Sud et  de l’Est à l’Ouest les citoyens tendent la main. Un monde où l’on ne regarde pas l’autre à travers les couleurs du drapeau pour le déchoir de sa dignité. Un monde où le nationalisme ne réduit plus le citoyen à un sujet local insensible et réfractaire au progrès universel. Un monde où l’on comprend enfin qu’il n’y a jamais de gagnants à l’issue des guerres ; qui ne perd en matières perd en sentiments. Un monde où chacun comprend et embrasse sa mission sans hiérarchiser les contributions et fragiliser la chaine. Un monde où chaque dirigeant évalue sa capacité avant de prendre les rênes. Un monde où chacun soit conscient de l’empreinte de son individualité sur la collectivité.

Croyez-moi, ce monde est possible. Ce n’est point un rêve futile encore moins une illusion. Il suffit que chacun identifie et réponde à sa voix profonde. Cette petite voix qui parle constamment à notre conscience et dont l’obéissance élève jusqu’à la transcendance.

Le rêve de ce monde ne saurait m’être exclusif car parmi nous il y en a beaucoup qui s’attellent à renverser la vapeur. Rêvons ensemble et posons les actions qui comptent et influencent positivement ! Le monde dans lequel nous vivons est davantage un prêt de la postérité qu’un héritage de nos ancêtres. Ne laissons pas l’enfer à nos enfants !

 

Dr. Valéry Moïse

 


Haïti : les hantises de l’engagement

Credit Photo: Home Team Marketing
Credit Photo: Home Team Marketing

Il n’a jamais été aisé d’être Haïtien, en 1800 comme en 2000. Ceux qui nous ont légué ce pays ont accepté d’être à la race noire ce que la peau de bœuf est au tambour : l’âme !

Haïti est le produit d’un affrontement de longue haleine entre l’atrocité des uns et l’espoir rebelle des autres. Haïti est le triomphe de la dignité tenace sur le racisme rapace, l’inhumanité et la religion désœuvrée. Nous ne sommes point en train d’insinuer que nos ancêtres étaient des modèles de perfection. Parmi eux, il y a eu Conzé, le traître notoire, et le plus nul de tous : Jean-Pierre Boyer ! Que la terre ne leur soit point légère !

Ce rappel historique ne relève point de la fantaisie d’un esprit amusé par les introductions énigmatiques. Il s’agit ici de l’objet de réflexion d’un citoyen soucieux qui cherche à comprendre comment nous en sommes arrivés là où nous sommes, et quels seraient les moyens de renverser la vapeur. Parce qu’aujourd’hui, s’il nous faut parler de nous en des termes sincères, on comptera peu de sujets élogieux. Et personne, à quelque génération qu’il puisse s’identifier ou réellement appartenir, n’est exempt de reproches. Sur la balance des responsabilités, le mépris de l’effort des plus jeunes est presqu’en équilibre avec la superficialité des moins jeunes qui, elle-même, rivalise avec la corruption et la méchanceté de certains vieux. Nous ne sommes pas tous coupables mais nous sommes tous responsables. Responsables de ces familles amputées par l’immigration de masse, de ces enfants engloutis par la délinquance, de ces écoles qui abêtissent et de cette insécurité multiforme qui emporte vies et rêves.

Haïti n’a jamais eu tant besoin d’être un pays. Elle n’a jamais eu tant besoin de cesser d’être un territoire où cohabitent des individualités qui n’aspirent qu’à engloutir la collectivité. Elle a longtemps été un pays de transit. Elle veut désormais abriter une Nation. Elle appelle à l’engagement réel de ses citoyens. Un engagement qui dégage des perspectives solides, réalistes et durables. Elle n’appelle pas aux solutions miracles, elle sait que cela n’existe pas. Elle connait l’ampleur de son mal et n’inscrit sa guérison que dans les lignes d’un temps convenable. Sans rejeter le mérite des initiatives, tout en estimant à leur juste valeur les tentatives des jeunes, elle sait que sa relève ne viendra ni des colloques internationaux, ni des pompeux fora. Elle est une terre de patience qui n’avance jamais avec ceux qui font fi de ses paysans.

Avant l’avoir, Haïti a besoin de l’Etre. Avant la substance, elle a besoin de l’Essence. Aussi compétents que puissent-être nos leaders ou ceux qui s’improvisent comme tels, s’ils n’ont pas de conviction, ils ne pourront jamais aboutir à des solutions valables. Cette terre n’est pas une terre de novices et de versatiles. Sa vocation est d’être la Lumière des Nations. Ce n’est point un jeu d’enfants. Ce n’est point un concours d’images. C’est un engagement de l’être, c’est une hantise du bien et du beau.

Jeunes de ma génération, ce n’est pas l’âge qui doit nous unir. Ce n’est pas l’intérêt mesquin qui doit nous souder. C’est cette promesse aux enfants qui doit orienter nos actions, c’est ce regard hautain de l’étranger qui doit fouetter notre orgueil, c’est le symbole de la Citadelle Henry qui doit dessiner nos rêves. Entre l’être et le paraître, nous devons être !

Dr Valéry MOISE


Que nous enseigne le terrorisme?

Credit photo: lamayenneonadore.fr
Credit photo: lamayenneonadore.fr

À un certain moment, la récurrence d’un problème recommande un arrêt et impose une considération en profondeur. À court terme, se voiler la face peut-être une option tolérée mais elle devient à la fois criminelle et puérile quand elle s’installe en politique de vie. Par sa tendance à la globalisation, le monde offre de plus en plus  de pouvoir à l’individu en même temps qu’il lui réclame davantage de responsabilité. À chaque fois que l’homme moderne se complait dans la nonchalance de son bien-être individuel, à chaque fois qu’il s’imagine que l’éloignement géographique lui met à l’abri de certaines menaces, à chaque fois qu’il regarde de haut et avec détachement le défi des autres ; il est brutalement réveillé et entrainé dans les horreurs d’une réalité qu’il est souvent incapable de gérer.

Cette impréparation, cette obligation de réaction le propulse soit dans le courant facile de la haine soit dans la posture terrible de l’effaré. Ce qui nous amène à penser que la victoire du terrorisme, si jamais il y aurait victoire, est davantage gagnée aux dépens des survivants que de ceux fauchés violemment par les instruments de la mort. Car – nous le croyons au plus profond de nous-mêmes –  tout acte terroriste est un acte manqué. C’est une abdication. Un renoncement à l’humanité à laquelle on ne croit plus. Une défaite de l’espérance. Une perversion de l’humanité. Une explosion de l’intolérance. Il ne devient complet et concourt à la satisfaction du terroriste que quand les gouvernements adoptent des lois liberticides. Il ne touche à son but que quand la peur s’installe et pourrit les relations humaines. Le terrorisme inocule  la méfiance pour paralyser les élans de générosité naturelle tout en  nourrissant les préjugés et le sectarisme.

La bataille contre le terrorisme ne se gagnera ni par les menaces, ni par les bombardements. La violence, de quelque bord qu’elle émane et quelle que soit la fin qu’elle se propose, est toujours condamnable. On ne traite pas la cause en s’attaquant aux conséquences. Sans vouloir être simpliste, nous osons imaginer que ces trois concepts renferment le remède au terrorisme : Education, Respect de l’Autre, Égalité de chances. Quand tout le monde aura le privilège  d’avoir accès à une éducation de qualité, quand les religions dominantes renonceront à leur visée hégémonique, quand le mérite sera le seul critère de recrutement, quand l’industrie de l’armement cessera d’alimenter les conflits, quand l’intérêt sordide n’imposera plus silence aux élans du cœur, le terrorisme apparaîtra à tous tel qu’il est : Monstrueux.

Je ne suis ni Orlando, ni France, ni Kenya, ni Bruxelles ; je suis Humain et cela devrait suffire si chacun mesurait la portée de ce mot et prenait sa responsabilité. Il n’y a pas moi d’un côté et mon semblable de l’autre. Nous sommes tous liés indépendamment de nos variations phénotypiques. Plus que jamais, les relations prédateurs-proies soutenues et entretenues par un certain capitalisme sont suicidaires. L’humanité est dans le même bateau, si elle continue à ignorer la souffrance des autres, à s’accaparer des richesses des plus faibles, à exploiter à n’en plus finir, à abuser de l’environnement, bientôt c’est la nature qui se transformera en ennemie ! Que la Sagesse nous en préserve et qu’on n’accuse pas l’astronome qui prévoit l’éclipse de la défaillance du soleil !

Dr Valéry MOISE

 

 

 


Que dira-t-on de nous ?

Crédit photo: France 24
Crédit photo: France 24

Cette question est prétentieuse, je le reconnais. Elle présuppose, qu’en dépit de la marche inexorable des autres peuples vers le progrès, qu’en dépit de la valeur sans cesse grandissante du temps, il y en aura qui s’offriront le luxe d’émettre une opinion à notre sujet. Elle s’accorde pour acquis que nous serons épargnés du sort  qui sied aux insignifiants : L’indifférence. Elle s’autorise le droit de rêver à un jugement de la postérité, fut-il un regard condescendant ou un sentiment de pitié. Seulement, au rythme où nous nous désengageons, que dis-je, déshumanisons, je crains que la nature ne se fasse justice en nous ensevelissant sous l’oubli le plus honteux.

Je devrais peut-être m’arrêter sur les principales causes de notre déchéance. Je m’octroierais probablement un air sérieux en accusant la colonisation, le blocus international subséquent à notre indépendance, l’escamotage de notre économie par la France, nos luttes fratricides commanditées par les religions, la destruction de notre environnement à la fois physique et politique par les Etats-Unis etc. Mais en prenant cette posture de victime, en accordant tant de place et tant de poids au passé, je n’offrirais que l’occasion pour qu’on me remonte les bretelles ! Car, avec raison, on aurait le droit de rejeter la question initiale et de la reformuler de la manière suivante : Que dirons-nous de nous ?

Tôt ou tard, il nous faudra rendre des comptes. À notre conscience ou à notre postérité. C’est au mépris de la raison que nous pensons pouvoir nous échapper à notre responsabilité. Vivre en communauté, par choix ou obligation, implique l’engagement. On ne transfère pas ses redevances en élisant un gouvernement. On ne s’absout pas du jugement en prétendant ne pas disposer des leviers étatiques. Dans un pays, comme dans un océan, il n’y a pas de gouttes d’actions insignifiantes. La graine contient la forêt ! Le citoyen contient la Patrie !

Qu’il me soit donc permis, chers concitoyens, de nous renouveler la question : Que dirons-nous de nous ? Avons-nous été indignés des scandales de dilapidation des fonds publics ou attendions-nous patiemment que notre tour se présente pour renouveler le système ? Pour continuer à priver le miséreux de l’essentiel tout en nous gâtant de superflu ? Avons-nous courbé l’échine, pactisé avec le néo-colonisateur pour ramasser quelques miettes ou étions-nous dignes des sacrifices de nos ancêtres ? Un jour ou l’autre, nous devrons justifier nos choix. Nous devrons expliquer pourquoi nous nous étions tus. Pourquoi nous avons abandonné.

Au constat de l’échec national, de la victoire des corrompus et des médiocres, nous avons légitimement le privilège de capituler et de tourner le dos au pays. Mais s’il peut nous arriver de perdre, une fois là-bas, nos titres de médecin, d’ingénieur, d’avocats, d’agronome et j’en passe, nous ne pourrons jamais, je dis bien, jamais, nous débarrasser de notre origine haïtienne. Notre identité est la seule constante dans ce monde imprévisible et sans cesse changeante.

Chers concitoyens, l’heure est grave, le temps est sombre et l’espoir est chétif. Il semblerait qu’il n’y ait plus d’horizon, que nous avons touché le fond. La bonne nouvelle cependant, c’est que les extrêmes se touchent ! Le Concepteur de la vie a voulu, et c’est une loi infaillible, que l’alternance soit une règle absolue. La médiocrité vient de faire son temps sans partage. Gens de bien, armons-nous de l’audace et de l’assurance des médiocres, et nous aussi, faisons notre temps. Comme les héros des Thermopyles, comme les géants de Vertières, on dira de nous que nous étions des Hommes-Debout et face au plus grand désespoir, nous avons opposé la plus grande espérance ! Qu’il en soit ainsi !

Dr Valéry MOISE


Que devra-t-on laisser de la femme?

Crédit Photo: Planet Haiti

Soyez indulgents et ne me tenez pas rigueur par rapport au titre de cet article qui pourrait, implicitement, faire supposer que la femme n’est que spectatrice dans les décisions qui la concernent. La question aurait pu tout aussi être :  » Que restera-t-il de la femme » ? Mais à la fatalité que renverrait cette dernière, nous préférons le risque du premier malentendu.

Il n’y a pas longtemps que la place assignée à la femme tant au niveau des religions que de la politique était sévèrement restreinte. Elle n’était vue et traitée que comme un accessoire. Un instrument de reproduction. Un outil de plaisir. Il n’y a pas longtemps non plus depuis que la femme a commencé à revendiquer ses droits, à imposer sa voix et à faire respecter ses choix. Si au niveau de certaines religions, elle continue à n’être qu’une côte d’Adam, que la complice du serpent et donc l’être faible et perfide duquel il faut se protéger ; au niveau de la politique mondiale et des affaires, elle prend de la place et on admet de plus en plus que c’est pour le bonheur de l’humanité.

Un bonheur qu’Haïti se refuse et duquel elle se soustrait vu la configuration de la nouvelle législature et considérant les musiques en vogue auprès de la grande majorité de la jeunesse. En effet, à la faveur d’une de ces fugues de ma zone de confort que je m’autorise  de temps en temps, je me suis rendu compte  de la pauvreté, que dis-je, de la trivialité des textes de la plupart des « jeunes artistes ». On cherchera longtemps ce qui est artistique dans leur production, on ne trouvera que des avortements de pensée. J’ai écouté 5 musiques interminables et pas une fois, pas une seule n’a traité la femme avec respect. Il y a lieu d’avoir peur, raison de trembler et matière à préoccupation.

Je concède que l’indignation par rapport à la banalisation généralisée n’est pas une attitude à la mode. De nos jours, pour tout ce qui est médiocre, l’indifférence cède la place à la tolérance. L’instinct grivois brille de tout son éclat. L’indécence éclipse le bon sens. L’absurdité séduit ses propres victimes. Les femmes se traitent de Wana, Timamoun et les plus vulnérables en sont fières ! Elles sont loin de se rendre compte qu’elles sont en train de nourrir les vers qui dévoreront leurs propres fruits. La plupart se complaisent dans les propos qui les dénigrent et oublient que les rapports humains ne s’improvisent pas. Ils se construisent ou pourrissent. En détruisant la femme, on annihile la mère, on hypothèque l’avenir de l’enfant, on pervertit le citoyen, on appauvrit le pays et on installe le cycle de la précarité. La précarité enfante la violence et désamorce l’éducation. On ne touche pas impunément à la dignité de la femme !

La femme haïtienne authentique, on le répète souvent sans le comprendre, est le rempart de la paysannerie et donc le moteur du pays. Elle est cette espèce qui fait cohabiter l’abnégation maternelle avec la sécurité paternelle trop souvent absente. Elle est la tête qui promène les rêves de l’enfant et la main qui lui trace sa voie. Elle est souvent l’épaule illettrée qui propulse sa progéniture vers les plus grandes académies de science et de culture. Elle est cette source de sagesse, cette éponge qui absorbe les déceptions pour en faire sortir des éblouissements. Voilà le statut qu’on doit rendre imperméable aux grivoiseries ; voilà ce qu’on devra garder de la femme !

Dr Valéry MOISE

 

 


Êtes-vous part de la solution ou du problème?

Crédit photo: Coreight
Crédit photo: Coreight

 » L’enfer, c’est les autres ». C’est Haïti; c’est les politiciens. C’est la communauté internationale; c’est la bourgeoisie. C’est la racaille. Nous, honnêtes gens, sommes des victimes, des bafouées, des trahies. Nous, majorité silencieuse, sommes des spectateurs désabusés. Nous invitons les concernés, les forgeurs du destin collectif à prendre leur responsabilité!

Voilà le fonds de pensée de la plupart d’entre nous. De ceux qui attendent de prendre la relève comme de ceux qui élèvent déjà le pavillon blanc. De ceux qui s’abandonnent au vertige des passions comme de ceux  obéissent encore à la boussole de la raison.

En Haïti, il y a principalement deux catégories d’Hommes; ceux qui tiennent la plume de l’histoire et ceux qui en constituent le parchemin. L’une des explications de nos drames, est que la main qui tient la plume se croit plus importante que le parchemin. Nos errements viennent de là. Nos rendez-vous manqués avec le progrès tiennent au fait que nous maintenons un esprit de stratification, de comparaison vaniteuse et d’orgueil stérile. Il nous est toujours difficile de prendre un recul, de faire froidement la part des choses et de trouver un équilibre. Nous balançons d’un extrême à l’autre sans nous rendre compte que l’ascension comme la chute à pic sont pareillement désastreuses. Hier nous étions despotes, aujourd’hui nous sommes démocrates. Nous étions patriotes, nous sommes  » patrie-poches ». Hier nous constituions l’horreur des colons, aujourd’hui nous sommes larbins. Notre instabilité est contre-productive. Nous glissons à la surface des choses et des événements sans en tirer bonne partie. Nous avons perdu le rythme. Nous marchons quand il faut courir, nous blâmons quand il faut honorer, nous applaudissons quand il faut réprouver, nous crions quand il faut écouter, nous donnons quand il faut réclamer et pire nous assistons quand il faut nous engager. Nous sommes en pleine cacophonie!

L’heure n’est plus au spectacle. L’heure est au «  konbit « . Elle est à l’introspection. Elle est à l’indignation positive. À la reconquête de notre dignité d’Homme. À la réaffirmation de notre rôle d’avant-gardiste des peuples noirs. L’heure est au rejet de l’impérialisme avec tout ce qu’il comporte d’exécrable.

Jeunesse de mon pays, ne détruisez plus l’édifice simplement parce que vous avez un différend avec l’architecte. Ne prenez plus le signe pour la chose. Les meilleurs doivent s’entendre et non s’entredéchirer. Ils doivent travailler ensemble pour la patrie commune. La gloire personnelle et cosmétique n’est plus honorée et n’est d’ailleurs plus possible. Vous ne vous élevez pas en rabaissant l’autre. Haïti a besoin de vous! Elle a besoin que vous soyez part de la solution. Le monde et les ancêtres vous regardent, tâchez de mériter leur respect et non leur pitié! La tâche est évidemment ardue et même mortelle à certains égards mais comme dirait Eliphas : S’embarquer dans la mort, c’est parfois le moyen d’échapper au naufrage ; et le couvercle du cercueil devient une planche de salut ! Qu’il en soit ainsi !

 

Dr Valéry MOISE

Konbit: Se dit d’une tradition haitienne où des agriculteurs s’entraident pour les travaux des champs.


L’enfant haïtien: entre défis et privilèges

Crédit: osibouake.org
Crédit: osibouake.org

S’il est un point commun entre tous les humains, de tous les âges et de toutes les civilisations ; c’est l’aspiration au bien-être. L’atteinte de cet idéal exige de la volonté, des choix et des actions coordonnées. De la différence de ces choix va naître le nivellement du monde. Les gouvernements responsables l’ont compris et ont élaboré des politiques répondant aux besoins de leurs citoyens. Toutefois, le progrès nécessite un équilibre sans cesse dynamique. L’excellent choix d’hier  épuisera ses bontés et se trouvera être désuet aujourd’hui. Et grâce aux nouvelles lumières qu’offre le développement de la psychologie moderne, on comprend qu’il faut agir sur le commencement, sur la cause. Et pour peu que l’on  se penche sur le citoyen, l’enfance émerge. L’enfance émerge avec ses potentialités, sa durabilité et ses vulnérabilités. Il n’y a pas longtemps que l’on a compris que tout se joue là. Mais combien sont-elles les nations qui rendent optimale la prise en charge de l’enfance ?  Qui respectent et promeuvent leurs Droits ?

Si Haïti ne peut être placée sur le banc des accusés pour l’excision, le travail des mines et le mariage précoce, la situation des Droits de l’Enfant est loin d’être enviable. N’est pas enfant qui veut ! Nombreux obstacles sont à vaincre avant d’accéder à ce statut. D’abord  le manque d’éducation sexuelle devant aider la future mère à planifier sa grossesse et donc éviter les non-désirées sources de frustrations intra-utérines pour l’enfant qui doit naître. Ensuite la difficulté d’accès à des soins de qualité tant en prénatal, en périnatal qu’en post-natal. Si la plupart des héros en devenir arrivent à franchir ces étapes, à la naissance ils se trouvent fort souvent confrontés à l’incapacité de l’Etat de leur fournir un certificat de naissance, donc de reconnaitre leur droit à l’identité. S’ils sont vraiment des élus de la chance et se voient autoriser l’étape suivante, ils seront soumis aux épreuves du conquérant : la jouissance d’une famille biparentale, une nutrition équilibrée et adaptée et une éducation ne les condamnant pas être des abrégés de la société.

À côté de ces préjudices institutionnels, le petit haïtien est exposé aux méfaits de l’amour ignorant. Nous entendons par amour ignorant tout cafard posé sur le nombril du nouveau-né avec la prétention de le protéger contre les sorts maléfiques, tout collier placé sur le thorax de l’enfant malnutri en guise des soins d’un professionnel. En posant ces gestes qui nuisent plus qu’ils aident, les parents précipitent le pas des enfants vers la tombe et décrédibilisent ce qui reste de notre système sanitaire.

L’amour ignorant ne règne pas seul sur la scène des méfaits causés à l’enfant. La force des circonstances malheureuses et l’irresponsabilité parentale se mêlent souvent de la partie. En Haïti existe une catégorie de femmes que l’on m’accordera d’appeler les « Mères-Pères ». Elles sont des servantes abusées, des femmes vulnérables violées, des sous-éduquées, des veuves. Pour subvenir aux besoins primordiaux, la plupart sont parfois contraintes de confier leurs enfants à des familles plus aisées, proches ou lointaines, dans la perspective  d’un bénéfice meilleur. De cent lanternes aperçues, quatre-vingt-dix sont pourtant des vessies. Sans le savoir, en posant ce geste risqué, beaucoup de parents scellent le statut d’esclave moderne de leurs progénitures. Si le phénomène de « Restavèk » commence à être vulgarisé et dénoncé, les mesures de redressement adéquates se font encore attendre. Les briseurs de rêves se pavanent sans s’inquiéter.

Le lecteur averti prend déjà conscience de la précarité de la situation de l’enfant haïtien. Il est venu dans un monde où il n’a pas demandé à y être pour se faire bafouer les Droits. Sa voix est étouffée par le tohu-bohu culturel et les préjugés. Il est parfois témoin et victime de violence. Violence corporelle. Violence psychologique. Violence institutionnelle. On lui donne de la boue et on lui demande d’en faire une écume éblouissante ! Les experts en réhabilitation disent que c’est possible. Les humanitaires promettent d’en donner les moyens. Alors, ils viennent, en complicité avec l’Etat faible, ils donnent et ordonnent. Ils prennent aussi. Ils prennent surtout. Des photos, des organes, la dignité, quelque fois la virginité de ceux qu’on aide, de ceux qu’on défend à chaque fois qu’il faut gagner un emploi.

Pour être honnête, l’enfant haïtien ne connait pas que misères. Dans son champ, il est aussi semé les graines de l’empathie et de la solidarité vraie. Celle qui se dérobe des caméras et de la propagande.

Et à ce sujet, l’on doit saluer les efforts de tous ces organismes qui militent pour la promotion des Droits de l’Enfant, qui vulgarisent les bonnes pratiques et qui facilitent l’accès des jeunes leaders à des formations.

Sous l’impulsion de Diagnostik Group, un fond a été dégagé pour aménager un espace à l’HUEH et le pourvoir en jeux éducatifs. Des travailleurs sociaux de la FASCH accompagnent les enfants dans des exercices de lecture, de peinture et de dessins. Il est rapporté que la collaboration du personnel soignant était déficiente au début. Le fait était nouveau et paraissait peu utile jusqu’à  ce que le petit Cupi – qui ne faisait que ça – cesse de s’arracher les cheveux. Il faisait partie des enfants abandonnés de l’Hopital. Pour exprimer son attachement au programme, il était, tous les matins, au pan de la porte pour accueillir et combler les travailleurs de son affection.

L’amélioration de la condition de l’enfance en Haïti passe nécessairement par une prise de conscience collective. Si les politiques continuent à négliger les enfants parce qu’ils sont non-votants, si la société demeure réfractaire au respect de leur Droit parce qu’ils sont petits et ne peuvent se défendre, le pays ne connaîtra jamais l’amélioration du futur dont ils sont les garants. Comme dirait Victor Hugo : « Seigneur ! Préservez-moi de jamais voir une cage sans oiseaux, une ruche sans abeilles, une maison sans enfant ! »

Valéry MOISE, MD


Aux Héros humiliés

Quand citoyens ordinaires cotoient héros
Crédit: Flickr

« Je suis persuadé que si nous étions toujours sous la tutelle de l’étranger, notre sort, notre condition d’être, aurait été améliorée pour ne pas dire meilleure. (…) L’esclavage était, certes, un lourd faix ; et qu’il fallait s’en défaire… Mais les petites îles d’à côté, qui ont pris leur mal en patience, s’en sont bien tirées d’affaire tout en restant soumises’ » publication Facebook, vendredi 1e janvier 2016.

Il est des opinions qui vous arrachent seulement un hochement d’épaules, d’autres qui vous plongent dans d’intenses réflexions et quelques-unes qui vous déconcertent, déstabilisent et terrassent. La publication retranscrite plus haut fait partie de ces dernières.

Ce n’est point parce que j’ignorais qu’elle pouvait exister, ce n’est même point parce que je sais qu’elle est partagée par une multitude mais c’est surtout qu’elle ait été vulgarisée sur les réseaux sociaux un 1er janvier ! Cette date est celle de la proclamation de l’Indépendance d’Haïti aux Gonaïves. C’est une date sacrée rappelant la réhabilitation du statut de l’homme noir, une date consacrant la victoire du courage sur la tyrannie !

Depuis que la liberté de la parole a épousé le droit aux blasphèmes, je ne m’étonne plus de certaines incontinences verbales qui frisent l’indécence et qui couronnent la bêtise. Si je réagis à cette publication, c’est dans l’unique but de demander pardon au nom de mon frère, chevauché par l’ignorance.

 

Mes Chers Titans,

Vous qui ne pouvez reposer en paix, vous qui recevez chaque jour des crachats au visage pour votre sacrifice, je vous demande pardon. Je vous demande pardon pour ceux qui n’ont pas connu vos châtiments, vos humiliations et vos privations. Ceux qui n’ont jamais été soumis à la fantaisie de la barbarie. Ils ne pourront comprendre le sens de votre don. Je vous demande pardon pour tous ceux qui, du confort de leur salon et derrière leur ordinateur, s’arrogent le droit de vous juger et de vous blâmer. Vous qui avez défié la vie dans les conditions infernales de la traite, vous qui avez défié le soleil sans eau, le froid sans habit, les piquants sans bottes. Vous qui avez affronté le fer, brisé les chaines, rompu les carcans. Vous qui avez osé rêver vivre la condition d’Homme, vous qui avez donné votre sang, votre sueur pour faire pousser l’arbre de la liberté tout en sachant que vous ne goutterez pas son fruit, je vous demande pardon.

Vous n’avez pas fait économie de vos perles. Dans votre dimension universelle, vous les avez répandues, largement, généreusement et les pourceaux ont eu leur part. Maintenant ils se retournent contre vous. Ils vous accusent, ils vous reprochent de ne pas les avoir laissés dans les chaines. De les avoir libérés trop tôt. De les priver des miettes tombant de la table du maitre, du colon. Ils vous accusent de la grandeur de votre héritage. Ils ne veulent pas développer la force de leurs épaules, ils réclament des fardeaux plus légers. Ils réclament l’anonymat, ils réclament l’insignifiance pour vivoter tranquillement. Comme les vers de terre. « Malheur à qui veut être parasite ! Il sera vermine » -Victor Hugo 

 

Mes Chers Titans,

Je vous demande pardon. Je vous demande pardon en leur nom, je vous demande pardon en mon nom propre. Je ne vais plus demeurer complice tacite des outrages de ceux qui ne vous connaissent pas, de ceux qui ne voient que vos doigts quand vous montrez la lune. La liberté sans responsabilité n’existe nulle part et nous tardons encore à nous en convaincre. Vous nous avez fait Sel du monde Noir et la Lumière des nations exploitées et vilipendées, nous avons chuté jusqu’aux abysses des parias et des ingrats. Pardonne-nous. Nous tâcherons d’être encore la pierre de l’Angle.

 

Respectueusement,

Dr Valéry MOISE, citoyen libre grâce à vous !

 


L’énigme du départ

Départ- Immigration
Crédit Photo: Patrick Marione

Avancer dans la stabilité n’est pas le propre de tous. Naître en certains endroits expose à l’éventualité du départ, du déracinement. Non par fantaisie mais par souci de survie. Souci de plonger ses racines dans un sol plus stable, plus riche et donc susceptible d’offrir une sève plus élaborée, un arbre plus en santé, plus utile, plus apprécié. Notons qu’ici ‘’plus apprécié’’ répond davantage à la logique qu’à la réalité. Ce n’est point parce qu’une plante est exotique qu’elle est forcément admirée. Trêve d’images, revenons à l’objet.

Les réalités historiques, géographiques, politiques et sociales se combinent parfois pour pousser l’homme à la perspective du départ. Départ d’une communauté à une autre, d’un département à un autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre et même d’une vie à une autre. D’une vie où il passe de l’Etranger à l’Etrange, de l’Humain à l’Immigré. Car, depuis que les artisans de la terreur ont passé à l’offensive, depuis que la peur est le sentiment le plus partagé, depuis que l’unité exclut la diversité, depuis qu’il représente une menace potentielle face à l’emploi, une menace abominable face à la pureté des races, l’immigré n’a cessé d’être déchu de son humanité. Une humanité que sa communauté d’origine ne lui a pas reconnue et dont certaine (s) terre(s) d’accueil lui refusent la jouissance.

Parler de terre d’accueil évoque inéluctablement l’idée de frontière, d’exil, de séparation ou d’amputation. Et à considérer la grogne des jeunes professionnels haïtiens, la persistance de la crise politique, l’échec de la relève économique et le déchirement social, je crains qu’Haïti ne soit l’objet d’un vaste exercice d’amputation. Amputation du rêve des rêveurs, de l’engagement des engagés, de l’espoir des espérés et, pire, de la citoyenneté des citoyens. Haïti est à ce carrefour décisif où il saigne à blanc et qu’il lui faut du sang frais. 54 potentiels donneurs se sont présentés et se sont tous révélés incompatibles. Jamais, la jeunesse haïtienne n’a été livrée à des perspectives si controversées !nt

L’idée du départ est persistante, pesante chez certains, préoccupante chez la plupart et use la force des résistants. J’avoue que cette lutte ne m’est pas étrangère. Elle fait mon quotidien. Elle m’appartient et m’étreint. J’envisage aussi de partir. Partir sans crainte d’affronter le regard hostile, suspicieux, réprobateur, condescendant. Partir pour pouvoir enfin jouir des services pour lesquels je contribue. Partir pour garantir une meilleure instruction à mes enfants. Mais, à l’objection de ma conscience, je ne partirai pas. Du moins d’un espace à un autre. Je franchirai, par contre, quelques frontières. Du leadership des mots, je passerai au leadership des actes ; de la critique désengagée, je prêcherai par l’exemple ; de l’attitude attentiste, je passerai à la proactivité ; de ceux qui comptent, je passerai au rang de ceux sur qui l’on peut compter.

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr


La prophétie des migrants

Depuis que l’espérance de vie oscille autour de 65 ans pour les plus chanceux, il devient de plus en plus difficile de rencontrer un vrai prophète. Pendant longtemps, je me suis autorisé à penser que le temps était un obstacle majeur sur la voie de ceux qui voudraient lever le voile sur certains mystères et du coup s’approcher de Dieu. La logique était simple ; plus on vit, plus son potentiel d’expérience s’élève, plus on peut anticiper et plus on parvient à déceler l’infime dans l’infini. Et si on admet pour vrai que la vie est cyclique, il serait difficile de nier la potentielle capacité de prédiction de celui qui a longtemps vécu. On dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions. S’il n’y a pas lieu de relativiser l’assertion précédente, et si les dominants continuent à n’entendre que leur propre raison, je crains que les murs des forteresses n’engloutissent leurs occupants.

Le XXIe siècle est sans conteste le siècle de l’image, de la rapidité, de la connexion virtuelle, et surtout du rapprochement géographique. La distance définit de moins en moins l’éloignement. Grâce à la magie de l’Internet, on peut être plus proche de quelqu’un vivant à cent mille lieux qu’on ne puisse l’être de quelqu’un avec qui on cohabite. L’amitié, l’amour, la solidarité, les valeurs ne connaissent plus de frontière. C’est à croire que les délimitations géographiques n’importent plus, que les véritables barrières sont celles qu’on s’érige en soi. Mais c’est un leurre que le cadavre du petit Aylan Kurdi avait vite fait de balayer.

On aurait aimé que les réalités virtuelle et réelle se touchent jusqu’à se confondre. On aurait aimé être aussi heureux qu’on le prétend sur les réseaux sociaux. Avoir 3 000 amis. Recevoir 500 vœux pour son anniversaire. Se prélasser à la plage, passer sa fin de semaine en compagnie de cette belle personne qu’on affiche sur sa photo de profil. Etre expert en tout : politique, sport, culture, économie, médecine. Seulement, la vraie réalité est ce qu’elle est. On naît seul et le défi réside dans l’art de ne pas mourir en même temps que son corps. De ne pas mourir sans avoir connu la dignité. De ne pas mourir sans laisser une part de soi à l’humanité. De ne pas permettre à l’espace entre les deux dates de l’épitaphe de contenir son nom et son œuvre.

La réalité est ce qu’elle est, insistons-nous. Elle permet la polarité du monde. Elle permet qu’on puisse être né du bon ou du mauvais côté de la planète. Elle permet qu’on puisse être migrant ou conquérant, expatrié ou immigré, clandestin ou aventurier, terroriste ou malade mental. Elle permet qu’on puisse avoir mille qualifications pour obtenir un poste ou juste avoir la bonne couleur de peau ou connaître les bonnes personnes. Elle permet que celui-ci travaille une journée pour avoir le pain pour mille ans et celui-là travaille une année pour n’avoir que remords et courbatures. Elle permet que celui-ci soit la dent et celui-là l’herbe.

Mais comme nous l’avons admis plus haut, les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions. Les lois de l’univers sont strictes. La roue tourne et place en dessous ce qui était au-dessus. Le seul moyen de garder la stabilité est de demeurer au centre et de constituer le noyau qui supporte les rayons du cercle. À l’intérieur de l’arche, il serait inintelligent et imprudent de dilapider les ressources de la multitude au profit d’une classe privilégiée. La prophétie que les migrants adressent à ceux que la peur conjuguée de l’étrange et de l’étranger fait rêver d’un monde où l’Autre n’aurait plus sa place, est celle-ci : les passagers mourront tous en mer s’ils s’aventurent à créer des bateaux individuels avec les matériaux de l’Arche.

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr


Le prochain président

Le prochain président d’Haïti succédera au néant. Pas parce que rien n’a été fait, mais parce que tout a été englouti. Du prestige des hautes fonctions jusqu’à l’espoir des plus humbles. Ayiti, quoiqu’ayant l’habitude de flirter avec les plus rudes catastrophes, n’avait jamais atteint ce niveau où l’on s’inquiète, voire éloigne son enfant des récepteurs à chaque fois que le président doit prendre la parole. Nous avons connu la déshumanisation des colonisations, la constipation des dictatures, mais, jamais, incontinence verbale n’a été plus désastreuse que celle dont souffre notre actuel président.

Pour avoir, pendant longtemps, développé un rapport privilégié avec les proverbes, les Haïtiens savaient qu’une source ne pouvait fournir qu’une eau. Cependant en 2011, sous l’emprise probable de l’hébétude qui succède aux grands cataclysmes, le peuple a cru sien un choix qu’il n’avait pas fait et duquel il était raisonnablement impossible d’espérer grand-chose. En fait, ce n’était pas un choix de l’espoir. C’était le juste contraire. Une sanction du désespoir contre la classe politique répugnante et réfractaire au progrès. Le peuple s’était permis d’espérer la fin de la tyrannie avec le départ de quelques tyrans. Cette erreur a été fatale. La bête contenait un venin encore plus toxique et plus concentré dans sa queue !

Le prochain président succédera au néant, disions-nous. Pas parce que rien n’a été fait, mais parce que nous avons accouché et porté au trône un enfant ayant le don rare de désacraliser. Etant fils de paysans, toute ma vie on m’a appris que l’éducation était le meilleur ascenseur social. C’était la seule sainte qu’il m’était donné de vénérer. J’y crois encore en dépit des gymnastiques extraordinaires que déploient le chef d’Etat et ses acolytes pour m’en dissuader. Vous imaginez ma peine et mon indignation quand je constate toute la nauséabonde propagande qui est mise en branle pour faire la promotion contraire! Un pays ne peut pas construire sa jeunesse sur un modèle d’accident, un modèle qui détruit les têtes et qui inverse les valeurs. Ayiti ne trouvera pas la route du progrès en adoptant cette posture du gouvernement à chosifier la femme, imposer l’inculture et la grivoiserie et pire encore élever la corruption et l’improvisation en mode de gouvernance.

Le prochain président succédera au néant, mais devra faire des pas de géant. Son premier devoir sera de rétablir la place de la mission au-dessus du missionnaire. Jamais nous ne nous relèverons si le serviteur se considère plus grand que la cause servie. Ayiti a longtemps nourri des individualités et aujourd’hui, nous avons comme conséquence, des êtres chétifs avec des ego obèses. Ces êtres, pesanteur intellectuelle aidant, freinent tout élan de sauvetage collectif et impriment leur marque rétrograde aux communautés des humbles.

Avec le prochain président doivent revenir l’espoir et la culture de l’effort méritoire. Avec le prochain président doit revenir le président – citoyen. Avec le prochain président doit finir l’ère des narcotrafiquants et de l’impunité. Avec le prochain président doit s’ériger le seul pont qui puisse être tendu vers le progrès sans passer par les révolutions sanglantes: l’Education. Je veux dire la Vraie.

 

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr

 


Haïti : l’art de flotter sur l’abîme !

Parmi ceux qui croient que le hasard n’existe pas, il y a des partisans de la fatalité et des fervents de la causalité. Pour ma part, je ne sais à quoi attribuer ma présence ce soir, sur la place du Cap-Haitien, juste en face de la statue érigée en l’honneur de Jean-Jacques Dessalines. Tout ce dont je suis conscient, c’est qu’entre les deux monuments que sont la Cathédrale et la Statue, j’ai délibérément choisi de tourner ma face vers le Fondateur de la patrie. Du haut de son piédestal, l’effigie de Dessalines, éclairée par deux projecteurs, me domine et cache mal un voile de poussière témoignant de l’insalubrité grandissante de la ville. Ce voile de poussière est un élément à la fois réel et symbolique qui me rappelle la vanité de la vie et le drame de la politique en Haïti.

 

Ils ne sont que trop nombreux ceux qui aspirent à prendre les rênes du pouvoir. La plupart le conçoivent sans responsabilité et beaucoup sont déjà impatients d’en jouir les privilèges. Pour peu qu’on y prête attention, on se rend compte qu’il y a plus de photos que de candidats, plus de candidats que de partis, plus de partis que d’idéologies, plus d’idéologies que de programmes et plus de programmes que de contenus. Une fois de plus, une fois de trop, les votants ne vont devoir choisir qu’entre le pire et le mauvais. Ici et là, c’est la même mascarade, la même inconscience, le même manque de substance et, qu’on ne me tienne pas rigueur sur ce point, les mêmes troubles mentaux.

 

La période préélectorale a l’avantage de révéler notre mal profond. Nous sommes un peuple de résignés, de complices et d’amnésiques qui se fait diriger par des fous. Qui s’occupe de la santé mentale de nos gouvernants ? Combien parmi eux souffrent de schizophrénie, de paranoïa, de psychose maniaco-dépressive?

 

Récemment, sous l’influence probable des substances qui l’ont aidé à passer toute sa vie en marge de la dignité, le premier citoyen du pays a vociféré des insanités, dont seul, il détient l’exclusivité. Tout le monde est alors monté au créneau pour crier au scandale et le monde virtuel fut le théâtre d’une immense vague d’indignation. Les offusqués, hier favorables au règne de la sans vergogne, ont préféré taire la question de la santé mentale du résident et son inaptitude à diriger. Et comme pour porter au comble l’indécence, il s’en est pris,  il y a moins d’une semaine, à une brave femme, authentique fille de Dessalines, qui avait osé questionner son bilan cosmétique. À une question qui sollicitait intelligence et bon sens, il a répondu par tout ce qu’il a et qui a constitué la trame de toute sa vie : la référence sexuelle.

 

Avec les violeurs, les géniteurs irresponsables et les valeurs culturelles négatives, il n’a jamais été facile d’être femme en Haïti. Il a toujours eu de ces fumiers, de ces scélérats qui pensent pouvoir empoisonner, de leurs baves vénéneuses, la vie de celles qui constituent le moteur et le noyau de notre terre.

 

Cette éclipse de la raison et de la compétence nous fait voir combien nous planons sur l’abîme et combien il est important de briser ce cycle. Le dieu que nous avons créé à notre image et à notre ressemblance,  qui n’agrée  que les requêtes présentées avec des billets de mille gourdes, ne nous sera d’aucune utilité. Le vaudou-sorcellerie non plus. Nous devons arrêter de vendre nos votes ! Il nous faut  parier sur le long terme et cesser de nous prosterner face aux exigences de la survie quotidienne. L’héroïsme maintenant requiert une autre approche axée sur la prise de risques pour la création de richesse et le bannissement du décrochage scolaire. Et par-dessus tout, nous devons nous efforcer de cultiver le respect de l’autre, même ceux qui avancent à reculons dans le règne animal.

 

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr


Dieu entend-il les Noirs et les pauvres ?

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux les affligés, car ils seront consolés[1].  Ces mots prononcés il y a plus de deux mille ans doivent résonner différemment dans l’oreille du miséreux et du privilégié.  Pour le premier, il doit s’agir d’une assurance et d’une promesse qui rendent le fardeau quotidien moins lourd, pour le second, une blague transpirant l’hérésie, de la poudre aux yeux, un opium pour le vulgaire. Mais qu’importe qui aurait tort ou raison, notre démarche sera surtout orientée vers une tentative de compréhension conjoncturelle de cette citation et les limites des vérités qu’elle recèlerait.

Le peuple haïtien est connu pour plusieurs choses ; son épique histoire, sa riche culture, ses drames à répétition et notamment sa résilience. Depuis le séisme du 12 janvier 2010, le mot « résilience » vole la vedette à tout le reste. À dire vrai, si l’orthographe ne change pas, la signification, elle, varie en fonction de chaque bouche qui la prononce, de chaque stylo qui l’écrit. Quand un haïtien en fait usage, on a tendance à entendre « résignation », parti d’un étranger, on se demande la plupart du temps si cela veut dire incapacité à exiger le meilleur ou inclination trop facile à s’accommoder au pire. Aussi, doit-on reconnaitre que le rapport de l’Haïtien avec les divinités est à la base de cette flexibilité, de ce renouvellement qui étonne, de cette force mentale qui intrigue. En Haïti, la place de Dieu est partout et sa raison explique tout.

Loin de nous verser dans des considérations blasphématoires, nous nous permettons, en fonction de la tuerie survenue à  l’église de Charleston et des déboires de la race noire en général, de questionner la place de Dieu dans les affaires de l’Homme. A-t-il sa main ou sa permission derrière chaque évènement qui se produit ou ignorons-nous les lois naturelles qui régissent la marche de l’univers ? Favorise-t-il une race par rapport à une autre ou le soleil luit effectivement pour tous ? A-t-il vraiment une préférence pour les miséreux ou invite-t-il tous à la perfection et à l’abondance ?

L’histoire regorge de mythe et de dieux déchus. À travers le monde, la science et la technologie empiètent de plus en plus sur le territoire sacré des dieux. En Haïti, en même temps que la misère, les vendeurs de salut pullulent. Qu’ils se nomment pasteurs, prêtres, hougans ou politiciens, la stratégie est la même : utiliser l’ignorance pour offrir vessie pour lanterne. On annihile l’effort et le temps, on promeut le miracle. À la faveur du miracle, on s’attend à ce qu’un chanteur conduise un pays malade sur la voie du progrès, qu’une éducation indéfinie et boiteuse produise des citoyens engagés,  qu’un pays sans électricité s’ouvre aux affaires, qu’un concert de gangsters ramène des touristes.

Des centaines de milliers d’haïtiens et de dominicains d’origine haïtienne vont être chassés de la République Dominicaine pour être déversés en Haïti. Leurs principaux crimes sont d’être noirs et de n’être pas nés dans un pays habité par une nation, de ne pas faire partie d’un peuple comprenant la nécessité de fraterniser, de se former et de travailler pour vivre dans la dignité. L’haïtien a besoin de faire sien le secret de rompre la coquille sans rendre le fruit inutilisable. Heureux les affligés car ils seront consolés ! Quand et par Qui ? La réponse est simple : Ils connaîtront la vérité et la vérité les affranchira !

 

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr

 

[1] Matthieu 5: 3-4, Bible, Louis Segond


Quel est le prix d’une vie à Port-au-Prince?

J’aurais aimé pouvoir épargner le jeune orphelin, la nouvelle veuve, la mère éplorée des épines de cette question. Car, je sais par expérience que le silence se révèle être souvent le meilleur interprète des douleurs extrêmes. Le sensé ne s’attend pas à se voir offrir un sourire spontané et vrai quand il interroge un boiteux sans béquilles et un aveugle sans bâton sur leur qualité de vie. Il est possible d’imaginer les déboires d’un poisson privé de son océan.

 

Qu’on ne s’en méprenne! Je saisis très bien la différence entre le prix et la valeur d’une vie. Dans ce contexte précis, j’avoue choisir délibérément l’usage du mot ‘’ prix ‘’ préférablement au mot ‘’valeur ». Vous vous demandez sans doute où je veux en venir; la réponse ne saura tarder.

 

Depuis un certain temps, temps qui n’est pas si récent évidemment, on assiste à une banalisation de la violence en Haïti. L’existence tient de plus en plus aux caprices des bandits. Dans la capitale, on meurt par jalousie, par haine et même par erreur. Il arrive que, par inattention et nonchalance,  un truand se trompe de cible et expédie un non concerné dans l’au-delà. Emportant du même coup: avenir, rêves et espoir d’une famille entière.

 

Nous sommes loin de nous prêter à la propagation de la mauvaise image dont Haïti est trop souvent victime. Il s’agit ici de ne pas taire un phénomène qui nous préoccupe, nous effraie et nous interpelle. À la veille des éventuelles élections,  nous assistons avec consternation à une recrudescence des actes de banditisme. Beaucoup d’acteurs se présentent comme des apôtres de paix mais la plupart ne règlent leurs comptes que dans le sang. Une seule loi semble avoir la prédominance : la loi de la jungle!

 

Ce climat de terreur offre cependant l’opportunité de faire un diagnostic de notre société. Il pourrait même être vu comme une expression de détresse du peuple haïtien en général. Qu’on se l’admette, l’usage de la violence est le plus souvent l’apanage de ceux à qui manquent d’arguments et de bon sens, de ceux qui contraignent pour convaincre, de ceux entre les mains de qui on a enlevé une plume pour placer une arme, de ceux qu’on presse à penser par l’intestin et de ceux à qui l’on présente banalité comme laïcité.

 

L’homme a besoin de s’élever jusqu’à Dieu pour être pleinement humain. La vie a besoin d’être sacralisée avant d’être conservée. Quand nous permettons à des individus d’exister et de vivoter en dessous des seuils de la dignité, nous créons par la même occasion les conditions pour qu’ils posent des actes au-dessus de l’horrible. Ce n’est pas excuser l’inexcusable que de reconnaître qu’il est vain d’espérer des comportements civilisés d’un être déshumanisé. Les gouvernements s’autorisent à faillir à leur mission et oublient que la violence structurelle est mère de violence physique. Ils sont donc tenus de se rappeler que la démocratie sans l’éducation de qualité est un leurre, la paix sans la justice une illusion, la tolérance sans la prospérité collective une chimère et la morale sans Dieu, le chaos. « Quand les cierges de l’autel s’éteindront, on verra s’allumer les torches de la conflagration universelle « .[1]

 

Dr Valéry Moise

lyvera7@yahoo.fr

[1] Citation d’Eliphas Levi

Credit photo: Watson Haiti


Haïti : cette forme d’esclavage maintenue par les anciens colonisés

Il y avait ce bruit assourdissant qui constituait, depuis l’avènement de la nouvelle démocratie, une forme d’incitation à l’achat. Ce jour-là aussi, les décibels partant de la boutique d’en face m’obligèrent à me rendre jusqu’au coin de la rue pour répondre à un appel téléphonique. La conversation étant terminée, je raccrochai.

W’ap achte mesye[1] ? Me demanda une voix teintée d’innocence. Je me suis alors tourné vers l’enfant-marchand, j’ai souri et exprimé, avec gentillesse, mon désintérêt ponctuel à acheter les bonbons à base de menthe qu’elle offrait.

Elle me rétorqua alors « Achte kanmenm, menm si w pa bezwen l, ou sanble gen mwayen e m’ anvi retounen lakay mwen [2]». Je ne me suis pas fait supplier, je suis revenu à la maison, j’ai tiré un billet de mon portefeuille et j’ai acheté ses sucreries que j’allais distribuer à certains jeunes du quartier. La fille-marchande ambulante est maintenant partie. Cependant,  sa voix, ses yeux, ses haillons et sa persévérance restaient. Pour utiliser une image propre à ce contexte, je dirais que mon esprit était colonisé. J’étais impressionné par l’intelligence dont la fille a fait preuve durant notre court échange. Elle me sembla douée.

Cette rencontre m’avait particulièrement bouleversé. Outre mes préoccupations par rapport au non-respect des droits de cette enfant, je m’interrogeais sur les causes et les conséquences de sa situation. Une situation à la fois triste et révoltante. Je me suis alors promis de me pencher plus profondément sur ce dossier et de voir avec les autres membres de Diagnostik Group comment adresser ces sévices dignes d’un Moyen Âge obscur. Quelques jours plus tard, mes obligations quotidiennes avaient réussi à me distraire. J’étais en train d’expérimenter ce qui arrive souvent aux ONG spécialisées dans les réponses d’urgence. Cette urgence était devenue chronique et il y avait d’autres plus pressantes à gérer. Les projecteurs étaient alors tournés, jusqu’à ce qu’un jour, quelqu’un frappe à ma porte. Ma sœur m’avertit qu’une fillette demandait à me voir. Quand je me suis présenté, la fille-marchande ambulante était là, sollicitant la même faveur de la dernière fois.

Alerté par quelques cicatrices sur sa peau, je me suis alors permis de creuser un peu plus sur ses conditions de vie. Sans surprise, mais avec la mort dans l’âme, j’ai appris qu’elle est régulièrement battue par la tante qui est censée assurer sa garde. Son père n’est qu’un géniteur et sa mère vit à Port-au-Prince depuis trois ans. Pas une fois, sa tante ne lui a laissé l’occasion de parler à sa mère durant ces trois années : c’est sa politique d’isolement et de non-redevance. Elle me confia être renvoyée de l’école tous les vendredis pour n’avoir pas le maillot de 400 gourdes[3] exigé par la direction. Elle est la plus jeune de la maison et pourtant, elle assure une fonction de couche-tard, lève-tôt.

Quand elle a la maladresse de profiter des 4 heures du matin dans ce qui lui tient lieu de lit, elle est sévèrement réprimandée et battue. Lorsque la préparation des bonbons laisse du sucre sur le sol, c’est sa responsabilité de s’en débarrasser. Elle est soumise aux traitements les plus amers pour assurer la durabilité de cette entreprise de sucrerie. Ne pas réussir à vendre complètement sa marchandise équivaut à une séance de bastonnade dont l’intensité varie d’atroce à innommable. Voilà à quelle existence macabre est livrée une fille de la République régénératrice de la liberté des Noirs d’Amérique !

À travers la narration de ce drame, je ne tiens surtout pas à souligner la méchanceté de la tante, ni même l’irresponsabilité et la négligence fortement condamnable de la mère, qui n’insiste jamais pour parler directement à sa fille. Je suis plutôt abasourdi par cette jeune vie gâchée, cette potentielle étoile tuée dans sa période de gestation, ce cycle de violence qu’on installe dans ce cœur pourtant bouillonnant d’innocence. Je crains que 10 ans plus tard, cette fille devenant mère n’inflige à sa progéniture le même traitement dont elle a été victime. Elle aura donné ce qu’elle avait reçu ! Toute son enfance, elle a été traitée en canard, n’attendons pas qu’elle se comporte en poisson face aux vagues de la vie. Mon cœur se froisse à l’idée que cette maltraitance, cette sous-alimentation et ces cours chômés constituent le terrain le plus fertile pour le renouvellement de ce cycle de misère.

Je n’appelle pas à la responsabilité de l’État, je n’appelle pas non plus à la vocation de l’Église et de la famille, encore moins à l’engagement de la société civile, j’appelle seulement à la conscience humaine, s’il en existe encore !

Dr Valéry Moise, lyvera7@yahoo.fr

[1] Veux-tu acheter monsieur?

[2] Achète même quand tu n’en aurais pas besoin, tu sembles avoir les moyens et j’ai besoin de rentrer

[3] Moins de US  $10


Regardez-vous messieurs, vous êtes laids !

Je suis bouleversé. Perplexe. Les questions m’assaillent de toutes parts, m’enlevant même mon stoïcisme. Je m’inquiète pour mon pays, je m’inquiète pour l’avenir du peuple auquel j’appartiens. J’aurais voulu être optimiste. Répandre de l’énergie positive. Mais pour une fois, je me permets d’accorder une certaine liberté d’expression à ma faiblesse. Peut-être, ai-je besoin de plus d’humanité, que dis-je de plus d’humilité pour comprendre ces faits qui dérangent, révoltent et obligent à se tourner vers soi-même.

Que l’on se penche sur l’histoire récente ou ancienne, le tableau demeure inchangé. Extrême misère de la majorité rurale et paysanne, privilège honteux d’une certaine classe, pullulation d’un grand nombre d’espèces-parasites échangeant dignité pour une certaine sécurité et l’assassinat des voix dérangeant la cacophonie. Un seul élément semble obéir au mouvement et au changement : le visage des acteurs. De ce côté-là, la moisson est toujours abondante. Mille bouches se déchirent et se bousculent pour reprendre un seul refrain. Cependant, les problèmes de la dégradation de l’environnement, de l’accès à l’eau potable, de la disponibilité des crédits agricoles, de l’inadéquation de l’éducation, du rachitisme de l’économie, de l’effectivité de l’état de droit et du renforcement de la santé maternelle et infantile restent indétrônés. On serait même tenté de croire qu’ils sont des constantes dont le rôle principal est de favoriser les discours démagogiques faisant appel uniquement à l’émotivité, aux approches binaires Moir-mulâtre, gouvernement-opposition, paysan-citadin, lettré-illettré, pauvre-riche, exploiteur-exploité.

Chers messieurs, vous qui avez déjà la gorge chaude et les gâchettes impatientes, vous êtes pathétiques. Vous qui vous aventurez déjà sur les voies où sont tombés les ancêtres impliqués dans des luttes fratricides, vous êtes nuls. Vous qui pensez pouvoir changer le pays à coup de slogans, vous êtes sots. Vous qui rêvez de prendre le pouvoir pour vous enrichir, vous êtes pitoyables. Vous qui les citez sans les comprendre et demeurez imperméables aux idéaux de Dessalines et de Pétion, vous êtes laids.

Le pays a, plus que jamais, besoin de fils dignes et compétents. De fils ayant déjà accompli leur devoir de connaître leur histoire et d’en déceler chaque piège l’empêchant d’accéder jusqu’ici au progrès. De fils capables de s’élever à la hauteur de ce qu’exprime le mot Quisqueya. De fils qui ne prennent les armes que pour sauver l’honneur de la patrie et qui ne tirent que lorsqu’ils sont sûrs que la potentielle victime ne porte en elle aucun germe de citoyen.

Dr Valéry Moise, lyvera7@yahoo.fr


Quand de faux médecins asphyxient un comateux !

Jamais auparavant offre d’emploi n’a eu pareil succès ! 192 postulants. Tous convaincus d’être le prochain favori de la chance. Du moins d’un choix dicté par le désespoir et la révolte. Un choix de déni de la compétence. Un choix pour rendre hommage à la bêtise charmeuse. À dire vrai, pour respecter les principes d’une règle, il y a certaines exceptions. Parmi les chômeurs, les sans-métiers et les employés de la facilité, on pourra dénombrer quelques illuminés qui se croient investis d’une mission divine, quelques rêveurs, quelques rudes travailleurs réellement dédiés à la cause commune et quelques citoyens engagés et conscients que la relève d’Haïti passe nécessairement par les Haïtiens. Je me réjouis surtout de la participation de ces deux dernières catégories qui constituent, quasiment, une espèce en voie d’extinction. C’est vers eux aussi que se dirige ma compassion !

Je leur adresse ma sympathie parce qu’au rythme où vont les choses, ce sont les électeurs qui vont être élus. La démocratie haïtienne s’inverse et s’émancipe. Bientôt on ne comptera que des politiciens. On n’aura que faire de l’éducation, de l’histoire, de la création de richesse, de l’environnement et de la santé. Ces sphères seront réservées aux idiots qui n’auront pas compris qu’il existe une voie rapide et sûre pour l’impunité, l’enrichissement illicite et la jouissance irresponsable de l’argent des contribuables qui suent amèrement pour le gagner dans des conditions respectables. Cependant, l’on doit reconnaître que cette ruée de vautours sert au moins à quelque chose. Elle  permet un réveil de la conscience citoyenne. Elle renseigne sur l’état de faiblesse et de putréfaction de notre patrie. Une patrie qui se meurt. Une vache qu’on ne cesse de traire et qui ne fournit que du sang. Une terre extraordinairement riche ayant la malchance d’être habitée par trop de bouches qui vocifèrent et fort peu de têtes qui pensent.

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Ces cancres heureux et arrogants qui certainement vont se constituer en idéologie politique ne comprennent pas encore qu’on ne réfléchit pas à partir de rien et que personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. Quand ils parviendront à saisir ce minimum, il leur sera alors évident  qu’on se donne d’abord les moyens de sa politique avant de se lancer en politique active. La relève d’Ayiti passe obligatoirement par le renforcement des capacités des femmes, des jeunes, des paysans, la réforme de l’éducation, la réhabilitation de l’histoire, la promotion de l’engagement citoyen, la sensibilisation environnementale, l’entrepreneuriat et la rentabilisation de nos patrimoines matériels et immatériels.

Le manque d’audace et d’implication des gens compétents et honnêtes a pavé la voie au succès des  abrutis. Les conditions ont été créées pour établir l’enfer, il fallait s’attendre à ce que des démons y élisent domicile. Aujourd’hui, la responsabilité est commune et partagée. Il faut empêcher que cette populace de faux médecins tue le malade par asphyxie et incompétence.

 

Dr Valéry Moise, lyvera7@yahoo.fr