Fethi Akkari

Pays en développement face au dilemme du prisonnier

Les pays en développement et surtout africains ont été depuis longtemps soucieux du fameux dilemme désendettement/développement. Après un train de mesures drastiques, ces pays se retrouvent aujourd’hui, condamner à gérer un double handicap : le non-développement et le fardeau de la dette, dont une grande part à caractère odieux. L’enjeu est de taille, il dépasse, à mon sens, la théorie des jeux car il pose un vrai problème d’optimisation sous une infinité de contraintes. En effet, ces pays doivent allouer le peu de ressources dont ils disposent entre la recherche des sentiers de développement soutenu et le remboursement de leurs dettes sans les alourdir par le recours à financement extérieur suicidaire de type Ponzi (s’endetter pour rembourser des dettes antérieures).

La solution ne semble pas évidente, passivité tiers-mondiste oblige. Ces pays se contentent de manifester soit leurs bons accueils, soit leurs reproches aux solutions qui parviennent des pourvoyeurs des fonds sans pour autant arriver à imposer les leurs.

La prise de conscience de l’effet dramatique d’un endettement insoutenable, les enseignements tirés de la crise économique de la Grèce, nous interpellent forcément à invoquer la problématique du financement de la dette publique, du recours systématique à l’endettement extérieur et les fameuses agences de notation cauchemardesques qui ne font qu’accélérer les problèmes et précipitent les difficultés.

La gouvernance par l’endettement :

S’endetter ne fera qu’accroître l’illusion de richesse. S’endetter, mais à quel prix ? Au prix de la dignité et de la colonisation sous sa forme la plus cruelle. La dette sous sa forme actuelle, comme l’a bien dit Thomas Sankara  » est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser « .

Martín Lozada, décrit dans un de ses articles les conséquences de la dette extérieure, en signalant le fait que le paiement de cette dette  » réduit et conditionne toute possibilité de développement des pays sous-développés, en diminuant violemment le niveau de vie des populations, en réduisant les possibilités d’emploi, et en sapant peu à peu les systèmes de santé et d’éducation des pays endettés.  »

Alors, à quoi bon payer ses dettes?

Souvent on avance les arguments comme la crédibilité de la place, le privilège d’accès aux marchés pour lever des fonds facilement, la notoriété du pays vis-à-vis de l’extérieur, l’amélioration de la note sur le risque souverain… Il semble, néanmoins, que ces arguments laissent entrevoir une volonté franche de perdurer le phénomène d’endettement en dépit de ses conséquences désastreuses sur les classes prolétaires…….

Les remèdes qui tuent

Les dix préceptes du Consensus de Washington pour venir au secours d’un pays en situation d’endettement chronique. Une ordonnance bourrée d’antalgique qui, in fine, mettra le pays à genoux.

1- une cure d’amaigrissement sous forme d’austérité budgétaire,

2- Action sur les dépenses publiques par une réduction des subventions,

3- Promotion d’une politique monétaire orthodoxe basée sur la libéralisation des taux d’intérêt,

4- Ouverture extérieure,

5- Libéralisation,

6- Privatisation,

7- Déréglementation,

8- Réforme fiscale,

9- Droits de propriété notamment au profit des étrangers

Alors que faire

Une solution alternative est-elle possible pour régler le problème systémique de l’endettement, principale cause de mobilisation citoyenne et de soulèvement populaire… Peut-on imaginer un pays qui fonctionne convenablement sans endettement surtout que la théorie financière nous enseigne que l’endettement valorise l’expansion par l’effet de levier…

Entre l’idéologie néo-libérale inscrivant le recours à l’endettement dans la logique de développement économique des nations (optique gagnant-gagnant) et les revendications de la société civile, que faire ? On voit que nos pays ont plus que jamais besoin de garder leurs richesses et de stopper l’hémorragie qui les saigne pour reconstruire l’avenir sur de nouvelles bases saines. La seule vérité qui se dégage, c’est qu’on est en présence d’un dilemme du prisonnier, un cas célèbre de la théorie des jeux, caractérisant les situations de deux joueurs ou des agents économiques qui sont amenés chacun de leur côté à prendre des décisions qui sont individuellement sous-optimales et où ils auraient intérêt à coopérer pour s’en sortir à moindres dégâts…

 


La dictature dans les pays du tiers monde : un choix ou une exigence

Le silence de la communauté internationale a profité au régime de Ben Ali qui était assurément des plus autoritaires. Ce régime a commis des violations permanentes des droits de l’homme :  répression de la liberté de presse et d’association, harcèlement des opposants, et le pluralisme politique n’était que de façade. A l’époque Ben Ali, l’expropriation de biens, les pots-de-vin, la corruption allaient bon train, et cela en toute impunité, voire avec la complaisance de la communauté internationale. Cette dernière qui ne cesse aujourd’hui de clamer liberté et dignité et donner sa bénédiction au « printemps arabe ».

En parcourant les archives Internet, il est à la fois impressionnant et décevant de voir combien la politique ou la « realpolitik » est sans scrupule. Il suffit de passer en revue les innombrables distinctions reçues par le président déchu ainsi que sa femme pour mesurer le degré d’implication des grands de ce monde dans la pérennité d’un régime autoritaire.

Un palmarès (cf. ci-après) ne serait-ce qu’un un simple extrait, qui ne peut nous laisser indifférent. Il nous interpelle sur la complicité internationale dans la dégradation des conditions humaines en Tunisie à l’époque de l’ex-régime et nous pousse à nous interroger sur la manière par laquelle un président élu ou réélu conçoit son modèle de règne : est-ce un choix ou une obligation dictée.

Comment se fait-il que les plus démocrates jetant le voile de l’omerta sur les dépassements du régime décident un jour de qualifier leur ex-allié de « persona non grata ».

Ben Ali ou communément appelé « Zaba » a reçu en fait :

– le Prix Louise Michel «Démocratie et droits de l’homme» décerné par l’Institut français d’études politiques et sociales,

– honoré par l’Institut supérieur de la défense des traditions en Sicile (Italie).

–  le prix Telamon de la paix, décoré par le Centre italien des relations internationales.

– Médaillé d’or et «Collier d’Abi Bakr Asseddik» par le Croissant-Rouge …

Zine El Abidine Ben Ali a été élevé au titre de Docteur Honoris Causa de l’université d’Ancona en témoignage de «ses mérites considérables au niveau de la direction des affaires économiques et la consolidation des droits de l’homme et des droits sociaux dans son pays».

Il est primé de l’Institut international des droits de l’enfant en Suisse. Il a reçu également le titre de Docteur Honoris Causa en droit civil de l’université de Dowling de New York.

Les ligues italienne, espagnole et catalane des droits de l’homme ainsi que l’Institut italien de recherches et d’études parlementaires de Rome lui ont décerné le Prix de la Méditerranée des droits de l’homme pour le développement démocratique fondé sur le principe de l’égalité des droits entre les citoyens, le respect de la personne humaine et le progrès économique et social !

Et ce n’est pas tout, voilà le CV du couple Ben Ali à l’époque où Zaba fut l’empereur d’un pays où les sujets sont complètement soumis.

Palmarès des prix et distinctions

Le 12 décembre 2008, il reçoit la « Clef d’AlQods AlSharif ».

Le 23 avril 2009

* reçoit le blason de l’Union des avocats arabes.

* le blason du Réseau arabe de l’environnement et du développement.

* le blason de la Fédération méditerranéenne des associations d’Internet.

* le blason de l’Association de la sécurité routière de l’Etat des Emirats arabes unis.

Le 2 juin 2009, il reçoit l’écusson la conférence internationale sur le thème « Dialogue des civilisations et diversité culturelle ».

Le 13 juillet 2009, il reçoit le Prix international du « Special Olympics International ».

Le 26 avril 2010, il reçoit l’écusson de la Fédération arabe des journalistes.

Prix attribués à Mme – le prix d’excellence en technologies de la formation « Enabling technology excellence awards » attribué par l’Alliance mondiale des Nations unies pour les TIC au service du développement (GAID)- le prix accordé par l’ONU concernant les droits des personnes handicapées,Elle a également reçu le Blason d’or de l’Organisation arabe de la femmeElle a été honorée par la Fondation «Ensemble pour la paix» qui lui a décerné le Prix «Paix 2005», en reconnaissance pour le profond humanisme dont elle se prévaut dans ses nombreuses initiatives en faveur des catégories vulnérables.

Elle est décorée par la haute distinction « Compagnon de Melvin Jones » de l’Association internationale Lion’s Club en signe de reconnaissance à ses efforts en matière de prestations sociales et de considération pour son action humanitaire en faveur des catégories à besoins spécifiques


Truquer l’altimètre n’est pas le meilleur moyen de sortir un avion d’une zone de turbulence…

La démocratie, assimilée politiquement au gouvernement du peuple par le peuple et sociologiquement à l’égalité des hommes et des chances et la protection des minoritaires se fonde particulièrement au règne de la loi tout en reconnaissant les « droits de l’homme » qui ne sont autres que le respect de l’individu, lequel constitue une véritable limite à l’exercice de l’autorité de l’Etat.

Au demeurant, l’égalité en elle même nuit à la liberté, qui pourtant en est le principal fondement. In fine, la démocratie s’auto-corrompt en portant en elle le germe de sa propre destruction.

La démocratie semble beaucoup plus une utopie qu’un alternatif du totalitarisme. Elle est dans les faits, le moins mauvais des régimes politiques comme l’affirmait Platon, voire même une sorte de despotisme doux au sens de Tocqueville…Preuves à l’appui…

  1. Le droit au vote, par lequel le peuple devrait gouverner indirectement (choisissant ses représentants) est non seulement l’expression d’une démocratie qui est encore formelle, mais aussi le symbole d’une immense “escroquerie“ au détriment du citoyen et du peuple entier. Pourquoi ?

    1) Parce qu’on peut faire du chantage à une grosse couche de ceux qui votent et qui n’ont pas de travail et de moyens de subsistance. Le premier souci de cette couche de population n’est pas la démocratie mais la subsistance.

    2) Parce que les méthodes électorales volontairement compliquées font en sorte que les électeurs se sentent désorientés et partant facilement manipulables .

    3) une tranche énorme de la population n’a pas les bases académiques ou culturelles pour comprendre la politique et l’économie, n’ayant – donc – l’instrument pour comprendre si un politicien a réussi ou échoué. Elle votera – donc  – sur la base de ce qu’elle écoute passivement à la télé, sans le comprendre.

    4) Parce qu’il est impensable, par instinct naturel, que la personne élue vise à l’intérêt de l’électeur. Il est plus probable qu’elle seconde son ambition naturelle et légitime, visant à garder son pouvoir autant que possible, à travers la pratique du compromis.

    5) Parce qu’un citoyen qui a donné son vote à un candidat qui n’a pas été élu n’exerce aucun pouvoir sur le gouvernement, du moment qu’il n’est pas représenté.

  2. La démocratie est incapable de faire régner l’ordre voire la justice
  3. La démocratie transitionnelle « le cas des pays du printemps arabe » risque de dégénérer en anarchie car la société se transforme par la force des choses en une armée mexicaine, tout le monde légifère et commande au point de se retrouver dans une situation chaotique où, personne ne détient l’autorité et nul n’obéit. Les vertus d’ordre et de discipline se perdent alors, et sont remplacées par le désordre et l’indiscipline.
  4. Pour le théoricien de la « fin de l’Histoire », Francis Fukuyama l’érosion de la classe moyenne dans de nombreux pays menace les fondements de la démocratie, car l’égalité est sujette à contestation. A lors si la dictature c’est ferme ta gueule la démocratie c’est cause toujours………..


Pourquoi ne pas croire à l’effet papillon

Edward Lorenz a découvert que dans les systèmes météorologiques, une infime variation d’un élément peut s’amplifier progressivement, jusqu’à provoquer des changements énormes au bout d’un certain temps. Ainsi, un battement d’aile de papillon à Tunis pourrait provoquer en quelques semaines une tempête sur New-York.

Étonnant non!! Mais la révolution du jasmin en est une parfaite illustration. L’étincelle Bouazizi a enclenché de Sidi Bouzid le printemps arabe et a tracé la voie de la liberté et la dignité. De la Libye à la Syrie, des révolutions en série clament d’une seule voix “ A bas les dictateurs” “ le peuple revendique la démocratie, le pluralisme politique, le droit de l’homme et le droit au travail. Des dictateurs sont limogés, d’autres en cours, mais sommes nous vraiment libérés de la vraie dictature???

Malheureusement que non.

Les dictateurs qui sont au fond de nous, sont autant importants que les tyrans. Leur force dévastatrice qui nous manipule comme des marionnettes vient de notre faiblesse face au moi narcissique et égocentrique.

On est devenu schizophrène, on change d’avis comme on change d’habit. Chacun de nous est à la recherche du code source du monde pour le changer, mais il n’a jamais pensé un moment à se faire changer.

L’égo nous pousse à chaque instant à se confronter au monde, à entreprendre, à conquérir, à modeler la réalité selon nôtre désir, à infléchir le caractère des gens et à extirper leurs défauts. Mais jusqu’à quand on poursuit ce combat de Don Quichotte?

Sommes-nous vraiment conscients de nos actes ? Être trop strict ne risque t-il pas de nous déprimer faute de résultat car si on admet la thèse de Milan Kundera, la capacité humaine est incapable à remodeler le réel à l’image de son idéal.

Alors faisons preuve de souplesse. On est peut être sur la bonne route, rien nous oblige à rouler à 200km/h,  profitons du voyage..Sinon que nous reste t-il ? Seulement rêver d’un monde meilleur, car le rêve est désormais nôtre seul refuge à qui le moi se confie et se démasque; une porte pour pénétrer en nous-mêmes. Le rêve n’est-il pas notre démarche la plus secrète, notre comportement le plus authentique. C’est dans les coulisses de la nuit que surgissent les vérités profondes, mais avec l’aube reviennent les mises en scène, le paraître, les jeux sociaux, l’hypocrisie, la perte des valeurs…..et ainsi le rêve de nuit n’est que le cauchemar du jour.


Comprendre la crise de la dette par la parabole des ânes

   Un homme portant cravate se présenta un jour dans un village. Monté sur une caisse, il cria à qui   voulait l’entendre qu’il achèterait cash 100 euros    l’unité tous les ânes qu’on lui proposerait. Les  paysans le trouvaient un peu étrange mais son    prix était très intéressant et ceux qui topaient avec lui repartaient le portefeuille rebondi, la mine réjouie. Il revint le lendemain et offrit cette fois 150 par tête, et là encore une grande partie des habitants lui vendirent leurs bêtes.
Les jours suivants, il offrit 300 et ceux qui ne l’avaient pas encore fait vendirent les derniers ânes existants. Constatant qu’il n’en restait plus un seul, il fit savoir qu’il reviendrait les acheter 500 dans huit jours et il quitta le village.
 Le lendemain, il confia à son associé le troupeau qu’il venait d’acheter et l’envoya dans ce même village avec ordre de revendre les bêtes 400 l’unité. Face à la possibilité de faire un bénéfice de 100 dès la semaine suivante, tous les villageois rachetèrent leur âne quatre fois le prix qu’ils l’avaient vendu et pour ce faire, tous empruntèrent.
Comme il fallait s’y attendre, les deux hommes d’affaire s’en allèrent prendre des vacances méritées dans un paradis fiscal et tous les villageois se retrouvèrent avec des ânes sans valeur, endettés jusqu’au cou, ruinés.
Les malheureux tentèrent vainement de les revendre pour rembourser leur emprunt. Le cours de l’âne s’effondra. Les animaux furent saisis puis loués à leurs précédents propriétaires par le banquier. Celui-ci pourtant s’en alla pleurer auprès du maire en expliquant que sil ne rentrait pas dans ses fonds, il serait ruiné lui aussi et devrait exiger le remboursement immédiat de tous les prêts accordés à la commune.
Pour éviter ce désastre, le Maire, au lieu de donner de l’argent aux habitants du village pour qu’ils paient leurs dettes, le donna au banquier, ami intime et premier adjoint, soit dit en passant. Or celui-ci, après avoir rétabli sa trésorerie, ne fit pas pour autant un trait sur les dettes des villageois ni sur celles de la commune et tous se trouvèrent proches du surendettement.
 Voyant sa note en passe d’être dégradée et pris à la gorge par les taux d’intérêts, la commune demanda l’aide des communes voisines, mais ces dernières lui répondirent quelles ne pouvaient en aucun cas l’aider car elles avaient connu les mêmes infortunes.
Sur les conseils avisés et désintéressés du banquier, toutes décidèrent de réduire leurs dépenses : moins d’argent pour les écoles, pour les programmes sociaux, la voirie, la police municipale… On repoussa l’âge de départ à la retraite, on supprima des postes d’employés communaux, on baissa les salaires et parallèlement on augmenta les impôts. C’était, disait-on, inévitable mais on promit de moraliser ce scandaleux commerce des ânes.
 Cette bien triste histoire prend tout son sel, quand on sait que le banquier et les deux escrocs sont frères et vivent ensemble sur une île des Bermudes, achetée à la sueur de leur front. On les appelle les frères Marchés. Très généreusement, ils ont promis de subventionner la campagne électorale des maires sortants.
 Cette histoire n’est toutefois pas finie car on ignore ce que firent les villageois.


Lecture socio-politique des révolutions

Les peuples qui se sont soulevés héroïquement depuis décembre 2010 pour rompre avec leur passivité et racheter leur liberté et leur dignité expropriées par des tyrans qui leur imposaient par la force, soumission, servitude, abnégation et loyauté ne s’attendaient point que leur action va bouleverser manifestement l’échiquier mondial.

Un mouvement de contestation populaire sans précédant s’est engagé dans des révolutions libertines sans soubassement idéologique, sans ingérence des partis politiques et surtout sans intervention de l’extérieur.

La Tunisie, comme dans tous les pays communément appelés pays du printemps arabe, a déclenche le processus des revendications populaires avec pratiquement le triptyque: Dignité, liberté et équité.

Mais, est-il légitime de savoir comment se fait–il qu’un peuple en toute conscience accepte de passer d’un environnement paisible caractérisé par l’aversion au risque, la stabilité à une situation où la peur, l’angoisse, l’incertitude l’emporte et le conduisant à se soulever, pacifiquement, contre des tyrans sanguinaires?

La sociologie politique nous enseigne que les personnes sans se connaître, peuvent se reconnaître comme semblables dans un mouvement de foule né à partir d’une trilogie espace-temps-thème (Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895)). Il n’y a pas de lien affectif organique identifiable. Elles peuvent être reliées par un intérêt économique (l’équité sociale, la répartition égalitaire des richesses), par un état affectif de circonstance ou par une motivation collective forte (le cas de l’immolation de M. Bouazizi).

La réaction de la foule est imprévisible car elle suit une fonction comportementale à double entrée ; les réactions individuelles isolées et la réaction de masse. Luong CL. Dans Psychologie de foule : psychose et hystérie collectives ou « Mass sociogenic Illness décrit le mouvement de masse selon une approche phénoménologie qui la qualifie d’une situation sanitaire plutôt qu’une une situation de troubles de l’ordre public.

Évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en acte les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider.

L’action collective, inattendue, de la foule est souvent le résultat d’un cumul d’un processus de refoulement par rapport aux tabous idéologiques et autoritaires, mais aussi d’une vie quotidienne devenue économiquement plus difficile et surtout le développement de certaines convictions comme “il n y a de plus pire que ce qu’on est entrain de vivre” ou “un peuple opprimé mérite où bien une vie décente où bien la mort”. En fait, la manifestation d’une telle attitude, quand elle est dominée par l’oppression, déclenchent une cascade de réactions difficiles à contrôler.

Un ensemble d’interactions se met donc en place entre la population et l’État. Pendant ces interactions, la foule fait part de ses exigences (parfois fantasques) et l’État, en retour, se positionne.

Selon le degré de détermination des foules et la capacité de réaction de l’État, le résultat final pourra être une foule incontrôlable qui prend le pouvoir (émeute, révolution… et qui va essayer de se satisfaire elle-même en prenant son avenir en main. Ou bien, à l’autre extrême, une foule qui se fait mater par un pouvoir fort, lequel lui permet, de façon certes assez paradoxale, de réprimer son angoisse (instauration d’un pouvoir encore plus fort, la super-dictature…).

L’État autoritaire rassure en donnant l’illusion qu’il maîtrise la situation et qu’il peut ordonner la vie de la société de façon satisfaisante et motivante. Encore une fois, si la foule méprise un pouvoir faible ou une autorité qui ne parvient pas à lui parler, elle se courbe volontiers devant un pouvoir fort et autoritaire adoptant ainsi un comportement servile. Entre ces deux extrêmes qui voient la victoire de l’un des deux protagonistes, des solutions intermédiaires sont évidemment possibles: l’État peut par exemple courtiser l’opposition ou les leaders populaires en adoptant certaines mesures démagogiques afin de le flatter et de calmer sa colère montante.

Mais ce faisant, il risque de se faire déborder par la masse. Il essaiera ainsi de rechercher de boucs émissaires et d’alterner des mesures populaires et impopulaires de façon à conserver la maîtrise du pouvoir. On retient l’exemple du comportement des dictateurs arabes face aux revendications populaires.

Les individus d’une foule semblent bénéficier par ailleurs d’un sentiment d’impunité et d’irresponsabilité par rapport à leurs actes, d’où les débordements des foules. L’individu peut ainsi sacrifier son intérêt personnel au profit du groupe. Un individu totalement pacifique peut perdre son jugement, se laisser emporter par la furia de la foule et commettre des exactions dont il serait incapable seul. Une foule refuse tout dialogue. Elle peut facilement se soulever contre une autorité faible, mais difficilement voire exceptionnellement si l’autorité est forte.

Après le limogeage du dictateur et dans un climat de transition et de doute, la foule se comporte d’une manière infantile: elle a besoin d’être rassurée et d’avoir le sentiment d’être écoutée. Elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour, d’une manière ou d’une autre, retrouver la tranquillité. Mais tant qu’elle ne l’a pas obtenue, elle reste en lutte pour être satisfaite. L’État en situation de transition devient de fait le principal interlocuteur des foules car c’est lui qui détient le plus de pouvoirs et qui a pour fonction régalienne le maintien de l’ordre.

Cependant, deux situations se présentent:

L’Etat, a personnalité forte, arrive à convaincre la masse qu’elle rétablira l’ordre et satisfaire les revendications du peuple. Dans ce cas, le mouvement de masse perd de plus en plus ce qui faisait sa cohésion, son unité et sa force. Il ne serait plus qu’une poussière d’individus isolés et redevient ce qu’elle était à son point de départ.

L’Etat agit, la masse déplore

L’Etat s’efforce d’amoindrir les aptitudes de la foule à l’action et surtout à la réaction en agissant sur l’égoïsme individuel capable de rompre la cohésion collective, mais la masse vigilante résiste et retrouve son unité. Dans ce cas, l’Etat n’aura pas le choix, il se soumet à son peuple tout en poursuivant sa quête pour rétablir l’ordre public ou la suprématie de l’Etat.

L’Etat agit, la masse réagit

Rappelons les stratégies de manipulation de masse de Noam Chomsky

1/ La stratégie de la diversion

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-age ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.


Esquisse d’un plan de relance économique

Article publié il y a une année et demeure d’actualité

La question fondamentale qui se pose aujourd’hui aux autorités d’un grand nombre de pays en développement surtout ceux assez endettés vis-à-vis de l’extérieur, est la suivante : comment assurer une croissance économique tout en rétablissant une balance des paiements viable et un accès normal aux sources de financement extérieur dans un environnement international empreint de nombreuses incertitudes.

Certains pays ont voulu différer pendant quelques temps le réaménagement nécessaire de leurs politiques économiques en empruntant à l’extérieur, en utilisant leurs réserves de change ou en imposant des restrictions administratives aux importations des biens et services. Cette stratégie de report à un coût élevé en termes de croissance et d’endettement surtout si les sources de financement seront taries.

La réduction du déséquilibre extérieur généralement sur recommandations des plans d’ajustement structurels, s’est alors opérée d’une manière brutale et automatique dans des conditions toujours dommageables pour l’économie, souvent difficiles à supporter sur le plan social (austérité budgétaire et corruption) et politique (perte de la souveraineté).

S’il est vrai qu’un pays ne peut pas se soustraire longtemps à la nécessité de réduire son déséquilibre extérieur, la manière avec laquelle il effectue cette réduction est cruciale du point de vue de la croissance économique et de la répartition des revenus. De ce fait, un rééquilibrage de la balance des paiements avec réduction du déséquilibre extérieure peut servir la croissance.

Il n’y a plus de « recettes type » de politique économique qui soit efficace pour tous les pays. Les pays sont trop différents sur le triple plan économique, politique et institutionnel pour qu’une approche unique et mécanique puisse réussir.

Pour la Tunisie, une réorientation de la politique économique s’impose surtout que le modèle économique actuelle ne cadre pas avec les objectifs assignés au gouvernement de transition en matière de création de l’emploi et la maitrise du pouvoir d’achat.

L’agence de notation Standard and Poor’s comme Moody’s d’ailleurs a abaissé de deux crans la note de la dette à long terme de la Tunisie reléguant ainsi le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs. Cette dégradation, quoique, importante en termes d’effet d’annonce sur les intentions d’investissement, ne semble pas assez déterminante tant sur le plan économique car d’une part la dette privée ne représente que 30% du total de la dette extérieure tunisienne et qu’à ce titre, les effets de la dégradation seront assez limités et d’autre part, la Tunisie bénéfice (jusqu,à 2012 je crois) d’une contre-garantie américaine (USAID) qui permet un accès sur les marchés internationaux (obligataires) certes facile mais plafonné et limité dans le temps et avec un spread tolérable. Une première utilisation de cet instrument a eu lieu en juillet 2012 où la Tunisie a réussi à lever 485 millions de dollars par le biais d’une émission obligataire. C’est un emprunt à sept ans adossé sur une garantie de remboursement de l’État américain de 100% sur le principal et les intérêts.

Le taux de l’émission comme le précise le Trésor américain s’est établi à 1,686%. Ce taux très avantageux a été rendu possible par la garantie des États-Unis, qui bénéficient de la note de solvabilité maximale (« AAA ») auprès de deux des trois grandes agences de notation, et dont les taux d’emprunt sont parmi les plus bas du monde.

Mais ce privilège semble du passé et la Tunisie se doit de rechercher d’autres alternatives surtout face à un tiraillement politique et la non visibilité de la transition démocratique.

Afin de redresser la situation économique surtout avec une nouvelle donne non moins importante, à savoir l’expansionnisme budgétaire avec un déficit prévu de plus de 8%, un recadrage de la politique économique autour de certaines mesures de stabilisation et des mesures structurelles, me semble appropriée:

1- Une politique structurelle qui influence indirectement le niveau de la production courante et le potentiel de production.

2- des mesures d’accompagnement (politique fiscale rigoureuse, politique monétaire plus accommodante et une politique de change beaucoup plus flexible pour amortir les chocs)

Loin des ambitions des partis politiques, ce programme constitue un effort personnel qui essaye de tracer les contours d’une politique économique à composante sociale qui va de pair avec les réalités et les défis auxquels fait face la Tunisie post-révolution.

Radioscopie économique

Les événements qui ont marqué l’après 14 janvier 2011, ont auguré une nouvelle étape chaotique dans le cycle de vie économique du pays.

– Poursuite d’un climat d’attentisme même après l’achèvement du processus électoral – Chute brutale de la demande et de l’offre, avec perturbations du système productif – Dégradation continue du rating souverain – Des pressions sur l’activité économique, notamment la lenteur du rythme de la croissance, le ralentissement des exportations, le recul des recettes touristiques et la contraction de l’investissement tant intérieur qu’étranger et la baisse des réserves de change suite aux retombés de la crise de la dette souveraine dans les pays de la zone euro

– un accroissement du déficit courant qui a atteint 7% du PIB

– chute des réserves en devises.

– Pression énorme sur la liquidité

– persistance des tensions sur les prix d’un certain nombre de produits alimentaires et inflation contextuelle importante

Les autorités tunisiennes ont privilégié durant cette phase du processus le maintien du fonctionnement du système de paiement et le soutien d’urgence de la liquidité bancaire pour atténuer la procyclicité et poursuivre un financement de l’économie non dopé par des pressions inflationnistes éxagérées.

De même le gouvernement a approuvé dans une période difficile une augmentation salariale afin d’apaiser un tant soi peu le climat social et estomper les tensions qui en découlent. Or, l’investissement demeure freiner et l’économie bloquée pendant deux années durant lesquels on a assisté à des sit-in et des grèves de tout genre qui ont des fois poussé à l’extrême jusqu’à paralyser un pays en état d’agonie. On est arrivé à une situation où au lieu de combattre le chômage, on en rajoute encore.

En l’absence de visibilité économique, la marge d’intervention de la politique monétaire pour appuyer l’activité économique est devenue limitée et la croissance se profile à des plus bas niveaux.

Le gouvernement est partagé entre l’économique (répondre aux exigences les plus inadmissibles en situation de stress à l’instar de l’urgence d’un développement régional équitable) et le politique (prendre des mesures électoralistes pour s’assurer de sa continuité). Finalement, il n’a réussi ni l’un ni l’autre.

I- Pré-requis pour une sortie de crise

– Il faut promouvoir la souveraineté financière du pays pour relancer l’économie à un rythme soutenable. Cela suppose le renforcement de la compétitivité, le renouvellement du modèle social

– il faut imposer l’autorité de la République face à la violence et aux pressions de ceux qui veulent faire passer leurs règles avant celle de la république

– l’adhésion franche de toutes les composantes vives de la société autour d’un projet unique bénéficiant d’un consensus populaire. D’ailleurs, je ne crois pas que cette deuxième phase de transition sera la plus idoine pour redonner espoir à l’économie nationale.

Dans ces conditions difficiles, il y‘a deux choix : soit veiller aux équilibres macroéconomiques standards et se lancer dans une politique d‘austérité, soit poursuivre une politique budgétaire de relance. La première consiste à tailler les dépenses en particulier sociales et de compensation tout en réduisant les déficits, alors que la seconde consiste à creuser les déficits tout en augmentant les dépenses.

II- Mesures d’urgence

1. Adopter un plan de relance économique keynésien réfléchi en renforçant l’investissement public à rentabilité à court et à moyen terme. Le déficit public sera financé en partie avec l’émission des bons de trésor (avec ouverture des souscriptions aux non-résidents qui jusque là sont astreint à une limite de 20%) et des fonds d’appui à la relance (contractés avec la BIRD, BAD, FADES, AFD à des taux bonifiés)

2. Ne pas trop lever des fonds sur les marchés obligataires internationaux en s’appuyant sur la garantie américaine, car le Tunisie pourra envoyer un signal négatif aux marchés laissant entrevoir une volonté de puiser dans cet instrument sans stratégie aucune.

3. Sacrifier l’inflation en tant qu’objectif cible et revoir l’objectif pour le recentrer autour du développement économique. Évidemment une analyse affinée des sources de l’inflation (inflation importée, excès de la demande, pénurie de l’offre, offre monétaire, dévaluation du dinar..etc) doit se faire pour agir en conséquence.

4. Faire baisser le taux directeur de la banque centrale à un niveau où son impact sur le TMM serait significatif tout en maitrisant l’endettement des ménages (adopter certaines contingences) et surtout en acceptant quelques effets pervers (érosion monétaire, répression financière et inflation)

5. Soumettre le secteur bancaire à un plan d’assainissement et de restructuration III. Mesures à moyen et long terme

1. S’orienter vers un modèle de croissance reposant sur l’afflux d’investissements étrangers surtout non générateurs de dette (la sécurité est une condition sine qua none pour sa réussite)

2. L’économie tunisienne ne génère structurellement pas assez d’épargne pour financer l’investissement dans le développement de ses activités productives. Elle a besoin des flux de capitaux stables non générateurs de dette pour amorcer sa croissance. Les IDE sont nécessairement dépendants de facteurs extérieurs, mais surtout intérieurs (infrastructure, fiscalité de faveur, climat d’affaire sain , politique claire et transparente en matière de lutte anti-corruption, la protection des investisseurs, garantie de Transfert des capitaux, incitations fiscales, partenariat non contraignant, main d’œuvre qualifiée).

3. La nécessaire mobilisation d’investissements nationaux à la fois stables et volumineux supérieurs à leur niveau actuel, pour nourrir une croissance forte et durable qui permette de résorber le chômage. Ces investissements devraient profiter à l’ensemble du territoire en particulier les régions défavorisées selon leurs spécificités régionales.

4. La Tunisie pourrait profiter pleinement de sa demande intérieure dynamique et de son tissu entrepreneurial composée des PME. De plus, si la stabilité politique du pays se renforce, la question du modèle économique prendra certainement, au cours des prochaines années, une importance de plus en plus significative pour l’investisseur potentiel.

5. L’État doit offrir toutes les garanties possibles aux investisseurs pour que le site tunisien soit le plus convoité par rapport à nos concurrents directs ô combien ils sont nombreux.

  •  La suppression de l’autorisation du conseil supérieur d’investissement ou du moins son assouplissement et ce, pour toutes participations étrangères dépassant les 50%
  • La réorganisation du marché financier dans le sens d’augmenter sa capitalisation (indicateur de notoriété de marché er de confiance des investisseurs) et limiter les investissements en portefeuille surtout à caractère spéculatif. Car ces afflux induisent, à court terme, l’expansion du crédit et donc la consommation, ainsi que la chute des taux des BTA. Mais ils provoquent en même temps l’appréciation du dinar, pénalisant ainsi la compétitivité de l’économie et aggravant le déficit commercial.
  • Une diversification de l’économie comme rempart face aux chocs exogènes Au-delà de l’aspect strictement macroéconomique, le déséquilibre dans la composition du PIB fait apparaître une vulnérabilité manifeste surtout en présence de deux secteurs sensibles (tourisme et agriculture) de même la présence d’une industrie de transformation dépendante des composantes importées et la marginalisation des industries high-tech à forte valeur ajoutée. Sachant que la productivité globale des facteurs reste en deçà des normes.
  • Revoir la stratégie industrielle dans le sens du renforcement d’un partenariat étranger qui permet le transfert du savoir faire moyennant la fourniture d’un package d’incitation
  • La nécessaire diversification des cibles d’exportation (Amérique latine, moyen orient et l’Afrique)
  • L’enracinement de la culture entrepreneuriale en améliorant le climat d’affaire et en facilitant les conditions de financement des jeunes promoteurs par l’adoption du principe de parrainage
  • Instaurer un label économique (valorisation du made in Tunisia grâce à la prise en charge par l’État des frais occasionnés par la certification des produits) et entamer une compagne de communication promotionnelle à grande échelle sous le signe « Invest in eco-democracy »).

Financement

  • Assurer la liquidité des banques en levant les restrictions administratives qui entrainent un tarissement des contreparties de refinancement (en situation de stress). En situation de reprise, il faut qu’il y ait durcissement progressif des conditions de refinancement par la banque centrale pour limiter le phénomène de l’aléa moral.

  • les banques doivent adopter une politique de tarification ajustée aux risques et surtout il faut veiller à ce que le Trésor (risque souverain nul) soit financé à des conditions les plus avantageuses. (des fois, on assiste à une émission des BTA ou BTCT à 6% alors que certaines entreprises empruntent à TMM (3.5%).
  • la création de fonds budgétaires dédiés gérés par les autorités régionales me parait appropriée surtout qu’elle suppose la décentralisation et responsabilise les autorités locales qui connaissent mieux les spécificités de leurs régions.

Productivité

  • Prévoir un programme d’intéressement pour faire venir les expatriés tunisiens (l’expérience de l’Inde)

  • L’université doit s’ériger en un véritable laboratoire de recherches
  • Revoir l’échelle de priorité de l’enseignement des langues vivantes (je vise l’anglais)
  • Prévoir un système d’incitation dans la fonction publique fondé sur la promotion par le mérite et la productivité et non à l’ancienneté

Efforts institutionnels

– Une banque centrale autonome du pouvoir public et désengagement progressif de l’État des capitaux des banques. l’indépendance de la banque centrale doit être constitutionalisée

– Regrouper les banques publiques en holding financier (car appartenant toutes à un même actionnaire i faut en minimiser les coûts. La fusion ne semble pas appropriée car elle créée une distorsion concurrentielle)

– Décloisonner les secteurs on et offshore

– La Tunisie devrait, à moyen terme, maintenir un contrôle sur les mouvements des capitaux et mettre en place un régime de change à bandes de fluctuation mobile en assurant un ancrage du taux de change à un panier de devises qui pourrait être élargie au yuan chinois et fixer un corridor de fluctuations en concordance avec une politique monétaire accommodante. Instaurer l’équité fiscale

– Élargir la base d’imposition en recouvrant les impayés des contribuables récalcitrants et surtout contrôler le secteur informel qui freine la croissance de la base d’imposition (exiger un système de patente ou de licence allégée)

– Contenir la masse salariale et comprimer les dépenses peu prioritaires tout en continuant de préserver les acquis des secteurs sociaux.

Le relèvement projeté de l’effectif de la fonction publique pour absorber la demande additionnelle des chômeurs diplômes est une erreur très grave qui sape tout effort de redressement des comptes de la nation car avec une productivité quasiment nulle et en l’absence d’amortisseurs sociaux, le risque est que l‘augmentation serait uniquement dans les dépenses récurrentes de fonctionnement, en particulier les salaires, ce qui rend caduque toute politique de stabilité macroéconomique à moyen terme (les dépenses de fonctionnement constituent actuellement près de 60% des dépenses budgétisées)

– Prévoir une taxe sur les richesses d’ailleurs ça rejoint le concept islamique d’aumône, durcir la taxation en matière des droits d’enregistrement sur les opérations spéculatives (surtout les mobiliers)

– Exonérer les personnes à faible revenues et petites entreprises – Une politique sociale visant la réduction de la pauvreté et une plus grande équité sociale (gratuité des soins médicaux, prise en charge des frais de scolarité pour les plus démunis)

LA MONETISATION DE LA DETTE PUBLIQUE

Depuis un certain temps, certains pays ont abandonné le financement direct du Trésor par le recours aux concours de la banque centrale et ont opté pour le financement du déficit public aux conditions prévalant sur le marché. Cette orientation, de l’aveu même de la BCE, vise à bloquer l’option d’un financement monétaire des déficits publics et rationaliser le comportement financier de l’agent économique État en rompant avec les choix de facilité. Il semble, toutefois, que cette orientation est sujette à critique?

Partant d’une hypothèse d’efficience où le recours à l’endettement public ne vient pas en compensation d’une gestion insuffisamment rigoureuse des dépenses publiques, le financement du Trésor a permis de renchérir le coût du crédit du fait de l’action qu’il exerce sur les taux d’intérêt (souscription des banques aux bons de Trésor et pression sur la liquidité bancaire) et l’effet d’éviction qu’il entraîne sur les agents économiques (aversion aux risques, préférence des banques pour un placement sans risque).

Mieux encore, l’Etat recourt aux banques pour se financer. Ce faisant, il rachète sa monnaie avec intérêts du moment qu’il a abandonné le droit « régalien » de création monétaire, au profit des seules banques.

Beaucoup d’appels se sont lancés pour plaider le retour au financement de la banque centrale à taux nul, mais semble t-il, ce n’est pas sûr que la monétisation directe de la dette publique solutionne structurellement le dilemme de la dette publique. Pourquoi?

Les banques seront privées “d’un free lunch”/ repas gratuit dans la mesure où elles financent une contrepartie souveraine avec intérêts L’État ne se considère plus comme un agent économique et partant on ne peut tolérer sa présence dans le système productif L’alimentation de l’alea moral du fait que l’État dispose théoriquement d’une manne financière importante

Si l’État a un rôle économique, la banque centrale a un rôle strictement monétaire. Son appui à l’État risque de fausser sa propre politique de stabilité des prix. D’ailleurs, les politiques d’austérité exigées en période de crise ne s’analyserait pas comme un acte pour préserver la solvabilité des États mais d’éloigner la menace du financement monétaire.

REAGIR AU DILEMME DU PRISONNIER

OU LA GOUVERNANCE PAR L’ENDETTEMENT

Les pays en développement, la Tunisie n’en fait pas l’exception, ont été depuis longtemps soucieux du fameux dilemme désendettement/développement.

Après un train de mesures drastiques, ces pays se retrouvent aujourd’hui, condamner à gérer un double handicap; le non développement et le fardeau de la dette dont une grande part à caractère odieux. L’enjeu est de taille, il dépasse, à mon sens, la théorie des jeux car il pose un vrai problème d’optimisation sous une infinité de contraintes: allouer le peu de ressources dont ils disposent entre la recherche des sentiers de développement soutenu et le remboursement de leurs dettes sans les alourdir par le recours à financement extérieur suicidaire de type Ponzi (s’endetter pour rembourser des dettes antérieures).

La solution ne semble pas évidente car, passivité tiers-mondiste oblige, ces pays se contentent de manifester soient leurs bons accueils, soient leurs reproches aux solutions qui parviennent des pourvoyeurs des fonds sans pour autant arriver à imposer les leurs.

La prise de conscience de l’effet dramatique d’un endettement insoutenable, les enseignements tirés de la crise économique de la Grèce, nous interpelle forcément à invoquer la problématique du financement de la dette publique, du recours systématique à l’endettement extérieur et les fameuses agences de notation cauchemardesque qui ne font qu’accélérer les problèmes et précipitent les difficultés.

S’endetter ne fera qu’accroître l’illusion de richesse. S’endetter mais à quel prix? Au prix de la dignité et de la colonisation sous sa forme la plus cruelle. La dette sous sa forme actuelle, comme l’a bien dit Thomas Sankara « est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser ».

Martín Lozada, décrit dans un de ses articles les conséquences de la dette extérieure, en signalant le fait que le paiement de cette dette « réduit et conditionne toute possibilité de développement des pays sous-développés, en diminuant violemment le niveau de vie des populations, en réduisant les possibilités d’emploi, et en sapant peu à peu les systèmes de santé et d’éducation des pays endettés. »

Alors, à quoi bon payer ses dettes?

Souvent on avance les arguments comme la crédibilité de la place, le privilège d’accès aux marchés pour lever des fonds facilement, la notoriété du pays vis à vis de l’extérieur, l’amélioration de la note sur le risque souverain..etc. Il semble, néanmoins, que ces arguments laissent entrevoir une volonté franche de perdurer le phénomène d’endettement en dépit de ses conséquences désastreuses sur les classes prolétaires…….

Les remèdes qui tuent

Les dix préceptes du Consensus de Washington pour venir au secours d’un pays en situation d’endettement chronique. Une ordonnance bourrée d’antalgique qui, in fine, mettra le pays à genoux.

1- une cure d’amaigrissement sous forme d’austérité budgétaire, 2- Action sur les dépenses publiques par une réduction des subventions, 3- Promotion d’une politique monétaire orthodoxe basée sur la libéralisation des taux d’intérêt, 4- Ouverture extérieure, 5- Libéralisation, 6- Privatisation, 7- Déréglementation, 8- Réforme fiscale, 9- Droits de propriétés notamment au profit des étrangers

Alors que faire?

Une solution alternative est-elle possible pour régler le problème systémique de l’endettement, principale cause des mobilisations de ces dernières semaines en Grèce, en Espagne- comme de celles à venir…Peut on imaginer un pays qui fonctionne convenablement sans endettement surtout que la théorie financière nous enseigne que l’endettement valorise l’expansion par l’effet de levier..

Entre l’idéologie néolibérale inscrivant le recours à l’endettement dans la logique de développement économique des nations (optique gagnant-gagnant) et les revendications de la société civile qui voit que la  » Tunisie a, plus que jamais, besoin de garder ses richesses à l’intérieur et de stopper l’hémorragie qui la saigne à l’heure actuelle afin de reconstruire son avenir sur de nouvelles bases saines (*) » la seule vérité qui se dégage c’est qu’on est en présence d’un dilemme du prisonnier, un cas célèbre de la théorie des jeux, caractérisant les situations de deux joueurs ou des agents économiques qui sont amenés chacun de leur côté à prendre des décisions qui sont individuellement sous-optimales et où ils auraient intérêt à coopérer pour s’en sortir à moindre dégâts.


La schizophrénie du pouvoir

Le Macbeth de Shakespeare rencontre trois sorcières qui lui prédisent qu’il deviendra roi. Pour réaliser sans tarder la prophétie il n’aura de cesse d’assassiner tous ceux qui se trouveront sur le chemin du trône.

Une fiction certes tirée de la littérature anglaise, mais vous convenez avec moi quelle coincide avec l’histoire d’un peuple qui a cédé à trois tentations et se persuade que 1) la démocratie conduit inéluctablement au développement économique et à la création d’emploi ; 2) une révlution sans guide ne peut être confisquée 3) la personne élue vise toujours à l’intérêt de celui qui l’a élu ; et 4) l’anarchie constructive mène forcément à la démocratie.

La tentation de Macbeth est celle d’un peuple dépossédé de ses repères et d’un parti politique qui a voulu à tout prix atteindre dans l’instant ce que l’ on estime être le but ultime.


A la recherche des sentiers du bonheur

 

Vingt ans déjà depuis que Sabri avait quitté son village natal pour se rendre à la capitale afin de poursuivre ses études supérieures… Il venait de réussir, brillamment, au certificat d’études secondaires.

A chaque période des vacances il apportait sa contribution au budget familial. Il travaillait au gré des jours comme cordonnier ou vendeur ambulant dans l’une des agglomérations limitrophes. Il savait, plus que quiconque, qu’il devait décrocher sa licence et obtenir un emploi stable à la ville, sinon, il serait plus utile au village pour faire le berger comme son vieux père. D’ailleurs, ses frères ne cessaient de lui rappeler cette vocation en cas d’échec.

Depuis on très jeune âge, Sabri avait sacrifié tout plaisir en acceptant d’étudier dans des conditions difficiles. En revanche, il n’avait jamais douté des vertus de l’effort et savait que seul un travail acharné le sortirait de la pauvreté. Au-delà de sa quête intellectuelle, il souhaitait marquer un vrai tournant dans sa vie. Rompre avec son passé de paysan et se libérer de la misère qui était, depuis longtemps, à ses trousses. Il voulait en outre, s’imprégner de la modernité de la capitale et s’acclimater à sa culture citadine.

Avant son départ, sa mère l’avait embrassé tendrement et souriait avec un orgueil naïf. Pour elle, l’essentiel était de voir son fils devenir vite un homme respectable et respectueux afin qu’il l’aide à nourrir une famille nombreuse.

A grands coups de cloche, le train quitta la gare à destination Tunis, la capitale. Sa mère se précipita derrière lui en courant et en criant, entraînant le reste de la famille. Son cœur battait à se rompre et sa gorge était tellement sèche qu’il n’arrivait même pas à faire ses adieux. Quelques larmes lui mouillèrent les yeux. Il fallut une bousculade de passagers pour que Sabri reprenne ses forces et arrive à se libérer de ses émotions et à surmonter ses chagrins.

Assis inconfortablement, il arrivait à peine à se rappeler du village et des villageois. Aussi, loin qu’il puisse remonter dans ses souvenirs d’enfance, l’image la plus reculée qui surgissait dans sa mémoire était celle de sa mère, saisonnière dans les oliveraies. Elle gagnait peu et n’avait épargné aucun effort pour subvenir aux besoins de ses enfants. La plupart d’entre eux avaient quitté l’école pour se consacrer à l’élevage pour le compte d’autrui.

Ni charme ni émotion

Sabri avait gardé en mémoire un tableau uniforme et terne qui ne quittait plus sa pensée, sans y trouver ni charme ni émotion. Il se revoyait vêtu d’un pantalon renouvelé à l’occasion de chaque rentrée scolaire et d’une chemise quatre saisons. Une chemise délavée par l’utilisation fréquente et l’abus de lavage. Il pensait que les meilleurs souvenirs, s’ils existaient, ce n’était pas dans l’enfance qu’il fallait les chercher.

Il avait conclu amèrement qu’il était lésé pour avoir vécu, malgré lui, dans une famille nombreuse et défavorisée. Il regrettait un peu de ne pas avoir quitté l’école pour apprendre un métier ou partir en France, à l’instar de son cousin qui a préféré sacrifier sa jeunesse avec une vielle septuagénaire. Le cousin avait laissé derrière lui une jeune fille, une histoire d’amour tissée au jour le jour. Seuls les clairs de lune et les fleurs de jasmin ont été témoins de ses promesses d’amour infini.

Sabri était susceptible et rancunier. Il en voulait à tous ceux de son village qui refusaient de le prendre au sérieux ou se moquaient de ses ambitions. L’adolescent a eu longtemps la conviction qu’il était doté d’un potentiel intellectuel qui le différenciait des autres. Il se voyait loin des paysans naïfs, de sa famille et des fardeaux qui pesaient sur elle, loin des attentes des religieux qui voulaient faire de lui un bon fidèle…

Contrairement à ses convictions, ses frères ne voyaient pas en lui un garçon doté d’une ingéniosité remarquable. Il devait sa réussite scolaire plutôt à une amulette préparée soigneusement par le vieux derviche du village. Sa mère utilisait ce précieux objet chaque fois qu’il passait une épreuve et ne cessait de lui en rappeler les bienfaits.

Tout en ne prétendant pas être philosophe, Sabri ne cessait de méditer sur tout ce qui se passait autour de lui. Il n’arrivait pas à comprendre quelle sorte de malédiction avait frappé les paysans aux dépens des citadins ? Pourquoi, les premiers sont obligés de faire tant de sacrifices ? Pourquoi, il y avait tant d’inégalités dans la répartition des richesses ? Pourquoi le bonheur n’est qu’un simple produit du hasard ? Il n’avait eu aucune réponse convaincante.

Une quête identitaire

Sabri vivait depuis son jeune âge une véritable quête identitaire. Il avait toutefois, une volonté manifeste de vouloir tout changer, réfuter le conformisme à la logique de la destinée, rompre avec son milieu originel, s’intégrer dans une communauté autre que la sienne, plus adaptée à ses ambitions. Au-delà de ses intentions, Sabri voulait être le maître de sa destinée, il voulait prendre son sort en main pour qu’il n’obéisse qu’à sa seule volonté, un défi qu’il avait relevé depuis qu’il avait quitté le village.

A grands coups de cloche, le train s’arrêta et une voix signala l’arrivée dans la capitale. Il ne sentait plus son corps après ce long voyage. La fatigue engourdissait son esprit. Il s’efforça de quitter son siège et emprunta le chemin de la Maison d’accueil des étudiants défavorisés où il allait se loger pendant toute sa scolarité supérieure. Un privilège qui n’est accordé qu’aux étudiants certifiés très démunis

Parcourant les rues encombrées, les impasses qui menaient à nulle part, il cherchait à découvrir les lieux, se faire une idée sur les citadins pour se familiariser avec eux. Il humait l’odeur de la ville sans pour autant l’apprécier.

En guise de bienvenue, ses camarades décidèrent de fêter son arrivée dans un cabaret bon marché. Sabri découvrit un nouveau monde qu’il lui était étrange. Un monde sans scrupule animé par la violation des tabous, allant de la consommation du vin jusqu’aux serveuses qui étaient soumises à des règles de conduite loin d’être conventionnelles. Ses nouveaux camarades faisaient circuler le narguilé bourré d’un tabac aromatisé, difficile pour Sabri de décliner l’offre. Quelques respirations ont suffi pour que la fumée envahisse jusqu’au moindre recoin de ses entrailles, sa tête s’embrumait.

Elle hypnotisait l’assistance

La danseuse du cabaret, tant attendue, entrait sur scène, saluait ses hôtes avec un chant folklorique. Tout le monde avait le regard figé sur sa silhouette. Elle s’appelait Warda, elle était belle. Le charme de Warda était tel qu’on peut dilapider, fortune, raison et piété pour la douceur de sa peau, la mélodie de sa voix, la mélancolie de son regard et la magie de ses hanches merveilleusement sculptées. Elle hypnotisait l’assistance.

Sabri devint un habitué du cabaret, à chaque fin du numéro, il se précipitait dans la loge de Warda pour lui présenter ses compliments et ne pouvait s’empêcher de lui exprimer ses sentiments. Elle appréciait son cœur de poète et sa manière de la regarder avec naïveté. Les jours se suivaient et se ressemblaient, abri séchait l’université pour se consacrer à sa dulcinée. Il se sentait déprimé, perdu dans une foule d’étudiants bien vêtus. Il marchait timidement, rougissait à chaque instant sans motif et finit par s’isoler dans un coin à l’abri.

Comme la vie estudiantine était pour Sabri plus une source de complexe que d’épanouissement, le jeune homme se consacrait à sa dulcinée qui seule lui manifestait de la sympathie. Un jour il lui proposa, timidement, de l’’inviter chez lui. Warda avait accepté, car elle voulait côtoyer les jeunes étudiants qui lui rappelaient ses origines paysannes. Une fois ensemble et à une heure tardive, Sabri ne savait plus ce qui lui arrivait. Il se sentait déchiré, tiraillé par un désir fou. Elle grignota ses lèvres sèches. Sabri s’éloigna.

Par la fenêtre, il contempla le ciel étoilé comme s’il le voyait pour la première fois… Il frissonna, hurla de plaisir, une joie intense qui dépassait celle que procuraient les lèvres de sa dulcinée. Au bout d’un moment, Il comprit que le vrai changement qu’il s’efforçait depuis longtemps de chercher était, au-delà de ce passage d’une culture paysanne à une culture citadine. Une manière par laquelle l’homme devait appréhender l’espace et le temps compte tenu de ses convictions identitaires et de sa capacité de ne pas confondre illusion et réalité.

Il faisait le bilan de son voyage. Un voyage censé lui apporter des réponses claires à sa quête intellectuelle et identitaire : une enfance gâchée, une adolescence ratée, un parcours universitaire rompu et voilà qu’il se sentait un adepte d’une société malade. Il se sentait victime de ses propres choix, déshonoré par un sort qui lui était injuste. Tout lui était hostile au point qu’il commençait réellement à croire dans le pouvoir de l’amulette qui ne la portait plus depuis qu’il avait quitté le village.

Chaque joie devançait une malédiction

Chaque sourire cachait un ennui, chaque joie devançait une malédiction, tout plaisir se transformait en un dégoût et les baisers ne lui laissaient sur les lèvres que l’amertume d’un destin détourné. Sabri avait conscience de fonder son avenir sur une réalité bien perfide et une mauvaise appréhension du cap culturel qui sépare la vie paysanne et la culture citadine.

Dévoré par une inquiétude qui l’obsédait, l’adolescent était victime d’un déchirement culturel profond. Il éprouvait une difficulté majeure à concilier son attachement aux traditions paysannes et sa fascination pour la modernité de la capitale ; modernité qui avait réussi à mêler harmonieusement narcissisme et valeurs, selon un calcul dénué de tout scrupule.

Il se voyait impliqué dans un jeu dont le destin avait fixé arbitrairement les règles et il était le seul perdant. Désormais, il sera condamné à revivre sans cesse ce qu’il avait fui. Confiné dans le désespoir, il avait frôlé l’échec et dilapidé dans une aventure sans lendemain toutes ses économies alors qu’au même moment sa famille s’inquiétait de son pain quotidien.

Face à cette vérité décevante, Sabri était convaincu que le cabaret n’était que l’image d’une société animée par l’inégalité et l’injustice qui plongent les âmes sensibles dans un bonheur illusoire. Il se sentait coupable d’avoir affronté son destin sans l’avoir vaincu et il se méprisait d’avoir déçu sa pauvre mère qui voyait dans son voyage, le voyage de tous ses espoirs.

Sabri s’isola un moment dans un coin sombre pour se livrer à son imagination. Il se représentait la réaction de sa mère lors de son retour au village avec un échec en poche. Il la voyait pâle, levant sur lui des yeux méconnaissables, des yeux au regard changeant qui reflètent à la fois un mélange de joie et d’angoisse. Et l’amertume se lisait facilement sur son visage comme si elle avait fait un songe prémonitoire.

Les larmes coulaient le long de ses joues, difficile pour lui de vivre une situation pareille surtout qu’il portait l’espoir de toute sa famille. Sabri décida de renouer avec le courage au lieu de sombrer dans le désespoir. Il défia le manque de moyens, le ricanement des adeptes de l’apparence en ayant seulement et simplement en tête l’image de sa mère; la pauvre paysanne.

5 % de la population détient 90 % de la richesse mondiale

Livré encore une fois à son destin Sabri a pu finalement redécouvrir le bonheur. Le bonheur ne serait-il pas lui-même une fatalité qui dépend du jeu de hasard, lequel ne peut être atteint que par une prise de conscience des limites de notre conscience. L’ignorance serait-elle une confusion entre réalisme et symbolisme au point qu’on serait trompé par un mirage qui se nourrit de l’inconscience de l’Homme face à un monde insensé.

«Le bonheur est pour les imbéciles » dixit l’écrivain et homme politique français André Malraux, en ce sens qu’il est utopique de croire qu’on peut atteindre un état de bonheur absolu alors qu’on se trouve dans un monde relatif. Telles sont les nouvelles vérités qui guident Sabri dans cette nouvelle quête sans cesse du néant. Une quête d’un pseudo savoir, supposé façonner encore une fois notre pensée existentielle et notre conception de l’ego et de l’autre.

Comment peut-on arriver à extirper du monde son caractère absurde où l’Homme finirait par mourir d’ennui dans un monde animé ou bien par la logique ou par le fatalisme ? L’absurde serait-il notre thérapie appelée, plus que jamais, à nous soulager de la souffrance issue des épreuves lassantes, des banalités du quotidien qui nous redonnent espoir de cette quête épuisante des sentiers du bonheur.

Le bonheur serait-il dans le travail ? Probablement non car comment se fait-il que le lieu de travail est à la fois perçu comme stigmatisant, « lieu de souffrance», de conflit et d’aliénation, alors qu’en même temps il est considéré comme notre refuge et notre ultime aspiration pour l’épanouissement de soi.

Le caractère subjectif induit par l’indétermination du concept du bonheur produit ou peut être la conséquence d’une certaine illusion; une hallucination générée par un champ visuel qui dépasse les limites du possible, une représentation tronquée de l’étendue de la conscience individuelle voire collective.

Cette illusion est une traduction d’une forme d’inconscience onirique (liée au rêve), qui survient au cours d’un sommeil profond où le rêve n’est autre qu’une reproduction idéale du vécu à travers une succession d’images des fois sans liens cohérents qui repositionne l’égo dans sa forme la plus idyllique.

Le bonheur est-il donc l’ultime quête de l’idéal humain? Une aspiration universelle de l’ego pour pouvoir survivre plutôt que de vivre. Le bonheur est-il confondu par ignorance ou par inconscience au plaisir. Si c’était le cas, ce qui nous fait plaisir nous rend-il forcément heureux. La réponse est négative, car celui qui trouve dans l’ivresse alcoolique un plaisir physique, peut, en même temps, souffrir moralement de son addiction à l’alcool.

Peut-on vivre dans un monde absurde où le bonheur semble dépendre de la fatalité ou du hasard ? Car comment qualifier, outre mesure, un monde où l’on continue à s’entretuer au nom de Dieu, un monde caractérisé par l’oppression, le désespoir, la terreur, la violence, l’immoralité, la pauvreté, la cupidité, l’indifférence, l’hypocrisie, l’ignorance, l’égoïsme, la lâcheté et où 5 % de la population détient 90 % de la richesse mondiale.

Le bonheur implique-t-il donc le choix d’être heureux. Les apparences de bonheur ne sont-elles pas des pièges grossiers où la condition humaine se perd dans les détails.

Par Fethi Akkari