Arva FAJELE ABASSE

Dis-moi dix mots et je t’accueille

Dis-moi dix mots et je t’accueille

Viens chez moi je t’emmène. Je t’emmène là où personne ne te fera de mal. C’est un endroit où on accepte ta différence et où l’intolérance n’a pas sa place. Je t’accueille là où tu te sentiras chez toi, là où les seuls amalgames que tu verras seront à base de mercure, et dis-toi que chez moi, tu n’auras jamais froid, tu seras roi parmi les rois, mais surtout homme parmi les hommes. Chez moi, on ne vise pas, on ne cible pas, on n’a pas d’ennemis. Chez moi, on ne tue pas, on ne bascule pas, personne n’est incompris. Chez moi, on fait des kermesses et en liesse, on fête l’humanité. Que tu sois Inuit, Quechua, Maori, ou Sakhaline, peu importe ton pays d’origine, tu es le bienvenu. Emmène tous tes gris-gris, parce qu’ici, on veut savoir, on veut découvrir ce que tu as à offrir. On veut voir ce qui se passe ailleurs et on accepte tes coutumes avec zénitude et amour. Chez moi on te dit bravo pour ce que tu es, pour ce que tu as accompli et pour ce que tu vas devenir. Parce qu’on aura confiance en toi, et on t’aura donné une chance d’être éduqué, et tu verras la liberté que c’est, de pouvoir t’exprimer. Ici on va arrêter le temps, rien n’est kitch, rien n’est rétro, on aime prendre le temps d’écouter le vent et d’admirer l’horizon. Parce qu’on suit le fil, qu’on se laisse guider par l’inspiration et la parole des sages, des grands, les enfants et les bons. Mais pour aller chez moi, il y a du chemin à faire, et celui-là tu ne le trouveras pas sur Internet, ni sur tous les wikis de la Terre. Il faudra sourire aux autres et avancer tranquillement, faire confiance à ta planète et réagir autrement. Chez moi c’est loin, mais je suis sûre qu’on peut y arriver, main dans la main. Peut-être même qu’en y allant, la sérendipité t’emmènera bien plus loin, dans un endroit que ni toi ni moi, ne connaissons encore. Mais là au moins, on acceptera la différence et la tolérance aura sa place.

PS : cette année les mots choisis invitent au voyage. Le thème est : « Dis-moi dix mots que tu accueilles. »

Ces dix mots sont présent dans mon texte : Dis-moi dix mots et je t'accueille ! Vous savez ce qu'ils veulent tous dire ?
Les dix mots choisis cette année.

AMALGAME (arabe) ; BRAVO (italien) ; CIBLER (alémanique suisse) ; GRI-GRI (utilisé en Afrique et dans les Antilles) ; INUIT,E (inuktitut) ; KERMESSE (flamand) ; KITSCH ou KITCH (allemand); SÉRENDIPITÉ (anglais) ; WIKI (hawaïen) ; ZÉNITUDE (de zen, japonais). Faites un tour sur la page de l’organisation Dis-moi dix mots.

Je vous encourage à participer aux différentes manifestations qui sont consacrées à la francophonie non seulement en France, mais aussi dans les nombreux pays partenaires, dans le cadre de la semaine de la francophonie (cette année du 14 au 22 mars 2015)


Quelque chose en moi s’est brisé ce jour-là

Je crois que quelque chose en moi s’est brisé pour la vie, le jour où on m’a appris avec un peu de dépit, que la vie ce n’était pas ce que j’avais compris. On ne naît pas libres. On ne naît pas égaux. La liberté faut la payer et l’égalité la mériter. On m’a appris d’un coup, que la vie c’était coup sur coup et que pour survivre à ça, fallait donner de soi.

Je crois que quelque chose en moi s’est brisé pour la vie, le jour où j’ai compris qu’on ne me dirait pas oui. Ni oui pour ce que je suis, ni oui, pour ce que vais devenir. Parce que à part mourir il n’y a pas de solution, pour être soi dans un monde qui ne veut pas de toi.

Quelque chose en moi s’est brisé pour la vie, quand on m’a dit que penser n’était pas permis. Pas permis de réfléchir, ni de faire comme ceux qui détruisent tout ce qu’on a fait jusqu’ici. Parce que choisir n’est pas en option. Et évoluer, devenir et grandir ne le sont pas non plus. Je crois que quelque chose en moi s’est brisé pour la vie, le jour où j’ai compris que mes décisions n’étaient que des illusions et que la plupart des gens avaient tort de dire non.

Parce que si quelque chose en moi ne s’était pas brisé ce jour-là, j’aurais su dire oui, à ceux qui m’ont appris que la vie c’était exactement comme j’avais compris : des choix, ma loi, et tant pis, pour ceux qui n’auront pas su imposer leur oui.


Les mots doux n’existent plus

Il est loin le temps où on s’envoyait des lettres. Où on prenait le temps de peser chacun des mots qu’on couchait délicatement sur une feuille, dans l’espoir que quelqu’un de particulier, quelque part, prenne plaisir à la lire, à la comprendre et à y répondre. Chaque phrase avait son importance, chaque mot avait alors son importance. Un mot de trop et on était mal compris, une phrase un peu trop alambiquée et le lecteur pouvait s’y perdre. Chaque argument avait une cause, une conséquence et une valeur. Chaque lettre écrite était comme la trace d’une existence, le symbole d’une vie dense.
Les lettres on ne les envoie plus, et les mots doux n’existent plus.

Il est loin le temps où les gens savaient lire. Où on aimait apprendre et découvrir ce que l’autre avait à dire. Il est loin le temps où l’auteur avait une valeur et où on s’attachait à écouter la douce mélodie d’une prose passionnée. On a aujourd’hui du mal à s’attarder sur les mots, sur les articulations et les déviations d’une jolie phrase. Il est loin le temps où on voulait effleurer la pensée d’un autre, et à mesure des pages, entendre ce qu’il pensait, débattre de ses idées. Chaque lecture était surprenante, enrichissante et concentrée. Chaque lecture la trace d’un moment d’humilité, un moment où on avait pris le temps d’écouter. Les livres on ne les lit plus, et les mots doux n’existent plus.

Il est loin le temps où on pouvait vivre d’amour. Celui où on ne pouvait que se donner l’affection qu’on recevait. Il est loin le temps où l’amour était désintéressé. Ce temps où l’amour parental était sacré. Où l’amour fraternel était inconditionnel. Où l’amour ne s’achetait pas, ne se vendait pas, ne se prouvait pas. Il est loin le temps où on aimait le dire, le décrire et se sourire. On aimait savoir qu’à l’avenir on serait plusieurs, sans conditions, sans désillusions. Chaque sentiment était entendu, affectueux et respectueux. L’amour on ne le dit plus et les mots doux n’existent plus.

Il est loin le temps où on faisait de l’humour. Qu’on comprenait la dérision mais l’autodérision surtout. Il est loin le temps où on arrivait à rire de ses propres erreurs, à sourire de ses propres humeurs. Et qu’on avait assez de recul pour critiquer sans méchanceté, et rire sans se moquer. Il est loin le temps où on faisait de l’humour intelligent, où on riait de tout sans blesser, parce que tout le monde comprenait l’intention cachée. Chaque blague est pleine de sens, à mourir de rire et fait plus de bien que de mal. Les blagues ne sont plus drôles et les mots fous n’existent plus.

Il parait que le bonheur de lire, d’écrire, de rire, de comprendre a disparu.
Il parait que ceux qui veulent sont déçus et que se faire entendre est un privilège que beaucoup n’ont plus.
Il parait qu’on n’aime quand ça nous arrange et qu’accepter l’autre comme il est n’est plus une évidence. Il parait qu’on attend plus que ce qu’on donne. Et ce qu’on reçoit se mesure aux nombres d’appels au téléphone.
On ne se comprend plus parce qu’on ne veut plus comprendre celui qui n’est pas comme soi.

Il parait qu’il n’y a que ceux qui se sentent coupables qui se remettent en cause. Je crois que ce devrait être un chemin commun.


Papa, pourquoi grand-mère est cancer ?

La naïveté de mes dix ans me faisait croire que quand on naissait sous le signe du cancer, on finissait par en mourir. D’ailleurs, personne ne m’avait dit ce que c’était le cancer. Ni pourquoi j’avais eu la malchance de tomber sur ce signe.
C’est-à-dire qu’on se pose beaucoup de questions quand on a dix ans. Certaines demeurent sans réponse et d’autres nous sautent à la gueule quelques années plus tard. Certaines réponses arrivent naturellement, dans un bouquin, par un professeur ou parce qu’on a fini par se rendre compte soi-même de sa naïveté d’enfant. Parce qu’on a tout d’un coup eu le recul nécessaire pour comprendre. On est grand, tout d’un coup.
Et c’est aussi ça grandir : c’est trouver des réponses. Mais certaines arrivent plus facilement que d’autres, et parfois on aurait aimé ne pas comprendre.
Papa, pourquoi on tombe amoureux ?
Maman, qui a décidé que dans une phrase le masculin l’emporte sur le féminin ?
Pourquoi La Vache qui rit, elle rit ?
Papa, pourquoi l’autre jour tu as dit que grand-mère est cancer, même si elle n’est pas née en juillet ?
Alors, allez lui expliquer que vous-même vous ne savez pas pourquoi vous êtes tombé amoureux, ni pourquoi les subtilités du langage sont d’un machisme douteux, ni comment le rire perpétuel de la Vache qui rit est entretenu… Allez lui expliquer que grand-mère n’est pas cancer, qu’elle a le cancer.
Allez lui expliquer que le cancer c’est une maladie. Qu’une chose un peu bizarre s’est glissée dans son corps une nuit, et que depuis, grand-mère, elle a une boule dans le ventre, ou plus précisément dans le sein.
Il y a des questions auxquelles on aimerait ne pas avoir à répondre, et d’autres dont on ne veut même pas connaître l’existence. On aimerait ne pas apprendre que le cancer du sein est le premier cancer chez la femme en France et qu’une femme en meurt environ toutes les 53 minutes.
On aimerait ne pas savoir. Et quand on sait, on vit avec.

 

PS : Stromae – Quand c’est ? Extrait de son dernier album Racine carrée.

Mais oui on se connait bien
T’as même voulu te faire ma mère hein ?
T’as commencé par ses seins
Et puis du poumon à mon père, tu t’en souviens ?

Cancer, cancer
Dis-moi quand c’est
Cancer, cancer
Qui est le prochain ?

Et tu aimes les petits enfants
Décidément rien ne t’arrête toi
Mais arrête de faire ton innocent
Sur les paquets de cigarettes
« Fumer tue », tu m’étonnes
Mais tu m’aides.


Subir ou corrompre : vous avez le choix !

Imaginez.

 

Vous êtes une femme sans histoire, simple, discrète. Vous travaillez comme à votre habitude dans le petit commerce que vous tenez dans le centre d’une petite ville tranquille à Madagascar.

Jusque-là, tout va bien. Vos clients sont ravis de venir chez vous, car ils vous sentent honnête et impliquée dans votre travail. Pourtant, une heure plus tard, vous avez fermé boutique, et vous vous retrouvez au poste de police. Pourquoi ?

Auriez-vous tué quelqu’un en l’espace d’une heure ? Non.

Avez-vous berné un de vos clients ? Non plus.

Avez-vous commis un crime digne des scénarios les mieux ficelés du cinéma ? Non, vous n’êtes évidemment pas un criminel.

En fait, je vais vous raconter ce qu’il vous est arrivé. Si l’histoire paraît loufoque, elle n’en est pas moins grave. Le dénouement est tout sauf drôle, mais j’éviterai de vous révéler la fin de l’histoire.

Revenons en arrière.

 

Aujourd’hui, tout va bien, c’est une journée comme les autres. Vous pensez à ce que vous allez manger ce soir. Peut-être du poulet, tiens. Ça fait longtemps que vous n’en avez pas mangé en plus. Vous passerez sûrement en acheter un en sortant du magasin.

Entre-temps, les clients se pressent pour acheter ce qu’il leur faut pour accrocher leurs décorations de Noël. Eh oui, on est en décembre et c’est un des précieux moments de l’année où les affaires tournent plutôt bien. D’ailleurs, ce matin, un policier est passé vous solliciter pour la grande tombola de Noël que la Police nationale organise tous les ans. Vous leur demandez de repasser dans la journée, c’est Monsieur qui s’occupe de ces affaires-là.

Cet après-midi, les policiers sont repassés par là. Vous pensez : c’est dommage, Monsieur est encore absent, je leur donnerai quand même xxx Ariary pour leur tombola. Mais cette fois, ce n’était pas pour cela qu’ils venaient.

Vous ne comprenez pas. Les clients non plus. Un gamin d’à peine une dizaine d’années vous accuse d’avoir acheté des poulets -ah on en parlait justement- volés.

Quoi ? Vous ne comprenez toujours pas ? Je vous réexplique : un gamin a été pris par les policiers car il a été accusé d’avoir volé des volailles. Lui-même vous accuse donc de les lui avoir acheté vivantes et de les avoir coupées sur le coup.

 

Et cela suffit pour qu’on vous embarque au poste.

 

Alors, présomption d’innocence ? On ne connaît pas.

Oui, parce que c’est la parole du petit voleur contre la vôtre. Vous qui n’avez rien demandé. Vous qui ne lui avez jamais rien acheté.

Mais quelles preuves pour vous accuser ? Il n’y en a pas.

Quelles preuves pour vous défendre ? Aucune.

Quelle justice dans tout ça ? Inexistante.

Rien pour vous défendre. Mais on vous accuse.

 

Dans ce cas, vous avez quand même plusieurs choix :

 

  • Vous pouvez prendre un avocat. Et rester en prison tout le long de la procédure. Ce qui vous laisse seule dans une cellule alors que vous n’avez rien fait. Payer le coût astronomique d’une procédure judiciaire pendant trois mois alors que vous n’aviez rien demandé à personne, juste pour essayer d’obtenir gain de cause, ce qui n’est, au passage, pas certain.
  • Ou alors, on vous propose de payer tout de suite : une somme d’argent ( équivalent d’une bonne semaine de dur labeur ) pour la présumée victime à laquelle on aurait volé des volailles – une personne dont on n’a pas entendu parler de la journée – et autant pour le travail des policiers, qui vous permettent généreusement de sortir de là.

 

Vous, ce que vous faites ? Vous payez tout de suite.

Vous acceptez. Vous vous résignez.

 

Choix évident ? Choix imposé ?

Malgré tout ce que j’en dis, je pense que non.

Vous, lecteurs, malgaches ou non, comprenez que je rends compte de ces faits derrière mon écran, comme on me les a rapportés. Ici, je défends ce que je pense être une victime même si je ne cautionne aucunement la corruption. Je suis de ceux qui auraient préféré une justice en bonne et due forme. Avec des droits, des accusations fondées, une défense soutenue.

Mais où aller quand on bouscule votre quotidien de la sorte ? Que faire pour se défendre quand on n’a pas les moyens ?

Il faudrait se battre pour changer les choses. Mais comment ? Ceux qui ont essayé se sont retrouvés dans des situations pire encore.

 

Alors, essayer de changer les choses ou se résigner face à une pratique répandue dans de nombreux pays ? A vous de me le dire, je connais ma réponse. En prenant le risque d’être naïve et croire en des solutions utopiques. A défaut d’y être, je vous le raconte.

 

 

 


Si vous avez lu Le Procès de Franz Kafka, ce fait divers vous a peut-être fait penser au livre. Si vous ne l’avez pas lu, j’espère que ce passage vous donnera envie de vous y plonger.

Il ne fait pas de doute que tous les agissements de ce tribunal (ainsi, dans mon cas, l’arrestation et la présente instruction) dissimulent une vaste organisation. Une organisation qui n’emploie pas seulement des gardiens corrompus, des inspecteurs et des juges imbéciles dont le mieux qu’on puisse espérer est qu’ils soient modestes, mais qui entretiennent de surcroît des magistrats de haut rang, voire du plus haut rang, avec tout un train innombrable et inévitable d’huissiers, de greffiers, de gendarmes et autres subalternes, peut-être même des bourreaux, je n’ai pas peur du mot. Or quel est, messieurs, le sens de cette vaste organisation ? C’est d’arrêter des personnes innocentes et d’engager contre elles des procédures absurdes et généralement (…) sans résultat. Face à une telle absurdité de tout l’appareil, comment éviter que tous les fonctionnaires succombent à la pire corruption ? C’est impossible, le premier magistrat de la hiérarchie n’y parviendrait même pas pour son propre compte. Voilà pourquoi les gardiens cherchent à dépouiller de leurs vêtements les personnes arrêtées, pourquoi les inspecteurs pénètrent par effraction chez des inconnus, pourquoi des innocents, au lieu d’avoir droit à un interrogatoire, sont traînés dans la boue devant des assemblées entières. Les gardiens ont seulement parlé de dépôts où l’on placerait ce qui appartient aux personnes emprisonnées, je serais curieux de voir ces dépotoirs où pourrissent les fruits d’un labeur acharné, quand ils ne sont pas dérobés par des employés voleurs.


Mondialisation et identité : et les immigrés alors ?

Je me réjouis souvent d’être l’heureux mélange de cultures très différentes : depuis cinq générations, ma famille côtoie trois grands pays ( l’Inde, Madagascar et la France ) sur des continents distincts. Elle parle plusieurs langues et est en interaction constante avec des personnes ayant des histoires aussi riches les unes que les autres, mais dans des univers parallèles. Immigration et Intégration sont pour moi des mots qui ont du sens, dans mon vécu et dans mes habitudes. Toujours fière et heureuse de cette diversité que j’incarne, je me demande aujourd’hui si on ne commence pas à me le reprocher.  

Au fil des différentes mondialisations que le monde a connues et avec l’essor successif des révolutions des transports, des communications et de l’information, on n’a jamais été aussi si proche des civilisations voisines. La mondialisation a longtemps fait craindre une uniformisation culturelle : le monde se transformerait en un gigantesque village, probablement américain. Pourtant, les nationalismes n’ont jamais été aussi influents et beaucoup se braquent et tentent de se replier sur eux-mêmes.

Immigrée, ici, c’est une tare. Alors que moi, je l’avais toujours considéré comme une richesse. Etre considérée comme étrangère partout, c’est un poids difficile à porter. A l’heure le climat de crise a exacerbé les tensions envers des populations d’origine étrangère dans tous les pays du monde et où tout le monde est en quête d’identité, les gens comme moi, issus d’immigrations successives et ayant le sentiment d’appartenir à plusieurs nations, sont pris de court. Appartient-on à plusieurs pays ? Ou serait-ce plutôt comme si on n’était chez nous nulle part ?

Le problème étant que les messages du type : ‘ Repars d’où tu viens ‘ ne veulent plus rien dire pour moi. Repartir, d’accord. Mais où ? En Inde ? Je n’y ai jamais mis les pieds. A Madagascar ? Même si j’y ai vécu toute ma vie, ma physionomie et ma langue maternelle me définissent : je suis karana et pas encore une gasy à part entière. Rester en France ? A l’heure où Zemmour prétend être la voix du peuple, j’ai l’impression qu’on va me stigmatiser toute ma vie (et ce, sachant pertinemment que la minorité très médiatisée n’a pas toujours raison.) Et puis se sentir français, malgache ou indien ne veut plus rien dire sur le papier. Il faut avoir le droit d’être d’une nationalité particulière. Sur le papier on y est, sur le papier on appartient, mais est-ce qu’on l’est dans l’âme ?

Je ne m’apitoie pas sur mon sort, loin de là, car je retire de cette situation beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients. La diversité du monde et les différences culturelles sont justement ce qui font sa richesse. Il y a du bon dans les nationalismes, car ils mettent en valeur ce qui fait le meilleur de chaque culture, chaque pays. Mais je sais que si, aujourd’hui je dis que je me sens citoyenne du monde, je passe pour quelqu’un qui n’a rien compris. Pourtant, profondément, je me sens citoyenne du monde, dans le sens où j’appartiens à plusieurs pays, et je partage des valeurs propres à chacun.

Je suis une partie de l’histoire de chaque pays, je suis une partie de leur identité.

On a besoin d’appartenir à quelque chose. On appartient à une famille, à un groupe d’amis, à une communauté, à un pays. On se crée des cocons, des bulles dans lesquelles on se réfugie. Jusqu’à ce que les bulles éclatent. Que les frontières deviennent floues et qu’on se sente perdu. (*) C’est une question de repères : s’accrocher à quelque chose de particulier, au moment où tout bouge c’est un peu comme essayer d’avoir pied alors qu’on est emporté par une vague.

A un moment où la mondialisation commence à faire peur et que les replis identitaires se multiplient, où vont les personnes dont l’identité est justement fondée sur des cultures différentes ?

 

(*) Référence à Sphères, la trilogie de Peter Sloterdijk. Ier Tome : Bulles (1999)


Roméo et Juliette ou la mort des fins heureuses

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… Vous y croyez vous ? 

Les histoires d’amour finissent mal en général. Ce genre d’assertion passe aujourd’hui pour des vérités absolues. Et pour cause, quand on ne s’arrête pas aux naïfs contes de fée et autres Disney empreints de poésie pralinée, on se rend compte que toute la culture occidentale, que ce soit livres, médias, films ou chansons, ne nous conte que les déboires d’amoureux torturés et la complexité de situations tortueuses.

Des Beatles, Jacques Brel aux tragédies antiques (Phèdre ou Bérénice de Racine) aux drames plus ou moins modernes (Thérèse Raquin de Zola ou Le diable au corps de Radiguet) en passant par Shakespeare (est-il utile de rappeler Roméo et Juliette ?), John Green (Nos étoiles contraires, best-seller et film à succès de l’année) et Cameron avec Titanic, la constante est l’engouement universel pour les histoires d’amour contrarié ou impossible, peu importe l’époque, le lieu, le style, la tranche d’âge ou le sexe des personnages ( ce n’est pas une question de sensibilité féminine, ces messieurs sont autant intéressés que nous. )

Pourquoi tant de succès ? Le fait est que le bonheur est vite décrit, alors que le malheur revient par vagues de souffrance à chaque fois d’une intensité différente. Si on apprécie une histoire torturée c’est aussi parce qu’elle met des mots sur des sentiments personnels que l’on n’a jamais su décrire. On s’identifie. On y reconnaît telle ou telle situation qu’on aurait vécue. La souffrance est un sentiment complexe en soi, et l’amour encore plus : combinez les deux et vous vous retrouvez sur les terrains jamais assez explorés. Les situations d’amour et de souffrance ont fait naître les plus belles plumes de la littérature et les plus belles images du cinéma.

Serait-ce la fin des fins heureuses ? Pourtant, l’image que cela renvoie aux générations futures est assez désolante. A l’heure où le taux de divorce augmente plus chaque année, le cynisme et le réalisme terre à terre font tomber chaque papillon qui essaierait de vous retourner l’estomac. C’est pourtant normal que des enfants ayant souffert de la rupture brutale de leurs parents se retrouvent à déclarer avec conviction que l’amour ne dure pas toujours (et aussi entre autres : les hommes sont tous des connards et les femmes sont toutes sans coeur.)

Entre les gens qui ont connu et vécu des séparations déchirantes de leurs parents ou autres proches, et ceux, comme moi, qui n’ont jamais connu que l’amour parfait de leurs parents, et qui sont persuadés que la vie est un conte de fée, le fossé se creuse et les déceptions fusent de tous les côtés.

Il n’y a pas de façon juste d’appréhender l’amour.

De plus en plus de personnes sont donc certaines que les histoires d’amour finissent mal en général. Déjà, ce n’est pas vrai mais surtout, ça ne se résume pas à cela : les belles histoires d’amour impossibles nous prouvent que la lutte est légitime, que la lutte est pleine d’espoir, peu importe que ça finisse comme Cendrillon ou comme Roméo et Juliette. Parce qu’après tout, la fin, on s’en fout. Ce qui compte c’est la force qui te pousse vers l’autre, celle qui fait briller tes yeux, celle qui te fait chanter sans raison, sautiller sur place, sourire tout seul. Celle qui fait naître les papillons, les frissons et même les larmes. Oui, la fin on s’en fout, c’est l’histoire qui compte.

Et l’histoire, elle vaut au moins la peine d’être racontée.

 

 

 

fallenPS : Et si les princesses Disney avaient mal fini ? Très mal ?


Histoire d’une crêpe

Une crêpe. Quoi de plus simple ? Des oeufs, un peu de lait, de farine, un chouia de sucre et le tour est joué !

C’est ce que je me suis dit le week end dernier : une faim intenable, un dimanche pluvieux, un semblant de motivation à accomplir quelque chose dans la journée, c’était la bonne recette pour une crêpe parfaite ! Allez, on se motive, tu PEUX le faire !

Le problème c’est qu’étant aussi adroite qu’une fourchette tordue et aussi tête en l’air qu’une mouette sans ailes ni cerveau, faire une petite crêpe minuscule était un challenge de gladiateur.

Si vous avez le don de cramer la moindre chose que vous envisagez de consommer, vous me comprenez. Sinon, vous connaissez sûrement quelqu’un comme moi qui vient manger chez vous à la moindre occasion. Et si vous ne reconnaissez personne, vous savez maintenant que nous, gens inutiles voire nuisibles dans une cuisine, nous existons.

 Pourtant, ne pas savoir cuisiner quand on est une femme, c’est assez problématique. Ils ont beau dire que le féminisme est à son apogée et que l’émancipation de la femme est un phénomène établi, le fait est qu’on attend toujours de la femme qu’elle sache cuisiner. Pour être une bonne épouse. Une bonne mère. Une bonne hôte. Aussi parce que la confiance des gens se gagne par leur estomac.

C’est bien connu. Au premier rendez-vous, on emmène une femme dans son restaurant préféré pour lui montrer ce qu’elle devra cuisiner dans un éventuel futur foyer conjugal. Les meilleurs hôtes sont ceux qui vous remplissent la panse, c’est pour ça que les mères se transmettent les recettes de leurs succès comme des secrets datant de générations entières.

Au point où les hommes s’y mettent. Selon des statistiques Ipsos(*) sur les Français et la cuisine, il semblerait que les jeunes hommes ( 18 à 29 ans ) cuisinent presque autant que les femmes du même âge ( 82% contre 84% chez les femmes ). Personnellement, je crois que ces hommes sont juste ceux qui ont compris que la cuisine menait le monde.

A toute culture, une certaine gastronomie. A chaque pays, sa spécialité culinaire. A chaque foyer, sa recette fétiche. Et toi c’est quoi ton plat préféré ? Personnellement, c’est une crêpe. Aussi fine que de la dentelle, moelleuse et fondante en bouche. Chaude et sucrée de préférence. Encore faut-il savoir la faire. Et pour ça, bonne chance ! Ah, et je vous ai dit ? J’adore les crêperies ! 

 

Ecrire, c’est cuisiner avec des lettres.

L’énigme du retour (2009) – Dany Lafferrière

Vous l’avez cherchée partout ? Voilà, c’est cadeau !

https://www.marmiton.org/recettes/recette_pate-a-crepes-facile_86163.aspx

(*) https://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/2011-09-21-francais-et-cuisine

( Petite pensée pour la déesse du wok en écrivant cet article )


Irrésistible

Elle est de ces femmes fragiles et délicates. De celles qui s’envolent à la moindre brise et qui se cachent à chaque petite crise. Un peu rêveuse, un peu naïve, elle est parfois dans un autre univers et se laisse porter docilement par les courants de la vie. Elle est convaincue qu’un sourire suffit à illuminer une journée un peu sombre et que les étoiles cachent en elles un peu de magie. Elle s’émerveille de tout, de rien et sourit à l’infini.

Elle aime les gens, leurs mots, leurs regards. Elle les observe et ne s’en lasse pas. Chacun est différent et chacun a du bon en lui. Oui, elle est comme ça, elle aime voir le positif avant tout. La bonne intention, la touche d’optimisme, la preuve d’amour. Elle est le soleil après le déluge. L’arc-en-ciel après la pluie. Il y a quelque chose de beau en elle. Une pointe de perfection dans la cruauté du monde. Quelque chose d’angélique, de délicat. D’irrésistible.

Elle est maladroite. En décalage avec le rythme de sa vie. Elle réagit au fil de ses humeurs et ne fait pas toujours bien les choses. Elle marche sur des œufs en permanence. Elle a toujours cru que la vie était simple. Qu’il fallait donner pour recevoir. Aimer pour être aimé. Rendre heureux pour être heureux.

Elle inonde son entourage de bonheur. Et se nourrit de leurs éclats de rire. Elle a toujours fait comme ça. Et pourtant, parfois, son mal-être revient, se transforme en tristesse. Et sa tristesse en larmes. Et ses larmes en torrents chauds qui dévalent sur ses joues et noient le creux de son cou.

Elle cultive un jardin inaccessible. Un petit coin de sentiments, qu’elle a su défricher à force d’aventures. Ici, elle fait pousser des rêves d’amour, alignant ses princes charmants comme des plants prometteurs. Ici, quand l’orage menace, elle enfouit ses tourments sous un tas de feuilles, chasse ses larmes et retrouve sa sérénité. Ici, elle est vraie, dans le secret.


Ça y est, tu es kedgeur bordelais !

Félicitations ! Vous êtes admis à Kedge Business School – Campus de Bordeaux.

 

Ça y est. Ça fait partie de ton identité. Depuis cet instant précis tu es Kedgeur. Tu fais partie d’une école au nom accrocheur. Tu fais maintenant partie de la secte qui t’impressionnait aux admissibles. Bienvenue à la maison. Et t’emménages pour de bon. Et ça te suivra toute ta vie. Tu portes fièrement ton nouveau statut. Comme tous ceux qui ont reçu le même sac bleu marine que toi marqué KEDGE BUSINESS SCHOOL. Tu as des étoiles dans les yeux. Ah, il est vraiment beau ce nouveau campus !

 

Aujourd’hui, ça fait une semaine que tu y vas. Tu adhères complètement. Tu as tout visité en long, en large. Et tu voudrais intégrer toutes les assos tellement elles ont l’air géniales. Ça y est, tu es en école, tu veux faire plein de choses, tu vas t’épanouir, faire des soirées, te bourrer la gueule et rencontrer des gens. Tu es en école, tu es à Kedge, t’es à Bordeaux. Le WEI va être exceptionnel. On va rétamer les marseillais. Une page de ta vie vient de se tourner. Il y aura un avant et un après Kedge. Ah, et c’est quand le prochain barathon ?

 

Ça fait trois semaines. Ça fait trois semaines que tu fais des soirées. Trois semaines que tu te bourres la gueule. Trois semaines que tu rencontres plus de gens que tu n’en as jamais rencontré. Pour l’instant, tu apprends du vocabulaire et pas beaucoup de cours. Et ce n’est pas ce qui te dérange. Tu apprends  » lister  »,  » coopter  » et tous ces mots que tu utilises tous les jours maintenant, comme un vrai kedgeur. Et toi, t’emmènes quoi comme corruption à ta coopt’ ? 

Par contre, tu n’as pas compris ce que c’est que le positionnement d’une marque. Tu ne sais pas non plus à quelle heure tu as cours aujourd’hui. Ni dans quelle salle. Ni avec quel prof. Ah, ils abusent à l’administration quand même !

 

Ça y est. Ça fait un mois. Et tu as de plus en plus de mal à te lever le matin. Le cas Eno, c’est sympa au début mais ça commence à te gaver un peu les travaux en groupe tout le temps. Et puis faut pas croire, tu as l’impression que tu travailles autant qu’avant ! Personne ne te croit mais tu exagères à peine. Et t’as commencé à aller manger au RU, parce que bon, Kedge c’est bien, mais c’est un peu la ruine. Et puis t’aimerais bien ne pas vendre un rein pour payer un rattrapage, alors faudrait commencer à s’y mettre, au lieu de te plaindre de tout. Tu savais toi, qu’il n’y avait pas de LV3 ?! C’est incroyable, hein ?

 » Pourquoi ils ne chantent pas les bordelais ? Fallait venir à Marseille… !  »

 

Aujourd’hui ça fait un mois et demi. Tu t’habitues à l’univers, et tu bois encore et toujours des verres à la moindre occasion. L’administration rame encore un peu mais ce n’est pas grave, ça a son charme. Et puis la dose d’adrénaline le matin quand on te dit que tu as cours à 8 heures au lieu de 10, ça réveille ! Et pour les langues, tu as cours de LV1 déjà, je ne vois pas pourquoi tu te plains !

Oui, parce que tu as enfin eu cours. Dans la bonne section. Dans la bonne salle. Avec le bon prof. Ça y est, ça se met en place. Doucement mais sûrement. Et puis finalement, t’es un kedgeur bordelais. Et franchement, te plains pas, ç’aurait pu être pire, t’aurais pu finir à Marseille.

 

 

 

 

Spéciale dédicace à Captain Jack 😉

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Déluge

Je sors de cours. Il est vingt heure trente. Temps d’automne. Dehors, le déluge. Où est l’été ? Parti. Du jour au lendemain, sans laisser le moindre rayon de soleil. Comme lui. 

Je rentre chez moi. Fenêtre restée ouverte. Inondation. La poisse est revenue avec la pluie. Mon cerveau est parti. Et ma bonne humeur aussi.

Déluge. Une dépression dehors, il y en a une dans mon coeur. Pleurs, pluie, je me noie.

 

Automne. Tu prends le rythme. Tu te lèves, il fait nuit. Tu rentres chez toi, il fait nuit. Putain, j’ai froid. Et chaque année, au même moment, tu te dis la même chose : je veux rentrer, là-bas il fait beau au moins. Automne. Il pleut. Et son silence résonne comme le tonnerre dans la nuit noire. Son absence est aussi présente que les milliers de gouttes de pluie sur ton visage. Et tu t’habitues, tu vis avec.

Rallumez la lumière, il fait sombre ici. Ramenez le soleil. Ramenez les sourires, les habits de couleur et la bonne humeur. Rallumez la lumière. Ramenez-le-moi. Arrêtez le déluge, ramenez le soleil.

Automne. Et puis en plus, t’es malade. Tout le monde est malade. Reniflements. Dans les transports, dans la rue, en cours. Sniff. T’as mal au crâne. Sniff. T’as froid. Tu te sens mal. Et tout le monde se plaint. Tout le monde est malade. Tout le monde a froid. Tout le monde a mal au crâne. Sniff. Et il n’est pas là.

Automne, tu t’habitues. Tu reprends le rythme. La poisse, elle va et elle vient. Elle revient parfois. Comme la pluie. Comme pour te rappeler qu’elle peut revenir. Alors tu apprécies. Tu respires, tu souries. Tu vas déjà mieux. Lui ne revient pas. Il ne reviendra pas. Mais c’est l’automne, et tu reprends le rythme, tu t’habitues. Tu t’habitues au déluge. Mais tu espères encore et toujours le soleil.

Reviens.

 

Il pleure dans mon coeur

Comme il pleut sur la ville;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon coeur ?

Paul Verlaine


La dépression saisonnière, ou trouble affectif saisonnier, est une dépression liée au manque de lumière naturelle qui survient au même moment chaque année, en automne ou en hiver, pendant au moins 2 années consécutives, et qui dure jusqu’au printemps suivant.

Durant cette période, les journées sont courtes et la luminosité moins intense. Celle-ci passerait de 100 000 lux (unité de mesure de la luminosité) les jours d’été ensoleillés à parfois aussi peu que 2 000 lux les jours d’hiver.

Pour plus d’informations :

https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=depression_saisonniere_pm


Baccalauréat : discours de remise des diplômes

C’est non sans émotion que je remets ici, le discours que j’ai prononcé en juillet 2012, lors de la remise des diplômes à la suite du baccalauréat. Une belle aventure, l’école !

Le 1er jour, celui où on entre en maternelle, personne ne s’en rappelle. Pourtant, on a bien crié et pleuré ce jour-là. Comme si on savait déjà dans quoi nos parents nous lançaient ! Quelques rares traumatisés se rappellent peut-être encore cette angoisse d’avoir quitté son berceau confortable pour se retrouver là, devant une dame à lunettes, plein d’autres enfants qui crient dans un environnement hostile et inconnu. Ce cadre de film d’horreur, c’était le commencement d’une grande aventure : l’école.

Depuis ce fameux jour où on est entré dans le système, des centaines d’heures de cours se sont écoulées, on a évolué et franchi les étapes pour se retrouver aujourd’hui ici, fiers d’être allés jusqu’au bout d’une aventure que l’on a parfois trouvée interminable.

En une douzaine  d’années, on a pu dépasser les joies de l’école primaire, du collège et maintenant, du lycée, avec, à chaque fois, ce sentiment agréable d’avoir accompli quelque chose, d’avoir franchi un cap et de passer à une dimension plus enrichissante encore de notre vie. Mais malgré cette hâte de partir à la sauvette découvrir d’autres horizons,  la Terminale est une classe que l’on a du mal à quitter, peut-être parce que c’est la dernière, et qu’avec elle, on doit aussi abandonner  un environnement familier que l’on va surement tous regretter.

Déjà nostalgiques  de ce qu’on a tous vécu au lycée, et en particulier cette année, on a voulu partager notre quotidien en tant qu’élèves, pour essayer de vous prouver combien les élèves de Terminale ES 1 cette année ont été des élèves absolument parfaits. A savoir, studieux, motivés, dynamiques, brillants, attentifs, intéressés, avec une participation active et une assiduité parfaite à tous les cours : tout ce que nos professeurs, évidemment, avec une mauvaise foi honteuse, nous ont reproché de ne pas être.

La classe de Terminale est un concentré de travail acharné, certes, mais aussi de moments hilarants, surtout quand la classe est aussi bien composée que la nôtre : entre des délégués pas vraiment exemplaires, les fausses sérieuses du 1er rang et les vrais fêtards du fond, il y a une myriade de gens assez spéciaux : musiciens qui jouent mal, sportifs qui se croient les dieux du stade, égos surdimensionnés, sans oublier éternels absents et convoqués de la vie scolaire. Vous avez compris, une classe originale mais finalement assez sympathique.

Mais toute l’originalité a résidé dans les personnalités, toutes aussi étranges les unes que les autres, de nos professeurs. Dès le début de l’année, en les observant, on a découvert qu’ils ont chacun des petites manies, parfois très étranges. Mais, pour ne pas faire de scandale, on évitera de révéler  tout haut ce qu’on a pensé tout bas durant ces heures de cours où ils croyaient capter toute notre attention.

Mais blague à part, on voudrait remercier tous nos professeurs de nous avoir emmenés jusque ici car nous sommes conscients des difficultés que vous avez eues pour nous faire réussir. Tout comme on voudrait remercier parents, familles et amis pour nous avoir soutenu durant ces épreuves, qui, même si elles sont loin d’être les plus dures, représentent quand même une petite victoire pour nous, jeunes adultes en quête de reconnaissance.

Finalement, avec un peu de recul, on a compris que l’école ça n’est pas que la dimension éducative. C’est aussi une grande aventure humaine, qui nous apprend à nous construire, à subir les mini chocs de la vie d’enfant puis ceux de l’adolescence, en étant entouré chaque année de nouvelles personnes qui nous apprennent comment appréhender les obstacles et les moments de joie que la vie nous réserve.

Voilà, entre le jour où on est entrés en maternelle et aujourd’hui, des années se sont écoulées et on a vécu de bons comme de mauvais moments. On a franchi des étapes et on a évolué pour qu’au final, on devienne presque les grandes personnes responsables et indépendantes qu’on a toujours voulu être. Et, pourtant, on a toujours l’impression de n’avoir rien vu du monde et que tout reste encore à découvrir. Alors, aujourd’hui, c’est officiel, on s’envole en espérant qu’un jour, on touchera le ciel.


Le frangipanier chez ma grand-mère

Ce matin, en me douchant, j’ai remarqué que mon nouveau gel douche (choisi au hasard parmi les mètres entiers du rayon gel douche du supermarché du coin) avait un parfum familier. C’était une de ces odeurs qui te téléportent vers un autre instant, ailleurs, loin… Très loin. Comme dans ces publicités où on te fait rêver d’un ailleurs merveilleux :  Vous sentez cette odeur ? Celle de la tarte de votre maman ? 

Moi, ce n’était pas une odeur de gâteau que je cherchais. C’était un parfum floral… Une senteur subtile, légèrement vanillée, reconnaissable parmi mille.

En cherchant un peu, je l’ai retrouvée dans mes souvenirs. C’est celle de l’arbre dans le jardin de ma grand-mère. Là-bas, au pays, là où j’ai grandi. Je ne savais pas comment il s’appelait. Pas avant de reconnaître la fleur sur le packaging attirant de mon gel douche. En gras, c’était marqué : Frangipanier. Oui, c’était cette fleur, magnifique, spiralée et délicatement parfumée, celle avec laquelle on s’amusait quand on était petit. ça parait si loin maintenant…

En y repensant, j’ai l’impression de ne plus l’avoir sentie depuis des années entières. Pas l’odeur du gel douche, non. Ni même celle de la jolie petite fleur au coeur jaune. Non, je vous parle de cette odeur qui m’enveloppait quand j’entrais dans ce jardin. Cette odeur rassurante. Cette odeur de famille.

 

Et tout te ramène là. La famille, corde sensible, sujet tabou.

Là, tu te téléportes.

Là, tu revois la plage. Tu revois le soleil. Tu revois surtout les cousins qui s’amusent dans l’eau et ta grand mère qui t’appelle pour manger. Tu revois les sourires de tes oncles jouant aux cartes. Et tu entends les éclats de rire de ta maman. Tu revois un million d’instants simultanément. Sourires, regards, moments. Détails insignifiants mais tellement importants. Tu es sur une dune de sable, face à la mer. Tu es sur une balançoire chez ta grand mère. Tu te retrouves dans le noir, jouant à cache-cache avec tes quarante frères et sœurs. Tu bois un tilleul un dimanche soir. Tu es là, chez toi. Ta mémoire te fout le cafard. Et tes souvenirs se précipitent. Comme s’il fallait se rappeler de tout ça, tout de suite, maintenant. Pour ne pas oublier.  Pour que tu regrettes d’être là. Sans tout ça. Sans eux.

Tout te manque, tu veux tout revoir, tous les revoir. Revivre tout ça. Les revoir, chacun d’entre eux, leur dire qu’ils te manquent. Leur dire que c’étaient les plus beaux moments de ta vie. Mais en fait, les meilleurs restent à venir. Parce que tu sais qu’il y aura toujours une petite fleur blanche au coeur jaune pour te rappeler que les moments comme ça, il y en aura encore. Parce que ta famille tu l’as dans le sang. Et c’est ton seul véritable repère. Comme le frangipanier dans le jardin de ta grand-mère.

 

 

Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs.

Patrick Süskind, Le Parfum (1985)

 


Intégration

Aujourd’hui, c’est une nouvelle journée. Début d’une nouvelle vie. Dans une nouvelle ville, une nouvelle école, un nouvel appartement.

Oui, c’est la rentrée. Et comme des milliers de nouveaux collégiens entrant en sixième, je suis prise d’angoisses existentielles. J’entre dans le monde des grands. Des gens de vingt ans. De ceux dont j’admirais le comportement il n’y a pas si longtemps. J’entre en école. Tout change, tout se bouscule et se brouille dans un tourbillon de nouvelles têtes et de nouvelles images. En deux mois, tout a changé. Et tout change encore.

Nouveaux repères, nouveaux paysages, nouvelle vie. Il y en a, ils adorent ça. Moi ça me fait peur.

Et je me retrouve là, au milieu d’un hall immense, aussi perdue que mille autres élèves. On est des hommes, on est des femmes, on est des grands… Mais personne ne sait où aller. Certains se connaissent, ils se sourient, et le soulagement se lit sur leurs visages : un ami, une connaissance, peu importe, je le connais, je ne suis pas seul. Ne pas être seul, c’est tout ce qui compte.

Veinards ! Moi je suis là. J’attends. Je me noie dans la masse. Je me fais oublier.

 

 

Aujourd’hui, c’est une nouvelle journée. La rentrée c’était hier. Et aujourd’hui, je suis à la préfecture. Nouveau dossier. Nouveau titre de séjour. Nouvelle année en France.

Identité, visa, titre de séjour, guichet Étrangers, immigration, intégration… Tout ça résonne dans ma tête. J’attends ce rendez-vous depuis un mois. Je prépare ce dossier depuis des semaines. J’attends ici depuis des heures.

J’avais rendez-vous à midi trente. Il est quatorze heure douze. Et ça n’avance pas. Entre-temps, je compte. Vingt-deux personnes attendent avant moi. Il n’y a que des étudiants. 30% d’origine asiatique, 20% d’origine maghrébine, 40% d’origine africaine. Et quelques européens. 100% de personnes qui s’impatientent.

Au bout de la file, au guichet,  un homme hurle. Il n’a pas l’air très content. Son interlocuteur non plus. Et ça hurle d’un côté, ça renchérit de l’autre. Personne ne comprend ce qu’il se passe. L’air est lourd. Il fait chaud, tellement chaud. Il y a trop de monde. Trop d’attente, et d’attentes. Et l’impatience n’arrange rien.

Certains sortent de là, sourire de soulagement aux lèvres, ils restent là encore un an. A l’année prochaine !

Veinards ! Moi je suis là. J’attends. Je me noie dans la masse. J’attends mon tour.

 

 

Aujourd’hui, c’est encore une nouvelle journée. C’était la rentrée avant-hier et j’ai déposé mon dossier à la préfecture hier. Et aujourd’hui, je vais en cours. Nouvelles matières. Nouvelle classe. Nouveaux amis.

Tout le monde s’assoit. Où aller ? Devant, au milieu, au fond ? Trouver une place stratégique. Ce sera au milieu. Toute seule. A côté de deux  » tout seul  » aussi.

Au fond, il y les groupes. Devant, il y a les groupes. Et au milieu, il y a les  » tout seuls  ».

Cours de marketing. On va enfin savoir ce que c’est. La professeure prévient, il y aura des travaux en groupe à rendre à chaque séance. En groupe ? Ah…

Au milieu, on se regarde. Et puis, on ose demander. Toi aussi tu es tout seul ? Tu veux être dans mon groupe ? Deux personnes, puis trois, puis sept… ça y est, on est un groupe. Sourires de soulagement. Sept tout seuls qui font un groupe. N’est-ce pas beau ?

On fait connaissance. Et toi, tu viens d’où ? De Calédonie et toi ? Moi de Madagascar, et lui de Martinique, et eux de Grenoble et de Nîmes ! Vous non plus, vous n’êtes pas d’ici ? Vous trouvez qu’il fait froid en septembre ? Parce que moi, je gèle, et puis la plage, ça ne vous manque pas ? Et… 

 

Aujourd’hui, je me suis fait des amis. Aujourd’hui, je rentre chez moi, prête à affronter une nouvelle journée, dans un environnement plus si nouveau que ça.

  • En sociologie, l’intégration est un processus ethnologique durant lequel une personne initialement étrangère ou jugée comme telle devient membre (s’intègre) dans une communauté.


Miroir, dis-moi la mort…

 

Dis-moi que cette moto ne l’a pas percutée. Dis-moi que deux jours plus tard, à ses blessures, elle n’a pas succombé, et que la vieille femme n’est pas passée de l’autre côté. Dis-moi simplement qu’elle n’est pas partie, en laissant des enfants, des petits-enfants,et toute une famille désespérée, sans repères, devant cette fatalité si brusquement arrivée. Dis-moi que le chauffard s’est excusé. Dis-moi qu’il ne s’est pas enfui avec lâcheté, négligeant, comme si c’était naturel, ses fautes et ses responsabilités. Dis-moi que, depuis, il n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit et qu’il a renoncé, à son penchant pour l’alcool, au guidon de sa moto assassine. 


Une ancienne habitude, sûrement. Et impunie… Même s’il y a à présent une victime. Aucun coup médiatique, pas de polémique. Mais une âme envolée, et des cœurs, qui eux, battent toujours, mais machinalement, sans plus aucune raison de continuer. Ils ont perdu une mère, une épouse, une sœur. Ils sont en pleurs car une femme forte, en pleine santé, et qu’ils ont aimée de tout leur cœur, a eu le malheur d’avoir un rendez-vous chez le dentiste. 
Le mauvais endroit, au mauvais moment, c’est peut-être comme ça, qu’elle nous prend, la mort. Pas besoin d’être mourant sur son lit d’hôpital, elle peut nous attraper dans les transports, au cours d’une leçon de tennis ou tout simplement en étant assis sans aucun souci dans son salon. Et c’est peut-être ce caractère imprévisible qui rend la mort si inacceptable. 

Tout est éphémère.

Moi, ce que je fais dans cette histoire ? Je regarde, impuissante. Je regarde, du haut de mes 17 ans d’affreuses réalités. Je comprends que le monde n’a jamais été ce que j’avais imaginé. Je me rends compte que mes contes de fées viennent de disparaître à jamais. Depuis, j’ai grandi, je vois la vie autrement, et beaucoup moins gaiement. J’ai appris que tout est éphémère, que profiter de ce qu’on est et de ce qu’on a devrait être notre seule préoccupation puisque l’on ne peut rien faire devant un passé qu’on n’a pas le pouvoir de changer et un avenir mystérieux dont même l’existence n’est pas prouvée.

Je ne pouvais que confier ce drame. Laisser une trace, afin qu’au moins une personne quelque part partage la douleur et le désarroi d’une famille prise par surprise. Que quelqu’un songe pendant une seconde à la valeur inestimable de la vie, de sa vie. 

 

 

C’était en mars 2012. J’habite encore à Madagascar. C’est mon premier vrai article publié. La situation m’a choquée et j’ai envie de le dire. Je les regarde pleurer, impuissante. Et là je me rends compte que la vie est injuste. Je veux le crier, le hurler. Tout le monde le sait.

Je le publie à nouveau ici parce qu’il est toujours criant d’actualité. Beaucoup de crimes restent encore impunis chez moi. La plupart des gens oublient ce qui est arrivé et moi, je pense à eux, ceux qui l’ont vécu de près, à ceux qui ont perdu quelqu’un de proche ce jour-là.


Chez moi, c’est… Madagascar. C’est ma muse.

Le syndrome de la page blanche. C’est comme ça qu’on l’appelle ? Quand la muse nous quitte, que les mots ne fusent plus, quand le texte ne jaillit plus de l’esprit comme une évidence. Et là on attend, on attend que la flamme qui nous animait s’embrase à nouveau, que la force qui poussait nos doigts à caresser les touches d’un clavier nous revienne.

Moi ma muse, mon oxygène, c’est mon pays. Mon île, Madagascar.

  Comment vous dire, c’est bien Aznavour qui voulait qu’on l’emmène au pays des merveilles et qui chantait : ‘’ Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ‘’ ? Eh bien, je me dis que si on avait emmené Aznavour chez moi, il aurait été comblé.

Le soleil, on en a, mais croyez moi, la misère est tout aussi pénible, voire plus. Pourtant, la vie est douce. Comme les plumes colorées d’un bel oiseau. Il y a toujours quelqu’un avec qui partager deux ou trois anecdotes au détour d’une rue. Le sourire des enfants est un livre à lui tout seul. La couleur d’un manguier en fleurs raconte une jolie histoire.
Chez moi, la petite routine ennuyeuse n’existe pas, ni le stress permanent improductif des citadins pressés. Chez moi, c’est l’ôde au  » Mora mora  » (  » doucement doucement  » ).

Là-bas, on laisse le temps au temps. Et on vit l’instant. Carpe diem à notre manière.
Entre la beauté des paysages et la chaleur des gens, chez moi, c’est inspirant.

Assez pour en faire des centaines de bouquins et des milliers d’articles.


Ah, un blog ? N’est-ce pas un peu inutile ?

Imaginez-vous.

Vous passez un entretien pour une école de commerce. Des gens vraiment talentueux sont passés avant vous. C’est un concours. Chacun pour sa gueule, et Dieu pour soi.

Vous êtes stressé. Non, paniqué. C’est votre premier vrai entretien. Malgré toute la préparation, les faux projets ficelés au détail près, la tenue préparée dix mois plus tôt, l’assurance et la sérénité feintes, vous n’êtes pas tranquille. Personne ne sait ce que ces personnes sadiques assises en face de vous vous réservent.

Ils vous cuisinent un moment sur d’où vous venez, sur la différence absolument évidente entre une cathédrale et une basilique, sur ce que vous aimez faire…

Et là, ils vous sautent dessus :

– Ah oui, vous aimez écrire ? Qu’écrivez-vous en général ? Pensez-vous que vos écrits valent la peine d’être lus ? Ah, vous voulez créer un blog… Encore un. Franchement, n’est-ce pas un peu inutile ?

Vous vous décomposez. C’est votre corde sensible. Ce blog, c’est le rêve de votre vie. Votre passion, votre point fort. Ce sur quoi vous deviez insister, ce sur quoi vous deviez faire la différence.

Vous vous battez. Vous connaissez votre sujet : n’est-ce pas une façon admirable de partager ? Des millions de blogueurs dans le monde, publiant plus d’un million de billets par jour. Inutile ? Sérieusement ? Vous êtes excédé. Indigné. Pourquoi tant de mépris ?

 

   Cette situation, je l’ai connue. Et pour tout vous dire, je m’en suis remise. Sur le moment, l’envie de crier mon dégoût était pressante. Mais c’est passé. Après tout, ils n’ont jamais eu affaire à la génération virtuelle, eux. Ils se demandent tous les matins ce que la bonne vieille information sur papier va devenir.

C’était parti ce jour-là. Je créerai un blog génial. Mon blog. Ça résonnait dans ma tête. Cette idée mûrit et Mondoblog passait par là. C’est ainsi que Chups raconte ! naquit sous les yeux émerveillés de son auteur.

Ce blog n’a pas la prétention d’être éternel ni absolument intéressant pour tout le monde. C’est juste une tentative de partager le peu de chose que je découvre chaque jour dans le monde de folie dans lequel on vit…

 

Si quelqu’un vous dit un jour, que vos passions sont dénuées d’intérêt…

Restez polis, mais prouvez-leur le contraire.