David Kpelly

Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Cinquième Partie)

Jeune homme noir avec des dreadlocks (Crédit image: www.afrocoiffure.blogspot.com)
Jeune homme noir avec des dreadlocks (Crédit image: www.afrocoiffure.blogspot.com)

Résumé de la quatrième partie : Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se rappelle les moments forts de sa carrière, notamment sa mésaventure avec la vieille Youma où ses couilles furent pilées comme du foufou.

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Karim Diallo s’était retrouvé à l’hôpital pendant deux mois, les docteurs ayant eu de très grandes difficultés pour remettre en ordre l’assiette de tchep dien sénégalais qu’était devenu son entrecuisse. La première semaine de son hospitalisation, son moteur avait refusé de démarrer, restant aussi froid que le museau d’un chien même devant les films pornographiques chinois les plus chauds qu’il regardait dans son téléphone portable pour allumer son excitation. Il avait passé les sept jours de ce périple à pleurer, se rappelant cet adage d’un de ses grands-pères qui stipulait qu’un homme impuissant en bas est aussi vulnérable qu’une tortue sans carapace, aussi méprisable qu’un lion sans griffes, aussi ridicule qu’un caïman sans dents. Les docteurs l’avaient rassuré, lui affirmant que ça allait finir par revenir, que ses nerfs n’avaient pas été complètement touchés, qu’ils allaient très rapidement recommencer à travailler et son serpent à se dresser à la moindre tournure de hanches insolite d’une femelle.

Dix jours d’hospitalisation et des centaines de films obscènes après, il avait retrouvé son érection, et bien qu’elle fût aussi lente que celle d’un octogénaire nigérien veuf, aussi faible que celle d’un diabétique hypertendu, il avait remercié Allah dans Sa très grande Miséricorde, se réconfortant avec le dicton « Caleçon troué vaut mieux que fesses nues ». Une érection, aussi faible, lente, et timide soit-elle, reste une érection. Allah soit loué ! Puis, avec les soins, elle était progressivement revenue, se solidifiant au fil des jours, cette satanée érection qui avait failli le trahir. Les morceaux de couilles, eux, avaient mis plus de temps à se recoller. Il avait quitté l’hôpital avec le ferme serment de désormais savoir canaliser sa libido et réserver ses puissantissimes coups de reins à sa future femme.

Mais le serment n’avait duré que quelques semaines, le gigolo ne se nourrissant pas de serment et d’eau fraîche. L’étalon peul avait recommencé à fréquenter les coins nocturnes chauds, traquant les vieilles nymphomanes et leurs portefeuilles avec la même détermination qu’un islamiste paumé sahélien à la recherche d’un Français perdu dans le Sahara. Il avait laissé Youma la généreuse, sachant pertinemment que le jour où son anti-balaka de fils le surprendrait encore en train de la chevaucher, il ne se contenterait plus seulement de préparer du hamburger avec ses couilles comme il l’avait fait la première fois, mais les lui trancherait tout simplement comme on castre un mouton. On lui avait, d’ailleurs, conseillé un nouveau segment de vieilles nymphomanes, exigeantes, certes, mais qui payaient extrêmement gras, et en devises étrangères. Les vieilles touristes blanches.

Les vieilles touristes blanches, cette horde hétéroclite composée en grande partie de nymphomanes ménopausées qui s’abattent, comme des gnous affamés, sur l’Afrique pendant les vacances, à la recherche, disent-elles, de merveilles exotiques, alors que le seul exotisme qui les intéresse sur place, pour lequel elles sont venues, se trouve dans les coups de reins de ces jeunes hommes africains musclés de la poitrine et du phallus, poilus comme les couilles d’un bouc, capables, avec quelques feuilles de haschich dans les narines, de faire jouir une momie de dix siècles.

Karim Diallo, après s’être fabriqué à la hâte des dreadlocks – les vieilles touristes blanches nymphomanes ayant une affection particulière pour les rastas, les rappeurs, les danseurs et tout saltimbanque équivalent, pourvu qu’il sache suffisamment se droguer pour suffisamment les satisfaire, Karim Diallo, après s’être, donc, fait rasta, avait réussi à en dénicher une, une très jeune Italienne de 64 ans, venue au Mali, disait-elle, explorer le vaste et magnifique pays Dogon. Un pays Dogon qui s’était limité à son hôtel de Bamako où Karim Diallo l’avait rencontrée un soir, l’avait draguée pendant une dizaine de minutes, l’érection à fleur de phallus, avant de la faire monter dans sa chambre à elle, lui montrer sous des draps douillets le vrai pays Dogon que la plupart de ses sœurs se bousculaient pour venir visiter au Mali toutes les vacances.

Charmée par ce pays Dogon inimaginable, l’Italienne avait demandé à Karim de rester avec elle à l’hôtel durant les six semaines que devait durer son voyage au Mali, pour lui faire découvrir le pays Dogon toutes les heures, contre quelques dizaines d’euros par jour. Le gigolo avait accepté l’offre avec joie, et ensemble ils avaient fait un énorme stock de préservatifs, de lubrifiants et de Viagra, de quoi découvrir tous les coins et recoins du pays Dogon pendant six semaines. Mais une nuit, durant leur cinquième semaine de vie commune à l’hôtel, après une chaude séance de redécouverte du magnifique pays Dogon, l’Italienne avait sorti de ses affaires un godemiché aussi gros qu’une amulette dogon, aussi dur que le flanc d’une montagne dogon, et avait demandé à Karim de s’agenouiller sur le lit, c’était son tour à elle de lui faire découvrir leur pays Dogon d’Italie ! Le gigolo peul, n’ayant aucune envie de connaître le pays Dogon d’Italie, avait détalé, traversant tout le hall de l’hôtel, une serviette autour de la hanche, en hurlant : « Non pas ça, je suis hétéro, non pas ça, je suis hétéro… »

Après ce nouvel accident de travail, le gigolo avait tracé sur le segment des touristes blanches, et était retourné vers les nymphomanes noires, l’urine revenant toujours couler sur la cuisse après ses errances. Deux semaines après, il avait fait la rencontre d’une jeune femme d’affaires sénégalaise de 66 ans, Mame Thiam, ancienne épouse d’un ministre du président Senghor reconvertie en femme d’affaires et cougar après la mort de son mari. Elle venait une ou deux fois par an faire des affaires à Bamako, et le contrat était que Karim la détende durant ses séjours dans la capitale malienne. C’était, justement, chez elle que le gigolo peul se rendait ce midi. Elle attendait à l’hôtel.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Quatrième Partie)

 

Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.fr)
Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.fr)

(Quatrième Partie)

Résumé de troisième partie : Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se rappelle les moments forts de sa carrière, notamment son aventure, au lycée, avec sa prof d’allemand.

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Karim Diallo, le peuhl, et sa vache, sa prof d’allemand, s’étaient aimés pendant presque six mois. Mais, jouissances après ébats amoureux, ébats amoureux après caresses, caresses après mots doux, la jeune prof d’allemand avait fini par retrouver ses vraies envies de femme, les braises du désir qui s’étaient endormies en elle avec les déceptions amoureuses recommençant à s’activer. Elle avait recommencé à vouloir d’un homme avec qui vivre, à rêver mariage. Et un matin, en regardant dans la glace de sa conscience, elle avait remarqué que le jeune peuhl, son amant, même s’il avait des coups de reins aussi puissants que ceux d’une star de porno en quête d’un rôle majeur dans une superproduction, restait son élève, un élève trop jeune, un élève trop nul en classe, dont l’avenir ne présageait rien de potable. Elle voulait d’un homme épousable. Et elle mit fin, un soir, à sa relation avec le jeune puissant étalon peuhl. La grosseur des testicules ne fait pas d’un chevreau un bouc, sagesse des anciens.

Le gigolo junior, fort de son expérience de six mois avec une femme plus âgée que lui, avait pris confiance en lui-même, et s’était découvert des vrais talents cachés au lit. Car il y avait une chose dont il était sûr, si sa prof d’allemand l’avait laissé tomber, ce n’était pas parce qu’il était mauvais au lit, ah ça non ! On n’apprend pas à un peulh à consoler puis traire une vache, de surcroît une qui pleure. Son amante l’avait toujours félicité en le taquinant après leurs parties chaudes : « Karim, tu sais, tu as tout ce qu’il faut au lit pour combler une femme. Dieu sait si bien faire les choses, il t’a mis dans le phallus tout ce qu’il ne t’a pas mis dans la tête. Tu es aussi formidable au lit que tu es bouché en classe. Ton phallus te servira mieux dans la vie que ta tête.»

Il avait échoué au bac cette année avec une moyenne très minable, trois au lieu de dix pour passer et avait été exclu de son lycée. Le proviseur, dragueur infortuné de son ancienne amante, la prof d’allemand, et qui à un moment avait été mis au parfum de leur idylle, avait pris un savoureux plaisir, avec cette grande jouissance que donnent les revanches qui viennent au bon moment, de lui mettre sur son bulletin de fin d’année une observation du genre : « Elève taré qui ne comprend rien dans aucune matière. Ne doit être accepté dans aucun autre lycée car ne pouvant jamais réussir au bac. » Il n’avait pas regretté une seule seconde les salles de classe. Ce n’était pas son élément. Il n’était pas venu au monde avec un stylo en main, mais un phallus en érection. C’était un signe. Il devait utiliser son don. Le phallus. Rien que ça. Il allait devenir un gigolo professionnel, gagner sa vie en satisfaisant les envies érotiques des vieilles femmes, avait-il décidé une nuit.

En quelques jours, grâce à Internet et certains de ses amis spécialistes des nuits, il avait réussi à collecter les adresses des plus grands coins de débauche de Bamako, et avait même découvert, par les rumeurs, l’existence de deux obscurs et curieux clubs, AFALDEBRAM : « Association des femmes âgées libres, décomplexées et branchées du Mali » et FACHAUMA « Femmes âgées mais chaudes du Mali », deux groupes de vieilles nymphomanes de la soixantaine et plus, recyclées à coups de mélanges cosmétiques chinois et nigérians, qui prenaient d’assaut, chaque nuit, les boîtes de nuit et maquis bamakois, à la recherche de jeunes hommes bio suffisamment vigoureux pour aller chercher aux confins des restes de leurs défunts clitoris un semblant d’orgasme pour titiller les égos de leurs libidos atrophiées.

Plus à l’aise qu’un ouvrier chinois dans une boîte de strip-tease ghanéenne, Karim Diallo s’était très rapidement fondu dans la masse du dévergondage sexuel, ayant réussi juste après trois jours à mettre la main sur une sexagénaire, Youma Sangaré – peuhle comme lui, se présentant comme une pauvre veuve traumatisée après la mort de son mari par sa belle-famille, et décidée, disait-elle, à manger la vie avant de mourir, pour rattraper toutes ces années de privation et de frustrations qu’elle avait subies au foyer de son défunt mari. Dès leur première partie chaude, Karim Diallo, avec l’agilité d’un policier togolais lançant des gaz lacrymogènes à des étudiants, l’avait tellement tournée, retournée, tourneboulée, retourneboulée qu’elle avait joui en hurlant : « Oooohhhhh, Karim mon bébé, demain matin je te fais un chèque de cinq cent mille francs, tu es trop top, ooohhhh Kariiiiimmmm ! » Il avait eu son chèque de cinq cent mille francs le lendemain, et la clé d’un scooter chinois une semaine après. Un ange, la vieille-jeune Youma.

Mais il y avait eu ce jour où, alors qu’il était, une longue cravache en main, en train de cravacher sa jeune jument de soixante ans, avec la même hargne qu’un patron libanais chevauchant sa domestique africaine, le fils aîné de la vieille barbaque, informé de la nouvelle relation honteuse de sa mère, avait fait irruption dans la pièce après avoir défoncé la porte, s’était jeté sur lui avec la rage d’un fauve affamé, et avait commencé à lui asséner de violents coups de poings dans le ventre, partout sur le visage, et, pire, sur les couilles, malgré les cris de rage de sa mère qui hurlait, paniquée : « Oumar, laisse ce garçon, je te dis de laisser ce garçon, qu’est-ce que tu crois, hein, tu crois qu’il était en train de me faire quelque chose, hein, eh bien, tu te trompes, dis-moi, qu’est-ce que moi, ta mère, une femme de soixante ans, je peux faire avec un si jeune garçon qui peut être mon petit-fils, hein, non, c’est un gynécologue, il était juste en train d’introduire en moi un produit pour guérir mon cancer du col de l’utérus, je te jure, le Prophète, Paix et Salut sur Lui, m’est témoin, wallahi, je ne faisais rien de grave avec ce garçon, eh bien, est-ce que tu écoutes ce que je te dis, hein, si tu ne laisses pas ce garçon sur-le-champ je vais aller prendre le Coran et lire un verset pour te maudire, fils rebelle… » L’infortuné gigolo réussit à se sauver de la pièce, n’ayant pour toute couverture pour ses couilles presque réduites en foufou que ses deux mains.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Troisième Partie)

Jeune homme africain (www.123rf.fr)
Jeune homme africain (www.123rf.fr)

Résumé de la deuxième partie : Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se prépare à aller chez une de ses conquêtes. Il repense à son long chemin vers sa carrière de gigolo.

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Karim Diallo se rappelait très bien, il avait tiré son premier coup de gigolo à succès durant sa deuxième année au lycée, en plein cœur de ses frustrations. Il avait dix-huit ans. Ce fut avec sa prof d’allemand, Mariam Keita, une jeune vieille fille de vingt-neuf ans rescapée de cinq ans de chômage et d’une dizaine de déceptions amoureuses.

Naïve comme les seins d’une vierge, elle avait cru, la Mariam Keita, comme elle le lisait dans les guides de l’étudiant, qu’avec un diplôme en allemand elle pouvait trouver du boulot comme traductrice dans une institution internationale, interprète pour une grande société internationale, chargée de communication grassement payée dans une ONG allemande venue gaspiller, comme la plupart des ONG occidentales, ses ressources en Afrique soi-disant qu’elle lutte contre la pauvreté, l’analphabétisme et le sida… Elle avait fini par comprendre, après cinq ans de chômage, que non seulement son diplôme d’allemand ne l’aiderait à trouver aucun vrai boulot, mais aussi il la leurrait, lui faisant croire que les jeunes chauffeurs, mécaniciens, enseignants, infirmiers, agents commerciaux… qui lui faisaient la cour n’étaient pas assez dignes d’elle. Et les années ont passé pour elle et son diplôme. Elle s’était regardée dans la glace un matin pour voir qu’elle venait de fêter ses vingt-huit ans et sa onzième déception amoureuse, et que les hommes qui faisaient désormais sonner son téléphone étaient tous de la cinquantaine et soixantaine, des étalons « has-been » dégoûtés par les froideurs nocturnes de leurs vieilles épouses à la maison, et qui ne comptaient venir chez elle que pour ressusciter leur libido à l’agonie. Révoltée, déçue, humiliée, raillée par son entourage même ses parents, elle s’était résolue à faire le métier qu’elle détestait le plus, l’enseignement, qui, comme un conjoint indésirable, mais amoureux, lui ouvrait grandement les bras. Elle était devenue enseignante d’allemand au lycée à vingt-neuf ans, et avait mis tous les hommes, leurs mensonges et leur phallus sur une liste rouge.

Karim Diallo, élève médiocre en allemand, et sa prof s’étaient rapprochés un soir, après les cours, quand il trainait devant la classe, attendant un de ses camarades, et que la prof était assise dans la classe, corrigeant des copies. Karim Diallo l’avait entendu éclater subitement en sanglots, et avait cru que c’étaient leurs insolences sur les copies qui la mettaient dans ses états. Ayant grandi en vrai Peuhl, malgré ses frustrations, et disposé à mettre la femme au même niveau qu’une vache, c’est-à-dire un vrai trésor à entretenir avec minutie, il avait bondi dans la classe, et avait surpris la prof écroulée sur son bureau, tout le visage inondé de larmes. Une vache qui pleure, devant un Peuhl ! Il s’était plié en quatre, avait osé une main sur le dos de la prof, lui avait demandé ce qu’elle avait, s’il pouvait l’aider, s’il pouvait lui chercher un peu d’eau…

Elle n’avait pas, la prof, répondu et avait pleuré pendant plus d’une heure, sous les supplications et consolations de Karim qui lui demandait de juste lui dire ce qu’elle avait et il allait l’aider, il ne la voyait pas comme une femme, mais comme une vache, et il était prêt à même donner sa vie pour régler son problème… Non, elle devait arrêter de pleurer, de pleurer devant lui un Peuhl, la vache… Puis elle s’était calmée, et ensemble ils avaient arrangé ses affaires.

Quand Karim lui avait proposé de la raccompagner chez elle, elle avait d’abord hurlé non d’une manière catégorique, se disant que ce n’était pas normal, logique, qu’un élève, un si jeune élève la raccompagne chez elle, fût-elle déprimée. Karim avait insisté, il ne pouvait pas, lui un Peuhl, laisser une vache qui pleure rentrer seule chez elle, non, il ne le pouvait jamais… Elle avait encore dit non, mais avec moins d’énergie, se rappelant que sa maison était vide, que si elle rentrait seule elle passerait toute la soirée à pleurer sans consolateur, et il n’y a rien de plus horrible pour une femme que de pleurer sans avoir de consolateur. Et quand Karim avait insisté pour une troisième fois, elle avait poussé un profond soupir, avait levé ses yeux embués de larmes pour le regarder, avait remarqué qu’il était très beau, le Peuhl, s’était souvenu que ça faisait au moins dix-huit mois qu’elle était au pain sec, oui sec sec sec, sans rien, sans personne, dix-huit mois au pain sec, oh, elle n’était pas la Vierge Marie version sahélienne quand même ! Et elle avait dit oui, Karim pouvait la raccompagner chez elle.

Dans le taxi qu’ils avaient pris, les deux, la prof avait remarqué durant tout le trajet que son élève sentait très bon, qu’il était très poilu, qu’il avait de très beaux pectoraux dessinés dans sa chemise, qu’il avait, malgré son jeune âge, une voix très grave à dompter une femme, à la dompter, une voix très mielleuse à consoler une femme, à la consoler, une main très douce à caresser une femme, à la… oui la caresser… Il était craquant, cet homme, cet élève. Craquant, l’élève, mais craquant quand même ! Arrivés chez elle, elle s’était éparpillée dans son canapé au salon et avait encore éclaté en sanglots. Eparpillée, comme ça, sous les yeux de Karim, son élève, assis dans un fauteuil en face d’elle ! Eparpillée comme ça, en sanglots, devant cet élève, cet homme si craquant !

Et Karim Diallo, Peuhl parmi les Peuhls, sensible devant les nouveaux sanglots de la vache éparpillée dans le canapé, s’était approché d’elle. Il ne la voyait déjà plus comme une femme, encore moins sa prof, mais comme une vache. Et le Peuhl qu’il était devait tout faire pour empêcher la vache de pleurer. Et la vache, qui n’était plus déjà une prof, mais une vache devant ce Peuhl si beau et si craquant, la vache qui portait très mal ses dix-huit mois d’abstinence forcée, s’était laissée consoler. Et le Peuhl avait consolé la vache. Ils s’étaient aimés, la prof et son élève, le Peuhl et sa vache qui pleurait. Ils avaient aimé.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Deuxième Partie)

 

Portrait d'un jeune homme noir (Crédit image: www.123rf.com)
Portrait d’un jeune homme noir (Crédit image: www.123rf.com)

Résumé de la première partie : Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se prépare à aller chez une de ses conquêtes. Il regrette sa vie et pense que c’est une malédiction qui lui vient depuis sa naissance, étant né avec un phallus en érection.

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Tout en s’habillant – et un gigolo qui se respecte s’habille aussi longuement qu’une Malienne se maquille pour aller à un mariage, aussi posément qu’une sénégalaise porte ses perles pour rencontrer un nouvel amant, aussi adroitement qu’une Togolaise arrache le mari de son amie, aussi magistralement qu’une Nigérienne tombe enceinte, aussi suavement qu’une Ivoirienne embrasse quand elle aperçoit le bout d’un chéquier dans la poche de son dragueur… Tout en s’habillant, donc, Karim Diallo repensa à toute sa vie de chasseur de mémés allumées, cette vie à laquelle il décidait de mettre fin dès ce jour. Il se rappela qu’à part son phallus en érection à sa naissance, rien, Dieu des phallus, alors aucun signe n’avait montré sur lui qu’à la trentaine, il serait devenu un gros étalon toujours debout, excité à coups de billets de CFA pour monter à tout bout de lit de vieilles femmes dont la plupart avaient des enfants plus âgés que lui.

Il avait commencé l’école, à cinq ans, et avait passé toutes ses quatre premières années à éviter les filles, les trouvant trop bavardes, trop sales, trop nulles en lecture, trop bêtes en écriture, trop bouchées en récitation… Un petit garçon africain normal donc, qui trouvait les filles parfaitement négatives pour ne pas valoir la peine d’être regardées. Le déclic était arrivé quand il faisait la première année au cours moyen, et que le maître de la classe leur avait demandé le métier qu’ils rêvaient de faire quand ils seraient grands. Ousmane Traoré, un de ses camarades, treize ans, avait lancé qu’il voudrait devenir un grand acteur de porno. Sous le choc de l’étonnement, le maître avait laissé tomber le bout de craie qu’il avait en main, s’était composé une mine aussi sèche que celle d’une vierge touarègue refusant les avances d’un Bambara, et lui avait demandé, au Rocco Siffredi précoce, où il avait appris cet horrible métier. Ousmane avait sorti de son sac un roman pornographique avec plein de femmes et d’hommes nues dans des positions bizarres, et l’avait brandi devant toute la classe.  Le maître, devenu hystérique tel Valérie Trierweiler apercevant un scooter, avait arraché le livre et donné une dizaine de fessées au futur pornographe.

Karim Diallo, par curiosité, s’était lié d’amitié avec Ousmane pour en savoir plus sur ce livre étrange qu’il avait, et où on voyait des hommes et des femmes nues et faisant des choses bizarres. Il avait été très vite initié sur le sujet, Ousmane lui ayant montré d’autres romans pornographiques qu’il volait dans les affaires de son père, polygame invétéré trop vite lâché par sa libido traître et imbécile, réduit à lire, pour tromper quelquefois les envies de ses femmes qui le trompaient trop, des tomes de romans pornos, à regarder des piles de disques cochons avant d’avoir une légère érection pas même digne d’un Nigérien octogénaire hypertendu et diabétique.

Il avait pris goût, Karim Diallo, et avait trompé la vigilance de ses parents une ou deux nuits pour fuir la maison et aller regarder, en compagnie d’autres badauds, des films pornographiques dans le club-vidéo de son quartier par une fente de la clôture. Il s’était toujours demandé, avec ses camarades, pourquoi à la fin de ces films les couples d’adultes qui avaient regardé rentraient chez eux presque en courant, pourquoi les garçons qui avaient regardé seuls traînaient, eux, les pas dans les environs, tendus, nerveux, les mains dans les poches, sifflant les petites revendeuses de cacahuètes et de bonbons devant le club…

Au collège, Karim Diallo, de romans en films pornos, avait fini par comprendre que les filles de sa classe, c’était vrai, elles étaient bavardes, bruyantes, sales, nulles en conjugaison, ridicules en maths,  bouchées en dictée… elles paraissaient totalement négatives quand on les voyait à l’air libre, quand on les voyait dans la classe et dans la cour de récréation, mais en cachette, sous un banc dans une classe déserte, dans un buisson derrière la clôture de l’école, derrière une case la nuit… loin des regards des adultes, une fille, ça pouvait servir à quelque chose, ça pouvait servir à tout ce qu’on ne pouvait jamais avoir avec elles à l’air libre. En cachette, toutes ces filles de sa classe, toutes celles qu’il croisait dans la rue, toutes ses cousines, c’étaient des délices, des trésors,  c’était pourquoi à l’école primaire son ami Ousmane avait juré qu’il ne ferait, quand il serait grand, aucun métier à part celui de ces hommes des romans pornos. Ousmane avait raison, les filles, en cachette, c’était la vie.

Malgré son éducation libertine précoce, Karim Diallo était arrivé au lycée sexuellement plus frustré qu’un adolescent mauritanien, avec un palmarès semblable à celui d’une équipe de foot du Togo à une Coupe d’Afrique. Minable. Il n’avait réussi à le faire, c’est-à-dire à faire ça, qu’avec deux filles. Une cousine dix fois plus étourdie qu’une urine matinale, et une domestique au visage aussi dur que les testicules d’un hernieux. Avoir seize ans et ne présenter à son actif que deux filles : une cousine et une bonne ! C’était mieux par rapport à tous ses camarades de classe de la même tranche d’âge restés encore puceaux, eux, complètement traumatisés par leurs frustrations, et remontés jusqu’au dernier poil de leur pubis contre cet indigeste mélange de l’islam et des traditions africaines qui avaient fait du sexe dans leur société le plus grand tabou, le plus horrible des péchés. Mais deux filles à seize ans, pour un qui était né avec un phallus tendu, dont les ancêtres avaient été reconnus comme de grands seigneurs en festins de la chair, voilà une bien piètre performance. Et Karim Diallo, lycéen, en eut honte.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Première partie)

 

Jeune homme africain (Crédit image: www.verysite.ca)
Jeune homme africain (Crédit image: www.verysite.ca)

Si c’était à refaire, le crabe aurait demandé à Dieu de lui mettre du sang dans son coquillage, le crapaud aurait demandé une queue aussi longue que celle du singe, le caïman aurait plaidé pour une gueule moins longue, moins vilaine, et la tortue une tête plus grosse. Sagesse des anciens.

Karim Diallo aurait tout donné pour être né comme tous les garçons normaux, c’est-à-dire avec un pénis au repos, un pénis semblable à celui de tous les nouveau-nés masculins. Parce qu’il était maintenant persuadé que tout venait de là. Sa malédiction ne pouvait provenir que du jour de sa naissance, il y avait trente-deux ans, où, après plus de quatorze heures passées en couches, sa mère l’avait éjecté, épuisée, sous un grand cri d’horreur de l’accoucheuse qui avait hurlé : « Astafourlaï, ce garçon est venu au monde avec un sexe en érection, qu’Allah nous garde de tout malheur ! » Les autres accoucheuses, connaissant l’humeur taquine de leur collègue, avaient cru qu’elle plaisantait, mais durent se rapprocher d’elle sur ses insistances. Elles avaient aussi hurlé de stupeur pour certaines, de dégoût pour d’autres. Le nouveau-né bandait aussi solidement qu’un étalon en rut. Et la taille du phallus ! Une telle immensité entre les frêles cuisses d’un nouveau-né ! Les autres accoucheuses s’étaient rapidement éloignées de leur collègue et de cette étrangeté qu’elle venait de faire venir au monde.

Quand, ayant grandi, Karim Diallo avait demandé des détails à sa mère sur l’affaire, elle lui avait expliqué que ce jour, celui-là où il était venu au monde tout chaud, toutes les accoucheuses de l’hôpital qu’elle avait, inquiète, consultées pour leur demander si la situation était normale, lui avaient répondu, tristes, qu’elles avaient, durant toute leur carrière, vu tant d’étrangetés sur les nouveau-nés. Il y en avait qui naissaient avec des dents, avec des moustaches ou des poils au pubis comme des adultes, avec des membres en moins ou en trop, avec de très hideuses malformations… Côté parties génitales, il y avait des garçons qui naissaient avec un ou trois testicules, des filles sans clitoris – elles étaient baptisées « les excisées de Dieu »… mais un nouveau-né traînant un phallus si volumineux, prêt à tirer tel Rocco Siffredi s’apprêtant à tourner une séquence avec une actrice en chaleur, elles n’en avaient jamais vu, wallahi. Elles lui avaient donc conseillé d’en parler avec des marabouts et des féticheurs pour expliquer le mystère, mais elle ne l’avait jamais fait, elle s’était dit que cela n’avait dû être qu’une petite anomalie. Si des enfants viennent au monde avec un œil, une oreille, un testicule en moins, s’il y en a qui naissent déjà excisées, pourquoi n’y en aurait-il pas qui naissent juste avec un pénis debout, hein ? Une anomalie, juste une anomalie, inch Allah !

Karim Diallo n’en doutait plus. Sa mère s’était méprise. Cette histoire de pénis debout à la naissance n’était pas juste une anomalie. C’était une malédiction. Dieu avait décidé, sûrement, de le punir pour les péchés commis par l’un de ses ancêtres. Peut-être il remboursait, par la vie indigne qu’il était contraint de mener aujourd’hui, condamné à errer de femme en femme, à tourner les reins à longueur de journée et de nuit au-dessus de tout ce qui pouvait lui payer quelque chose pour survivre, à risquer sa vie dans le lit de femmes deux fois plus âgées que lui, de vieilles libidineuses perverses cherchant un orgasme dont elles sont moins proches que les probables crises cardiaques qui peuvent les étrangler à tout moment durant les ébats sexuels, il se disait, donc, Karim Diallo, qu’il était en train de payer pour les incessantes affaires de sexe qui avaient meublé la vie de ses ancêtres, probablement son arrière-grand-père paternel, Sotigui Diallo mort dans une mosquée, foudroyé, disait-on, par une violente colère divine, alors qu’il forniquait dans le noir avec la quatrième femme du muezzin de la moquée.

Comment pouvait-on, alors comment pouvait-on ne pas devenir ce qu’était devenu Karim Diallo quand on avait des ancêtres aussi indignes, aussi incultes, aussi barbares que les siens, des ancêtres aussi immoraux jusqu’au point d’aller dire à Dieu, sans crainte, sans honte, dans sa mosquée, dans sa maison : « Euh, excuse-moi, Dieu, mais, peux-tu me passer ta mosquée pour tirer un coup vite fait avec la femme du muezzin ? »

Non, Karim Diallo avait pris sa décision, il se savait maintenant maudit, et il allait chercher à mettre fin à cette malédiction. Ce coup qu’il s’apprêtait à aller tirer était le dernier de sa carrière de gigolo, inch Allah. Il allait s’appliquer avec cette hargne par laquelle on fait les choses pour la dernière fois, donner, enfin, à cette vieille carcasse d’os rouillés cet orgasme qu’elle cherchait depuis deux ans maintenant, l’arnaquer de deux cents ou trois cent mille francs, et aller voir un bon marabout pour l’exorciser définitivement de sa malédiction. Il ne pouvait plus attendre, parce que c’est à force d’attendre que le crapaud lui ramène de l’eau du fleuve que l’hyène ne s’est jamais lavé l’anus, dit le proverbe. Sa vie de gigolo risquait de ne plus rien signifier dans quelques années s’il continuait ainsi. Aujourd’hui il avait trente-deux ans et était encore vigoureux, mais sa virilité culminait à force d’avoir été trop usée. Dans quelques années, cinq ou huit au plus, il ne serait plus un jeune homme, et aucune vieille femme, même la plus décrépie, ne lui ferait plus appel pour venir tourner les hanches. Et comme il n’avait rien étudié pour avoir le moindre diplôme, il n’avait appris aucun métier, c’était la faim qui le tuerait dans la quarantaine.

« Ce coup, c’est le dernier, Allah. Aujourd’hui c’est vendredi, ton jour, Allah, et nous sommes au beau milieu du mois saint, ton mois. Fasse que ce coup soit mon dernier, Allah. A partir de ce soir, je ne serai plus jamais un gigolo, inch Allah », avait-il murmuré en se dirigeant vers sa garde-robe pour s’habiller.

A suivre…

 

 

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Fin)

Crédit image: www.camer.be
Crédit image: www.camer.be

Résumé de la sixième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, prend des Flag avec un ami tchadien et deux Tchadiennes dans un bar bamakois très chaud. Il est saoul, mais décide de continuer de boire, sur les insistances d’une des Tchadiennes qu’il courtise.

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Quand j’ouvris les yeux, je faillis hurler d’étonnement et de peur. Ma confusion et ma stupeur étaient aussi grandes que celles d’un homme qui croit avoir dormi et fait l’amour avec sa femme toute la nuit, et qui se réveille dans les bras d’une guenon. La pièce dans laquelle je me trouvais me parut très étrange, par le grand désordre qui y régnait, des habits, des chaussures, des assiettes en plastique, des bouteilles vides de Coca-Cola… traînant partout sur le plancher. Un grand souk. Une forte odeur de cigarette se dégageait du drap sur lequel j’étais allongé, une torture pour moi qui apprécie la cigarette aussi bien que Georges Bush apprécie un baiser sur la bouche d’un taliban. Je n’étais pas dans mon lit, pas dans ma chambre, pas dans ma maison, peut-être même pas dans mon quartier. J’avais découché.

Je refermai les yeux et tentai de me rappeler la nuit passée et ses évènements, comment je m’étais retrouvé dans le lit d’un inconnu, dans une pièce inconnue. L’alcool me rend presque amnésique, et je ne serai pas étonné le jour où l’on viendra m’arrêter, m’informant que je faisais partie des terroristes du 11 septembre 2001, que j’avais participé à faire effondrer les tours jumelles américaines, et que je l’ai fait après avoir bu une trentaine de bouteilles de bière. Les images qui me revinrent de la veille étaient floues, très floues. Je me revoyais toujours à table dans le bar, autour des casiers de bière, avec Mahamat et les deux Tchadiennes, mes tentatives désespérées de convaincre Halimatou à passer la nuit chez moi, les allers et retours du serveur qui amenait les casiers et les bouteilles, puis quelques pas de danse titubants que j’ai faits sur la piste de danse, puis un visage connu, celui du Nigérian cocu rencontré dans les toilettes du bar, encore lui, encore lui, puis d’autres visages, inconnus, des cris, puis le visage du Nigérian encore… J’avais, je n’en doutais plus, fait beaucoup de choses ensemble avec ce Nigérian la nuit, comme son visage ne quittait plus mes souvenirs. J’étais, sûrement, dans son lit.

Je fis un effort pour me lever. Il fallait que je rentre dans les toilettes de la pièce pour vomir. J’avais mal partout. Surtout au postérieur. Etrange, un homme, hétéro, ayant mal au postérieur après avoir dormi dans le lit d’un autre homme, fût-il un Nigérian cocu. Puis me vint soudainement, clairement, cette étrange image du Nigérian me confessant la nuit passée qu’il avait décidé de devenir homosexuel, parce qu’il était complètement dégoûté des filles. Oui, il me l’avait dit, je le revoyais très clairement, qu’il allait changer de côté et ne le faire désormais qu’avec les hommes, parce que les femmes, c’était trop de déceptions. Il me l’avait dit, et j’avais mal au postérieur, après avoir dormi, ivre, dans son lit.

Je voulus, malgré la violente douleur que je ressentais dans tout le corps, malgré la forte nausée que j’avais, je voulus bondir du lit, courir au salon le chercher, me jeter sur lui, comme un fauve, lui demander ce qu’il m’avait fait la nuit, moi qui suis aussi homo qu’Hitler fut sioniste, pourquoi j’avais si mal au postérieur après avoir dormi dans son lit… je voulus sauter du lit et aller l’étrangler de m’avoir violé, ce nouveau homosexuel converti, quand la porte de la pièce s’ouvrit après trois légers coups. Le visage que je vis me pétrifia. Je ne comprenais plus rien de là où j’étais. Elle ? Pourquoi ? J’étais, sûrement, en train de devenir fou.

Elle me salua en me souriant, mais ma grande stupéfaction ne me permit pas de répondre. Elle comprit et m’expliqua tout. J’étais dans la maison de son père, dans la chambre de leur chauffeur. Elle m’avait ramené, saoul et presque inconscient, du commissariat de police du 15e arrondissement de Bamako où son père est inspecteur de police. Elle s’y était rendue, autour de deux heures du matin, pour apporter un dossier urgent à son père quand, à sa grande surprise, elle me remarqua parmi un groupe de délinquants ramassés dans les rues cette nuit par les patrouilles, et que les petits policiers étaient en train de fesser pour se distraire. On lui avait expliqué qu’une patrouille m’avait pêché sur une grande avenue de Bamako, une bouteille de bière en main, hurlant que j’allais assassiner le président IBK s’il ne libérait pas immédiatement mon ami le capitaine Sanogo. J’étais en compagnie d’un homme qui parlait anglais et qui jurait, lui aussi, qu’il s’en allait de ce pas tuer une certaine Mariam et toute sa famille. Elle avait passé une trentaine de minutes à expliquer aux policiers qui me distribuaient des fessées en riant, sous mes cris rauques, que je n’étais pas un délinquant, que j’étais son professeur de Marketing, que j’avais peut-être seulement un peu trop bu, que j’étais un monsieur très respectable, très compétent, très sympa… « Vous buvez donc tant d’alcool, Monsieur ? » Elle paraissait très dégoûtée. Déçue.

Je ne lui répondis pas et me contentai de pousser un profond soupir de soulagement. Je n’étais pas dans le lit de ce véreux Nigérian. Et je restais hétéro. Nafi, mon étudiante, me tendit mon téléphone portable qu’elle avait récupéré avec les policiers au commissariat. Quatorze heures et demie. J’avais cent douze appels en absence et trois messages sur mon répondeur. Un message de ma copine, un de Mahamat et un troisième d’un numéro inconnu. Je commençai par le numéro inconnu : « Salut David, s’il te plaît, fais-nous signe une fois que tu reçois ce message. Nous te cherchons partout dans Bamako depuis la nuit. Tu nous avais dit que tu partais aux toilettes et on ne t’a plus revu. On est inquiets. On est même partis chez toi, puis chez ta copine, mais elle a dit qu’elle ne t’a pas vu, et elle a déjà alerté quelques commissariats de police. En fait, tu me disais hier que tu n’as pas de copine non ? Elle est très jolie, franchement. Elle est Malienne ? Bizou. Halimatou. »

Fin

Bamako, le 19 janvier 2014

© 2014 – David Kpelly – Tous droits réservés

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Sixième Partie)

Maquis à Bamako (Crédit image: www.mali-web.org)
Maquis à Bamako (Crédit image: www.mali-web.org)

Résumé de la cinquième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, prend des Flag avec des amis tchadiens dans un bar bamakois très chaud. Il se retrouve nez-à-nez dans une toilette avec une péripatéticienne.

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Je refermai rapidement la porte, complètement dégoûté, en me pinçant le nez, alors que la catin au teint clair envoyait un second pet bruyant – ou autre chose encore plus merdeuse, dans la cuvette. Elle avait pouffé de rire, en remarquant mon dégoût. Je me rappelai une blague d’un oncle farfelu que j’avais durant mon enfance, et dont la cocasserie des vannes n’avait d’égale que celle de son visage quand il éclatait de rire après les avoir balancées, découvrant sa bouche à moitié édentée parsemée de dents aussi cariées que celles d’un rat : « Les trois choses les plus vilaines qu’on doit éviter de regarder le matin de bonne heure, pour ne pas passer la journée à jeun, dégouté de la nourriture : 1- Les couilles d’un vieux hernieux. 2- Les ébats amoureux d’un couple de vieillards. 3- Une jolie fille qui fait ses besoins. »

J’ouvris la deuxième des quatre portes de la rangée des toilettes pour hommes. Deux préservatifs usagés trainaient juste à l’entrée du cabinet. L’un s’était percé sous les pas des usagers de la toilette et déversait sur le sol une partie du gluant liquide qu’il contenait. Un futur enfant de rue ayant eu la chance de ne pas avoir été conçu, que j’avais pensé. Je crois en la Providence, comme tous les pauvres, mais j’avais du mal à imaginer ce que pourrait devenir un fruit conçu par un soulard et une pute mineure dans la toilette d’un bar mal famé, à part un enfant de rue tendant des boîtes de tomate aux feux tricolores, qui aura pour option, ayant grandi, de se reconvertir soit en petit voleur à la tire dans des marchés de seconde zone, soit en voleur à main armée de motos et braqueur de commerçants, soit, avec un peu plus de chance, en djihadiste preneur d’otages occidentaux.

Je me soulageai en évitant de regarder dans la cuvette, parce que les cuvettes des toilettes des bars, c’est comme la messagerie téléphonique d’une jolie copine, il faut éviter de regarder dedans, ça contient toujours des miasmes, des surprises très désagréables. Dans le cabinet voisin, un homme, dans pidgin nigérian ou ghanéen, proférait des menaces contre une certaine Mariam: «… Gosh, Mariam, you can’t go like this oh, you can’t chop my money wouya wouya wouya and go like this oh, I go kill you, you no sabi my name oh, I’m a Nigerian, and I go kill you, for me never stay with any girl oh, you take from me I have to go inside you, Mariam, come back oh, let me go inside you oh, or I go finish you oh… »

Je sortais de mon cabinet en riant, quand le Nigérian, debout dans le couloir, sa braguette à moitié ouverte, découvrant une partie de son broussailleux pubis, m’aborda, en français, un français de Nigérian, ayant peut-être remarqué par ma tête trop francophone que je n’étais ni du Nigeria comme lui, ni du Ghana. Il voulut d’abord savoir si j’étais malien. Non, Togolais. « Ah, Togolais, tu es mon frère, Togo et Nigeria c’est même chose. Mon frère, fais attention à fille de ce pays, le fille de ce pays ils sont mauvais, ils peuvent te tuer comme ça. Si tu les vois, ils sont comme des villageoises, mais ils sont méchants comme ça. Ils vont finir ton l’argent, ils n’ont pas de l’amour pour quelqu’un. Si on te donne un fille de ce pays et un petit chèvre, il faut choisir petit chèvre parce que petit chèvre tu vas tuer et manger, mais le fille de ce pays il va te tuer et te manger. Si tu lis journal demain, tu vas me voir dans ça, on va m’amener en prison, parce que je vais aller tuer un fille de ce pays comme ça. Mariam et sa famille ils ont bouffé tout mon l’argent et elle a marié un autre homme dimanche passé. J’ai cherché sa maison et j’ai trouvé, je vais le tuer cette nuit avec son mari, après je vais tuer ses parents comme ça. Moi je suis Nigérian, personne ne peut pas me voler comme ça… » En titubant, il sortit du couloir et se dirigea vers la piste de danse subitement envahie par des danseurs soulés et hilares, le DJ ayant lancé un célèbre morceau du chanteur nigérian Flavour : « waka waka baby woyè, wourou wourou baby woyè, i go tell my papy wo yè… »

Quand je retournai à notre table, Mahamat était seul. Les deux filles étaient parties se trémousser sur le morceau de Flavour : « Baby sawalé yé, sawa sawa sawalé, sawa sawa sawalé ashao… » En jubilant, Mahamt me fit savoir que son cas était réglé avec Jamila, il allait rentrer accompagné. Je lui dis qu’Halimatou bouillait toujours au feu, qu’elle n’était pas encore cuite, que je n’étais pas sûr qu’elle allait cuire cette nuit, que je n’étais plus trop pressé, il y a ce proverbe de chez moi qui stipule que si hier n’a pas pu tuer l’orphelin, c’est pas aujourd’hui qui peut le tuer. « Mon lit peut encore rester froid cette nuit, demain, la Tchadienne viendra le réchauffer », lui ai-je murmuré.

Après avoir fini notre deuxième casier de vingt-quatre bouteilles, je réussis, après des efforts aussi gros que ceux d’un vieux retraité cocu priant sa femme qui ne l’aime plus à lui faire quelques petits câlins, je réussis, donc, difficilement, à convaincre la troupe à rentrer. J’étais au plafond, je me sentais saoul. Mais ce fut quand le serveur amena l’addition que l’incroyable se produisit. Jamila, celle qui nous invitait, et qui payait, s’emporta en regardant le montant de la facture « Incroyable, les gars, la bière est trop moins chère dans ce pays ! Quarante-huit bouteilles et on n’est même pas à trente mille francs CFA ? Ecoutez, moi j’ai réservé quatre-vingt mille pour la soirée, on n’a même pas encore bu trente mille, on fait au moins la moitié, quarante mille. Allez, les gars, on reprend un demi-casier et on se barre. Juste douze bouteilles à partager, trois pour chacun. OK ? » Je voulus protester mais Halimatou, en me donnant un léger baiser sur la joue, me murmura : « Ecoute bébé, si une dizaine de bouteilles ne t’ont pas tué, c’est pas trois qui vont te tuer. Allez. Et puis tu sais que les trois nouvelles bouteilles peuvent me faire changer d’avis, hein ? Je pourrai décider de t’offrir la nuit, hein, allez… » Un autre léger baiser sur ma joue. Votre décision, David, on part ou on reste. Dans les vapes. On reste !

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.


 Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Cinquième Partie)

Boîte de nuit à Bangui (Crédit image: www.rfi.fr)
Boîte de nuit à Bangui (Crédit image: www.rfi.fr)

 

Résumé de la quatrième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, prend des Flag avec des amis tchadiens dans un bar bamakois très chaud.

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Jamila, notre seconde cavalière, moins enthousiaste qu’Halimatou, héla un serveur et lui demanda de nous amener un second casier de 24 bouteilles de Flag. C’était la première fois que je voyais des filles commander de la bière par casiers, moi qui suis aussi fréquent dans les bars qu’un entrepreneur chinois expatrié en Afrique dans les coins des prostituées. Je me penchai sur l’oreille de Mahamat et lui demandai en murmurant si ces filles étaient vraiment des musulmanes. Affirmative. Il se pencha à son tour sur moi pour me demander laquelle des deux je choisissais. Les filles tchadiennes, me fit-il, même bourrées jusqu’au nombril, sont très difficiles à conquérir, et le singe a été très sage, comme toujours, pour avoir conseillé à tous les animaux ayant un visage creux de toujours daigner commencer à pleurer avant les autres aux funérailles, pour que leurs larmes tombent sur leurs joues au même moment que celles des autres. Rien ne sert de faire boire une Tchadienne, il faut commencer à la draguer à temps. Je lui fis connaître mon choix. Halimatou ! Absolument !

Le serveur nous amena notre deuxième casier de Flag, accompagné d’un monsieur à la peau blanche, ou presque, plus court que Lionel Messi croisé avec Mimi Mathy, roulant devant lui une bedaine aussi volumineuse que celle d’une Béninoise couvant des jumeaux de huit mois. Un Libanais, sans aucun doute. Il trainait avec lui, le nabot libanais ventru, une jeune fille, apparemment de la vingtaine, habillée comme toutes les filles travaillant dans le bar : une robe rouge couvrant à peine ses fesses, des escarpins d’une trentaine de centimètres, une perruque multicolore tombant presque sur ses hanches, des bijoux de pacotille autour du cou, aux poignets, aux chevilles, des les oreilles, dans le nez, dans l’arcade sourcilière… Elle s’était dépigmentée et les taches rebelles sur ses cuisses, jambes et bras faisaient miroiter son corps dans la pénombre comme celui d’un serpent python sous la flamme d’un lampion.

Le couple s’arrêta à notre table et le serpent python en robe rouge, en souriant, prit la parole : « Bonsoir Messieurs et dames, mon chef est très heureux de vous accueillir dans son bar ce soir. On l’a informé que vous venez, à vous seuls, de prendre votre deuxième casier de Flag et il tient à vous féliciter et vous récompenser. Il vous offre donc quatre cartes pour venir assister vendredi à une petite séance privée de strip-tease qui se déroulera dans le salon VIP du bar en compagnie de plusieurs personnalités politiques du pays. Merci de votre confiance. » Le chef libanais, satisfait de l’éloquence de son porte-parole, sortit d’une enveloppe qu’il tenait quatre cartes qu’il déposa sur notre table en nous souhaitant bonne soirée et en tirant, par les hanches, le serpent python en robe rouge qui manqua de dégringoler des hauteurs de ses escarpins, faisant tinter les perles en métal – sûrement – qu’elle avait aux hanches.

Ils s’étaient à peine éloignés de notre table que Mahamat commença la lecture de son mini « Mein Kampf » sur les Libanais : « Mon chef, mon chef, chef de mon cul, ouais, c’est quoi cette malédiction-là d’appeler un Libanais son chef, hein ? Si j’en avais le pouvoir, je serais aux Libanais ce qu’Hitler fut aux Juifs. Ces gens n’ont aucune moralité. Non seulement ils maltraitent les Africains, surtout les Africaines chez eux, au Liban, mais ils se permettent de venir encourager l’immoralité et la débauche chez nous. Tout ce qu’ils savent ouvrir comme affaires dans nos pays c’est des restos à la bouffe grasse et empoisonnée, des bars, des boîtes de nuit, des chambres de passe… Nos filles sont devenues leurs objets sexuels, dans nos propres pays. Ils se les passent entre eux dans leurs soirées échangistes et les font coucher avec leurs animaux. Tu crois que la fille-là qui le suit marche comme ça à cause de ses hauts talons, hein ? Non, c’est qu’elle a l’anus bousillé. Ce chien de Libanais aux couilles poilues lui a forcé le derrière par toutes les bites de Libanais, des godemichés libanais, des bites de chiens, de chats, de chevaux, de taureaux libanais… Peuh, je déteste ces gens, je les déteste encore plus qu’Idriss Déby et toute sa famille réunie. »

Les deux filles pouffèrent de rire, alors que je regardais le génocidaire, ébahi. Ses yeux, luisant de rage, fixaient toujours le Libanais qui faisait le tour des tables, avec son porte-parole, saluant les buveurs. Quelques instants après, Halimatou me tendit son téléphone portable en souriant. Sur l’écran, une jeune Africaine, écartée sur un lit à trois place, hurlait entre trois Libanais et un gros chien, chacun entrant en elle par où il voulait : « Oh yes, I hate Africa, I hate Africa, gosh, I love Lebanon, my God, let me die in Lebanon, I hate Africa, Oh yes… » Tout autour du lit, quatre Libanaises, voilées, applaudissaient. Je tendis à mon tour le téléphone à Mahamat en riant.

Après ma huitième bouteille de Flag, et ma troisième tentative infructueuse de convaincre Halimatou à passer la nuit chez moi – les filles en apparence enthousiastes sont finalement les plus difficiles quand il faut concrétiser, je fis un tour aux toilettes pour me « débièriser », la débièrisation étant ce procédé bien connu par la majorité des buveurs, et qui consiste à pisser pour éliminer l’alcool au fur et à mesure que l’on boit. J’ouvris la première toilette pour buter sur une jolie fille au teint clair, le slip descendu jusqu’aux chevilles, assise sur la cuvette, qui lâchait un bruyant pet – ou autre chose plus merdeuse. Je faillis vomir. Quelle horreur, quelle vilenie, une fille de teint clair qui pète, le slip descendu, assise sur une cuvette de toilette ! Je voulus lui présenter des excuses mais, tranquille, souriante, elle me fit : « Si vous m’avez suivie pour un câlin express, approchez-vous, je vous le fais vite, c’est deux mille. Si vous avez envie de moi, attendez, je finis on monte prendre une chambre, c’est dix mille le coup, y compris la chambre. Si vous voulez que je vienne passer la nuit chez vous, partez payer mes frais de location, vingt mille pour toute la nuit, chez mon chef, le gros Libanais qui est au guichet. Si vous vous êtes juste trompé de porte, déguerpissez, salaud, les toilettes des hommes c’est en face, merci. »

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 

 

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Quatrième Partie)

Filles dans une boîte de nuit ivoirienne
Filles dans une boîte de nuit ivoirienne

Résumé de la troisième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, est dans un bar bamakois, très chaud, pour prendre un verre avec des amis tchadiens.

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« Beynaud oh oh, ton coupé-décalé est confirmé oh oh, ce n’est pas ma faute oh, c’est Dieu qui m’a donné, oh oh…»

Le salon de 80 à 100 mètres carré, très légèrement éclairé par deux néons peints en bleu pour tamiser la lumière et permettre aux mains rebelles et récalcitrantes de s’égarer de temps en temps dans des zones plus ou moins interdites, aux bouches de se rencontrer, aux langues imbibées de bière, de salive et d’envies de se sucer, le salon sombre, donc, était occupé par une centaine de buveurs regroupés autour de petites tables disposées en rond sur le périmètre, remplies de bouteilles de bière et de liqueurs. Quelques cavalières zélées, le no man’s land de la trentaine passé pour certaines, sûrement un ou deux gosses déjà coincés dans le slip et liquidés en catimini aux mamans restées au village,  pour montrer à leurs dragueurs un petit, un tout petit avant-goût de ce qui allait se passer cette nuit dans les lits douillets, loin des yeux jaloux, se déhanchaient sur la petite piste de danse réservée au milieu des tables.

La table où nous attendaient les Tchadiennes était à l’autre bout du salon, et nous dûmes traverser toute la piste de danse, Mahamat profitant du tumulte pour distribuer quelques légères caresses de main sur des fesses honteusement grosses vadrouillant çà et là sur le morceau en vogue de Serge Beynaud, tout en me murmurant à l’oreille : « Je te jure que je ne sais pas comment les Blanches arrivent à exciter leurs hommes, parce que chaque fois que je vois leurs fesses aussi plates que les paumes de la main, et leur poitrine déserte j’ai envie d’éclater en sanglots. Pour moi c’est indiscutable, une femme, c’est avant tout les fesses et la poitrine, le reste vient après. Un ou deux roulements de hanches, un coup de poitrine et t’es déjà debout, voilà une femme, une vraie femme. Et puis tu imagines que celle que je viens de toucher n’a même pas de slip sous son mini, hein, c’est ce qu’on appelle Vol direct Terre-Septième-Ciel, ça te libère des longues et encombrantes escales des dessous à enlever, hi hi hi… La vie est trop belle dans les bars, je te jure, David. »

Une fois qu’elle m’aperçut en compagnie de Mahamat, une des Tchadiennes sauta de sa place, une bouteille de Flag en main, et se jeta à mon cou : « Davidééééé, le roi David, tu vois que je connais déjà ton nom, hein, je suis une magicienne, il paraît que t’es un grand prof de Marketing connu dans tout Bamako, ça tombe bien, je vais m’inscrire en Marketing, tu seras mon encadreur, viens, je te présente ma copine, allez viens, chou. » Je traçai un léger sourire sur mes lèvres, me rappelant ce que me dit un soir un ami ivoirien devant une étudiante nigérienne qui faisait sa strip-teaseuse dans une boîte de nuit :  « Tu sais, ces filles sahéliennes aux instincts atrophiés dans leurs pays par les contraintes ridicules de la tradition et les hypocrisies de la religion sont comme des tigres apprivoisés et privés pendant des années de chair et de sang, une fois qu’elles ont l’occasion de s’échapper, bonjour les dégâts. Ses parents, chez elle au Niger, l’imaginent actuellement en train de réviser ses cours dans sa chambre, voilée, mais tu vois ce qu’elle est en train de faire ici ? »

Une dizaine de bouteilles vides de Flag étaient éparpillées sur la table, cinq devant une des filles, trois devant l’autre,  quatre devant Mahamat. Avant de se rasseoir, la fille qui était venue m’accueillir m’installa juste à côté d’elle, sortit trois bouteilles de Flag d’un casier de 24 bouteilles à moitié vide posé à côté d’elle, et les déposa devant moi en me tapotant sur l’épaule : « Chou, faut déjà commencer. La nuit sera longue, très longue. Les Flag, ça ne descend agréablement que quand on prend tout son temps pour les avaler. » Je voulus lui demander où elle avait appris à prendre de la bière au Tchad, mais je me ravisai rapidement, je n’étais pas là ce soir pour savoir celui qui avait mis du lait dans la noix de coco, mais pour boire du lait de coco. Je crois bien avoir déjà entendu le comédien ivoirien Gohou, ou l’intellectuel, euh le chanteur de soukouss congolais Awilo Longomba, ou le philosopho-moraliste togolais Eyadema, ou Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine, je crois donc bien avoir déjà entendu un des personnages de ce beau monde aussi hétéroclite que loufoque dire que trop parler c’est maladie.

Mahamat, assis à ma droite, fit notre présentation, après avoir vidé d’un trait une bouteille de Flag. Halimatou et Jamila, nos deux cavalières. Bachelières tchadiennes, musulmanes modérées, célibataires sans enfants, venues faire des études commerciales au Mali. David, Togolais ayant un nom de famille trop difficile à prononcer, chrétien pratiquant n’allant presque jamais à l’église, toujours célibataire et bizarrement pas même avec un seul enfant, enseignant de marketing allant au cours chaque jour en retard et plus proche de ses étudiantes que de ses étudiants, écrivain francophone adulé par ses 14 lecteurs mais aussi inconnu en France qu’un joueur de foot tchadien en Italie, blogueur presque impoli et plus provocateur qu’un singe de conte, accusé de temps à autre de blasphémateur par les catholiques quand il écrit sur les prêtres, d’apostat par ses frères en Christ protestants quand il raille les pasteurs, d’islamophobe par les musulmans quand il applaudit les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, de misogyne par les femmes quand il traite les filles de matérialistes, de pédé par les bobos hétéros quand il défend les homosexuels africains, de néocolonialiste par les patriotes africains quand il applaudit la France en guerre en Libye…

Il dut arrêter ma présentation quand les deux filles éclatèrent bruyamment en rires. « T’as un sacré curriculum vitae, toi » me fit Halimatou, celle qui était venue m’accueillir, en me déposant un léger baiser sur la joue. J’avalai une gorgée de salive, et me remémorai une définition de la bière Flag que m’avait donnée une nuit, en 2011, un mentor écrivain dans un bar bamakois. Flag : Femme Libre Attend Garçon. Ouais, Tchadienne libre attend garçon, et elle l’aura ce soir, inch Allah, me suis-je dit en souriant légèrement, et en portant ma première bouteille de Flag à la bouche.

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Troisième Partie)

 

Boîte de nuit à Abidjan (Crédit image: www.senego.net)
Boîte de nuit à Abidjan (Crédit image: www.senego.net)

Résumé de la deuxième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, se rend dans un bar bamakois, où il est invité, en pleine nuit, par un ami tchadien, à venir prendre un verre avec des étudiantes tchadiennes fraîchement débarquées à Bamako.                         ……………………………………………………………………………….

Il me fallut plus de dix minutes de lutte pour échapper à l’assaut des tapineuses prépubères qui s’étaient ensemble abattues sur moi, une fois à l’entrée du bar, me présentant leurs marchandises par de mielleux « Chéri, essaie-moi ce soir, tu ne m’oublieras jamais », « Bébé viens, je suis une magicienne, tu entres en moi par le grand trou et tu en sors par le petit, je ne suis même pas chère si c’est avec des beaux gosses comme toi », « Je sais que tu bandes grave, chaton, et c’est pour moi seule », « Ouye, ouye ouye, ouiiiiii, je te sens déjà en moi, mon étalon, que t’es viril » … les plus rodées en marketing me proposant même des essais gratuits en se saisissant de mes mains et les dirigeant vers leurs entrecuisses éhontés. Derrière moi, j’entendais une voix dont je devinais très bien l’auteur, me criant : « Mais, mon frère togolais, tu attends quoi pour sauter sur elles, hein, toutes ces petites princesses veulent de toi et tu es là à les regarder comme un chat regardant une musaraigne morte ! Moi à ta place je les aurais déjà rendues toutes enceintes sur-le-champ, dis-moi, si tu as honte de le-leur faire devant les gens, viens je te passe mon taxi pour quelques minutes, tu te soulages propre, tu me paies juste deux mille, hooooo, qu’elles sont belles, ces filles, hooooo, hoooo, hooooo ».

Mahamat vint me chercher et me lut la notice d’utilisation de nos deux cavalières. « Ecoute, mon ami, au téléphone je t’ai dit que ces filles sont mes cousines, je t’ai en fait menti, la relation familiale qui me lie à elles est aussi inexistante, aussi impossible qu’une histoire d’amour entre Angelina Jolie et le capitaine Sanogo. Elles sont des amies à un cousin à moi qui me les a recommandées. Je gère une et tu prends l’autre. Je préfère te voir avec elles que de les laisser à la merci de ces jeunes Maliens qui ne feront que leur irriguer le cerveau avec ce mauvais thé qu’ils prennent à longueur de journée. Je te laisse d’abord choisir et je prends celle qui reste. Ecoute, ces filles sont des enfants de riches, leurs papas sont ceux qui pompent tout l’argent du pétrole tchadien, donc à toi de jouer. Comme toute fille de riche qui se respecte, elles sont naïves, et il suffit de leur dire je t’aime avec un air de clown qu’elles se jettent dans tes bras en larmes, comme ça, gratuitement. Allons-y, elles nous attendent. »

Nous étions sur le point d’entrer dans le couloir menant aux entrailles du bar quand un brouhaha subit monta derrière nous. Un petit groupe se forma sur-le-champ. Nous nous approchâmes. Une jeune fille, venue dans une 4X4, venait de déshabiller une péripatéticienne, sa partenaire, qu’elle accusait de la tromper. Cela ne suffisait pas à cette pétasse, se plaignait la cocue, de la tromper avec toutes ses amies, elle la trompait maintenant avec des hommes, elle se prostituait, alors qu’elle lui donnait tout ! Oh, les femmes ! Bon, les femmes-femmes, parce qu’elle était une femme-homme, elle ! L’infidèle, la femme-femme, poils aux vents, se défendant, refusait de rentrer dans la 4X4 de sa partenaire qui l’y poussait de toutes ses forces. Elle en avait marre, marre, marre, disait-elle, des coups de jalousie de son gars-femme qui ne pouvait s’empêcher de faire des scandales chaque fois qu’elle la voyait avec d’autres filles, qu’est-ce qu’elle croyait, hein, son gars au féminin, elle n’avait qu’à aller se faire foutre !

En poussant un long juron de rage, Mahamat me tira de la main, me demandant de quitter cette querelle qu’il qualifiait de grosses conneries de petites filles en manque de godemiché. Nous fîmes à peine quelques pas quand le conducteur de taxi, surgi de l’attroupement autour des querelleuses, vint se placer devant nous, la visage en sueur, les yeux luisants comme ceux d’un chat sauvage. « Mon frère togolais, tu as entendu ce que je viens d’entendre, hein, ces filles se font ça entre elles ! Hoooo, hoooo, hoooo, c’est quelle abomination ça là, hein ! Elles font ça comment, hein ? Yéééééé,  avec tous ces pilons qui trainent ici-bas, ces filles se font ça entre elles, hoooo, hoooo, hoooo, je rêve ou quoi, hein ? Et dire que ça fait maintenant plus de six mois, depuis le départ de ma femme, que je n’ai plus disparu dans le moindre trou ici-bas alors qu’il y a des filles qui se font cela entre elles ! Hoooo, hoooo, hoooo, regarde cette petite fille qui s’en va montrer sa brousse de poils là une femme, c’est quoi cette maladie-là, hein, hoooo, hoooo, hoooo, je te jure que si on la met dans mon lit juste pour quelques minutes elle va être guérie, je vais lui montrer qu’il y a une différence entre 12 et 21, hoooo, hoooo, hoooo, rien qu’en y pensant je raidis, tu peux me toucher voir, je te jure que je raidis rien qu’en pensant à cette fille si poilue dans mon lit, hoooo, hoooo, hoooo ! »

Il détala et se replongea dans la foule des spectateurs toujours amassés autour de la cocue et sa partenaire. Mahamat éclata de rire : « Non, sérieux, dis-moi où tu connais ce phénomène qui t’appelle son frère togolais. C’est des gens comme ça que vous avez au Togo ? Et vous vous plaignez d’avoir un prince libidineux comme président ? » Au lieu de lui répondre que ce comique n’était pas un Togolais, que c’était juste le taximan que j’avais eu le malheur de héler en venant, je pouffai aussi de rire. Je n’en doutais plus, ce monsieur avait pris un Viagra mortel, et l’infortunée fille qui oserait monter dans son taxi puis dans son lit cette nuit se retrouverait au mieux avec une incapacité totale de jouir pendant six mois, au pire une paralysie à vie des membres inférieurs.

Nous longeâmes l’obscur couloir qui menait aux choses sérieuses en faisant les derniers réglages techniques : les proies, il fallait tout mettre en œuvre pour les abattre, les dépecer, les cuire, les ingurgiter et les digérer dès cette nuit. Sur la porte qui s’ouvrait sur le salon presque sombre où l’on buvait, un papier-rame éclairé par une ampoule bleue portait l’inscription : « Ici c’est un bar, il est interdit de s’accoupler. Pour des besoins pressants, contactez les serveurs pour prendre une chambre. Merci. La Direction. »

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Deuxième Partie)

Boite de nuit à Bangui (Crédit image: www.slateafrique.com)
Boite de nuit à Bangui (Crédit image: slateafrique.com)

Résumé de la Première partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, est invité, en pleine nuit, par un ami, tchadien, à venir prendre un verre avec des étudiantes tchadiennes fraîchement débarquées à Bamako. Il prend un taxi pour s’y rendre.

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Le conducteur, cinquantenaire par les rides sur son visage et les cheveux blancs dans sa tignasse, mais jouant au trentenaire avec son look de rappeur underground, T-shirt à l’effigie de Jay-Z et casquette renversée, ne demanda pas mon avis pour me réciter son sermon sur la chute de la femme malienne : « Eh, mon frère, dis-moi, tu es ivoirien ? Ah, Togolais ! Je te jure, mon frère togolais, que ce sont les femmes qui vont détruire ce pays ! On raconte que c’est le coup d’Etat de Sanogo qui a plongé ce pays dans la crise, mais si tu vérifies bien tu vas voir que c’est sa femme qui l’a poussé à faire ce putsch pour s’enrichir et lui donner beaucoup d’argent pour ses basins et bijoux. Je te jure, crois-moi mon frère togolais, derrière tout grand criminel se cache une femme. Comment veut-on que les hommes de ce pays soient honnêtes quand leurs femmes ont des yeux aussi gros que les testicules d’un cochon, hein ? Peux-tu comprendre que les femmes d’un instituteur ou d’un policier qui gagnent à peine cinquante mille par mois, peux-tu comprendre que les femmes de ces pauvres demandent à leur mari de leur coudre un basin brodé chaque semaine pour les mariages, hein ? Comment cet instituteur ne va pas vendre des notes aux élèves, hein, mon frère togolais, comment ce policier ne va pas traquer des taximen et les escroquer injustement, hein, comment il ne va pas laisser les motocyclistes violer les feux tricolores contre cinq cents francs CFA, hein, dis-moi, mon frère. Le pire c’est qu’elles nous mentent et nous trompent, elles ont la langue aussi tordue que le pénis du canard, le cœur aussi dur que les yeux du crabe. Non, sérieux, c’est quel genre de femmes ça là hein ? Moi, de toute façon, ma décision est prise, maintenant, c’est une femme blanche ou rien, y a pas question que ces rastas dégoûtants qui ne se lavent même pas nous en mettent plein la vue tous les jours avec des femmes blanches, de vraies femmes, alors que moi je sacrifie mon temps avec des femmes noires… »

Nous arrivâmes devant le bar après une trentaine de minutes, quand le chauffeur était encore occupé à me raconter comment sa femme l’avait quitté, il y avait juste six mois, après trois ans de mariage, pour aller vivre avec un de ses amants dans le même quartier, parce que ce dernier venait de  gagner deux millions au tiercé et s’était acheté une télé écran géant avec abonnement Canal+, un frigo, une moto chinoise, une gazinière… « Tu vois, devant un monsieur qui a percé ainsi, et qui vit désormais dans le luxe comme un ministre, c’est pas moi un sale taximan qui vais faire le poids aux yeux de ma femme. Tout le monde se moque de moi dans le quartier, me traitant de lâche et d’homme indigne, me conseillant d’aller récupérer ma femme, même si je dois tuer mon rival, que la justice me donnera raison… mais dis-moi, mon frère togolais, est-ce que tu me vois, moi, un taximan qui n’a même pas dix mille francs d’économies, gagner un procès dans ce pays devant un homme qui a gagné deux millions au tiercé, hein. Si j’ose m’engager dans cette procédure judiciaire, je risque de vendre mon vieux taxi-là sans aucun résultat, d’ailleurs ce sont les juges même qui commenceront à me la labourer, ma femme…»  

Une dizaine de petites péripatéticiennes, décalquées dans des robes tellement transparentes qu’on y voyait la peau de leurs fesses et la couleur de leur string,  perchées sur des escarpins plus hauts que les Chinois qui les ont fabriqués, parfumées et maquillées comme des adeptes ratées de mamiwata, vinrent encercler la voiture qui s’était arrêtée juste devant le bar, excitées comme des collégiennes togolaises en chaleur. Le conducteur, comme piqué par une soudaine folie, lâcha le volant, se tint la tête des deux mains, et commença à hurler, tournant sur son siège, les yeux allumés : « Tchiééééé, wallahi, c’est quoi ça, hein, Allah ! C’est des filles des gens comme ça ? Regarde comment elles sont habillées ! Quelle dépravation des mœurs dans ce pays ! Des filles qui n’ont même pas vingt ans, des filles qui n’auraient normalement pas encore poussé des seins, si on vivait à une époque normale, des filles qui devraient normalement être encore en train de dormir à côté de leur mère, qui viennent se prostituer, Allah ! Regarde leurs derrières bombés, regarde leurs poitrines ! Eh, les gens mangent de bonnes choses dans la vie, hein, mon frère togolais ! Paie-moi rapidement, je vais faire deux tours et je reviens en prendre une pour la nuit. Dis-moi, quelque chose que même les ministres, même les députés, même les imams, même les pasteurs, même les marabouts, même les personnalités de ce pays viennent manger, alors dis-moi, c’est moi un sale taximan qui vais m’en priver, hein ? Cinq mille francs au plus et je vais passer une nuit de rêve avec de la chair fraîche et efficace ! Ne les trouve pas petites, hein, mon frère togolais, tu les vois minuscules comme ça à l’air libre mais dans un lit elles sont plus femmes que nos mères à toi et à moi réunies, même si tu y mets deux troncs de baobab ensemble ça va rentrer, allez, paie-moi, faut que je revienne vite ici, avant que les ministres ne viennent les chercher toutes. »   

Je fis signe, par téléphone, à Mahamat que je venais d’arriver, en me précipitant vers une boutique en face du bar pour acheter un paquet de Protector+. Souley, l’un de mes meilleurs amis, me l’a toujours dit, un homme, un vrai, ne rentre jamais dans un bar sans avoir des préservatifs dans la poche, parce que nul ne peut savoir quand rencontrer, dans un bar, une baleine saoulée à décapiter à la va-vite, une libellule éblouie par les lumières nocturnes à sa mettre sous la dent pour bien continuer la soirée. Le premier jour où il m’avait donné ce sage conseil, il m’avait cité l’adage de la tortue qui répond quand on lui demande pourquoi elle se déplace toujours avec sa carapace qu’elle ne sait où la nuit peut la surprendre, et qu’elle bouge toujours avec sa maison pour ne pas être contrainte un jour de dormir à la belle étoile.

Le boutiquier, un Maure ou un Touareg, croyant que j’avais dans mon lit une proie prête à être dépecée, me tendit, en souriant, le paquet en me souhaitant bon travail. « Sale Maure ou Touareg, ai-je pensé en sortant de la boutique, tes frères sont en train de se faire des millions en prenant des otages occidentaux et toi tu es là, ignare, à foutre ta gueule de loser dans les affaires d’honnêtes gens comme moi. »   

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 

 

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Première Partie)

Flag

« C’est en plein sommeil que la mort viendra me chercher », sagesse d’un troubadour togolais des années 70. Comme quoi, si la mort vous veut, même caché dans l’anus d’une tortue, elle ira vous dénicher.

J’étais tranquillement couché chez moi, mercredi soir, riant des injures savoureuses que s’envoyaient ma voisine d’en-haut et son mari, le second accusant la première d’une énième infidélité, la traitant de trou sans fond incapable de se remplir de toutes les eaux de ruissellement pourries de Bamako, de nymphomane insatiable jusqu’au point d’aller se faire fabriquer un clitoris artificiel au Nigeria, de viande faisandée que même la hyène la plus affamée n’oserait renifler, et la catin insatiable au clitoris artificiel Made in Nigeria ripostant qu’elle acceptait tout, mais qu’elle rappelait à son mari qu’elle n’était pas une fille de pute comme il l’était, lui dont la mère avait été surprise, à 70 ans, en pleine partie de jambes en l’air avec le copain de 31 ans d’une de ses nièces, lui dont la mère avait été surnommée dans son village « maman où est ton slip ? » depuis le jour où elle avait déshabillée en plein marché par une femme en furie dont elle détournait le mari, lui dont la mère, à 81 ans, achetait et regardait toujours des films pornos chinois, peuh…

J’étais, donc, en train de me gaver de ces juteuses injures instructives que je garde jalousement pour les sortir à qui de droit au moment opportun, avec cette grande passion par laquelle les célibataires savourent les querelles des mariés, quand mon téléphone portable sonna. Mahamat, un Tchadien, ancien camarade de classe, l’un de mes amis les plus fidèles au Mali depuis 2009, m’invitait dans un bar très connu de Bamako. Deux étudiantes tchadiennes venaient d’arriver à Bamako pour les études, et elles avaient besoin de compagnie pour leur première nuit bamakoise. « Des Tchadiennes, dis-tu ? » que je lui ai demandé en insistant sur la nationalité. « Bien sûr que oui, ce sont mes cousines, et moi je ne vais rien manger dedans, tu pourras choisir celle que tu veux, et je te l’arrange, je tiens à ce que tu laisses une partie de toi chez nous, au Tchad. » Laisser une partie de moi au Tchad, mais pourquoi pas, hein, mon cher ami, je serais d’ailleurs prêt à laisser une partie de moi dans chaque pays au monde si j’y avais des amis aussi attentionnés, aussi intelligents, aussi sincères que toi.

Disons que j’ai gardé un très bon souvenir des Tchadiennes depuis mon aventure avec Lydie, une étudiante tchadienne de 22 ans avec qui j’ai mené la vie en 2010. Trois mois de relation, et cette jeune fille m’avait réellement démontré qu’il y a encore sur cette Terre des hommes des femmes disposées à aimer – je ne sais pas trop ce que signifie cette expression qu’aiment tant utiliser les filles, être disposé à aimer, mais j’ai aussi commencé à l’utiliser pour parler d’amour. La Lydie, donc, était tellement disposée à m’aimer que pendant nos trois mois passés ensemble, elle avait payé, avec l’argent que lui envoyait son père, garde du corps d’un proche collaborateur d’Idriss Débi, mon loyer, mes factures, nos sorties les week-ends, nos dîners, une partie de mes frais de scolarité… une disposition à m’aimer qui avait fini à me disposer à l’aimer moi aussi, jusqu’à ce matin où on l’avait informée que son père venait d’être abattu dans une tentative d’assassinat de son patron, et qu’elle devait rentrer sur-le-champ, définitivement, au Tchad. Elle avait beaucoup pleuré, me suppliant de la suivre au Tchad, j’y trouverais du travail, on se marierait, on ferait beaucoup d’enfants comme si on était des Nigériens – j’avais failli vomir en imaginant ma maison remplie d’enfants… Moi aussi j’avais beaucoup pleuré, pensant à mon loyer et mes factures que je devais recommencer à payer moi-même, et l’avais supplié, avant son départ, de me payer six mois de loyer. Par amour. Notre amour à elle et à moi.

Bref, mercredi soir, je ne me suis pas fait prier pour accepter l’invitation de Mahamat, préférant aller tenter une fois de plus ma chance auprès d’une Tchadienne gâtée de pétro CFA disposée à m’aimer, plutôt que de rester chez moi à écouter ce dictionnaire des injures ignobles que mes voisins toqués ont décidé de me réciter cette nuit. D’ailleurs, je savais très bien que ça n’allait plus beaucoup durer, cette partie d’injures, parce que comme me le disait mon père, les querelles d’un couple, c’est comme le caca d’un lézard, ça comporte toujours une partie noire et une partie blanche. Le cocu, devant les mouvements de poitrine de la catin, allait finir par se calmer, à douter même si elle l’avait vraiment trompé, à lui dire que ça va, les gens les écoutaient, les enfants allaient se réveiller, elle n’avait qu’à se taire enfin et venir se coucher, et l’infidèle, n’en demandant pas plus, allait faire semblant de pleurer un peu, de lui demander pourquoi il doutait d’elle, hein, que comment il pouvait croire qu’elle pouvait le tromper, hein, que… que… et le cocu dupé allait la prendre dans ses bras, et elle n’allait pas dire non, et ils allaient se coucher, et ils n’allaient pas dormir directement, et elle allait, en le faisant avec lui, penser à l’autre, et lui, en le faisant avec elle allait l’imaginer le faisant avec l’autre, mais il n’allait pas s’énerver… jusqu’au jour où il apprendra encore de la bouche d’un de ses amis qu’elle l’a toujours trompé.

Je me suis rapidement habillé. Ai pris mes pièces d’identité, c’est-à-dire deux billets de mille francs, au cas où la patrouille policière me demanderait ma carte consulaire expirée depuis six mois et que je remplace toutes les nuits par un billet de mille francs à chaque contrôle de police. J’ai pris un taxi, mes yeux plus myopes que ceux d’un professeur togolais d’Histoire-Géographie ne me permettant pas de conduire la nuit.

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection du l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

  

 


Ah, vous avez donc peur de la mort, M. Arthème !

Arthème Ahoomey-Zunu
Arthème Ahoomey-Zunu

8e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

 

Bamako, le 18 novembre 2013

Monsieur le Premier ministre,

J’ai appris, comme la plupart des Togolais, que vous êtes actuellement malade et hospitalisé en France. Et j’ai un peu hésité avant de vous envoyer cette nouvelle lettre, la bienséance de nos coutumes exigeant qu’on ne bouscule pas les malades, surtout quand ils ont votre âge et votre importance. Mais j’ai surtout pensé à ce proverbe de chez nous : « Un lion, même amaigri, n’est pas un chien, mais un lion. » Vous demeurez donc Premier ministre, même sur votre lit de malade, et vos engagements restent vos engagements.

Je viens, donc, pour la huitième fois consécutive, vers vous, sur votre lit de malade, à propos d’Anselme Sinandaré, cet enfant togolais de 12 ans tué par balles le 15 avril 2013 par vos soudards lors d’une manifestation des élèves pour réclamer de meilleurs traitements à leurs enseignants. Souffrez, Monsieur le Premier ministre, oui, veuillez bien souffrir que je vous choque en vous rappelant une fois de plus que nous, Togolais, frères et sœurs d’Anselme, attendons toujours les enquêtes que vous avez promises sur la mort de notre frère, le 18 avril 2013, sur les ondes de la Radio France internationale, RFI. C’est juste un rappel, et je ne vais pas faire long. Vous êtes malade.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dû avoir peur quand votre maladie, encore obscure pour nous autres de la plèbe, vous a attaqué. N’est-ce pas ? Peur de mourir. Votre famille, votre femme et vos enfants ont aussi eu peur. Peur de vous perdre, vous qui leur êtes si cher. Vous avez immédiatement exigé qu’on vous expédie en France, un vrai pays, pour vous faire traiter par de vrais médecins, dans un vrai hôpital. Parce que vous n’avez aucune confiance au pays que vous dirigez, aucune confiance aux hôpitaux que vous avez construits, aucune confiance aux médecins et autres agents de santé que vous y employez… Soit. L’adage le stipule si bien : « Seul celui qui traîne l’hernie connaît le vrai poids de son hernie.» Vous savez ce que vous avez mis dans ces hôpitaux togolais comme matériel et personnel, et vous savez, vous seuls, pourquoi vous préférez partir en Occident vous faire traiter chaque fois que vous remarquez le moindre bouton sur votre visage.

Vous avez, donc, Monsieur le Premier ministre, eu peur de mourir. N’est-ce pas ? Vos proches aussi. Et sur votre lit de malade actuellement, vous expérimentez cette angoisse que l’on ressent devant la mort quand on s’en approche. Vous voyez, dans tous ces yeux qui vous entourent, la peur de perdre un être proche, cher. Et vous pouvez facilement imaginer, juste imaginer leur réaction, leur douleur, leur enfer, s’il arrivait, oui, s’il arrivait qu’on vienne leur dire… qu’on vienne leur dire ce qu’on est parti dire aux parents, aux amis, aux proches d’Anselme Sinandaré ce 15 avril 2013, après qu’une de ces bêtes féroces que vous formez au Togo a ajusté son fusil et l’a abattu.

Mais, Monsieur le Premier ministre, contrairement à vos proches qui sauront la maladie qui vous aura emporté, les proches d’Anselme, si aucune enquête n’est faite sur sa mort, si son tueur n’est pas identifié et convenablement puni, les proches d’Anselme, eux, pleureront non seulement leur bien-aimé, mais aussi cette justice morte dans notre pays, et dont leur fils, leur ami, leur frère, n’a pas pu bénéficier, cette justice dont n’ont pas bénéficié des milliers et des milliers de Togolais gratuitement assassinés par la seule et même main, ce régime que vous servez. Et ils seront éternellement malheureux. Éternellement.

Monsieur le Premier ministre, je ne vais pas continuer avec ces hypothèses macabres, à vous parler de mort et d’assassinats. Vous êtes sur un lit de malade, et vous avez peur de la mort. Normal. Comme le dit le dicton : « Le boucher ne comprend le râle du mouton agonisant que quand il se retrouve avec un couteau sur la gorge. » Je vous souhaite, donc, de tout cœur, un prompt, un très prompt rétablissement. Un lit de malade est un très bon lieu de repentance. Profitez-en et revenez-nous beaucoup plus fort, beaucoup plus sain. Beaucoup plus juste. Surtout. 

Très cordialement

Yao David Kpelly

PS : Ah, Monsieur le Premier ministre, j’oubliais, je voudrais vous faire lire ce message qui m’a été envoyé sur Internet le 06 Novembre 2013, par un frère togolais : « Salut David, j’aimerais te faire une suggestion. Refusant d’assumer sa responsabilité dans l’assassinat du jeune élève Douti Sinanlengue battu à mort par les spadassins du régime, le gouvernement Ahoomey-Zunu avait affirmé qu’il était mort d’une péritonite. Et un faux certificat médical avait été délivré à cet effet. Ironie du sort, c’est le Premier ministre lui-même qui souffre aujourd’hui d’une péritonite. C’est ce qui ressort du conseil des ministres d’aujourd’hui. On y lit : ‘’Sur l’état de santé du Premier ministre, le Chef de l’Etat a tenu à informer le Conseil que le Premier ministre a été évacué à l’étranger pour y être opéré d’une péritonite faisant suite à une appendicite non découverte à temps. L’opération s’étant bien déroulée, le Président de la République a souhaité un prompt rétablissement au Premier ministre ‘’. Si ça peut t’inspirer pour une nouvelle lettre ! » Des idées, Monsieur le Premier ministre ?

 

 


Notre Lampedusa s’appelle Togo, Mr Arthème

Arthème Ahoomey-Zunu
Arthème Ahoomey-Zunu

7e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

Bamako, le 18 Octobre 2013

Monsieur le Premier ministre,

J’espère que vous allez bien, vous et votre famille. Nous nous portons à merveille, nous aussi. Gloire au Ciel.

Je crois, Monsieur le Premier ministre, que vous connaissez ce proverbe de notre peuple éwé qui stipule que tant que le pou circulera dans la tignasse, les doigts y circuleront aussi pour l’attraper. Eh bien, Monsieur le Premier ministre, notre pou circule toujours dans la tignasse, et il faut que nos doigts y circulent pour l’attraper. Notre pou, ce gendarme ou militaire ou policier togolais qui, en avril passé, a abattu un enfant togolais innocent de 12 ans, Anselme Sinandaré. Un assassinat que vous avez promis sur les ondes de la Radio France internationale, RFI, le 18 avril 2013, d’élucider à travers une enquête, une enquête dont nous n’avons aucune information depuis six mois maintenant. Le pou assassin circule dans nos têtes, circule au Togo, mais votre enquête pour le démasquer tarde, Monsieur le Ministre, et je me fais le devoir, en qualité de citoyen togolais, de frère d’Anselme, de vous le rappeler pour la septième fois.

Monsieur le Premier ministre, vous avez sûrement appris le drame qui a, il y a quelques jours, secoué le monde entier, celui de ces centaines d’Africains noyés aux larges de l’île de Lampedusa, dans leur traversée vers l’Europe. Vous l’avez appris, ce énième drame lié à l’immigration des Africains vers le rêve occidental, et vous avez soit poussé un soupir de compassion devant cette pitié, cette honte sans nom, soit murmuré que cela leur apprendra, à ces immigrés têtus, à ne plus vouloir quitter l’Afrique et vous exposer aux yeux de toute la Terre, comme si l’Afrique était devenu un enfer. De toute façon, ce drame vous a ému parce qu’une scène aussi inhumaine émeut toujours chaque humain qui a su garder au fond de lui une petite trace d’humanité, ou vous a laissé indifférent. Tout dépend de votre degré d’humanité.

Mais, Monsieur le Premier ministre, au-delà de votre indignation ou de votre indifférence, et avec un peu d’analyse, vous devez comprendre que ce drame ayant frappé ces infortunés Somaliens et Erythréens est aussi un drame togolais. Le drame de ces hommes sans espoir, ayant vécu dans la misère, les larmes, les humiliations… et qui sont morts dans la plus grande atrocité, les yeux rivés sur une pâle lueur d’espoir, est aussi celui de la majorité du peuple que vous dirigez, le peuple togolais.

Monsieur le Premier ministre, y-a-t-il finalement une différence entre ces Somaliens et Erythréens noyés à Lampedusa dans leur espoir de rejoindre l’Europe pour y trouver un peu de dignité et ce jeune Togolais de 12 ans abattu comme une bête durant une manifestation où il réclamait plus de dignité pour ses enseignants, ceux-là qui sont chargés de forger son avenir, sa dignité à lui ? Y-a-t-il une différence entre ces sinistrés de Lampedusa et tous ces Togolais tués par centaines, par milliers, depuis presque cinquante ans maintenant, parce qu’ils ont osé réclamer, espérer plus de dignité ? Y-a-t-il, Monsieur le Premier ministre, y-a-t-il une différence entre les naufragés de Lampedusa et ces centaines de Togolaises, les ventres gonflés de vie et d’espoir, décédées, tuées dans des centres de santé au Togo parce qu’elles n’y ont pas trouvé le minimum de soins pour les aider à donner la vie ?    

Monsieur le Premier ministre, Lampedusa n’est pas une île où des Africains entassés dans des bateaux de fortune vers l’Occident se noient. Lampedusa, c’est le symbole de cet abîme qui engloutit des hères sans espoir, cherchant une toute petite dignité, un semblant de joie de vivre, et qui n’ont trouvé que la mort, que l’indignité. Et des hommes ayant vécu et ayant rendu l’âme sans la moindre joie de vivre, sans la moindre dignité, sans avoir bénéficié de la moindre justice ici-bas, vous pouvez, si vous le voulez bien, en compter des dizaines, des centaines, des milliers, des millions au Togo.

Monsieur le Premier ministre, à défaut d’une vie digne, d’une vie vivante, vivable, ce que désirent, réclament désormais les Togolais est une mort digne. On ne peut vivre indigne et mourir indigne chez soi. La mort d’un enfant de 12 ans abattu, sans raison, comme un chien errant, une mort dont les motifs, tout comme le nom de l’auteur sont restés flous, obscurs, cachés depuis six mois maintenant, est une mort indigne. La mort d’Anselme Sinandaré est une mort indigne. Tous ces Togolais assassinés directement ou indirectement par ce régime que vous servez avec une si grande passion sont morts d’une mort indigne, parce que trop gratuite. Aucun humain, alors pas même un seul, n’accepterait de mourir si tragiquement comme le fut Anselme, sur la terre sienne, et que six mois après, rien ne soit entrepris par ses frères pour punir son assassin.

Monsieur le Premier ministre, le petit Anselme aurait préféré mourir à Lampedusa, être repêché et enterré sur une terre étrangère, ou même finir dans les entrailles d’un monstre marin, au lieu d’être tué par son propre frère, chez lui, sans que la moindre justice ne lui soit rendue. Tous ces Togolais engloutis par votre clan depuis cinquante ans auraient préféré mourir à Lampedusa et être pleurés par des étrangers, au lieu d’être fauchés, si injustement, si gratuitement, sur le sol de leur patrie, et ne même pas avoir droit aux honneurs que méritent tous les morts.

Monsieur le Premier ministre, ce drame de Lampedusa n’est pas le premier, et il ne sera pas le dernier. Demain, après-demain, aussi longtemps que l’Afrique restera ce qu’elle est aujourd’hui pour ses fils, une horreur, des bateaux, des dizaines de bateaux, des centaines de bateaux transportant des Africains à la quête d’une trace de dignité se dirigeront vers Lampedusa. Certains arriveront à bon port, d’autres n’y arriveront pas. Et chaque fois que vous verrez un homme mourir à Lampedusa, Monsieur le Premier ministre, chaque fois que vous verrez des groupes d’Africains engloutis dans les abysses de Lampedusa, pensez à Anselme et à tous les Togolais dont votre régime porte la mort sur la conscience, pensez à tous ces Togolais que votre régime tuera tant qu’il continuera de s’imposer aux Togolais. Oui, pensez à Anselme, et interrogez votre humanité.

Très Cordialement

Yao David Kpelly

 

                                                                                                         


Les Togolais sont heureux, Messieurs de l’O.N.U

Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de L'ONU
Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de L’ONU

Cher Monsieur Ban Ki-Moon, chers Messieurs de l’O.N.U,

C’est par les incontournables réseaux sociaux que je viens de lire le rapport intitulé « World Happiness Report 2013 » commandité par the « Sustainable Development Solutions Network » une initiative de l’Organisation des Nations Unies. Dans ce rapport, vous avez classé 156 pays selon des indices de bonheur sur la période 2010-2012, 156 pays représentant tous les continents, et j’ai été étonné de voir mon pays, le Togo, en dernière position. Le Togo est donc le pays où les populations sont les plus malheureuses sur ces 156 pays, que dit votre rapport ! Et il paraît, d’ailleurs, que ce n’est pas la première fois que notre pays occupe ce rang, et qu’il a été dernier dans certains de vos rapports précédents sur le bonheur. C’est rassurant pour nous, parce qu’on se dit au moins que vous connaissez notre pays, ce qui n’était pas évident, quand on considère l’indifférence totale dont font preuve votre institution et toutes les autres institutions internationales vis-à-vis de la situation sociopolitique du Togo.

Chers Messieurs, votre ONU était là, quand, aux lendemains des Indépendances des Etats africains, l’un de ses membres les plus influents, la France, avait fait assassiner le père de l’Indépendance du Togo, pour le remplacer par un cultivateur-lutteur-traditionnel-militaire n’ayant participé en rien à la lutte pour la décolonisation du Togo, n’ayant aucune notion, alors aucune, de gouvernance. L’ONU était là, quand Eyadema, puisqu’il faut l’appeler par son nom, comme la peste de La Fontaine, a anéanti tous les espoirs de développement du Togo naissant, fondant, pendant 38 ans, son règne sur des mises en scène cocasses, la torture, le meurtre, le mensonge, la corruption, la prévarication… L’ONU, la vôtre, était là, en 2005, quand à sa mort, l’armée togolaise et les institutions internationales africaines avaient intronisé, dans le sang de centaines de Togolais révoltés, son fils Faure Gnassingbé – que vous connaissez très bien, puisque que vous l’invitez fréquemment à vos sommets. Et jamais, votre ONU n’a pensé à sauver le Togo suivant ses missions – ses missions sur papier bien sûr.

Messieurs, il paraît, et on le voit très bien, que l’ ONU, votre ONU n’intervient que dans de vrais pays, c’est-à-dire des pays qui sont très riches en ressources minières, le pétrole en tête. Et notre pays, le Togo, n’a pas de pétrole. Ah, ouais, il y avait, entre-temps, eu ce buzz selon lequel on avait découvert du pétrole sur notre côte. Ce fut la débandade dans le pays. La rumeur avait rapporté que le président Eyadema avait nommé un de ses neveux ministre du Pétrole, en attendant l’exploitation, et ce dernier avait demandé une avance sur salaire, avait envoyé ses six enfants étudier en Occident, s’était construit trois villas à Lomé, et s’apprêtait à prendre une quatrième femme avant que des experts occidentaux ne viennent affirmer que le pétrole que renfermait notre sous-sol n’était même pas suffisant pour alimenter un lampion à la veillée funèbre d’un nourrisson au village. Notre pays n’a donc pas de pétrole, pas suffisamment pour vous intéresser. Pas même du cacao comme la Côte d’Ivoire, ou de l’or comme le Mali, ou de l’uranium comme le Niger. Voilà pourquoi, devant l’ONU, on ne pèserait pas lourd, comme pays. Soit.

Mais, Messieurs, chers Messieurs de l’ONU, comme le dit ce proverbe togolais : « même dans un fleuve aux eaux troubles, les petits caïmans arrivent à s’amuser ». Les Togolais, fatigués de vous appeler au secours, ayant compris qu’ils n’intéressent ni votre institution ni les autres institutions internationales censées pourtant les protéger, ayant compris qu’ils ne peuvent faire leur bonheur qu’avec la désastreuse situation dans laquelle ils sont abandonnés depuis presque 50 ans maintenant et qu’ils ont tout tenté pour éradiquer sans succès, ont fini par créer leurs propres indices de bonheur, différents des indices avec lesquels vous faites vos classements.

Quand dans tous les pays limitrophes les étudiants perçoivent autour de deux cents mille francs CFA chaque année comme bourses, l’étudiant togolais se contente de quatre-vingts mille francs « d’aides », et sa plus grande prière est que les autorités aient l’ineffable magnanimité de les lui payer à temps. Et chaque fois qu’il perçoit une tranche de vingt mille, après trois mois, il est aux anges. Le jeune diplômé togolais a fini par voir un salaire de cent mille francs CFA par mois comme une aubaine, et il est heureux, quand il arrive, après cinq ans de chômage – un délai raisonnable – à décrocher, par le plus improbable des hasards, un travail qui lui rapporte soixante mille par mois, parce qu’il se sent plus chanceux que ses dizaines de collègues diplômés qui finissent conducteurs de taxi-moto. Manger au moins une ou deux fois par jour, arriver à accoucher et sortir vivant d’un hôpital public, avoir un toit, gagner un procès face à un Libanais, ne pas mourir avant 50 ans… tous ces faits banals, triviaux sous d’autres cieux, sont devenus des sources de bonheur pour les Togolais.  

Il vous suffit, Messieurs de l’ONU, d’aller dans des temples togolais, suivre les témoignages et actions de grâce, pour comprendre comment les Togolais ont relativisé la notion de bonheur, et ont appris à être heureux dans leur déchéance cinquantenaire : « Nous avons construit notre propre maison et nous nous y installons dès la semaine prochaine, nous sommes heureux, ma famille et moi, et nous remercions Dieu, Alléluuuuiiiiiaaaa », « Mon mari, qui n’a que trente-six ans, vient d’acheter une moto pour faire taxi-moto pour son propre compte, Gloire à Dieu, je suis si heureuse », « J’ai ma maîtrise depuis quatre ans seulement, mais je viens d’avoir du travail comme comptable dans une micro-finance, j’y crois à peine, je suis mort de joie, Dieu soit loué » « Le policier qui faisait la cour à ma fille et qui menaçait de l’enfermer si elle n’accepte pas ses avances vient d’être muté dans une autre ville, ma fille est sauvée, Praise the Lord ! » « Le gendarme qui a acheté cent mille francs de sodabi chez ma femme depuis deux ans a finalement décidé de la payer, mon âme loue le Seigneur, Amen ! », « J’ai gagné à la loterie-visa, Dieu est grand ! »…

Oui, chers Messieurs, même si, à vos yeux, ces gens qui témoignent ne sont pas heureux, parce que ne répondant pas à vos beaux indices onusiens, ils le sont dans leur monde. Ils se créent, avec leurs propres moyens de laissés-pour-compte, leur bonheur. Votre institution nous classe chaque année comme les plus malheureux au monde, mais pouvez-vous nous dire ce qu’elle fait, cette institution ronflante et budgétivore qui installe des dictatures partout au gré de ses intérêts, pouvez-vous nous dire ce que fait l’ONU pour nous rendre heureux au Togo ? Méditez cette question, et répondez y quand vous nous classerez encore derniers dans votre prochain rapport.

Très cordialement

Un Togolais étonnamment pas malheureux

 


Les Sœurs Kardashian chez Faure Gnassingbé

Les soeurs Kardashian (crédit image: www.peoplepremiere.fr)
Les soeurs Kardashian (Crédit image: www.peoplepremiere.fr)

Hier, je prenais une petite Castel ou Flag – je n’ai pas l’habitude de vérifier sur l’étiquette, parce que les bars de Bamako ont cette particularité d’être cachés et sombres, va savoir pourquoi, mon vieux -, je prenais donc, hier, une petite bière dans un bar ivoirien avec trois amis maliens, quand une discussion sur l’investiture du nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keita alias IBK, m’a encore rappelé une évidence que j’ai toujours cherché à ignorer, à nier. Justement, quand on parle d’IBK, on voit son fouet, parce que le gars, il paraît qu’il ne blague pas, qu’avec lui cette pagaille à laquelle nous avons été habitués dans ce pays ne passera plus, que nous serons désormais dressés aussi droits que la lettre « i », qu’avec lui nous deviendrons aussi sages que le pagne d’une nouvelle veuve, que fini la corruption, les pots de vin, les graissages de pattes, les c’est-ton-frère-fais-le-asseoir-quelque-que-part-à-côté-de-toi, que fini les petites étudiantes qui montrent les fils de leurs strings et leurs perles en métal pour déconcentrer leurs profs et les induire dans la tentation, que fini, surtout, les virées nocturnes de nous autres qui ne jurons que par les bars et les bouteilles de bière, parce que les musulmans radicaux qui l’entourent vont le pistonner à fermer les bars, boîtes à putes et autres clubs de striptease qui nous dévergondent ici…

Bref, durant une discussion, hier, sur la prochaine investiture d’IBK, autour de ces petites Castels que nous prenions avec avidité comme si c’étaient les dernières, mes amis maliens m’ont une fois de plus révélé cette évidence que je n’ai toujours pas voulu accepter. Notre président, Faure Gnassingbé, est l’un des présidents les moins connus d’Afrique. J’ai eu à le remarquer depuis mon arrivée au Mali il y a cinq ans, il y a très peu de Maliens qui connaissent Faure Gnassingbé. Les rares qui peuvent le mentionner, l’appellent, vaguement, Faure Eyadema, avec l’ombre de son défunt père planant sur lui. Je ne peux compter le nombre de fois où j’ai répété à mes étudiants que le président du Togo n’est pas Yayi Boni, corrigé ces amis qui me demandent si le Togo est une partie du Bénin, sermonné ces autres qui, goguenards, me disent que le Togo est un pays limitrophe du Cameroun et son président est Sassou N’guesso – Quelle horreur ! Avec tout ce que nous avons comme calamité au Togo, il faut encore que Sassou N’guesso soit notre président ?

Mars 2013. J’attendais mon vol pour Paris dans une salle d’embarquement de l’aéroport de Vienne. Un Asiatique vint s’asseoir à côté de moi et commença à discuter avec moi. Après quelques minutes, il chercha à regarder mon passeport que j’avais en main, et me demanda où se situait le Togo. « En Afrique de l’Ouest, entre le Bénin et le Ghana », lui avais-je répondu. Il me fit savoir qu’en Afrique il ne connaissait que quelques rares pays dont l’Afrique du Sud, le Sénégal où il avait eu une copine – ah, les Sénégalaises !, le Cameroun qui joue bien au foot – « jouait bien », que j’aurais dû lui rappeler, la Côte d’Ivoire où il avait eu une autre copine – décidément ces petits Asiatiques et leur libido !, le Mali avec les islamistes…  Je lui fis savoir que ce n’était pas un crime qu’il ne connaisse pas le Togo, qu’en dimensions, c’est un tout petit pays, tellement petit qu’un militaire boiteux devenu président avait jugé bon de l’offrir, à sa mort, comme héritage, à coups de machettes, de grenades et de fusils, à un de ses fils qui est son actuel président et qui s’appelle Faure Gnassingbé. L’Asiatique murmura le nom de notre président pendant quelques secondes, comme on le fait quand on veut mettre un visage sur un nom qu’on connaît, et me demanda si Faure Gnassingbé n’était pas un ancien boxeur célèbre africain. Je courus dans les toilettes pour pouffer de rire. Faure Gnassingbé sur un ring !

Paradoxalement, le président gabonais, Ali Bongo, arrivé au pouvoir au Gabon dans les mêmes conditions que Faure Gnassingbé après la mort de son père Omar Bongo, Ali Bongo qui fait à peine quatre ans à la tête du Gabon, est mille fois plus connu que Faure Gnassingbé qui dirige le Togo depuis huit ans maintenant. Et pourtant, Ali Bongo ne peut pas affirmer qu’il a eu plus de mérite en prenant le pouvoir au Gabon que Faure Gnassingbé au Togo. Il a à peine tué une dizaine de Gabonais pour arracher le pouvoir, alors que Faure Gnassingbé, plus compétent, plus précis, a tué, en 2005, plus de cinq cents Togolais pour prendre le pouvoir. Alors, qu’est-ce qu’il a, Ali Bongo, plus que Faure Gnassingbé, hein ? Le gros ventre ? La tête chauve ? La femme blanche ? Mais alors, si c’est la femme blanche, dites-le-nous, nous allons chercher une de ces petites Asiatiques vendeuses de sandwich dans nos capitales à notre président.

Donc, le constat est là, et beaucoup de Togolais peuvent le témoigner, hors de notre pays, les gens ignorent notre président comme Monica Belluci ignore le capitaine Sanogo (j’ai beau suivre des cours de remise à niveau, je n’arrive pas à l’appeler par son nouveau grade de général). Hors de l’Afrique, ça peut passer qu’on ne connaisse pas notre président, mais à l’intérieur de notre continent, en Afrique de l’Ouest, au Mali, à deux frontières du Togo, qu’on me répète partout que le président togolais c’est Yayi Boni, ça donne quand même un petit coup au relent patriotique. C’est pourquoi en réfléchissant bien hier nuit, après cette nouvelle raclée que j’ai prise avec mes amis maliens qui m’ont dit que le président de notre pays, Yayi Boni, viendra à l’investiture d’IBK en septembre prochain, je me suis dit qu’il faut pousser les conseillers en communication de notre présidence à revoir la communication de notre président. Ces messieurs ne peuvent pas seulement se contenter de faire lire des discours ampoulés, des discours aussi surfacturés que les services d’une tapineuse nigériane, à notre président, il faut chercher à le vendre, notre fort Faure national, hors du Togo.

J’ai donc pensé à un truc simple, mais qui peut être très efficace à court terme. Faire jouer notre président dans une émission télévisée de grand public. L’émission musicale « The Voice » aurait été très appropriée, avec Faure Gnassingbé comme candidat, mais pour qui a déjà écouté notre président parler, ce n’est pas gagné, il a une voix qui tremble. Faure Gnassingbé interprétant « Let it be » par exemple, ce sera comme Assurancetourix dans Axtérix et Obelix, vaut mieux ne pas l’écouter. J’ai aussi pensé à une nouvelle saison de la célèbre série « Prison Break » avec Faure comme acteur principal mais avec tous ces efforts physiques et ces acrobaties, nous risquons de tuer notre président, sachant que sa biographie précise que le sport qu’il fait le mieux c’est le vélo – un vélo à trois roues, j’imagine. Finalement j’ai retenu la téléréalité qui cartonne actuellement «Les Sœurs Kardashian ». On pourrait intituler la saison : « Les Sœurs Kardashian au Togo » où Faure Gnassingbé jouera le copain de Kim Kardashian. Là au moins il sera dans son élément. Bon, je crois.  

 


Du champagne pour la sœur de Faure Gnassingbé

Portrait de fille africaine (Crédit image: www.dreamstime.com)
Portrait de fille africaine (Crédit image: www.dreamstime.com)

Depuis qu’Etienne, un de mes amis à Bamako, a amené sa femme du Togo, il y a un an, le nouveau marié ne cesse de me vanter les mérites du mariage. « Je ne sais pas ce que tu veux, toi, toutes ces petites étudiantes togolaises ici, tu ne peux pas en choisir une hein, tu les laisses à qui, hein, tu sais qu’elles n’aiment pas les Maliens, elles les trouvent pas branchés et surtout polygames, écoute, si tu ne veux pas en prendre une ici, cherche juste un mois, tu cours au pays en prendre une, tu sais aucune fille du pays ne refuse actuellement un garçon revenu de l’étranger, quel que soit le pays d’où il revient, même si tu reviens d’Afghanistan ou d’Irak, tu trouveras de jolies Togolaises prêtes à t’épouser et te suivre, elles ne veulent pas finir dans le mouroir des Gnassingbé, d’ailleurs, t’inquiète, je t’en chercherai une ici très bientôt, crois-moi. » Et il m’en a trouvé, une, et pas n’importe laquelle.

– La petite sœur même père de Faure Gnassingbé, étudiante ici, tu dis, hein ? Mais pourquoi n’est-elle pas en France ? Une Gnassingbé, propriétaire du Togo donc, qui n’a trouvé que Bamako pour étudier ? C’est bizarre.

– Comment ça bizarre, hein, avait rétorqué Etienne, plus convaincant qu’un Ivoirien à la drague, tu sais, nos riches deviennent de plus en plus intelligents, ils ne veulent plus envoyer leurs enfants en Occident, parce qu’ils leur reviennent de là soit drogués soit homosexuels, ou, pire, mariés à des Blancs. Je te jure que c’est la sœur de Faure Gnassingbé, j’ai lu le nom sur sa carte d’identité de mes propres yeux, d’ailleurs quand tu la verras, tu n’auras plus besoin qu’on te le dise, elle pue l’argent, et quand tu vois son derrière, mon vieux…

Je ne savais si je devais croire Etienne ou pas. Un de ses voisins de quartier avait ramassé, dans un bar très cher de Bamako, la carte d’identité d’une Togolaise, et sachant qu’il était Togolais, le voisin la lui avait amenée, et, que lisait-il sur la carte, hein, les dix lettres magiques formant la formule qui permet d’être président de père en fils pendant cinquante ans : GNASSINGBE. Il avait sursauté, avait paniqué, parce qu’une carte d’identité portant le nom « Gnassingbé » est aussi rare à ramasser que trouver le soutien-gorge d’une star de Hollywood à la mode dans le lit d’un portefaix. Ayant repris ses esprits, il avait appelé le numéro qui figurait sur la carte, et la fille lui avait donné rendez-vous dans un bar. Ils s’étaient rencontrés, et quand il avait demandé à la fille si elle était une sœur de Faure Gnassingbé, elle avait bougé la tête vers le bas, ce qui signifiait oui. Elle est étudiante. « David, mon frère, c’est ta femme, je vais tout arranger, c’est ta chance, cette fille est ta chance de réussite dans la vie, un petit poste de ministre te conviendrait non? Attends juste qu’on la rencontre ce soir, tu jugeras toi-même. Bon, elle n’est pas belle, elle ressemble à son grand-frère, mais bon, que veux-tu, hein, à défaut d’une jeune fille, une veuve s’appelle « mon amour » dit le proverbe. Tu fermes les yeux et tu l’épouses, c’est son argent qui compte. Je sais que tu te demandes si elle est vraiment riche comme je la présente. Pas de souci, tu crois que je me serais intéressé à elle si elle n’était pas riche, hein, dis-moi, un Gnassingbé ça vaut quoi si ça n’a pas d’argent, hein… »

« Chop my money, chop my money ooooooooo, chop my money, i don’t caaaaaare… hé…hé » Le Blabla. Un des restos les plus chers de Bamako, prisé par une clientèle majoritairement occidentale relayée de temps à autre par de vieux experts en péculat, spécialistes en consommation exagérée de Viagra toujours décidés à en mettre plein les entrailles à de petites nymphomanes aussi matérialistes qu’allumées. Pendant plus de deux heures, Etienne, moi, et la petite sœur de Faure Gnassingbé avons mangé, bu et bavardé. Pas belle, mais très propre et élégante ! Elle puait vraiment l’argent ! Etienne avait vu juste. J’ai même décelé une ressemblance entre elle et son grand frère le président togolais : ces yeux dormants qui donnent toujours l’impression à la télé que notre président somnole à toutes les conférences. Comme me l’avait conseillé Etienne, je n’abordai aucun sujet politique, et lui cachai que j’étais blogueur. Un petit tour sur mon blog, et tout serait foutu si elle découvrait toutes les grivoiseries que je vomis à longueur de texte sur son grand-frère de président.

Vers minuit, nous décidâmes de payer et partir. On nous amena une addition totale de cent-trois mille francs CFA. La sœur de Faure Gnassingbé, riche bécébégé,  avait fait sauter un vin mousseux de quarante-deux mille. Le serveur, voyant ma bedaine naissante qui me donne l’air de je ne sais quel bourgeois de village, me tendit la note. Je lui fis signe de la tête de la tendre à la riche sœur de Faure Gnassingbé. Elle parut, la sœur de Faure Gnassingbé, étonnée que je lui demande de payer. Je parus étonné qu’elle parût étonnée que je lui demande de payer. Etienne parut étonné que nous parussions étonnés. Et ce fut lui qui brisa le silence qui s’était abattu sur nous :

– Euh, Mademoiselle, écoutez, euh, nous on s’est dit que, bon, comme vous, vous êtes la sœur du président, et…

Elle, la sœur de Faure Gnassingbé, pouffa d’un rire amer, en tapant des mains, comme le font les Togolaises quand elles font des commérages :

– Ehouéééééééééé, makoulaaaaaaaaa, donc, si je comprends bien, vous m’avez fait venir ici pour manger et me faire payer avec l’argent volé de mon frère le président ! Tchoooo, mon frère, écoute, je ne suis pas la sœur de Faure Gnassingbé, pas même sa cousine au trentième degré, je m’appelle Nadou, tu vois, hein, je suis d’Aného, loin, très loin de Faure Gnassingbé, donc…

– Hein… Et… et… ta carte d’identité, le nom « Gnassingbé », balbutia Etienne, alors que moi je m’efforçais à me rappeler un zidobo, une de ces incantations qu’on apprenait durant l’enfance, et qui, nous disait-on, pouvaient nous aider à disparaître dans certaines situations critiques et nous retrouver dans notre chambre.

– Ohhhhhhhhhhhh, fofonyé, mon grand-frère, cette carte, c’est juste une invention d’un de mes anciens grotos à Lomé, un commissaire de police. Il me l’avait établie juste pour me permettre de gérer certaines situations difficiles. Tu sais que le nom « Gnassingbé » ça peut gérer pas mal de situations au Togo. Je l’ai amenée à Bamako en attendant d’établir ma carte consulaire, et je l’ai égarée dans le bar où ton ami l’a retrouvée. Elle n’a rien de vrai, cette carte, d’ailleurs il y est mentionné que je suis étudiante alors que je n’ai pas le CEPD, moi. J’ai toujours été serveuse.

– Et pourquoi avais-tu accepté quand je t’avais demandé, hier, si tu étais une petite sœur de Faure Gnassingbé ? eut encore le courage de murmurer Etienne, alors que le serveur, la patience à fleur de peau, poussait déjà de petits jurons de chien méchant.

– Bah, répondit la sœur de Faure Gnassingbé, ou plutôt celle qui aurait dû l’être pour payer cette addition de malheur, bah, répondit-elle, je ne pouvais pas refuser d’être une sœur de Faure Gnassingbé si on décide de m’en faire ! Bon, assez bavardé, payez et on y va, je suis votre sœur après tout, vous pouvez payer pour ce petit truc que j’ai mangé non ? Lui, surtout, il est bien joufflu, il a de l’argent, on dirait que c’est plutôt lui le petit frère de Faure Gnassingbé, fit-elle, pickpocket, en me désignant.

 


Le fantôme vous poursuit, Monsieur Arthème

Arthème Ahoomey-Zunu
Arthème Ahoomey-Zunu

5e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

Bamako, le 18 août 2013

Monsieur le Premier ministre,

J’espère que vous allez bien, vous et votre famille. Nous allons bien aussi, du moins comme des gens comme nous peuvent aller bien. Gloire au Ciel. Vous connaissez, j’espère, ce proverbe du peuple éwé, dont nous sommes issus, vous et moi, qui stipule que quand tu vois un agouti détaler en plein jour, sache que soit il poursuit une proie, soit un prédateur le poursuit. Justement, si je vous envoie cette lettre, la cinquième en quatre mois, c’est parce qu’un prédateur nous poursuit depuis quatre mois maintenant. Le fantôme d’Anselme Sinandaré, ce jeune élève togolais tué à Dapaong en avril 2013 par vos policiers-gendarmes-militaires – la macabre trinité togolaise, et dont vous avez promis sur les ondes de la Radio France Internationale, RFI, le 18 avril 2013, d’éclaircir la mort à travers une enquête. Voici quatre mois que vous ne l’avez pas faite, cette enquête, et le fantôme de ce petit garçon nous poursuit, cherchant justice.

Monsieur le Premier ministre, je vous ai vu, vous et votre clan du pouvoir, il y a quelques semaines, vous réjouir d’avoir organisé des élections législatives transparentes et apaisées. Des élections qui s’étaient soldées par la victoire de votre parti, le parti au pouvoir, qui a remporté 62 sièges sur les 91 au parlement. Du champagne pour vous, mon ministre, pour cette si belle victoire. Mais 62 sièges seulement, vous dites ! Non, je vous offre le reste, prenez tous les 91 sièges. Si ce sont les 29 sièges que vous n’avez pas eus qui vous empêcheront de changer le Togo, prenez-les. Parce que voici maintenant des décennies que vous avez la majorité parlementaire, mais les Togolais continuent de chercher leur pays, mais ne le trouvent pas, ils continuent de chercher la joie, cette joie de vivre qu’on a quand on est chez soi, mais ne la trouvent pas. Prenez donc toute l’assemblée nationale, et changez le Togo !

Monsieur le Premier ministre, si ce sont les sièges, ces quelques sièges que vous avez toujours donné à l’opposition au parlement qui ne vous ont pas permis pendant cinquante ans d’instaurer un Etat de droit au Togo, prenez cette fois-ci toute l’assemblée nationale, et changez le Togo. Faites, surtout, qu’aux prochaines élections vous ne soyez plus obligés d’acheter des voix, de corrompre les délégués des opposants, de payer des délinquants pour perturber les rencontres des opposants, de distribuer des gadgets aux électeurs à la veille des élections… pour qu’on vote pour vous.

Monsieur le Premier ministre, vous avez construit des routes. Oui, je suis retourné au Togo l’année passée, et j’ai vu. Ce serait malhonnête de dire que vous n’avez rien fait sur le plan des infrastructures. Mais si vous voyez que malgré ces efforts que vous semblez déployer le peuple grogne toujours, vous boude toujours, c’est parce que vous n’êtes pas ceux qu’il veut. C’est parce que ce peuple ne se sent lié à vous par aucun contrat. Parce que vous l’avez trop fait souffrir, vous le faites trop souffrir.

Je pourrai, Monsieur le Premier ministre, vous raconter des histoires et des histoires qui vous feront comprendre pourquoi, malgré vos nouvelles routes et nouveaux boulevards, les Togolais ne voteront jamais de leur plein gré pour vous. Je pourrai vous raconter ces loques de vie qu’on rencontre dans tous les coins et recoins du Togo, qui lassés d’espérer, ne pensent qu’à deux choses, quitter le Togo ou mourir. Je pourrai vous raconter les larmes de la femme d’Etienne Yakanou, cet opposant que vous avez récemment tué en prison, quand à la rentrée prochaine elle aura des difficultés pour inscrire seule ses enfants à l’école. Je pourrai vous raconter l’histoire de Yao, ce jeune togolais ayant fui les répressions des milices du pouvoir au Togo en 2005, après avoir vu le corps de son père décapité dans une maison inachevée, devenu, déprimé et perdu, un saoulard à Bamako, entraîné et tué au Nigeria par des brigands.

Je pourrai vous raconter la tragédie de l’un de mes meilleurs amis de lycée, Apenyo A., un jeune homme si travailleur, si ambitieux, mais qui, désespéré après ses inexplicables échecs à l’université, s’était reconverti en conducteur de taxi-moto et enseignant vacataire d’école privée, avant de mourir l’année passée d’une maladie qu’il n’avait pas eu les moyens de guérir. Et la démence de cette femme quinquagénaire qu’on m’a montrée dans une banlieue de Tsévié en 2012, qui erre, comme une folle, chaque jour, prononçant le nom de son fils tué à Lomé pendant les violences postélectorales en 2005. Je pourrai, je pourrai… oui, je pourrai vous raconter l’histoire d’un jeune collégien de 12 ans, Anselme Sinandaré, sorti en bonne santé de chez lui un matin, et qu’on a rapporté, mort, lourd, à sa mère, tué par balles… Voilà, Monsieur le Premier ministre, le Togo des Togolais. Le Togo dont vous, votre clan et vos valets n’aimez pas qu’on parle dans les médias. Le Togo devenu cauchemar pour les Togolais.

Monsieur le Premier ministre, j’ai lu dans votre curriculum-vitae que vous avez travaillé pendant de longues années dans la Commission des droits de l’homme. Et permettez-moi de vous dire que pour l’ancien militant des droits de l’homme que vous êtes, faire quatre mois sans avoir pu mener des enquêtes sur la mort d’un enfant tué devant des milliers d’yeux, c’est, c’est… c’est quoi déjà, hein ! De la mauvaise foi. La vraie. Et son fantôme vous poursuit, parce que vous savez très bien que dans nos coutumes on ne fait pas de fausses promesses sur un cadavre. A vous de voir très vite, sinon, vous serez très bientôt contraint de chanter cet air des chanteurs de Kini Gazo : « J’ai péché contre grand-père python, j’ai péché contre grand-père python, grand-père python ne mord pas, mais grand-père python m’a mordu, je suis foutu loooooooooooooooooooo ! »

 Bien Cordialement

Yao David Kpelly

PS : Ah, Monsieur le Premier ministre, aux dernières nouvelles, j’ai appris que vous allez bientôt démissionner, c’est-à-dire que vous déciderez de ne plus être Premier ministre, ou, disons plutôt qu’on vous fera décider de ne plus être Premier ministre, puisque votre mandat est fini avec les législatives. Ne vous inquiétez surtout pas, nous avons un contrat de douze lettres, et je le remplirai, avant d’en faire un livre, comme nous l’avons décidé. Je ne sais pas quel poste vous occuperez après, mais je parie que vous demeurerez toujours un quelqu’un dans le quelque chose de notre pays. Mais pour moi, vous resterez toujours le Premier ministre qui a promis cette enquête, et je vous appellerai désormais dans les lettres « Ex-Premier ministre ». Au mois prochain donc, Monsieur le presque-ex-premier-ministre.