diambar

Retour sur un territoire de jeunesse

Le temps semble faire des ravages inexorables. Les bâtiments décrépis montrent leur squelette de fer rouillé. Il règne une ambiance de marché dans les rues de ce vieux quartier de territoire de jeunesse aux ruelles étroites, aux volets clos, – vaine tentative pour échapper à la clameur diffuse des mégaphones. Sur ce territoire de jeunesse, aujourd’hui tout acquis au commerce, nous avions jadis délimité une espace de jeu. Nous avons joué aux « petits camps» ; aux « deux équipes », les pieds nus, tapant dans un vieux ballon de foot dégonflé.

Parcourant, il y a quelques jours, sur ces lieux, c’est moins l’écho de nos jeux passionnés qui me revient en mémoire que la voix d’une vieille mendiante qui s’asseyait à l’angle de la rue.  Ses prunelles laiteuses abritées derrière de grosses lunettes de soleil, elle campait sur le trottoir, un mouchoir blanc tendu devant elle. D’une voix puissante et douce, elle chantait une mélodie d’une rassurante ardeur. Le souvenir de cette dame (elle était déjà assez âgée à l’époque) resurgit dans le flot de mes souvenirs comme une bouée. Elle avait le teint foncé et la carrure forte. Elle sillonnait chaque matin le quartier en quête de sa pitance.  C’est l’après-midi, qu’elle s’installait à l’angle de la rue où passaient les travailleurs revenant du boulot. Nous jouions au foot de l’autre côté. Un des éléments de l’équipe entrante devait monter la garde auprès d’elle pour éviter que le ballon ne vienne à elle.

Pendant que nous jouions au foot, poussés par la passion du jeu et la nécessité de dépenser le trop plein d’énergie de nos jeunes corps, elle chantait de sa voix pleine et exaltée.

De retour sur ce territoire de jeunesse, sa voix sort du passé comme le générique d’une époque où le foot avait pignon sur rue. La poésie de sa chanson a bercé une époque d’innocence et d’harmonie sociale. C’était au milieu des années 80, avant que les néfastes programmes d’ajustement structurel ne rompent les équilibres. Dans les années 90, la dévaluation du franc Cfa, imposée par la France, a ensuite aggravé les conditions de vie des ménages sénégalais. A mon avis, les institutions de Brettons Wood ont contribué tuer le football dans nos quartiers populaires. De par sa spontanéité, sa vivacité le foot de rue est ce terreau fertile où poussent les dribbleurs. Depuis quand la Médina n’a pas produit un joueur de la trempe de « Boy bandit » ? Nos rues sont devenus des espaces de débrouille encombrés  d’étals, de « cantines » de gargotes (et pour cause les familles ruinées n’assurent plus les repas).  Vous avez pu constater que dans plusieurs quartiers de Dakar, les jeunes jouent au foot le dimanche matin où la nuit quand les commerces ont fermé.

De retour sur ce territoire de jeunesse, je ne vois plus ces pierres, ces morceaux de briques  qui délimitaient les « petits camps ». La rue été pavée, prise d’assaut par les marchands. Je ne saurais reconnaitre l’endroit où se posait la vieille aveugle. L’écho de sa puissante voix est encore présent dans ma tête. J’aurais  aimé entendre son chant dans  cette citée agitée et mutilée.. Qu’elle exalte, comme dans ma jeunesse, les vertus de patience et du courage, qu’elle chante la foi inébranlable en de jours meilleurs. J’aurai aimé voir des enfants qui jouent au foot dans nos rues au lieu de vendre de la pacotille chinoise.

 

 


Comment prier derrière «Ibrahimovic»  et «Yaya Touré» ?

Depuis l’élimination du Sénégal, un élan a été comme stoppé net dans le pays. Il y a moins d’allégresse dans l’air. Le foot n’a pas son pareil pour enflammer les cœurs. Dans les villes africaines, la victoire de l’équipe nationale met le pays en transe. On assiste à un festival de danses, à un concert de klaxons,  à un carnaval de jubilations. C’est beau de voir un peuple qui gagne.  Malheureusement l’inverse est tout aussi valable. Comme dans une fonction symétrique, la défaite entraine souvent des scènes de casse et de violences. Une déroute de l’équipe fanion et le peuple est sur les nerfs et exprime sa colère de façon irréfléchie, comme on casse de la vaisselle ou un vase, après une scène de ménage. Le dernier exemple est peut-être le Congo battu (4-2) par son voisin. Jets de pierres, pneus calcinés, boutiques défoncées ont émaillé l’après-match dans les rues de Brazza. De l’autre côté du fleuve, à la Rd Congo, la victoire a déclenché des concerts et donné lieu à des scènes de liesse populaire. Malgré leur  élimination, hier en demi, par les Eléphants un festin royal attend les Léopards chez eux. Ils seront reçus avec les honneurs au Palais de la Nation par le président Kabila, en quête d’un controversé troisième mandat.

La politique est un habile « milieu récupérateur ». Tout est bon à prendre pour se (re)faire une cote. Rappelez-vous en 88 quelle bouffée d’air frais a été pour Abdou Diouf, malmené par son opposition, la médaille olympique de Dia Ba (à l’insu du principal concerné ?).  Le sport, c’est une autre façon de faire de la politique. Surtout en Afrique.  Les performances du sportif  sur le terrain s’inscrivent sur son palmarès personnel, mais font aussi la gloire du Prince.

Revers de la médaille : une défaite sportive est très vite transformée en disgrâce politique. Un tableau d’affiche  défavorable n’indique plus simplement le score d’un match de foot ;  c’est le résultat d’une politique, le carnet de notes du pouvoir en place avec la mention « Exclu ».  Les numéros affichés sur ce panneau lumineux ont parfois plus d’incidence sur le destin d’un pays que le taux de croissance ou les indicateurs d’un Plan d’émergence économique.

Hasard du calendrier : la prochaine Can en 2017 devrait se jouer en période d’élection présidentielle. Cette coïncidence doit faire méditer. La proximité des passions sportives et politiques est souvent incestueuse.

Porter un maillot avec le nom du joueur au dos est devenue une habitude, au grand bonheur de l’industrie de la contrefaçon. C’est le signe d’une culture sportive qui envahit chaque jour un peu plus nos placards. Les lieux de culte peuvent-il être épargnés par cette tendance vestimentaire?  A la fin de la prière, vendredi dernier, quelqu’un a indiqué qu’on devrait interdire un tel accoutrement dans les mosquées. Un autre fidèle a acquiescé en signe d’approbation avant de demander ? Comment accorder à sa prière toute la concentration requise quand on a devant soi  «Ibrahimovic »,  « Yaya Touré » ?


Comment les Sénégalais se consolent après l’élimination des Lions de La Teranga de la Can

 

Ça papote à fond depuis l’élimination du Sénégal par l’Algérie-0-2.  On entend du tout à Dakar, dans les transports, sur les radios, les grands-places. Ce bavardage est une thérapie de groupe, l’art sénégalais de l’auto consolation après la défaite. Je vous livre une compilation des commentaires entendus autour de moi à Dakar.  

«C’est un complot français. Il ne fallait pas prendre un entraineur français (Giresse). Ils nous en veulent depuis qu’on les a battus  à la  Coupe du monde en 2002. »

« Moi au moins, je suis épargnépar la tension et lestress des matches des Lions. Quandle Sénégal joue, je suis dans un tel état de nerfs. Je passe par tous les stades de frayeur.  Pensez àvos  angoissespendant les attaques adverses, vos frustrations devant les occasions manquées. C’est une vraie torture pendant 90 mn.  Et  franchement cette élimination nous épargneles chocs émotionnels du 2eme tour : çafait du bien nos nerfs. »

«Il faut prendre la vraie mesurede ce qui est enjeu. Malgré les titrescatastrophés de la presse, rien n’est fichu.L’équipe nationale continuera d’exister. Si tu aimes le foot et les joueurs sénégalais, tu pourras regarder les championnats étrangers.  Après faire un montage dans ta tête : imagine que Lamine Sané à Bordeaux fait la passe SadioMané à Southampton qui donne la balle àDiafraSakho  Westham. C’est comme si les joueurs du Sénégal qui jouent, éparpillés sur des terrains différents »

« De toute façon, l’équipe nationale, c’est une arnaque. En dehors des années de Can, il y a au plus 7 matches dans l’année. C’est largement insuffisant pour bâtir une équipe de foot cohérente avec un jeu huilé. L’équipe nationale, c’est justele truc nécessaire pour entretenir le patriotisme (Tous derrière son équipe !). Et le patriotisme, c’est le bois qui nourrit le feu de la passion sportive. »

« Pour les éliminatoires on nous mettra encore du Guinée Bissau, le Bostwana, qu’on battra facilement histoire de nous remonter le moral et de nous encore donner des raisons d’y croire. »

« N’oubliez pas, il y a quelques mois le  football sénégalais était  dans les  profondeurs du classement de la Fifa.  Nous étions même pas qualifiés pour la dernière Can, éliminés par la Cote d’Ivoire. »

« Il faut prendre moins à cœur les résultats des matches de foot. Qu’est ce qui aurait changé dans le quotidien des Sénégalais si on avait gagné la Coupe ? Rien. On continuera à bouffer du riz et du riz, à payer les factures chères. On restera un pays pauvre avec beaucoup de chômeurs. »

«De toute façon, le football sénégalais est dans une phase de reconstruction. Quand on reconstruit, le mieux c’est de tout raser,  repartir de Zéro.  Cette défaite est donc un bon point de départ.»

« Pourquoi ne pas leurdire merci et tourner la page.  Ils (Les lions de la Teranga ) ont donné tout ce qu’ils avaient. Je crois qu’il faut leur dire « Merci pour tout ce qui vous avez fait, pour ces moments de plaisirs.  C’est une manière de leur reconnaître leurs mérites et leurs limites… »


 Football en post-colonie

 

Le Mali est donc éliminé par tirage au sort. Il y a un fond  irrationnel dans ça. C’est comme si quelque chose de transcendantal qui dépasse la réalité immédiatement compréhensive avait dicté sa loi aux Malien.  Le hasard et ses différents synonymes, la chance, le sort, le destin, la providence, se sont tous ligués pour  choisir leur camp.

Pourtant, les  instances du foot moderne ne sont jamais allées aussi loin dans leur tentative faire de ce sport une pratique intelligente. Le tirage des poules n’est jamais totalement abandonné aux mains (maladroites) du hasard. Dans le jeu, il s’agit de limiter au maximum, les défailles humaines, avec, par exemple le recours àla vidéo pour abriter les litiges l’introduction de la goal line technology.

Tout un tas de critères de performance, de position géographique, de palmarès est pris compte.Après le match, le jeu aujourd’hui est analysé sous l’angle des statistiques : nombre de tirs cadrés, nombre de corners, pourcentage de possession de la balle, etc.Tout cette mathématique tente de présenter le foot comme une activité humaine rationnelle.  On a entend dire par les  commentateurs :  « le score est logique au vu du match » ;  « Victoire méritée »..

Le football moderne tente de domestiquer le hasard par tous les moyens.

La décision de la Caf de laisser le sort Maliens et Guinéens est un couteau planté dans le dos du foot moderne où se tout joue sur le terrain.

Mais quelle est l’image que la Caf donne du football africain en procédant ainsi ? Elle valide de façon implicite le sous-entendu selon lequel  des forces-extra sportives à sont l’œuvre dans le football africain cloisonné dans un ghetto de la planète foot où domine mythe et légendes. C’est tout l’environnement extra sportif qui nourrit un  imaginaire digne d’Au cœur des ténèbres de Conrad,  considéré  comme le sommet de la littérature coloniale.

Regardez le clip de France 24 présentant cette 30ème édition de la Can.  Le décor et la narration sont dignes d’un conte africain.  La  Can est présentée comme la perpétration d’une vieille légende africaine qui remonte à un âge ancien où lesanimaux se réunissaient chaque année dans la brousse. Un enfant (personnage caractéristique du conte) vient perturber cette assemblée de fauves avec son ballon. Et depuis lors les éléphants de la Cote D’Ivoire, les Aigles du mali, les Léopards du Congo, les Lions du Cameroun ont pris goût au jeu. Il est vrai que la dénomination des  équipes africaine.

Les images des supporters africains contribuent à nourrir cette fantasmagorie sauvage. Les stades africains sont des sanctuaires où se perpétuent un rite ancien, quelques morceaux de traditions anciennes. Qu’est-ce qu’on voit ? Une troupe de supporters, habillés de façon bizarroïde,  ou bien le torsenu,peinturlurés de couleurs criardes, dansant criant au son du tambour. Ils rappellent une tribu de chasseurs revenue d’une battue heureuse.

Le football  contribue  diffuser une image  d’une Afrique pas suffisamment « entrée dans l’histoire ».


 La vie est un match, nos amis joueront les prolongations

 

Je repense à ses millions de personnes pour qui le foot est un loisir. Le dimanche, ils sont à la plage, sur les terrains vagues tapant dans la balle pour la forme. A la fin du match, ils n’échangent pas leurs maillots mais de chaleureuses poignées de mains.  Aucun journaliste ne vient les interroger  sur leur score, pour qu’ils disent « l’essentiel c’était de prendre les trois points. » Ici,le score ne compte pas. Parfois iln’ y a pas même pas d’arbitres. Le je qui rend le dessus sur le jeu qui l’emporte sur l’enjeu. L’essentiel, c’est de se bouger,de se dépenser, bruler les graisses enlever le stress causé par les tracas de la vie quotidienne .Le soir on dort bien.  Le lundi matin on a quelques courbatures, mais les jours suivants on se sent tellement mieux qu’on a envie de recommencer. C’est ainsi que jouer au foot le dimanche devient une bonne habitude. On se fait des camarades au jeu. On passe de copains sur le terrain et amis dans  la vie. On s’invite aux baptêmes, aux anniversaires. On assiste aux funérailles.

J’ai connu une des amitiés franches et vieille née sur un terrain de foot du dimanche. Ils sont deux. Bathie et Médoune formaient une paire dans la défense centrale.   Ils sont devenus inséparables dans la vie. Chacun d’eux a donné le nom de l’autre  son fils ainé. Ils ont fait le pèlerinage à la Mecque ensemble.

Le temps passe et accomplit son œuvre. A l’enterrement de Bathie Médoune rend la parole et  dit  l’autre d’une voix triste« pour  la première fois de ma vie, j’ai mal dans l’axe ». Tout le monde avait compris et se sentit triste.  Médoune aimait utiliser des métaphores footballistiques pour parler des situations de la vie courante. Il pleura beaucoup. Dans son oraison funèbre, il rappela les qualités de son défunt partenaire dans  l’axe : défenseur prompt, doué d’un flair remarquable, il était toujours premier sur tous les  bons ballons. Personne ne comprit réellement, mais on l’écouta religieusement.

Le dimanche suivant, Médoune s’achète un maillot Psg (son équipe du cœur) floqué « Thiago Silva » ressort ses godasses qu’il avait raccrochées depuis bientôt 10 ans. A la question de sa femme,  surprise de voir son vieux mari ainsi habillé, Médoune explique  qu’il a décidé  reprendre le sport, d’aller rejouer au foot le dimanche. « C’est la meilleure façon de lui rendre hommage à mon ami Bathie, tu sais  on était comme deux frères dans la vie ».   Emue,  la femme Adja  salue la fidélité de son mari   la mémoire de son meilleur ami. Quand il revient Adja lui chauffe de l’eauet l’encouragea. Médoune sent la fatigue partout. Il a  couru a un train de caméléon, ais c’est suffisant pour réveiller ses rhumatismes.

Le deuil passe. Médoune se dit  qu’après c’est la vie. On a va tous y passer un jour. Mieux vaut faire sa vie. Juste avant de mourir son ami Bathie avait fraichement épousé une deuxième épouse. Une belle et jeune femme qui  lui avait également tapé dans l’œil, « mais le flair remarquable de Bathie  toujours premier sur les bons ballons ». Il avait même entamé les nécessaires démarches pour remarier la fraiche veuve.  Mais comment le dire à Adja ?. Il avait tenté plusieurs métaphore : «la deuxième mi-temps »  « Jouer les prolongations »Toutes ces formules qu’il avait retournées dans sa tête sans oser les prononcer devant Adja.*

Lasse d’attendre, la nouvelle femme menace de  quitter si Médoune n’assume. Par ces temps de froid, Médoune pensant aux douceurs de la endossa son maillot « Thiago Silva »  et dis à Adja : « Tu sais que Bathie est monté il; il faut que j’assure la couverture»


Quand vous regardez un match à la télé, coupez le son !

En cette période d’effervescence footballistique sur le continent, j’ai une pensée pieuse pour un vieil ami, Maha Diop, tirailleur sénégalais disparu récemment, juste avant son 87ème anniversaire.  Il avait l’âge d’être mon grand-père, mais entre lui et moi, on se donnait du « camarade », sans protocole. Maha Diop était un vieil ancien combattant,  bourré de vitalité. Il vivait seul, à  l’écart de la société, dans une vieille maison en ruines aux murs délavés. Je passais souvent le voir en lui tendant une pile de journaux disant : « Camarade, voici les  dernières nouvelles du pays ». Il lisait surtout infos sportives ; on les commentait ensemble autour du thé.

Assis devant ma télé, je repense souvent à lui.  Regarder un match de foot, était la seule et unique concession qu’il faisait au petit écran. Camarade Maha n’aimait pas la télé. Il disait qu’elle rend paresseux et tue l’imagination.  Le soir, il me conseillait de faire comme lui : regarder les étoiles. « Camarade, c’est tellement plus beau», s’enflammait le vieux tirailleur. Une fois, je me suis surpris à l’imiter. On ne m’y reprendra plus. J’en ai tiré un torticolis à vous démonter le cou.

Sa passion du foot était plus forte que sa haine de la télé. J’ai regardé les matches de la dernière Coupe du Monde chez Maha.  Mais c’était  sans compter avec les ressources mentales du vieux, qui n’a jamais totalement cédé à la lucarne diabolique.

Maha regardait les images de foot sans le commentaire. Au début, je pensais que sa télé était défectueuse. Mais non :  le vieux coupe tout bonnement le son. Cela m’a paru étrange.  Maha expliqua alors que  pour éviter d’être un téléspectateur passif, il assure lui-même les commentaires des matches qu’il suit à la télé.

Je sais qu’il nourrissait une méfiance terrible à  l’égard du « français de la jeune génération », comme il disait ; mais je crois qu’il se livrait à ce singulier exercice par esprit « d’ancien combattant » : il n’acceptait pas que quelqu’un s’interpose entre lui et la réalité et lui dicte ce qu’il faut voir. Quand il reportait un match chez lui, Maha sortait une louche en bois (mbattu en wolof ) en guise un micro. Il était habile à ce jeu. Les modulations de sa voix suivaient le cours du match.  Quand le ballon est loin des buts, il baissait le ton et en profitait pour glisser une anecdote personnelle, le plus souvent sur son passé de tirailleur (Ah la rude bataille des Vosges avec les Allemands pendant l’hiver 44 !). Quand le jeu se rapproche de la zone dangereuse, Maha élevait la voix sur un rythme plus saccadé. Seul hic avec lui, une phase de jeu, qu’elle se conclue par un but ou en occasion ratée se termine invariablement de la même manière : une vigoureuse quinte de toux, symptômes de la maladie qui allait l’emporter. «Camarade, un verre d’eau s’il te plait ! », me lançait-il entre deux toux sèches.

J’étais admiratif devant ce vieux combattant qui, tout en vivant à fond sa passion, ne s’était pas laissé envahir par les gadgets de la modernité. J’ai compris que le commentaire de match a un caractère purement ornemental et que sa rhétorique qui charrie les termes génériques de combattivité, d’engagement, etc. est valable pour tous les aspects de l’expérience humaine.  C’était la leçon du vieux Maha. Salut camarade !

 


Envie de devenir une abeille

Samedi après-midi. Je marche tranquillement aux abords du marché du Pikine. Sans but précis. Une luxueuse 4X4 noire se range sur le trottoir à quelques mètres devant moi. Une femme d’âge mûr ouvre la portière côté conducteur et m’appelle. Je m’arrête net. Qui est cette drianké* ? Je ne la connais pas. Ou plutôt je n’arrive pas à la remettre dans ma mémoire. Et pourtant, elle semble bien me connaitre. Elle m’a appelé par mon nom à l’Etat civil. Mon nom au complet, que seules quelques rares personnes connaissent autour de moi.

A mesure que je m’approche de la grosse bagnole, je fouille dans mes souvenirs pour remettre cette figure ronde qui me sourit. Mais qui ça peut bien être ? Elle porte de grosses lunettes noires qui lui barrent la moitié du visage. Un seul indice : la façon dont elle m’a appelé. Ça laisse penser à une ancienne camarade de classe. C’est comme ça que m’appelait la maitresse Mlle Thérèse (vieille fille acariâtre, restée célibataire au-delà de la quarantaine) quand elle faisait l’appel chaque matin ; je me levais alors de mon table-banc et répondais fièrement : « Présent !». En dehors de l’école, ce nom ne me sert presque plus. Pour mes amis, et pour vous, c’est «Diambar».

La femme est devant moi affiche un sourire de plus en plus large, découvre une dentition cariée sous une gencive bleue terne, résidu d’un vieux tatouage. Je suis à sa hauteur. Elle m’interpelle à nouveau, comme pour se rassurer elle-même qu’elle ne se trompe pas. Ah oui, je vois maintenant. La voix n’a pas changé. Des souvenirs perdus au fin fond de ma mémoire remontent en cascades à la surface, tandis que je découvre en cette femme joviale, une ancienne camarade de l’école primaire. Salma, son nom me revient maintenant qu’elle me tend une main grassouillette et lisse. Nous étions intimement liés. Et pour tout vous dire j’étais fol amoureux d’elle. Salma, mon premier amour ! En classe, je lui écrivais des tonnes de lettres d’amour. Pour l’impressionner je mettais dans mes missives des formules galantes que je collectionnais dans un cahier spécial. Un jour je lui écrivis : « Salma, si tu étais une fleur, je serais l’abeille qui te butinerai au printemps ». Soit Salma était exaspérée par mes effusions romantiques, soit elle ne savait pas le sens de « butiner ». A vrai dire moi-même, je ne le savais pas ; je venais de suivre à la télé un documentaire sur les plantes. Dans tous les cas, elle remit la lettre à la maîtresse. Mlle Thérèse m’a regardé par-dessus ses binocles et m’a dit : «Toi abeille, je vais te briser les ailes ! ». J’ai eu les fesses meurtries pendant trois semaines. Finalement, Mlle Thérèse m’autorisa de venir en classe avec un coussin pour pouvoir rester assis.

Je n’ai pas besoin de revoir Salma pour me rappeler cet épisode. Plus de trente ans après, la cravache en lanières de cuir de maitresse Thérèse a laissé des traces. Après l’entrée en sixième, Salma et moi avions été orientés à des collèges différents, distants de plus de 20 kilomètres. J’en étais malade. Nos rapports ont été moins fréquents par la suite. J’appris plus tard qu’elle a été mariée à 18 ans à un riche commerçant de Sandaga, deux fois plus âgé et déjà marié à deux femmes.

«- Alors tu ne me reconnais toujours pas? » dit-elle, rieur.

– Si si, Salma, quelle surprise de te revoir à Pikine ! Ça fait longtemps !»,   bredouillé-je.

– Tu n’as pas changé, dit-elle. »

Je le regarde et me dis intérieurement : « Quel gâchis ! Il y a des abeilles qui ne savent vraiment pas butiner une fleur ». Salma, c’était une petite fille au visage d’ange qui annonçait une grande beauté. Mais à l’arrivée le constat est plutôt décevant. J’essaie de retrouver le souvenir de sa fine et gracile silhouette dans ce corps potelé enveloppé dans ses larges boubous. Salma a perdu ses fines fossettes qui creusaient ses joues lisses et délicates. Comme le temps a passé sur ce visage devenu gras et lourd, surmonté de fausses paupières, épaisses comme une brosse de balai. Et cette peau jadis d’un noir d’ébène, aujourd’hui martyrisée par le Xessal** et sur laquelle les veines sont marquées en relief.

Accolades. Echanges de nouvelles. Et sans même me demander si j’étais marié, Salma lance : «Comment va Madame ; et les enfants ils se portent bien ». Je réponds sommairement «ça va». Sans enter dans les détails. Que voulez-vous, que je lui balance comme ça qu’à près de quarante ans  je suis encore célibataire, hébergé par mes parents avec un job précaire, quand elle étale là, devant moi tous les attributs d’une insolente réussite sociale ?

J’avais appris par d’anciens camarades d’école que Salma, exilée depuis aux Almadies, était devenue une prospère femme d’affaires. Elle va à Dubaï au moins une fois par moi.

Salma m’informe, d’une voix triste, qu’elle a perdu son mari, il y a un an environ. L’homme lui a visiblement légué un joli pactole. Elle a déménagé des Almadies** (Un quartier devenu « trop calme » à son gout) et a acheté la maison de ses parents à Pikine. Elle y vit seule. Ses deux enfants sont partis en France poursuivre leurs études.

« Monte, je te dépose ! », me dit-elle, au fil la discussion. Aussitôt, je me suis senti poussé des ailes. L’envie subite de redevenir une abeille. N’en déplaise à maîtresse Thérèse.

drianké* : femme sénégalaise d’âge mûr

Xessal** : dépigmentation de la peau

Almadies*** quartier chic de Dakar


Ma « spéciale soirée» saint-Sylvestre

Quel était votre programme la nuit du 31 décembre ? Moi j’ai été invité à une «soirée spéciale». Je ne suis pas très mondain. Je préfère de loin rester chez moi et lire. J’ai répondu à l’invitation pour faire plaisir à une amie très proche qui en est l’organisatrice. Mais, entre nous, je suis aussi allé à la soirée dans l’espoir de passer du bon temps. Sortir un peu ça ne fait pas de mal. J’ai mis mon plus beau costume, que j’ai dû porter une ou deux fois.
La soirée spéciale se passe dans une boite très branchée, située dans un quartier tout aussi huppé de Dakar. J’étais assez curieux, et je n’avais aucune idée de ce qu’est une «soirée spéciale». A mon arrivée, ma première surprise est de ne pas trouver d’orchestre sur la scène. Dans une cabine au fond, le Dj diffuse une musique douce, sirupeuse. Je suis tout de suite frappé par l’ambiance bal de promo. De jeunes couples s’enlacent langoureusement sous une lumière tamisée, assez incitative. C’est donc ça une « soirée spéciale », un banal bal d’ados attardés ? Mon amie organisatrice m’avait invité via Facebook. Elle avait dit : «J’organise une soirée spéciale le 31 décembre ; je t’invite, tu es présentable, et tu as une activité professionnelle». Ce sont là les critères de sélection des participants à cette « soirée spéciale » qui se déroule sous mes yeux. Qu’est ce que je vois autour de moi ? De jeunes hommes d’une timidité maladive qui, même si on plongeait la salle dans l’obscurité la plus totale n’oseraient jamais regarder une fille. Les filles, elles, appartiennent à deux catégories : 1) les pucelles hyper-maquillées reconnaissables au coup d’œil à leurs poitrines en planche à repasser ; 2) les anciens «garçons manqués» habillés ultra court et déterminés à réussir la vie de femme. Tout le monde a l’air heureux. A minuit les gens portent des toasts et font des vœux pour l’année 2015 : «que chaque célibataire présent ici trouve un conjoint». Je comprends alors que je suis à une soirée de rencontres. Le but est de trouver chaussure à son pied.
Je ne savais pas que ces soirées s’organisent à Dakar. L’idée de dégotter une épouse socialement stable ou en tout cas qui a «une activité professionnelle» ne me déplait pas. Une fille m’aborde. Elle est grande, lunettes fines façon intello, fard débordant et greffage passé de mode. Mais, je me dis qu’un homme digne de ce nom doit savoir, le moment venu, fermer les yeux sur les imperfections physiques de sa future femme. Elle dit qu’elle s’appelle Alima et prépare une thèse sur le «Processus de dissolution des ions bicarbonates» ; afin je crois que c’est qu’elle m’a raconté. J’ai tapé sur google, ça a donné un tel charabia. Elle m’approche avec l’air de quelqu’un qui joue son va tout sentimental et me souffle avec une voix de velours éraillée. «Voulez- vous m’accordez cette danse ?»- Le genre de truc qu’on répète plusieurs fois devant la glace avant d’aller à une soirée. En dansant, une musique zouk, je lui explique brièvement ce que je fais dans la vie. Elle me murmure dans le creux de l’oreille :« Entre intellectuels on peut s’entendre, non ? C’est rare de trouver un homme cultivé, de nos jours ; ils parlent que de foot, de lamb.» Quelque chose sonne faux dans sa voix. En plus, elle sent l’alcool. Le Dj enchaine avec une musique slow. Alima s’abandonne sur moi et me serre contre elle ; un bras passé autour de ma taille et un autre sur mes épaules. Elle me presse de plus en plus fort contre elle, avec une force surprenante. Et subitement, elle essaie de m’embrasser dans la bouche en me pressant la nuque. Je me détourne vivement, évitant son haleine empestée. Dans mon mouvement brusque j’ai senti quelque chose bouger dans son soutien-gorge. J’étais en train de me demander si les seins de Alima ne sont pas des faux, quand je sens une dureté comme ma jambe. Et en une fraction de seconde, ça devient aussi dure qu’un manche de pelle. Je dis alors à ma chère Alima, tout aussi mielleusement dans le creux de l’oreille : «Lâche moi ou je crie, sale travesti !»

 


Lecture et autres idées sur la littérature

A mon avis, le roman africain doit faire entendre la poésie et l’authenticité des noms africains que la colonisation et l’islamisation ont rayés de nos registres de naissance. Je préfère que les personnages se nomment Khabane, Deguène ou Nogaye au lieu de Abderrahmane, Joséphine ou Marguerite.
J’ai trouvé dans « Les testament trahis » de Kundera cet hommage à Louis Ferdinand Céline l’auteur de Voyage au bout de la nuit… Je le recopie : «Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que l’œuvre de Céline, grâce à ses errements, contient un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. Car le pouvoir de la culture réside là : il rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse »

«Neige» de Orhan Pamuk
Ka, un poète turc, quitte son exil allemand et part enquêter pour le compte d’un journal dans une sinistre bourgade d’Anatolie, Kars. Particularité de Kars : les filles ont une fâcheuse tendance à se suicider. Voilà pour le décor de ce roman de Pamuk (Nobel 2006) où se mêlent pseudo enquête journalistique, intrigue politico-religieuse, ferveur kémaliste, passion amoureuse (Ka retrouve Ipek, un amour de jeunesse, en fait c’est la vraie raison de sa venue à Kars). Ajoutez à ce tableau un fond de jacquerie islamiste, qui tourne en massacre de civils et vous aurez fait le tour de ce ( gros) roman de Pamuk (Gallimard 2005 pour l’édition française). «Neige» est trop prétentieux, écrit dans un style qui se veut parodique, poétique, mais à la fin lourdingue…
Dans le nouveau roman du sénégalais Louis Camara, « d’Au-dessus des dunes » (Editions Athéna), le personnage principal est un chien dénommé Nestor. Ça rappelle un roman de l’américain Paul Auster «Tombouctou » dont le « héros », Mr Bones, appartient également à l’espèce canine. Hasard littéraire ou inspiration commune ?

On ne sait vraiment pas ce qu’est AIMER tant qu’on n’a pas lu « L’Amour au temps de choléra » de Gabriel Garcia Marquez.
Lord Jim. Récit sur l’honneur, la rédemption, la fraternité. C’est l’histoire de Jim, jeune marin qui a abandonné son bateau au moment du naufrage, à son bord des pèlerins qui se rendaient à la Mecque. La culpabilité, le poids de la faute hantent Jim qui rôde comme une âme en peine sur les ports du Pacifique ouest. Lecture un peu ardue. Mais classique indéniable. Un des grands romans de Conrad.

Sentiment mitigé après lecture de La Route de Cormac McCarthy, estampillé chef d’œuvre (Pulitzer 2007). L’histoire ? Un père et son fils trimballent leurs nécessaires dans un charriot. Alentour, tout est brulé, cramé. La famine les guette. Une horde de mangeurs d’hommes les traque. L’apocalypse est arrivée. Ils sont les derniers de leur race… Écriture extrêmement dépouillée, austère. C’est peut-être l’atout de McCarthy, écrivain culte.

 

 


Extraits de correspondances d’avant rupture

Dans mes précédentes chroniques, j’ai publié la lettre qui a scellé de façon définitive ma relation avec Sophie, mon ex, une Toubab, partie à Paris. Je vous ai également montré la réponse qu’elle m’a envoyée ; une lettre teintée de chagrin et d’amertume. Je la comprends : ce n’est jamais facile de quitter quelqu’un qu’on aime. Pour moi, non plus, la décision n’a été facile à prendre. J’ai choisi de vois faire lire des extraits de nos longues lettres, qui montrent assez bien notre complicité amoureuse et intellectuelle.

Sophie : Mon chéri, je suis bien arrivée à Paris, un peu avant 18 heures. Il fait un froid de canard. Le thermomètre affiche 5 degrés. C’est un très dur de te quitter, et d’avoir quitté Dakar; à côté Paris est bien trop vaste et très rapide, c’est redevenue presque une ville inconnue pour moi. Et j’ai trouvé un appart avec Pauline. Il est tout petit, mais dans un quartier super, près des Invalides. On attend la réponse de la propriétaire. Ce soir je fais un dîner avec mes copines, on mange du fromage et de la ratatouille et on boit du vin rouge, je pense à toi ;. Je pense sans cesse à toi, à nos retrouvailles. J’ai envie que tu me serres dans tes bras. Je t’embrasse fort.

Moi : Ma chérie, j’ai bien hâte de revoir à Paris. J’y suis venu une fois, en avril 2012. J’ai gardé de beaux souvenirs du printemps à Paname. Notamment une après-midi, dans un appartement douillet près de la Tour Eiffel, avec quelques amis… La radio distillait So What de Miles Davis, le grand maitre du jazz. C’était un instant calme, tranquille qui m’a coupé de l’agitation extérieure de Paris. C’est un de mes rares souvenirs de Paris puisque je n’avais rien visité de la ville, ni pris de photos. J’étais trop dépaysé pour ça. Pendant tout le séjour, je suis resté cloitré dans ma chambre.

Sophie : Je ne peux pas rester longtemps sans avoir de tes nouvelles… Je me demande si tout va. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis une éternité… Ecris- moi si tu as le temps. Des milliards de bisous

Moi : Ma chérie, on est lundi après- midi. La maison est clame. Tout le monde est parti au travail. Quelques vieux coqs caquettent dans la cour. J’ai, comme d’habitude, du temps devant moi.. Pourtant cette fois-ci, j’ai bien du mal à le remplir. Ce matin, je suis sorti acheter quelques vieux bouquins jaunis par le soleil à la libraire par terre. Depuis quelque temps je ne lis que des auteurs russes. C’est un trésor inestimable, un peu négligé en Afrique francophone où la littérature étrangère se limite souvent aux auteurs français. Quand je lis un roman je donne des visages familiers aux personnages. C’est le tien qui s’est s’imposé à moi quand j’ai voulu visualiser Nathalie Rostov, une des héroïnes de « Guerre et Paix » de Tolstoï. C’est une façon pour moi de retrouver dans la fiction des gens que j’ai connus réellement. D’ailleurs, pour moi les vrais personnages, on les trouve dans les romans… C’est long à expliquer, mais tu sais qu’au Sénégal combien les relations sociales sont factices et superficielles…

Sophie : Je sais que tu as toujours tenu en horreur les artifices… Je viens de finir « Gatsby Le magnifique ». Ça faisait très longtemps que je n’avais pas lu un chef d’œuvre. Je lis beaucoup de littérature contemporaine, donc je tombe sur beaucoup de livres assez moyens. Gatsby, c’est sublime, c’est subtil, et fin, comme brossé à la feuille d’or, c’est très évocateur aussi tu as l’impression de sauter dans des toiles des années 20 (…)
Te souviens quand, à Dakar, on a vu les films de Christophe Honoré, notamment « Dans Paris » et tu avais dit que c’était très parisien. Je suis allée au cinéma hier et j’ai regardé un autre de ses films, qui s’appelle « Les bien-aimés ». J’ai beaucoup pensé à toi, parce qu’il a enfin quitté son microcosme. Je veux dire, ça se passe encore en partie à Paris, mais ce n’est plus parisien, tu vois? C’est devenu complètement universel. L’histoire commence dans les années 60, elle se termine en 2000, c’est bouleversant ; ça raconte combien c’est difficile d’être amoureux aujourd’hui, comme les histoires d’amour sont devenues douloureuses. Catherine Deneuve, qui joue la mère de l’héroïne, et qui a eu 20 ans dans les années 60, dit à un moment, en parlant d’elle et de l’époque : « Je n’étais pas une fille facile, c’est l’époque qui était facile », et c’est tellement juste…
Moi : Ma chérie, c’est toi qui m’as demandé un jour lequel je choisirais entre le néant et le chagrin ? Je ne sais plus ce que je t’avais alors répondu. Je crois que c’est le néant que j’avais choisi ; mais ça n’a plus d’importance. Si j’en reparle aujourd’hui, c’est que j’ai trouvé cette expression dans un essai de Kundera, citant Faulkner. Ce qui est curieux, c’est que j’ai trouvé dans ce même bouquin (« Les testament trahis ») un passage qui aurait pu se glisser dans nos nombreuses conversations sur Louis Ferdinand Céline, l’auteur du magnifique « Voyage au bout de la nuit ». Je le recopie pour toi : « Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que l’œuvre de Céline, grâce à ses errements, contient un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. Car le pouvoir de la culture réside là : il rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse existentielle. »…


Réponse à ma lettre de rupture

La semaine dernière, j’ai publié ici la lettre de rupture que j’ai envoyée à ma copine. Je retranscris ici la réponse qu’elle m’a envoyée

«Cher Rahou,

J’ai rêvé de toi cette nuit; j’avais écrit ça il y a quelques jours et je n’avais pas la force de te l’envoyer; je n’ai pas la force maintenant de le relire.

J’ai repensé à la dernière fois où nous avons fait l’amour, à la dernière nuit passée avec toi. A ce sentiment étrange que nous étions ensemble pour la dernière fois, à l’intensité de te sentir en moi qui se mêlait aux restes de la fièvre qui m’avait saisie les jours précédents. Je me souviens de ton corps immense, fort, et lisse et noir, dans le mien, si blanc. Je me souviens de notre dernier réveil commun, un peu engourdi, assez silencieux.
De notre dernière journée. Du déjeuner chez toi, du moment passé à la plage. De la longue marche pour rentrer, main dans la main. De l’arrivée du crépuscule, ton heure préférée, mon heure préférée. De l’agitation de Dakar, et de l’agitation de mes pensées.

Je me souviens de la boule qui s’est installée dans mon ventre et dans ma gorge.  Je me souviens de m’être souvenue.
Une relation qui commence dans la violence d’une agression nocturne (Nous avions été agressés sur la corniche, vers la place du souvenir à 1 heure du mat) ne pouvait s’achever dans la douceur et la simplicité. Je me souviens des quelques heures avant l’agression, quand j’ai vraiment commencé à penser que j’aimerais vraiment être avec toi.

Je me souviens du lendemain de l’agression, quand tu es venu chez moi, que je ne t’attendais pas, que nous avons passé la journée dans ce restaurant de Sacré-cœur dans la chaleur dominicale, les mouches et la sueur. De la journée au commissariat, jusqu’au club de jazz le soir. Puis de la demi-journée au commissariat, du déjeuner et de la sieste à l’université. De la façon dont tu me disais de ne pas aller au journal. Du retour chez moi. D’Abdelatif Kechich, de Bukowski, du poème que nous lisions, qui disait de « se méfier des gens qui lisent », des battements de mon cœur qui s’accéléraient. De tes lèvres sur les miennes.
Le centre culturel français, le restaurant près de Walf, les films, les bus, les jus de fruit, le gingembre. Ton air si dur parfois. Les poignées de main après avoir passé des nuits ensemble.  Les nuits ensemble, les réveils, les mangues et les verres de lait.
La première nuit, où je t’ai dit que je ne couchais jamais la première fois. Le premier matin, où tu m’as chuchoté dans un sourire que ce n’était plus la première nuit.

Il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas pensé à toi.  Même si peu à peu, je me suis remise à voir les autres hommes, à voir qu’ils existaient, à les désirer certaines fois ; mais tu étais toujours là, en toile de fonds, avec des livres plein les mots, une grandeur unique, une façon de n’être pas fait pour ta vie qui me faisait penser à la mienne. Et quand je t’oubliais un peu, que je guérissais, tu te rappelais à moi.
Je t’ai fait confiance ; j’ai eu confiance en toi, et en ton amour pour moi. Et je me demande si j’ai eu tort. Si j’ai gâché huit mois de pensées. Je ne sais pas si tu ne m’as pas aimée assez ou si tu as été lâche ; peut-être un peu des deux. J’ai été lâche aussi. Et je me demande quelle part de cette histoire nous avons fantasmé.
Je ne sais pas comment finir cette lettre, qui est sans doute la plus dure qu’il m’ait jamais été donné d’écrire. J’ai trop souffert ; cette histoire m’a abîmée. Je sens comme une fissure que je compte bien refermer. Je crois que je ne veux pas de réponse. Du moins pas tout de suite. Pas dans les prochains jours, pas dans le mois qui vient. Je rajoute simplement que je penserai toujours à toi. »

Sophie


Ma dernière lettre d’amour

Ma Chère,
Je reste des heures devant mon ordi, à réfléchir à ce que je vais t’écrire. Je tape, puis j’efface… Je recommence inlassablement ce geste. Jusque-là, je ne sais pas ce que je vais te conter. Si je n’avais pas craint que mon silence ne soit mal interprété, je serais resté encore longtemps sans t’écrire, pour mieux réfléchir. J’aligne donc un mot après l’autre, en espérant que le tout fera sens et de livrera le fond de ma pensée. Je suis assailli par le doute ; doute, non pas sur ce que je ressens pour toi, mais sur la possibilité de cet amour. Qu’elle est la part de rêve, d’utopie, de réalisme dans cette histoire. Pardonne-moi d’être un peu pompeux. Les choses sont assez confuses dans ma tête.
J’ai lu Gibran qui dit :
« Quand l’amour vous fait signe, suivez-le
Bien que ses chemins soient raides et ardus,
Et quand il vous enveloppe de ses ailes, cédez-lui
Même si l’épée cachée dans ses pennes vous blesse
Et quand il vous parle, croyez en lui
Même si sa voix brise vos rêves
Comme le vent du nord dévastant un jardin » *
Il me semble que ce passage ait été écrit pour moi. Je le récite tout le temps.
Oui l’amour m’a fait signe. Je l’ai suivi un bout de chemin. Mais je ne peux aller plus loin. Je n’ai plus la force de continuer. Nous avons vécu une idylle, à durée déterminée. Un mois. Ce fut bref, intense, palpitant. Tu étais loin de chez toi. Loin de tes parents, de ton pays. J’’étais seul. Il y avait une attirance mutuelle entre nous sur les plans physique et intellectuel, on partageait le même point de vue sur beaucoup de choses. Tout cela a immanquablement contribué à nous rapprocher. Rien ne dit que les choses seraient aussi belles par la suite. En plus tu m’admires (c’est ton droit !), mais ça ne rassure pas. L’ascendant psycho-professionnel que j’avais sur toi peut l’expliquer. Mais il me semble que tu es restée dans cette fascination des premiers jours – et je n’ai rien fais pour te faire dépasser ce stade. Je me suis employé à cultiver avec toi mon côté… cultivé, parlant de poésie, de cinéma, de littérature. C’est beau tout ça. C’était comme si, instinctivement, j’ai voulu garder le mythe sauf. Tu ne connais presque rien de moi. Tu ignore mes défauts. Je peux te dire qu’il y a en moi autant, sinon plus, de médiocrité et de lâcheté que chez l’homme moyen.
Je suis trop pessimiste pour espérer que nous pourrions encore vivre des moments aussi heureux. Je voudrais le croire ; seulement je ne rassemblerais jamais assez de courage pour faire face à tous les renoncements, à tous les sacrifices que l’amour demande. Je suis trop attaché à ma liberté.
Et pourtant, il n’y a pas un seul matin où je ne me réveille sans l’envie de t’avoir à mes côtés. Il n’y a pas un seul instant où le désir ne me quitte d’être avec toi, de discuter avec toi, de tout et rien. Mais je compte sur le travail du temps, pour faire lâcher prise à la passion, et faire taire cet irrésistible appel des sens qui me pousse vers toi. Je suis au regret de devoir de dire ça : « Si tu veux mon bonheur, oublie-moi »
Merci pour ses moments de plaisirs. Je t’embrasse.
Dakar, le 25 mars 2014
* Extraits du prophète de Khalil Gibran


Extraits des carnets solitaires

Je vous livre ici, en vrac, quelques passages extraits du cahier où je note mes pensées, mes idées.

Ce matin, deux questions «existentielle» me taraudent

1-    Comment aller aux toilettes quand les fosses septiques de ma maison sont pleins à déborder ; dois-je en  rajouter ?

2-    Je ne sais toujours pas si je dois mêler mes caleçons bon marché à mon linge ? Comment réagira la femme de ménage ?

Fatou travaille chez moi (maison familiale) depuis seulement trois mois. D’habitude, on ne se parle presque pas. Elle arrive tous les matins à 9 heures. Elle est aussitôt absorbée par ses travaux domestiques. Fatou porte sa tenue de tous les jours : un t-shirt déteint d’où sortent des bras graisseux ; un vieux pagne élimé qui enveloppe à peine ses énormes hanches. Son visage tacheté garde les séquelles d’une intense activité de dépigmentation, le khessal.

De ma terrasse j’aperçois, Khoudia, fille de joie aux charmes fanés, assise sur le pas de sa porte, la main sous le menton, le regard tourné vers un insondable horizon. Pense-t-elle à prendre une retraite anticipée ? Ce serait une mauvaise nouvelle pour les célibataires du quartier !

Pour tout vous dire, je me vois, dans quelques années, en bon père famille, marié à  une Sénégalaise obèse et dépigmentée. Pour la bonne ou mauvaise raison que j’ai été culturellement «préparé» à cela. Je sais bien qu’il y a un peu de lâcheté à vouloir se réfugier derrière son éducation pour justifier ses choix. En réalité, je suis plus conservateur que je veux bien le laisser paraître.

Je me demande pourquoi Facebook ne me propose que des filles à ajouter sur ma liste d’amis.

Quand j’entre dans ma chambre désordonnée, mes nombreux livres éparpillés sur le lit, sur la commode m’interpellent : « Lis-mois s’il  te plait ». Y a du beau monde sur ma liste de lecture : Wilde, Mabanckou, Gide…

Je suis triste de constater que sur les marchés de Dakar, les vendeurs de téléphones portables et autres gadgets électroniques prennent la place des librairies « par terre  » C’est peut -être ça le progrès ! C’est dans ces librairies à ciel ouvert, que j’ai découvert Hugo, Gide Dostoïevski, Camus et, pardonnez moi, Gerard de Villiers.

Une bibliothèque nationale est plus utile pour le Sénégal qu’une arène de lutte !

Le samedi, je me lève tard. Et généralement, je n’ai qu’une idée en tête : profiter du temps libre devant moi pour flâner. J’aime bien acheter, à  25 Francs Cfa, sur les tables des vendeuses ménopausées, des sachets de thiaf ;  la seule denrée qui échappe à l’inflation. Tout en marchant, j’aime sucer la clémentine sucrée ou les oranges du pays au goût acide que les  vendeurs peuls pèlent en rondelles avant de les décapiter d’un coup de couteau. Quant aux grosses pastèques vertes entassées sur le bas-côté de la route, je me plais à les regarder comme de gros œufs pondus par des dinosaures échappés du jurassique…


Dans la clinique du monde

Je tiens un livre ouvert sur mes genoux. Je lève les yeux vers le ciel. C’est la naissance du jour. Un vent frisquet caresse mes joues, secoue paresseusement le feuillage des arbres comme une maman réveille un enfant un lundi matin : « Mon chéri, lève toi tu dois aller à l’école. » Je suis assis sur ma terrasse sur une longue chaise en fer, habillé d’un simple  short  aux couleurs de l’équipe de foot de mon quartier sans palmarès. Je suis sorti de  mon lit un peu plutôt, quand la nuit était encore noire, pour lire (un luxe que peut se payer un célibataire). Là j’assiste à la naissance du jour, médusé et amusé. L’aube est pour moi un moment intensément poétique, de réveil, d’éveil et d’étonnement. Je sais que vous êtes en train de vous dire que je suis un pauvre rêveur désœuvré… Mais je l’assume.

J’ai donc arrêté la lecture (un livre de Ken Bugul, acheté au « par terre ») pour admirer l’aube, contempler le vol inaugural des oiseaux,  sorte de décrassage matinal dans le ciel. Une lueur blanche s’élève à l’horizon, dissipant les dernières ombres autour des blocs de maisons.  A  cette heure du jour, me revient toujours une chanson apprise à l’école  primaire. Vous devez sans doute la connaître, mais je vais quand même vous la chanter :

« Le coq chante et le jour parait

 tout s’éveille dans le village

Pour que le bon couscous soit prêt, 

Femme  debout et  du courage

Pilons pan pan,

Pilons gaiement »

Je dois une fière chandelle à ces pauvres femmes. Non seulement, elles doivent se lever dès potron-minet pour faire le couscous, une harassante corvée ; mais le soir on les trouve dans nos villes, à l’angle des rues, sous les lampadaires, emmitouflées dans les pagnes fatigués pour vendre le couscous, thiéré – diner favori des célibataires fauchés comme moi.

 Les hauts parleurs des mosquées  murmurent  une oraison sereine, la wazifa : c’est une berceuse langoureusement psalmodiée dans cette maternité du monde où vient de naître un jour, un jour nouveau frais et beau ? ll s’appelle lundi, c’est un beau bébé au teint rose, emmitouflé dans ses draps de nuages. Ils clignent déjà de l’œil à la lueur prochaine du soleil. 

De ma terrasse j’aperçois des hommes, encore ensommeillés, qui  trottent  sur le bas-côté de la route, pour aller affronter les embouteillages du matin. Je sais  qu’intérieurement,  ils sont en train de maudire  leur patron.

Bientôt la terre est emplie par une rumeur de klaxons, d’interpellations frénétiques des coxers («Dakar, Dakar Dakar » ) des rideaux de commerce qui se lèvent. Hier, c’était comme ça. Aujourd’hui et demain ce sera sans doute pareil. Du haut  de  ma  terrasse, j’assiste, dubitatif, au spectacle pitoyable d’un monde affairé qui va chercher le pain du jour  et, si possible, le gain d’une vie. Moi, célibataire assumé et endurci, sur qui ne pèse aucune contrainte familiale,  je laisse les hommes à leurs occupations matérielles pour regagner mon lit à une place et me couvrir de la chaleur de mes draps solitaires.     

 


Mon mouton de Tabaski.

 

J’ai acheté un mouton pour la Tabaski, Aïd el kébir. C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai attendu d’avoir près de quarante balais pour ça. Une première qui a rendu rendu fiers les membres de ma famille, en particulier ma mère. Je crois qu’elle y a vu le signe d’un début de sortie de mon long célibat. Ou en tout cas un effort louable de la part de son fils pour devenir un homme normal, un vrai homme !

Pendant longtemps, la Tabaski a été pour moi un jour comme un autre. Célibataire, sans enfant,  et sans projet de mariage sérieux,  j’ai jamais ressenti une pression particulière pour ce jour.  Contrairement à mes amis mariés,  et déjà père d’une consistante famille, qui doivent se décarcasser pour trouver un mouton respectable, acheter des basins riches dont le prix du mètre peut me nourrir pendant deux semaines. Sans compter tous autres les accessoires,mais indispensable : greffages, cheveux naturelles etc.

Je crois que la Tabaski c’est le seul jour où mes amis mariés m’envient mon statut matrimonial.  Moi, je suis loin de cette frénésie dispendieuse. Je dois ajouter, pour être honnête, que j’ai trop le choix, fauché comme je suis habituellement.

Mais cette année, chose tout à fait insolite, moi, Rahou, célibataire endurci et invétéré, qui commence à avoir des poils blancs à la tête, à la barbe (et ailleurs), j’ai  fièrement attaché un bélier devant la maison à côté de ceux de mes frères et beaux-frères. Les gens n’en revenaient pas.
Pour dire vrai, bélier, c’est un terme trop généreux pour mon mouton. C’est un animal à robe noire tachée de blanc, rachitique , les côtes saillantes, bien visibles à travers sa peau tendue presque transparente. Mais c’est quand même un bélier si vous considérez l’envergure des cornes, plusieurs fois enroulées ; et si l’on en juge aussi par la paire de testicules balèzes, et qui balaient le sol.

J’ai dégoté l’animal la vieille de la Tabaski parmi un troupeau de « peuls peuls » à un prix symbolique (15 mille balles).  Le  vendeur, un berger maure enturbanné, avait visiblement hâte de s’en débarrasser avant qu’il ne meure entre ses mains. Le mouton, éreinté, souffrait d’une diarrhée sévère sans discontinu, comme un robinet foiré. Aucun charretier ne voulait l’embarquer. Les taxis, n’en parlons pas. J’ai dû le traîner à la laisse, nuitamment pour éviter les regards moqueurs.  C’ aurait été un mouton de Tabaski volé qu’on aurait aucun mal à repérer nos traces. L’animal a jalonné tout le chemin de ses intarissables déjections liquides.
 Arrivé chez moi, je lui attache un morceau de tissu à la queue et lui  administre un bouillon de terramycine. En vain.

Le jour de la Tabaski. Ma mère toque à ma porte. Il est dix heures passées. J’ai raté la prière, comme d’hab. J’ai du mal à me lever tôt. A mon réveil, toute la maison est emplie de bêlements de moutons effrayés, ligotés prêts à être sacrifiés.  L’ égorgeur est un sympathique voisin, boucher de métier. A ma grande surprise mon mouton est encore vivant. La diarrhée s’est ralentie, mais il n’a plus la force de bêler.  On l’amène au bord du trou pour lui sectionner les artères. Au dernier moment, je retiens la main de mon voisin qui avait dégainé un couteau ultra tranchant.  « Arrêtez .Ne l’égorgez pas ! Dama koy yaar. »   Dubitatif, le serial killer de  moutons  lève les yeux sur moi.  « Je garde mon mouton pour la Tabaski prochaine. »  confirmé-je.  Ma mère, mes frères et sœurs sont aussi surpris, mais au fond  d’eux  ils sont soulagés d’être dispensés de manger ce mouton anémique et diarrhéique. Moi aussi.


notes de lectures (2)

Les Cahiers de Don Rigoberto

Don Rigorberto répudie sa femme Dona Lucrecia pour inceste avec son beau-fils, Fonfon. Pour ne pas sombrer dans la solitude et la folie, il cherche (désespérément) refuge dans ses cahiers, où il a recrée un univers imprégné de fantasmes et des souvenirs de Dona Lucrecia.

Don Rigoberto est un fervent épicurien, passionné par les choses de l’esprit. Le peintre Egon Schiele, artiste autrichien lubrique, mort à 28 ans de la grippe espagnole, hante le jeune Fonfon, enfant malicieux qui veut réconcilier son père à son ex-femme.

Les Cahiers de Don Rigoberto, c’est toute la classe et la maturité du romancier péruvien Vargas Llosa (Prix Nobel 2010).

Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra
Le revers du succès pour un écrivain c’est qu’il prend otage en otage sa plume. C’est le sentiment que j’ai eu en lisant Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra. Par peur de dérouter son lectorat, l’écrivain algérien reprend les mêmes recettes, celles qui ont fait sa fortune. Khadra, c’est une langue bien tournée, mais très souvent prévisible. L’auteur ne lésine ni sur les métaphores faciles ni sur les lieux communs. Et les dialogues sont parfois d’une platitude… insurmontable (niveau émission de Deguène Chimère sur Tfm). L’histoire est quand même belle : un amour impossible entre un jeune arabe Jonas et Emilie, une Française pied noir, sur fond de guerre d’indépendance en Algérie


Cercueils sur mesure de Truman Capote

Si vous recevez un cercueil en miniature dans laquelle il y a votre photo, c’est que vous êtes le prochain sur la liste. Un mystérieux tueur en série sévit dans l’Ouest américain. Avant d’exécuter ses victimes, il leur envoie un étrange colis : cercueil + photo. L’enquêteur Jack Pepper traque jusqu’à l’obsession ce tueur illuminé et fantasque …  Jusqu’ à livrer avec lui une partie d’échecs.

Il y a, en condensé, dans cette nouvelle de Truman Capote tout ce que j’aime lire : du suspens, de la passion, et un peu de psychologie. Et surtout c’est génialement bien écrit !

Il y a quelques années, comme des millions de lecteurs dans le monde, j’ai été émerveillé par l’inoubliable De sang froid ; j’ai voulu relire Truman Capote : Cercueils sur mesure, présenté comme « le récit non romancé d’un crime américain », a été aussi une très belle expérience de lecture.

Virtuose de la plume, Truman Capote nait à la Nouvelle-Orléans en 1924 et meurt à Los Angeles en 84. Il laisse le souvenir d’un grand écrivain, journaliste et scénariste, ayant marqué la vie littéraire et mondaine américaine.


Johnny Chien Méchant d’Emmanuel Dongala

Johnny Chien Méchant fait partie de la littérature des guerres civiles africaines. Le roman d’Emmanuel Dongala est devenu un classique du genre, adapté au cinéma par Jean Stéphane Sauvaire  en 2008.

Le récit alterne la voix de deux adolescents pris dans une orgie de viols, de tueries et de pillages. Johnny Chien Méchant est enfant soldat à la tête d’une milice sans foi ni loi, qui sème la mort sur son sillage.

On est en Afrique, dans un pays qui pourrait bien être le Congo des années 90, le Libéria, le Sierre Léone des années 2000, ou le Centrafrique d’aujourd’hui. Mais les balles qui tuent sortent d’armes russes, israéliennes, américaines. Sur le terrain, les combats prennent d’ailleurs une résonance internationale, en écho à d’autres conflits : les batailles se déroulent dans un quartier nommé Kandahar ; les milices sont appelées « Tchétchènes » ; les mercenaires sont des Serbes, etc.

Laokalé, l’autre personnage du récit, est une jeune fille, qui tente de sauver sa peau et celle sa mère, veuve et cul-de-jatte.

C’est un récit haletant qui décrit avec talent l’horreur de ces guerres qui ont dévasté l’Afrique, où chaque bande armée prétend lutter pour la démocratie.

Mais ce sont « tous des chacals, des hyènes, sortis de leur tanière, attirés par l’odeur du sang et de la rapine ».

Dans ce chaos, Dongala peint avec justesse le cynisme des Ongs occidentales. Elles sauvent les gorilles des forêts tropicales sous prétexte qu’ils sont des espèces en voie d’extinction, et ignorent les populations civiles qui meurent sous les balles ?

Dongala écrit sans fioriture ni pathos, dans un style limpide et âpre. Sa formation de scientifique y est sans doute pour quelque chose. (Il est prof de Chimie aux Usa).

Certaines scènes sont insoutenables, comme ce passage où un gamin implore Johnny Chien Méchant de le laisser en vie.  En vain ; ou cette petite fille qui meurt broyée sous les roues d’un char. La plume de Dongala n’a–t-elle pas tremblé en écrivant ces passages ? Dommage que l’innocence soit totalement scarifiée à  l’horreur et à l’arbitraire.

(1) Johnny Chien méchant, Emmanuel Dongala, Le Serpent à Plumes, 2002