Didier Makal

Médias congolais, embuscade et impunité

Les médias pris en embuscades, ça se passe à Lubumbashi, en République démocratique du Congo. Les atteintes à la liberté de la presse, entraînant le recul de la liberté d’expression et du droit d’être informé pour la population, ont trouvé un autre mode opératoire. Un mode plus discret, moins alarmant, pourtant très efficace : l’impunité fiscale. Elle compte déjà 4 médias victimes !

« Les chaînes de radios et télévisions qui appartiennent aux membres de l’opposition politique ou qui critiquent les membres du gouvernement, sont systématiquement fermées pour divers prétextes, notamment, le non-paiement de taxes », écrit un rapport publié par l’IRDH, Institut de recherches en droits humains, une ONG basée à Lubumbashi.

Nyota RTV et Mapendo TVVoilà qui devient intéressant ! Entre janvier et mars 2016, parmi les trois médias appartenant aux opposants politiques, deux ont été fermés à Lubumbashi, pour non-conformité au fisc. Deux de ces trois médias, Nyota radio-télévision et Mapendo télévision, appartiennent à l’opposant Moïse Katumbi, candidat déclaré à la présidentielle ; le 3e média, La Voix du Katanga, est propriété média de l’opposant Gabriel Kyungu wa Kumwanza, ancien président de l’assemblée provinciale du Katanga et ancien gouverneur de la province du même nom. Une année plus tôt, Radio télévision Lubumbashi Jua (RTLJ) de l’opposant Jean-Claude Muyambo était fermé pour le même motif, accusé en plus, d’attiser la haine.

Un guet-apens contre les médias ou impunité empoisonnée ?

Non-conformité au fisc, le motif évoqué par l’administration est réel, note l’IRDH dans son rapport. Seulement, cela reste loin d’être la vraie raison qui ferme ces médias émettant la voix contradictoire. Ce qui se passe en réalité est une « impunité fiscale », constate l’IRDH :

« Le gouvernement entretient l’impunité fiscale pour les radios et télévisions qui chantent à la gloire du pouvoir : « Wumela », c’est-à-dire, la conservation du pouvoir le plus longtemps possible », indique le rapport.

Concrètement, les médias qui encensent le pouvoir bénéficient de la négligence des services fiscaux. Plusieurs ne sont même pas inquiétés pour non-paiement de taxes et impôts, à Lubumbashi. Les dettes accumulées et non effacées demeurent cependant. Elles serviront de moyens de pression ou chantage (c’est selon !) le jour où le média passe de Wumela à « Yabela », slogan contraire de l’opposition qui rappelle à l’alternance du pouvoir. Sacré guet-apens, cette impunité fiscale : l’embuscade elle-même ! Il suffit de voir le tableau ci-dessous.

Fermeture des médias, décision politique ?

L’IRDH dresse un tableau représentant les médias fermés, la date de leur fermeture ainsi que la position politique de leurs propriétaires au moment de la fermeture.

MédiaPropriétaireDate de fermetureCirconstance de fermeture
RTLJJean-Claude Muyambo, ancien bâtonnier et ministre des droits humains (2007-2008). Président du parti SCODE.24 novembre 2014. Motif : non-paiement des fiscs, attiser la « haine »Le 15 nov 2014, le propriétaire quitte la majorité au pouvoir
Nyota RTVMoïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, président de TP Mazembe, candidat déclaré à la présidentielle 201628 janvier 2016. Motif : non-paiement des fiscsLe 3 janvier 2016, le propriétaire démissionne  du gouvernorat du Katanga et quitte le parti présidentiel.
Mapendo TV28 janvier 2016. Motif : non-paiement des fiscs
VKATGabriel Kyungu wa Kumwanza, président du parlement provincial (Katanga), ancien gouverneur du Katanga et président de l’UNAFEC, frondeur (G7) exclu de la majorité au pouvoir.11 mars 2016. Motif : non-paiement des fiscs.Le 16 février 2016, le propriétaire appelle à une journée ville morte à Lubumbashi et a quitté, auparavant, la Majorité au pouvoir.

Ce tableau révèle que la RTLJ, média de l’opposant Jean-Claude Muyambo, aujourd’hui en prison, est fermé 10 jours seulement après le départ du propriétaire de la majorité au pouvoir, le 15 novembre 2014. Les deux médias de Moïse Katumbi, Nyota et Mapendo sont fermés 25 jours après que le propriétaire a quitté la Majorité. Enfin, VKAT de Gabriel Kyungu a cessé d’émettre 35 jours après que le propriétaire a appelé une ville morte, le 16 février à Lubumbashi.

RTLJ, Radio télévision Lubumbashi Jua. Ph. M3 Didier
RTLJ, Radio télévision Lubumbashi Jua. Ph. M3 Didier

Le non-paiement des fiscs, pourtant avéré, passe mal comme motif de fermeture de ces médias, à Lubumbashi. Le pouvoir tend des embuscades aux médias, pendant qu’il le célèbre. Il doit ainsi compter sur la peur d’être fermé, pour censurer les médias : les médias eux-mêmes pensent exercer une « responsabilité médiatique » ou parfois, une autocensure. Aucun commentaire officiel sur ce rapport, mais le ministre des médias, Lambert Mende, avait déjà expliqué que la fermeture de ces médias était une décision administrative.


Ecoles congolaises : l’obsession du 100%

Un diplôme, qu’il soit du secondaire (bac) ou d’université, ça se fête, surtout dans la rue, en République démocratique. C’est le moment pour en mettre un peu plein les yeux les voisins. Et les meilleures écoles sont celles qui diplôment sans discrimination de niveau de savoirs…

Depuis samedi 9 juillet dans la soirée, Lubumbashi écoute les finalistes du secondaire célébrer leurs réussites. Fêter son diplôme, cela renvoie un peu à l’accès à la classe des évolués, ces Africains élus pour vivre avec les colonisateurs. Nous ne sommes qu’à 56 ans de l’indépendance, à près de 70 ans du début de la scolarisation des Congolais. Le diplôme fait des dieux où savoir lire et écrire faisait des noirs des blancs. [1]

Outre des diplômés sans vrai mérite qu’il fabrique, le culte du diplôme engendre l’obsession du 100%, le maximum de réussite au bac. C’est dire qu’en RDC, il n’y a plus assez de parents qui acceptent que leurs enfants peu performants reprennent la classe. On est trop pauvre pour accepter que son enfant s’améliore : on veut vite décrocher son diplôme ! L’échec des finalistes aux épreuves nationales, le bac, en revanche, n’est jamais la faute de de l’élève. Une bonne école, en effet, ça diplôme toujours, sans distinction des connaissances.

« Là on fait toujours 100% »

La seule réputation qui vaille, c’est que la ville sache que « là on fait toujours 100% ». Certaines écoles sont célèbres en cela, avec des responsables qui ont pris parfois l’habitude d’aller ramener de Kinshasa, auprès des correcteurs, la réussite de leurs écoles recalées. Si la correction mécanisée des épreuves nationales a brouillé le réseau de tricherie, à la correction manuelle, les stratégies évoluent aussi vite que les TIC qui défient tout en s’installant. Le labo fait tout.

Les élèves du Lycée Tuendelee (Lubumbashi) saluent le drapeau avant le début des cours, le 7 septembre 2015. | Capture d'écran
Les élèves du Lycée Tuendelee (Lubumbashi) saluent le drapeau avant le début des cours, le 7 septembre 2015. | Capture d’écran

La pratique consiste à sortir des centres des épreuves, des questionnaires entiers pour un laboratoire fait d’enseignants d’écoles. Après résolution, les réponses sont retournées dans les salles où attendent non pas tous, mais plusieurs élèves. Parfois, même les plus à même de se débrouiller seuls y jettent un œil, parce que cela vient des enseignants. Pareille tricherie ne peut se réaliser sans complicité de certains inspecteurs et surveillants d’examens, ce qui n’exclut pas la corruption.

Il reste donc que des responsables d’écoles courent après les effectifs, la quantité. Même les moins studieux parmi les élèves n’acceptent pas d’échouer. D’ailleurs, cela est entré dans toutes les classes, non pas seulement en terminale : personne ne veut reprendre la classe. « L’année passe, tout le monde passe », répètent les élèves.

Faut-il continuer de célébrer des diplômes ?

La conséquence de pareilles pratiques, ce sont des diplômes difficilement défendus par les propriétaires. Ainsi, un jeune homme embauché par un parent comme conseiller dans un cabinet politique, au Kasaï (au centre de RDC), parce qu’il est diplômé en Sciences politiques et administratives, voit sonner enfin l’heure où il doit lire ses cours. Ses amis doivent rattraper son retard : « envoyez-moi les syllabus « Grands principes de l’administration », « Droit administratif », « Système politique comparé » », commande-t-il. Il n’est pas exclu qu’il mette en attente celui qui attend de lui des conseils, le temps de lire ses cours ou d’appeler son professeur…

« Faut-il continuer de célébrer des diplômes dans ce contexte ou plutôt, organiser un deuil ? » interroge un ami. Non, je crois que l’Etat congolais devrait poursuivre la réforme de l’enseignement, en reprenant des agréments à certaines écoles qui ne cherchent que le lucre. Ces écoles sont le plus souvent les moins confortables, déjà au vu des infrastructures dont elles disposent. Elles ne comptent que sur la quantité, couvant la délinquance juvénile et devenant le refuge des cancres, des fumeurs de chanvre. Ce sont des écoles privées qui prolifèrent dans les grandes villes de RDC et qui tirent par le bas le niveau de l’enseignement en promettant des succès sans effort.

[1] Au Congo-Belge, alors colonie, les évolués étaient des citoyens africains ayant appris à lire et à écrire, et pouvaient donc s’exprimer en français. Outre l’obligation de se payer radio, vélo, etc., ils obtenaient le droit de s’asseoir et de parler avec les colonisateurs blancs et même de manger avec eux.


Parlez-vous de sexualité à la maison ?

Parlez-vous de sexualité à la maison ? Chez-nous, jamais ! J’ai rencontré des jeunes voyeurs dans un quartier périphérique de Lubumbashi, au cours d’une promenade : cela m’a rappelé plein d’histoires. Une d’elles ennuie les jeunes enroulés dans les tabous.

Un jour, je me retrouve à Kalamba, puis à Musumba, des villages célèbres perdus dans l’ex-province du Katanga, à environ 1000 km de Lubumbashi. Malgré mes 24 ans d’alors, la contrée me trouve trop vieux pour demeurer célibataire, d’autant plus que je ne perds pas de vue en tant que jeune enseignant, de français en plus !

Sans loisir, on joue avec le sexe ?

Comprenez-vous déjà quelque chose sur ce qui se passe entre filles et garçons ? Le sexe, on ne joue pas avec. Ça, c’est la bible de coutume qui le dit, hein ! D’ailleurs, on ne parle pas de sexe. Mais dans ce monde, loin de la ville, sans cinéma, sans télévision (il y en a une depuis près de 3 ans !) et sans vrai loisir, que pensez-vous que font les jeunes lorsqu’ils se retrouvent dans un coin perdu ? Ah !

Beauté et nature africaines vue par Jeff Kitenge
Beauté et nature africaines vue par Jeff Kitenge

A 14 ans, ce n’est pas déjà trop tôt pour être parent. Les jeunes commencent trop tôt, et ce n’est pas de leur faute. A cet âge, en Afrique ou ailleurs, nous sommes tous plein de curiosité, de rêves et de fantasmes. Sauf que chez moi, on n’a presque personne pour démystifier le mystère. Au contraire, il se double de la peur. Le sexe et la sexualité deviennent une énigme. La peur d’être grondé, la peur d’être puni pour voir osé ou tripoté, tout cela poursuit les moins rebelles jusqu’à leur mariage. Normal qu’ils la répercutent sur leurs enfants et petits-enfants. C’est la perpétuation des tabous !

On gronde, mais on pousse en même temps à oser…

Voilà tout. A 24 ans, vous commencez à énerver voisins, grands-parents, oncles et tantes si vous n’avez pas pris femme. Pire encore pour la jeune fille : d’ailleurs on la soupçonne d’être stérile ou professionnelle de l’avortement. Ah, celles-là encore : les tantes ! Elles vous sermonnent jusqu’à ce que vous vous énerviez et preniez femme… Leurs reproches inspirent le sexe, le plus souvent, mais jamais elles ne vous éduquent à la sexualité. Curieusement, la tradition veut que tantes et oncles parlent de sexualité aux ados de leurs parents, les parents géniteurs étant trop pudiques pour cela !

Mais rendez grosse, vous les verrez tous courir pour des leçons, comme si vous leur devez des comptes. Oui, on ne doit des comptes que lorsqu’on a été prévenu, renseigné, éduqué. Pourtant, plusieurs jeunes, moi y compris, ont appris dans la rue, tout ce qu’ils savent sur la sexualité, à part peut-être les rares qui tirent profit des cours de biologie.

Les adolescents qui ont joué au sexe ou ont échangé des câlins croient avoir décroché le ciel ou découvert un grand trésor. De facto, ils se trouvent supérieurs à leurs camarades encore « bleus ». Oh, Afrique ! Si seulement on comptait combien nos enfances meurent dans cette euphorie et combien d’avenir se noient dans les tabous autour de la sexualité !

On punit ceux qui rendent grosse

Si en ville le garçon qui rend grosse ne redoute qu’on vienne lui abandonner la ville enceinte, sans ressource ni préparation, au village, à Musumba et à Kalamba, par exemple, les pressions sont grandes. Outre qu’un coup de semonce de ses parents lui tombe dessus, sans exclure des violences physiques, « l’engrosseur » doit se préparer à faire face à la famille de la fille. Il est parfois battu, aussi bien que sa copine. Une grossesse hors mariage fait honte à tous et constitue, en effet, un affront à l’honneur !

Faute des violences, la colère peut être commuée en de fortes amandes avant la dot, parfois réclamée au commissariat de police, pour plus de répression et une exécution rapide. Si les études de la fille sont interrompues, c’est la faute au garçon. C’est encore sa faute, si elle n’est pas honorablement épousée. Dans les deux cas, il paie des amandes en guise du « chômage ». Remarquez bien que le mot n’a rien de son sens économique.

Mais quelle société révoltante ! Ne gagnerait-on pas à parler clairement du sexe aux adolescents en Afrique, et au Congo précisément ? L’interdit attire, on n’y peut rien, en effet. Tant que le sexe et la sexualité resteront un mythe, alors des jeunes oseront et pire alors, ils prendront des risques inutiles.


RDC : les droits humains c’est pour après les élections

Les violations des droits humains, à caractère politique surtout, se multiplient en République démocratique du Congo. Durant le mois de mai 2016, 155 cas de violation des droits humains en RDC ont été recensés (source : BCNUDH). Au total, depuis le mois de janvier c’est 371 violations qui ont été enregistrées, contre 260 pour l’ensemble de l’année 2015… Dans ce billet, je ne serai ni bavard ni avare. J’ai conçu une visualisation simplifié.

Les publications du Bureau conjoint des Nations-Unies aux Droits, organisme de la Monusco, révèlent que le Katanga totalise le degré le plus haut des violations des droits de l’homme, suivi du Nord-Kivu, de Kinshasa et du Tanganyika.

Décidément, il n’est pas bon d’avoir des opinions, surtout des opinions politiques. Cela aiderait peut-être à éviter de tomber dans la gueule de la machine à répression qui semble ne pas reculer depuis le début de l’année. N’est-ce pas inquiétant de voir ainsi reculer l’espace d’expression à l’approche des élections on ne peut plus hypothétiques en 2016 ? Le graphique ci-dessous l’indique si bien.

Les forces de l’ordre dans les violations des droits humains

Les groupes armés, dans l’ensemble, passent pour principaux auteurs des violations des droits humains en RDC. Mais les forces de l’ordre (police, armée, renseignement) occupent la plus grande part des violations des droits humains (998 cas), le reste étant constitué des agents de l’administration.

La police se montre plus répressive. Sur cinq mois, l’observation des cas recensés par la Monusco renseigne que le Haut-Katanga, le Tanganyika et Kinshasa sont les provinces les plus concernées par la restriction des libertés.

Les violations des droits humains qui sont le fait des services étatiques expliquent les pressions qui ne laissent personne indifférent : dans les nouvelles provinces (Haut-Katanga, Tanganyika, par exemple), les nouvelles autorités sont obnubilées par l’obligation d’allégeance au pouvoir. Il faut prouver qu’on défend bien les autorités nationales, que tout est sous contrôle. Et cela, d’autant plus qu’une ville comme Lubumbashi est l’objet de concurrence entre le pouvoir et l’opposition portée par Moïse Katumbi et Charles Mwando.

En attendant les élections, qui hélas ne donnent aucun signe de début, les droits des l’homme entrent en hibernation. Ils peuvent attendre. Répression et droits des l’homme, en effet, ne sont-ils pas opposés ?


Kinshasa en guerre contre Internet

Je ne sais comment le gouvernement congolais entend améliorer son image de démocratie en décourageant les internautes par des prix prohibitifs. Comment croire au discours de l’émergence, vendu sans cesse, si en même temps on s’attaque à un de ses symboles phares de cette émergence : Internet ?

La phobie des autorités congolaises pour Internet n’est plus un secret. Elle franchit bientôt le rubicond. Tenez : quand les utilisateurs avaient 60 Giga octets à 100 USD, ils n’en ont plus que 6, chez les Télécoms, principaux fournisseurs d’accès. Les petits utilisateurs, mais les plus nombreux, n’obtiennent plus que 65 Mo, soit environ 15 minutes de connexion (applications souples comme les mails) où ils avaient 200 Mo. La pression est intenable, les internautes râlent.

Dis-moi ta politique d’Internet, je te dirai qui tu es

En janvier 2015, en pleine contestation populaire d’une loi électorale, les autorités congolaises avaient coupé Internet, l’accusant de de charrier la désinformation. Dans les faits, elles-mêmes bloquent les médias publics et privés les plus représentatifs. En 2011, après la dernière présidentielle jugée chaotique par l’Union Européenne, les SMS étaient coupés, accusés de diffuser la violence. Mais en vérité, c’étaient-là les derniers moyens de communication dont la population disposait et en qui elle avait confiance. L’audiovisuel local, en effet, ne rend service qu’aux dirigeants, et sert de miroir dans lequel ils se regardent.

Habari RDC, Blogueurs de RDC
Conférence à la société civile du Katanga, Lubumbashi, janvier 2016. Phtoto M3 Didier.

Voilà qu’en 2016, alors que tout le monde craint des troubles au sujet de la présidentielle de moins en moins tenable en 2016, Kinshasa se prépare à exclure les bourses menues de leur droit d’utiliser Internet. La technique aurait pu passer inaperçue si elle n’avait pas touché l’outrance. Les jeunes sont en colère, la presse aussi.

D’abord des jeunes kinois organisent un sit-in devant le siège du gouvernement dans la capitale : c’est la campagne « Nuit debout de Kinshasa ». A l’occasion, la police  ne s’empêche pas d’interpeller 4 journalistes qu’elle relâche après. Les jeunes ont fixé, en suite, un nouveau rendez-vous devant les sièges des Télécoms. C’est « Midi debout de Kinshasa », prévu jeudi 16 juin. Enfin, le même jour, l’Union de la presse du Congo appelle à un « Lundi sans presse et sans crédit de téléphone » jusqu’au retour à la normale.

Quelle honte que de s’attaquer à Internet !

Des grandes économies mondiales consentent de grands investissements dans les TIC en vue d’accroître les emplois. Mais les petites économies ont parfois leurs logiques à elles, comme ramer à contre-courant. Et on rêve quand même de l’émergence !

Habari RDC, Blogueurs RDC
Les blogueurs de Lubumbashi au cours d’une conférence à la société civile du Katanga, 21 novembre 2015. Photo M3 Didier

Émergence, en effet, ça rime aussi avec Internet et les TIC. Mais dans un Congo où même les ministères ne sont pas informatisés, alors que la fibre optique attend devant leurs portes, cela n’étonne pas. Interne joue à peu près le même rôle qu’un gadget ou une décoration de son salon. En RDC, on innove pour en mettre pleins les yeux, les voisins. Non pas pour se développer. Autrement, pourquoi la fibre optique congolaise ne profite-t-telle guère aux masses ? Internet populaire ou massif, c’est un lointain rêve au Congo. Pourtant, c’est par ce procédé que le pouvoir public devrait assurer, ne fût-ce que minimalement, la redistribution des bénéfices de ce projet d’Internet qui a coûté plus des millions (détournés)  que jamais dans autre des 14 pays connectés à Internet par fibre optique (projet Wacs).

Je pense qu’en RDC, les dirigeants devraient apprendre qu’ils travaillent avec l’argent du peuple et qu’ils lui doivent des comptes.

Mais hélas, accéder à Internet reste encore vu comme une gentillesse des dirigeants. S’ils veulent, ils connectent. S’ils veulent, ils coupent ! C’est honteux de se montrer non adapté au temps qu’il fait. Internet est un symbole. Et on ne s’attaque pas sans conséquences aux symboles.


Pour que Patrick Kimpenda repose en paix

Un innocent a été tué à Kinshasa, le 1er juin 2016. Patrick Kimpenda Numbi était un citoyen comme il n’y en a que trop peu : il avait compris le sens de fraternité et de servir. Oui, servir autrui comme maxime de sa vie, c’est là que résidait l’humanisme de ce jeune blogueur de 29 ans mort en défendant un passager malmené.

Le 1er juin, Patrick Kimpenda Numbi a pris place à bord d’un bus Transco, la Compagnie publique de transport. Le jeune homme part de Kinkole, dans la commune de la N’sele, pour Matete, chez lui. Il n’arrivera pas chez lui, hélas ! Sa famille l’a retrouvé à la morgue, au lendemain.

Patrick a été tué pour avoir défendu un passager plus pauvre que lui, qui n’avait pas payé les frais de transport du trajet. Comme à l’accoutumée, le passager a dû essuyer insultes et humiliations de la part des convoyeurs. Les convoyeurs congolais n’ont pas que des habits sales : leur bouche et leur cœur le sont tout autant, en règle générale ! C’est donc à eux que Patrick Kimpenda a eu affaire lorsqu’il a pris la défense du passager. Les convoyeurs l’ont tabassé et ne se sont arrêtés que lorsqu’ils l’ont vu mourant, l’abandonnant dans un hôpital quelques instants plus tard. Fin d’une histoire, fin d’une vie, fin tragique d’un jeune de 29 ans, licencié en économie en 2014.

Les intouchables de Kinshasa

Jamais Patrick n’aurait imaginé qu’il subirait le martyre en pleine capitale congolaise, chez lui, traité comme dans une jungle. Hélas, c’est cela aussi Kinshasa, ville où pullulent des ultras, protégés lorsqu’ils doivent chanter et défendre des politiques, traqués lorsqu’ils ennuient les plus forts ! Les services publics étant divisés entre partis politiques, c’est à ces jeunes dangereux qu’on donne parfois des emplois que les clercs et les moyens des partis ne peuvent assumer.

Voilà enfin à quoi servent les ultras qui passent de chantres des partis politiques à employés de l’Etat. Des employés d’un service public qui se délecte de violence, jusqu’à ce que mort s’en suive, comme s’il n’existait pas de justice. Et nous qui croyions que les bus Esprits de vie du gouvernement avaient enterré les piteux Esprits de mort… Non ! En RDC, lorsqu’on débaptise une pratique, on appelle cela un changement, sans s’occuper de ce qui les animent.

Imposer le silence, puis oublier

Le meurtre de Patrick Kimpenda allait rester silencieux et ses proches ne l’auraient pas su s’ils n’avaient rencontré un agent de l’ordre ayant signalé sa mort. Le silence a d’ailleurs continué jusqu’à ce qu’alertée par les blogueurs et amis de la victime, Radio Okapi (média onusien) en parle dans ses informations. D’après nos sources, un avocat de Transco a même osé faire libérer clandestinement des jeunes arrêtés dans le meurtre de Patrick. Grâce à la vigilance de la famille et des amis de la victime, un avocat a obtenu du procureur la détention préventive des présumés meurtriers, agents de Transco.

Même si certaines autorités n’ont plus les capacités humaines pour percevoir les cris des humains, pour Patrick, nous demandons non pas une sensibilité, mais la justice. Cela apaiserait au moins les cœurs échaudés, et calmerait sa famille et ses proches. Patrick ne reviendra plus, il ne servira plus personne, malgré son grand cœur. Mais punir ses bourreaux permettra de passer un message de fermeté à tous ceux qui se croient investis d’un pouvoir ultra-national pour se substituer à la justice, parce qu’ils peuvent être protégés, même après des arrestations pour meurtre et avant que justice ne soit rendue. Que la justice punisse ses bourreaux, agents de Transco, et alors, Patrick Kimpenda reposera en paix !


Le pakavilisme, la redoutable maladie des congolais

Dans ce billet, je vous parlerai d’une maladie endémique qui prend des millions de congolais et les tient captifs : le pakavilisme.
Surtout, n’allez pas chercher ce concept dans les dictionnaires : c’est une édition épuisée et sur mesure pour les congolais !

Le pakavilisme, comme tous les ismes, se veut un système de pensée achevé, où rien ne va mieux : ni hier, ni maintenant et jamais demain. C’est une catastrophe et on n’y peut rien. Une francisation du swahili « paka vilé », le concept signifie : « pareil, toujours comme ça ! ». En RDC, en effet, c’est toujours comme ça : « Ni paka vilé ! »

C’est toujours comme ça en RDC !

C’est toujours comme ça que les dirigeants politiques aiment leurs postes plutôt que leur peuple, c’est toujours comme ça que la corruption rend des individus plus riches que l’Etat lui même, c’est toujours comme ça que le peuple se plaint de son sort sans jamais agir pour le changer … c’est toujours comma ça, c’est le pakavilisme congolais.

Nous avons démissionné de nous-mêmes

Il semble que chaque peuple vaut ses dirigeants. A propos des congolais, je crois que le salut des politiciens pourtant bien mesurés au pakavilisme, profitent bien de la conception pakaviliste de la vie. Ils n’ont personne ou presque pour leur demander des comptes. C’est peut-être la preuve que cette population congolaise, analphabète à plus de 60%, ne comprend pas grand-chose des problèmes nationaux qui se posent . C’est toujours comme ça que nous souffrons !

Mais hélas, même les intellectuels ne se posent plus de questions. « Ils n’y a personne pour entendre nos interrogations », explique un enseignant. Et, être critique, même si cela permet de ne pas marcher sur la tête, ne vous procure que malheur ! Alors on se cache dans le paka vilé !  Cela ous poursuit d’ailleurs partout, c’est ancré dans nos coutumes. Pourquoi demande-t-on au futur mari de vêtir ses beaux-parents ? La réponse est « paka vilé » ! Lors d’un deuil, pourquoi les femmes pleurent-elles dans la maison, à part, pendant que les hommes papotent et boivent autour du feu, dehors ? – Paka vilé !

Nous les pakavilistes congolais

La majorité de mes compatriotes femmes éprouvent nullement de gêne quand on les déclare ravissantes où quand on dit qu’elles inspirent responsabilité, savoir ou intelligence. C’est ce qui est arrivé à un meeting où la plus haute autorité attendue était une femme. Alors qu’il doit l’inviter à parler, le modérateur vente sa beauté, sans que cela n’esquisses un seul trait-tiré sur son visage. En vain je m’évertuais à condamner cette manière de présenter la femme congolaise : « Mwana muke ndjio vile », « c’est comme ça la femme », répond une journaliste.

Ah, la politique ! C’est tous les jours du pakavilisme, comme la doxologie catholique, un pakavilisme conjugué au passé, au présent et pour l’éternité : « comme il était commencement, maintenant et toujours, à jamais ! » Oui, c’est paka vilé, et l’histoire de mauvais dirigeants sert à noircir tous les nouveaux et ceux qui vont venir. « Les congolais sont comme ça, ils n’aiment pas leurs compatriotes. L’ennemi du congolais, c’est le congolais lui-même », aime-t-on le dire en RDC.

C’est un fatalisme outrancier qui s’en suit. Perverti, il nourrit les pakavilistes. Pas tous, mais quand certains congolais qui décident de s’expatrier, c’est par naïveté : ils croient trouver le bonheur qu’ils n’ont pas ailleurs. Pourtant, où ils arrivent, la règle demeure la même (peut-être en des termes non identiques) : façonner son devenir, se battre !

Des gouvernants pakavilistes

Il se raconte que, en visitant il y a quelques années un ravin exagérément agrandi à Kinshasa à cause de l’érosion pas du tout combattue, le gouverneur André Kimbuta a lâché : « mboka oyo eko bongama te ».Traduisez : « ce pays ne changera jamais. » Quel pakaviliste ! Fait grave !

Que voulez-vous que croie la population, à plus de 60% analphabète, si un gouverneur de province tient de telles affirmations ? Comment dire aux gens que la RDC change, lorsqu’on décrète la « tolérance zéro » sur la corruption, et que personne n’est puni lorsque les matériels de fibre optique sont surfacturés, entraînant une connexion bâclée ou estimée telle ? N’est-ce pas aussi pour nourrir le pakavilisme que 15 ans après son adoption par référendum, aucun des initiateurs de la Constitution congolaise ne se réclame plus d’elle ?

C’est toujours comme ça, la RDC : Congo, ni paka vilé.


RDC : que valent vos diplômes ?

Les congolais célèbrent trop les diplômes au point qu’ils en deviennent presque aveugles et ne voient pas l’essentiel. Ah, l’essentiel ! N’est-ce pas de gagner beaucoup d’argent, de recevoir de gros salaires, conformément à ses diplômes ? Alors, au diable « l’essentiel invisible pour les yeux » d’Antoine de Saint Exupéry ! Ici, on vise le visible et lui seul.

A quoi servent les universités en République démocratique du Congo ? Dans le contexte où le diplôme est mystique et source de gros salaires, la réponse est : les universités servent à décerner des diplômes, point, barre ! Peu y vont pour apprendre, pour connaître d’abord, et jouir du savoir ensuite.

Bienvenue au chômage

Le jour où j’obtenais mon diplôme de licence, en 2013, un caricaturiste d’une télévision célèbre de Lubumbashi affichait pour nous accueillir un message que je n’ai compris que plus tard, on pouvait lire : « bienvenus dans le monde du chômage ! »

Les universités et les institutions d’enseignement supérieur accueillent chaque année des milliers de nouveaux étudiants diplômés du secondaire. En réalité, nombre de ces étudiants n’ont pas les capacités requises pour ce genre d’études. En fait on va aussi à l’université parce que ça honore la famille. Si on était sérieux, nombreux sont ceux qui devraient être orientés dans des métiers où ils brilleraient. Malheureusement l’orientation scolaire a cessé d’exister peu après le départ du colonisateur belge. Aujourd’hui le diplôme est à obtenir coûte que coûte, tous les moyens sont bons. Le diplôme est devenu une fin en soi. Oui, ici lorsqu’il faut gagner sa vie, la fin justifie les moyens.

Des finalistes du secondaire dans une école de Lubumbashi
Des finalistes du secondaire dans une école de Lubumbashi

Des diplômés qui n’ont pas appris

Malgré les diplômes de l’enseignement supérieur qui circulent en RDC, le pays n’est pas sorti de l’auberge ! Au contraire, le pays semble être actuellement à une époque bien inférieure comparée par exemple à l’époque de Kasavubu et Lubumbashi, président et premier ministre de RDC, qui pourtant n’avaient jamais obtenu de licence ni de doctorat. Quelle honte ! On peut bien accuser les enseignants, mais quelle est la responsabilité des parents et des apprenants eux-mêmes ? Des étudiants qui, de toute leur formation, n’ont lu de livres que le jour où il fallait rédiger leur mémoire et qui, tout de suite après, vont cacher sous leurs valises !

Une chose est sûre, le culte du diplôme a cessé de garantir la qualité des diplômés. Conscients de leurs limites, des chefs de services publics voire même des hauts responsables des services publics ou encore des ministres, se retrouvent à surcharger leurs secrétaires, devenus des bêtes de somme, des hommes et des femmes à tout faire. Mais pour quel salaire ? Selon le dramaturge Yvon Mwanza « Lorsqu’il faut travailler, c’est bon. Lorsqu’il faut rémunérer les travailler, c’est la guerre ».

Des diplômes de la honte

L’ennui c’est qu’ayant compris que compter sur des diplômes engendre plus de salaires que de bons résultats, des chefs d’entreprises ont décidés de recourir uniquement aux travailleurs à tout faire. Pour assurer la qualité, ils comptent alors sur quelques spécialistes dont les compétences ne souffrent pas de critiques. C’est sans gêne que ces chefs d’entreprises privées déclarent sous un ton péremptoire, « papa, votre diplôme-là, mettez-le au frigo », explique un jeune qui a protesté qu’on lui demande de balayer, sa tâche d’employer temporaire (journalier).

Source: fr.freepik.com
Source: fr.freepik.com

Alors que font les diplômés ? On a beau les accuser de cumuler et d’aggraver le chômage… mais ils n’ont jamais demandé à personne de mal étudier ou de mal s’orienter ! Ils se débrouillent, comme c’est la règle en RDC. Débrouillez-vous, article 15 !

Voilà comment le culte de diplômes en RDC a fini par ériger des murs devant la jeunesse. Au lieu d’apprendre à leurs enfants à bien connaître pour pouvoir produire, même en étant employés, en RDC les parents envoient leurs enfants obtenir des diplômes sans savoir ce qu’ils vont en faire.


La sape, la fête et le verbiage, l’image du congolais ?

Il faut voir les congolais, lors d’une rencontre officielle, à une fête et même à un deuil : ils sont trop chics, parfois exagérément. Ce n’est pas pour rien que la sapologie, doctrine des personnes élégantes, trouve ses racines en pleine capitale Kinshasa.

Mais là n’est pas le seul côté du congolais. Je vous en propose deux autres ou trois.

Soit dit en passant, j’ai participé à une rencontre de charité fort ennuyeuse. J’étais là pour ramener un compte-rendu à ma télévision. Les organisateurs, une ONG de protection des enfants, les officiels parmi lesquels des ministres, arrivent bien sapés (plein dans la sape). De jolies dames aussi. La cérémonie commence, de beaux discours, très cohérents, pathétiques, comme d’habitude. Arrive le moment de la collecte de fonds, plus de pathos hélas! Rien ne sort des grosses vestes et des chics sacs des dames. Tout le monde est venu voir les cousins européens faire œuvre de charité. Curieusement, ils sont  modestement habillés. Les gars très chics remercient et s’en vont avec l’aide financière. C’est leur droit d’être aidés !

La sapologie
Source: Justin makangara RDC, commons.wikimedia.org

A Dakar, à la récente formation de Mondoblog-RFI, c’est un ami camerounais qui taquine : « les congolais sont des sapeurs ». Pourtant, je me couvrais d’un simple polo et d’un blue-jean ordinaire, comme lui. On n’y peut rien parfois ! Le sapeur est devenu malheureusement l’image de tout congolais. Parfois, même des membres du gouvernement n’y échappent guère. Un ami qui vit en Europe me confie : « pendant qu’un malien se bat pour envoyer chez lui de l’argent, un compatriote veut se bat pour la sape en France. » Etre chic finit par être une obsession : « Kinois alela griffe », traduisez : « le kinois adore la griffe » ! Que c’est gênant de parler sans concessions, ça nourrit les clichés. Hélas, ainsi va le monde !

Les congolais sont aussi fêtards

Mais quels fêtards, les congolais ! N’est-ce pas naturel que l’homme chic inspire la richesse ou du moins, un certain bien-être social assimilable aux matériels ? Pour un mariage, tout le monde veut impressionner. Le plus drôle, c’est que de plus en plus de congolais pensent qu’ils peuvent se marier avec l’argent des autres. Un jeune homme de Lubumbashi envoie à ses proches des centaines de faire-part, des appels à contribuer pour son projet de mariage qui en plus, ne porte que sur les préliminaires : la pré-dot. Sans doute il ennuiera du monde !

Des nominations dans le gouvernement sont parfois longuement fêtées en RDC, tout comme des victoires sportives.

Après la fête, c’est le repos. Oui, les congolais aiment dangereusement les journées fériées et de longs weekends. Allègrement, un ministre signe un décret pour la ramener à vendredi ou à lundi, une journée fériée qui doit absolument être chômée et payée. Le mois de janvier, par exemple, est amputé de 4 jours, outre les dimanches et les samedis, d’office demi-journées que l’on clôture à 11 heures du matin : le 1er, le 4, le 16 et le 17. Curieusement, les trois derniers jours se recoupent et ont en commun le martyr. C’est sans compter le fait que dans la fonction publique, par exemple, des bureaux s’ouvrent à 10 heures et ferment trois heures après. Les moins à plaindre ont non pas 8 heures de travail, mais 8 heures au travail.

N’oubliez surtout pas le verbiage congolais

L’expertise dans le verbiage congolais apparaît lorsqu’il faut interpréter les lois, par exemple. Pour votre information, la plus récente des discussions qui tristement rigolo porte sur l’article contracté « du », dans le 2e alinéa du fameux article 70 de la constitution. Pour dire que Kabila partira en décembre prochain, à l’expiration de son dernier mandat constitutionnel, ou pour convaincre qu’il ne partira pas, les beaux parleurs reposent tout dans « du ». La phrase est toute simple : « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu. »

Le « du » qui serait l’antonyme de « un », le du renvoyant au nouveau président élu et connu, et un (sous-entendu) renvoyant au sortant. Ce dernier est donc celui qui reste en fonction, attendant la remise et reprise avec l’entrant. Les mouvances, eux, expliquent que du désigne l’actuel président qui malgré tout a été élu et doit conteur si aucun nouveau n’est élu. Ça finit par être surréaliste et ressembler aux maths ! C’est aussi ça le congolais !

Sapeur, fêtard, le congolais est aussi parleur, dans une version ennuyeuse. Oui, le verbiage congolais prend parfois l’allure d’une compétition de football entre opposition et pouvoir. Cette combinaison, avec d’autres que je n’évoquerais pas ici, donnent « les congolaiseries », concept calqué sur kinoisieries, pour désigner tout ce qui est gauche dans la capitale Kinshasa : combines, mensonges, corruption, détournement, flatterie, etc. Est-ce pour me contredire ? Tous les congolais ne sont pas comme ça, mais hélas, ceux qui portent l’image du congolais le sont bien.


Moïse Katumbi à la croisée des chemins

Deux chemins s’ouvrent devant l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, et opposant à Joseph Kabila : l’exil et la prison. Du choix qu’il va opérer entre ces deux maux, dépendra son avenir politique en République démocratique du Congo. Katumbi, en effet, est candidat à la présidentielle prévue en 2016.

Le procureur général de Lubumbashi a décidé de ne pas poursuivre avec les auditions de l’ancien gouverneur du Katanga, accusé de recruter des mercenaires. Accusation portée par le ministre de la justice Alexis Thambwe, qui a aussi ordonné les enquêtes (lire Le Soft International). Le procureur a donc renoncé à la confrontation des suspects dans cette affaire, notamment l’américain Darryl Lewis, présenté comme le cerveau du mercenariat imputé à Katumbi. Ce dernier nie toutes les accusations et explique que Darryl Lewis travaillait pour sa sécurité.

Katumbi doit choisir entre la peine de mort et la prison

Moïse Katumbi arrive au palais de justice de Lubumbashi pour une audition, vendredi 13 mai 2016. Photo M3 Didier
Moïse Katumbi arrive au palais de justice de Lubumbashi pour une audition, vendredi 13 mai 2016. Photo M3 Didier

Le plus intéressant, c’est de considérer l’optimisme du procureur qui inculpe Moïse Katumbi d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat : il laisse libre le prévenu, actuellement malade, de se faire soigner à l’étranger ou en RDC. C’est sans crainte de fuite, et pour celui qui veut vraiment juger et faire appliquer la justice, ce laxisme étonne.

Une fois en exil, revenir au pays pour le candidat à la présidentielle équivaudrait à aller directement en prison. Le procès qui l’attend sera une simple formalité : le gouvernement se montre déterminé à obtenir sa condamnation.

Les faits imputés à Moïse Katumbi sont punis de mort, d’après le code pénal congolais. Il faut être suicidaire pour revenir chez soi dans un tel contexte. Le mandat d’arrêt provisoire du procureur dit en d’autres termes : Moïse Katumbi, sauve-toi et oublie ta candidature à la présidence.

Mais l’exil est aussi suicidaire que le retour au pays ou le refus de l’exil. A coup sûr, il annihilerait tout espoir de participer à la présidentielle, pour Katumbi. Il ne contrôlera plus rien sur le terrain, il n’inquiétera plus personne et sera présenté comme un fugitif, ayant peur de la justice parce que coupable.

Moïse Katumbi, meneur de jeu

Quoi qu’il en soit, le meneur de jeu, dans cette affaire, c’est Katumbi lui-même. Président du Tout-Puissant Mazembe, le célèbre club de football basé à Lubumbashi, il comprend bien ce que cela veut-dire mener un jeu. C’est ce que veut dire le choix que lui laisse le procureur. Va-t-il marquer des buts, ou se limiter simplement à dribbler et développer son bon jeu, offrant des spectacles, comme il l’a fait durant les trois jours de son audience popularisée ? Il peut compliquer la tâche à Kinshasa mais aussi la lui rendre facile : tout cela dépend de la décision qu’il va prendre maintenant et après ses soins en RDC ou à l’étranger. Une condamnation en martyr devrait lui rapporter beaucoup de gains politiques, mais la question c’est comment se tirer de ces accusations graves ?


Afrique : milices présidentielles dans les armées

Un soldat, ça ne réclame pas de droits, mais ça accomplit ses devoirs. Ça ne vote pas en plus, ça protège. Mais là où le soldat acquiert le pouvoir citoyen de choisir, il n’a qu’un choix : le commandant suprême, c’est-à-dire, le président sortant. C’est ce qui est arrivé au Tchad d’Idriss Deby, où des militaires auraient disparu pour un non aux dernières élections.

Si en réalité pareille affaire est restée presque inconnue du grand public dans d’autres pays, on ne peut supposer son inexistence depuis les indépendances. Qui d’autre un soldat devrait-il élire, sinon celui qui a le dernier mot sur sa vie ? Vous vous demandez sans doute, comme moi, à qui servent les soldats dans certains pays africains ? Question très simple. Voici ma réponse :

En règle générale, l’armée et la police ne votent pas

Dans plusieurs pays africains, les constitutions veulent que les hommes et femmes de rang restent en dehors des rênes politiques. On dit qu’ils doivent rester neutres. Si le vote est un acte civique, ce que d’ailleurs les universités et les politiciens n’ont pas arrêté d’enseigner, c’est d’abord pour les autres. Pas pour les soldats. Pour l’armée et la police africaines, voter est un acte hautement politique, il donne des idées politiques. Le plus inimaginable, c’est un vote contre le président sortant : c’est presque passible de mort, comme la félonie. Pourquoi donc ? La raison est simple :

L’armée et la police sont au service des présidents

Ce n’est pas de la mathématique : la longévité des présidents est fonction du contrôle qu’ils ont des militaires et des policiers. Deux principes président à cette gestion personnelle des forces armées : « diviser pour régner » et « paupériser pour dominer ».

Le premier principe, « diviser pour régner », permet aux chefs d’Etats africains de susciter des envies en soignant des unités spécialement commises à leur sécurité. On les appelle Garde présidentielle, Division spéciale présidentielle, etc. Ce sont les mieux vêtues, les visiblement bien « soldés »… alors que les autres galèrent. Il faut amener tout le monde à désirer rejoindre ces élus des régiments du ciel. Une fois dedans, on n’a qu’une seule envie : y rester. D’où la soumission inconditionnelle devenue règle d’or. Je passe outre la question des soldes ridicules dans plusieurs pays pour ne pas heurter les sensibilités.

Les milices présidentielles

Certains des régiments présidentiels prestigieux deviennent carrément des milices des chefs d’Etat. Le sale boulot des régimes, c’est aussi l’affaire ces armées privées dans les armées dites Républicaines. Ainsi, la DDS (un prolongement de son armée) d’Hissène Habré fait encore grincer les dents à ce jour. C’est avec émoi que les Tchadiens peuvent vivre l’affaire des disparitions forcées des soldats électeurs indépendants qui se sont détournés de Deby, si cela est prouvé.

Aussi, à la tête des armées de seconde zone, les généraux sont nommés, non pas pour défendre le pays, mais le régime. Ils sont gâtés pour ne pas révolter des soldats maintenus dans la misère. Et c’est aussi affaire d’ethnie ou de régions, en majorité. Ainsi, il se raconte que le général François Bozizé de la Centrafrique se serait accordé 2000 hommes dans une armée d’environ 7000 âmes. La garde de Blaise Compaoré a voulu perpétuer la dynastie après le maître, en vue de le protéger aussi. Tout le monde sait aussi comment la DSP du maréchal Mobutu inspirait la terreur à tout Zaïrois, y compris même les sbires du régime.

Il restera au moins cette vérité : porter une arme et glisser un bulletin dans une urne semblent passer pour une redondance, un double pouvoir : le soldat peut doublement s’exprimer. Tantôt avec sa Kalache, tantôt avec son bulletin pour punir. Mais tout cela ne devrait pas faire peur si nos pays organisent des armées homogènes plutôt que d’entretenir des milices à leurs fins propres. Un militaire, du cil ou de la terre, a doit de voter, et de voter librement.


Lubumbashi : 4 médias s’éteignent avec la liberté de la presse

C’est noir, l’obscurité couvre progressivement Lubumbashi. Nyota Radio-télévision et Mapendo TV, médias proches de l’opposant Moïse Katumbi restent fermés depuis trois mois. La diversité d’opinions se meurt dans la deuxième ville de la RDC en baisse au dernier classement de la liberté de la presse de Reporter sans frontière.

Avec Vkat (la Voix du Katanga), télévision de l’opposant Gabriel Kyungu wa Kumwanza, Nyota et Mapendo étaient la dernière voix contradictoire, en ce moment de forte propagande politique à visée médiatique dans la ville jadis base exclusive du président Joseph Kabila. A Lubumbashi, le silence et l’obscurité grandissent.

La fermeture de ces médias génère une grande peur d’être fermés pour ceux qui émettent encore. La peur d’être fermé oblige les médias à se censurer. Mais de mon point de vue, cette autocensure est une censure même. La méthode consiste à frapper des brebis vues comme galeuses, pour obliger les autres à se taire ou les pousser à l’extrême contrôle. Kinshasa ne crée donc pas des censeurs directs, il se sert des médias eux-mêmes en comptant sur leur intelligence à lire les signes du temps. Les journalistes risquent de devenir des simples chantres, et bientôt ils passeront à la danse.

Des pressions fiscales

Facilement, les médias fermés sont présentés comme moins corrects que ceux qui fonctionnent encore. Quand ils émettent les opinions contraires à celles du pouvoir, ils sont mal vus. S’ils persistent, ils n’ont pas le droit d’exister. Il existe actuellement une espèce d’omerta sur le nom et l’image des anciens alliés du président Kabila devenus farouches opposants : Pierre Lumbi, Moïse Katumbi, Gabriel Kyungu, etc. Les médias qui leur sont proches subissent toutes sortes de pressions, les dernières fatales étant les pressions fiscales.

C’est ce qui est arrivé à Nyota et Matendo, fermés pour non-paiement de taxes et impôts, officiellement. Mais on comprend que la politique y joue plus fort que tout, lorsqu’après avoir tout payé, y compris les pénalités encourues, les médias restent fermés, renseignent des journalistes de ces médias envoyés en congé technique le 23 avril 2016.

« Ils nous envoient toutes sortes des taxes à payer, même celles qui n’existent plus, dans l’optique de nous déstabiliser », explique un journaliste d’un média annoncé comme le prochain sur la liste des médias à fermer.

C’est facile de violer des règles professionnelles que de frustrer un dirigeant

Un enfant au plateau de Kyondo Tv lors d'une visite des élèves en 2014. Photo M3 Didier
Un enfant au plateau de Kyondo Tv lors d’une visite des élèves en 2014. Photo M3 Didier

Tous les dirigeants le savent bien : les médias congolais souffrent, tous, d’un seul mal congénital : œuvres des politiciens, ils sont créés avant tout pour la propagande de leurs propriétaires qui ne les dotent pas de budget de fonctionnement outre les matériels. Suffisant pour qu’ils vivotent, et qu’ils tournent au tour des politiques et des institutions pour de l’argent. Lorsqu’ils gênent, allez-y comprendre combien il est facile, on frappe le maître, et plus rien ne tiendra longtemps. S’ils résistent : on agite les pressions fiscales. Des médias de Lubumbashi en ordre avec le fisc, c’est rare ou n’existent pas du tout, même les plus en vue. Dès lors, pourquoi reprocher le non-paiement aux seuls médias proches des opposants politiques ?

Sans doute, certains médias frappés ne peuvent passent absolument pour irréprochables sur le plan du respect des principes régissant le professionnalisme médiatique. Mais la violation des règles fondamentales du journalisme est plutôt la chose la plus facile qu’on puisse demander à un journaliste ou à un média, plutôt que d’énerver un dirigeant politique, même quand il n’a pas toujours raison.

Des centaines d’emplois menacés

Avec Nyota, Mapendo, VKat et RTL Jua, ce sont plus de 300 employés qui risquent le chômage. C’est sans compter leurs dépendants. Or, on le sait bien, décrocher un emploi dans le Katanga, est un véritable parcours de combattant : même pour les plus danseurs de tous !

Plus le temps passe, moins il y a espoir de reprise des médias fermés. C’est arrivé ainsi à RTL Jua de l’opposant Jean-Claude Muyambo, actuellement emprisonné. Plus d’une année après, la question n’est plus évoquée et le plus dure, c’est que les organisations professionnelles (médiatiques) restent silencieuses. C’est la route sur laquelle semble embarqués les trois médias fermés depuis le début de l’année à Lubumbashi.


L’étonnant optimisme des camerounais sur Paul Bya

Le Cameroun sur lequel trône Paul Biya depuis voici 34 ans, vit une exception. Une exception singulière (lourdeur ?), en pleine Afrique centrale qui rivalise de mandats interdits par les lois fondamentales et victoires par K.O. aux élections.

Pays atypique dans cette Afrique, je le crois bien, le Cameroun ne connaît pas assez d’agitation au tour de l’alternance au pouvoir, c’est-à-dire, la succession à Paul Biya. Pourtant, des plus présents et actifs sur les réseaux sociaux, les jeunes camerounais parlent de tout, et assez moins ou pas du tout de politique.

Cette observation que j’ai faite de mon Congo natal, je suis venu la confirmer à Yaoundé, capitale du Cameroun où au-dessus du footballeur Samuel Eto’o et la passion du foot, règnent un dieu unique : Paul Bya !

« Laissez tranquille Paul Biya. Nous, on ne s’occupe pas de lui », explique un ami.

Sans faim, pas de bruit

Dans les rues, je décide d’interroger quelques personnes qui affichent ce même sentiment. Le camerounais paraît tranquille chez lui. « Il a sa nourriture, il cherche l’argent pour sa bière, explique un journaliste, tout sourire. Le lendemain, il reprend encore le cylce. »

Et la vie continue. La politique intéresse peu plusieurs camerounais, les jeunes en majorité. Mais l’image qu’ils en ont est négative, témoin d’un dépit et d’une lassitude pour un régime qui n’en finit pas et ne tient plus qu’à un seul fil : la volonté du président de la République. Mais ils semblent ne pas le détester, cependant.

« Vous pouvez faire tout ce qu’il vous semble bon, au Cameroun. Mais ne touchez pas à Paul Biya », commente François.[1]

François poursuit que « le président n’est pas prêt à lâcher le pouvoir par et pour lequel il vit. » Les camerounais ayant compris cette réalité, préfèrent le laisser seul, « tant qu’il leur garantit la bouffe et la bière », commente le jeune de Yaoundé, on ne peut plus caricaturiste. Un autre ajoute que personne n’est prêt, parmi les investisseurs étrangers, à soutenir une contestation du régime qui risque d’aboutir à la mise en danger des investissements locaux et étrangers considérables. Il ajoute enfin, que le secret du deuxième président du Cameroun tient peut-être au fait qu’il a su garantir la nourriture à son peuple.

Optimistes, Paul Biya quittera le pouvoir croient les camerounais …

Mais ce qui me frappe, c’est surtout l’optimise, à la limite du sarcasme, qui anime mes interlocuteurs camerounais. Ils savent qu’un jour, Paul Biya partira, sans arme ni pneus des voitures brûlées sur les routes. Ce jour-là, est celui du décès de l’éternel président camerounais. « Laissez-le mourir au pouvoir. Nous n’avons pas besoin de problème  », commente François.

C’est une jolie idée, au-delà de tout risque de naïveté, dans la mesure où cela évite le désordre. Seulement, après Biya, plusieurs camerounais pensent que les leaderships longtemps étouffés vont s’affronter. Personne ne sait comment ni ce qui arrivera. C’est arrivé dans plusieurs pays où des présidents ont eu de longs règnes.

[1] Le nom a été modifié.


Une nuit à Addis-Abeba

Au bout de quatre heures de vol, j’arrive dans la capitale de l’Afrique. La nuit est tombée sur Addis-Abeba.

J’ai bricolé mon anglais scolaire de Lubumbashi, j’ai fait rire, je me suis fait comprendre quand même. Aussi, je n’ai pas oublié, avec une bonne dose d’orgueil, d’exploser quelques mots de mon français, pour punir ces anglophones qui me donnent l’air d’ignorer ma langue. C’est simple : rendre la pareille, amicalement !

Au bout de deux heures d’attente et de contrôles à l’aéroport, j’arrive à l’hôtel. Une minute, je prends de l’air avant de me coucher. Arrive un gentil gars qui alterne, non sans peine, anglais et français. « Salut! »

Bilingue et francophile, en terre Ethiopienne, mon compagnon est sans doute un connaisseur, dans tous les sens du terme.

  • Pourquoi un si jeune et beau gars devrait-il s’engouffrer dans cet, aussitôt arrivé, comme s’il était sous un régime de surveillance s’un magistrat? m’interpelle-t-il, tout sourire et serviable. C’est entre potes, en effet !
  • Viens, je te montre Addis ! poursuit-il.

De jolies nanans d’Addis-Abeba

Voyage, Ethiopie
L’aéroport d’Addis-Abeba, Ethiopie prise nocturne. Photo M3 Didier

Le compagnon me propose de faire un tour, d’aller voir « de belles nanans de la capitale africaine. » Sous un ton péremptoire, il soutient que « tout est beau ». Ça en a l’air, Addis-Abeba, en effet. A l’aéroport, et sur ma trajectoire, je ne me rappelle pas en avoir vu une qui soit défavorisée par la nature. Je veux dire, alertante par sa laideur ! Même la moins coquette, en effet, s’arrange pour briller. Finalement, ça semble la règle de la profession ou du moins, du recrutement à leurs postes.

De jolies nanans ! Mais ne soyons pas naïfs, c’est dans un aéroport international, dans une capitale qui savoure le prestige d’être la capitale de l’Afrique (siège de l’Union africaine). Ce sont des hôtesses. Inutile que je le dise ainsi à mon compagnon ! Où allions-nous trouver ces belles d’office offertes?

On se sépare donc, et l’ami ne peut compter sur moi pour le tour en taxi, « à dix dollars US seulement. » A dix dollars ou à n’importe quelle gratuité ou gentillesse, je n’allais offrir ma soirée de passager.

Et cet esprit nocturne qui hante

Mais une fois rentré dans l’hôtel, l’esprit du francophile éthiopien me poursuit. Pourquoi, diable, s’est-il mis sur ma route ! Je m’entretiens avec une femme à la réception pour mon repas, une jolie créature me lorgne, et lorsque je la croise des yeux, elle me couvre d’un puissant regard possessif. Ce regard-là qui vous électrocute et vous fait oublier votre chemin. Elle a eu ce sourire qui ne ment pas qu’elle invite à discuter… Bientôt elle salue, invite à parler… La belle passe et repasse, puis, descendant un escalier, me fait signe de la suivre.

  • Vous voyez? Elle ne vous plaît pas? demande discrètement un concierge.
  • Je ne veux pas de ça.

Ma faim, en effet, n’était nullement une affaire d’homme et de femme. Il me fallait du pain et de l’eau avant de dormir.

J’ai pensé à ma grand-mère scandalisée, la première fois de sa vie, d’entendre son petit-fils lui raconter, sans vergogne, qu’il avait dormi à l’hôtel durant son voyage. Oui, ils sont nombreux comme elle, les congolais pour qui hôtel veut dire pandémonium. Mais c’en n’était pas le cas à Addis-Abeba.

Infortuné voyageur, voilà que la belle a resurgi dans ma tête, au beau milieu de la nuit d’Addis-Abeba. J’ai pensé aussi au connaisseur francophile. Puis, après avoir prié et longtemps écrit ce billet, je me suis retrouvé sur les ailes de l’ange du sommeil. Une voix féminine me parlait au bout du fil, de la réception : la nuit était passée, le déjeuner était servi, et un bus arrivait nous prendre pour l’aéroport. Cette voix n’était pas celle d’un esprit, ce n’était pas une voix possessive. Elle était simple, gentille, celle que j’entendais à mon arrivée à l’hôtel.


Moi, ministre des TIC en RDC, je punirais pour « @gmail.com »

La RDC a beau se connecter à la fibre optique et à internet à « grande vitesse ». Les institutions publiques n’ont pas de messagerie interne. C’est du moins le constat possible quand un ministère affiche une adresse email au suffixe « @gmail.com ». Faut-il croire aux promesses de changements tous azimuts ? Peut-être demain. Moi, je suis disciple de Saint Thomas.

Internet vendu aux privés devrait améliorer le travail des entreprises privées. La numérisation va s’améliorant. Mais certains semblent s’en méfier, accusant un échec de finissage des travaux à la station d’atterrage à Moanda. La poste, agonisant, a vu pointer à l’horizon sa renaissance, mais hélas, la guerre !

Internet met en valeur des Etats

J’espère que plusieurs l’ont déjà remarqué. Des ministères utilisent des adresses électroniques du genre : nomdelinstitution@gmail.com. «@gmail.com », voilà qui reste inouï. Comment est-ce possible pour un gouvernement qui a internet, des ingénieurs en informatiques, des savants même mais qui n’a pas tiré des leçons des révélations d’Edward  Snowden sur la surveillance des correspondances diplomatiques ? Le conseiller du chef de l’Etat vient de lancer pour dénoncer les cas de corruptions ou fraudes, l’adresse électronique : jedenonce2015@gmail.com. Trois mois avant, j’étais choqué quand pour la première fois, je découvrais dans un rapport conjoint Unicef-RDC, pour contacter le ministère du plan de RDC, le document affiche « miniplan@gmail.com ». Le même document affiche pour une organisation partenaire : « info@DHSprogram.com ». Ah oui, que cela ne soit pas des adresses « .fr » ou « .us », « .be » simplement « .com » constitue une excuse ? Il s’agit dans la dernière adresse d’un service interne au service démographique de santé, DHS.

Si donc « nomduservice@rfi.fr » indique qu’il s’agit d’un service interne à RFI, en France, qui écrit, comment découvrira-t-on que l’on est sur un contact gouvernemental dans miniplan@gmail.com? Faire la publicité des moteurs de recherche en lieu et place de son Etat, voilà qui ennuie. Moi, ministre des PT-NTIC, je mettrais punirais déjà !

Déshonneur

Tiens ! Qui donc devrait valoriser le premier le domaine cd, internet congolais ? Internet congolais existe-t-il ou pas ? Y croit-on ou non ? Sait-on au moins qu’il s’agit d’un monde de souveraineté et de légitimation ? Si le piratage d’un compte Twitter de l’armée américaine a été pris avec beaucoupde sérieux comme si un édifice (physique) venait d’être détruit les aux USA ou les incursions « de l’armée électronique » de l’Etat islamique sur le site du journal Le Monde a préoccupé la France, si donc couper le signal d’internet avec la promesse d’en réguler l’accès a été acte de souveraineté à Kinshasa en janvier 2015, … Internet est bel et bien un territoire à protéger, à promouvoir comme on le fait avec les sports. Comment alors ne pas comprendre que recourir à la messagerie de Google, de Yahoo ou autre grands moteurs de recherches un déshonneur ?

Connexion à grande vitesse, mutation des médias sur internet ou du moins leur ouverture au numérique, amélioration de l’administration, … deux ans après, nous n’avons vu venir rien de grand dans le secteur. Il faut peut-être patienter. Mais face à la honte que cela m’inspire, je ne peux me taire. Le système traditionnel poursuit son bon nombre de chemin, l’administration reste parfois plus lente qu’avant. On est incapable de savoir qui a été jugé et condamné où. Au guichet d’un service public où quelqu’un doit percevoir de l’argent pour quelques 1000 candidats en lignes, un homme utilise son papier Carbonne, mais un ordinateur est derrière lui, couvert d’une nappe du sommet à la base. Un jour, en 2014, une femme a même surpris un bourgmestre en train de marier son époux à une jeune fille, sûr que l’homme ne s’était jamais marié. Surprise lorsque l’épouse montrait sur place derrière elle des enfants qui appelaient leur papa. Deux certificats de mariage à l’état civil allaient entrer en concurrence. A quand l’informatisation de la RDC ?


Elections cybernéphobes en Afrique centrale

Trois situations électorales, et trois fois internet et (ou) le téléphone portable tombent victimes : coupés, sans scrupule. Ça se passe en Afrique centrale, cette Afrique qui échoue son sevrage : elle s’accroche à la mamelle des longs et durs régimes présidentiels. Détourné et vécu comme une horreur, Internet n’y peut rien, dans pareil système.

On dirait, un peu comme le vin : plus vieux il devient, mieux il est. Plus ils durent au pouvoir, plus fort enflent les appétits des régimes personnalisés et claniques. Sans Déby, en effet, le Tchad serait aux mains de Boko Haram ou le déluge. N’allez pas lui demander de voir un psy s’il pense comme ça. Hussein Habré qu’il renversa 26 ans plus tôt, par exemple, se croyait lui aussi éternel, toujours prétendument à l’œuvre pour le bien du peuple.

Au pouvoir depuis 1990, le président tchadien Idriss Deby brigue un cinquième mandat. Son long règne de 26 ans est loin d’en finir. Bien au contraire, sa soif du pouvoir s’aiguiser comme quelqu’un qui vient d’arriver. Pour un nouveau départ, il peut se plaire d’être un coupeur d’internet et des libertés. Une sacrée façon de vivre la démocratie électorale. Ne vous étonnez pas, on est en Afrique centrale : il y a une tradition ici.

Internet
Des jeunes africains dans une salle d’internet

Une tradition de longévité de pouvoir et tout ce qui va avec

Internet énerve en ce qu’il n’entre pas dans la pensée unique et ne la promeut pas. Vous n’avez qu’à voir les idylles scellées entre les longs régimes et leurs télévisions (et) ou radios : des loyaux ferments de la complicité peuples-présidents fondateurs! Un seul chef, une seule nation, une seule pensée, quoi de plus normale ! Incapable de cela, le rebelle Internet n’a pas de place en Afrique centrale. Encore si c’est durant les votes.

Deby n’a pas eu de peine. Deux semaines avant, en effet, Denis Sassou (32 ans de pouvoir) dont le nouveau mandat contesté met à sang le Congo, a coupé la connexion au web et au mobile durant le dernier scrutin. Il a balisé, pour le président tchadien, la voie déjà ouverte par Joseph Kabila en 2011. Cette année-là, le chef de l’Etat congolais coupait le service des courts messages (SMS), très prisé en RDC, au lendemain de « la présidentielle chaotique », selon l’appréciation de l’Union Européenne. En janvier 2015, son régime a coupé Internet qu’il a accusé d’appeler à la violence, en pleine contestation de la révision de la loi électorale.

Afrique centrale cybernéphobe

Internet est malmené et mal aimé en Afrique centrale. Oui, l’Afrique centrale est cybernéphobe : elle hait surtout ses vertus qui sont liberté d’expression (ou libre expression) et circulation sans libre des idées, notamment. L’Afrique centrale ne croit pas à la globalisation, elle déteste le changement. Enfin, du moins ses dirigeants, pour la plupart. S’ils disent émergence, ils vont s’incliner sur les tombes d’Idi Amine Dada, Mobutu, Bongo, etc. Et quand on dit paix, on paie des kalachnikovs et des chars de combats. Voici l’Afrique émergente en 2030.

Partout, la méthode est la même et orientée vers un seul but : taire la contestation pour empêcher aux témoins de l’inhumanité d’alerter le monde qui croit en l’homme, en temps réel. C’est avec internet qu’on coupe, parce qu’on ne sait comment le contrôler.


Jacob Zuma rend justice à la justice

Jazu, Jacob Zuma, le président sud-africain touche à la grandeur. Grandeur d’âme, grandeur d’esprit ! À voir l’obstination avec laquelle il a jusqu’ici rejeté les appels de la médiatrice de la République à restituer les fonds publics utilisés pour sa résidence privée, qui aurait cru qu’il en arriverait aux excuses, des excuses publiques ? Eh bien, vrai, Jazu prend son courage et, comme en la solennité de fin d’année, exercice auquel il s’est livré il y a trois mois, il reconnaît sa faute.

Le signe est fort, surréaliste même, dans cette Afrique en proie au printemps des dinosaures : les chefs d’Etats et les régimes ténébreux et opaques, sans respect pour les lois et pour leurs citoyens, obsédés par un pouvoir clanique. Ils gèrent des pays comme leurs boutiques et leurs citoyens comme des vassaux.

Jacob Zuma
Jacob Zuma, président de l’Afrique du sud au forum économique mondial. Source : World Economic Forum (Youtube)

Zuma accepte qu’il a mal utilisé les fonds publics et va en rembourser une partie, comme exigé par la médiatrice de la République. Son courage est hors-pair et profite à son pays et à son image personnelle en tant que chef d’Etat, même si certains pourraient le voir comme un faible. D’abord, il proclame indépendante, la justice de son pays et se proclame lui-même capable de démocratie, peut-être même démocrate. Il justifie aussi la courageuse médiatrice de la République qui n’a joué que son rôle d’œil de la République. Quel courage, si l’on considère des hauts fonctionnaires incapables de contredire leurs chefs quand il le faut !

La justice sud-africaine avait déjà remis Jacob Zuma à sa place, pour avoir laissé partir le soudanais El Bechir (lors du sommet des chefs d’Etat) qu’elle voulait arrêter pour la cour pénale internationale. Il est venu le temps où il devait honorer cette justice qui a fait rêver l’Afrique : la seule des pays visités par le président soudanais, capable de l’arrêter.

Jacob Zuma comme démocrate, c’est facile que plusieurs lui refusent ce qualificatif, après l’entêtement qui a précédé le bras-de-fer qui semble en finir maintenant. Mais il pouvait, comme ses homologues d’Afrique, éjecter de son poste le président de la cour constitutionnelle et le remplacer par un béni-oui-oui. Alors il triompherait, s’élevant à la dignité des dictateurs et hommes forts. Jacob Zuma s’est incliné, fautif ! Voyons, fautif, un chef d’Etat ? Non. N’est-ce pas toujours un tout puissant, un guide, le seul citoyen à qui reviennent tous les meilleurs qualificatifs ? Jazu l’a accepté, et c’est positif.

Chacun a ses limites, ses faiblesses. On peut pardonner à Jazu ses problèmes de lits et sa tentation d’imiter les dinosaures d’Afrique.  Si j’avais été député en Afrique du sud, je plaiderais pour l’abandon de la procédure de destitution qui le vise encore. Zuma a payé ses fautes devant le peuple, en lui présentant des excuses. Il va payer en remboursant l’argent public. Il sait désormais qui est au-dessus de la mêlée : la vérité, la justice en tant que vertu.


Impunité, même la CPI n’y peut rien !

Jean-Pierre Bemba condamné ! La primeur d’une justice répressive internationale indépendante, au service des pauvres d’Afrique est tombée ! La Cour pénale internationale, CPI, voulait des preuves, elle en a une, désormais ! Preuve de sa capacité à juger des intouchables, rien à faire si un procès peut prendre jusqu’à près de 10 ans, et coûter des millions ! Il faut que circule l’idéologie, au service des victimes.

Les preuves d’indépendance et d’utilité de la CPI continueront à couler à flot. Après Bemba, il y a Charles Taylor, Laurent Gbagbo, et peut-être aussi Uhuru Kenyata ou El Bechir, le « fugitif » (?). Je n’aurais pas écrit ce billet si Fatou Bensouda, procureure de la CPI, n’avait pas dit ces paroles chargées de non-dits, aussi tôt l’ancien Vice-président de la RDC condamné :

« Même s’il s’agit de crimes atroces, nous devons nous réjouir de la portée de cette décision car elle confirme que les supérieurs hiérarchiques sont responsables des actes commis par les soldats placés sous leur autorité. Il s’agit là d’un élément essentiel de la décision rendue aujourd’hui qui confirme que les personnes qui occupent un poste de commandement ou qui exerce (sic) une autorité et un contrôle ont des obligations juridiques vis-à-vis de leurs troupes, même lorsque celles-ci opèrent à l’étranger. » Confirmer semble préoccuper la CPI !

source: wikipedia.org
source: wikipedia.org

Jean-Pierre Bemba, un cobaye ?

Première leçon (a priori ?) de cette déclaration chargée, c’est que la CPI voulait confirmer le principe de « la responsabilité du supérieur hiérarchique » instituée par le statut de Rome. Sans doute, confirmer une idée préconçue ! La CPI culpabilise un « chef » qui n’a pas puni ses subalternes auteurs des violences ou crimes. C’est que la cour reproche à Jean-Pierre Bemba, chef du MLC version armée. Il est dès lors clair que pour donner forme à ce principe que peu de pays pratiquent, même en Europe, il a fallu que quelqu’un soit condamné. Et Bemba dont les troupes envoyées au secours du président Centrafricain Ange-Félix Patassé s’y prêtait mieux. Menacé de renversement par la rébellion de François Bozizé, il avait demandé, entre 2002 et 2003, l’aide de Bemba qui tenait alors la partie nord de la RDC, en plein déchirements congolais. Pour la CPI, il fallait, en effet, une jurisprudence pour que désormais les chefs hiérarchiques prennent garde. En laboratoire, on parlerait de cobaye !

Bemba paierait-il « aussi » pour Patassé ?

Ma surprise, c’est que la condamnation de Jean-Pierre Bemba par la CPI semble ne pas s’intéresser aussi à la responsabilité des dirigeants centrafricains de 2002-2003, dans les crimes commis par les hommes du MLC. Il paie même pour eux. Car en effet, malgré le fait qu’il soit absent parce que mort, le président Patassé avait un aide de camp, un ministre de la défense ou conseiller en la matière. Quelque incontrôlable qu’elle fût, l’armée de Bemba devait, pour se mouvoir sur un terrain inconnu, recevoir des instructions, des directives. Bref, il y avait un commandant centrafricain. Supérieur hiérarchique, oui. Mais ça rime, ici, avec commanditaires. Pourquoi donc ne les avoir pas cherchés dans ce procès très pédagogique ? Car c’est aussi pédagogique que la Cour indépendante apprenne aux cours dépendantes d’Afrique ce qu’elles doivent faire.

Impunité, même la CPI n’y peut rien !

La signature de la Convention de Rome par la RDC a permis au Statut de Rome d’entrer en vigueur et d’ainsi créer la CPI. Qu’a-t-elle eu en retour ? Des citoyens jugés, mais pas les plus criminels de tous ou du moins, pas les seuls. Il faut noter ici que Bemba est jugé pour une affaire non congolaise. Mais je ne vois pas comment elle ne peut pas aussi l’être, si le concerné a été vice-président et sénateur. Il fallait commencer quelque part, oui. Mais génocidaires et auteurs des massacres abjects circulent devant les survivants et marchent sur leurs tombes. La CPI semble oublier tout cela ou du moins, sélectionner des dossiers d’enquêtes.

Une chose est sûre, la condamnation de Jean-Pierre Bemba est un bon signal contre les chefs qui se croient intouchables en Afrique. Mais elle reste loin d’être un signe que la CPI est capable de lutter contre l’impunité tant elle reste sélective et au service des idéologies ou doctrines politiques et juridiques. Quoi que l’on dise, à propos de l’Impunité, même la CPI n’y peut rien !