diambar

Balade dans les rues de Pikine

Résumé :  En balade dans Pikine, mes souvenirs de jeunesse rejaillissent ; j’essaie de les recaser dans la réalité de ce quartier populaire de Dakar où j’ai grandi.

Pikine a un le profil assez répandu des ces quartiers populaires que l’on trouve posé à la périphérie des grandes villes, à proximité de l’autoroute à péage. Ma famille y est installée depuis les années 50. C’était, bien sûr, avant ma venue au monde. A l’époque, il y avait quelques cabanes isolées parmi une forêt d’arbres où gambadaient les singes.

Aujourd’hui, Pikine est une ardente banlieue, la plus grosse de Dakar. Il suffit de se promener dans ses rues étroites et sableuses pour constater ses maux. La jeunesse oisive prend le « Thayine », le thé local au coin de rue. A l’heure du repas, les gargotes à ciel ouvert servent une nourriture abondante, et grasse.

J’ai grandi à Pikine. Ma jeunesse (elle n’est pas terminée !)  s’est passée dans les années «d’avant dévaluation du Cfa», survenue en 94. Il me semble que, ces temps là, le quartier était plus serein, moins assailli par l’urgence de survivre.

Jusque dans les années 90, le cinéma Vox était le cœur battant de Pikine. Vox était une salle sombre, infestée de rats où flottent les odeurs d’urine, de sueurs, de chanvre indien. C’était le lieu où se retrouvaient la racaille ordinaire, les vendeurs à la sauvette, les travailleurs des usines de Dakar. Faut dire que tous n’allaient pas au cinéma avec la noble intention de regarder un film.

Le quartier vibrait aux rythmes des romances venues de Bombay, des acrobaties fantasques de Bruce Lee. Nous portions des pendentifs à l’effigie des célèbres acteurs de Bhollywood.

Les bobines arrivaient à Pikine plusieurs années après leur sortie. Elles recevaient pourtant un accueil enthousiaste. Vox, c’était le grand vestiaire, où l’on venait déposer les angoisses, les tourments, après le gros match qu’est vivre à Pikine.

Aujourd’hui, ce quartier a beaucoup changé. Le cinéma est rasé. Le terrain est acheté par un politicien ; il va y construire un immeuble avec des appartements à louer.

Le cinéma Vox était situé sur une avenue très fréquentée où je passais pour aller à l’école. Mon école primaire, elle, est toujours en place. Mais elle a été en partie transformée en collège pour répondre au boom démographique. A la sortie de l’école, mes camarades et moi, nous arrêtions devant le cinéma, laissant voguer nos imaginations sur les vieilles affiches défraichies. Car nous n’envions pas le droit d’entrer dans la salle.

Vox a laissé un grand trou dans ma mémoire. Je suis soulagé de retrouver sur cette même allée, un repère familier. C’est Mor, un habile cordonnier qui a encore son hangar en face l’ex-cinéma. Il est installé là depuis je ne saurais dire. Assis en tailleur, il répète les mêmes gestes anciens. Son visage est devenu aussi ridé, que les peaux de moutons tannées qu’il travaille. Combien de secrets-a-t-il gardé dans sa tête chenue ? S’il devait y avoir un atelier où l’on redresse le destin chaotique de mon quartier, c’est bien le hangar de Mor. Des générations de Pikinois vont venus lui commander des amulettes pour trouver un travail, pour écarter un rival, ou pour partir…


Mon blog et moi

J’ai 36 ans. Je suis pigiste dans un journal sénégalais. C’est un job mal payé. Je n’ai pas un franc en poche le 10 du mois. Je vis chez mes parents à Pikine, quartier pauvre et populaire de Dakar. C’est un endroit très animé, à l’écart de la capitale. Il y a à Pikine le strict nécessaire pour vivre et mourir pauvre et tranquille. Un marché qui vend le poisson pêché à la mer où les usines de conserve et de textile déversent leurs saletés. Une école primaire avec des enseignants en grève la moitié de l’année pour réclamer des indemnités. Des jeunes désœuvrés qui trainent dans les rues du quartier en attendant la première pirogue pour partir en Europe.

Je vous parlerai souvent de ces jeunes. Beaucoup sont morts en mer en tentant de rejoindre l’ «Eldorado». C’est pour moi une façon d’entretenir leur mémoire. Car ils n’ont pas de tombes à Pikine. Ils ne sont pas enterrés dans le cimetière. C’est un cimetière aux tombes mal maçonnées, avec des épitaphes truffées de fautes d’orthographe.

A Pikine, il y a aussi beaucoup de chats. De gros matous faméliques, chassieux, au poil rugueux, se baladent tranquillement, paire de couilles au vent, sur les toits des maisons en zinc, bâchés contre les pluies et le soleil cuisant. Chaque matin, avant l’arrivée du camion de ramassage, ces félins fouillent rageusement les poubelles à la recherche d’une improbable arête  de poisson à ronger.

Chaque matin,  à 10 heures tapantes, le camion de ramassage se pointe à l’angle de notre rue, toute sirène hurlante – en dépit des protestations outrées de ceux qui, dans le voisinage, font la grasse matinée. Quand le camion d’ordures, richement orné de dessins fantaisistes, arrive, on dirait que ce n’est pas seulement pour prendre les poubelles, mais c’est tout le quartier qu’il est venu ramasser…


Je ne verrai pas Cécile

« Une fois dans sa chambre, il jeta sur le lit son passeport, son
billet d’avion, ainsi que la valise qu’il avait préparée pour son
voyage à Paris. Son coeur était gros de désespoir. Il avait fait de
son mieux pour revoir celle qu’il aimait; mais il avait échoué sans que
ce fût sa faute. Il avait essayé de faire son devoir, mais le Destin
lui-même semblait s’acharner à le trahir. Il était accablé de
constater la stérilité des bonnes intentions, l’inutilité d’essayer
d’être légaliste.`Peut être valait-il mieux rompre définitivement
cette relation. Cécile, il est vrai, souffrirait, mais la souffrance ne
pouvait vraiment gâter cette nature  noble . Quand à
lui, peu lui importait.  il y a toujours quelque cause pour laquelle
il pourrait donner sa vie, et comme la vie ne pouvait lui réserver un
plaisir aussi profond que celui d’être avec Cécile. Il s’abandonnerait au
Destin et ne ferait rien pour le conjurer. »
J’ai travesti à ma guise ce passage d’Oscar Wilde, décrivant le
désarroi Lord  Arthur Savile.  Le contexte originel est,bien sûr,
beaucoup plus dramatique, mais ce paragraphe m’a paru très proche de
ce que j’ai vécu quand j ai été retenu le mois dernier à l ‘aéroport de Dakar  pour des raisons de signatures non conformes.
La littérature est un vaccin contre la bêtise humaine.

Je voulais rejoindre, Cécile


blog à part !

Ouvrez ce blog, vous y trouverez mes angoisses de célibataire proche de la quarantaine qui vit encore chez ses parents, mais participe aux factures et aux charges du ménage, malgré un job de pigiste mal payé. Mais si vous avez envie d’escapade  suivez-moi  dans les ruelles étroites et animées de mon quartier populaire à Pikine, dans la banlieue de Dakar. Prenez ma main, sinon vous risquez de vous y perdre. Je vous montrerai comment on vit, on pleure, on rit, on meurt, on joue dans ce coin.