Arnould Bazire


Bappi Lahiri, king of the disco !

bappi-lahiri

Bappi Lahiri est une star de la musique indienne. En une quarantaine d’années, il a composé plus de 5 000 chansons, en a plagié une bonne centaine et a inventé le disco indien. Sa musique est parfois kitsch, souvent géniale et le personnage, sorte de baudruche mégalomaniaque et rigolarde, vaut franchement le détour.

 

J’ai rencontré Bappi Lahiri ! Ce nom ne vous dit sans doute rien, mais ici en Inde, et particulièrement à Bombay, ce type est une énorme star. C’est le roi du disco, le recordman du nombre de chansons enregistrées en une année – 180 en 1986 – et un amateur de chemises clinquantes et de chaînes en or qui brillent.

Il a dépoussiéré la musique de Bollywood en mélangeant des rythmes disco avec des chansons indiennes traditionnelles, et ce style a explosé dans les années 80.

Je dois quand même signaler qu’en Inde, la musique est la plupart du temps synonyme de cinéma puisque tous les hits sont en fait des musiques de films.

Selon lui, il n’a pas seulement inventé le disco indien, mais toute la musique qui existe dans le pays aujourd’hui. A l’entendre, lui, ses santiags, ses chemises brillantes et son brushing sont la seule et unique référence dans la musique indienne contemporaine.

 

Il a aussi pompé un nombre de chansons incroyable ! Evidemment, si vous lui dites ça, il vous répondra qu’il n’est pas un plagieur, ce sont les autres qui plagient Bappi. Ainsi des chansons comme « Video killed the radio star » des Buggles, « Brother Louis » de Modern Talking ou encore la Lambada ont été plagiées par Bappi.

Sa chance finalement, c’est que, étant originaire d’un pays qui vient à peine de reconnaître le principe de droits d’auteur (principe qui reste cependant encore très nébuleux), il n’a jamais été emmerdé par personne. Il s’est même permis en 2011 de menacer Jennifer Lopez de poursuites, car elle s’était permis de sampler une partie de la Lambada, fameux morceau que Bappi avait déjà piqué 20 ans avant, mais qu’il a toujours considéré comme étant sa propriété !!!

 Le type est mégalo, complètement cinglé et d’une mauvaise foi indécrottable, bref c’est un génie.

Voici un de ses plus gros tubes qui a cartonné dans les années 80 dans toute l’Asie et qui vous rappellera sans doute quelque chose puisque la partie instrumentale est un sample de la chanson d’Ottawan « t’es ok ! ».

Ce morceau est tiré d’un des films indiens les plus populaires des années 80, « Disco Dancer » dans lequel un jeune homme, grâce à la musique disco, grâce à un déhanché violent et frénétique ainsi qu’à un regard profond quoiqu’un peu con arrive à se venger des méchants, à sauver les gentils et à faire danser tout le pays sur fond de décor en carton-pâte.

 

https://www.youtube.com/watch?v=DKJ0jvO6fBA

 

Incroyable n’est-ce pas ?

Et le mec en a composé à la pelle des comme ça, et pas seulement des reprises.

J’ai donc eu la chance d’être reçu par le personnage, à la faveur d’une interview informelle, et je dois dire que je n’ai pas été déçu.

Après être arrivés à l’heure dite dans son manoir de Bombay, moi et ma comparse avons été invités à nous installer dans un salon pour l’attendre. Et attention le salon ! Les murs recouverts de disques d’or ou de platine, des fauteuils énormes qui ne ressemblent à pas grand- chose, quelques affiches électorales (il s’est présenté aux dernières élections législatives pour le BJP, parti nationaliste hindou aujourd’hui au pouvoir – ça ne lui a pas trop servi puisqu’il a perdu) et des photos avec tout ce que l’Inde compte d’hommes politiques, de droite comme de gauche, une fausse Joconde (à moins que ce ne soit la vraie…), des centaines de trophées et une photo bras dessus- bras dessous avec Michaël Jackson !

 

Après une heure d’attente, on a finalement pu le rencontrer une vingtaine de minutes pendant lesquelles il ne comprenait rien à mon accent français, où il a pu dire des choses comme « Love will save the world. I am love » et où il a finalement été plutôt gentil, hormis le fait qu’il n’a pas répondu à une seule de nos questions trop occupé à nous dire des choses qu’on savait déjà sur lui (il pensait vraiment qu’on n’était venu le voir au hasard ou quoi?).

 

Finalement, il paraissait beaucoup plus heureux de nous montrer ses photos, son studio, et nous raconter comment « il adore les Etats-Unis, qui le lui rendent bien ».

Un peu de gentillesse, un eu de stupidité et beaucoup de mégalomanie, ça suffit pour rendre un personnage attachant.


Vaches sacrées ou steak tartare?

A Bombay, il est interdit de détenir et de consommer de la cocaïne, de l’ecstasy, et maintenant de la viande rouge. Ca ne paraît pas grand-chose, mais les nationalistes hindous au pouvoir ne vont probablement pas s’arrêter en si bon chemin.

Ces derniers temps, je n’ai pas tenu mon blog à jour. Honte à moi, mea culpa, je voyageais et j’ai eu du mal à me poser pour écrire quelque chose sur Bombay, d’autant que je n’y étais même pas!

Mais un événement a eu une incidence très forte à Bombay la semaine dernière, événement qui peut paraître risible et superficiel, mais qui dit beaucoup sur l’évolution de l’Inde aujourd’hui (et sur mon taux d’anémie dans quelques mois).
Cet événement, c’est le « Beef ban », l’interdiction de la vente et de la consommation du bœuf (ou plutôt du buffle, on verra ça plus tard) ainsi que la fermeture des abattoirs réservés à cet animal.
Remettons tout de suite les choses à leur place : en Inde la vache est sacrée de chez sacrée, donc on ne la touche pas, on ne la mange pas et si elle décide de s’asseoir tranquillement au milieu de la route pour faire une sieste ou chier un coup, on attend tranquillement et on regarde le noble et élégant animal vaquer à ses occupations.
Pour rappel, la vache est sacrée en Inde (Gao Mata = Mère vache), car elle a un statut de mère nourricière universelle, donnant son lait à tous, et qu’elle est la représentation idéale du monde animal.

Donc la vache, on n’y touche pas, ok. Le boeuf n’est pas sacré, mais on y touche pas non plus (depuis 1972 à Bombay). Mais tous ses dérivés (buffle, bufflonne, taureau… ) étaient autorisés à la consommation. Après cette interdiction, seul le buffle peut se retrouver dans notre assiette.

Pour vous dire la vérité, cette interdiction ne changera pas grand-chose pour moi car ces viandes étaient rarement excellentes, ni très tendres et j’en mangeais finalement très peu sauf lorsque je voulais me rappeler le goût d’une bonne viande rouge (le goût, c’est avant tout dans la tête que ça se passe).

bouche

Au-delà des considérations culinaires qui peuvent être importantes pour certains, mais qui ne tueront finalement personne, le problème est avant tout moral, religieux et sociétal.

 

En effet, il y a un an, l’Inde a élu Narendra Modi premier ministre. Celui-ci a un programme de relance économique, de lutte contre la corruption et de rapprochement avec les pays voisins, très bien. Mais, c’est aussi un nationaliste hindou suspecté de n’avoir rien fait pour empêcher le massacre de 2 000 musulmans par des fanatiques hindous dans l’Etat dont il était le gouverneur.

 

Lorsqu’il a été élu l’année dernière, les progressistes craignaient la mise en place d’une politique religieuse et conservatrice et la persécution des minorités religieuses, notamment les musulmans. Mais Modi a décidé de rester discret sur ces questions pendant quelque temps, et de se concentrer sur des sujets plus consensuels.
Cependant, depuis quelque temps, et de manière assez pernicieuse, on sent que les nationalistes hindous posent leurs pions un peu partout dans le pays, plus ou moins discrètement, mais toujours fermement.
D’abord l’alcool a été interdit dans le Kerala, des programmes de conversions forcées ont été établis dans le pays, les manuels scolaires ont été modifiés, le bœuf a été interdit à Bombay et ce n’est sans doute pas fini.
Cette situation est d’autant plus effrayante qu’elle se déroule progressivement, sans créer de conflit majeur et qu’elle concerne un certain nombre de personnes, les musulmans évidemment, les non hindous ensuite, mais aussi les intouchables et évidemment les femmes.

Ce qui fait quand même beaucoup de monde…


L’Inde en noir et blanc : le business pas clair de la couleur de peau

peau claire

En Inde, les préoccupations liées à la blancheur de la peau sont omniprésentes. Une peau blanche signifie, en exagérant à peine, que vous êtes forcément beau, intelligent, d’un haut niveau social, que vous réussirez dans la vie et que votre femme sera la plus belle du quartier (et qu’elle aura la peau blanche).

 

Je suis tombé par hasard sur Youtube sur une pub absolument incroyable. Dans cette pub, deux copines se rencontrent, l’une dit à l’autre quelque chose comme « oh mon Dieu, ta peau est si noire », l’autre s’en rend compte et panique. Heureusement, sa bonne amie lui donne un tube de blanchisseur de peau que l’autre applique généreusement sur son visage sans se faire prier. Et là, hop ! Miracle ! Non seulement, elle a la peau toute blanche, mais en plus ses cheveux deviennent blonds et son physique devient celui d’une Slave de Saint-Pétersbourg et non d’une Indienne de Madras.

Je vous laisse juger :

 

https://www.youtube.com/watch?v=ahdvo70fRhk

 

Et ce n’est qu’une pub parmi des centaines d’autres montrant comment l’éclaircissement de la peau permet de devenir facilement riche, célèbre et admiré.

 

Heureusement, le Conseil supérieur de l’audiovisuel local s’en est récemment mêlé et a considéré que ces publicités (il y en a énormément, aussi bien pour les femmes que pour les hommes) étaient discriminantes pour les gens à la peau sombre et qu’elles allaient trop loin. En effet, elles affirment indirectement que les personnes au teint foncé n’avait aucune chance de rencontrer le succès, que ce soit dans les affaires ou dans leurs relations avec le sexe opposé.

 

Malgré les timides avis officiels pour empêcher ces dérives, la peau blanche reste un atout physique et social en Inde. Pour preuve, le business des crèmes pour blanchir la peau est en constante progression. L’année dernière, il a atteint pas moins de 600 millions de dollars. Pour donner un ordre de comparaison, les gens dépensent plus d’argent pour ces crèmes que pour acheter du Coca-Cola.

 

Les médias parlent d’obsession et c’est vrai. La couleur de la peau est désormais un facteur aussi discriminant que le système des castes aujourd’hui .

Les annonces matrimoniales dans les journaux pullulent de demandes du type « désire une femme gentille et à la peau claire » et les postes d’employés de bureau semblent plus accessibles aux personnes à la peau blanche.

 

Certains s’activent à changer les choses, mais la campagne « dark is beautiful » est plutôt efficace. Est-ce vraiment possible de lutter contre les mega-stars de Bollywood payés des millions par les grosses entreprises pour promouvoir tous ces produits ?

En Inde, lorsque le bon sens doit affronter Bollywood, il a malheureusement peu de chance de gagner.

 

En plus du problème moral, il y a aussi le problème de santé. Ces crèmes censées pouvoir modifier le taux de mélanine dans le corps ne doivent pas inoffensives. On verra dans une vingtaine d’années quelles seront les conséquences de ces produits, s’ils ne sont pas interdits d’ici là.

 

J’ai envie de lancer le débat auprès des mondoblogueurs originaires d’Afrique et d’ailleurs : y a-t-il la même obsession de l’éclaircissement de la peau chez vous ? Quelles en sont les conséquences morales, sociales ou sanitaires ?


Bombay Bicycle Club

ClassicCircle_600

Le vélo est un moyen de transport pour le pauvre, un hobby pour le riche et une activité médicale pour le vieux.
Voilà ce qu’on dit sur le vélo en Inde. Et, à part quelques nuances, c’est tout à fait ça.

Quand j’habitais encore à Paris, le vélo était pour moi un moyen de transport, un moyen d’amusement, un exercice de style, mais aussi un sujet constant d’énervement et de frustration  puisque, malgré tous mes efforts pour le bricoler, l’alléger, le réparer et en faire une bête de course et d’élégance, censé susciter l’admiration de tous mes amis, de leurs copines et de leurs mamans, il tombait régulièrement en rade, et souvent à des moments critiques.
Entre les moments où je roulais à fond sur le boulevard de Sébastopol et  la roue se bloquait brutalement me faisant partir dans un dérapage rarement contrôlé sur le trottoir d’en face ou sous les roues d’un autre vélo, et ces instants horribles où la roue arrière (encore elle) se prenait dans un morceau de bois qui traînait et me faisait faire un harmonieux saut périlleux par dessus mon vélo qui me déposait avec perte, fracas et douleurs sur le sol pavé, je me suis souvent demandé pourquoi je continuais à rouler sur ce tombeau fusant.

C’est d’ailleurs étonnant que je ne sois pas passé sous un bus.

Lorsque je suis arrivé à Bombay, l’idée même d’essayer de faire du vélo a disparu instantanément. La piètre qualité des routes, la conduite furieusement débile des gens ici, ainsi que les gaz d’échappement aux multiples odeurs ont immédiatement projeté dans mon esprit l’image de mon futur tombeau.
J’ai donc préféré m’abstenir.

Cependant, aujourd’hui, ça me démange à nouveau. Surtout qu’il existe en fait des possibilités pour faire du vélo loisir ici, et vraiment profiter de la ville.
Le problème est que ce n’est généralement possible qu’entre 1h et 6h du matin (période où les cinglés de la route dorment, pour la plupart), entre octobre et mars (période où le temps est le plus clément).
Ce qui est assez restreint.

En fait, ici, le vélo n’est pas un truc fait pour rigoler avec les copains : les vendeurs de journaux, les porteurs d’œufs et autres vendeurs de toute sorte de choses en ont fait leur principal outil de travail.
Il y a tout un paquet de marques différentes, dont les plus populaires sont Hercules, Atlas (à croire que faire du vélo est une affaire de demi-dieux en Inde) ou BSA.
Beaucoup de ces vélos ont la particularité d’avoir un cadre renforcé, avec deux branches en haut (au niveau du tube), et d’être increvables en toutes situations. En effet, les routes sont tellement pourries et les vélos censés pouvoir fonctionner en toute circonstance – leur utilisation dépassant souvent un cadre classique, voir plus bas – ceux-ci doivent être méga résistants.

Mais voici quelques photos qui en diront plus sur toutes les utilisations, fantaisistes ou simplement vitales, du vélo à Bombay :

vélo bombay vélo bombay 1 velo bombay 2 vélo bombay 3 velo bombay 6 velo bombay 5 vélo bombay 4vélo bombay 7

 

 

 

 

 

 

 

 

*Bombay Bicycle Club est un groupe anglais de rock indépendant des années 2010. Leur nom est inspiré d’un restaurant Indien sur King’s Road. Aux dernières nouvelles, il n’existe pas de Club de Cyclisme de Bombay.

 

Copyright photos : Dinodia, Bombay Jules, Financial Times, Me and Myself.


Football ashram ou football champagne

L’Indian Super League, le nouveau championnat de football indien, s’est terminé il y a quelques semaines après trois mois de compétition. L’Inde n’étant pas un pays de football, comment les supporters et fans de foot ont-ils réagi à l’expérimentation ? Voici quelques impressions de stade.

 

Inde et football n’ont jamais fait bon ménage. Il y a certes beaucoup de fans de foot européen, surtout dans le nord du pays, mais au niveau sportif, l’amateurisme des joueurs, le niveau médiocre des compétitions et le niveau désastreux de l’équipe nationale font que le salut footballistique ne peut venir que de la télévision qui diffuse des matchs européens.

De plus, le cricket phagocyte l’esprit des fans de sport, bouffe l’espace médiatique et le bon niveau de l’équipe nationale exacerbe le sentiment nationaliste hardcore des Indiens.

 

Et pourtant récemment, il s’est passé un truc. Plusieurs forces se sont réunies pour créer un championnat de foot à 8 équipes, avec à la manette des stars de Bollywood, des businessmen bourrés de fric, des sociétés de divertissement internationales et des anciennes gloires du football étrangères.

L’Indian Super League est née et, après trois mois, s’est terminée il y a quelques semaines par la finale entre les Kerala Blasters et l’Atletico de Kolkata remportée par ces derniers (un peu miraculeusement il faut le dire) dans les dernières secondes.

 

Je ne vais pas parler de l’aspect sportif, des anciennes gloires européennes sur le retour ou du niveau parfois fantaisiste ; je ne vais pas parler non plus de l’aspect économique, du paquet de fric investi et du marketing coloré: un paquet d’articles ont été écrits dessus et je ne vais rien apporter de nouveau.

 

En revanche l’expérience de stade vaut son pesant de cacahuètes.

 

Impressions du stade : errance, ponctualité et comestibilité

 

L’arrivée au stade est déjà quelque chose d’intéressant. Tout est tellement mal indiqué que vous êtes constamment bousculé par des gens courant dans toutes les directions, et repassant plusieurs fois dans les mêmes endroits, complètement paniqués après de longues minutes d’errance. Des gens désespérés entre les vendeurs ambulants qui s’époumonent, les fans qui chantent et se prennent en photos et le bruit assourdissant des hélicoptères de célébrités qui se succèdent près du stade.

 

Les matchs commençaient généralement à 19 h. Pas à 19 h 15 ou 23 h 12, non, 19 h précises. Et ça, c’est une petite subtilité qui échappe à une grosse partie des spectateurs, habitués au concept d’horaires extensibles dans leur vie quotidienne. En effet, pour le premier match, le stade était à moitié vide au début de la première période et s’est rempli d’un coup à la mi-temps.

Heureusement que mon escroc d’électricien n’est pas venu, il serait sans doute arrivé à minuit…

 

Les terrains des stades sont ovales, car dédiés au cricket, donc en plus d’être assez loin du terrain, on se demande parfois à quel sport on assiste…

 

football

 

J’ai pu aller dans différents types de tribunes : les normales, les VIP, et la super VIP.

Les premières sont constituées de gens normaux qui aiment bien le football.

Les secondes sont constituées de gens normaux qui aiment bien manger et discuter en face d’un match de football (un plateau-repas plutôt dégueulasse y est disponible)

La dernière est constituée de gens pas normaux (stars de Bollywood, industriels véreux, ou femmes d’hommes d’affaires européens dont la peau est brûlée par le soleil de Bombay) qui aiment bien manger en face d’un match (généralement de la bonne nourriture), boire une bonne bière à la mi-temps et sont persuadés qu’assister à un match de football est la dernière tendance chic et cool.

 

Autant vous dire que pour cette dernière expérience, le spectacle était plus dans les tribunes et au bar que sur le terrain (c’était quel match déjà?)

 

La finale : les feux d’artifice de l’ennui

 

La finale était intéressante ; pas sur le terrain où c’était plutôt soporifique, mais avant le match, après le match et autour du match.

Au début de cette finale – qui se déroulait donc dans un stade de la banlieue de Bombay – tout le monde s’est levé pour chanter l’hymne national. Soudain, un petit gars tout maigre et peinturluré aux couleurs de l’Inde déboule de je sais pas ou, se place en face des tribunes et agite frénétiquement un drapeau 2 fois plus lourd et 4 fois plus grand que lui. Sous les flashs des appareils photo, il a une tête d’illuminé, hurle comme un détraqué et se déplace comme un névrosé.

Cet exemple montre que, en Inde, détenir un drapeau géant du pays permet un n’importe quel maboul de se balader librement.

Bon à savoir.

 

Peu après, une mascotte débile mi-chien, mi-tortue préhistorique, déboule sur le terrain et se met à danser à courir et danser. Tout le monde est content, l’ambiance est bon enfant.

Mais ça ne dure pas longtemps. Sans que je comprenne pourquoi, tout le stade se met à hurler soudainement et les gens se transforment en détraqués, le visage tordu par la folie et le corps tremblant frénétiquement.

La raison : Sachin Tendulkar.

Ce petit bonhomme au sourire sympathique est le meilleur joueur indien de cricket de l’histoire – donc autant dire, l’égal d’un dieu – et est aussi propriétaire d’un club de foot. Donc quand il a fait un tour de terrain pour saluer ses fans, je peux vous assurer que le plus beau but marqué par la plus belle équipe aurait engendré un simple chuchotement comparé aux clameurs assourdissantes des spectateurs qui apercevaient la superstar.

 

Puis, viennent les classiques feux d’artifice, danseurs avec ballons, chants guerriers, et mascottes en tout genre. Un spectacle de match de foot classique, ringard et bruyant.

 

La finale en elle-même était assez ennuyeuse, les gens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : l’excitation, des premières minutes, passée ou chaque petite action est encouragée avec force passion, les gens ont finalement réalisé que rien de vraiment excitant ne se passait et sont tombés dans une apathie faite d’attente, de mangeaille, de discussion et de selfies.

La défaite des Kerala Blasters, quoique, injuste et surprenante, ne semblait pas particulièrement amère pour les supporters du club, et même les gagnants, satisfaits, n’étaient pas dans un niveau d’euphorie particulièrement élevé.

 

Bref, tout le monde était bien content, le foot c’est sympa, l’ambiance est bonne et familiale, mais même si la ferveur est bien là (on est en Inde, c’est normal), une passion massive pour le foot mettra probablement quelques années à s’installer.

Et puis, le foot c’est bien joli, mais dans un mois et demi commence la Coupe du monde de cricket avec le match Inde-Pakistan le 15 février…

 

NB : Voici un excellent post de blog sur le premier match du Mumbai City FC


Mais en Inde, où est Charlie ?

 

A Bombay, il n’y a pas vraiment eu de rassemblement pour les victimes des attaques contre Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes. Est-ce dû à un trop grand éloignement géographique, une distance culturelle ou une « banalisation » du terrorisme dans un pays ou la question – et la menace – sont constamment présentes ?

 

Avec ce qu’il s’est passé la semaine dernière en France, chacun y va de son petit mot, article ou témoignage. Cela peut paraître un peu compliqué de parler d’autre chose. Le tragique laissant rarement place à la banalité. J’avais prévu de publier des articles sur le foot, le sexe, la drogue, la culture des concombres-bites et autres sujets marrants, mais j’ai laissé ça pour plus tard. Je ne sais pas si je veux écrire sur cette histoire pour me soulager la conscience, parce que j’ai envie de rebondir sur l’actualité ou parce que je pense que mon témoignage est plus intéressant et que tous ceux qui ont été précédemment écrits sur le sujet. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a quand même besoin d’expulser toutes les réactions, les colères et les frustrations emmagasinées ces derniers jours.

 

J’ai été agréablement étonné de voir que, dans beaucoup d’endroits dans le monde, les gens se réunissaient par centaines ou par milliers pour montrer qu’ils se dressaient contre le terrorisme ou qu’ils soutenaient la liberté d’expression ou encore qu’ils s’appelaient vraiment Charlie et qu’ils en avaient marre de cette usurpation d’identité éhontée.

A Bombay, un événement de ce type a été organisé. L’initiative était bonne évidemment, pleine de jolis sentiments mais elle n’a pas attiré beaucoup de personnes (une quarantaine tout au plus, avec une grosse moitié de Français), et n’a pas vraiment entraîné de discussion sérieuse. Elle s’est finalement transformée en événement semi-mondain avec petites bougies, lanternes chinoises et panneaux « Je suis Charlie » de circonstance.

 

Je me suis donc demandé : pourquoi cet événement a-t-il suscité tant d’émotion dans le monde occidental, mais sans grande émotion dans un pays comme l’Inde.

Plusieurs réponses me sont venues :

  1. Parce que c’est déjà étonnant d’avoir des rassemblements de grande ampleur dans d’autres pays que la France, donc faut pas trop pousser.

  2. Nous sommes en Inde, un pays qui se vante d’être plus riche et complexe que le monde entier, donc quel intérêt de s’émouvoir de ce qu’il se passe dans le reste du monde, on a suffisamment de problèmes comme ça.

  3. Nous sommes en Inde, un pays qui a connu, qui connaît et qui continuera à connaître son lot de violence quotidienne, donc un événement comme celui-là n’est pas si incroyable.

  4. Ici, le principe de liberté d’expression n’a pas ce côté sacré-intouchable-quasimystique comme dans d’autres pays, et surtout comme en France

  5. La communauté juive est infime ici

  6. L’esprit de vieux cochon-franchouillard-soixante-huitard-libertaire de Charlie Hebdo est assez dur à faire comprendre ici

  7. Parce que la liberté de se rassembler, bien qu’autorisée, est jugée très louche et si 4 personnes se rassemblent, c’est qu’elles préparent forcément un mauvais coup. Il faut donc les taper jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’exagère un peu. Quoique.

     

Toutes ces raisons mériteraient peut-être quelques précisions,mais ce post risquerait de devenir subitement long et chiant.

 

Charlie

 

Mais l’Inde n’est pas étrangère au terrorisme, bien au contraire.

Pour ceux qui ne s’en souviennent plus, Bombay a été l’objet d’attaques terroristes en novembre 2008 de la part de commandos qui ont attaqué en l’espace de quatre jours 12 sites dans lesquels ils ont tué 164 personnes et blessé plus de 600.

C’était une opération de grande ampleur, incroyablement efficace dans son exécution et effroyable dans sa conclusion.

 

Les conflits divers entre l’Inde et ses voisins (surtout le Pakistan) ainsi que les déclarations récentes d’Al-Qaïda qui ont ciblé (verbalement) le pays font que le risque terroriste est constamment présent. Mais ce qui est effrayant, c’est qu’en Inde, tout est plus grand, plus fort et plus violent qu’ailleurs.

Entre 2003 et 2008, il y a eu 7 attaques terroristes à Bombay, tuant plus de 330 personnes.

La ville a plutôt été épargnée depuis six ans, mais on ne peut rien prévoir de ce qu’il se passera demain.

 

Bombay est une ville où la dialectique liée au terrorisme est omniprésente. En gros, toutes les mesures de sécurité spécifiques reposent sur l’antiterrorisme : accès restreint à l’aéroport, bars de nuit qui ferment à 1 h 30 et pas plus tard, barrages de police, blocages de sites Internet, ratonnade de musulmans dans les bidonvilles… Évidemment, ce n’est qu’un prétexte, mais ici l’excuse du terrorisme représente le prétexte parfait pour restreindre les libertés n’importe où et n’importe quand.

 

Espérons que Paris, avec les probables prochaines lois antiterroristes qui vont débouler en force, ne fasse pas la même erreur que Mumbai en se servant de ce drame pour créer un état d’urgence législatif et faire passer en douce des lois sécuritaires qui n’ont pas grand-chose à voir avec la choucroute.


Naya Saal Mubarak ho ! Bonne année !

bonne année

Bonne année, en Hindi…

Ici, le réveillon est une fête parmi tant d’autres. Le concept de fête en Inde, étroitement lié à la religion, est parfois étrange à appréhender pour un étranger.

 

Tout le monde fête la nouvelle année, à Bombay comme ailleurs.

Mais ici, c’est un peu différent.

Certes on observe des feux d’artifices, les gens descendent dans la rue, l’alcool coule à flot mais en réalité, cette fête n’est pas nécessairement plus célébrée que la multitude des fêtes religieuses qu’il y a ici.

 

Il y a au moins une dizaine de « nouvel an » en Inde, en fonction de l’Etat dans lequel vous serez, de la religion ou de la peuplade.

En plus de Diwali, la fête de la lumière, un des festivals les plus populaires en Inde, il y a :

 

  • Bihu, pour les habitants de l’Etat de l’Assam

  • Cheti Chand, pour les Sindhis

  • Gudi Padwa, pour les Marathis et les Konkanis (en gros, de Bombay au Kerala, sur la côte ouest)

  • Pana Sankranti, dans l’Etat de l’Odisha

  • Pohela Boishakh, pour les Bengalis

  • Puthandu, pour les Tamils

  • Ugadi, dans le Karnataka, l’Andhra Pradesh et le Télangana

  • Vaisakhi, dans le Punjab

  • Vishu, aussi dans le Kerala et les îles Lakshadweep

     

Avec tous les festivals et célébrations diverses, il y a de quoi faire la fête tous les jours dans ce pays.

 

Et à Bombay… ?

 

fête

D’un point de vue occidental, Bombay est considéré comme la ville de la fête en Inde.

Ici, il y a de quoi faire la fête tous les jours.

Et pourtant, toujours d’un point de vue occidental et si on compare aux grandes villes du monde, c’est finalement une ville assez ennuyeuse pour faire la fête. Le conservatisme ambiant, les règles rigides ainsi que les lois antiterroristes qui servent de prétexte pour à peu près tout font qu’il est plutôt rare de se retrouver dans des soirées complètement folles après 1h30 du matin, heure officielle de la fermeture pour 99% des bars.

 

En réalité, il faut savoir s’adapter, et laisser un peu de côté ce fameux « point de vue occidental ». Ce n’est pas que les indiens sont moins fêtards que d’autres cultures dans le monde, c’est juste que leur conception du sujet est différente.

Cette société est très attachée à sa propre culture et le concept de fête et de festival est étroitement lié aux traditions, donc à la religion.

La fête a toujours une signification religieuse et c’est la raison pour laquelle un jour de fête sera entièrement consacré à ça. C’est aussi la raison pour laquelle la définition de fête ou festival est étroitement liée à la religion, la spiritualité, la famille ou la communauté.

 

En France, une bonne fête dure de 10h du soir à 4-5h du matin, éventuellement après un bon dîner.

Ici, une bonne fête dure de 10h du matin à minuit, avec à boire, à manger, à danser, à prier, puis encore à manger et à prier, jusqu’à épuisement ou explosion.

Célébrer, faire la fête n’est pas quelque chose qui se fait en parallèle d’une autre activité, c’est, à certaines périodes, l’activité principale de la vie des gens.

C’est incroyable – et aussi déroutant – qu’à l’occasion de gros festivals comme Ganesh Chaturti (fête du dieu Ganesh) ou Diwali, les gens ont l’esprit tourné vers une unique chose : célébrer pendant 5 jours d’affilée, du matin au soir.

 

C’est une autre façon d’appréhender la fête, qui n’a rien à voir avec notre manière de célébrer aujourd’hui en occident notamment, mais qui implique des problématiques beaucoup plus large que la simple recherche du plaisir personnel. En effet, ici en Inde, la vie même de millions de personnes est influencée par toutes ces fêtes et par leur façon de les célébrer.

 

Bref, tout ça pour dire :

BONNE ANNEE

 


Dharavi, Govandi : les jolis slums de Bombay

Shivaji Nagar, BombayEnviron 60% des habitants de Bombay vivent dans des slums. Il y en a partout dans la ville mais certains d’entre eux ont une personnalité assez spécifique. Présentation de deux d’entre eux : Dharavi et Shivaji Nagar – Govandi.

Il y a une multitude de slums – bidonvilles en anglais – à Bombay : des vrais, des faux, des laids, des beaux, des gros touffus, des p’tits joufflus (merci Pierre Perret). Il y en a des biens construits, des presque détruits, il y en a des très vieux et d’autres tout nouveaux, certains sont très pauvres et d’autres fourmillent d’activité.
Je vais vous parler de deux de ces slums qui ont chacun quelque chose de très spécial : Dharavi, la star des slums, le premier de la classe, et Govandi, tout pourri, qui pue grave mais qui a un petit quelque chose qui mérite qu’on s’y intéresse.

Dharavi est le bidonville le plus peuplé et le plus dense en Inde : entre 700 000 et 1 million d’habitants qui s’entassent sur 2.39 km². Placé dans le top 3 asiatique, il est devenu célèbre grâce au film Slumdog Millionaire. Idéalement situé au centre de Bombay, il est convoité par des centaines de promoteurs immobiliers aux doigts crochus qui veulent récupérer les terrains qui valent probablement plusieurs centaines de millions de dollars.
Mais ce n’est pas un slum comme les autres : les habitants sont reconnus pour leur dynamisme entrepreneurial, et les nombreuses initiatives positives qui ressortent de cet endroit en font un quartier qui a largement dépassé son statut de slum.

C’est d’ailleurs là-bas que le slum tourism est assez populaire, comme l’explique cet article publié précédemment sur mon blog.

Shivaji Nagar, Govandi by night

Je me souviens la première fois où j’y ai été. Je venais d’arriver en Inde deux jours avant, et j’y allais pour voir les gens avec qui j’allais travailler. Je m’attendais à me retrouver dans un coupe gorge miséreux et dégueulasse dans lequel j’allais être une cible facile, mais en réalité, je me suis retrouvé dans un endroit fourmillant de monde et d’activité, aux maisons faite de bric et de broc, mais pas délabrées et dans lequel ma présence n’inspirait rien de particulier aux habitants.

Shivaji-Nagar est un autre type de slum, très complexe, multiculturel et aux conditions assez difficiles. Situé dans le quartier de Govandi à l’est de la ville, Shivaji-Nagar est considéré comme un des bidonvilles les plus pauvres de Bombay, et dans lequel la vie est très dure. En effet, son emplacement près d’une décharge géante (et puante), la pauvreté extrême de certains habitants, la forte mortalité infantile, la présence des maladies les plus pourries du monde (cancer, sida, lèpre, maladies respiratoires en tout genre, …) et d’autres sales trucs peu enviables créent un environnement extrêmement nuisible.

Sa situation communautaire délicate (moitié hindous-moitié musulmans), son statut légal très particulier (vu par tous comme un slum mais n’en n’ayant pas le statut), mais aussi sa vitalité, son foisonnement, et le dynamisme de certains de ses habitants-entrepreneurs (deux salles de sport, dont une fondée par un type plus large que haut et avec les bras de la taille d’une bite d’amarrage) ainsi que des maîtres d’œuvre (des centaines de logements sont construits ou rénovés chaque année) sont autant de raisons de s’intéresser à ce bidonville dans lequel un grand nombre des questions sociales, politiques, sanitaires, communautaires, identitaires ou religieuses qu’on peut trouver dans la ville de Bombay se bousculent dans un chaos foutraque, foisonnant, plein de contradictions, mais tout de même fascinant.


Les potes ou les toilettes : quelles sont les commodités des « bidonvilles » ?

Maximum city

Les habitants des « bidonvilles » de Mumbai ont une vision bien à eux du confort et des commodités : le fait d’être entouré de leur communauté est une « commodité » plus importante que la modernité de leur maison.

Maximum City est un livre écrit par Suketu Mehta et publié il y a 10 ans, en 2004. C’est un livre incroyable qui aide à comprendre le merdier et la folie de Bombay, mais aussi sa diversité et son côté grandiose.

Ce livre parle de ce qui fait Bombay aujourd’hui : le commerce, la violence, les bidonvilles, la politique et la multitude de gens, partout, tout le temps.

Paris est « la ville lumière », New-York « la grosse pomme », et Bombay c’est « la Ville Maximum ». Ce surnom est parfait.

A propos des bidonvilles, Mehta écrit ce court passage qui semble refléter assez bien l’état d’esprit des gens qui vivent dans les « slums », état d’esprit qui peut être difficile à comprendre de prime abord (Traduction effectuée par votre serviteur) :

Ils examinent le bureau avec admiration. Amol est propriétaire d’un appartement à Nalasopara. Sumil est propriétaire à Dahisar. Ni l’un ni l’autre ne songerait à déménager du bidonville avec leur famille dans leur bel appartement. Je leur demande pourquoi : « Tu peux me donner une maison n’importe où – Nepean sea road, Bandra [quartiers chics de Bombay, NDT] – mais je ne quitterai pas Jogeshwari » me dit Amol. « Dans les chawls [type de bidonville], on a toutes les commodités », ajoute t-il.

Toutes les commodités serait un terme utilisé par un agent immobilier pour décrire les sanitaires, l’eau courante, un ascenseur, ou une cuisine toute équipée. Mais une autre définition s’applique pour les « commodités » des bidonvilles. « Quand vous revenez du travail, vous pouvez vous poser au bord de la route avec vos potes et discuter. Dans le chawl, on peut dire à nos voisins qu’on a besoin d’aller à l’hôpital et ils viendront tout de suite ».

Potes bidonvilles

C’est la question qui revient souvent: pourquoi les habitants des slums voudraient rester dans des endroits insalubres, sans intimité et sans les « facilités » et le confort qui caractérisent notre existence moderne ?

Parce que les habitants de ces bidonvilles ont leur propre définition du confort: le fait de savoir qu’ils seront toujours soutenu par quelqu’un de la communauté, qu’ils auront toujours quelqu’un à qui parler, quelqu’un pour leur donner un coup de main leur paraît beaucoup plus important que la chasse d’eau dans les toilettes et le parquet marbré dans le salon.

Ils ne considèrent pas leur quartier comme étant un bidonville et d’ailleurs, la plupart de ces quartiers de Bombay n’en sont pas : on pourrait les appeler quartiers informels ou quartiers populaires. En effet ce sont des quartiers avec des habitations souvent en dur, avec l’électricité, parfois l’eau, et plus rarement des toilettes.

Je ne vais évidemment pas vous dire que les quartiers informels de Bombay sont des lieux parfaits où règnent la paix, l’amour, l’amitié et que les considérations matérielles ne sont pas importantes. J’ai l’occasion d’aller régulièrement dans un slum où la vie est loin d’être facile, où certains quartiers sont très pauvres et où les confrontations sociales et communautaires sont, comme dans beaucoup d’endroits à Bombay, omniprésentes.

Mais au final, le principe de base est bien plus simple: pourquoi les gens ne veulent pas partir de ces endroits? Simplement parce qu’ils sont chez eux. Point.


Vendeurs de rue, pots-de-vin et siestes crapuleuses

La nourriture de rue est un des symboles de Bombay. Et pourtant, les vendeurs sont accusés de tous les maux et sont constamment l’objet d’amendes et de poursuites alors qu’ils sont une composante importante de la vie sociale de la ville.

Pour beaucoup d’Indiens mais aussi d’étrangers, Bombay est synonyme de street-food. La bouffe de rue réunit tout le monde : les riches comme les pauvres, les familles le week-end, aussi bien que les travailleurs pour leur pause déjeuner.

Le vada pav est le roi de Bombay. Il s’agit en substance d’un burger à la pomme de terre ; c’est bon, c’est gros, c’est gras, tout le monde aime ça. Après viennent les Panipuri (sortes de boules frites creuses qu’on mange après les avoir rempli d’un liquide parfumé – dur à expliquer), les Sevpuri (patates, chutney, oignons : que du bon) ou encore les Bhelpuri (riz soufflé).

Bref, y a le choix, c’est bon, très nourrissant, et manger dans la rue vous donnera automatiquement l’impression d’être un Mumbaikar, un vrai de vrai, surtout si vous vous en mettez plein sur le t-shirt et que vous décidez de faire une petite sieste impromptue juste après (quelques photos de sieste de rues crapuleuses).

 

En bas de chez moi, j’ai justement un de ces vendeurs dont je suis un client régulier. Il fait partie des 250 000 vendeurs de rue de Bombay, et comme la plupart, il galère pas mal.

A Bombay, on peut tout acheter dans la rue : nourriture, drogue, portables, ustensiles, vêtements… Ce que vous cherchez, vous aurez de fortes chances de le trouver dans la rue.

En mai dernier est passée une loi qui donne plus de droits et qui réglemente de manière assez flexible le statut et l’activité de ces vendeurs de rue. En effet, avant ça, seuls 15 000 des 250 000 vendeurs avaient une licence leur permettant d’exercer légalement. Les autres devaient payer des pots-de-vin aux flics du coin pour qui c’était une grosse source de revenu (chaque année, le total de ces pots-de-vin atteint plusieurs dizaines de millions d’euros).

Vendeurs de rue, elco market

 

Ces « street hawkers » ne sont pas forcément très bien vu par la population Mumbaikare. En effet, beaucoup d’entre eux sont des immigrés venant d’autres parties de l’Inde et qui dit immigré, dit tous les clichés intemporels sur les immigrés : ils sont sales, ils font du bruit (le fameux « bruit et odeur » est universel, c’est rassurant), ils sont voleurs, ils parlent mal Hindi/Marathi, et ils sont les principaux responsables de l’état actuel de délabrement de la ville de Bombay.

Mais, en vrai, Bombay n’a pas besoin d’eux pour être dans l’état dans lequel elle est…

 

Après une énième descente de police, Ram Babu, un vendeur affilié à un « syndicat de vendeurs  raconte : « Si les flics nous attrapent, on doit payer une amende de 1 250 roupies [16 € pour un européen, mais une somme énorme pour ces vendeurs]. Beaucoup d’entre nous ne peuvent pas se le permettre ».

Rajiv Gupta, un autre vendeur, ajoute : « Mon père avait un stand de fruits avant moi. Ça fait deux décennies que je travaille dans cette rue. Je ne sais pas si aujourd’hui sera un jour rentable, car je suis obligé de me cacher et d’attendre que la police parte pour reprendre mon business. On ne vole personne ! Pourquoi le gouvernement nous traite-t-il de cette manière ? »

 

C’est typique de Bombay, ainsi que de ses paradoxes : plutôt que d’essayer de réglementer et/ou de contrôler ce type de business qui, de toute manière, perdurera quoi qu’il arrive, les gouvernements successifs ont préféré s’attaquer sans réfléchir à tous ces vendeurs, permettant au passage aux flics de s’en mettre pleins les fouilles, ce qui a accentué la situation de misère dans laquelle ces gens, qui ne sont là que pour travailler, sont déjà plongés.

 

(SOURCE)


Femmes, enfants, pandas : l’Inde ne sait pas quoi faire de ses habitants

En Inde, les mesures prises pour gérer la surpopulation ou pour contrôler les naissances peuvent mener à des situations tragiques ou absurdes, surtout pour les femmes.

 L’inde explose démographiquement. Tous ses bébés vont lui trouer le ventre et déverser ses entrailles sur toute l’Asie du sud. Pendant que les Chinois ont pris conscience de la nécessité de contrôler leur démographie (merci la dictature), les Indiens aujourd’hui sont super fiers de leur 1,2 milliards d’habitants et de leur place programmée de n°1 mondial d’ici une quinzaine d’années.

Mais comment un pays qui est incapable de nourrir 40% de sa population peut se réjouir de voir sa population augmenter de près de 20 millions de personnes chaque année ?

Le gouvernement n’est pas complètement inconscient de ce problème, c’est pourquoi quelques efforts de prévention ont été effectués, notamment par la mise en place de centres d’informations sur la contraception, d’une efficacité plus que variable et avec des résultats assez anarchiques.

 

Aujourd’hui, dans certains états de l’Inde, il y a entre 850 et 900 filles qui naissent pour 1000 garçons. Même si le diagnostic prénatal (servant à déterminer le sexe de l’enfant) est interdit, de nombreuses familles y ont recourt illégalement. Si c’est une fille, il risque d’y avoir avortement. En effet, les garçons sont considérés comme des soutiens forts pour la famille, alors que les filles sont uniquement des créatures inutiles dont il faut payer la dot.

Un proverbe indien dit d’ailleurs « élever une fille, c’est comme arroser le jardin d’un voisin ».

Le problème, c’est que dans quelques années, quelques millions de mâles en rut risquent d’aller dans le jardin du voisin pour voir s’il n’y a pas une jolie fille disponible qu’ils pourront prendre, de gré ou de force…

 

Récemment, un fait divers a secoué le Chhattisgarh, état du centre de l’Inde, à propos d’une stérilisation de masse ratée qui a conduit à la mort de 11 femmes et à l’hospitalisation d’une soixantaine d’autres. Ces stérilisations ne sont pas forcées, mais l’argent ou les cadeaux offerts ont tellement de valeur pour ces femmes, la plupart du temps très pauvres et/ou obéissant à leur famille, qu’il est très dur pour elle de refuser. Selon cet article de RFI, chaque année, environ 1 million de femmes subissent ce genre d’opération qui en plus, est exécutée dans des conditions d’hygiène déplorables.

femmes, naissances et préservatifs

 

Enfin, à Bombay, c’est le contraire qui se passe avec la petite communauté Parsi. Les Parsis sont une communauté religieuse qui a émigré de Perse au Xe siècle. Aujourd’hui, cette communauté est en danger à cause de sa faible natalité, du fait que la plupart des membres sont des vieux schnocks et qu’ils ne sont plus que 70000 dans le pays.

Alors, le ministère des minorités (comme dans les meilleurs films de science-fiction), s’est empressé de faire ce qu’il pouvait pour aider nos amis les Parsis en finançant une grande opération pour sauver la communauté en incitant les membres à avoir un enfant, puis deux, puis plus… Les pubs qui ont été créées pour l’occasion disent que c’est cool pour les femmes d’avoir des enfants, que c’est super viril pour les hommes d’avoir la responsabilité d’une famille, qu’il faut baiser sans capote et que plus il y a de gosses, mieux c’est.

Ce qui a conduit certains membres de la communauté à affirmer, non sans humour : « nous ne sommes pas des pandas ».

 

Les problèmes ne sont pas les mêmes pour tout le monde, certains sont tragiques, d’autres plus triviaux, mais ce qui est sûr, c’est que les tentatives pour maîtriser les naissances mènent à des dérives humaines et morales qui peuvent être traumatisantes pour certaines communautés.

Et même si le dernier exemple peut nous faire marrer, c’est quand même un peu dérangeant de se dire que la vie sexuelle d’une communauté est observée, commentée et jugée de cette manière…


The water mafia : petites combines pour un verre d’eau

A Bombay, il y a des mafias à tous les coins de rue. La mafia de l’eau est l’une d’entre elles, mais ici, pas de poursuite en voiture, d’orgies alcoolisées, ou de règlements de compte sanglants, non, juste des hommes et des femmes qui veulent simplement boire quelques litres d’eau chaque jour.

L’eau est le « pétrole du XXIe » siècle, c’est ce qu’on entend parfois et les spéculations quant à la montée du prix de l’eau vont bon train. L’eau se raréfie, il faut donc mieux la gérer.

Et évidemment, ici, à Bombay, il n’y a pas assez d’eau. Et le pire c’est que ce n’est pas dû à une pénurie ou aux sécheresses, mais à des problèmes structurels, économiques et administratifs.

 Il y a entre 13 et 15 millions d’habitants à Bombay aujourd’hui. La municipalité fournit environ 3 900 millions de litres par jour, alors que le besoin est estimé à 4 500 millions de litres. Il y a donc 600 millions de litres d’eau manquants chaque jour. De plus, les fuites d’eau dans les tuyaux, les petits larcins ainsi que les vols à la source représentent un manque d’environ 25 %. Soit entre 900 et 1 000 millions de litres.

Ce qui nous fait un manque total d’environ un tiers des besoins en eau de la ville.

Sans compter le fait que beaucoup de parties de la ville ne sont pas raccordées à l’eau, notamment dans les bidonvilles : c’est ce déséquilibre qui entraîne des abus.

 Parmi ces abus, il y a le simple vol d’eau, souvent au moyen de « water pumps », robinets qui permettent de se servir directement aux tuyaux, ou encore le développement d’un marché spéculatif sur l’eau dans les quartiers pauvres, permettant aux habitants légalement raccordés de vendre leur eau à ceux qui ne le sont pas. La « water mafia » c’est ça.

Autant dire que ce n’est pas Al Capone et ses hommes de main, c’est juste l’histoire banale de gens qui veulent boire de l’eau, qui n’en ont pas dans leur robinet et qui cherchent donc un moyen d’en obtenir.

Mais c’est cette « water mafia » que le gouvernement veut sanctionner très lourdement.

 Water mafia, tuyau d'eau

Flickr/CC/ Meena Kadri

 Et pourtant, ce type de situation est évitable : par exemple, si tout le monde était raccordé à l’eau gratuitement, et si les prix de l’eau étaient représentatifs du niveau de vie des quartiers raccordés, il n’y aurait pas de business parallèle et le gouvernement gagnerait sans doute plus d’argent qu’aujourd’hui.

Comme l’explique cette étude, des opérations policières ont ainsi été lancées contre ces voleurs d’eau, qui ont été immédiatement remplacés par des sociétés privées de vente d’eau, tout à fait légales, mais qui finalement faisaient la même chose, voire pire que les autres : vendre de l’eau d’une qualité plus que douteuse à un prix élevé.

 La conclusion de tout ça, c’est que les gens pauvres ont droit à moins d’eau que les gens riches (45 litres par jour et par tête, contre 145), mais qu’en plus, ils se retrouvent à payer parfois plus cher que le reste de la ville.

 C’est souvent le même problème: la criminalité en col blanc est pire que la petite criminalité. L’une veut s’enrichir alors que, souvent, l’autre veut juste survivre.


Bombay et ses masala rats

mumbai rat killer - onlybombay.blogspot

A Bombay, le rat est un animal libre. Il se balade partout, il se nourrit de n’importe quoi et se reproduit à une vitesse infernale. Les rats sont tellement nombreux que, s’ils le voulaient, il pourrait prendre le pouvoir de la ville demain. Récit d’une menace poilue aux dents longues.

 

Récemment, dans les pages de nombreux quotidiens indiens, un fait divers a été relayé de manière catastrophiste. Dans un avion Calcutta-Delhi, un certain nombre de petits rongeurs aux dents très longues ont été trouvés, ce qui a du nécessiter une immobilisation et un traitement immédiat de l’avion. Il n’y rien de surprenant à ce qu’il y ait des rats dans les avions : les convois de bouffe s’acheminant vers ceux-ci font un transport parfait pour les petites bêtes qui aiment à se délecter de ce qui se fait de mieux en matière de nourriture en boîte ; c’est la raison pour laquelle les rats ne sont pas uniquement attirés par les avions indiens mais par les avions du monde entier. Le principal risque est évidemment que les rongeurs poilus se mettent à se nourrir de fils électriques, ce qui peut poser de sérieux problèmes à un avion en vol.

Le détail effrayant de cette affaire est que ce ne sont pas un ou deux rats qui ont été découverts, mais toute une nuée. Et quand on voit la taille des rats à Bombay par exemple, ce n’est pas vraiment rassurant.

 

Soyons tout de suite clairs, Bombay est une ville infestée de rats. Et ils ne se cachent pas, hein ! Ils se baladent à la vue de tous, avec leur gros ventre rempli de masala et d’épices, leurs poils sales et leur grosse queue cerclée. Certains sont tellement gros que vous pouvez les confondre avec des petits chats, c’est assez effrayant.

 

Actuellement, à Bombay, la municipalité emploie 31 « night rat killers » pour s’occuper de toute la ville. Étant donné que selon certaines estimations, il y a 88 millions de rats à Bombay (!!!), on peut dire que le combat n’est pas gagné. Ces types sont armés d’un bâton et pour gagner les 5000 roupies (environ 60 euros) que leur promet la municipalité chaque mois, ils doivent tuer au moins 30 rats chaque nuit.

 

rat mignon

 

Mais pourquoi la municipalité ne veut pas mettre du poison et qu’on en finisse ?

Parce que vue la densité énorme qui existe dans certaines zones résidentielles et considérant la quantité de gens qui dorment dans la rue, ce serait beaucoup trop dangereux. Sans compter que trois à quatre mois par an, la mousson emporterait toute la mort-au-rat sur son passage. La solution « bastonnade de rats » leur a donc semblé la plus appropriée.

En moyenne 150 000 rats sont tués chaque année. C’est bien, mais il en faudrait 100 fois plus pour pouvoir commencer à endiguer le problème.

Cette présence massive pose de nombreux problèmes : détérioration des connections électriques ainsi que des fondations des bâtiments, saleté, maladies… Et ce n’est pas près de s’arrêter, le rat étant une créature du démon, très intelligente, adaptable, et résistante.

Imaginez 88 millions de rats pour une quinzaine de millions d’habitants, ça fait 6 rats pour un habitant. Les rats se reproduisant très vite, la situation – qui est déjà catastrophique – risque de devenir désespérée en tout point, surtout si une épidémie transmise par les bêtes aux longues dents apparaît et se développent.

 

Ce problème, même s’il est particulièrement amplifié à Bombay, ne concerne pas uniquement l’Inde. En effet, dans le monde entier, dans les grandes villes modernes comme dans les campagnes reculées, les rats se développent à une vitesse effrayante et représentent une menace contre laquelle il est probable qu’il faille lutter sérieusement très prochainement.

 

Mais tout le monde n’est pas de cet avis : la société protectrice des animaux de Bombay, sans doute composée de gens responsables et intelligents, souhaite la fin de toutes les mesures visant à tuer les rats.

 

NB : Un documentaire sur la question :

https://www.theratrace.co.in/


Ceux qui m’aiment prendront le train

Flickr/CC/ Satish Krishnamurthy
Flickr/CC/ Satish Krishnamurthy

Le train est le symbole de Bombay et c’est le moyen de transport incontournable. Sale, vieux, inconfortable, toujours bondé, c’est une véritable épreuve pour les 7 millions de passagers qui le prennent chaque jour.

 

A Bombay, le train est un poème expressionniste, dur et méchant, rêche et violent. Les gares rassemblent tout le monde, aussi bien une classe moyenne aisée que des gens d’une misère insoutenable. Les gares sont le vecteur de l’Inde du bas, là où vous êtes sûrs de trouver ceux que vous ne cherchez pas toujours : des bientôt riches, des déjà pauvres, des estropiés et des mendiants, beaucoup de jeunes en groupe, quelques femmes seules, et des milliers de personnes portant exactement la même chemise, avec le même air fatigué et la même sacoche abîmée par des heures, des jours, des semaines entières passées dans les trains moites de cette fourmilière urbaine.

 

Dans le train, la deuxième classe est miteuse, la première l’est tout autant mais ça importe peu. Quand les uns ont des smartphones neufs, les autres ont des fausses bagues en diamant. A chacun son luxe. Ces gens passent facilement trois à quatre heures par jour dans les transports, c’est comme leur seconde maison. Certains se connaissent, d’autres se dévisagent, la plupart s’en foutent. C’est la vie.

Les portes sont ouvertes, chacun peut avoir les cheveux au vent. Riches comme pauvres.

Les cheveux gras sont étrangement moins sensibles à l’air fouettant.

 

Le train de Bombay est un des plus meurtriers au monde ; chaque année, plus de 600 personnes meurent, soit écrasées sur les rails, soit en chutant des trains qui sont trop vieux et trop bondés, soit électrocutés par les lignes à haute tension.

Et encore, ce chiffre est en nette amélioration par rapport aux années précédentes, surtout depuis que la ville a formellement interdit aux gens de voyager sur les toits des wagons …

Flickr/CC/Ryan
Flickr/CC/Ryan

 

Dans cette ville, la question du train est – sans rire – un traumatisme. Les gens sont obligés de devenir chaque jour pendant deux, trois voire quatre heures, des animaux qui luttent pour leur confort, pour leur santé ou pour leur survie.

Imaginez-vous, tous les matins et tous les soirs, devoir grimper dans un train dans lequel une foule en furie se compresse, et vous retrouver dans un endroit vaguement aéré avec une moyenne de 16 personnes par m², toutes aussi désespérées que vous.

Imaginez-vous subir la chaleur, l’odeur, et la promiscuité extrême dans un tombeau roulant qui semble vous emmener tout droit vers les profondeurs de l’enfer.

Imaginez-vous vous transformer deux fois par jour en bête furieuse qui rue, qui tape, qui hurle pour avoir une toute petite place assise, gage de tranquillité et de paix (toutes relatives).

 

Ce train Mumbaikar a quelque chose de fou, d’absurde et de grandiose. C’est presque romantique quand on en parle. Mais quand vous êtes à l’intérieur, je vous assure que l’haleine fétide et le cul collant de vos compagnons de voyage vous enlève toute envie de laisser voguer votre esprit vers des rivages poétiques.

 

Ca aussi, c’est Bombay.

 


Le poorism, un tourisme sans complexes

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Bombay n’est pas une ville vraiment réputée pour sa richesse culturelle et pour la beauté de ses monuments. Il y a des choses à voir dans cette ville, je ne dis pas le contraire, mais quand on compare aux merveilles qu’on peut trouver dans d’autres parties de l’Inde, ça ne vaut pas la peine de s’attarder ici.

 

Bombay est une ville qui s’explore, qui se fouille, qui se vit. Pas une ville qui se visite en trois jours.

Ce n’est pas une v(f)ille facile qui se dévoile dans ses monuments ou dans ses attractions touristiques. La Gateway of India s’apprécie en un simple coup d’oeil, l’hôtel Taj est un foutu centre commercial pour riches étrangers assommés par le mal du pays, la Victoria Station est un poème baroque mais uniquement à l’extérieur, les musées ne sont pas inoubliables et même la maison de ce pauvre Rudyard Kipling tombe en ruine alors que dans n’importe quelle ville du monde, un petit malin en aurait fait une attraction colorée, avec t-shirts, mugs et caleçons à l’effigie de Mowgli, Baloo et leurs copains poilus.

 

L’intérêt de Bombay, c’est Bombay : ses gens, sa vie, ses multitudes de cultures qui se retrouvent sur cette péninsule étroite dans l’espoir de faire un peu de pognon, son économie souterraine, son dynamisme entrepreneurial, ses rickshaws et ses slums.

 


En ce moment, beaucoup d’articles s’attardent sur le concept de slum tourism. Partout à travers le monde, des « tours opérators » (voir le
lien) se chargent de la visite des slums de Bombay ou des favelas de Rio. L’image de ces lieux est gravée dans l’imaginaire collectif, notamment grâce à des films comme Slumdog Millionaire ou La cité de Dieu.

Les touristes veulent voir ce qu’il s’y passe, pour notamment être sûr de ne pas manquer ce qui constitue une grosse partie de ces villes.

Alors, est-ce du tourisme responsable ou du voyeurisme décomplexé ?

Certains disent que ça banalise la pauvreté, pire, que celle-ci se transforme en loisir éphémère pour des touristes en recherche d’une bonne conscience tout en étant finalement inconscients de la situation. D’autres mettent en avant une cohabitation nécessaire de deux mondes trop séparés, basée sur le respect entre les personnes et la participation économique et morale des ONG organisant ces visites. Comme une sorte de création de lien social entre deux mondes diamétralement opposés.

 

Mais ce qui frappe vraiment, c’est cette constatation que TOUT est tourisme aujourd’hui, et que n’importe quoi pourrait le devenir. Les monuments, les lieux, les hommes, mais aussi les choses immatérielles comme les techniques artisanales ou la cuisine : tout se visite, tout s’explore, tout se scrute, s’observe, tout se photographie, tout se vend.

Appelez ça tourisme écolo, tourisme responsable, tourisme gastronomique, tourisme sexuel, tourisme d’aventure : c’est la même chose, c’est la volonté de personnes de découvrir un environnement différent de celui dans lequel ils vivent habituellement.

Cette vision basique du tourisme est plutôt positive, ce sont les dérives (commerciales, discriminatoires et culturelles) qui ne le sont pas.

Il ne s’agit donc pas de s’offusquer de cet autre type de tourisme, mais plutôt de réfléchir à notre rapport aux autres cultures et à notre vision du monde trop souvent réduit à un vaste studio photo.

 

Deux articles sur le « poorism »:

https://www.nytimes.com/2008/03/09/travel/09heads.html?_r=0

https://thecelebritycafe.com/feature/2014/02/slum-tours-should-we-let-them-continue

 

NB : à Bombay, les slum tours n’intéressent que les touristes occidentaux, très peu d’Indiens de la classe moyenne auraient l’idée de mettre les pieds dans un bidonville, et encore moins de payer pour ça.


Des chiffres et des lettres

Shivaji Nagar

Bombay et son agglomération comptent aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants. Le dernier recensement officiel remonte à 2011, mais il est très difficile d’avoir des chiffres exacts, en raison notamment de l’afflux constant de nouveaux, environ 13 millions d’habitants pour une surface de 603,4 km², ce qui fait une densité d’environ 21 500 hab/km².

C’est une densité élevée, mais à titre de comparaison, elle est à peu près équivalente à la densité de Paris intra-muros et bien inférieure à la densité de l’île de Manhattan à New York.

Rien d’exceptionnel donc, en comparaison d’autres grandes villes du monde.

Cependant, le problème se situe sur un autre plan : 62 % des habitants de Bombay vivent dans des bidonvilles ou des quartiers informels. Ce qui fait environ 8 millions de personnes. Ce chiffre est déjà énorme mais ce qui est gênant, c’est de savoir que ces 8 millions de personnes vivent sur seulement 15 % du territoire de la ville. Soit environ 90 km².

Imaginez 8 millions de personnes s’entassant sur un terrain de 90 km².

Ou alors une population de 89000 habitants par km².

Ou encore une ville de la dimension de Paris, mais avec 4 fois plus d’habitants.

C’est un entassement d’êtres humains tellement énorme qu’on a du mal à y croire.

Et ce n’est pas tout ! Dharavi, le plus grand bidonville d’Inde, situé au centre de Mumbai a une envergure de très précisément 2,39 km² et une population comptant entre 700 000 et 1 million d’habitants. Ce qui équivaut à une densité comprise entre 293000 hab/km² et 418000 hab/km² !

C’est gigantesque.

Pour reprendre un exemple bien français, c’est comme si on prenait la population de Marseille et qu’on la déposait sur le rocher de Monaco. «Ça ferait sans doute plus de supporters au stade Louis II, mais Albert ne serait pas très content.

Voilà pour les chiffres. Ils nous permettent de comprendre pourquoi Bombay est ce qu’elle est aujourd’hui. Le bruit, le monde, la saleté, la pollution mais aussi l’énergie, la folie et l’esprit d’initiative sont autant de caractéristiques qui découlent directement ou indirectement de la densité gigantesque de certains quartiers de cette ville.

NB : Il faut aussi prendre en compte la marge d’erreur comprise entre 5 et 10% pour ces chiffres car ils reposent sur le dernier recensement datant de 2011 – qui lui-même ne devait pas être très précis et essaient de prendre en compte l’afflux constant d’habitants chaque année (entre 100 et 300 familles s’installent à Mumbai chaque année) ainsi que différentes sources précisant que les chiffres du recensement sont probablement en dessous de la réalité.