19% de taux d’intérêt : la vérité crue sur le Microcrédit

Il y a deux jours je regardais un film intitulé en espagnol « La cruda verdad ». Parfait sous-titre de ce post : « la vérité crue ». Alors que je pensais que micro-crédit voulait dire crédit à faible taux, j’ai réalisé ici que « micro » veut dire « petite somme » et que les taux restaient exorbitants.

Il y a bien des déceptions dans la vie d’une « gringa ». Petite blanche toute fraîche élevée aux idéaux et aux grands principes de « Liberté, Egalité, Fraternité », tenter l’aventure péruvienne est pour moi une suite de beaux moments, de surprises et de rudes confrontations à la réalité. Quand je vivais dans mon petit appartement parisien, j’avais entendu parler du micro-crédit comme une solution pour sortir les pays de la pauvreté en prêtant à tous de petites sommes pour démarrer. Formidable. Ça avait même valu en 2006 un Prix Nobel de la Paix à son concepteur, l’économiste Muhummad Yunus.

Arrivée ici je ne comprenais pas pourquoi les producteurs de café qui m’entourent empruntaient les 10 000 soles (quelques 3000 euros) pour mener à bien leurs récoltes à des taux de 10% sur trois mois et se pressaient de rembourser. « Il existe le micro-crédit », répétais-je en boucle. Personne ne voyait de quoi je parlais. Des taux de moins de 5% où est ce que j’étais allée pêcher ça ? Je les ai donc incité à entrer dans des coopératives où l’accès au micro-crédit est facilité. Nombre d’ONG ou de structures de micro finance ne prêtent pas aux particuliers, il faut un intermédiaire qui se portera garant et ira vérifier sur le terrain l’utilisation des précieux fonds.

Et le « miracle » a eu lieu. L’autre jour nous avions rendez-vous avec notre coopérative, organique et équitable avec toutes les certifications (Starbucks, Rainsforest, Max Havelaar…), pour récupérer les résultats de l’analyse du sol et notre « ordonnance » organique. Nous voyant fort motivés, l’ingénieur agronome évoque la possibilité de faire partie du programme de coupe du café qui permet aux producteurs d’accéder au prêt spécial de la coopérative.

Mon oreille se dresse, je suis à l’affût, enfin quelqu’un va nous parler du micro-crédit. Il enchaîne, un prêt pour pouvoir amortir les coûts de cette nouvelle technique qui endommage moins la plante et le sol et ravira les bobos heureux de savoir la planète bien protégée par le « petit producteur » en photo au dos du paquet. Un prêt d’un an entier à taux fixe. Un prêt spécial en récompense de ce geste écologiquement correct… Un prêt à seulement 19% de taux d’intérêt.

Sourire satisfait de l’ingénieur. Mine décomposée de la gringa. « 19% !!!! Mais enfin c’est énorme ». « Ah, mais non, Mademoiselle, c’est tout à fait exceptionnel, dans le secteur privé c’est bien plus. Nous passons par Agrobanco, organisme public de micro-crédit aux petits producteurs. Le taux est minimum. » Inutile d’argumenter sur la perception d’un taux minimum, une petite enquête fera l’affaire.

Un coup de Google et d’articles en articles, je comprends enfin ce qu’est réellement le micro-crédit. Avant je ne m’étais jamais donné la peine. Je lisais juste la conscience tranquille la petite histoire au dos du paquet. Il s’appelle « micro » car il s’agit de petites sommes, le taux, lui, reste « maximo ». Ce principe permet de prêter aux plus pauvres de petites sommes sur un temps court pour se lancer dans une activité. Auparavant c’était impossible ou il fallait faire appel aux usuriers et prêteurs sur gage qui peuvent atteindre les 100% de taux. C’est donc un progrès. Mais comme prêter petit coûte administrativement la même chose que prêter grand et qu’il faut en plus un aréopage d’experts pour assurer le suivi des emprunteurs et de la destination des fonds, on arrive à une moyenne de taux de 26,4% annuel pour les Instituts de Micro Finance. 19%, oui, c’est exceptionnel.

J’ai dû parcourir pas mal de sites pour me faire une raison. Partout on encensait les miracles du micro-crédit mais personne ne précisait les taux. Pourquoi assombrir le tableau ? Et désillusionner les donateurs si heureux de tendre la main au « petit producteur ». Jusqu’à ce que je lise cette tribune parue dans Le Monde d’Edith Duflo, économiste, qui relativisait : certes les entreprises familiales vivotent grâce au micro-crédit mais ne sont pas génératrices d’emplois stables ni de changement notable des conditions de vie. Un moindre mal en quelque sorte.

Alors que je m’indigne et lance ce post pour que d’autres m’expliquent les solutions trouvées dans leur pays pour que «micro » s’applique à la fois au montant et au taux, mes petits producteurs à moi, voisins ou amis, font la queue chez MiBanco ou dans les Cajas Rurales pour avoir en main les fonds pour nourrir le sol et payer la main d’œuvre en attendant le fruit de la récolte. Ils vont emprunter 10 000 soles à un taux de 38% par an (chez MiBanco) qui diminuera si ils remboursent plus vite. En conséquence, ils vendront au début de la récolte quand le prix du café est encore bas car attendre que le cours monte c’est aussi laisser courir leur prêt et les acheteurs le savent. Ils auront gagné une marge qui ne suffira pas à assurer la vie de la famille et les investissements de la plantation pour un an et retourneront, résolus, dans la queue de la banque. « Mieux que rien et mieux qu’avant » disent-ils en haussant les épaules à la gringa en colère. A eux, personne n’a jamais promis « Liberté, Egalité, Fraternité ».

PS : En France aussi le micro-crédit existe. L’ADIE prête à un taux de 9,71% annuel à ceux que les banques refusent.

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Auteur·e

bittnerchristelle

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