Fotso Fonkam

« Open Defecation », la campagne qui s’est arrêtée trop vite…

Tout à l’heure en cherchant des informations pour un article, je suis tombé sur une campagne baptisée #OpenDefecation initiée par l’ONU en 2014 pour sensibiliser sur la réalité de la défécation en plein air. J’ai essayé d’en savoir plus, et les quelques données publiées dans l’article étaient effrayantes : un enfant meurt toutes les deux minutes et demie d’une maladie liée à la défécation en plein air ; 1 milliard de personnes n’ont pas d’autre choix que de déféquer en plein air, à la vue d’autres personnes. Plutôt alarmant comme données.

La première fois que j’ai été confronté au phénomène de défécation en plein air, c’était en 2010 alors que j’allais prendre service à Maroua où je venais d’être affecté. La première escale du voyage était à Ngaoundéré, dans la région de l’Adamaoua. Tandis que j’attendais le départ pour Maroua et que je cherchais un truc à manger après le long voyage que je venais de faire, je suis passé près d’un endroit où des jeunes hommes étaient accroupis, sereinement, en train de déféquer – je ne l’ai réalisé que lorsque l’un d’entre eux s’est levé.

Arrivé à Maroua, ce n’était pas différent, au contraire. On voyait régulièrement enfants et adultes (surtout les hommes), sortir de chez eux et venir tranquillement s’accroupir sous un arbre en plein air pour se soulager, sans se préoccuper des regards. Un collègue m’a raconté qu’un jour alors qu’il était en cours, un homme est venu s’accroupir juste derrière sa classe. Le collègue a alors rameuté toute la classe qui a hué le monsieur jusqu’à ce qu’il décide de s’éloigner, honteux.

Avec le temps, et peut-être à cause de la présence de plus en plus importante de « sudistes », il est devenu beaucoup plus rare de voir des gens déféquer en plein air – même s’il n’était pas rare de trouver les « traces » de leur passage ici et là, sous un arbre ou bien dans la broussaille.

Je n’avais plus été confronté à ce phénomène jusqu’à il y a peu. Mais cette fois, c’était pire. Depuis quelques mois, j’habite à quelques mètres d’un établissement primaire public. Tout près de l’établissement, deux amas d’immondices où les populations, faute de mieux, viennent déverser leurs ordures ménagères. C’est aussi sur ces ordures que viennent se soulager écoliers et écolières de l’école primaire, l’école manquant de toilettes pour les élèves.

Le plus étonnant dans tout ceci, c’est que la délégation départementale de l’éducation de base du Nyong et So’o est située juste à côté de l’école, et elle possède des toilettes qui sont toujours fermées à clé ! Ces toilettes sont donc inaccessibles aux élèves qui sont obligés de se soulager sur les détritus, avec tous les risques potentiels que cela peut avoir sur leur santé.

Le problème de non disponibilité de toilettes pour les élèves dans les établissements scolaires est crucial. Cette infrastructure, malgré son importance, semble être facultative dans la conception de beaucoup de d’établissement. Pourtant, de études montrent que l’absence de toilettes a un impact négatif sur l’éducation en général, et sur l’éducation des jeunes filles en particulier.

L’absence de toilettes ou de latrines a des conséquences inimaginables. En plus des nombreux décès (près de 2.000 enfants par jour selon les chiffres de 2014) dus aux maladies liées à la défécation en plein air, il y a les cas décrochage scolaire. « L’UNICEF estime même que 272 millions de journées d’école sont perdues à cause de la diarrhée », lit-on dans un article publié en 2014 sur le site reliefweb.int.

Les jeunes filles souffrent encore plus de cette absence de latrines dans les établissements scolaires : « le manque de toilettes privées dans les écoles est l’une des principales raisons pour lesquelles les filles abandonnent leurs études une fois la puberté atteinte ».

L’absence de toilettes aurait également des effets sur la croissance des enfants. En Inde (le pays où la défécation en plein air est le plus pratiquée), 2 enfants sur 5 de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance. La cause, selon un article publié en 2016 sur le site Thomson Reuters Foundation News, c’est que la défécation en plein air augmente les risques de contamination de l’eau, dont la consommation cause les diarrhées qui elles-mêmes entraînent le retard de croissance, tout en perturbant les études des enfants qui en souffrent.

Des enfants de 8 et 9 ans en Inde dont la taille est clairement en dessous de la normale – Photo : WaterAid/Ronny Sen

En Afrique aussi, les retards de croissance sont nombreux et le phénomène de défécation en plein air récurrent, 60% de la population n’ayant pas accès à des toilettes décentes. Au Nigeria par exemple, plus de 10 millions d’enfants en souffrent. Et, bien évidemment, la défécation en plein air y est pratiquée.

Selon les informations glanées sur internet, dans le cadre de la campagne #OpenDefecation, plusieurs actions ont été menées dans différents parties du monde pour doter des villages en toilettes et ainsi contribuer à réduire les effets négatifs dûs à leur absence. Malheureusement, la campagne semble aujourd’hui arrêtée : le site internet de la campagne est inaccessible, et le compte twitter dédié semble inactif depuis 2016. Une campagne que l’on gagnerait à relancer, vu les conditions d’insalubrité dans lesquelles une grande partie de la population mondiale vit.


Accès à l’emploi : les jeunes peuvent tout faire, et c’est ça le problème

Comme chaque année, la fête du travail s’est célébrée cette année le 1er mai, quasiment partout dans le monde. Au Cameroun, la fête n’a pas eu l’envergure qu’on aurait pu imaginer, et pour cause : le travail est une denrée rare, et ceux qui parviennent à en avoir un ne l’exercent pas toujours dans les meilleurs conditions. L’un des principaux problèmes auquel les jeunes sont confrontés au Cameroun, c’est l’absence de qualification.

« Je peux tout faire »

En général, les jeunes camerounais sont de vrais débrouillards. Ils vous le diront eux-mêmes, ils peuvent tout faire – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de préférence en termes d’emploi. Le problème, c’est que pour trouver un emploi il ne faut pas « pouvoir » tout faire, il faut au contraire « savoir » faire, bien, une seule chose. En un mot, il faut avoir une formation, être qualifié, dans un domaine bien précis. C’est ça qui a de la valeur sur le marché de l’emploi.

La formation que les jeunes camerounais reçoivent à l’école – précisément dans l’enseignement général – ne les aide malheureusement pas à acquérir des compétences précises, et donc à se trouver un emploi qualifié, sans être prêt à tout faire justement. Mais, malgré les promesses de professionnalisation des enseignements et l’introduction de l’approche par les compétences, il n’y a presque pas eu de changement dans les contenus, ce qui fait que le problème reste entier.

Les formations inaccessibles

À cause de l’inadéquation de la formation que les jeunes reçoivent du primaire au secondaire (et, le comble,  parfois même au supérieur) vis à vis du marché de l’emploi, le seul moyen de se former pour un jeune c’est d’intégrer une « école de formation », ce qui n’est pas aisé : non seulement ces grandes écoles sont concentrées dans les centres urbains, mais en plus elles coûtent très cher.

L’autre aspect à prendre en compte, c’est le fait que beaucoup d’élèves sont contraints de quitter les bancs de l’école avant d’avoir fini leur cursus au secondaire. Cela réduit fortement leurs chances d’entrer dans les écoles de formation (quand bien même ils pourraient payer les frais y afférents) dont l’accès est parfois conditionné à la possession de certains diplômes.

Plusieurs initiatives sans impact réel

En plus du Fonds National de l’Emploi (FNE) qui essaie d’insérer les jeunes dans le monde de l’emploi, il existe d’autres initiatives telles que le Programme Intégré d’Appui aux Acteurs du Secteur Informel (PIAASI) ou le Programme d’Appui à la Jeunesse Rurale et Urbaine (PAJER-U) lancées par le gouvernement Camerounais, en plus du très récent Plan Triennal Spécial Jeunes (PTS-Jeunes) dont nous avons déjà parlé.

À l’exception du FNE, les trois autres programmes ont pour but principal d’accompagner les jeunes en finançant leurs projets. Mais, monter un projet, cela s’apprend. Et, malheureusement, c’est  une compétence qui, elle aussi, n’a pas été enseignée à nos jeunes. En conséquence, les projets financés sont mal pensés et mal ficelés. Ces programmes n’aident donc pas les jeunes à émerger.

Former les jeunes dans les lycées

En révisant les programmes et surtout les contenus, il est tout à fait possible de donner une formation professionnelle aux jeunes dès le secondaire. Cette formation peut concerner un seul aspect, par exemple, la gestion des projets, ou alors le développement web, et pourquoi pas des domaines plus pointus comme l’agriculture, l’élevage. Cela permettrait non seulement que les jeunes puissent plus facilement s’auto-employer en cas de décrochage scolaire, mais aussi qu’ils soient capables de profiter pleinement des programmes mis sur pied pour faciliter leur insertion, en attendant que des lycées professionnels, comme le lycée technique et professionnel de Yabassi, se multiplient sur toute l’étendue du territoire.

Photo d’illustration : Les Eco


Comment faire de la politique sans se mettre en « danger »

Au Cameroun, la politique est un domaine qui n’attire pas (plus ?) les foules, et ce pour diverses raisons. Certains trouvent que le jeu politique est un jeu de dupes où chacun ne roule que pour son ventre, sacrifiant de facto l’intérêt commun, tandis que pour d’autres, faire  de la politique c’est s’attirer des ennuis avec le pouvoir en place. Pourtant, faire de la politique devrait être un réflexe pour tout citoyen qui désire contribuer au développement du pays. En fait, qu’on le veuille ou non, on fait tous la politique, juste que certains la font de façon active tandis que d’autres la subissent passivement. Pour la plupart des Camerounais, la politique est une activité dangereuse dont il faut s’éloigner le plus possible. Il existe cependant plusieurs façons de faire de la politique, plus ou moins activement, sans chercher d’ennuis et sans prendre aucun risque.

Voici quelques suggestions pour y parvenir :

S’informer

Il fut une époque où j’estimais que c’était aux politiciens de venir vers moi pour me parler de leurs programmes, ambitions et réalisations politiques. J’avais tort.

L’information c’est le pouvoir. Et quand on n’est pas informé on est impuissant car on ne peut pas vraiment réagir de façon objective et judicieuse à certaines situations – par exemple au moment de choisir le prochain président de la république. La plupart des compatriotes pensent que le seul programme politique de l’opposition camerounaise c’est « Biya must go » (Biya doit partir). C’est faux.

Je ne dis pas que ces formations ont des programmes plus intéressants ou mieux élaborés que celui du parti au pouvoir (chacun se fera son avis), mais le fait est qu’ils ont des programmes et que ces programmes-là sont pour la plupart accessibles en ligne.

Le premier pas en politique comme dans presque tous les domaines, c’est l’information.

Et ça ne se limite pas seulement aux informations relatives aux leaders de l’opposition – on ne fait pas la politique seulement en période électorale. S’informer sur les actions gouvernementales en cours, recueillir des informations sur les projets initiés dans la commune où on vit, chercher les noms des députés, des conseillers municipaux, les maires etc., c’est déjà faire de la politique !

Savoir quel est le taux d’endettement du pays, le taux de chômage et de sous-emploi, c’est également faire de la politique. L’information est d’ailleurs ce qui manque le plus aux Camerounais qui, pour certains, se contentent de vivre leur vie sans se soucier du reste, comme s’ils étaient des étrangers dans leur propre pays.

Informer

Parler de politique fait peur quand on ne sait pas qui on a en face de soi. Ça peut bien être un indic qui nous fera mettre dans la liste des personnes à surveiller si on parle mal du régime ou du président. Soit…

Mais, on peut bien parler de politique sans mentionner le nom du chef de l’État, ou bien de ses ministres.

Personne ne vous emprisonnera si vous informez votre entourage sur les articles du Code Pénal. Personne ne portera plainte contre vous si vous parlez de la répartition du budget 2018. C’est une information qui est disponible un peu partout, notamment sur les sites gouvernementaux, et en parler autour de vous n’est pas un crime. Idem pour le taux d’endettement du Cameroun, pour les dates des prochaines échéances électorales ou pour le rôle de l’assemblée nationale.

Faire de la politique c’est se sentir concerné par la vie de la cité, c’est se positionner comme citoyen parmi d’autres citoyens. On peut participer à la vie politique du pays en relayant ou en commentant l’information à caractère politique. Bien sûr, le préalable pour pouvoir informer, c’est d’être soi-même bien informé.

Demander des comptes

C’est le droit de chaque citoyen de demander des comptes à ceux qui ont la charge de gérer les affaires du pays, de la région, de la commune.

Il y a un aspect qui semble échapper à certains compatriotes : le Cameroun n’est pas la propriété de certaines personnes, encore moins les caisses publiques ou bien les ressources et richesses naturelles du pays. Il est du devoir de chacun d’entre nous de savoir comment tout cela est géré. Et c’est impossible de le faire si on n’est pas informé au préalable.

Plusieurs projets ont été lancé récemment au Cameroun, à quel niveau d’exécution sont-ils aujourd’hui ? Quel est leur impact réel, quelles sont les retombées sur les populations cibles ? C’est l’évaluation de ces projets et la reddition des comptes qui permettent l’avancée réelle des choses dans un pays.

On a vu plusieurs projets lancés, mais jamais terminés ou alors terminés mais sans l’impact escompté, le tout sous l’indifférence totale des populations qui vaquent paisiblement à leurs occupations (quand elles en ont).

La politique c’est la gestion de la cité, et les populations sont (censées être) les bénéficiaires de cette gestion. C’est pour cela qu’il est de leur devoir de s’assurer que la gestion soit faite de façon à améliorer leur quotidien et leurs conditions de vie.

Voter

Le vote est, selon moi, le moyen ultime d’expression politique. Il permet au citoyen d’approuver ou de sanctionner. Il permet de répondre à ceux à qui le citoyen a accordé sa confiance, en leur renouvelant ou en leur retirant cette confiance.

Les Camerounais s’inscrivent de moins en moins sur les listes électorales et participent encore moins aux scrutins. Les chiffres le démontrent. Lors du dernier scrutin présidentiel qui s’est tenu il y a sept ans (soit en 2011), le nombre d’inscrits tournait autour de 7,1 millions. Sept ans plus tard, ce chiffre est loin d’être atteint. Les chiffres au 31 août 2017 (date de clôture des inscriptions pour l’année 2017), annonçaient environ 6,5 millions d’inscrits. Quand on sait que la moyenne d’inscriptions annuelles est de 400.000 (déjà 169.015 inscrits entre le 2 janvier et le 23 mars) et que, après la période des inscriptions on procèdera au toilettage des listes, il y a fort à parier qu’on se retrouvera loin en dessous de 7 millions d’inscrits.

Les raisons de la nonchalance à s’inscrire sur les listes électorales et la réticence à voter sont multiples et variées, mais il n’en demeure pas moins vrai que ne pas s’inscrire sur les listes et/ou ne pas voter n’aide pas. Voter c’est faire la politique, et personne n’a jamais été inquiété pour avoir participé à un vote. En plus, il existe le vote blanc pour ceux qui n’ont aucune préférence. Le vote blanc reste et demeure une façon valable et valide de se faire entendre.

Rappelons que pour voter utile, il faut évidemment être informé sur les activités et le projet de société des différents candidats au scrutin, ainsi que sur leur parcours, car l’information est primordiale à toutes les étapes.

La politique omniprésente

La politique est présente dans les activités quotidiennes des citoyens, et prétendre ne pas s’en mêler c’est simplement se tromper. Faire de la politique c’est tout simplement participer à la gestion de la chose publique. Et il n’existe aucun moyen d’y échapper. Le simple fait de payer ses impôts, d’acheter des timbres, de se faire établir une carte d’identité, etc. est déjà une façon de participer à la gestion du pays en pourvoyant les fonds nécessaires à la réalisation de différents projets. Alors, pourquoi faire les choses à moitié ?


Cinq règles d’or pour s’éterniser au pouvoir

Le Cameroun est dirigé depuis 35 ans d’une main de traitre maître par un seul homme, qui a réussi à se maintenir au pouvoir pendant tout ce temps. S’agit-il un exploit ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le Nkukuma l’a dit récemment : « ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut ». Alors, comment le père de Brenda fait-il pour pouvoir se maintenir sur le trône ? Je me suis inspiré de la stratégie appliquée au Cameroun pour rédiger ce guide pratique à l’intention de présidents qui veulent sereinement rester au pouvoir jusqu’à ce que la mort les en sépare.

Règle n°1 : Rester éternellement jeune

J’ai enfin découvert le secret de l’éternelle jeunesse présidentielle. À vrai dire, il s’agit d’un tour de « magie » digne des plus piètres illusionnistes, mais va savoir pourquoi, ça marche au Cameroun. Donc, pour rester éternellement jeune, ou du moins pour donner cette impression, procédez comme suit :

Tout d’abord, assurez-vous que la majorité des photos de vous qui circulent sont d’anciennes photos, sur lesquelles vous avez 20 voire 40 ans de moins. Ça donne aux citoyens le sentiment que le temps n’a pas d’effet sur vous.

Pour renforcer ce sentiment, nommez autour de vous des personnes âgées, et si possible nettement plus âgées que vous. Les citoyens comprendront que, même si vous prenez de l’âge, il y a quand même plus vieux que vous. Ça calmera les esprits rebelles.

Enfin, montrez-vous le moins souvent possible. Cela risquerait de rompre le charme que vos photos ont jeté sur la population.  Elle découvrirait ainsi que les photos qu’elle voit datent de l’époque de l’arche de Noé… Idéalement, montrez-vous à la télévision deux ou trois fois par an, pas plus.

Règle n°2 : Être omniprésent

Même s’il faut vous montrer le moins souvent possible pour ne pas attirer l’attention sur vos rides, vos cheveux blancs, ou votre calvitie en phase terminale, vous devez tout de même être omniprésent, histoire de ne pas vous faire oublier. Pour cela, il y a deux choses à faire :

Assurez-vous que l’ensemble de vos collaborateurs, des ministres aux chefs d’établissements scolaires, bref tous ceux qui occupent un bureau dans le pays, aient dans ces bureaux-là un portrait de vous bien en évidence. Ça fera que même si vous êtes absent du pays, personne n’oubliera que vous êtes là à observer.

Pensez également à imprimer sur le pagne, les écharpes, les casquettes, les t-shirts, tout ce qui est lié à votre parti et une photo de vous. Ces pagnes seront distribués de temps en temps, gratuitement bien sûr. Ainsi, ceux qui ne vont pas dans les bureaux et qui ne regardent pas la télévision croiseront malgré tout des personnes habillées de ce joli pagne qui les empêchera d’oublier qu’ils ont un président.

Inutile de préciser que la photo utilisée pour ces gadgets et pour les portraits doit montrer un jeune homme souriant et plein d’énergie.

Pour terminer, assurez-vous que chacun de vos collaborateurs, quand ils interviennent dans les médias, commencent leurs propos en vous citant et les terminent en vous remerciant. Ça maintient la flamme du culte de la personnalité patriotisme allumée.

Règle n°3 : Toujours gagner les élections au premier tour

Vous devez maintenir un écart considérable entre l’opposition et vous en les battant à plate couture chaque fois que l’occasion se présente. La population doit savoir que vous avez le soutien de la majorité, cela découragera systématiquement ceux qui seraient tentés de donner leur voix à l’opposition lors des élections. Pour réussir dans cette entreprise, voici deux conseils :

Multipliez les partis d’opposition. Plus il y en a et moins ils ont des chances de remporter une élection face à vous. D’ailleurs, pensez à créer quelques partis d’opposition qui feront semblant de s’opposer à vous et qui, à l’approche des élections, battront campagne pour votre parti. Ces faux opposants seront votre cheval de Troie. Ils sont utiles pour décrédibiliser l’opposition toute entière et ils aident la population à réaliser que vous être le meilleur candidat, le choix du peuple.

Vous pouvez aussi, pour ne pas avoir de mauvaises surprises, éviter les élections à plusieurs tours. Taillez-vous un code électoral sur mesure et le tour est joué. Ne vous préoccupez pas de l’opposition ou de la société civile – si elle existe –, si elle proteste, vous avez vos propres opposants qui viendront soutenir votre décision.

Règle n°4 : Arroser l’opposition

L’opposition – je veux dire la vraie opposition – est votre plus grande menace. Pour la rendre impuissante, mettez quelques leaders de la « vraie opposition » de votre côté, et ce à tout prix. Promettez et donnez-leur des postes ministériels, passez-leur des marchés publics, arrosez-les d’argent si nécessaire, recrutez-en quelques-uns de temps en temps.

Pour ceux qui résistent, interdisez systématiquement chacune de leurs activités ou initiatives, car ils pourraient gagner la sympathie ou la confiance de la population… S’ils veulent outrepasser vos instructions, envoyez la flicaille les arroser avec les mami wata*.

Règle n°5 : Promettre beaucoup, réaliser peu

Le but est simple : donner l’espoir aux populations, les rassurer en leur disant que tout ira mieux dans un futur (plus ou moins) proche. Pour cela, promettez leur monts et merveilles – les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Si vous vous y prenez bien, ils n’y verront que du feu.

Promettez beaucoup, mais ne prenez pas de risques et assurez-vous que vous faites des promesses vagues. Pour qu’une promesse soit vague, n’indiquez jamais les délais pour sa réalisation avec précision. Soyez le plus évasif possible. À défaut, fixez un délai lointain. Tout le monde aura oublié la promesse entre temps.

Pour ne pas perdre totalement votre crédibilité, prenez la peine de réaliser certaines de ces promesses. Mais, faite-le en temps opportun. Par exemple, à quelques mois des élections, lancez des chantiers, promulguez des lois, instruisez la mise sur pied de tel ou tel organisme que tout le monde attend depuis des décennies. Vos créatures auront ainsi du grain à moudre quand il faudra parler de vos grandes réalisations pendant la campagne électorale.

Gouvernez à vie

Si vous respectez tous ces points, les ministres, la population, et même l’opposition chanteront vos louanges. Ils vous remercieront pour tout ce qu’ils auront ou feront ; même l’air qu’ils respirent, ce sera grâce à vous. Vous pourrez gouverner éternellement, pour des siècles et des siècles.

PS : J’ai sans doute oublié des points utiles. Si vous en avez, merci de les mentionner en commentaire et je les ajouterai à ma liste, pour des présidences à vie plus efficaces en Afrique et dans le monde.

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*Mami wata : nom affectueux donné aux véhicules anti-émeute qui projettent un puissant jet d’eau



Voici les sorciers qui causent les accidents de la route en fin d’année au Cameroun

Décembre, tout Camerounais vous le dira, est une période où les risques d’accidents de la route sont les plus élevés. Pourtant c’est une période où les déplacements sont réduits au maximum, quand les gens se décident à prendre la route, c’est généralement qu’ils n’ont pas d’autres alternatives. Certaines personnes disent qu’en fin d’année, des sorciers (et apprenti-sorciers) procèdent à des sacrifices humains et se servent de nos routes comme autels. C’est ce qui expliquerait le nombre croissant d’accidents mortels sur les routes camerounaises au fur et à mesure qu’on avance vers la fin du mois de décembre.

Je suis de ceux qui, pendant les fêtes, évitent même de sortir de la maison. Ce n’est pas parce que j’ai peur d’être sacrifié, mais parce que j’ai horreur de l’affluence, de la foule qui envahit les rues, les boutiques, les marchés, les bars, les gares routières pendant ces périodes de réjouissance populaire.

Le 23 décembre dernier, je me suis retrouvé obligé de faire un tour à Yaoundé. J’y suis allé de mauvaise grâce, en traînant des pieds et en maugréant. Je savais que ce ne serait pas facile d’y aller et de revenir chez moi à Mbalmayo, surtout que les élèves avaient pris leurs congés la veille, vendredi, et beaucoup d’entre eux allaient voyager afin de rejoindre leurs familles pour les fêtes.

Mes craintes n’étaient pas exagérées, malgré l’heure matinale, les agences de voyage étaient déjà bondées de monde. Le pire c’est qu’il n’y avait aucun bus en vue. J’ai dû faire une autre chose que je déteste : prendre les racoleurs, ces usagers qui se servent de leurs voitures personnelles pour transporter les voyageurs trop pressés pour attendre que les voitures des agences de voyage fassent le plein de passagers.

Je suis arrivé à Yaoundé sans trop de peine. Au retour, cependant, j’ai eu toutes les difficultés du monde à arriver chez moi. Je pense que c’est l’un des pires voyages que j’ai eu à faire de toute ma vie – et pourtant j’en ai vu des vertes et des pas mûres.

Arrivé à l’agence de voyage vers 19 heures, je ne parviens à quitter que le lendemain vers 2 heure 20 du matin. À quelque chose malheur étant bon, les nombreuses heures que j’ai passées à poireauter à la gare routière m’ont permis de comprendre qui sont les sorciers qui nous causent les accidents sur les routes chaque fois que la fin d’année se pointe.

En période d’affluence, les agences de voyage qui desservent les différentes villes du Cameroun sont extrêmement sollicitées. Les agences qui font le trajet Yaoundé – Mbalmayo par exemple commencent généralement leurs activités à 5 heures et demie et arrêtent autour de 20 heures. Mais, en temps de fêtes, ils commencent vers 3 heures et fonctionnent tant qu’il y a des clients. Or, ils utilisent les mêmes véhicules qu’en période normale et ne renforcent pas leur équipe de chauffeurs.

Quand les mêmes chauffeurs vont et viennent un nombre incalculable de fois sur ce trajet et en un laps de temps relativement court, la fatigue s’installe et les réflexes diminuent. Samedi dernier, il y a eu un moment où aucune voiture n’arrivait de Mbalmayo. Les chauffeurs, fatigués, avaient, semble-t-il, décidé de rester dormir au lieu de revenir prendre les passagers qui s’impatientaient. C’est quand des gens ont commencé à manifester leur mécontentement, demandant à être remboursés, que les chauffeurs se sont pointés à nouveau.

À 2 heures 20, quand le bus que j’ai emprunté quittait, le chef d’agence envoyait réveiller un chauffeur pour qu’il vienne conduire un autre bus qui venait de se remplir. À 3 heures 05 quand nous sommes arrivés à Mbalmayo, des passagers étaient déjà en train de payer leurs tickets pour les premiers départs pour Yaoundé.

Ceux qui sont la cause principale de l’augmentation du nombre d’accidents qui arrivent sur nos routes, ce sont ces chefs d’agences qui, à l’approche des fêtes et autres périodes de grande affluence, ne prennent aucune mesure pour que leurs chauffeurs et même leurs véhicules (qui ne sont pas flambant neufs) se reposent un peu. Faire travailler les chauffeurs 24h/24 pendant quelques jours n’est certainement pas le moyen le plus efficace pour réduire les accidents sur les routes en cette période de fin d’année, surtout quand on connait le mauvais état de nos routes.

Les sorciers cités plus haut ont pour assistants les chauffeurs eux-mêmes, qui font passer leur sécurité, celle des passagers, et même la réputation de l’agence de voyage qui les emploie au second plan. Même s’ils sont dans une position délicate du fait que ce sont des employés et qu’il s’agit de leur gagne-pain, il n’en demeure pas moins qu’ils sont responsables de quelque accident qu’ils viendraient à causer – sans parler des éventuelles pertes en vies humaines.

On ne peut pas terminer sans évoquer le laxisme des hommes en tenue qui, pendant ces périodes, ne sont en route que pour « travailler l’argent », c’est-à-dire se faire des sous sur le dos des nombreux usagers en surcharge ou coupables d’autres infractions.

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Crédit photo d’illustration: cameroun24.net


Les établissements scolaires que le ministre camerounais devrait fermer

Chaque année à la rentrée, le Ministre camerounais des Enseignements Secondaires ferme des établissements scolaires qui, soit fonctionnent dans l’illégalité, soit ne respectent pas les exigences pour fonctionner. Si ces décisions sont à encourager au regard de l’importance de l’éducation, il y a également lieu de se poser des questions sur certains établissements publics qui fonctionnent depuis plusieurs années, et qui, pourtant, sont loin d’offrir aux apprenants un cadre idéal pour l’apprentissage.

Établissements « non conformes »

Plusieurs établissements scolaires privés sont fermés pour « site non réglementaire ». C’est une raison tout à fait valable : pour qu’il y ait enseignement de qualité, il faut un cadre approprié. Le paradoxe c’est que sur l’étendue du territoire camerounais, plusieurs établissements publics fonctionnent sans salles de classes, sans bloc administratif, sans salle de professeurs, sans bibliothèque, bref sans bâtiments. En effet, plus on s’éloigne des grandes villes et moins les établissements scolaires sont conformes à ce qu’on pourrait considérer comme le standard.

Pourquoi et comment de tels établissements, qui sont très nombreux si on s’en tient aux témoignages de collègues qui travaillent dans certaines zones, existent et fonctionnent-ils ? C’est un mystère. Toujours est-il que, dans de telles conditions, il est impossible de remplir la mission générale de l’éducation qui est « la formation de l’enfant en vue de son épanouissement intellectuel, physique, civique et moral et de son insertion harmonieuse dans la société, en prenant en compte les facteurs économiques, socio-culturels, politiques et moraux.1 »

Éducation au rabais

Le manque d’infrastructures n’est pas le plus gros problème de certaines écoles au Cameroun. Même dotés de salles de classes, plusieurs établissements scolaires demeurent confrontés au problème de personnel. Parce qu’elle est centralisée2, la gestion des ressources humaines au ministère des enseignements secondaires est une vraie catastrophe. Tandis que certains établissements ont un excédent d’enseignants, d’autres sont en pénurie.

Comment assurer l’éducation des apprenants quand on n’a pas suffisamment d’enseignants ? Ça dépend des cas. Dans les zones urbaines, on fait appel à des enseignants vacataires qui sont dans certains cas des étudiants sans aucune notion de pédagogie. Dans les brousses, on surcharge les enseignants qui se retrouvent à faire plus d’heures que recommandé. Parfois même, certains enseignants sont contraints d’enseigner des matières pour lesquelles ils ne sont pas formés

J’ai déjà eu un collègue, simple bachelier, qui enseignait à la fois l’histoire, l’espagnol et le français dans les classes de 6ème en 4ème. Et il n’était pas le seul dans cette situation. Quelle que soit la méthode utilisée pour régler le problème de personnel, la qualité de l’éducation s’en ressent, et on a, à la fin, des enfants mal formés et incapables de s’épanouir ou de s’insérer professionnellement.

Pour le bien des apprenants ?

Pourquoi créer des établissements scolaires insuffisamment équipés pour accueillir les apprenants ? Sans doute pour faciliter l’accès à l’éducation au plus grand nombre de jeunes Camerounais. Mais, cela vaut-il la peine de d’abandonner ces enfants à eux-mêmes une fois les décrets de création de ces établissements promulgués ? Je ne pense pas. D’ailleurs, plusieurs parents se sont rendus compte que ces établissements n’aidaient pas vraiment leurs enfants.

Après des résultats catastrophiques aux examens officiels enregistrés dans l’établissement où j’enseigne (1 admis sur 17 au probatoire, 3 sur 30 au BEPC et 2 sur 5 au BAC), plusieurs parents ont pris la résolution d’envoyer leurs enfants dans des établissements plus nantis en personnel qualifié, ce qui a délesté l’établissement d’une bonne partie de son effectif déjà insignifiant.

En fin de compte, qui profite de ces établissements scolaires démunis d’infrastructures et de personnel ? Pas les parents, et encore moins les élèves qui y reçoivent une éducation boiteuse et qui sont obligés d’aller fréquenter dans les villes voisines.

Bien faire ou ne pas faire du tout

L’éducation est une des missions régaliennes de l’État. C’est le droit le plus absolu des enfants d’être éduqués, et d’être bien éduqués. L’État devrait prendre des mesures pour mettre à la disposition de ces derniers les infrastructures et le personnel en quantité et qualité pour que cette mission soit bien remplie. Créer des établissements scolaires, qui seront désertés parce que n’ayant ni bâtiments ni personnel qualifié, a plutôt des effets néfastes sur le niveau scolaire des apprenants. L’état devrait, soit fermer ces établissements, soit s’assurer qu’ils sont bien fournis en infrastructures et en personnel.

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1. Selon l’article 4 de la loi d’orientation de l’éducation au Cameroun.

2. Malgré l’existence de délégations régionales dans chacune des dix régions, les affectations et les mutations du personnel enseignant se font depuis le ministère qui n’a sans doute pas la même maîtrise des besoins des établissements sur le terrain.

Crédit photo d’illustration: Desy Danga


Crise anglophone : ces « nouveaux anglos » qui enveniment les choses

La crise anglophone au Cameroun a fait naître une nouvelle catégorie de camerounais qui semblent avoir fait leurs les revendications de nos compatriotes de la partie anglophone du pays. Ce qui au départ était simplement un formidable élan de solidarité envers les populations des régions anglophones qui subissaient le courroux injustifié et excessif des autorités gouvernementales semble se transformer en une campagne de dénigrement qui, à dire vrai, ne contribue pas à la résolution de la crise.

« Je suis anglophone »

C’est un slogan qu’on retrouve souvent en bas de certaines publications sur les réseaux sociaux, notamment sur facebook et twitter. Et, dans la majorité des cas, ceux qui l’emploient sont originaires de l’une des régions dites francophones du pays.

On sait tous l’histoire de cette formule depuis les attentats de Paris, et c’est donc évident que la formule est employée pour montrer sa sympathie envers des personnes éprouvées ou qui vivent une situation difficile. Récemment, d’ailleurs, Me Akéré Muna a publié sur sa page facebook un texte intitulé « Deuxième lettre à mes Sœurs et Frères et Francophones » dans lequel il invitait les francophones à montrer leur solidarité envers leurs frères anglophones en proclamant « Je suis anglophone » sur les réseaux sociaux.

Violence verbale sur les réseaux sociaux

Le problème c’est que, avec le temps, ce beau slogan a commencé à être utilisé dans des publications ou la population dite francophone du pays était dénigrée, insultée, rabaissée… Avec le temps les choses ont empiré, et, même si le slogan n’était plus utilisé ceux qui avaient, par son utilisation, acquis une nouvelle nationalité, la nationalité anglophone, continuaient à publier pour invectiver les autres francophones du pays.

« Les francophones sont des lâches », « Je regrette d’être francophone », « Les francophones sont la malchance de ce pays »… Voilà quelques exemples parmi les moins violentes, de publications qui pullulent sur les réseaux sociaux, et qui proviennent de ceux que j’appelle – pour les railler, je l’avoue – les « nouveaux anglos ».

Reconnaître un « nouveau anglo »

Comment reconnaître un nouvel « nouveau anglo » ?

  1. Déjà, il est francophone, c’est à dire originaire de l’une des huit régions où le français est plus utilisé.
  2. Ensuite, il vit à Yaoundé, à Douala ou n’importe où ailleurs, mais pas dans les régions anglophones. Dans la grande majorité des cas, il n’a même jamais mis pied dans l’une de ces régions-là. Et il n’en savait pas grand chose jusqu’à ce que la crise prenne de l’ampleur.
  3. Il ne poste jamais (ou très peu) en anglais sur les réseaux sociaux mais passe son temps à parler des bienfaits de l’anglais et de l’avance que les pays anglophones ont sur les pays francophones. Depuis le début de la crise, il n’a pas pensé à prendre des cours d’anglais pour montrer le bon exemple aux autres francophones et aux autorités gouvernementales.
  4. Il critique le système éducatif actuel et soutient que les cours ne doivent pas reprendre dans sa nouvelle région d’adoption, pourtant il envoie ses propres enfants à l’école.
  5. Il encourage et félicite les villes mortes et applaudit parfois les casses et les autres actions violentes perpétrées dans les régions anglophones, pourtant, chez lui à Yaoundé, à Douala ou en Europe, il va au travail, ouvre sa boutique, paie ses impôts sans regimber, et respecte les autorités administratives.
  6. Il n’a jamais ni initié ni pris part à une action concrète sur le terrain. Son domaine d’action c’est Facebook, son langage c’est l’insulte et l’invective.
  7. Il considère tous ceux qui ont un avis différent du sien sur la question anglophone comme des ignorants qui n’y comprennent rien. Il n’écoute pas leurs arguments et n’hésite pas à les insulter sur les réseaux sociaux, non sans menacer de les bloquer s’ils le contredisent.

Faire empirer la situation

L’attitude des « nouveaux anglophones » sur les réseaux sociaux, loin d’aider à l’apaisement des tensions, tend à donner un autre dimension à la crise. Dans son principe, la crise anglophone pose le problème de la gestion des ressources, de l’égalité des chances d’accès à l’emploi, de qualité de l’éducation, etc. C’est donc un problème qui concerne directement le gouvernement actuel et la façon dont le pays est géré depuis les indépendances.

Malheureusement, les nouveaux anglos, par leurs invectives, leurs insultes et leur évidente mauvaise compréhension ou interprétation du problème de fond, en ont fait un problème entre les francophones d’un côté, et les anglophones de l’autre. Il n’est désormais plus question de revoir la politique éducative, ou bien l’état des routes, il est désormais question de savoir qui est plus lâche entre les francophones et les anglophones, qui fait plus de fautes que l’autre, ou encore qui s’est plus sacrifié que l’autre dans ce pays.

Le nouveau anglophone a déplacé le problème. Pire, il a créé un autre problème sans avoir résolu le premier. Il oppose tous les jours francophones et anglophones, insultant les premiers et glorifiant les deuxièmes.

Le « nouveau anglo » idéal, selon moi

Je pense que les nouveaux anglos devraient appliquer ce qu’ils conseillent à leurs nouveaux frères. C’est le meilleur moyen de montrer sa solidarité. Publier sur Facebook pour insulter les francophones qui ne sont pas l’objet des revendications ne sert à rien. Le « nouveau anglo » idéal devrait protester contre la mauvaise qualité de l’éducation en retirant également ses enfants des écoles. Il devrait se plaindre de la mauvaise gestion des ressources en fermant sa boutique ou en ne payant pas les impôts. Ce serait plus logique et en accord avec les publications qu’il fait sur les réseaux sociaux.


Crise anglophone au Cameroun : le gouvernement a-t-il vraiment cédé ?

Le 30 août dernier, le président de la République a ordonné l’abandon des charges contre « certains leaders » du mouvement de contestation qui secoue les régions anglophones du Cameroun depuis bientôt un an. Comme on pouvait s’y attendre, les réseaux sociaux étaient en ébullition, les uns faisant des publications pour applaudir la décision du président, tandis que d’autres criaient victoire, ou se moquaient de l’État qui, d’après eux, admettait ouvertement son impuissance face aux leaders anglophones. Personnellement, quand j’ai lu le communiqué de la présidence, je n’ai pas eu l’impression qu’il s’agissait d’un aveu de faiblesse. Et les événements qui se passent depuis quelques jours me confortent dans ma position.

Libération sur fond de mise en garde

Ce qui a attiré mon attention à la lecture du communiqué signé par le Secrétaire Général à la Présidence de la République, c’est le contenu du troisième paragraphe du document. Il dit ceci :

« Le chef de l’État réaffirme néanmoins sa détermination à combattre sans relâche les ennemis de la paix et du progrès, les chantres de la division et les criminels de tout acabit, qui, sous le couvert de revendications politiques, essayent de prendre en otage l’avenir de notre pays, et tout particulièrement de notre jeunesse. Ils répondront de leurs actes devant la justice. »

Voir le communiqué du SGPR qui annonce l’abandon des charges

En d’autres termes, les Camerounais qui viennent d’être relâchés sont priés de se tenir loin des revendications qui continuent à faire rage – avec un peu moins d’entrain j’ai l’impression – dans les régions anglophones. Si, par mégarde l’un d’eux s’exprimait publiquement contre la reprise des cours (le communiqué appelle ça « prendre en otage l’avenir du pays et tout particulièrement de notre jeunesse »), alors il (re)deviendrait un ennemi de la paix et du progrès, et serait par conséquent combattu dans relâche (c’est-à-dire arrêté à nouveau).

Ami-ami avec le pouvoir ?

Toute l’agitation qui a suivi la libération des ex accusés est pour moi une preuve que cette libération est un fait une action très stratégique de la part de notre gouvernement. Je m’explique :

Une fois libérés, les activistes ont été transportés à Bamenda et reçus par le gouverneur de la région. Or, pendant la crise, le leadership de la contestation (qui avait été transféré hors du pays après l’arrestation des leaders basés au Cameroun) a plusieurs fois appelé les populations à chasser les autorités politiques (préfets, sous-préfets, maires, gouverneurs, etc.) qui représentent selon eux l’oppresseur francophone. Mais là, on voit ceux qui symbolisent la lutte, ceux dont la détention a motivé et encouragé les populations à se sacrifier pour que le combat continue, on voit ces individus qui sont considérés par beaucoup comme des héros en train de saluer la plus haute représentation de « l’oppresseur francophone. »

Appels à la reprise des cours

Comme si ça ne suffisait pas, la télévision nationale a donné la parole à plusieurs anciens accusés. Évidemment, ceux-ci ont systématiquement appelé à la reprise des cours et à la paix dans les régions anglophones.

La cerise sur le gâteau, c’est ce communiqué de presse publié le 1er septembre 2017 et signé par « les avocats de la défense de messieurs Felix Agbor Kongho et Fontem Afonteka Neba et d’autres personnes précédemment poursuivies ou faisant encore l’objet de poursuites devant les tribunaux militaires de Yaoundé » et dans lequel ils indiquent que « les leaders des revendications plaident pour une rentrée normale et pacifique dans le pays et particulièrement dans les deux régions concernées. »

J’avoue que j’ai eu de la peine à croire à ça. Et mon avis c’est que les leaders cités dans le communiqué n’ont jamais fait ce type de déclaration. Cependant, ils sont pris au piège parce que s’ils démentent le contenu de ce communiqué de presse, ils risquent de recevoir l’épée de Damoclès (le fameux paragraphe 3 du communiqué publié par le SGPR) en plein sur le crâne. Et en se taisant, ils portent un coup à la contestation.

Une démonstration de force

Mon avis c’est que la libération des leaders anglophones s’apparente plus à une démonstration de force qu’à un aveu d’impuissance. La raison c’est simplement que tous les leaders n’ont pas été libérés. Le nommé Macho Bibixi par exemple, qui s’était rendu célèbre au début de la crise par ses apparitions dans un cercueil – ce qui lui a valu le pseudo de « Coffin-man » – reste toujours détenu avec d’autres personnes, et sera jugé le 28 septembre – si l’audience n’est pas reportée pour la énième fois.

C’est pour moi la preuve que le gouvernement n’a pas « peur » des activistes anglophones, mais au contraire se sert de cette libération pour semer le trouble dans leurs rangs. Actuellement, les « vrais » leaders étant libres, la population va attendre les instructions d’eux, ce qui va réduire le pouvoir de ceux de la diaspora – qui en fait dirigeaient le mouvement en attendant que ceux emprisonnés viennent reprendre soient libérés. Or, ces derniers ne sont pas vraiment libres de s’exprimer, à cause de la mise en garde à peine voilée contenue dans le communiqué qui les relâche.

Alors, la rentrée ?

La rentrée scolaire dans les régions anglophones sera-t-elle effective ? Tout porte à croire que oui. En plus des appels à la reprise des cours qui se multiplient même dans le camp des contestataires, le ministre des enseignements secondaires a rencontré parents d’élèves et responsables d’établissements scolaires à Bamenda. À l’issue de la rencontre – qui a pu se tenir contrairement aux tentatives précédentes qui s’étaient terminées en queue de poisson – des parents et responsables d’établissements scolaires du privé ont dit être prêts pour la rentrée.

De toute façon, il est trop tôt pour le dire avec assurance, mais le temps nous livrera sans doute plus d’informations à ce propos. En attendant la suite des événements, bonne rentrée à tous.


“To vote or not to vote ?” Là n’est pas (encore) la question

2018 est une année électorale au Cameroun, et même si la seule information qu’on a sur le scrutin c’est qu’il est « lointain mais certain », force est de constater que nombre de compatriotes ne semblent pas intéressés par cette échéance qui pourtant aura des conséquences sur la vie du pays pendant au moins sept années. La raison ? Les dés seraient pipés, les résultats connus d’avance, donc à quoi bon ?

À quoi bon ?

Chaque année, les inscriptions sur les listes électorales sont ouvertes jusqu’en fin août. Pourtant, mes compatriotes ne se pressent pas devant les bureaux d’ELECAM (Elections Cameroon) pour s’inscrire. Je l’ai dit plus haut, l’ombre du découragement plane sur les citoyens camerounais qui ne voient pas trop pourquoi il faut s’inscrire.

Pour la plupart d’entre nous, il est impossible de remporter l’élection présidentielle face au parti au pouvoir dans les conditions actuelles. Il s’agit précisément du code électoral qui, de toute évidence, est taillé à la mesure du parti au pouvoir. Beaucoup d’entre nous pensent que, tant qu’il ne sera pas modifié, il sera impossible de rivaliser avec le RDPC. Ce n’est peut-être pas totalement faux.

L’opposition camerounaise manque cruellement de crédibilité auprès de la population. Avec le temps, on s’est rendus compte que plusieurs « opposants » sont en fait des alliés du parti au pouvoir dont le but est de décrédibiliser l’opposition et de déstabiliser toute tentative d’action groupée. Et ça en décourage plus d’un.

Pourquoi pas ?

Toutes les raisons ci-dessus sont valables. Quand on n’a confiance ni au processus, ni aux candidats, on peut trouver mieux de rester chez soi le jour du scrutin.

Le hic, c’est que les candidatures ne sont pas encore fermées donc à l’heure actuelle, 3 jours avant la fin du processus d’inscription sur les listes électorales, on ne sait pas encore qui sera candidat. À l’heure actuelle, on ne sait pas si l’opposition formera une coalition. On ne sait même pas si le redoutable Biya sera candidat – mais on ne se fait pas d’illusion sur ce point-là non plus.

Alors, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas s’inscrire, sachant qu’on n’est pas obligé d’aller voter plus tard si les conditions ne nous conviennent pas ?

Le danger en ne s’inscrivant pas sur les listes électorales, c’est que si les choses se présentent favorablement, par exemple si l’opposition constitue un seul bloc (ce qui est envisageable parce que la proposition a déjà été faite par certains acteurs politiques), ceux qui ne se sont pas inscrits ne pourront plus rien faire, pourtant chaque voix compte dans cette bataille – l’hiver approche.

Semblant de démocratie

« S’inscrire sur les listes électorales ne fera que donner à la communauté internationale l’impression que le Cameroun est un pays démocratique ».

Voilà un argument entendu récemment. Si on est d’accord que les chiffres peuvent être manipulés par ELECAM comme certains l’affirment – avec raison je suppose –, ça veut dire que cette institution peut également manipuler les chiffres pour qu’on ait un nombre élevé d’inscrits et de votants.

Je pense que la manipulation des chiffres n’est possible que parce que le nombre d’inscrits ou de votant est en deçà du nombre réel, et ça leur laisse une grande marge de manœuvre. En d’autres termes, si tous les camerounais en âge de voter s’inscrivent et surtout votent, il sera impossible à qui que ce soit de manipuler les chiffres.

Moi, je m’inscris (d’abord)

En ce qui me concerne, je suis inscrit et je vote depuis 2011. L’année prochaine, je voterai encore. Pour qui ? Je ne sais pas encore, mais ce n’est pas encore le moment de m’en préoccuper.

J’attends que les candidats se présentent à moi, et me parlent de leur vision pour le Cameroun. J’attends les programmes politiques, les plans d’action, les réformes dans différents secteurs. J’attends les solutions aux nombreux problèmes auxquels le pays fait face depuis plusieurs décennies déjà. J’attends, mais en attendant je suis inscrit.

Pour le moment, la question du vote ne se pose pas encore. Le plus urgent c’est de s’inscrire. Il reste seulement quelques jours avant la fermeture des inscriptions, il est encore temps.

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Photo d’illustration: lexpress.fr


Requiem pour Dominique

On est le 24, et comme chaque mois, les fonctionnaires camerounais attendent impatiemment la mort de Dominique. Dans les foras et groupes sur différents réseaux sociaux, il y a toujours un collègue anxieux qui demandera des nouvelles de l’infortuné, « Dominique est déjà mort ? » On lui répondra un truc du genre, « Non, pas encore. Mais il agonise déjà. Je crois que demain il aura rendu l’âme… »

Dominique, le sauveur…

Vous vous demandez qui est ce Dominique dont on souhaite la mort ? J’ai été autant étonné la première fois que j’ai entendu parler de lui. Je me souviens que c’était à travers un post dans un groupe sur facebook qui annonçait simplement « Dominique est mort ».

Mais le plus intrigant, c’était les commentaires. Beaucoup répondaient « Enfin ! », d’autres s’indignaient même, « Il attendait quoi depuis là ? ». C’est en lisant les commentaires qui demandaient « Dans quelle banque ? », que j’ai compris.

C’est ce qu’on appelle une bonne nouvelle – Capture d’écran réalisée sur facebook

En fait Dominique c’est le sauveur, c’est une sorte de Jésus qui doit mourir chaque mois pour que le fonctionnaire camerounais puisse survivre, payer son loyer, rembourser ses dettes, boire ses bières, gérer ses petites, etc. Si vous n’avez toujours pas compris, la mort de Dominique c’est le signe que les salaires sont déjà disponibles dans les banques, un peu comme la fumée blanche qui indique qu’un nouveau pape a été désigné.

Fonctionnaire pauvre et très endetté

En général, le fonctionnaire camerounais est pauvre et très endetté – surtout s’il est un tant soit peu honnête. Il suffit de voir l’affluence qu’il y a devant les banques dès que la mort de Dominique est confirmée pour s’en rendre compte. D’ailleurs, il arrive parfois que certains aillent attendre le corps de Dominique devant leurs banques, plusieurs heures avant sa mort.

Je me rappelle quand j’étais à Maroua, certains fonctionnaires qui habitaient les villes voisines avaient l’habitude d’arriver la veille du jour de la paye (le 25 du mois) et de passer la nuit dans les distributeurs pour être les premiers alignés devant les guichets le lendemain.

Il n’est pas encore mort, frère. Attends encore un peu – Capture d’écran réalisée sur facebook

La vérité c’est qu’au Cameroun, il est très difficile le fonctionnaire lambda – entendez celui qui ne gère pas de budget, et qui n’a pas d’avantage de service en espèces sonnantes et trébuchantes – de joindre les deux bouts. Avec le temps, les charges augmentent, les responsabilités aussi. Mais les salaires ne suivent pas vraiment le rythme. Résultat ? On est obligés de s’endetter pour pouvoir s’en sortir, et quand en début de mois on a payé ses dettes, on prie pour que Dominique meure le plus tôt possible.

Tout le monde déteste Chris* Dominique

À bien y regarder, les fonctionnaires ne sont pas les seuls à souhaiter la mort de ce pauvre Dominique. Comment je le sais ? Eh bien, les tenanciers de bars ont tous le sourire aux lèvres dès qu’ils commencent à voir les gens s’aligner devant les banques. Parce que, dès qu’on quitte les guichets et les distributeurs, la prochaine escale c’est le bar le plus proche (parfois situé juste en face de la banque). Je parie qu’ils prient même pour que Dominique meure deux fois par mois.

Avec le temps même nos petites sœurs et petits frères ont compris que dès le 24 ou le 25 il faut déjà commencer à biper tonton pour lui rappeler qu’il a promis l’argent de poche. Ma sœur à moi, chaque fois que j’avais de l’argent à lui envoyer, était la première à me rappeler qu’on est déjà le 25 – comme si je pouvais oublier !

En fait, tout le monde déteste Dominique, parce que sa mort fait vivre les activités commerciales, sa mort fait le bonheur des bailleurs et des créanciers, sa mort met les petites en haut. Les effets de sa mort ne durent qu’une ou deux semaines dans le meilleur des cas, mais c’est mieux que rien, avouons.

Mourra, mourra pas ?

Ce mois-ci, les rumeurs courent que Dominique ne mourra pas – du moins pas dans l’immédiat. On raconte qu’il a été évacué en Europe pour être soigné. En fait, ça fait plus de trois semaines qu’il n’est pas possible d’imprimer les bulletins de solde au ministère des finances. La machine (je ne sais pas laquelle) serait en panne, et jusqu’à maintenant le problème persiste. Des experts auraient été appelés depuis l’Europe pour venir nous donner un coup de main.

Donc, tout ce charabia, c’était juste pour vous dire qu’on attend, qu’on est tous en prière pour que Dominique meure enfin…

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* Tout le monde déteste Chris (Everybody Hates Chris) est une série télévisée américaine créée par Ali LeRoi et Chris Rock, diffusée en 2005 (Source wikipédia).


Ce n’est pas le fédéralisme qui (me) pose problème

Depuis le début de la crise anglophone au Cameroun, on entend de plus en plus des voix s’élever pour dire que les francophones ont peur du fédéralisme. Raison pour laquelle ils se désolidarisent des revendications des activistes anglophones. Je suis incapable de dire si c’est le cas ou pas, mais sur la question, je peux tout au moins donner mon avis personnel qui n’entre pas en droite ligne de ce qui est dit. En ce qui me concerne, le fédéralisme n’est pas du tout un problème (bien que ce ne soit pas non plus une solution miracle). Mon problème est ailleurs…

La démarche

Au départ du problème anglophone, j’ai applaudi. Surtout quand les syndicats des enseignants ont annoncé la grève illimitée pour réclamer l’amélioration les conditions de travail et la qualité de l’éducation dans le sous-système anglophone. Notre système éducatif est très mauvais, et j’ai déjà eu l’occasion de le dire sur cette plateforme. J’ai d’ailleurs été d’accord avec le fait qu’ils exigent la libération de tous les jeunes arrêtés avant de reprendre les négociations, défendant bec et ongles le fait que si le gouvernement voulait condamner ces jeunes pour les casses, il faudrait aussi condamner les policiers qui ont molesté et humilié les étudiants des universités de Buea et de Bamenda (ce qui n’a jamais été fait jusqu’aujourd’hui).

Cependant, à l’instant où les syndicats ont exigé un référendum sur le fédéralisme comme condition de reprise des cours, j’ai cessé de les suivre. Pas parce, que réclamer le fédéralisme me pose un quelconque problème, mais simplement parce que c’était un passage du coq à l’âne maladroit et flagrant. Car, jusqu’à preuve du contraire, un syndicat d’enseignants n’a pas à s’occuper de questions politiques. Du moins, un syndicat n’est pas habilité à avoir des exigences qui sortent de son cadre de compétences. Et c’est exactement ce que les syndicalistes venaient de faire. Or ce n’était pas à eux, en tant que syndicat, de poser cette condition. La démarche me posait donc un gros problème.

Les participants au référendum

Quand la question du fédéralisme a été posée par les syndicats, je me suis demandé, s’il y avait référendum, qui seraient ceux qui allaient décider de la nouvelle forme de l’État. Il faut dire que sur ce point les avis divergeaient, mais toujours est-il que dans la logique des groupes qui exigeaient ce référendum, seuls les anglophones devaient participer audit référendum (parce que, disent-ils, en 1961, seuls les anglophones avaient participé au référendum à la suite duquel ils ont rejoint le Cameroun francophone).

Carte de la république fédérale du Cameroun - Crédit photo: lecameroun.net
Carte de la république fédérale du Cameroun – Crédit photo: lecameroun.net

Je dois avouer qu’il m’a été difficile de m’aligner sur cette vision de la chose. Je pense qu’un référendum qui va modifier la forme d’un État ne peut dépendre d’une seule partie de la population. S’il faut parler de fédéralisme, tous les Camerounais devraient avoir leur mot à dire, puisque tous en seraient affectés. Cependant, la démarche et le tapage médiatique autour de la crise a fini par diaboliser le fédéralisme dans l’esprit de plusieurs Camerounais, de telle sorte qu’il y a de fortes chances pour que, si tout le monde participe à ce référendum, la réponse soit négative.

Le type de fédéralisme

L’autre chose qui m’a mis en désaccord avec les revendications des activistes anglophones, c’est le fait qu’ils essaient d’imposer le fédéralisme à deux états aux Camerounais. Pourquoi un fédéralisme à deux États, alors que chacune des 10 régions du Cameroun à ses spécificités culturelles ? Je comprends que leurs réclamations partaient sur la base de la langue héritée de la colonisation, c’est-à-dire le français et l’anglais, mais ce n’est pas forcément la meilleure forme de fédéralisme pour notre pays.

L’idéal aurait été, selon moi, de mettre la question du fédéralisme sur la table pour qu’elle soit discutée en vue de décider de la forme de fédéralisme qui serait le plus bénéfique pour tous les Camerounais. Dans plusieurs de leurs interventions sur les réseaux sociaux, des francophones ont dit être d’accord pour le fédéralisme, mais pas à deux États. Certains ont parlé de 10 états, d’autres de 8 ou de 6 états, mais toujours est-il que l’idée de fédéralisme n’était pas rejetée systématiquement, au contraire. Le problème, c’était le nombre d’états. Pour dire vrai, beaucoup de personnes considèrent le fédéralisme à deux états soit comme un retour en arrière, soit comme un pas vers la sécession.

Éduquer les Camerounais avant tout

Pour ma part, les choses auraient été différentes si, au lieu d’user de subterfuges pour arriver à la question du fédéralisme, les activistes et leaders des différents mouvements anglophones s’étaient rapprochés des partis politiques (plus compétents pour traiter de questions politiques) pour que cette question soit mise sur la table, et peut-être intégrée aux programmes politiques des uns et des autres. Ensuite, il aurait été judicieux d’éduquer les populations sur ce qu’est le fédéralisme, sur ses avantages et ses inconvénients pour que, en cas de référendum, les gens sachent exactement dans quoi ils s’engagent.

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Crédit photo d’illustration: drapeau-monde.com


Ce que ça coûte d’être enseignant au Cameroun

Au Cameroun, on a tendance à considérer les fonctionnaires comme des privilégiés (ce qui n’est pas entièrement faux). On envie la stabilité de leur emploi, la régularité de leur paye et beaucoup d’autres avantages réels ou imaginaires. Parmi ces privilégiés figurent en bonne place les enseignants qui, selon plusieurs, sont grassement payés pour fournir un minimum d’efforts (ils auraient quelques jours de travail seulement par semaine, et trois mois de vacances payées). Ce que beaucoup d’entre nous ignorent, c’est que le métier d’enseignant au Cameroun est un vrai chemin de croix, et qu’il faut s’armer de courage et de patience pour pouvoir tenir la distance.

Concours de patience

Immédiatement après la sortie des écoles normales, les jeunes enseignants sont affectés – dans des coins enclavés pour la plupart. Pour y aller, le ministère met à leur disposition les frais de relève, une somme d’argent calculée en fonction de la distance entre le lieu de formation et le lieu d’affectation, et remise à l’enseignant pour lui permettre de rejoindre son poste d’affectation. Ça, c’est le principe : sur le terrain c’est autre chose, les délégués régionaux des enseignements secondaires, qui depuis quelques années sont chargés du paiement de ces sommes, ne sont généralement pas pressés de les verser aux intéressés. Donc, il faut attendre. Attendre que le délégué veuille bien signer les documents nécessaires au payement des fameux frais. Généralement, découragés d’attendre tous les jours devant la délégation, les enseignants se résolvent à rejoindre leurs postes à leurs propres frais. « L’argent est bon à tout moment », dit-on chez nous. Juste que le jour où ils seront payés (parfois un an après, parfois jamais), ils se rendront compte que les montant ne varient plus en fonction de la distance, mais dépendent plutôt du bon vouloir du délégué régional.

Mais le plus dur reste à venir, car si les listes d’affectations sont généralement disponibles en ligne dès le jour de la sortie de l’école, la prise en charge, quant à elle, reste une donnée floue. Il faut attendre en moyenne deux ans pour que le dossier d’intégration suive son cours, tout en espérant qu’il ne disparaisse pas dans les bureaux poussiéreux du Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative (MINFOPRA), auquel cas il faudra reconstituer le dossier en entier et recommencer le processus à zéro. Puis, il faut attendre, attendre, attendre. Mais pire, il faut travailler en attendant. Il faut être au poste, se vêtir convenablement, se nourrir, se loger, et avoir un rendement satisfaisant. Tout ça, le ventre et les poches vides. Au quartier, on vous dira, « Oui, mais après ton rappel sera plus consistant ». La bonne excuse ! Et en attendant, les bailleurs laisseront-ils ces enseignants vivre dans leurs maisons pour rien ? Les taximen les transporteront-ils à crédit ? Les bayam-sellam (revendeuses de denrées alimentaires) leur donneront-ils des vivres pour leurs beaux yeux ? Ceux qui sont dont las d’attendre et qui veulent booster l’évolution de leurs dossiers doivent laisser quelques billets…

Le bon réseau

En réalité, pour s’en sortir en tant qu’enseignant au Cameroun, il ne suffit pas d’être patient. Il faut encore pouvoir capter le bon réseau. Parce que, quel que soit le problème qu’on a, il faut « encourager » les agents en charge de son traitement, soit avec quelques billets, soit en cédant un pourcentage du montant à percevoir, lorsqu’il s’agit d’argent. Et les choses sont tellement « bien » organisées qu’il faut monter un dossier pour tout. Tenez : dès la sortie de l’école, il faut faire un dossier de frais de relève, ensuite un dossier d’intégration et un dossier de prise en charge. Quand on est enfin intégré et pris en charge (après un long processus qui peut durer jusqu’à 5 ans), il faut encore faire un dossier pour le rappel des indemnités de logement, puis un autre pour le rappel des primes d’évaluation, un autre pour obtenir ses arrêtés d’avancements (un fonctionnaire avance en échelon tous les deux ans) et encore un autre pour que le salaire soit réajusté après qu’on ait avancé en échelon, etc. Bien sûr, chaque dossier s’accompagne de beaux billets de banque ou de 15% à 20% du montant à percevoir, et ces billets ne garantissent pas que les dossiers aboutiront à la première tentative. Et c’est pareil quand on veut être muté ou nommé.

À cause de la lenteur du processus d’intégration, notre administration a eu la formidable idée d’avancer les 2/3 du salaire de base aux enseignants quelques mois après la sortie, le temps que les dossiers d’intégration soient traités. L’idée n’était pas mauvaise, en théorie. Parce que, sur le terrain, c’est tout autre chose qu’on observe. L’avance de solde comme on l’appelle communément, censée régler le problème de la longue attende due au traitement des dossiers d’intégration, met elle aussi 2, 3, 4 ans ou plus avant d’être payée. Mais pire, pour l’avoir il faut passer par des réseaux de corruption. Sinon, même après 5 ans le dossier sera toujours en cours de traitement. Ensuite, pour recevoir la totalité du salaire, c’est un autre dossier et d’autres billets distribués, d’autres pourcentages cédés. En attendant, les plus chanceux continuent à recevoir de l’argent de leurs parents, d’autres se débrouillent comme ils peuvent avec les cours de vacation ou de répétition, d’autres encore sont logés par des inconnus comme cette jeune collègue interviewée dans cet article.

Finir pauvre et très endetté

Au Cameroun, les fonctionnaires ont un salaire de misère. On ne s’en rend pas forcément compte parce que la plupart d’entre eux créent des réseaux de corruption ou bien usent de divers subterfuges pour arrondir leurs fins de mois. Par exemple, les fonctionnaires qui touchent par bons de caisse (parce qu’ils n’ont pas voulu glisser 10.000 francs aux agents du Ministère des Finances pour qu’on vire rapidement leurs salaires dans leurs comptes bancaires) n’obtiennent jamais la totalité de leur argent. Les guichetières n’ont jamais la petite monnaie. Ainsi, chacun laisse à ces dames 50, 100, parfois même 500 francs ou plus chaque fois qu’il va recevoir son dû. Au bout d’une journée, elles doivent se faire une fortune. Et c’est comme ça dans presque tous les services gérés par des fonctionnaires au Cameroun.

Malheureusement pour les enseignants – du moins, ceux qui n’ont pas de poste dans l’établissement – ce genre d’avantage n’existe pas. Leurs « clients » n’ont rien d’autre à leur offrir que la participation aux cours, et même ça, c’est déjà assez compliqué à obtenir. Donc, dans le contexte camerounais, l’enseignant est parmi les plus pauvres – exception faite des certains proviseurs qui vendent les places aux enchères et de ceux qui travaillent dans les ministères et qui prennent des pourcentages à leurs collègues pour traiter leurs dossiers.

Travailler pour les autres

Voilà donc, en résumé, ce que ça coute d’être enseignant dans un pays comme le Cameroun. Tandis que les fonctionnaires sortis de certaines grandes écoles reçoivent des bourses et ont leurs salaires quelques deux ou trois mois après la sortie, l’enseignant, lui, doit partager tout ce qu’il reçoit comme argent avec d’autres fonctionnaires qui ne l’ont pourtant pas aidé à travailler. 50.000 francs pour faire passer un dossier, 20% de son rappel, 350.000 pour être muté ou nommé, à la fin d’une carrière, on se rend compte qu’on a passé le temps à travailler pour enrichir d’autres personnes.

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Depuis lundi 27, rassemblés sous la bannière du « Collectif des Enseignants Indignés », certains enseignants ont lancé un mouvement de grève pour réclamer le paiement de leurs salaires et primes (près de 20.000 dossiers en attente de validation au ministère des finances), exiger l’abolition du système des 2/3 et l’automatisation effective de certaines procédures comme le paiement du rappel des indemnités de logement et des avancements d’échelon. Jusqu’ici, les autorités leur demandent d’attendre, mais n’agissent pas. Les enseignants, quant à eux, sont déterminés à ne rentrer en classe qu’après avoir été payés.


Les journées internationales, les défilés, le folklore et tout le blabla…

Mercredi dernier se célébrait la journée internationale DES DROITS des femmes – qui a été rapidement transformée en « Journée de la femme », puis en « Fête de la femme » au Cameroun. Et contrairement aux années antérieures, je me suis abstenu d’écrire sur cette célébration, ou même de la commenter sur les réseaux sociaux. En réalité ça fait quelques années déjà que préfère garder le silence lors de certaines célébrations décrétées par les Organisations internationales. C’est en partie à cause de la façon dont nous, Camerounais, percevons ces journées, mais ce n’est pas la seule raison de ma révolte silencieuse mon indifférence.

Thématiques déconnectées

La première chose que je reproche à ces célébrations, ce sont les thèmes choisis et imposés à tout le monde. Or, il est impossible de trouver un thème qui pourra convenir à tout le monde. Si je prends le cas de la célébration qui vient de s’achever, je dirai pour illustrer mon propos que les difficultés auxquelles les femmes font face diffèrent en fonction des continents où elles se trouvent, des pays dans lesquels elles vivent et même des spécificités culturelles des sociétés où elles évoluent.

Parler des femmes dans le monde du travail (pour un monde 50-50 en 2030) est bien beau, mais ce genre de slogan ne signifie absolument rien dans certaines parties du monde où les femmes n’ont pas le droit à la parole, et encore moins le droit à l’éducation ou au travail. En conséquence, ces dernières sont automatiquement mises à l’écart d’une célébration qui pourtant les concerne en premier lieu.

Pour être plus efficaces, les thématiques choisies pour la célébration de journées internationales devraient différer d’un coin à l’autre de la planète, en fonction des difficultés rencontrées, parce qu’une thématique inappropriée réduit la célébration à une série de festivités sans qu’il n’y ait forcément de phase de réflexion ou de remise en question préalable nécessaire pour améliorer une situation ou résoudre un problème.

Célébrations ponctuelles

L’autre chose que je reproche aux différentes célébrations telles qu’organisées sous nos cieux, c’est leur caractère ponctuel, éphémère. Je veux dire que, quand un thème est choisi pour une célébration, et malgré le fait que parfois des plateformes de réflexion sont mises sur pied, il y a rarement (pour ne pas dire jamais) un plan d’action défini pour régler le problème posé dans le thème. La plupart d’entre nous auront oublié jusqu’au thème de la journée qu’ils célébraient une semaine auparavant.

L’essence des journées internationales c’est de soulever les problèmes auxquels font face certains groupes humains dans le but, et c’est ça le plus important selon moi, d’y apporter des solutions. Je me suis amusé il y a quelques années à faire une sorte de rétrospective, sur 5 ans, des thèmes de la journée mondiale de l’enseignant en essayant de faire le bilan sur ce qui a été fait pour régler le problème soulevé par le thème. Le constat que j’ai fait c’est que les problèmes posés n’avaient jamais été résolus. Je me souviens d’ailleurs que le thème de la journée de l’enseignant en 2009 était le même, à peu de mots près, que celui de la journée de l’enseignant en 2014. C’est dire si le problème posé persistait.

La célébration d’une journée internationale comme celle des droits de la femme ou celle des enseignants devrait se clôturer par la mise sur pied d’un programme qui pourrait s’étendre sur un an, et qui donnerait la stratégie à implémenter pour apporter des solutions réelles aux problèmes des femmes, des enseignants, ou de tout autre groupe concerné par ladite célébration, de façon que, avant la célébration suivante, un bilan puisse être fait pour évaluer les avancées.

Folklore, blabla, perte de temps

Tant que la célébration des journées internationales se limitera au défilé suivi de réjouissances diverses, tant qu’on se contentera d’organiser des tables-rondes ou bien des débats sans impact réel sur le terrain, tant qu’on ne choisira pas le thème des célébrations avec soin en tenant compte des problèmes réels et du contexte, les journées internationales, telles que célébrées chez nous, resteront une grosse perte de temps.

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Photo d’illustration: bonjourbintou.com


Avons-nous compris la leçon ?

La semaine dernière, le Cameroun a été frappé par un drame qui a fait, selon les chiffres officiels (donc contestables), 78 morts et 597 blessés. Suite à cet accident, et tandis que certains essayaient maladroitement de se dédouaner dans les médias nationaux et internationaux, on a vu des Camerounais se soutenir. On a vu l’entraide, la solidarité envers les rescapés de cette tragédie. Pourtant, malgré toutes ces actions, cette solidarité, je me demande si nous, Camerounais, avons compris la leçon.

Chaque fois qu’un drame est survenu au Cameroun, nous nous sommes indignés, nous avons réagi autant sur les réseaux sociaux que dans la vie réelle. Après le drame de Laquintinie, pour prendre un exemple récent, les Camerounais avaient exprimé leur colère, leur indignation. Des gens s’étaient recueillis, les autorités de la ville même avaient, paraît-il accompagné la famille. Pareil pour le cas de la petite Eva, enlevée et retrouvée décapitée quelques jours plus tard.

Mais après ça, rien. La vie avait repris son cours, et avec la même insouciance qui semble nous caractériser ici au Cameroun. On avait tôt fait d’oublier la petite Eva, Monique Koumatekel, et toutes les autres victimes de drames survenus avant. Il me semble que nous en sommes arrivés à nous contenter de peu, au point d’accorder très peu d’importance à nos propres vies. Il suffit de voir comment nous vivons, ce que nous tolérons, les écarts que nous avons érigé en norme, pour s’en rendre compte.

Généralement, quand je vais dans un ministère, je préfère prendre les escaliers au lieu d’emprunter l’ascenseur parce qu’à chaque fois ils sont surchargés. Pourtant, le nombre maximum d’occupants est indiqué. Mais on s’en fout, on attend qu’un drame survienne pour s’indigner. Et c’est pareil pour les taxis, les motos-taxis et autres bus de transport. Pour le Camerounais, la surcharge est devenue normale. On ne s’inquiète pas de voir un ascenseur prévu pour 8 personnes en contenir 15. On rit en voyant 4 ou 5 personnes monter sur une moto prévue pour 2 ou 3. On attend qu’un drame survienne pour pleurer.

La surcharge des wagons, je n’en doute point, a joué un rôle important dans la catastrophe ferroviaire qui a eu lieu le 21 octobre dernier. L’accident n’aurait peut-être pas pu être évité à cause de l’état des wagons ou de la locomotive, mais au moins, le nombre de victimes aurait été réduit si nous n’avions pas accepté de remplir les wagons comme une boite de sardine. Comme certains, je pense que, si Camrail et le gouvernement sont responsables de cette hécatombe, nous aussi, nous les citoyens qui acceptons de brader nos vies tous les jours dans les transports en commun ou ailleurs, avons une part de responsabilité dans tout ça.

Le drame d’Eséka a réveillé les Camerounais, qui ont montré qu’ils étaient solidaires.  Mais, avons-nous retenu la leçon, cette fois ? J’aimerais le croire. Mais pour dire vrai je suis sceptique. Beaucoup d’entre nous continuent à accuser le gouvernement, tout en oubliant nos propres erreurs. Et le gouvernement se dédouane, rejetant la faute sur Camrail, qui à son tour renvoie la balle au Gouvernement qui a donné des instructions ce jour-là pour que des mesures spéciales soient prises.

Des rescapés de l'accident - Photo : actucameroun.com
Des rescapés de l’accident de train du 21 octobre 2016 – Photo : actucameroun.com

Quand allons-nous enfin comprendre que nous n’avons plus rien à attendre du gouvernement camerounais ? Jamais ils ne prendront aucune mesure pour améliorer nos conditions de vie. Jamais ils ne voudront admettre leurs erreurs (tout comme nous, d’ailleurs). Ils l’ont démontré à suffisance. Chaque fois qu’un drame est survenu, ils étaient plus préoccupés par leur version de l’affaire que par la prise de mesures adéquates pour éviter que pareils drames ne se répètent.

J’ai appris récemment qu’il y a 330 buses comme celle qui a cédé sur l’axe Douala – Yaoundé. Qu’est-ce qui a été fait pour les renforcer après que celle de Matomb ait cédé ? Rien. À quoi servent tous les milliards alloués à l’entretien routier ? À quoi servent les milliards récoltés dans les péages ? Rien, rien, rien.

Je pense que le citoyen doit être le premier à assurer sa propre sécurité et à protéger sa vie. Mais ça, l’avons-nous compris ? Allons-nous arrêter de surcharger les taxis, les ascenseurs, les trains, les motos etc. ? Allons-nous arrêter d’acheter les permis de conduire tout en sachant pertinemment qu’on ne sait pas conduire ? Allons-nous enfin éviter l’automédication ? Bref, allons-nous enfin nous comporter comme des personnes responsables ? Une semaine – seulement – après le drame d’Eséka, je pense que nous n’en sommes pas encore là.

Photo: Internet


Le médecin n’est pas un faiseur de miracles

Dernièrement, plusieurs drames survenus dans nos hôpitaux ont remis au goût du jour le rôle et parfois la compétence des médecins et du personnel soignant en général. Il faut dire qu’à chaque fois, ce sont ces derniers qui étaient indexés par les proches des victimes et désignés comme les premiers fautifs. Pourtant, les facteurs pouvant conduire au décès d’un patient sont nombreux et évitables dans la plupart des cas.

Les causes des décès

Pour en savoir plus, je me suis rapproché d’un professionnel du domaine qui m’a expliqué que le décès pouvait être lié à 3 retards majeurs :

Les retards dans la consultation : parfois les patients arrivent tard à l’hôpital, c’est-à-dire que, la décision de s’y rendre ne se prend que quand la maladie est déjà à un stade avancé. « Très souvent c’est après 3 jours de diarrhée que les mères amènent les enfants à l’hôpital, après avoir épuisé l’automédication ou les traitements traditionnels ». Dans ce cas, il est plus difficile de soigner le mal, et la conséquence est parfois fatale. Et ici, la faute revient au patient qui aura attendu trop longtemps avant d’aller au centre de santé.

Les retards dans le diagnostic : il peut également arriver que, pour une raison ou pour une autre, que le diagnostic ne soit pas posé à temps. Les raisons de ces retards impliquent la compétence du médecin, la qualité du plateau technique, mais aussi les dispositions financières du patient. « Par exemple, tout le monde ne peut pas se payer un scanner à 180k pour diagnostiquer une maladie. »

Les retards dans la prise en charge : une fois que le bon diagnostic est posé, il peut arriver que la prise en charge traine. Dans certains cas, cela est dû à l’absence des médicaments prescrits, mais il arrive aussi que le patient n’ait plus (suffisamment) d’argent pour le traitement. « Parfois tu fais une ordonnance avec 5 produits, il achète d’abord 2 ou 3. Ça retarde le traitement. »

Priorité au traitement ?

Récemment, une circulaire du ministre de la santé rappelait aux responsables des structures sanitaires que le paiement des soins est exigible 24 heures plus tard. Pour beaucoup, c’était la solution pour régler le problème des retards dans le diagnostic et surtout dans la prise en charge des patients. Pourtant, sur le terrain, c’est plus compliqué que ça, car en pratique, il est impossible très difficile de prendre en charge un patient qui n’a pas d’argent.

« Oui, c’est dommage mais c’est comme ça, en général le médecin de garde n’est pas en charge des stocks de médicaments. Donc, quand tu vois le circuit du patient, quand il termine où je consulte, il doit aller à la pharmacie avec mon ordonnance. Là-bas s’il ne peut pas payer, ce sera difficile pour lui d’avoir accès au traitement. Ça participe au troisième retard que j’ai évoqué. On est souvent impuissant, malheureusement. »

Ce que j’ai retenu

À la fin de notre entretien, j’ai retenu ceci :

Il est plus prudent d’aller à l’hôpital se faire consulter dès qu’on se sent mal. Le médecin n’est pas un faiseur de miracles, et parfois il est trop tard quand on décide d’aller le voir.

Le rôle du médecin, c’est de « poser le bon diagnostic lorsqu’on lui amène un patient », il n’a ni le pouvoir ni les moyens de traiter un patient gratuitement, sauf s’il paye de sa poche.

Dans la plupart des cas, les décès sont causés par le manque d’argent, ce qui occasionne les retards cités plus haut, qui conduisent aux décès. « Par exemple, tout le monde ne peut pas se payer un scanner à 180.000 francs pour diagnostiquer une maladie. »

Le médecin n’est pas exempt de tout reproche : « premièrement c’est un humain (qui ne se trompe pas ?) et comme dans de nombreux domaines il y a des gens un peu moins compétents que d’autres. » Dans certains cas, une erreur de sa part peut avoir des conséquences dramatiques.

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Cet article a été rédigé dans le cadre de la campagne #SantéPourTous initiée par les blogueurs Camerounais. Pour participer à la campagne, vous pouvez suivre le hashtag #SantépourTous sur les réseaux sociaux, et partager les articles publiés dans le cadre de la campagne. Vous pouvez également (re)lire et partager les articles publiés avant celui-ci :

VIH SIDA : comment vivre longtemps avec le virus ? (Thierry Didier Kuicheu)

Les hôpitaux camerounais sont des malades très mal soignés (Fabrice Nouanga)

VIH-SIDA : la nécessaire éducation (Christian Cédric)

Pourquoi l’argent est-il la priorité dans les hôpitaux au Cameroun ? (Tchakounté kémayou)

 

Crédit photo de couverture: cameroun24.net


Il faut augmenter les frais de péage routier

Il y a bientôt un mois, une rumeur a circulé sur les réseaux sociaux, qui annonçait l’augmentation des frais de péage routier sur nos axes. La rumeur prétendait que lesdits frais allaient passer de 500 à 2.500 francs. Inutile de dire que les usagers n’ont pas caché leur mécontentement face à cette mesure. Le 25 septembre le ministre des finances a finalement publié un communiqué radio-presse pour démentir cette information, invitant aux usagers de la route de « continuer à vaquer sereinement à leurs occupations ».

Sereinement ?

Le ministre estime-t-il sérieusement qu’on peut « sereinement » vaquer à ses occupations sur les routes que nous avons ? Pense-t-il réellement que quand nous prenons la route tous les matins c’est avec l’esprit tranquille ?

Chaque voyage qu’on fait par route dans ce pays, on le fait avec un pied dans la tombe, et ceci peu importe la prudence du chauffeur. Nos routes sont dans un tel état que même le plus expérimenté des chauffeurs n’est pas à l’abri d’un accident.

Augmentez les frais…

Si ça peut enfin nous permettre d’avoir des routes moins dangereuses, si ça peut contribuer à améliorer l’état des routes et réduire le nombre d’accidents (environ 3000 chaque année)* et de décès liés aux accidents (environ 1000 chaque année)*, je pense que le jeu en vaut la chandelle.

Nos routes sont de véritables abattoirs, et ce que les pouvoirs publics se contentent de faire, c’est de mettre des plaques sur le bord des routes pour indiquer les zones « accidentogènes » – carrément – ou encore le nombre de personnes qui ont péri à certains endroits.

J’aurais préféré qu’on augmente le montant des péages. En fait, quand l’information de l’augmentation m’est parvenue, je me suis réjoui. Je savais que ça impliquerait forcément une augmentation des frais de transport sur certains axes et peut-être des prix des denrées alimentaires, mais j’espérais que l’état des routes serait amélioré. On ne perdait pas au change, en réalité. Dommage…

Actuellement, les usagers déboursent 500 francs pour passer les péages, mais pour quelles améliorations ? Tous les jours les crevasses naissent et prospèrent sur nos routes, mais personne ne s’en inquiète. Il faut augmenter les frais de péage.

Mais avant d’augmenter les frais

Il faudrait qu’on nous explique un jour comment sont utilisés les 6 milliards que produisent les péages chaque année au Cameroun. Parce que oui, les 500 francs collectés aux automobilistes, en un an, ça fait beaucoup d’argent. Où va cet argent ? Qui l’utilise, et comment ?

Crédit photo: https://brukmer.be
L’opposant historique Fru Ndi appelant les usagers à ne plus payer les frais de péage – Crédit photo: https://brukmer.be

« Le Fonds routier camerounais mobilise environ 60 milliards de francs Cfa chaque année »** dédiés à l’entretien des routes. Mais pourquoi nos routes continuent-elles à faire des victimes ?

Je suis pour qu’on augmente les frais de péage routier, si ça peut sauver quelques vies, rassurer quelques parents quand leurs enfants leur disent qu’ils voyagent, donner aux voyageurs le sentiment qu’ils sont en sécurité sur les routes. Quel qu’en soit le prix, je suis pour qu’on augmente les frais de péage. Mais je pense que les usagers doivent être informés de comment leur argent est utilisé.

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* Selon les chiffres disponibles dans le site de l’OMS

**Source: Cet article paru dans le site Investir au Cameroun

Crédit photo de couverture: fondsroutiercameroun.org


Et si c’était la faute aux enseignants ?

Aujourd’hui c’est le 5 octobre, journée mondiale des enseignant(e)s, une journée que les enseignants camerounais ont tôt fait de transformer en fête. Les enseignants camerounais sont fiers – ou alors devraient l’être – car ce sont eux qui ont fait des grands de ce pays ce qu’ils sont. Voilà l’excuse qui m’est brandie chaque fois que je dis à des collègues ou amis qu’il n’y a aucune raison de fêter cette journée.

Pour beaucoup, on devrait se réjouir d’avoir contribué à la formation de millions de Camerounais, parmi lesquels les hautes personnalités du pays. Pour beaucoup, on mérite de porter ces tissus bon marché et presque transparents, d’aller boire des bières et manger des morceaux de poulets (trop cher payés à cause de la grippe aviaire), parce que c’est nous qui avons fait de ces millions de Camerounais ce qu’ils sont ou seront.

C’est amusant, mais quand je regarde le type de Camerounais que nous nous réjouissons d’avoir formés, et que nous continuons à former, je me dis qu’on a un sérieux problème, nous les enseignants.

Au fil des années au Cameroun, le niveau scolaire ne cesse de baisser. L’orthographe, la grammaire, sont sacrifiés sur l’autel de l’ignorance. Et malgré les nombreux subterfuges que l’Office du Baccalauréat met sur pied pour rajouter des points aux candidats lors des examens, les pourcentages de réussite aux différents examens restent inquiétants (Oui, 50% ce n’est pas assez). Tout ceci se fait avec le concours des enseignants – tiens donc ! – qui regardent l’OBC faire sans protester.

Quand je regarde le Cameroun, je vois un pays où les « hautes personnalités » détournent l’argent public, usent de leur influence pour profiter des failles du système pour se remplir les poches tandis qu’autour d’eux le peuple misère. Comment peut-on être fiers d’avoir formé des personnes qui font tout pour mettre le pays à genoux ? Comment peut-on se réjouir d’avoir formé des Camerounais qui laissent mourir leurs semblables tous les jours dans les hôpitaux parce que ces derniers n’ont pas de quoi payer dans l’immédiat ?

Au Cameroun, des milliers de jeunes, bardés de diplômes finissent sans emploi. Et, nous qui les avons formés (à faire quoi, finalement ?), nous devons nous réjouir d’en avoir fait des sans emploi. Nous méritons ces bières, car grâce à nous, le taux de chômage est en hausse chaque année, et le nombre de braqueurs augmente. Si au moins nous avions honte, nous enseignants !

Enseigner, c’est beaucoup plus que transmettre des savoirs. Je le disais encore ce matin sur Twitter : l’enseignant ne se contente pas de transmettre le savoir. Il transmet également le savoir-être à ses apprenants. Et, quand on regarde comment les Camerounais se comportent au quotidien, on comprend que sur ce point-là nous avons échoué depuis le début.

Mais ce n’est pas étonnant qu’on ait échoué. Il suffit de nous voir nous réjouir chaque 5 octobre alors qu’on a des problèmes nettement plus urgents dans la profession pour comprendre que le savoir-être que nous allons transmettre à nos apprenants doit être remis en question. Car en fin de compte, le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre.

Et si c’était la faute aux enseignants ? Les détournements, la corruption, le trafic d’influence, le vol, l’ignorance… Et si les enseignants étaient à blâmer, eux qui passent chaque jour plus de temps avec nos enfants que nous-mêmes ? Et s’ils étaient responsables de tous les maux qui minent notre société ?