David Kpelly

Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (8e partie)

Pour qui sont ces poils de mon pubis dans tes mains?

K2 rentra chez lui avec le somnifère, aussi excité qu’un commerçant guinéen devant le soutien-gorge d’une tapineuse nigériane. Au salon, il dépassa Matou, allongée dans le fauteuil, les yeux rivés sur l’écran de la télévision, la télécommande scotchée sur sa chaîne préférée Trace Africa qui passait un de ses clips préférés, un succès des talentueux X Maleya : « Bouge ton corps si tu aimes, un deux trois, on descend, on descend, on descend yééééyé… »

Elle ne se donna même pas la peine de lui lancer une pestiférée « Bonne arrivée », comme le fait toute femme normale à son mari. « Sale petite peste, on verra si tu continueras de bouger ton corps devant et sous tous les vagabonds de Bamako. Astafourlaï ! Que je sois un Konaté maudit à jamais si tu ouvres encore tes cuisses légères-là à un homme de ce pays à part moi », jura l’inspecteur des Impôts de classe exceptionnelle en rentrant dans la chambre à coucher.

Un vieux lion n’a point besoin de conseil pour attraper une antilope, que dit le dicton. Kader Konaté ne réfléchit pas longtemps avant de savoir quel piège à tendre à « Espace Schengen » pour lui faire boire le somnifère. Vraie friande de jus de fruits, elle en buvait trois à quatre boîtes tous les jours. Le chasseur futé sortit donc, chercha une boîte de jus à la grenadine, l’ouvrit furtivement, y déversa toute la poudre soporifique, la plaça dans le frigo sous l’œil de la Matou, puis alla se placer à l’affût, dans la chambre à coucher, attendant que l’écureuil mît ses pattes dans le piège.
Quand il revint au salon, autour de minuit, sonder le piège, K2, malgré l’état de déliquescence avancée de ses articulations, sauta de joie, voyant Matou allongée sur le plancher, morte de sommeil, ronflant bruyamment, les deux cuisses écartées comme une actrice en chaleur s’apprêtant à accueillir en elle Rocco Siffredi. « Tu te crois forte et rusée non, petite prostituée, aujourd’hui je vais te prouver qu’on ne met pas le doigt dans l’anus d’une tortue », ricana-t-il, revanchard.

Il chercha une lame, enleva doucement la légère robe que portait la jeune femme, ôta délicatement son string, s’étonna un moment qu’elle s’était fait tatouer des formes bizarres sur ses cuisses, et des prénoms de garçons, ses amants sans doute, sur son ventre, voulut éclater en sanglots en criant « Allah, oh Allah, pourquoi m’as-tu ainsi fait cocufier ? », se ressaisit rapidement en concluant que ce qui était consommé était déjà consommé, il fallait juste fermer définitivement le robinet public, et commença, serein, à lui couper les poils des aisselles puis du pubis –elle en avait, alhamdoulilaye ! –

Il sonnait minuit trente minutes quand K2 s’attaqua aux ongles de Matou qui dormait toujours profondément. Minuit trente, heure très avancée dans ce quartier périphérique de Bamako où les habitants normaux avaient depuis longtemps rejoint leur lit, laissant les lieux aux apôtres des ténèbres : la pute ivoirienne ou togolaise rentrant chez elle avec son deuxième client de la soirée, la mariée matérialiste et infidèle partie chercher l’argent de son basin du mariage du dimanche sortant de la chambre des adultères sur la pointe des pieds, le gardien Dogon culbutant au Viagra traditionnel dans une maison inachevée la servante peuhle du voisin, le chômeur de longue date reconverti en voleur de motos Jakarta escaladant son premier mur de la nuit, le dealer ibo à l’affût d’un talibé étourdi à assassiner pour aller vendre le sang et le cœur à des aladjis fétichistes, la blessée de guerre de 26 ans, dévaluée par un enfant bâtard coincé dans le soutif, déversant au carrefour son énième sacrifice pour attacher le cœur de ce jeune diasporique lui ayant promis le mariage depuis quatre ans mais qui ne fait même plus signe de vie…

Minuit trente, heure louche, heure de malheur ! K2 la sentit d’abord pousser un lourd ronflement, puis un petit cri de douleur, il la vit ensuite bouger la tête, puis bouger les cils avant d’ouvrir les yeux. Il l’écouta hurler d’horreur, alors qu’il était, figé d’étonnement, toujours accroupi sur elle, sa lame près de sa main droite dont il coupait les ongles. Il la vit se redresser brusquement sous un grand cri, se voyant nue alors qu’elle s’était endormie habillée, et voyant à côté d’elle, sur un petit mouchoir blanc, ses poils et ongles coupés. Il ne put la maîtriser quand d’un geste brusque elle le poussa des deux mains, l’envoyant s’écrouler, gringalet, sur le plancher, avant de se saisir de sa robe, l’enfiler rapidement, sortir de la chambre en courant, se jeter dans le noir de la cour, hurlant : « Au secours, aidez-moi, aidez-moi hooooooooo, mon mari veut m’assassiner, ce vieux sorcier veut me tuer, hoooooo, aidez-moi, le sorcier Konaté veut me tuer… »

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Septième partie)

Homme âgé d'Afrique (Crédit image: www.matteomaillard.blog.lemonde.fr)
Homme âgé d’Afrique (Crédit image: www.matteomaillard.blog.lemonde.fr)

 

Une « Made in Dubaï », ça ne se caresse pas comme ça

Une « Made in Dubaï » pur jus, la Matou. Depuis trois ans qu’il la connaissait, Kader Konaté n’avait jamais vu ses cheveux naturels qu’elle rallongeait avec des mèches brésiliennes ou indiennes, ou s’arrangeait à cacher sous des perruques tellement broussailleuses qu’elles rendraient jalouses celles de la femme de Paul Biya. Ses cils et sourcils, elle les complétait chaque semaine avec de faux cils, et ses ongles étaient toujours cachés sous des ongles en plastique aussi longs que les serres d’un aigle.
Il avait eu l’audace, une nuit, alors qu’ils étaient au lit, et qu’il croyait, comme tout mari normal, que c’était le moment idéal de faire de petites remontrances à sa femme sans la vexer, il avait, alors, cette nuit, eu l’audace de demander à sa femme pourquoi elle s’encombrait avec tant de faux, qu’elle n’avait pas besoin de toutes ces pacotilles chinoises pour être belle, que lui, son mari, l’apprécierait mieux sans tous ces faux, que… il avait à peine fermé son « groin » de vieux perroquet que la belle Made in Dubaï s’était redressée et lui avait dit, la voix aussi foudroyante que la gifle d’un sourd-muet, que c’était la dernière fois qu’il osait lui parler de ça, qu’elle n’acceptait pas ces embêtements-là, qu’elle ne comprenait pas pourquoi c’est toujours les vieux qui sont aussi rétrogrades , que s’il voulait une femme sans faux cils, eh bien, il n’avait qu’à aller chercher une VDV, une « Venue directement du village », et la laisser tranquille…

Remis à sa place, sa place de vieux rétrograde n’aimant pas les faux cils et les faux ongles, K2 avait filé doux, et plus jamais, n’avait eu le courage d’aborder le sujet, son rôle dans la scène se limitant à donner à Madame 25 000 F CFA chaque lundi pour aller faire sa tête, 15 000 F CFA chaque mardi pour aller faire pédicure et manucure, 10 000 F CFA chaque mercredi pour aller au « Lux Beauté » acheter des cils et des ongles, 15 000 F CFA chaque jeudi pour aller faire « fond de teint plaqué » au salon de beauté de Mame Thiam la Sénégalaise dont le slogan est : « Même une femme africaine peut devenir belle une fois qu’elle entre dans mon salon, impossible n’est pas Mame Thiam »…

Quant aux poils du pubis et des aisselles, Allah lui était témoin, il ne pouvait pas affirmer que sa femme les gardait ou pas. Aussi loin que ses souvenirs le portaient, il s’était vu, la troisième nuit après leur mariage, en pleine Lune de Miel donc, porté par ses élans naturels de nouveau marié, il s’était, alors, vu cette nuit en train de vouloir caresser sa femme sur le pubis. La jeune mariée, étonnée, s’était subitement dégagée de ses bras et lui avait demandé ce qu’il était en train de faire. Etonné, lui aussi, il lui avait répondu qu’il faisait ce que fait tout mari, caresser sa femme où il veut. Matou, enragée, lui avait hurlé que c’était la dernière fois qu’il osait lui faire ça, que c’était de la pure perversion, de la pure ignominie qu’un vieux comme lui, Africain de surcroît, ait encore l’audace de vouloir caresser une jeune fille sur le pubis, qu’il n’avait qu’à rapidement frotter son truc ridiculement pas dur-là contre elle et la laisser dormir au lieu de vouloir faire des caresses comme les jeunes le font dans les feuilletons des Blancs.

Et depuis cette mise en garde, K2 avait enterré tous ses talents de caresseur s’étant toujours contenté de frotter son truc ridiculement pas dur-là contre « Espace Schengen » les très rares nuits où elle voulait bien lui ouvrir ses frontières. Il n’aurait donc pas d’objection à faire s’il arrivait qu’un jour on vienne lui dire que sa femme, avec qui il dormait dans le même lit depuis deux ans, avait des lingots d’or à la place des poils au pubis et aux aisselles, comme il n’y touchait jamais.

Après une semaine d’infructueuses réflexions, Kader Konaté retourna chez le marabout Coulibaly pour lui expliquer l’impossibilité de la mission. Il pouvait tout trouver, affirma-t-il, tout, même la cravache ayant servi à fouetter une pute nigériane, il suffisait d’aller dans l’une de ces multiples boîtes à putes libanaises de Bamako où des putes nigérianes et maghrébines se font fouetter par centaines toutes les nuits. Mais les ongles, cheveux, cils et poils de Matou, il ne pouvait les trouver, wallahi, il ne pouvait les trouver.

Le prophète Karamoko, après quelques simagrées, quelques sauts et quelques petits pets, lui dit en souriant : « Oh, Kader, fils de Konaté, Kader Konaté, grand chef devenu un chiffon pour une petite fille au pagne léger, le piment a beau être méchant, un ver plus méchant que lui loge dans son ventre. Tu auras tout ce que je te demande. La tige de gombo peut s’élever comme elle veut, le paysan la plie pour trancher de son sommet le gombo. Je vais te donner un somnifère. Tu le feras consommer à ta femme demain dans la journée. Elle dormira trois jours et trois nuits, et tu auras largement le temps de chercher sur elle tout ce que tu veux. »

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Sixième partie)

Les prophètes aussi aiment la cravache

Kader Konaté a beau vouloir empêcher « Espace Schengen » de s’éparpiller à tout lit et à tout égout dans Bamako, il a beau vouloir la garder, poitrine, derrière et accessoires à lui tout seul, mais aller jusqu’à collaborer avec un serpent ! « Ce n’est pas parce qu’elle est saoulée que la souris part dormir dans le salon du chat », que stipule le dicton. Son visage s’assombrit, donc, quand Karamoko Coulibaly lui proposa de miner Matou au serpent.

Mais le marabout-prophète, ayant senti son désarroi, lui expliqua, après avoir remué trois fois sa queue de cheval, fait trois petits sauts, et probablement libéré quelques petits pets étourdis, il lui expliqua que la technique du minage au serpent était très simple, aussi simple qu’efficace. Il suffisait juste de placer un serpent venimeux à l’intérieur de la femme adultère, un serpent venimeux chargé de mordre tout membre viril ou tout doigt étranger, autres que ceux du mari, qui tenteraient de s’introduire dans les dédales qui n’étaient pas leurs. La seule contrainte du mari était de réciter un mot de passe chaque fois qu’il s’apprêtait à explorer sa femme, sinon clac, le serpent-gardien le considérerait comme un tricheur et le mordrait.

Il affirma, le marabout, qu’il avait inventé cette technique il y avait juste deux ans, pour sauver un ministre très influent du pays dont la dernière femme, moins âgée que ce dernier de trente-deux ans, avait décidé, tout comme Matou, de venger son mariage précoce en cocufiant son mari de ministre dans tous les bas-fonds de Bamako. Après seulement trois mois de garde, le serpent avait mordu et tué de son implacable venin vingt-six amants de la femme du ministre, et cette dernière, ayant finalement compris, devant les morts successives de ses amants, qu’elle était minée, avait dû se caser.

Convaincu, quoiqu’un peu perplexe sur le point où il fallait mémoriser un « sésame ouvre-toi » à réciter chaque fois qu’il fallait accomplir son devoir de mari, K2 accepta le remède. Et le marabout, après quelques nouvelles clowneries, lui récita les articles à fournir pour la cérémonie : la tête d’un serpent tué un vendredi avec une pierre rouge, trois duvets d’une poule blanche n’ayant jamais été montée par un coq, le testicule gauche d’un bouc noir dont la barbiche n’est ni trop longue ni trop courte, sept poils du pubis de Matou, neuf de ses poils de l’aisselle gauche, trois de ses slips, neuf mèches de ses cheveux, trois de ses cils, des bouts de ses ongles de pieds coupés à minuit trente-sept minutes, trois paquets de préservatifs de marque Manix à la lavande fraise, deux CD pornos chinois avec des séquences tournées dans un champ de blé en Chine, une cravache ayant déjà servi à fouetter une pute nigériane, une enveloppe de 250 000 F Cfa en billets de cinq mille francs.

Kader Konaté, concentré au début de l’énumération, faillit pouffer de rire devant l’incongruité de certains articles exigés par le marabout et les détails qui les accompagnaient. Il osa demander à ce dernier ce à quoi servirait des CD pornos dans la cérémonie, pourquoi ces films devaient être chinois, pourquoi les scènes devaient être tournées dans un champ de blé en Chine, pourquoi la cravache qu’il devait chercher devait avoir servi à fouetter une pute, pourquoi la pute fouettée devait obligatoirement être une Nigériane…

Pour toute réponse, Karamoko Coulibaly, après quelques grimaces, lui fit savoir que le monde des prophètes est largement différent du monde des simples humains, que dans le langage des prophètes tout détail est important, que si Issa, le prophète des chrétiens, avait demandé en son temps à un aveugle de se passer de la boue sur les yeux pour recouvrer la vue, lui, Karamoko Coulibaly, le prophète des Maliens, ne comprenait pas pourquoi on devait lui demander de justifier pourquoi il exigeait des films pornos tournés dans un champ de blé en Chine et une cravache ayant servi à fouetter une fille de joie d’origine nigériane pour sauver une femme des griffes de l’adultère. Il ne fallait pas lui poser des questions.

Ce fut de retour chez lui que K2 comprit que même s’il lui était facile de se procurer certains articles malgré leurs détails à la limite du ridicule, d’autres lui seraient très difficiles, presque impossible à trouver. La liste comportait des mèches de cheveux, des cils et des bouts d’ongles de Matou arrachés à minuit, et il venait de se rappeler que sa femme fait partie de celles-là qu’on surnomme « Made in Dubaï », des filles qui ont troqué tous leurs organes naturels, des cheveux jusqu’au dernier duvet de leurs pieds contre des emberlificotages en plastique bas de gamme.

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Cinquième partie)

Pas très normales révélations

Karamoko Coulibaly, Allah Le Miséricordieux et son Prophète lui sont témoins, n’est pas un marabout, euh, un prophète à faire les choses à moitié. Aussi, quand Kader Konaté, les larmes aux yeux, finit, ce soir, de lui exposer l’humiliation dont l’avait couvert sa femme « Espace Schengen », et proposa la sanction qu’il avait retenue contre elle, le « cadenassage », le prophète Coulibaly se leva en rage, se saisit de sa queue de cheval, mythique objet qu’il secouait quand il invoquait ses partenaires les esprits, se fondit en incantations, faisant succéder les noms d’Allah, de Mahomet et de petits dieux du désert malien dans un mélange aussi hétéroclite que risible.
Après quinze minutes de transe, il sautilla trois fois puis atterrit violemment sur ses genoux, libérant, sous le choc, un bruyant pet. La démonstration aurait fait pouffer de rire tout profane, parce que Karamoko Coulibaly, à ce moment précis, ressemblait plus à un clown mal inspiré qu’à un prophète. Mais Kader Konaté, habitué à ces mises en scène loufoques du marabout, garda son calme, fixant, concentré, la bouche du clown mal inspiré qui avait commencé à parler.

« Wallahi, Kader, commença à psalmodier le clown-marabout-prophète, en sueur, Allah et son dernier Prophète me sont témoins, ce que je viens de voir sur ta femme est horrible. Matou te trompe depuis presque deux ans, ça tu le sais déjà. Mais ce que tu ne sais pas, et que le scorpion sacré qui est mon totem me tue sur-le-champ avec son venin si je mens, ce que tu ne sais pas, Kader, c’est que Matou t’a trompé au total avec 104 hommes, dont tes voisins, tes collègues de travail, tes amis, et même tes neveux ! Je peux te citer un à un le nom de tous ses amants, le nom de tous les hôtels, les motels, les chambres de passe… dans lesquels ses amants l’ont souillée, je peux te décrire les maisons dans lesquelles elle a joui dans les bras de jeunes hommes pouvant être ton petit-fils, t’indiquer les dépotoirs sur lesquels des drogués de Bamako l’ont montée à tour de rôle, t’amener au bord des égouts dans lesquels des gueux de cette ville l’ont consommée, te… »

L’inspecteur des Impôts de classe exceptionnelle cocu, enragé devant tant de précisions importunes, voulut arrêter les révélations du zélé prophète Coulibaly, lui dire que ce qui était fait était fait, qu’il n’était pas là pour connaître les noms de toutes les Alice ayant visité le Pays des Merveilles de sa femme, il était juste là pour définitivement boucler les frontières de son territoire à tous ces sans-papiers crasseux qui l’avaient déjà trop visité… Mais le Karamoko, nous le savons bien, n’est pas un prophète à manger un chat sans sa tête. Il continua ses révélations.

« Oh Kader, Kader fils de Konaté, Kader Konaté, digne malinké, cette petite fille t’a trop humilié. Je peux te donner la couleur des slips qu’elle a portés tous les jours où elle t’a trompé, je peux te donner avec précision le nombre de préservatifs qui ont été utilisés sur elle par tes rivaux, oui, je suis un prophète, et je peux te décrire les différentes positions dans lesquelles ses multiples amants l’ont visitée. J’entends, oui pauvre Konaté, j’entends les gémissements de plaisir qu’elle poussait sous ses amants et je peux te les imiter, j’entends les cris lubriques qu’elle poussait à chaque jouissance, tes rivaux coincés entre ses sensuelles cuisses juvéniles, et je peux te les pousser si tu le veux… Pauvre Kader, pauvre fils de Konaté, pauvre malinké réduit en objet de dérision, digne prince transformé en chiffon par sa femme, je peux te compter un à un le nombre de poils du pubis que ta jeune femme a… »

Même si le bouc ne mord pas, il finit par donner un coup de dent à l’insolent qui s’obstine à lui pincer les couilles, dit l’adage. K2 avait supporté que Karamako Coulibaly parle des slips, des gémissements, des râles de jouissance, des cuisses, des positions de sa femme dans le lit de ses amants… mais que ce vieil édenté à la bouche aussi déserte que les funérailles d’une sorcière octogénaire stérile ose parler des poils du pubis de sa Matou qui demeurait, malgré ses infidélités, sa bien-aimée !

Konaté Le Cocu se leva brusquement pour s’en aller, mais le prophète Coulibaly, ayant lui-même senti qu’il avait exagéré, le retint par les épaules : « Non, Konaté, ne t’énerve pas, excuse-moi si je suis allée trop loin, c’est juste que je suis abasourdi par la légèreté de cette fille à qui tu tiens tant. Tu sais, tu me proposes de la cadenasser pour que ses amants n’aient plus accès à elle. C’est une bonne technique, puisque chaque fois qu’elle se retrouvera avec un homme autre que toi, il n’y aura pas d’ouverture sur elle. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut que nous punissions ses amants. Non, nous n’allons pas cadenasser ta femme, nous allons la miner au serpent. Oui, Kader, je vais pratiquer à ta femme la technique du minage au serpent. »

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Quatrième partie)

Homme âgé d'Afrique
Homme âgé d’Afrique

On ne naît pas marabout-prophète, on le devient

Karamoko Coulibaly, 73 ans, distingué bambara parmi les bambara, est l’un des plus célèbres marabouts du sud du Mali, reconnu de Bamako à Kayes, de Mopti à Koulikoro, de Ségou à Sikasso… Du petit fumeur tellement accro aux Gauloises mal filtrées qu’il y voit l’envoûtement d’un oncle, à la cinquantenaire acariâtre abandonnée par son mari pour une rivale plus jeune et plus jolie, en passant par la jeune vieille fille de 30 ans convaincue qu’elle ne pourra plus trouver un mari sans avoir attaché un des membres virils qui tournent autour d’elle sans jamais lui proposer le mariage, Karamoko Coulibaly est sollicité, tous les jours, par des clients venus de toutes les profondeurs du Mali obombrées par les lourdes ailes de l’obscurantisme.

A six ans, dit-on de lui, des génies s’étaient infiltrés, une nuit, dans la case de ses parents où il dormait, l’avaient enlevé, l’avaient conduit dans une forêt lointaine pour l’y initier aux pratiques des sciences occultes pendant quinze ans. A son retour au village, à vingt et un an, complètement changé, le visage caché sous une brousse de barbe, personne, même ses parents, n’avait voulu le croire et le recevoir, croyant depuis longtemps que l’enfant enlevé était mort. Mais il lui avait juste fallu quelques jours pour démontrer sa puissance, guérissant des enfants malades par-ci, redonnant, par-là, une virilité d’acier à des vieillards complètement refroidis depuis des années…

Sa notoriété s’était rapidement répandue avec ses guérisons, envoûtements et miracles, au point de l’amener, vantard, à s’ériger au rang de prophète. « Ouallahi, jure-t-il partout où on veut l’écouter, j’ai déjà accompli plus de miracles que les Prophètes Moussa et Ibrahim réunis, et j’en accomplirai, avant ma mort, plus que Issa, le prophète des chrétiens. Je ne vais pas me comparer à Mohammad, mais je sais que je n’aurai rien à lui envier en mourant. J’ai prédit l’assassinat de Modibo Keita dans ce pays, on ne m’a pas écouté, j’ai prédit la chute du régime de Moussa Traoré, on ne m’a pas écouté, j’ai prédit la mort de Kadhafi et j’ai même proposé qu’on me laisse partir en Libye lui préparer une poudre pour le rendre invisible sous les bombardement de ces cafres de Blancs, on ne m’a pas écouté, j’ai prédit la rébellion touarègue, on ne m’a pas écouté, j’ai prédit la chute du régime ATT  Amadou Toumani Touré), on ne m’a pas écouté, j’ai prédit la visite de François Hollande au nord de notre pays, et j’ai même prédit son infidélité, on ne m’a pas écouté… qu’est-ce que vous voulez encore que je vous montre pour que vous sachiez que je ne suis pas un vulgaire marabout mais un prophète ? Je suis un prophète, ouallahi billahi… »

Kader Konaté avait, pour la toute première fois, sollicité les services du marabout-prophète durant sa dixième année de service, quand un petit blanc-bec diplômé fraîchement descendu de la France et immédiatement bombardé cadre supérieur dans son service, croyant, naïf, que c’est la grosseur des couilles qui fait d’un chevreau un bouc, avait voulu fouiner son groin dans ses « affaires ». Le petit prétentieux, dix fois plus imprudent qu’un gendre jouant avec la hernie de son beau-père, avait osé lui demander à lui, Kader Konaté qui pouvait être son grand-père, de surveiller ses arrières, qu’il l’avait à l’œil, qu’il était au courant des petites magouilles qu’il faisait depuis des années, et que si cela continuait il ne clignerait pas l’œil avant de le renvoyer. Astafourlaï ! Un enfant, qui commence à peine à avoir des duvets sur le pubis, qui parle de renvoi à son grand-père ! Et ça doit continuer à vivre ?

K2 avait couru, en larmes, chez le marabout Coulibaly, lui avait tout expliqué, le cœur en feu, et avait imposé ce qu’il voulait comme vengeance contre le petit morveux. Le tuer. Mais Karamoko Le Prophète, en souriant, lui avait conseillé que tuer le petit gueulard serait faire une trop grande faveur à ce dernier, il n’aurait pas le temps de connaître ce qu’on appelle humiliation s’il le tuait. Il fallait plutôt le rendre fou à vie, se promenant nu, son caleçon sur la tête, dans tout Bamako. Il lui avait juste demandé d’amener une photo de la cible, une enveloppe de deux cent mille francs CFA, et deux paquets de préservatifs lubrifiés de marque Manix…

Deux semaines après, le jeune cadre, arrivé au bureau un vendredi matin, avait commencé à aboyer comme un chien, se grattant tout le corps, puis enlevant l’un après l’autre tous ses habits : veste, pantalon, jaquette, cravate, chemise, culotte… Il s’était coiffé avec son slip, avait détalé du bureau en hurlant. On le voit aujourd’hui encore, devenu adulte, flânant nu, sale, dans les rues de Bamako, son caleçon sur la tête, se grattant le corps en aboyant.

Et depuis ce coup d’essai qui fut un véritable coup de maître, Kader Konaté devint l’un des clients les plus fidèles du marabout-star, rendant fou, paralysant et tuant tout ce qui tentait de se mettre entre lui et ses « affaires »… Oh, il allait facilement cadenasser « Espace Schengen ». Simplement la boucler, sa fontaine publique de femme !

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (troisième partie)

Homme âgé d'Afrique (Crédit image: www.livegalerie.com)
Homme âgé d’Afrique (Crédit image: www.livegalerie.com)

Le vieux cocu vous emmerde.
L’infidélité de la femme, dit l’adage, est comme la puanteur de la bouche : on ne la sent pas soi-même, on se le fait toujours dire par les autres.

Kader Konaté, avait, certes, remarqué, quelques mois après son mariage avec Ouleymatou, que celle-ci avait brusquement changé. Elle avait commencé à passer beaucoup plus de temps à se rendre belle, trop de temps à se rendre belle pour une femme mariée, à porter des pantalons, des jupes et des robes de plus en plus moulantes, à avoir trop le nez collé à son téléphone, pianotant sur l’écran affichant le logo bleu-blanc de Facebook, à chanter des slows français où elle citait des prénoms maliens pour remplacer les prénoms des chansons originales comme : « Nos corps enlacés sur le sable, l’eau qui vient mourir à nos pieds… Ousmane, je t’aiimmmeeee… » ou « Je voudrais dormir près de toi, être là quand tu t’éveilles, au premier rayon du soleil, hohoho, Ibrahim, je voudrais rester près de toi…»

Il avait aussi remarqué, l’Inspecteur Konaté, que la jeune mariée, en partant à l’école certains matins, refusait de porter son voile de femme mariée, laissant ses cheveux soigneusement défrisés à découvert, que les nuits, quand, après s’être dopé de lanceurs et autres fortifiants hétéroclites chinois pour chauffer son moteur Diesel, il mettait à rude épreuve son corps gringalet, ses articulations bringuebalantes, ses muscles desséchés, quand il se tuait pour lancer Matou vers le septième ciel, cette dernière, muette, ennuyée, se rongeait les ongles, n’émettant aucun gémissement, fût-il poussif, pour l’encourager, pressée qu’il finisse sa ridicule prestation pour la libérer aller tchatcher sur Facebook.
Oui, K2 avait senti, sur sa troisième femme, toutes ces anomalies propres à inquiéter tout marié attentionné. Mais il s’était toujours consolé avec le dicton selon lequel quand on loue une chambre, on la loue avec ses souris et ses cancrelats… Pour un septuagénaire, épouser une fille de la vingtaine c’est, certes, avoir un peu de miel pour diluer son calice des vieux jours, mais c’est aussi avoir à gérer des caprices interminables, à supporter des sautes d’humeur incompréhensibles, à avaler des embêtements indigestes…
Mais jamais, alors jamais, croyez la parole d’un inspecteur des Impôts de classe exceptionnelle, Kader Konaté n’avait imaginé que sa Ouleymatou, cette fille dont la dot lui avait coûté plus d’un million de CFA (deux mois de salaire et d’« affaires »), cette fille dont l’organisation du mariage l’avait contraint à mettre en gage sa quatrième maison en construction pour un prêt de 5 millions à la banque, il n’avait jamais imaginé, K2, que cette fille-investissement aurait pu avoir le courage de le doubler une fois, deux fois, trois fois, un nombre incalculable de fois avec un nombre incalculable d’amants, jusqu’à se faire honorer dans le quartier de l’injurieux surnom « Espace Schengen ».
Il n’aurait jamais pu imaginer que cette fille qu’il entourait de tant de soins était devenue sur la langue de ses voisins ce qu’on appelle au Togo « Agban gan djé blia dji », surnom collé aux filles qui bradent leur corps, en référence à ce cri d’appel que lancent les revendeuses de maïs durant les saisons d’abondance pour vendre leurs marchandises à vil prix.
Le jour où il apprit, pour la première fois, par un boutiquier maure plus bavard qu’un tambour de funérailles, qu’il était le cocu le plus célèbre du quartier, Kader Konaté ne voulut d’abord pas y croire, mais le Maure, appuyant ses déclarations par de fervents wallahi, arriva à le convaincre. Il finit, amer, par ouvrir les yeux et accepter la réalité, fit un petit flash-back pour enfin comprendre ces petits sourires narquois qui l’accueillaient ces derniers temps dans les boutiques du quartier, ces petits rires étouffés qui montaient dans son dos quand il passait, ces mains furtives qui l’indexaient depuis quelques semaines à son passage…
Il tenta d’imaginer ce que toutes ces langues railleuses avaient pu dire de lui depuis tout ce temps : « Kr kr kr, le pauvre vieux, il porte une botte de paille sur la tête et se la fait brouter par tous les moutons de la ville…», « Eh Allah, qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de ce vieux d’aller chercher une si petite fille, hein, même avec tous les Viagra du monde il peut jamais la satisfaire… » « Hein, que croyait-il, ce vieux-là, hein, qu’il peut gérer cette petite bombe ? Vous avez vu la forme de la petite, hein, non, mais vous avez vu ses rondeurs, hein, tu lui mets un plateau d’œufs sur la croupe la petite peut marcher avec sur des kilomètres sans le faire tomber » « Ha ha ha, regardez qui passe là, le vieux généreux qui nourrit sa femme pour tous les petits garçons de la ville… »
Cocu, humilié, raillé, K2 ne demanda pas l’avis de ses oracles avant de prendre une décision drastique pour punir l’infidèle. La répudier ? Oh non ! Elle s’en sortirait gagnante, puisque libre, elle aurait désormais du temps pour sa pléthore d’amants, et il perdrait, lui, les cinq millions qu’il avait investis dans son mariage. Non, il n’allait pas la répudier, il allait simplement la fermer, la cadenasser. Et le premier nom qui lui vint à l’esprit quand il pensa au « cadenassage » de sa femme fut celui du marabout Karamoko Coulibaly.
A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (deuxième partie)

Homme âgé d'Afrique (Crédit image: www.festival-alimenterre.org)
Homme âgé d’Afrique (Crédit image: www.festival-alimenterre.org)

 

Matou, alias « Espace Schengen »

Astafourlaï ! Qu’Allah, Dieu du Pardon, nous pardonne d’avoir commis une grande injustice vis-à-vis d’un de Ses fils, et pas des moindres, Kader Konaté, en présentant, jusqu’ici, ce dernier comme agent de pointage à la Direction des Impôts du Mali. Non, voici dix ans maintenant que, honteux devant son titre officiel d’agent de pointage, Kader Konaté s’est fait établir une carte de visite où il s’est changé de titre. La carte mentionne : « Kader Konaté, Inspecteur des Impôts de classe exceptionnelle ». Et cette carte, il la distribue partout, sauf dans son service où il est resté, sur les papiers officiels et sur la langue de ses collègues, un subalterne agent de pointage. 

 

Le dicton éwé le dit si bien : « On ne tue pas une poule sans lui avoir donné une gorgée d’eau ». Avant que ce périple ne lui devienne de la merde de caméléon sous les pieds, concédons à K2 son titre si désiré d’inspecteur des impôts de classe exceptionnelle. Il gagne 600 mille francs par mois (le double du salaire officiel d’un vrai inspecteur des impôts), il dispose, depuis 5 ans, d’un beau bureau (qui lui a été offert suite à la mort d’un cadre de son service, que beaucoup de ses collègues l’avaient accusé d’avoir marabouté pour prendre sa place), il a deux voitures aussi belles que celles des vrais inspecteurs des impôts, s’est construit trois maisons plus grandes que celles des vrais inspecteurs des impôts, s’est fait établir plusieurs cachets d’inspecteur des impôts avec lesquels il signe les documents de ses « affaires »… Eh bien, que lui manque-t-il, alors, que lui manque-t-il, à K2, pour que vous l’appeliez « Inspecteur Konaté », tas de mécréants ?

Comme tout bon malien, l’inspecteur Konaté est islamo-animiste. Il honore ses cinq prières tous les jours, fait l’aumône, va à la mosquée tous les vendredis en boubou blanc, observe le jeûne du ramadan (même s’il lui arrive, certains jours de carême du mois de ramadan, d’aller clandestinement dans un quartier de Bamako très éloigné du sien, manger, en pleine journée, un petit, un tout petit plat de riz pour tromper son ulcère), prévoit d’aller à la Mecque (vous êtes témoins, il changera son titre sur sa carte de visite une fois de retour de la Mecque, il deviendra « El Hadj Inspecteur Konaté »)…

Il pratique l’islam comme exigé par le Prophète, mais ne se gêne pas du tout d’aller, de temps en temps, au village faire des cérémonies à ses petits fétiches familiaux en argile, ou consulter un marabout ou féticheur adroit pour éliminer ou paralyser un imprudent qui ose lui barrer la route dans « ses affaires » pépères. « Qui ne consulte pas de marabout ou de féticheur dans ce Mali, hein, qui n’envoûte pas qui dans ce pays ? Nous sommes des Africains, et ce n’est pas parce que ces gros porcs violents d’Arabes nous ont imposé leur religion que nous allons laisser les pratiques de nos pères… » se justifie-t-il quand il écoute des langues pendantes critiquer dans son dos ses pratiques fétichistes.

Officiellement, devant les autorités maliennes, devant Allah et devant les hommes, l’Inspecteur Konaté est marié, à la mosquée et à la mairie, à trois femmes. Les deux premières, Salimata et Mariam, sont déjà trop vieilles, ayant respectivement dépassé la cinquantaine et la quarantaine. Allah est grand, K2 leur a fait le plus grand honneur qu’on puisse faire à une femme au foyer, en leur offrant, chacune, cinq enfants ayant pour mission de les occuper dans leurs oisivetés de ménagères analphabètes. En bon mari, en bon musulman, l’inspecteur Konaté ne les a pas délaissées, les encombrantes vieilleries, comme le font beaucoup de ses compères polygames. Il leur rend, chacune, visite une fois dans la semaine, ose de temps en temps la gentillesse de leur donner « le prix des condiments », s’efforçant même de manger les plats fades, sentant la morve et la pisse d’enfants, qu’elles lui préparent.

Ouleymatou, « Matou » pour les pointeurs et associés, 20 ans, est la troisième femme de K2, et c’est elle seule qui habite avec lui, loin des deux vieux bibelots. L’inspecteur Konaté l’a épousée, la Matou, il y a juste deux ans, alors que cette dernière végétait encore sur les bancs du collège, ses parents n’ayant trouvé pour moyen de l’aider à faire quelque chose de réussi de sa vie que la marier à un homme de cinquante ans son aîné. Si Matou, qui avait mal digéré son mariage avec pépé Konaté, s’est laissée faire durant les six premiers mois de sa cession à l’Inspecteur des impôts, elle changea carrément, se révolta une fois qu’elle mit pied au lycée et rencontra de petits lycéens de son âge, solides, frais, durs partout (même sans démarreur chinois) qui lui faisaient la cour à longueur de journée, lui récitant des sérénades à l’eau de rose propres à séduire toute fille de 20 ans. Matou décida de se venger de son mariage trop précoce. Elle a commencé à se dévergonder partout. Et elle le fait tellement bien, au vu et au su de tous, que dans son sillage on l’a affublée du surnom « Espace Schengen », son territoire ouvert, large, acceptant toutes les avances de toute la racaille dragueuse avec ou sans-papiers venue de toutes les termitières, de tous les caniveaux, de tous les dépotoirs de Bamako.

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Première partie)

Homme âgé d'Afrique (Crédit image: www.routard.com)
Homme âgé d’Afrique (Crédit image: www.routard.com)

 

Du temps où on naissait plusieurs fois

Kader Konaté, K2 (K Au Carré) pour les intimes (Et Allah le Miséricordieux est témoin, des intimes, Kader Konaté en a à faire tuer dans la bande de Gaza pendant au moins six mois de bombardements israéliens), K2 donc, est malien. Son premier acte de naissance, celui qui lui avait été établi quand il devait être inscrit à l’école primaire publique de son village indique : « Né vers 1944 », le deuxième, établi l’année où il passait le certificat d’études du premier degré pour lui permettre de tenir dans la grille d’âge autorisée par l’Etat pour être orienté dans un collège public, mentionne « Né en 1948 », et le troisième acte, avec lequel il est entré dans la fonction publique indique : « Né le 31 décembre 1954». Les mauvaises langues parmi ses collègues murmurent qu’il s’est fait établir un quatrième acte de naissance qui le fait naître un 15 juillet 1957, pour lui permettre de repousser de trois ans son âge réglementaire de départ à la retraite… Mais, la date de naissance normale de Kader Konaté, c’est-à-dire celle qu’il déclare quand on lui demande son âge, est « Né le 12 janvier 1958».

Bref, pour ne pas vexer K2 (il a un long périple à courir, ne le chargeons pas dès le début, « on n’a point besoin de tirer les couilles d’un bouc qu’on est sur le point d’égorger », dit l’adage), pour ne point le charger donc, le K2, disons, comme il le dit, qu’il est né en 1958. « Qui ne change pas d’âge dans ce pays, hein, alors, dites-moi, qui ne change pas d’âge dans ce Mali où vous croisez des vieillards marchant avec une canne qui vous disent qu’ils ont trente-cinq ans ou des hommes qui ont des enfants de trente-six ans vous dire qu’ils ont quarante ans ? Non, ce n’est pas l’acte de naissance qui compte, c’est la solidité physique » s’emporte-t-il, d’ailleurs, quand un rabat-joie à la tête aussi lisse que le postérieur d’un chimpanzé commet l’imprudence de lui poser des questions sur ses multiples dates de naissance.

Cependant, aussi bizarre que cela puisse paraître, malgré ce que peut faire croire sa ribambelle d’actes de naissance, Kader Konaté n’est pas un footballeur camerounais, pas plus que Rihanna n’est pas une sœur. Il travaille, il a toujours travaillé, depuis son entrée dans la fonction publique en 1992 avec son Certificat d’Etudes primaires, comme agent de pointage au Service des Recouvrements de la Direction nationale des Impôts du Mali, un poste que lui avait offert un membre de l’exécutif malien de l’époque, en échange de sa médiation sans faille dans les démarches du troisième mariage de ce dernier avec une de ses cousines.

Pour parler dans le jargon de son domaine, K2 occupe un poste très juteux, ce qui lui permet, malgré son risible diplôme, malgré son statut de fonctionnaire de classe exceptionnellement basse, malgré son salaire mensuel officiel de 56 500 FCFA, de toucher un revenu mensuel avoisinant 600 000 F Cfa, l’équivalent du double ou du triple du salaire d’un chargé de cours à l’université.

Parce que quand on travaille à la Direction nationale des Impôts d’un pays fissuré de tous les côtés par deux décennies d’une démocratie socialo-populo-analphabeto-villageoise, qu’on a la chance de se retrouver au Service des Recouvrements, les affaires viennent, d’elles-mêmes, frapper à la porte à cinq heures du matin, demandant d’être faites, les opportunités accourent de tous les côtés, suppliant d’être saisies, les billets de banque coulent de n’importe où, implorant juste d’être mangés.

Et K2, en vingt ans de bons et loyaux services rendus à la nation, a suffisamment eu du temps pour apprendre à faire les « affaires » qui s’offrent à lui, ouvertes, dociles, telles des amantes en chaleur, à ramasser des deux mains tous les billets de banque propres, presque propres, un peu sales, sales, très sales qui vadrouillent dans son sillage. Il a appris à doubler ses supérieurs hiérarchiques pour plumer des commerçants en retard de paiement, les menaçant de fermer leurs commerces s’ils ne lui mouillent pas la barbe – qu’il a assez fournie comme tout musulman qui se respecte, à délivrer de fausses factures avec de fausses signatures et cachets, à faire payer deux ou trois fois les mêmes redevances aux imposables usurpant des titres çà et là… avec toujours la même devise sur les lèvres : « La fonction publique paie très mal, on ne peut pas y survivre sans les affaires. Comment voulez-vous que nous, gros diplômés de ce pays, nous nous contentions de ces miettes que l’Etat nous paie, alors que dans le privé de petits morveux sans aucun diplôme gagnent des millions par mois, hein ? Je n’ai pas fait mes études pour venir remplir gratuitement la caisse de l’Etat qui n’est en fait que la caisse du président de la République… »

A suivre…

 


Le jour où Mère Nadine s’est ancrée dans ma vie

 

Nadine Gordimer
Nadine Gordimer

 Pour saluer Nadine Gordimer, Prix Nobel de littérature 1991

 

Dans la soirée du 14 juillet  2014, j’ai appris, sur la chaine de télévision TV5 Monde, la mort, à 90 ans, de l’écrivaine sud-africaine Nadine Gordimer, Prix Nobel de littérature 1991. J’ai souri. Pas devant la nouvelle de la triste disparition, mais devant le nom de cette grande dame, l’un des écrivains les plus illustres de notre continent, de la littérature internationale. Ah, Nadine Gordimer ! Ce nom, et cette anecdote, la mienne !

Année 1991. J’étais élève en quatrième année, CE2, à l’école primaire publique de Mission Tové, dans la classe de M. Doglo, l’un des maîtres les plus redoutables de l’école, pas pour sa forme physique – il était très mince et pas grand, mais pour les crimes contre l’humanité que son bâton, plus célèbre que le chien d’Ulysse, commettait sur les fesses où il s’abattait dans l’école. La classe de M. Doglo était un calvaire, surtout aux heures des redoutables épreuves de dictée-questions, des exercices de grammaire, de conjugaison, de calcul mental, de calcul rapide…

Cet après-midi de 1991, donc, M. Doglo avait invité dans sa classe, notre classe, un de ses anciens camarades devenu un agent de banque à Lomé. Il voulait lui montrer l’extraordinaire travail d’éducation qu’il faisait, combien son métier d’enseignant était noble, même s’il n’était pas bien rémunéré comme celui d’un banquier. Il allait nous soumettre à des tests de conjugaison devant son invité, nous avait-il avertis, en nous ayant bien rodés dans l’emploi du passé composé.

L’invité était arrivé, très propre comme tous ceux qui viennent de la ville paraissent aux yeux des enfants ruraux. Il avait pris place dans le dernier banc à l’arrière de la classe.  Il fallait l’impressionner par nos prestations en conjugaison, pour honorer notre maître.  M. Doglo désigna un premier élève pour faire une phrase au passé composé. L’élève raconta une niaiserie. Le visage de notre maître s’assombrit un peu, mais il se maitrisa et désigna un autre élève. Ce dernier aussi débita une abomination du genre : « Mon père et moi nous ont partir dans le marché. » Naufrage !

Les nerfs à fleur de chicotte, Mr Doglo décida d’essayer directement son joker, celui qui ne pouvait pas rater la question et relever sa face qui prenait de la boue. Moi. « Kpelly, lève-toi et fais-moi une belle phrase au passé composé », fit-il en s’adressant à moi avec l’assurance et la complicité d’un nouveau marié qui demande à sa nouvelle femme de lui faire le lit.

Eh ! J’aurais pu faire une phrase simple comme : « J’ai mangé la pâte », ou une phrase complexe comme : « Hier ma mère et moi sommes partis à l’église le matin », j’aurais même pu essayer le politiquement correct comme « Papa Eyadema a sauvé le Togo », ou « Mama Ndanida a bien élevé notre papa Eyadema ». Oui, j’aurais pu faire simple et bon, mais comme le dit l’adage, quand le malheur te poursuit, il deviendra même un collier autour de ton cou.

Je me levai, et, par excès de zèle, juste pour montrer que je venais de découvrir le nom d’un nouvel écrivain – j’avais croisé un livre de Nadine Gordimer au chevet de mon père il y avait quelques jours – je me levai, donc, et lançai : « Nadine Gordimer a vi comme une grande femme en écrivant des livres. » M. Doglo faillit s’écrouler mais se surpassa: « Kpelly, quel est le verbe dans ta phrase ? », me demanda-t-il en tremblant de colère. « Vi », ma réponse. « Et c’est le participe passé de quel verbe ? » bredouilla péniblement le naufragé au bord des larmes. « Le verbe Vivre », que je répondis.

Le Joker aussi avait perdu. M. Doglo s’était juste contenté de sourire, les yeux amers. Au bord de l’hallucination, je vis son célèbre bâton, posé sur son bureau, se transformer en un soldat d’Eyadema qui me souriait… Terreur ! L’invité prit congé de nous quelques minutes après, à la fin de la séance de conjugaison.

Et ce que ça donne quand on humilie M. Doglo et son célèbre bâton de Gestapo devant son camarade venu de la ville, je le compris en boitant le soir pour rentrer à la maison, mes fesses boursoufflées en feu. Je le compris quand la nuit je fus obligé de me mettre à genoux pour manger, incapable de poser mes fesses martyrisées par une dizaine de fessées sur un tabouret. Je le compris, surtout, quand toute la semaine, j’appris, grâce à mon manuel de conjugaison, à conjuguer le verbe « vivre » à tous les temps. Je ne l’oublierai plus jamais, même loin du bâton de M. Doglo, le participe passé du verbe « vivre ».

Oui, Nadine Gordimer est morte, mais chaque fois que j’écouterai son nom, je penserai à M. Doglo, son bâton, mais surtout au verbe « vivre », à sa forme au passé composé. Nadine Gormimer a vécu. A vécu ? Non, elle n’a pas vécu, elle n’aura jamais vécu. Elle vit, elle vivra. Elle fait partie de ces privilégiés qui n’auront jamais vécu, puisqu’ils vivent toujours, leur cœur continuant de battre à travers leurs œuvres, même des années, même des siècles après leur passage, si éphémère, ici-bas.

Vis, Maman Gordimer, vis donc, maintenant que ta vraie vie, la plus grande, la plus longue, commence. Vis ta postérité, Maman Gordimer. Vis…


La lettre que je devais à Yambo Ouologuem

Yambo Ouologuem
Yambo Ouologuem

Cher mentor,

Cette lettre, j’aurais dû vous l’envoyer depuis longtemps, depuis 2009, quelques temps après mon arrivée au Mali, où j’ai réellement découvert, réellement compris ce que le Mali et l’Afrique ont fait de vous. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je caressais le rêve de vous rencontrer, réussir à vous rencontrer, discuter avec vous, avant de vous l’écrire, ma lettre. Mais voici cinq ans que je cherche à vous rencontrer, vous qui habitez seulement à quelques centaines de kilomètres de Bamako où j’habite, et je n’y suis pas encore arrivé. Pas facile de vous rencontrer et discuter littérature avec vous, vous n’en voulez plus, la littérature, vous ne voulez plus en entendre parler, m’a-t-on dit.

Mais, cher mentor, je ne trouve plus le courage de ne pas vous adresser ma lettre après cet énième « miracle » autour de vous et votre œuvre, auquel j’ai encore assisté hier. J’étais, en compagnie de quatre étudiants maliens en Lettres modernes, en train de discuter du livre La Couleur de l’Ecrivain de Sami Tchak, un de vos fils spirituels – un auteur qui vous apprécie beaucoup-, un livre qui parle de la situation de l’écrivain africain francophone, de l’écrivain en général, quand j’ai évoqué, comme dans presque tous les débats littéraires, votre nom. La catastrophe ? Deux des étudiants ont vaguement affirmé avoir déjà entendu votre nom, un parmi eux a réussi, après quelques minutes de réflexions, à donner le titre de votre livre, Le Livre, mais aucun d’eux ne vous a jamais lu. Aucun de ces quatre étudiants maliens en Lettres modernes ne vous a jamais lu. « Même vous vous n’avez pas lu Yambo Oulologuem ? » que je leur ai demandé, ébahi, accusateur.

Cher mentor, je me rappelle, ce fut en 1998 que pour la première fois, j’ai mis la main sur votre livre « Le Devoir de violence » dans la bibliothèque de mon père. J’étais collégien, et je n’avais pas, je vous l’avoue, aimé le livre. Je ne l’avais pas compris. Trop compliqué et trop dense. Je ne l’avais repris que trois ou quatre ans plus tard, en classe de première, quand notre professeur de français nous serinait que c’était le plus grand ouvrage de la littérature africaine francophone, avec Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma. Cette fois-ci, je l’avais lu jusqu’au bout, je l’avais aimé.

Mais, ce fut durant ma deuxième année au supérieur que je vous ai vraiment connu. Au centre culturel français de Lomé, un soir de décembre, dans une revue littéraire dont j’oublie aujourd’hui le nom, j’ai lu votre histoire. L’histoire de ce jeune homme malien, ce Dogon, né en 1940, qui publia son premier roman, « Le Devoir de Violence », à 28 ans, en 1968, qui obtint la même année le Prix Renaudot- l’un des plus prestigieux prix littéraires récompensant les écrivains francophones, devenant ainsi le premier africain à recevoir ce prix, et qui vit son conte de fée, quelques semaines plus tard, transformé en cauchemar, sous des accusations de plagiat et des critiques d’une méchanceté inouïe. Le jeune prodige ferma la bouche et tourna définitivement le dos à la brillante carrière qu’il présageait. La dernière phrase du conte : « Il vit aujourd’hui au Mali, à Mopti, où on dit qu’il est devenu marabout et se consacre à la prière. »

Cher mentor, du Renaudot de 28 ans, vous êtes aujourd’hui devenu un obscur vieil homme vivant retranché dans un village malien, loin de la littérature, loin du monde. On dit que votre livre est étudié dans de très prestigieuses universités américaines, que vous recevez des invitations de partout en Occident, mais vous avez décidé de ne plus jamais rien avoir à voir avec la littérature. Certains vous disent devenu fou, d’autres que vous avez été endoctriné par la religion, mais vos inconditionnels soutiennent que ce sont les acerbes critiques, accusations et humiliations, orchestrées par la complicité de certains intellectuels africains, qui vous ont traumatisé. « L’Afrique vous a trahi et tué à 28 ans » soutiennent-ils.

Oui, parce que « Le Devoir de Violence » n’est pas tendre avec l’Afrique. Vous y aviez abordé des sujets qui fâchent en Afrique. En pleine Négritude, quand tous vos pairs s’époumonaient à vanter une Afrique faussement paradisiaque, faussement immaculée avant l’arrivée des méchants colonisateurs blancs, quand vos pairs se contentaient de vendre une Afrique édénique qui ne pouvait naître que de leurs plus folles imaginations, vous aviez, vous, jeune homme inconnu de 28 ans, osé affirmer dans votre livre, à travers le règne des Saïfs sur l’empire Nakem, que l’esclavage existait en Afrique, orchestré par les Arabes, avec la complicité des notables africains, avant l’arrivée des Blancs. Astafourlaï ! Sacrilège ! Oui, vous aviez responsabilisé l’Afrique dans son propre désastre, ses propres humiliations. Pire, vous aviez osé, depuis 1968, parler d’homosexualité en la rattachant à un Noir dans votre livre, abomination ! Et vous l’avez payé très cher. Vous l’avez payé de votre carrière, de votre génie.

Mais, cher mentor, même vos plus grands détracteurs le reconnaîtront, sans orgueil, sans mauvaise foi, vous avez fait, avec un seul livre, ce que rêve tout écrivain : avoir une œuvre. Et comme le disait un de vos fils spirituels, l’un des plus illustres écrivains du monde francophone aujourd’hui, vous avez écrit un livre qui en vaut mille. Et je rêve que « Le Devoir de Violence » soit lu, en Afrique, au Mali. Je rêve que tous les élèves maliens et africains, tous les étudiants maliens et africains lisent « Le Devoir de Violence ». Je rêve que tout ce silence complice qui vous a entouré durant votre « lapidation » de 1968, durant votre « lapidation » de toujours, je rêve que ce silence complice, hypocrite, du monde intellectuel et universitaire africain qui entoure aujourd’hui votre œuvre soit brisé, que ce silence incompréhensible qui entoure votre nom au Mali soit brisé, et qu’avant de citer n’importe quel « pisse-copie nègre d’écrivain célèbre » (c’est par ce titre que vous avez désigné certains auteurs africains dans votre cuisant pamphlet « Lettre à la France nègre » paru en 1969) on vous cite. Parce que, même depuis vos profondeurs du pays Dogon, même depuis vos silences, blotti sous les moignons de votre destin avorté, vous restez, vous resterez l’un des plus grands auteurs que notre continent, notre époque, le monde francophone, ait connus, inch Allah !


Tous les écrivains sont l’Ecrivain

Sami Tchak
Sami Tchak

Note de lecture de « La Couleur de l’écrivain » de Sami Tchak

Sami Tchak représente une singularité dans la jeune génération des écrivains africains francophones nés autour des années soixante. Ce natif du Togo, installé en France depuis 1986, s’est créé son « étrangeté » en inscrivant le décor d’une grande partie de son œuvre pas en Afrique ou en France – comme l’ont fait presque tous les classiques de la littérature africaine francophone, comme le font aujourd’hui la plupart de ses pairs, mais en Amérique latine, notamment au Mexique, à Cuba, en Colombie…

Le grand prix littéraire d’Afrique noire 2004 suscite de l’admiration par l’originalité de son œuvre, mais, tout comme les autres écrivains de sa génération vivant en Occident, les écrivains de la « migritude » comme les a baptisés l’émérite universitaire Jacques Chevrier, il suscite aussi des interrogations, beaucoup d’interrogations sur ses choix littéraires, ses relations avec son pays d’adoption et avec sa langue d’écriture le français, ses rapports avec le lectorat de son Togo natal où il ne retourne désormais que très rarement, sa conception de l’engagement de l’écrivain…

« La Couleur de l’écrivain », son nouveau livre, qui vient de paraître aux éditions La Cheminante, en France, répond à toutes ces questions. Composé de trois parties : « Peau et conscience », « Comédie littéraire », « Eloge de la Sarienne », le livre, à travers de courtes réflexions, des récits de voyages, des extraits d’auteurs, des nouvelles… expose, d’une part, les incapacités, les peurs, les attentes de ce condensé de frustrations qu’est aujourd’hui l’écrivain africain francophone, et analyse, d’autre part, des problématiques plus globales liées à la profession d’écrivain, à la littérature…

Il est question de ces créateurs obligés d’écrire en français –  une langue qui n’est pas leur langue natale, mais celle qu’ils ont apprise à l’école – obligés, ces écrivains africains francophones,  de publier dans des maisons d’édition françaises pour espérer être lus, l’activité littéraire dans leurs pays d’origine étant presque morte, obligés de subir les remontrances des Franco-français qui les accusent presque d’écrire en français et non dans leurs langues natales, obligés de subir l’humiliation de l’indifférence dans leurs pays d’origine, leurs livres n’y étant pas lus parce que pas facilement disponibles dans les librairies… Tout un engrenage de frustrations que l’auteur résume, en guise de réponse à une interlocutrice avec qui il converse tout au long du livre : « Madame… Nous le savons, nous connaissons le problème : un public naturel, une nation, une langue constituent les bases de l’épanouissement de toute littérature, et nous n’en avons pas. »

Il est également question de l’engagement de l’écrivain africain qu’on renvoie toujours vers celui qui est devenu le roi de l’engagement dans la littérature africaine d’expression française : Mongo Béti. « On a l’impression que les écrivains africains de la nouvelle génération sont un peu plus individualistes, plus préoccupés par la question de leur visibilité que par le destin de leur pays et de leur continent… » demande l’interlocutrice à l’auteur.  Sami Tchak, après une longue analyse sur la question, lui répond avec l’un des plus beaux passages du livre : « Tous les débats ont leur utilité peut-être, mais les écrivains ne doivent pas oublier que la littérature, engagée ou pas, a ses propres exigences, que ce n’est pas forcément avec un cœur gros comme une montagne qu’on bâtit une œuvre puissante. Les bonnes intentions ne sont pas un obstacle à la bonne littérature, mais elles n’accouchent pas forcément du Voyage au bout de la nuit. »

Les réflexions sont entrecoupées d’extraits d’illustres auteurs aussi variés que Erasme, Dostoïevski, Julien Gracq (chacun d’eux exprimant sa vision particulière de la littérature et de l’écrivain)… de nouvelles et de récits de voyages ressortant des thèmes qui reviennent généralement dans les romans et essais de l’auteur : le racisme, la pauvreté, le crime, la violence, le sexe… On y retrouve la très originale nouvelle : « Vous avez l’heure ? » qui a valu en 2005 à l’auteur le Prix William Sassiné.

Un hommage à Ananda Dévi, célèbre auteure mauricienne, clôture le livre. Sami Tchak, par de courtes évasions littéraires, dissèque l’œuvre de l’auteure de Solstices, Soupir, La vie de Joséphin le fou… à travers ses personnages. «Son monde est celui de la beauté douloureuse, des douceurs amères, de l’amour surchargé de haine, des corps maudits qui se cherchent eux-mêmes tout en cherchant les autres pour des unions fatales. »

En plus de vingt-cinq ans de carrière, depuis la parution de son premier roman, « Femme infidèle », en 1988, Sami Tchak a construit, à travers une douzaine de romans et d’essais, une œuvre d’une irréfutable puissance. Vingt-cinq ans d’expériences qu’il partage, gracieusement, page par page, dans « La Couleur de l’écrivain », avec en sourdine ce refrain : Qu’ils viennent d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie… malgré les difficultés et les déboires liés à leurs origines, tous les écrivains, les vrais, ne font qu’une littérature : La Littérature.

Sami Tchak, « La Couleur de l’écrivain », La Cheminante, 2014, 224 pages, 20 euros 


Pitié pour notre sébile, Messieurs de la Minusma !

Soldats de la Minusma
Soldats de la Minusma

Messieurs de la Minusma,

C’est un honneur pour moi de vous adresser cette lettre en ce moment crucial de la vie sociopolitique du Mali, vous qui êtes des amis du Mali, comme nous l’a rappelé tout récemment le président malien. Un honneur pour moi parce que, tout comme vous, je suis un ami du Mali, pays où je vis et travaille depuis six ans. Un honneur pour moi, parce que selon la sagesse africaine, il y a des vérités que les amis doivent se dire de temps à autre, pour renforcer leur amitié. Et la vérité, elle rougit les yeux de l’ami, mais les crève pas. Disons-nous donc, chers amis de la Minusma, certaines vérités, entre amis du Mali.

Messieurs de la Minusma, il serait honnête que nous commencions cette lettre en vous avouant que si les Maliens vous ont fait appel en 2013, ce n’est vraiment pas avec joie. Ah ça non ! C’est simplement parce que le Mali était dans une situation désespérée et avait besoin d’aide, de n’importe quelle aide, à n’importe quel prix. « Celui qui se noie ne distingue pas un papayer d’un iroko, il s’accroche à tout », sagesse des anciens. Le Mali a été obligé, en 2013, de s’accrocher à vous parce qu’il était au bord de la noyade. Aucun pays africain n’est prêt aujourd’hui à faire appel à l’ONU et à ses pompeuses missions de son plein gré, puisqu’on connaît le prix, la durée – indéterminée – et le résultat.

Chers Messieurs de la Minusma, dans votre mandat au Mali, il est mentionné que vous êtes là pour la « Stabilisation de la situation dans les principales agglomérations et la contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays. » Votre mission se définit d’ailleurs comme : « Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali ». Nous autres de la tourbe avons donc été étonnés, il y a quelques jours, par votre refus de prêter main-forte à l’armée malienne dans ses tentatives de reconquête des zones du territoire malien illégalement occupées. Vous avez même refusé, nous a-t-on raconté, de protéger des officiels maliens, prétendant que cela ne faisait pas partie de vos missions. Vous avez copieusement assisté aux mortels affrontements entre les militaires maliens et les groupes armés ayant envahi le nord du Mali. Vous avez regardé des hommes tuer et exécuter des hommes, des soldats agoniser et mourir… alors que dans votre mandat, il est également mentionné que vous êtes au Mali pour la « Promotion et la défense des droits de l’homme. » Le droit à la vie ne fait-il pas partie des droits de l’homme version Minusma ?

Messieurs de la Minusma, nous serions ingrats, dix fois ingrats, cent fois, mille fois ingrats, si nous affirmons que votre présence au Mali n’a rien donné de positif. Vous avez contribué à maintenir presque debout ce pays, à un moment où il était complètement terrassé – et nous saluons particulièrement le sacrifice de nos amis et frères du Tchad, même si votre mission n’est pas gratuite, et que vous la ferez payer par… par…  qui déjà ? Pourquoi ne pas nous le dire, comme nous sommes entre amis, vous la ferez payer complètement, votre mission, par le Mali ! Et quand on voit le coût, on ne peut que commencer à pousser des soupirs de compassion pour ce pays aride en Cfa. Tiens, juste pour mémoire – on est entre amis et on peut se communiquer des chiffres, les bons comptes faisant les bons amis -, le budget approuvé de votre mission sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2013 est de 366 774 500 dollars américains !

Messieurs de la Minusma, vous voyez vous-mêmes qu’à ce prix vous ne pouvez pas ne pas faire du bon travail à votre ami le Mali. A ce prix on ne donne pas du faux à son ami. Ce pays est trop pauvre pour que l’ONU et votre mission n’aient pas pitié de lui. Même le voleur le plus éhonté frémit devant la sébile d’un lépreux, et sucer si injustement les pécules de ce pauvre Mali est aussi cruel que voler des pièces de monnaie dans la sébile d’un lépreux. Le Mali n’est ni la République démocratique du Congo ni la Côte d’Ivoire. Le Mali c’est le Mali, 2/3 de désert, pas de cacao, pas de café, pas de diamant, seulement un peu d’or, et même pas encore de pétrole ! Pitié pour le Mali, chers amis !

Chers Messieurs de la Minusma, nous nous indignons, oui, nous sommes inquiets, parce que nous commençons à sentir que vous êtes en train de livrer un mauvais travail au Mali. Et le mauvais travail, c’est de regarder les bras croisés des assaillants exterminer les défenseurs de ce territoire que vous êtes censés protéger. Le mauvais travail c’est quand on voit des voitures de votre mission marquées de l’inscription « UN » végéter devant des bars de Bamako à longueur de journée. Les bières de Bamako n’ont pas nécessairement besoin de vos agents pour êtres bues : les Camerounais, les Congolais et les Togolais sont là, à Bamako, pour ça. Le mauvais travail, c’est de croiser vos agents paradant dans vos grosses 4X4 dans toutes les ruelles de Bamako, aux côtés des jeunes Maliennes, comme s’il n’y avait pas déjà assez d’Ivoiriens pour les courtiser, ces filles. Le mauvais travail, Messieurs de la Minusma, c’est de venir passer cinq ou dix ans dans ce pays, avec ces salaires colossaux que vous percevez, et vous en aller un jour – ou ne même plus vous en aller – sans avoir réglé le problème du Mali d’un seul cheveu.

Messieurs de la Minusma, chers amis du Mali, cette sagesse africaine le dit si bien, mieux vaut ne pas être présent aux funérailles de sa belle-mère que d’y être présent et voir cette dernière être enterrée dans un pagne déchiré. Il est vrai que c’est nous-mêmes, Maliens et amis du Mali, qui vous avons fait appel en 2013, mais si vous n’êtes vraiment pas là pour sortir le Mali de cette grande humiliation jetée sur lui depuis deux ans, si vous n’êtes pas là pour aider le Mali à retrouver son intégrité territoriale, si vous n’êtes pas là pour redonner le sourire aux Maliens devant leur pays apaisé et réconcilié, si vous n’êtes pas là pour le Mali, rien que le Mali, eh bien, chers amis, ramassez déjà vos cliques et vos claques et quittez ! Vous nous aurez au moins épargné nos pauvres Cfa, nos casiers de bière, et… nos filles !


Hypocrites, laissez Boko Haram tranquille !

Michelle Obama réclamant les libération des jeunes Nigérianes
Michelle Obama réclamant les libération des jeunes Nigérianes (Crédit image:www.20minutes.fr)

Je sortais de chez moi, jeudi 15 mai autour du huit heures du matin, quand je butai devant ma porte sur la femme du gardien de mon voisin. Elle était tout de rouge vêtue et semblait très pressée. Je lui demandai où elle allait si hâtivement avec cet accoutrement inhabituel. Elle me répondit qu’elle se rendait à une marche de protestation organisée par des femmes maliennes pour réclamer la libération des lycéennes nigérianes enlevées par la secte islamiste Boko Haram. La version malienne du désormais célèbre #bringbackourgirls. J’ai souri, et lui ai demandé si son mari était au courant de son programme. « Bien sûr qu’il est au courant, c’est d’ailleurs lui-même qui m’a demandé d’aller me joindre à la manifestation, tu sais, il est très énervé contre ces barbares qui non seulement ont pris en otage des enfants des gens, mais qui se permettent de les marier et les faire esclaves. » Là, je n’ai pas pu me retenir et j’ai pouffé de rire.

Pauvre Boko Haram, que je me suis dit. « A force de fréquenter les dépotoirs, on finit par se faire traiter de brouillon par le porc », dit l’adage. Le gardien de mon voisin, celui-là qu’on dit remonté contre Boko Haram, est le plus grand esclavagiste que j’aie jamais vu de toute mon existence, pratiquant l’esclavage avec ses propres enfants. Le monsieur est un miracle au niveau de ses reins, des reins à classer au patrimoine mondial de l’Unesco, parce que chaque fois que je croise sa femme, depuis cinq ans maintenant que je la connais, elle porte soit une grossesse dans le ventre, soit un nouveau-né dans les bras et un bébé au dos, ou les trois à la fois : grossesse dans le ventre-nouveau dans les bras-bébé au dos. Je me suis tellement habitué à ce cycle infernal de fabrication d’enfants que quand je rencontre le fabricant, je demande ainsi la fabricante : « Salut monsieur, et madame, elle a accouché ? » Et sa réponse a toujours été qu’elle a accouché depuis une semaine, ou elle accouche dans une semaine. Les garçons du couple reproducteur sont expédiés, dès cinq ans, dans les rues, une boîte de tomate en main, pour mendier, et les filles placées comme domestiques, dès sept ans, dans des familles de Bamako ou des autres villes du Mali. Voilà le couple qui me parlait, ce jeudi, d’aller manifester contre les barbaries de Boko Haram. On joue la comédie, comme dirait l’autre !

#bringbackourgirls, le hastag de toutes les hypocrisies ! Depuis quelques semaines, tous les pères et toutes les mères sont devenus de bons parents, des parents sensibles partageant la douleur de ces pauvres femmes et hommes attendant leurs filles enlevées par les démons de Boko Haram. Des femmes employant depuis des décennies des petites filles qu’elles ont copieusement baptisées « bonnes », des fillettes qu’elles exploitent, insultent, humilient, frappent, blessent à loisir, des fillettes qu’elles ont délicieusement refusé d’inscrire à l’école, des fillettes qu’elles ont gracieusement mises à la merci de leurs propres enfants, oui, ces femmes qui assassinent jour après jour des dizaines de jeunes filles dans leurs cuisines aussi crient haro sur Boko Haram. Des hommes irresponsables, la braguette toujours ouverte sur tout ce qui peut les accueillir, déversant comme dans une production en série des dizaines d’enfants dans les rues année après année, ces distributeurs automatiques d’enfants de rues aussi disent s’insurger contre Boko Haram. Des proxénètes aux marabouts exploitants d’enfants démunis, des trafiquants d’enfants aux fossoyeurs d’orphelins, des marieurs de mineures aux dealeurs de bébés, tout le monde scande la devise à la mode : « Démons de Boko Haram, ramenez les enfants des gens ».

Bien sûr que Boko Haram est un démon, mais il n’est pas seulement au Nigeria, ce démon. Je suis tellement étonné que c’est seulement après l’enlèvement de ces 200 filles que le monde des indignés et des marcheurs a compris que Boko Haram peut faire du mal aux enfants. Ce Boko Haram que nous côtoyons, que cautionnons, que nous sommes tous les jours. Boko Haram, c’est toutes ces femmes qui exploitent à outrance leurs domestiques, et elles sont partout autour de nous. Boko Haram, c’est ces hommes qui font des enfants avec pour seul planning l’adage aussi idiot que toutes les bouches qui le prononcent : «  Dans chaque bouche qu’il fend, Dieu met du mil. » Boko Haram, c’est ces religieux qui marient des filles mineures et qui sont prêts à vous justifier leur crime par des versets coraniques – et ils ne sont pas seulement au Nigeria. Boko Haram, c’est ces pères qui trafiquent leurs filles dans des mariages arrangés contre quelques billets de banque, invoquant, hélas, les sacro-saintes recommandations des traditions africaines, et ces mères complices qui pour toute protestation contre l’avilissement de leurs filles n’ont que leurs larmes à verser –  elles sont des Boko Haram passives, ces femmes pleureuses, mais des Boko Haram quand même ! Boko Haram, c’est tous les acteurs directs et indirects de tous ces réseaux de trafic de jeunes filles de nos pays vers le Liban… Tous ces otages ne sont pas moins en danger que ceux détenus par les islamistes nigérians.

A bien regarder, nous traînons, tous, une fillette ou un garçonnet quelque part en captivité, une fillette ou un garçonnet que nous privons de son éducation, de sa liberté, de son avenir, de sa vie, comme le fait aujourd’hui la secte islamiste de ces 200 jeunes Nigérianes. Et ce serait bien qu’avant de faire des shows médiatiques sous prétexte qu’on voudrait faire libérer les otages du Nigeria par nos marches et nos hastags, nous pensions tout d’abord – parce que c’est normalement plus facile – à libérer nos propres victimes, Boko Haram que nous sommes tous.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Fin)

Jeune homme africain (Crédit image: www.unmondeailleurs.net)
Jeune homme africain (Crédit image: www.unmondeailleurs.net)

Résumé de la neuvième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est pris dans un engrenage, cherchant à acheter des préservatifs, et des lubrifiants pour lui et un commissaire de police libidineux.

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 « C’est le même jour où ta belle-mère découvre que tu as des molaires cariées que ton beau-père aussi découvre que tu as la bouche qui pue. » Un malheur, disent les Toubabs, ne vient jamais seul.

Drapé dans ses déboires, le gigolo peul avait à peine fait une centaine de mètres en direction du Lycée Descartes que la 4X4, tel un Togolais véreux dans le lit de la femme de son voisin, donna de puissants coups de reins, toussa et s’immobilisa au beau milieu de la chaussée. Le tableau de bord montra que la voiture avait une panne sèche. L’infortuné galant eut à peine le temps de pousser un énième soupir de désespoir quand un tintamarre de klaxons monta derrière lui. Il venait de créer un bouchon sur un des boulevards les plus empruntés de Bamako. Un suicide dans une ville où un article tacite du code de la route stipule que tout conducteur ou associé a la droit d’aller frapper sur le pare-brise de la voiture d’un imprudent qui ose bloquer la circulation, jusqu’à ce que cassure totale s’ensuive.

Karim Diallo crut rêver quand, cinq minutes après, il vit la 4X4 poussée sur le trottoir par deux jeunes conducteurs de taxi. Allahou Akbar, Dieu est grand… parfois. Il remercia chaleureusement les bons Samaritains et s’adossa à la voiture, la tête entre les mains, se demandant où il trouverait au moins un billet de deux mille francs pour alimenter la voiture, ses poches étant complètement vides. Mame Thiam, elle, venait d’envoyer son ultime message de menace : « Karim, malgré tout ce que je t’ai donné, tu m’as laissée tomber. Je suis une Sénégalaise et j’ai tellement regardé la mer que mes yeux sont trop propres, on ne me dupe pas. Je vais bientôt envoyer mes gros bras de Bamako te régler ton compte. Adieu. »

Quand l’autre 4X4, blanche, elle, gara juste à côté de lui, il crut que c’était l’une de ses connaissances qui venait de le voir. Allahou Akbar ! Il commença à scruter le visage qui le fixait à travers la vitre de la voiture. Après quelques minutes d’inspection, l’homme, la soixantaine dépassée, à voir ses cheveux presque tous blancs, et les rides de son visage, descendit en s’appuyant sur des béquilles. Il appela Karim Diallo par son nom en souriant, et lui demanda si c’était bien lui. Karim Diallo acquiesça de la tête, n’arrivant toujours pas à reconnaître le visage. L’homme, les yeux luisants soudainement comme ceux d’un chat sauvage, lui demanda s’il se rappelait la dame Safiatou Traoré. Sa voix tremblait, l’homme.

Bien sûr que Karim se rappelait la Safiatou. Cette jeune friandise de cinquante-cinq ans qu’il avait, il y avait deux ans, rencontrée dans un supermarché de Bamako, qu’il avait abordée comme il aborde toutes les vieilles bébés qui lui tapent à l’œil, qu’il avait commencé à draguer sur-le-champ dans le supermarché, qu’il avait réussi à séduire après trois jours de drague sans relâche, qu’il avait chauffée et réchauffée à tous les feux pendant six mois, avant de la laisser tomber pour Awa Koné une couguar prépubère de quarante-huit ans.  Ah, Safiatou la succulente, aussi appétissante sous les draps que généreuse dans son portefeuille ! Safiatou ! Karim avait appris à l’époque que son mari, terrassé par les trois mousquetaires-ennemis des nouveaux semi-riches d’Afrique, le trinôme CDT, Cancer-Diabète-Tension, s’était rendu, hémiplégique, en France, pour se faire soigner. Un grand cadre de l’armée malienne, qu’on disait qu’il était. Ah, Safiatou !

L’homme, sous l’effort qu’il faisait, appuyé sur ses béquilles, suait à grandes gouttes. Ses bras musclés tremblaient.

-« Donc, tu ne me connais pas, hein ? Tu ne m’as jamais vu ? Safiatou ne t’a jamais montré une photo de moi ? »

– « Euh, je, c’est que, euh, je ne vous… » Karim Diallo n’avait plus besoin qu’on lui explique ce qui se passait. Il n’avait pas besoin qu’on lui ait montré une fois la photo du monsieur pour savoir qui il était. « Quand on le piétine froid, qu’on le voit tacheté et luisant dans le noir, on n’a plus besoin de se faire dire que c’est un serpent », dit l’adage.

On m’a raconté comment tu as bien pris soin de ma femme quand j’étais en France, luttant pour retrouver l’usage de mes membres. On m’a pris, à ton insu, une photo de toi, et voici presque un an que je te cherche dans tout Bamako, pour te récompenser. Tu sais, on dit qu’un bienfait n’est jamais perdu, et le proverbe stipule que quand tu donnes un grain de maïs à un poussin, attends-toi, des années plus tard, à ramasser un œuf de ce poussin devenu poule. Karim, le réconfort des femmes des hommes malades, viens, viens je t’offre déjà une de mes béquilles, parce que bientôt je te ferai marcher sur des béquilles, comme moi. Viens, Karim, viens prendre ton futur pied, toi qui aimes tellement prendre ton pied.

L’homme, hercule, laissa tomber une de ses béquilles et tendit le bras à Karim paralysé par la peur contre la 4X4 du commissaire. Au même moment, le chauffeur de la 4X4 blanche et deux militaires armés, les gardes du vieux cocu, voyant que leur patron n’était plus loin de s’écrouler sur sa seule béquille, sortirent en se précipitant vers lui.

Karim avait, à plusieurs reprises, entendu dire que la course pour la vie, on ne la ralentit que pour descendre dans la tombe. Courir pour vivre, absolument ! Il avait, durant toute sa vie, couru derrière des femmes âgées pour survivre. Il fallait, maintenant, courir devant les maris de ces dernières pour vivre. A quelques mètres derrière lui, de la mosquée du quartier, montait le prêche de l’imam qui expliquait aux fidèles comment Dieu était prêt, a toujours été prêt, à accepter les âmes pécheresses qui reviennent à Lui. Il racla tout le courage de son corps, le concentra dans ses jambes, et bondit en direction de la mosquée en hurlant : « Allah, sauve-moi, Allah, les hommes veulent me tuer, les hommes vont me tuer, sauve-moi, Allah, Allah, Allah… »

Fin

Bamako, le 26 avril 2014

© 2014 – David Kpelly – Tous droits réservés

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Neuvième Partie)

Jeune homme africain
Jeune homme africain

Résumé de la huitième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est sauvé des mains d’un tueur djihadiste par un commissaire de police véreux. En récompense de son geste, ce dernier exige que le gigolo aille lui chercher sa maîtresse à l’école avec son 4X4.

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 « A voir la vitesse à laquelle court quelqu’un qui vient de manger une sauce pimentée, on n’a plus besoin de lui demander s’il a la diarrhée ».

Karim Diallo, une fois dans le 4X4 du commissaire de police, s’est très vite rendu compte que ce dernier était un véritable golfeur, tirant en série dans tous les trous qu’il racontait sur son chemin. Quelques indices lui confirmèrent d’ailleurs que le commissaire avait, la nuit passée, commis un énième forfait à la va-vite dans sa voiture, et n’avait pas eu le temps de laver les traces. Des boules de perles en métal coincées dans les encoignures des fauteuils, le bout d’un emballage de préservatif collé sur le tapis du plancher, et, surtout, un fort parfum féminin régnant à l’intérieur. Pas très prudent, ce gros bouc, pensa Karim. Il avait, ce toutou allumé de commissaire, tiré un coup dans la voiture sans nettoyer les traces et envoyait la même voiture chercher une autre conquête. Peut-être que ça ne doit pas être jalouse la maîtresse d’un commissaire de police. De toute façon, entre ruminer en silence la colère d’avoir été trompée et recevoir dix coups de crosse sur la gueule pour avoir osé demander des explications à Monsieur le Commissaire sur celle avec qui il avait joué aux hanches-ball dans sa voiture, le choix doit normalement être très simple pour les maîtresses de Monsieur le Commissaire.

Le 4X4 s’engagea, majestueux sur la route menant au lycée Descartes. Karim Diallo mit la climatisation pour se rafraîchir un peu la tête – ce n’est pas parce qu’on a la hernie qu’on ne peut plus saluer une demoiselle à la croupe pleine. Le lecteur de disques distillait, à travers les puissants haut-parleurs placés aux quatre coins de la voiture, une chanson à la mode, et qui résumait toute la philosophie du commissaire vis-à-vis de ses minettes collégiennes et lycéennes : « Chop my money, chop my money yéééé, chop my money, I don’t care, I don’t care… Hé hé… » L’argent du commissaire, on peut le bouffer comme on veut, le commissaire n’en a cure, il suffit de savoir le rembourser, jusqu’au dernier centime, jusqu’au dernier coup de hanches, dans les chambres d’hôtel et les chambres de passe des Libanais et de leurs cousins directs les Chinois.

A la première pharmacie qu’il trouva sur sa route, Karim Diallo s’arrêta pour faire les commissions peu honorables du commissaire, ces commissions peu répétables un vendredi en plein mois de ramadan. Il ralentit brusquement à quelques pas de l’entrée de la pharmacie, ayant aperçu juste devant la porte un homme, en apparence touareg, ou maure, ou maghrébin, barbu, habillé tout en blanc, la tête enturbannée, un chapelet en main. Une chèvre à l’oreille coupée n’a point besoin qu’on lui rappelle qu’il est dangereux d’entrer dans la cuisine des ménagères, dit le dicton. Karim Diallo venait à peine d’échapper aux coups de couteau d’un tueur en voulant acheter des préservatifs, et ce n’était pas devant le portrait-robot parfait d’un djihadiste qu’il allait acheter des lubrifiants. On ne fuit pas un voleur pour se réfugier chez un sorcier.

Alors que le gigolo peul, désemparé, s’était figé à sa place, pensant à comment procéder pour entrer dans la pharmacie chercher son haram sans qu’un couteau djihadiste ne lui tranche sa tête de cafre, un jeune Ivoirien, hurlant au téléphone son accent ivoirien et ses substantifs sans articles, vint passer à côté de lui, se dirigeant vers la pharmacie. Une aubaine, car le jeune Ivoirien, c’est notoire, est un dieu de la provocation, capable d’acheter n’importe quoi n’importe où et devant n’importe qui sans la moindre réserve, la moindre crainte. Même sous les yeux de cent imams yéménites dans cette pharmacie, un jeune Ivoirien qui se respecte est capable de se pointer et lancer au pharmacien : « Mon frère, file-moi vite deux boîtes de lubrifiants, y a une petite-là à qui je veux faire mal midi-là. » Le deal fut réglé et le jeune Ivoirien accepta d’aller acheter les lubrifiants pour Karim qui lui tendit, en le remerciant de mille voix, le billet de dix mille francs du commissaire. Allahou Akbar ! Ouais, Dieu est grand, et Il n’oublie jamais Ses enfants… euh… des fois.

Une quinzaine de minutes plus tard, fatigué d’attendre son émissaire qui ne sortait pas, Karim Diallo entra dans la pharmacie et eut la désagréable surprise de constater qu’elle avait une autre porte de sortie derrière. Quand une maison brûle, on ne demande pas où sont passées ses souris. Karim Diallo avait compris, le jeune Ivoirien s’était tiré avec ses dix mille francs, enfin, ceux du commissaire. Au bord de la dépression nerveuse, il plongea la main dans sa poche pour faire l’achat du commissaire avec ses propres dix mille francs, le reste de ses économies, en attendant le pactole de Mame Thiam. Mais il se rappela très rapidement, devant le vide que rencontrèrent ses mains dans ses poches, qu’il avait laissé ses dix mille au pharmacien qui lui vendait les préservatifs dans la première pharmacie, et n’avait pas eu le temps d’avoir le reliquat avant que le djihadiste battu ne bondisse, enragé, dans la pharmacie.

Fatigué, frustré, énervé, déçu, le chasseur de couguars sortit de la pharmacie les deux mains aux hanches, la tête baissée. Son téléphone portable manquait d’exploser sous les appels et les messages de menace de Mame Thiam qui lui rappelait à chaque mot comment une Sénégalaise peut être aussi désagréable qu’un chep djen décomposé, quand on refuse de la chauffer. Il décida d’aller rapidement chercher la maîtresse du commissaire qui attendait sûrement sous le soleil et l’amener à l’hôtel. Mame Thiam, il s’en chargerait juste après. De deux maux, il faut choisir le moindre, disent les Toubabs, caleçon troué vaut mieux que fesses nues, dit l’adage populaire. Il valait mieux avoir sur le dos une mémé sénégalaise nymphomane énervée qu’un commissaire dopé d’un mortel Viagra nigérian sevré de son butin du vendredi.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Huitième Partie)

Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com)
Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com)

Résumé de la septième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est surpris par un extrémiste musulman alors qu’il achetait des préservatifs. Il est poursuivi par le tueur et n’a d’autre refuge qu’un commissariat de police.

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Il fallut aux deux policiers plus d’une dizaine de minutes pour arriver à faire sortir l’infortuné djihadiste du bureau du commissaire pour le diriger vers la cellule des gardes à vue, ce dernier, agrippé des deux mains au bureau du commissaire, hurlant que wallahi, même si on l’enfermait pendant mille ans, à sa sortie il chercherait ce cafre pour l’égorger, le dépecer et donner sa chair faisandée et souillée aux charognards, il sortirait, oui, il sortirait un jour inch Allahou, et il éliminerait un à un tous les cafres, les enfants de chaytan, de la société malienne, après avoir fini avec les cafres du Mali il irait exterminer les cafres des autres pays africains, et après eux il s’attaquerait au cafre des cafres, l’Occident, qu’il ne mourrait pas, wallahi billahi, jamais il ne mourrait tant que tous les vendeurs de haram n’auraient pas disparu de la face de la Terre, inch Allahou !

Après la sortie de l’enragé, le commissaire expliqua à Karim Diallo qu’il ne tolérait, lui Sory Diarra, aucune forme d’extrémisme religieux, car pour lui, la société malienne était gangrénée par trois menaces qu’il fallait coûte que coûte combattre : les Libanais, l’extrémisme religieux, Canal +. Les Libanais parce que ces gros chiens poilus non seulement ils étaient des dealeurs de drogue sans vergogne, mais aussi ils n’investissaient que dans la débauche et l’immoralité, faisant pousser des bars, des boîtes de nuit, des hôtels, des motels, des chambres de passe, des boîtes de striptease… partout à Bamako. L’extrémisme religieux parce qu’il finirait, si on lui laissait une petite place dans la société malienne, par déchirer des hommes soudés sans distinction de religion depuis des siècles. Canal+ parce que c’était à cause des films cochons qu’elle passait sur ses chaînes que toutes les jeunes filles avaient commencé à porter des strings et des décolletés, entraînant les hommes mariés sur les chemins de la perdition, que c’était toujours à cause d’elle, la bâtarde Canal+, que les femmes mariées ont commencé à regarder des feuilletons et à se rebeller contre leur mari parce que ces derniers ne les choyaient pas comme les hommes blancs le faisaient à leurs femmes dans les films…

Karim Diallo se leva pour prendre congé du commissaire qui continuait de disserter sur sa haine contre les Libanais et leurs cousins directs les Chinois, l’extrémisme religieux, et Canal+. Depuis l’hôtel, Mame Thiam le harcelait par SMS, lui rappelant qu’elle l’attendait, qu’elle devait s’en aller dans moins de deux heures, qu’elle ne lui pardonnerait jamais s’il lui faisait perdre son temps…Karim Diallo voulut donc se presser pour aller rapidement ingurgiter son Chep Djen sénégalais qui, tout le monde le sait bien, n’est agréable à manger que quand il est chaud, mais le commissaire lui ordonna de se rasseoir. Il lui demanda s’il avait un permis de conduire. Affirmative.

« Ok, écoute moi, tu sais, la vie c’est du donnant-donnant, tu me grattes les couilles je te gratte la tête. Je t’ai sauvé des griffes de ce dangereux extrémiste qui était prêt à te décapiter, maintenant c’est à toi de me rendre la monnaie. Euh, comment te le dire, je vais t’envoyer avec ma bagnole, tu vas aller au lycée Descartes me chercher une amie, bon, euh, bah oui, une amie, et me la déposer à l’hôtel Mirador pas loin d’ici. Tu connais l’hôtel Mirador et le Lycée Descartes, j’espère. T’inquiète, ça te prendra au plus trente minutes la course, et tu pourras partir tranquillement chez ta grande coquette. Je t’offrirai même un paquet de préservatifs à ton retour pour aller jouer ton match sans risques, j’en ai une montagne de paquets dans mon tiroir ici. Euh, tu sais, c’est mon chauffeur qui me faisait la course avant, mais j’ai remarqué il y a quelques jours qu’il n’est plus sérieux, il file des infos à ma femme, alors que moi-même je ne peux pas aller me planter devant ce lycée si peuplé pour chercher une petite qui n’est pas ma fille, tu connais la bouche des gens dans ce pays. Rends-moi donc ce petit service aujourd’hui, le temps que je le vire, l’idiot, pour prendre un autre chauffeur. Pas de souci, je vais informer la petite que tu arrives, elle connaît très bien la voiture. Tu la déposes juste devant l’hôtel et tu reviens, je pars la rejoindre à ton retour. J’ose croire que tu n’es pas assez imprudent pour oser penser vouloir fuir avec la voiture d’un commissaire de police. Bah non, tu ne peux même pas oser ça, tu n’es pas un Camerounais ou un Ibo, encore moins un Libanais. Ou bien ? »

Karim Diallo faillit éclater en sanglots. Il voulut expliquer au commissaire que chaque minute qui passait jouait contre lui, Mame Thiam était en train de lui échapper avec son argent, alors qu’il comptait sur le pactole de ce midi pour se lancer dans une vraie activité, une activité digne, et arrêter sa carrière de gigolo… mais le commissaire, en lui tapotant sur l’épaule, lui murmura d’une voix mi-amicale mi-menaçante : « Ecoute, la petite qui t’attend n’est pas du glaçon, elle va quand même pas se fondre si tu arrives chez elle avec une petite demi-heure de retard, voyons … Ah, tiens, cherche de l’essence pour l’engin, et deux boîtes de lubrifiants Manix dans une pharmacie sur ta route, tu me laisses une boîte dans la voiture et tu prends une. Ou bien tu les utilises pas, les lubrifiants ? »  Il lui tendit un billet de dix mille francs et la clé de sa 4X4 garée juste devant son bureau.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Septième Partie)

Jeune homme africain
Jeune homme africain

Résumé de la sixième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est surpris par un extrémiste musulman alors qu’il achetait des préservatifs dans une pharmacie, un vendredi, en plein mois de ramadan. Haram!

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Karim Diallo n’a jamais été un bon acrobate  – du moins hors du lit d’une couguar,  mais quand, ce midi, il tourna la tête, alerté par les cris du djihadiste blessé, et vit ce dernier entrer en fracas dans la pharmacie son long couteau luisant levé au-dessus de la tête, il ne chercha même pas à savoir celui que l’enragé voulait égorger, et bondit hors de la pharmacie par la seconde porte. La tête haram du cafre peuhl venait de tenir à une seconde, puisqu’au même moment où il venait de s’échapper de sa place, le long couteau du fou de Dieu s’écrasa sur le comptoir en bois, sous le cri horrifié du pharmacien qui demandait en hurlant au tueur ce qu’il voulait. « Ce que je veux, hein, tu me demandes ce que je veux, hein, tuer ce cafre qui ose acheter ce que tu lui vendais ce jour béni, en ce mois béni où tout bon musulman doit se tenir loin des péchés de ce monde. Je vais le poursuivre, je vais aller l’égorger, et quand j’aurai fini de le décapiter, je reviendrai te tuer toi aussi », suffoquait El Hadj Hassan en s’élançant hors de la pharmacie, se dirigeant vers Karim Diallo qui s’était arrêté sous un arbre juste devant la pharmacie, ne sachant pas encore que c’était à lui qu’en voulait l’égorgeur de cafre.

La guenon qui court pour aller gratter les couilles de son amant et celle qui s’échappe devant la massue d’un chasseur n’ont pas les mêmes enjambées, sagesse des anciens.  Quand Karim Diallo comprit que c’était sa tête que voulait ce fou qui hurlait vers lui la machette toujours levée, un homme qu’il ne connaissait ni d’Adama ni d’Hawa, il se lança dans une course effrénée sur la route pavée devant lui, criant « Au secours, sauvez-moi, au secours » pour attirer l’attention des passants se dirigeant tous en hâte vers la mosquée du quartier. Bizarrement, aucun des religieux pressés ne sembla s’intéresser à lui et à son chasseur, personne n’étant disposé à fourrer son nez dans une obscure affaire où un vieux barbu en boubou blanc poursuivait un jeune homme en jeans et T-shirt moulant, en pleine heure de la grande prière.

Karim Diallo courait depuis plus de cinq minutes, hurlant toujours au secours, poursuivi par le djihadiste qui criait toujours dans son dos qu’il allait l’égorger wallahi ! Et toujours personne ne semblait s’intéresser à la scène. Seuls quelques enfants de rue rachitiques, se ressemblant tous par la rondeur de leur ventre, leurs cheveux sales,  et leurs yeux de chauves-souris cherchant désespérément à qui transmettre Ebola, seuls ces badauds pullulant dans tous les coins et recoins de Bamako,  boîtes de tomate en main,  lançaient des éclats de rire poussifs à leur passage. Le gigolo sentait ses forces faiblir et la distance entre lui et le tueur se rétrécir.  Il courait très vite, le presque-imam, malgré son âge, puisqu’il y avait juste quelques mois il détalait dans les dunes chaudes du Nord-Mali, avec ses collègues d’Ansar Dine, de Boko Haram et du Mujao (Mouvement pour l’unicité e le djihad en Afrique de l’Oeust), feintant les bombes, balles, grenades et autres petits bijoux mortels que les cafres de l’opération Serval leur envoyaient depuis leurs hélicos.

Quand Karim Diallo commença à sentir le souffle du disciple de Mokhtar Belmokhtar dans son dos, il se résolut à aller chercher son salut dans cet endroit où même le citoyen le plus étourdi, le plus fou, n’attendrait aucune aide dans ce pays. Le commissariat de police situé juste à une centaine de mètres. Oui, la police, elle-même ! En trois enjambées, il vira dans une ruelle, dévia la tête pour feinter le couteau du tueur de Dieu qui sifflait sous sa nuque, et vit le portail du commissariat qui s’ouvrait à lui, large, comme une nouvelle péripatéticienne devant un bon payeur. Deux jeunes policiers, assis devant le commissariat, se précipitèrent et s’interposèrent entre la proie et son prédateur.  L’ex-djihadiste fut désarmé de son long couteau, alors qu’il jurait toujours que wallahi, même si ce fils de chien partait se réfugier dans l’anus d’une tortue, il irait l’arracher et l’égorger wallahi. On les conduisit chez le commissaire Sory Diarra.

Sur sa carte de visite, Sory Diarra marquait « Commissaire de police » comme profession. Un grand bluff, puisqu’il ne se rendait au commissariat de police, sous sa casquette de commissaire, qu’une ou deux fois par semaine. Sa vraie profession était le rackettage des noctambules étourdis qu’il dépouillait par centaines de leurs billets de banque chaque nuit avec une troupe de policiers non gradés qu’il amenait en patrouille dans le quartier. Dragueur généraliste à ses heures perdues – il avait, chaque jour, au moins 20 heures perdues sur les 24, il s’était spécialisé, il y avait quelques mois, en dépucelage des jeunes collégiennes et lycéennes, depuis qu’une généreuse âme lui avait conseillé qu’à cinquante ans sonnés, il avait besoin de renouveler son sang avec celui des petites filles de seize dix-sept ans pour garder sa fraîcheur et repousser un peu la vieillesse, ennemie implacable et bâtarde.

Quand les deux parties finirent de lui exposer les faits, le commissaire Diarra, consommateur immodéré de préservatifs Manix, ordonna en colère qu’on enferme l’ex-djihadiste pour tentative de meurtre prémédité. Il prit soin de lui expliquer, à l’imam raté, que le Mali restait et resterait toujours un pays laïque, que chacun avait le droit d’acheter ce qu’il voulait et n’importe quand, que s’il voulait un pays islamique, il n’avait qu’à retourner au Nord-Mali y déloger l’ONU et toute sa racaille habillée et y réinstaller ses gourous extrémistes.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Sixième Partie)

Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com
Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com

Résumé de la cinquième partie:  Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se prépare à aller rencontrer Mame Thiam, une de ses conquêtes. Il se rappelle ses déboires durant sa carrière de gigolo…

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 Karim Diallo finit sa longue toilette et son flash-back de gigolo infortuné, s’apprêtait à sortir et aller rejoindre Mame Thiam qui l’attendait à l’hôtel quand il se rendit subitement compte qu’il était en manque d’outils de travail. Il avait épuisé, se rappela-t-il, son stock, il y avait deux jours, dans la chambre de la jeune Ouleymatou Traoré, une septuagénaire qu’il avait dénichée dans une boîte de nuit pour vieilles branchées, quand cette dernière noyait sa dépression dans un verre de Whisky, lâchée trois jours avant par son pointeur, un jeune danseur de vingt-cinq ans ayant préféré suivre une touriste allemande qui lui promettait visa, mariage et fortune à la seule condition qu’il accepte de la suivre pour le pays de pépé Goethe. Karim Diallo s’était approché de la cocue et avait réussi très facilement à la convaincre d’oublier le danseur, il pouvait le remplacer valablement. Ils s’étaient retrouvés quelques minutes après dans la chambre d’Ouleymatou, dans son lit. La nuit avait été très longue, Ouleymatou ayant besoin de rattraper les trois jours d’abstinence que lui avait imposés son amant déserteur. Tout le stock de préservatifs, de Viagra et de lubrifiants du gigolo peul y était passé.

Midi venait de sonner quand Karim Diallo sortit de sa maison et se dirigea vers la pharmacie du quartier pour s’approvisionner. Mame Thiam, pressée, avait déjà appelé deux fois, lui demandant de se presser pour la rejoindre. Elle prenait l’avion pour le Sénégal à quinze heures, et n’avait donc que deux heures pour s’amuser. Très exigeante, celle-là. Elle ne blaguait pas avec les humeurs de sa libido vieille et capricieuse. Elle payait très bien, mais exigeait en retour un travail bien fait. Karim connaissait son éternelle chanson par cœur : « Moi, Mame, fille d’Oumar Thiam et de Bintou Sy, tout le monde me connaît au Sénégal du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest pour mon honnêteté. Je paie toujours quand on me livre un travail bien fait, mais je sais aussi sévir quand on ne me satisfait pas. J’ai laissé mon nom dans les oreilles de tous les jeunes vigoureux de Dakar, de Thiès, de Gorée… Tu me satisfais je te paie, tu me déçois je te punis. Je suis comme le tchep djen, quand je veux être délicieuse je le suis, mais quand je veux être désagréable je le suis aussi. »

Le mois de ramadan battait son plein, et de toutes les ruelles, de toutes les maisons, de tous les coins du quartier, surgissaient des grappes de croyants mahométans, tous habillés en boubous blancs, nattes sous les bras et chapelets en main, se dirigeant vers la mosquée du quartier où le muezzin avait commencé à faire pleurer sa voix, appelant à la prière. Des mottes de crachats, blanches comme du coton pour certaines, teintées au rouge par la noix de cola pour d’autres, se croisaient dans le vide, lancées dans tous les sens par les bouches édentées ou presque des jeûneurs, et s’écrasaient sur le macadam, sitôt effacées par des pieds aussi maladroits que pressés. L’époque de l’année où il faut circuler dans les embouteillages de Bamako avec la même attention qu’un nouveau gendre lavant les couilles hernieuses de son beau-père, pour ne pas se retrouver la tête enveloppée sous un voile de crachat.

Comme tous les croyants, les vrais, El Hadj Hassan Ben Haidara pressait les pas pour vite arriver à la mosquée et y trouver une bonne place. Voici six mois qu’il était revenu du Nord-Mali où il avait combattu aux côtés des islamistes pour l’instauration de la charia sur toute l’étendue du territoire malien. Le quartier l’identifiait toujours sous la casquette de cet homme pieux, plébiscité par tous les croyants de sa mosquée pour être imam, avant d’être surpris, deux jours avant sa prise officielle de fonction comme imam, dans une des boîtes de strip-tease les plus obscènes de Bamako, le phallus dans la bouche d’une pute mineure, la tête entre les cuisses d’une autre. L’affaire avait fait grand bruit et beaucoup de jeunes musulmans du quartier avaient décidé de l’égorger, le contraignant à s’enfuir pour le Nord, à se radicaliser, puis à prêter main-forte aux fondamentalistes qui se battaient contre les armées françaises et africaines. A la victoire des cafres, il avait fui, comme ses compagnons d’armes, et était revenu dans son quartier bamakois, ruminant en silence ses hontes d’imam raté, ses envies de djihadiste battu, attendant impatiemment le jour où la moindre occasion se présenterait à lui pour sélectionner les vrais croyants et exterminer les impurs.

Ce fut au moment où cette montagne de déceptions, de frustrations, de honte et d’échecs, Aladji Hassan Ben Haidara, passait devant la pharmacie du quartier que le pharmacien tendait à Karim Diallo debout devant le comptoir un gros paquet de préservatifs. Le sang de l’ancien djihadiste ne fit qu’un seizième de tour, quand il vit l’horreur. Donc, en plein mois de carême, de ramadan, un vendredi, à quelques minutes de la prière, ce jeune cafre, dix fois cafre, cent fois cafre, mille fois cafre, se permettait d’acheter des… des… des quoi déjà, hein… il se permettait, ce jeune impur criminel, il se permettait d’acheter l’innommable, l’impensable, l’imprononçable pour un bon musulman en ce mois béni, ce jour, cet instant ! Il achetait le haram, ce garçon ! En un bond, l’imam raté sauta, se saisit du long couteau d’un boucher vendant du mouton au bord de la route, et bondit dans la pharmacie en hurlant : « Haram, Haram, HaramAstafourlai, je vais t’égorger ce midi, chaytan, chaytan, wallahi, je vais t’égorger, comment tu peux acheter ça en ce moment où on doit prier Allah, hein, comment tu peux acheter ça pendant le mois de ramadan, hein, wallahi, je vais t’égorger, je dois t’égorger, vieux cafre, meurs, impur, meurs, chaytan, je vais t’égorger, je dois t’égorger, chaytan… »

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.