Le maillot de bain de Beyoncé

– Chers invités, avant de donner le coup d’envoi de la partie de natation, nous allons prier notre « anniversaireuse » et son oncle professeur de sport de nous faire une petite démonstration de natation, ensuite la piscine sera libre pour tous ceux qui veulent nager. Encore une fois, joyeux anniversaaaaaaiiirrrrrrrrrre à notre amie Habibatouuuuuuuuuuuuu !
Habibatou, surgie des vestiaires dans un maillot de bain rouge – gloire à la Chine des maillots de bain rouges, la Chine rouge, la Chine conquérante, la poitrine bombée pour faire valoir son potentiel de séduction, s’approcha de moi, un complet de maillot de bain pour hommes de la même couleur en main sous les applaudissements de la centaine d’invités.

– Voilà la surprise dont je te parlais, tonton, tu vas nager avec moi, une véritable démonstration de nage, je dois être la meilleure nageuse ce soir, comme c’est moi la princesse de la fête, et tu dois m’y aider, allez, va aux vestiaires te changer, va vite te débarrasser de ces machins des messieurs des bureaux, et on plonge.

Je donnai intérieurement raison à Goudena, ce forgeron cinquantenaire de mon village dans les années quatre-vingt-dix qui s’était trouvé pour dada et exutoire de séquestrer et violer les fillettes de la dizaine, depuis que l’une d’entre elles s’était moqué de son pantalon troué qui montrait une partie de ses couilles alors qu’il buvait du vin de palme dans le plus grand cabaret du village. Les jeunes filles de la dizaine et vingtaine sont des déesses de la provocation. Je peux encore gober qu’elle me fasse passer pour son oncle, mais qu’elle me présente comme un prof… de sport, Terre et Ciel ! Se faire traiter de professeur ça ne fait déjà pas glamour, c’est une provocation, ça fait mal, mais de professeur de sport, mon Dieu, quelle injure ! C’est vrai qu’il y a des exceptions, comme au Togo où on a un prof de sport devenu président de l’Assemblée nationale puis président de la République entre Gnassingbé Père et Fils, et président de l’Assemblée de nouveau. Mais là c’est le Togo, un modèle à part. Sincèrement, être un prof de sport ici aujourd’hui, c’est presque aussi chiant qu’être un militaire ou un policier, ça ne fait rêver aucun jeune. Vaut mieux être un gérant de cybercafé pour au moins servir à ouvrir des comptes Facebook.

– Euh, hum, euh, Habibatou, tu sais quoi, je crois que tu es en train de te méprendre sur moi, tu comprends, hein, tu ne peux pas te permettre tes insolences de petite fille imbécile avec moi, tu me suis, hein. Tu ne peux pas me faire venir ici pour nager, devant tout ce grand public, sans m’avoir averti, je suis un responsable, je me respecte, et…

– Tu ne vas pas commencer à me faire des leçons de morale devant mes copains et copines, le jour de mon anniversaire, j’espère. Si tu veux nager, viens nager, si tu ne le veux pas, tu peux aller te faire foutre, parce que…

– Et puis c’est quoi cette histoire de tonton et de prof de sport, hein ! Depuis quand je suis ton oncle, et surtout un prof de sport, hein.

– Hein, tu n’es pas prof de sport hein, mais tu enseignes, c’est ce que tu me dis toujours, et un prof c’est un prof, y a pas de différence entre les profs, ils sont moches, aigris, arrogants et pauvres. Bon, je t’ai présenté comme mon oncle parce que c’est pas très cool que je montre à mes copains et copines que je sors avec toi, tu vois, hein, elles vont se moquer de moi, vont me dégrader, moi la star de toute notre école. D’abord t’es trop vieux pour moi, tu as presque trente ans, alors que regarde les petit’cops de mes copines, ils n’ont même pas vingt ans, ensuite tu n’es pas branché, aucun tatouage, aucun piercing, et t’es habillé comme un retraité parti retirer sa pension, enfin tu n’es pas très beau, tu vois, hein, si tu étais chauve et un peu plus grand on te prendrait pour Abdoulaye Wade le président sénégalais, tu ne fais pas design. Mais oublie tout ça, c’est juste pour quelques minutes, je serai bientôt à toi, va porter ton maillot de bain et viens nager avec moi, tu n’as pas financé l’anniversaire de ta nièce pour venir t’énerver juste parce qu’on t’a présenté comme un professeur de sport, tonton.

Sous les regards insistants des invités, tous de la vingtaine, en jeans plaqués, pantalons bouffants, tee-shirts-robes, baskets, assis tout autour de la piscine, le prof de sport que tout le monde voulait voir faire sa démonstration de natation avec sa nièce traîna jusqu’aux vestiaires, son maillot de bain rouge-chinois en main. Le désespoir de l’humiliation fit défiler dans le miroir dans lequel il se mirait maintenant dans les vestiaires les scènes de sa rencontre avec la jeune fille.

Il l’avait rencontrée un soir, la petite allumeuse, il y avait trois mois, devant son école. Jeune, belle et très sexy. Allumé, il avait demandé son numéro. Hésitations. Il avait insisté. Elle lui avait fait savoir qu’elle n’était pas intéressée, qu’elle avait déjà un jeune copain. Il avait insisté. Elle s’était ravisée, ayant compris qu’il pouvait lui servir. Ces tontons qui travaillent servent toujours à quelque chose, moches mais riches. Il l’avait invitée deux ou trois fois chez lui, lui avait assuré qu’il lui donnerait tout ce dont elle avait besoin si elle acceptait de sortir avec lui. Elle avait accepté, mais posé une condition, elle ne se donnerait à lui que la nuit de son dix-huitième anniversaire, dans deux semaines. Il lui avait remis une enveloppe de cent mille francs pour l’organisation de la fête. Elle lui avait promis, en contrepartie, une grosse surprise d’amour le jour de son anniversaire devant ses amis, avant la nuit du lit. La surprise, la surprise d’amour, il venait de l’avoir. Il fut présenté comme un oncle, et professeur de sport, lui qui enseignait le marketing et la communication. Elle n’était pas intéressée par ce qu’il enseignait. Etait trop vieux, trop débranché, trop laid, ressemblant trop à Abdoulaye Wade pour qu’elle le présente à ses amis comme son copain…

– Mais Dave, me dis pas que tu vas passer toute la soirée là devant ce miroir quand les invités nous attendent pour nager, hein, eh bien, excuse-moi de t’avoir fait présenter comme un prof de sport, viens on nage ensuite je rectifie, je vais te présenter comme un prof de… de quoi, hein, tu enseignes quoi au juste, hein, bon, je te présenterai même comme le fils de Kadhafi, non, de Barack Obama si tu veux. Allez, on y va, ou je fais appel à un autre, y a trop de petits beaux gosses là qui veulent nager avec moi la star de la soirée. Tu vois que je ressemble à Beyoncé avec ce maillot, hein, c’est ce qu’elle a porté durant ses dernières vacances en Floride.

J’osai un courageux coup d’œil sur mon reflet dans la glace. Mon look de prof de sport endimanché. Mon ensemble qui aux yeux de tous ces jeunes gens présents devait paraître celui d’un collecteur d’impôts ou d’un vendeur de timbres dans une mairie de région… Je ne ressemblais pas à Jay Z. Je ne ressemblais à rien qui puisse intéresser la Beyoncé ! Je ne suis plus dans le mouvement, mon Dieu, je me débranche, je ne suis plus connecté, le système me rejette, je, je, aïe je vieillis ! Un petit homme vieillissant avec un maillot de bain rouge-chinois en main dont il ne peut se servir, comme il ne sait pas nager, un vieux polichinelle escroqué et humilié par une petite fille qu’il n’est pas assez costaud pour frapper. Si j’étais au moins un prof de natation… ou de kung-fu !

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davidkpelly

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