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Un environnement scolaire britannique « girl-friendly »

Les femmes sont considérées de la même façon que les minorités. Un statut intimidant. Comment la nature et la psychologie féminine nous ont-elles menés à ce résultat ? Après des siècles de combat pour les droits des femmes, ces dernières ont gagné la permission de porter un pantalon, de réussir à condition d’accepter les règles du jeu – règles masculines – et de bénéficier de certains avantages en contrepartie de leur statut de minorité. Le système éducatif est resté en dehors de cette lutte. Les écoles devraient-elles tenir compte du genre ?

Un environnement scolaire « girl-friendly »
Une fille doit être confiante dans l’environnement scolaire : KB

Le débat sur la mixité à l’école n’est pas terminé. Les filles se comportent différemment en présence de garçons, un fait confirmé par les biologistes et les psychologues (Younger, 2016). Souvent, les filles restent en retrait dans une discussion, de peur d’être ridiculisées. Je me rappelle bien d’une situation similaire au lycée (high school en Russie) pendant un cours d’éducation civique, durant lequel nous avions parlé de la culture, de ses sens et significations. J’avais levé la main et dit : “La culture peut s’envisager comme la civilisation ». Sans me laisser le temps d’expliquer mon point de vue, les garçons de ma classe avaient commencé à rire.

Cet incident portant sur la relation fragile entre les notions de « Kultur » en allemand et de « civilisation » en français, deux langues qui ont beaucoup influencé la langue russe, m’irrite toujours. L’institutrice, déjà épuisée par les comportements des adolescents dans la classe, ne m’avait pas demandé de précisions non plus.

Le système éducatif est très lié à la culture d’un pays. La mixité, l’enseignement laïc, l’égalité des chances sont des principes ne devant pas être considérés comme acquis. La culture est une force. Créer un environnement dans lequel des filles d’origines différentes se sentent à l’aise et peuvent s’exprimer librement est l’avenir du système éducatif.

The Girls’ Day School Trust (), un réseau britannique d’écoles indépendantes pour filles

Le @GDST a démontré l’importance de 4 points clés à développer :

Confiance : enquêter, réfléchir et pouvoir défendre son point de vue ;

Courage : être prête pour de nouveaux défis, prête à prendre l’initiative ;

Sérénité: assumer ses responsabilité, être consciente de soi-même et de son impact sur le groupe ;

Engagement : valoriser la collaboration et le partage des connaissances, pouvoir participer de manière critique dans un groupe.

Il est important de créer un environnement dit « girl-friendly » dans lequel les filles peuvent prendre des risques sans perdre la face, sortir de leur zone de confort et gagner des points sans craindre de menaces. Ce ne sont pas des outils ou de la méthodologie dont il est question, mais de la volonté des enseignants et de la compréhension des parents. Le GDST a mené une étude de cas où l’instruction des filles était assurée sans pédagogie spécifique aux filles : après avoir sécurisé cet environnement, les filles prennent confiance en elles et s’ouvrent à a réflexion et aux échanges.

Les stéréotypes sexistes dans la classe

Avez-vous déjà dit ou pensé que les garçons étaient meilleurs en maths ? Moi oui, et j’en suis vraiment persuadée. J’ai vraiment détesté l’algèbre et j’ai compté les jours jusqu’à la fin de l’année scolaire rien que pour me débarrasser de cette matière. Dans le même temps, j’ai beaucoup aimé la géométrie, notamment lorsque l’on devait démontrer des théorèmes ; ces exercices me semblaient magiques, comme si je défendais un innocent devant un tribunal en concluant : « Q.E.D ». Mais comme beaucoup de filles, j’étais plutôt attirée par la littérature et l’histoire, et j’ai donc abandonné la géométrie en me disant que de toute façon je n’étais pas assez douée et que c’était un truc de garçon.

Un autre stéréotype montre les filles comme surreprésentées dans les activités extra-scolaires. Effectivement, j’étais DJ, éditrice en chef du magazine de l’école, journaliste pour un journal de ma ville natale, écrivaine débutante, actrice au sein du théâtre de l’école, représentante de mon école à la mairie, etc.

Enfin, à cause du stéréotype selon lequel les filles doivent être plus appliquées, j’ai été critiquée pour mon apparence, mes habits. Parallèlement à cela, les garçons de ma classe pouvaient perturber le cours ou porter des vêtements de sport au quotidien sans se faire blâmer.

Certains stéréotypes se vérifient mais ils doivent rester raisonnables.

Carrière Vs. Famille

On dit souvent qu’on ne peut pas tout avoir et qu’une femme qui veut poursuivre sa carrière doit oublier l’idée de fonder une famille. Ou que celle qui a privilégié sa vie de famille n’atteindra jamais un échelon avancé dans sa carrière. Ce stéréotype est (en partie) le résultat de notre système éducatif, qui ne promeut pas suffisamment la confiance, le courage, la sérénité et l’engagement.

Regardons cette courte vidéo « Teach girls bravery, not perfection » de Reshma Saujani pour le TED

Le lien est clair entre le vécu scolaire et la gestion de carrière, y compris le comportement au travail. Si on répète 100 fois à une fille qu’elle ne pourra jamais avoir une vie de famille heureuse en étant carriériste/ambitieuse professionnellement, à la 101ème fois elle y croira.

Par ailleurs, la pression exercée sur les filles pour qu’elles obtiennent de bonnes notes tout en demeurant jolies et aimables provoque de l’anxiété et du stress. Nous avons besoin d’écoles qui abordent explicitement la question du genre en encourageant activement les filles à subvertir les stéréotypes de genre.

Ma position ici est ambivalente car on est de plus en plus confronté à la multiplication des genres, et non plus à une division en deux genres masculin et féminin. Séparer les classes en deux genres conduira à une restriction des personnalités de l’enfant. Les classes mixtes garantissent la diversité culturelle et de genre ; sans cela, comment les élèves pourraient-ils à la sortie de l’école gérer ces différences ? Le débat continue.


Solitude d’un étranger à Paris

Une notification dans un groupe Facebook avait déclenché une phase de mélancolie chez Mei. Elle ne remarquait plus que la triste couleur du ciel parisien, ses températures froides et l’arrogance de ses habitant. Une étudiante étrangère de ma promo exposait son âme triste et abîmée, se plaignant que sa vie n’était plus supportable au bout de 5 ans en France, qu’elle se sentait seule, qu’elle n’avait qu’un chat et qu’elle était trop malade pour s’en occuper. « Au moins tu as un chat », avais-je pensé.

Le siamois aux yeux bleus
La solitude du chat : KB

Venue de Chine, elle se retrouvait seule dans un pays individualiste, sans véritables amis, sans copain, sans soutien de sa famille ; elle finissait même par dire qu’elle n’aurait jamais du venir en France. Elle demandait par ailleurs si quelqu’un pouvait garder son chat. Après quelques heures, elle n’avait reçu qu’un seul commentaire exaltant d’une camarade de classe. Je décidai de répondre aussi : « Je peux prendre ton chat, c’est quoi ton adresse ? »

Je n’aime pas les gens dépressifs qui essayent d’attirer l’attention en parlant de suicide. Elle ne m’a même pas répondu. Mais moi aussi, je sentais déjà que la dépression s’installait et paralysait petit à petit mes activités quotidiennes et ma vie entière.

C’était en septembre. L’administration de la résidence où j’étais heureuse avait décidé de ne pas prolonger mon bail, mes amis proches étaient partis dans leurs lointains pays, je devais suivre des études qui ne me plaisaient pas. Et j’étais seule. Ce jour-là, j’ai failli écrire un message Facebook infiniment triste racontant que j’étais isolée, opportuniste, agressive et asociale. Je ne l’ai pas fait – personne n’aime les gens dépressifs. Depuis cet automne,

je déteste septembre, le mois où le vent en emporte tant.

Ma tante me répétait de supprimer ce mot de mon vocabulaire. Facile, c’est le même mot dans toutes les langues que je parle. Dépression – Depression – Депрессия. Mais supprimer le mot ne garantit pas la suppression de cet état. J’avais utilisé les termes angoisse, tristesse, jours difficiles. Je ne pouvais pas oublier ce mot car je me voyais tous les jours pleurant sans raison, énervée à l’idée de sortir de chez moi, effrayée d’ouvrir un livre, paniquée devant mes méls qui s’accumulaient à une vitesse prodigieuse. J’avais un seul désir, celui de rentrer chez moi en Russie, sans jamais garder de contact avec tous ceux que j’avais connus en France. Je souhaitais juste disparaître et supprimer cette expérience de ma vie. Mais je sentais bien que je serais malheureuse là-bas aussi. Ce n’est pas le lieu qui me déprime. C’est moi-même.

Après un an dans cet état de paralysie, je me suis forcée à faire quelque chose, à dépasser ce point mort. J’ai commencé par mes études et je me suis inscrite dans une formation qui m’a permis de découvrir une étude sur le sentiment de solitude chez les expatriés. Il s’avère qu’après des années de vie dans un pays, malgré une belle carrière, des amitiés, des enfants nés dans ce pays, nombre d’expatriés se sentent seuls et incompris.

Phénomène social

En sociologie, on appelle ceci la « séparation » – lorsque les immigrés / expatriés conservent les habitudes et coutumes liés à leur culture d’origine et refusent de s’intégrer dans la culture du pays d’accueil – ou pire, la « marginalisation » – lorsque nous perdons ou n’acceptons plus notre culture d’origine et ne nous adaptons pas encore à une nouvelle culture. On peut constater ce phénomène chez les enfants des immigrés de la première génération, qui ne comprennent pas tout à fait la culture de leurs parents, ne parlent pas leur langue et ne pratiquent pas leur religion. Ils n’intègrent pas correctement les mœurs de leurs parents et dans le même temps, ils se sentent à l’écart dans leur pays de naissance, face aux différences entre les coutumes de leur famille et celles de leurs amis. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?

J’étais effrayée. S’installer dans un pays étranger, y fonder une famille et rester solitaire ! Je me suis donc dit qu’il me fallait oublier tous ces mots qui rendent triste ou anxieuse. J’ai alors cherché ma voie ; je ne l’ai peut-être pas trouvée immédiatement, mais je me suis lancée, j’ai accepté les règles du jeu, j’ai commencé à distinguer plus nettement ma place dans ce pays.

Une fois que l’on s’est adapté, l’intégration dans une nouvelle société se déroule bien, mais pour atteindre cette étape difficile voire inaccessible, il faut beaucoup travailler sur sa perception de la vie ; recevoir des signes positifs des « autochtones » est très important également.

Se sentir le/la bienvenu.e

Dans mon cas, ces signes sont venus de la part de mes amis et des gens de mon entourage qui m’encourageaient par de petites phrases telles que « Tu vas finir par aimer la France », « Vas-y, chante avec nous cette chanson paillarde comme tous les Français : Z’en faites pas, les amies, ce que j’aime en lui… » », « Mais tu réfléchis comme une Française ! », « Pour moi un nez français est pareil au tien ». Je me sentais la bienvenue, je me retrouvais à faire partie de quelque chose de plus grand que moi. Cela m’a convaincue que je pouvais avoir une deuxième patrie et l’aimer avec la même intensité que la première.

Je ne tolère toujours pas les gens en dépression, mais j’essaye de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas les seuls à traverser cette phase. Nous sommes des êtres humains, nous avons besoin d’être entourés, c’est ce qui nous rend sociables. Or, si l’on ne se concentre que sur la solitude, elle ne partira pas.

Quelques années plus tard, j’ai consulté la page Facebook de cette fille de ma promo et j’ai vu qu’elle publiait des photos de son chat sain et sauf. Cette fille l’est aussi, elle a toujours son chat et se trouve toujours en France.


Home sweet home, que ce soit en France ou ailleurs

Le soleil se coucha et il m’emmena voir la ville de nuit. « C’est ici que je veux vivre ! », s’exclama-t-il en me désignant de belles propriétés dans un quartier chic. « Il ne te reste qu’à travailler de façon à gagner suffisamment », répondis-je. Je ne me fâchai même pas qu’il n’ait pas de temps pour moi à cause de son travail. Je respecte ceux qui poursuivent leur rêve, tout comme moi je poursuis le mien.

Chez-soi haussmannien
Maisons parisiennes: KB

J’ai quitté le domicile familial quand j’avais 17 ans pour aller faire mes études dans une autre ville sibérienne. J’avoue que partir ne m’a pas rendu si nostalgique car je ne concevais vraiment pas cette maison comme la mienne, mais comme celle de ma grand-mère. J’ai toujours été obsédée par l’idée d’avoir ma propre maison, de choisir une ville, un quartier, de trouver la décoration parfaite, adopter des animaux de compagnie et y vivre heureuse pour toujours.

À 21 ans, j’ai quitté mon pays dans le but d’avoir une vie exceptionnelle. Je n’étais pas malheureuse chez moi, ni en manque de possibilités, mais j’entendais cette voix qui me disait de partir. Partir de nulle part vers nulle part. Prendre cette décision a été facile, j’avais déjà ma bouée de sauvetage : une maison que je venais d’acheter en Sibérie sans jamais y avoir habité. Mais je savais que quels que soient mes accomplissements et les erreurs que je commettrais, j’aurais toujours un endroit vers lequel revenir.

Avoir un chez-soi est très important dans la vie, cela ne représente pas uniquement la stabilité financière, mais tout d’abord mentale ; on est en sécurité, on est stable. Quand on n’a pas de chez-soi, on n’a qu’une seule envie, celle de se cacher de notre famille, de nos proches, de la société, de couper tout contact. Sans rien dire, sans rien expliquer même si ceux que nous aimons ou qui nous aiment pourraient nous aider. La douleur d’être sans abri est insurmontable.

La solitude involontaire et indésirable conduit notre décision de nous éloigner.

Quelques années me séparent maintenant de ce jour où je suis partie sans savoir où aller ; cette capacité de notre mémoire à effacer les souvenirs négatifs rend cette histoire presque cinématographique. Mais la douleur d’être obligée de quitter la maison pour laquelle j’avais tant fait et dans laquelle je comptais vivre me revient chaque fois que je passe devant. Étrangère, seule, sans famille, sans garant français, sans revenus stables, on ne m’a pas prolongé mon bail simplement parce que je n’avais pas fourni mon certificat de scolarité avant la date limite (certificat que j’ai obtenu un mois plus tard).

Je vais mieux et je n’ai aucune envie d’y revenir mais il me semble que c’est une des rares choses que je ne saurais pardonner. J’ai mal vécu cette mésaventure, mais j’avais toujours mon filet de sauvetage en Sibérie, un chez-moi qui m’attendait et qui m’a sauvée par la seule pensée que je possédais une maison quelque part.

Des proches ont vécu la même situation : rejetés sans explications, sans la moindre raison. C’était douloureux aussi, cela reste douloureux. Je l’ai appris plus tard et j’ai alors partagé ce sentiment en comprenant que l’autre personne ne veuille ni de mon empathie, ni de mes conseils. On n’est pas protégé contre ceci.

J’ai appris qu’une fois qu’on est chez soi, à cet instant-là uniquement on se sent en sécurité.

Mon entourage pense que ma décision quant à la ville où je vais m’installer n’est pas négociable : inéluctablement Paris. La ville qui m’a choisie. La ville que j’ai choisie. Je me sens ici à ma place ; peut-être est-ce seulement l’arrogance d’une provinciale habitant enfin la capitale, mais les problèmes des grandes villes, ce rythme de vie, ne me dérangent pas.

En même temps, j’ai grandi dans une maison en Sibérie avec un vaste jardin où l’on plantait nos légumes et nos fruits, où l’on avait un petit pavillon entouré de fleurs, une cheminée et une rangée de bûches pour nous chauffer. Jardiner me manque certainement, voilà pourquoi j’ai un petit potager devant mes fenêtres parisiennes.

Fraise sur les fenêtres parisiennes
Potager parisien : KB

Penser au fait que mes enfants ne sauront pas comment une petite graine devient une grosse citrouille ou comment on coupe du bois me rend triste. Mais tant qu’ils auront leur propre maison, ils seront heureux, que ce soit un appartement en ville ou une maison en banlieue avec un jardin.

Un jour, je serai heureuse d’apprendre qu’il s’est installé dans ce quartier chic proche de cette mer turquoise, même si nos maisons sont vouées à être entourées de paysages différents.

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Émotions naturelles, vivre la rencontre à la française

Il était beau, fort et grand, souriant et un peu timide. Il me semblait avoir des yeux bleus comme cette mer derrière nous. Je remarquai que je ne savais pas comment les rendez-vous se déroulent en France. Il me regarda dans les yeux, serra mes épaules dans ses bras et répondit : « On n’a pas tant de différences ». J’étais plus âgée mais cela me fit plaisir qu’il me rassure.

Plage de Nice : KB

Cet été-là, j’ai débuté mon parcours dans les études culturelles en ayant une idée claire quant à mon positionnement : nous sommes tous pareils de nature, mais avec des habitudes et perceptions différentes. Je ne suis ni universaliste (celui selon qui les différences culturelles n’existent pas et les règles sont universelles), ni ethnocentriste (celui qui pense que sa culture est la référence à suivre), mais je crois que nos émotions naturelles (joie, tristesse, amour, haine, colère, peur, surprise etc.) nous font nous rapprocher les uns des autres, nous faire entendre et être compris. Darwiniste, je crois au postulat que les sentiments sont innés, universels et communicatifs; adepte de l’approche anthropologique, je suis persuadée que nous avons tous quelque chose en commun (voir les travaux de Claude Lévi-Strauss).

En examinant l’histoire, on remarque ce désir (peut être bien artificiel) d’être différent, remarqué, de suivre notre propre route, ce qu’on voit beaucoup dans les études culturelles ayant une approche psychologique (nous sommes tous des étrangers les uns pour les autres). Ce désir nous aveugle, il nous fait oublier que notre nature est commune. On aime en France, comme on aime en Russie, on a peur aux États-Unis comme on a peur en Italie, la solitude nous rend mélancolique sur chaque continent de cette Terre. Les gestes, les intonations, les mimiques feront la différence, mais le fait de ressentir ces émotions nous rapproche. Nous pouvons faire des efforts pour admirer ces points communs et respecter nos différences.

Je ne crois vraiment pas que la vie avec mon amoureux sera impossible pour la seule raison que nous sommes nés sous un ciel différent, que ces traits culturels nous éloignent. Nos besoins humains sont identiques, nous voulons nous sentir en sécurité, avoir une vie stable et saine, et être aimés.

Une grande partie de nos croyances culturelles se trouve dans notre inconscient, on ne peut pas s’interdire facilement d’agir d’une façon ou d’une autre, ou, d’un seul coup, modifier nos préférences. Mais nous pouvons toujours trouver d’autres solutions. Je l’ai testé : grande amatrice de thé ayant une adoration pour la cérémonie familiale du thé à la russe (autour du samovar, chacun ajoutant un volume d’eau différent selon ses goûts), j’ai découvert que mon amoureux déteste le thé. Que faire si l’un adore le thé et l’autre ne boit que du café le matin ? Nous avons trouvé un point commun : le whisky. Les traditions évoluent et s’élargissent. En ce qui me concerne, j’ai ainsi la nouvelle habitude de boire un verre le weekend. Relève-t-elle de ma culture ? Oui, parce que je viens de me l’approprier et parce que j’ai des choses en commun avec celui qui semblait être un étranger culturellement différent.

Place Masséna, Nice : KB

Il avait des yeux marron mais ma perception culturelle de la beauté m’a fait bleuir ses yeux. De la même façon, il me voyait un peu plus grande, comme tous les Russes. Mais nous avons sans doute partagé un même sentiment d’amour pour cette mer turquoise.


L’interculturalité, c’est pour qui et pour quand ? Une idée de la France

La Nature. La Culture. Ce qui n’est pas naturel, est culturel.

Tout est globalisé, tout est connecté. Les échanges culturels de pratiques et d’expériences dans tous les domaines ont fait leur chemin dans les affaires étrangères, le commerce, l’éducation et la psychologie. Ce phénomène appelé « l’interculturalité », mis en lumière par les anthropologues et que l’on imaginait concerner uniquement les expatriés, les individus issus de métissages ou immigrés, est maintenant intégré dans notre vie quotidienne.

Mots qui illustrent la complexité de la notion de l'interculturalité

Interculturalité : wordcloud

Le phénomène de l’interculturalité est une histoire de rencontres, du fait qu’il n’existe pas une culture mais des cultures, au sein desquelles des individus coexistent et interagissent.

En ce sens, on parle dans les médias de l’intégration des réfugiés, dans la science de l’éducation on parle de l’adaptation réussie des immigrés et de leurs enfants, en psychologie on parle d’acculturation, la sociologie décrit les contacts de cultures, dans le commerce on insiste sur le management interculturel pour mieux gérer les équipes multiculturelles, la négociation, l’expatriation.

On présente ce phénomène comme le fameux « melting pot » où l’on est obligé de coexister avec d’autres, au lieu de plutôt voir cela, tel que l’explique le sociologue français Michel Wieriorka, comme une mosaïque dans laquelle tous les fragments font partie d’une image unie.

On ajoute fréquemment des préfixes différents à ce terme : cross-, multi-, inter, trans.

La cross-culturalité

Elle est souvent confondue avec l’interculturalité et fait référence à la comparaison des cultures, par exemple, les sociétés des pays latins sont plus individualistes que les sociétés des pays d’ex-Union soviétique. L’unité d’analyse est une seule culture/un individu en face d’une/un autre.

La multiculturalité

Elle concerne les groupes de différentes cultures qui ne se mélangent pas totalement mais qui s’influencent légèrement, comme au sein d’une équipe composée d’un Français, un Allemand, un Sud-africain, un Russe, un Coréen, chacun ayant son background culturel et essayant d’en tirer avantage. L’unité d’analyse est une seule culture/un individu parmi les autres. Dans cette branche on retrouve également l’influence des autres sur l’individu et sa possible transformation.

Les frontières entre le multiculturel et l’interculturel sont assez floues.

L’interculturalité

Elle représente l’intégration et l’appropriation des différences culturelles. Par exemple, le « Third culture kid » : l’enfant né ou élevé dans une culture autre que celle de ses parents. L’unité d’analyse est une multiculture/un individu multiculturel et son rapport avec les autres.

Cela nous amène vers les travaux scientifiques réalisés dans le domaine de l’anthropologie sur l’interculturalité et la compréhension profonde d’un être humain et de son comportement : Jacques Demorgon, Fons Trompenaars, Edward T. Hall et Geert Hofstede. Voici, par exemple, le site de G. Hofstede,  psychologue social néerlandais qui a beaucoup travaillé sur les dimensions culturelles.

La transculturalité

Ces dernières années, les chercheurs étudiant ces échanges culturels, qu’importe leur domaine, ont commencé à parler de transculturalité, en tenant compte que la notion de culture en elle-même n’est pas un référentiel stable et qu’il existe des changements constants ainsi qu’une évolution des habitudes et des croyances culturelles. La transculturalité est en fait un processus d’interaction constante entre des cultures, entre des individus considérés comme multiculturels, dans un mouvement constant. Au final, le brassage est tel que l’on peut désormais fixer un point de départ (une culture de base) pour les analyses.

 

Nous ne nous trouvons plus dans un monde où l’interculturalité n’existe que pour les gens qui voyagent, qui ont des compétences spécifiques pour communiquer avec les étrangers. Rester en un même lieu, ne parler que sa propre langue et être un nationaliste convaincu ne signifie aucunement que l’interculturalité n’est pas présente dans notre vie. Elle est là, partout : dès l’ouverture du nouvel onglet de Google sur notre ordinateur, lors du visionnage d’une franchise d’émission TV, au détour d’un groupe de touristes perdus dans le métro, du voisinage, du petit kebab acheté en cours de soirée. Tout le monde a forcément vécu une expérience interculturelle sans s’en rendre compte. Mais les échanges interculturels sont là, on commence à interagir même inconsciemment, avec de l’intérêt ou une prise de distance. Sans se demander en amont si l’on gère bien cette expérience ou si l’on ressent un choc culturel.

L’interculturalité ne nous laisse plus le choix de la vivre, de la découvrir, de la partager ou non. On est, sans doute, obligés, dans le bon sens du terme, de suivre cette nouvelle route. On est resté trop longtemps enfermés, réservés, cultivés dans un même mode de vie. On a évoqué les frontières, les langues, les nationalités, des coutumes, des habitudes, et maintenant que tout est « classé », on a le temps et surtout le besoin d’élargir notre vie et d’ouvrir des portes aux autres. L’interculturalité, c’est maintenant, c’est pour tous.


Craintes culturelles : j’en ai peur, je ne le comprends pas, ou Il était une fois dans le métro parisien

Avoir une correspondance à Châtelet, la station centrale du métro parisien, c’est toujours survivre à un triathlon Ironman. Depuis un certain temps je tombe souvent sur une étape humainement difficile à passer, surtout la première fois lorsque j’ai entendu ces mots à gauche et à droite : « Nahn eayilat suria. Tusaeiduna » !

Les gens passent devant les réfugiés
Métro de Paris, Châtelet : Kristina Berkut

C’est de l’arabe, mais cette phrase a résonné comme un écho de panique, je ne comprenais pas ce qui se passait autour de moi et pourquoi les gens avançaient tranquillement comme s’ils n’entendaient rien. Je me suis donc aussi avancée vers le petit croisement des chemins et des sorties des différentes lignes du métro, et quand le son a rencontré l’image, j’ai tout compris : 3 familles de réfugiés de 3 côtés différents sur une surface de 40 m² criaient en même temps en arabe :

نحن عائلة سورية. تساعدنا

Des enfants à la voix grave, qui doivent rire quelque part à l’école avec leurs camarades de classe, sont ici perdus, désespérés, et nous de l’autre côté également désespérés et perdus. Je ne fais pas partie des gens éprouvant une phobie envers certaines ethnies, ni de ceux enclins à critiquer, ni des chauvinistes, mais je ne savais pas du tout où me mettre pour passer en sécurité ces quelques mètres.

On voit absolument partout ces discours sur l’intégration des réfugiés : les médias, les politiciens, de grandes boîtes et des célébrités nous racontent des histoires rarement joyeuses, souvent tragiques sur un autre Ironman, une véritable épreuve de survie dont le prix d’inscription est trop élevé, d’autant plus qu’à l’arrivée il n’y a pas de prix pour le gagnant : il n’y a pas de budget, il n’y a pas de places, il n’y a pas de travail, il n’y a pas de compétences. Ce qui manque vraiment, c’est une vision globale du monde qui change constamment : ne pas accepter ces gens comme un problème temporaire, mais investir dans un nouveau monde sans limites de cultures, d’échanges et de possibilités. Ce n’est pas ce qu’on dit en Russie aux enfants des ressortissants de l’Asie centrale, en Allemagne aux enfants des ressortissants de Turquie et en France à ceux des pays du Maghreb et de l’Afrique. Vous pouvez facilement continuer la liste. Est-ce que les sentiments les plus naturels, l’amitié, le respect, l’amour, sont aussi partagés ? Envisageons-nous les autres comme nos égaux ou comme des primo-arrivants, issus de la première génération d’immigrés, de la troisième, des gens d’origines, etc… C’est un cercle fermé : certains disent « ils ne nous acceptent pas » et les autres disent en même temps « ils ne veulent pas s’intégrer, ils ne deviennent jamais comme nous ». On parle toujours des choses très techniques : discriminations au travail, racisme, préjugés ; on a beau parler d’intégration, d’égalité, de droits de l’homme appliqués quelque part mais tout cela reste éloigné du quotidien, des gens qui ne font pas d’humanitaire et des services sociaux. Nous devons savoir comment réagir au mieux et comprendre notre rôle dans tout cela.

Dans cette situation avec les Syriens, j’ai mal réagi parce que je ne comprenais pas. La phrase signifie tout simplement : « On est une famille syrienne, aidez-nous ! ». Mais j’ai appris cela plus tard, quand j’y suis passée avec un ami parlant arabe. Il me l’a traduite et je me suis sentie en sécurité : j’ai compris. Simple. Humain.

Accepter la différence, accepter les choses qu’on ne comprend pas, c’est extrêmement compliqué, il faut avoir un guide présentant correctement le message transmis et pouvant bien traduire la réponse. Mais le vrai partage des cultures, ce n’est pas forcer les uns à devenir comme les autres, mais devenir quelque chose de plus ensemble. Cela ressemble à un rêve, à une tour de Babel. Mais il faut que quelqu’un pose la première pierre. On peut attendre le volontaire ou la poser en premier en étant « d’ici ». Partager sa culture fait peur d’être rejeté, la peur d’être incompréhensible, la peur d’être comique. Je veux parler de l’essentiel du partage ; c’est comme l’amour : ce n’est pas forcément le fait d’être aimé qui vous rend heureux, mais juste d’accorder les meilleures intentions à un autre qui pourrait vous rejeter, ne pas vous comprendre, rire de vous… ou qui pourrait l’accepter pour découvrir quelque chose de nouveau, quelque chose qu’il ne comprend pas encore, mais qui n’est pas dangereux pour lui. On ressent l’inverse si quelqu’un essaye de comprendre notre culture : « comment ose-t-il dire qu’il comprend, si même moi, je ne la comprends pas entièrement ? ». Et on se rejette sans arrêt, sans se dire : « d’accord, je me laisse découvrir ».

Depuis cette rencontre, cela ne me fait plus peur, je comprends de quoi il s’agit. Depuis cette même rencontre, les trois familles sont toujours là. Les trois que je vois à mon passage à Châtelet et les milliers d’autres partout en Europe. De l’intégration, il ne faut pas parler dans de grandes tribunes ; il faut commencer par nous, par un simple passager du métro, par un citoyen, par un être humain.