Djifa Nami

Chronique d’une séparation annoncée

NestEtre mère de garçons n’est pas toujours facile. Les expériences sont uniques, mais il suffit de constater l’abondance d’articles et de blogs qui relatent les aventures de mamans de garçons, et les divers conseils pour faire face à certaines situations. Comprendre et éduquer un garçon n’est pas une sinécure. En ce qui me concerne, je pense, « chacun son truc ». Ce qui marche pour l’une, ne marchera pas forcément pour l’autre. Et les généralisations en matière de choix parental ne sont vraiment pas mon truc. Pourtant, il y a un adage qui me trotte dans la tête depuis le jour que j’ai su que j’attendais un garçon : il paraît que lorsqu’on a une fille, c’est pour la vie, et lorsqu’on a un garçon, c’est jusqu’à son mariage. Bien sûr les temps changent et les mœurs aussi, mais depuis le jour de la naissance de mon premier fils, puis du second, je garde cette petite phrase dans un petit coin de mon esprit, comme un garde-fou pour me ramener à l’ordre dans mes excès, pour me rappeler que le jour viendra où mes garçons ne seront plus totalement à moi.

En entendant ce jour, je profite donc d’être la seule femme de leur vie. Sans être une maman-hélicoptère du genre de beaucoup de ma génération, qui survolent chaque mouvement de leur progéniture avec les bras grand ouverts, et voient le mal partout, je surveille quand même mes petits de 8 ans et 9 ans et demi, de très, très près. Je ne les laisse jamais seuls, non pas seulement à cause de la loi qui l’interdit ici aux Etats-Unis, pour les enfants d’un certain âge, mais simplement parce que je ne me sentirais pas tranquille, si moi ou mon mari, ou un autre adulte, ne les avions à portée d’oreille. Récemment dans les médias, il y a eu grand débat sur les différents styles d’éducation, quand une maman, qui n’habite pas très loin de chez nous, a été interpellée par la police, pour négligence infantile, après que ses deux enfants ont été récupérés dans la rue. Les deux fillettes de 6 et 8 ans rentraient seules du parc,. Son histoire a causé un véritable scandale aussi bien dans le camp des partisans du laisser-faire parental, que dans celui des parents-hélicoptères. J’ai préféré ne pas porter de jugement, parce que selon moi, en matière d’éducation, personne n’est habilité à faire les meilleurs choix pour les enfants d’autrui. Mon choix personnel, jusqu’a récemment, était de garder mes petits toujours à l’œil, dans la mesure du possible. Je sais bien qu’il faudra lâcher du leste à un moment donné, qu’il sera bien temps de les laisser voler de leurs propres ailes. Mais « on n’en est pas encore là », me disais-je.

Il y a quelques mois, après maintes supplications de mon fils aîné, je me suis finalement faite à l’idée du « sleepover » (voir texte Qui dit playdate ). C’est une pratique répandue aux Etats-Unis où les enfants se retrouvent pour passer la nuit chez les uns les autres. Je ne suis pas une adepte de la chose, et j’étais même contre l’idée de ces rendez-vous forcés pour jouer ensemble, avant d’avoir des enfants. Mais il faut vivre avec son temps et il a fallu m’y faire. Je me suis d’autant plus laissée convaincre, que je me suis rendu compte que ce serait utile pour préparer mon fils, et me préparer aussi, pour un voyage de dix jours au Canada qu’il devait entreprendre au mois de mai avec sa classe. Le « sleepover » est donc devenu une sorte d’entraînement, en attendant le grand départ hors du nid. Ce voyage, lui il en rêvait depuis l’année dernière, et en parlait sans cesse depuis la rentrée scolaire. Moi je l’écoutais d’une oreille distraite, sans trop vouloir y penser, avec l’appréhension de tout ce que ce déplacement impliquait. Ce serait notre première séparation de longue durée. Mon fils de neuf ans, loin de sa famille pendant une dizaine de jours. Je voyais le mois de mai arriver comme une échéance fatidique. Ce premier voyage ouvrait aussi la voie à la longue liste des « premiers » qui suivront. Bientôt la première petite copine, le premier baiser, la première grande copine, le départ à l’université, le premier travail, et l’apothéose, son premier enfant à lui. « N’exagérons rien », vous me direz, mais il faut bien reconnaître que ce premier vol en solo marquait le début de son indépendance.

C’était en tout cas ma première grande inquiétude. Comment allais-je gérer ces dix jours, comment allais-je pouvoir dormir? Comme je le disais plus haut, et je le répète, je ne suis pas une maman-hélicoptère, mais je suis plutôt inquiète de nature. Même à la maison je suis parfois prise de panique, quand j’entends une culbute ou un son inhabituel venant de la chambre de mes fils. Et à la pensée de ces dix jours où je n’aurais aucun contrôle, et je ne saurais pratiquement rien de ses mouvements quotidiens, j’étais déboussolée. Bien sûr la technologie aidant, nos échanges seraient réguliers, même si les coups de fil et « Facetime » étaient interdits. Et le maître avait promis un reportage photo au quotidien. Au fond de moi, je savais que tout se passerait bien, qu’il passerait un bon moment, mais je ne pouvais m’empêcher d’imaginer déjà le pire. Il faut dire que mon fils est un spécimen de petit garçon turbulent de premier ordre. Même après un accident qui lui a laissé une cicatrice au visage, il reste le petit bonhomme dynamique qu’il a toujours été depuis son plus jeune âge. Lui qui ne tient pas en place chez lui, pourra-t-il le faire loin du regard disciplinaire de son père? Ecoutera-t-il les conseils et les recommandations sans rouspéter ? Se tiendra-t-il correctement à table ? Autant de questions que je me suis posées pendant des mois, avant de finir par dire oui, signer les papiers, payer les frais du voyage, en priant secrètement qu’il n’y ait pas assez de participants et que le voyage soit annulé!

Il n’en sera rien. Cette semaine, le grand jour est enfin arrivé. Le matin du grand départ, il était debout aux aurores, lui à qui il faut d’habitude trois coups de réveil sorti du lit. Je lui réitère mille et une consignes auxquelles il répond laconiquement. La valise est déjà dans le coffre depuis la veille. Je n’osais penser aux dernières minutes du départ, le soir après les classes. Finalement, une réunion tardive au travail est salutaire et me permet de ne pas y assister. Son père pourra mieux faire face. On se dira au revoir au téléphone, et je fais tout pour garder une voix calme et rassurante, pour lui prodiguer les derniers conseils, qu’il écoute à peine et s’empresse de repasser le téléphone à son père.

A ce moment-là, je repense à ma mère qui a eu cinq enfants, et qui a dû se préparer à chaque fois pour ce premier moment de séparation. Je pense à elle qui contrairement à moi, qui ne laisse mon fils partir que pour dix jours, m’a vue partir en France pour presque dix ans, pour mes études et un avenir, alors que j’avais à peine l’âge de mon fils, à 8 ans. Je pense aussi aux séparations entre ces milliers de parents de par le monde, surtout en Afrique, et leurs fils et filles qui doivent partir loin, tenter l’aventure, parfois au péril de leur vie. Je me rassure à l’idée que mon fils de 9 ans, me reviendra sain et sauf, pour être complètement à moi, à nouveau, pour au moins encore une dizaine d’années, avant son envol définitif. Je me console à l’idée que mon fils né en Amérique trouvera des opportunités sur place, et n’aura peut-être pas besoin de tenter l’aventure au loin, pour chercher son bonheur. Je pense à mes parents qui ont dû prier pour que Dieu et ma bonne étoile me protègent et me gardent sur le bon chemin. Je prends mon courage à deux mains, et j’en fais de même pour mon fils.

Finalement le séjour au Canada se déroule très bien. Les premières photos montrent les enfants dans un cadre naturel superbe, heureux et en pleine forme, et mon fils égal à lui même, sans peur. De mon côté, j’essaie de profiter de ce répit, pour ne faire que la moitié de mon devoir de maman (non-hélicoptère), reposer un peu ma voix et consacrer toute mon attention à mon benjamin. Je me rappelle d’un subterfuge dont mon fils m’a parlé, dont il comptait user au départ du bus. Leur maître de classe, qui a dû en voir de toutes les couleurs de ces moments de séparation entre parents et élèves, leur a raconté comment, par le passé, certains élèves faisaient une triste mine pour dire au revoir aux parents, et enfin laisser éclater leur joie quelques minutes après, quand le bus a tourné au coin de la rue. En tout cas, d’après ce que j’ai su, les larmes des mamans n’ont pas manqué au départ du bus. Et je suis plutôt contente de ne pas y être allée. Mon fils cadet lui est heureux. Son grand frère parti, il est le petit roi. Il profite de tous les jeux vidéo, et surtout, il m’a à lui tout seul. A quelque chose, et quelqu’un séparation est bonne.


Autant en emporte le vent de l’espoir

Le 20 juin 1990, pas moins de 31 chefs d’Etat d’Afrique subsaharienne sont conviés à la grand-messe de la France-Afrique  à La Baule, et entendent le mot d’ordre de François Mitterrand. Le discours du président français se veut novateur et encourageant, mais ferme. Les choses doivent changer en Afrique. Après tout, une nouvelle ère s’ouvrait. Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères,  dira, se référant aux bouleversements politiques en cours dans le bloc soviétique : « Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud ». Il dira également : « Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement ». Cette nouvelle équation semblait irrévocable, et l’Afrique toute entière se devait de ne pas manquer son rendez-vous avec l’histoire.

A l’époque, vivant à Paris, moi, jeune fille en pleine crise d’adolescence, je suivais l’actualité d’une oreille distraite, hormis pour noter des détails qui me paraissaient intéressants. Exemple, quand auraient lieu les cérémonies organisées par l’ambassade du Togo, pour célébrer le passage du chef d’Etat togolais en France, et surtout où fallait-il se rendre pour obtenir les 500 F traditionnellement distribués aux étudiants togolais. Oui cette année-là, j’y avais enfin droit, la seule et unique fois d’ailleurs, que j’en profiterais. J’en avais particulièrement besoin de ces 500 F. C’était bientôt les vacances, et le T-shirt et la salopette dont je rêvais m’avaient assez attendue. L’espoir était donc à son comble dans tous les cœurs des Togolais, au pays comme à l’étranger, en ce début d’été 1990. Ce mois de juin était prometteur de lendemains meilleurs.

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Crédit photo: slateafrique.com

Au cours des mois et des années qui ont suivi le Sommet de la Baule, le vent de l’Est a fini par souffler vers le Sud, et à l’ouest de l’Afrique. De conférences nationales souveraines, en marches de protestation, de mini révolutions, entrecoupées de quelques coups d’Etat et de force, nombres de pays, comme le Bénin voisin, ont fini par prendre goût à la démocratie. Chez nous au Togo les choses ont pris une toute autre allure. Notre conférence nationale a bien eu lieu. De grands discours ont fait de nombreuses célébrités. Du jour au lendemain des hommes et des femmes, jusque-là inconnus sont sortis de l’ombre et ont occupé le devant de la scène, pour demander démocratie et justice pour tous. Agglutinés à leurs postes de télévision à une chaîne, les Togolais ont assisté à un spectacle d’un genre nouveau. Les nouvelles idoles des jeunes n’étaient pas importées d’Hollywood ; c’était des avocats made in Togo, via la France. Tous les jeunes bacheliers ne rêvaient alors que d’intégrer la faculté de droit, pour emboîter le pas aux maîtres Koffigoh, Agboyibor, et autres beaux parleurs.

Moi, de retour au Togo, salopette et autres dans mes bagages, j’ai fini par comprendre les enjeux. J’ai mis de côté les envies de fringues prêter attention aux choses plus sérieuses. Comme beaucoup de jeunes à l’époque, je me suis mise au pas. On a marché, on a chanté, on a crié « assez ! A bas la dictature ! ». L’apothéose aura lieu deux ans après. Que de souvenirs de l’année 1992, et de la grève nationale générale, où nous avons erré sans buts précis. Près de six mois à tourner en rond, les études presque oubliées, sans savoir où donner de la tête, sans savoir que et qui croire. Les émeutes ont suivi, les coups de force aussi. On a compté des morts, des blessés, des meurtris. On a fini par se calmer et se laisser porter par le courant défaitiste. Beaucoup sont partis loin pour un temps, d’autres pour de bon. De guerre lasse, fatigués et déchus les Togolais ont pris leur mal en patience, en se disant que peut-être, le bon moment n’était pas encore arrivé.

Aujourd’hui, près de 25 ans après le discours de La Baule, les choses ont bien et peu changé. Le vent qui souffle vient maintenant du nord, une brise du Printemps arabe. Serait-ce enfin le bon vent ? Le père Mitterrand n’est plus qu’un souvenir dans les mémoires, et Hollande fait faible figure d’un fils en qui il aurait pu se réincarner. Chez nous, c’est bien le fils du père qui mène la danse. Dix après le décès de son père, le président Faure semble avoir réussi un nouveau tour de passe-passe pour se faire réélire, ce samedi 25 avril 2015.

Ce jour-là, je me suis réveillée de bonne humeur, pleine d’espoir. Je me suis préparée pour une journée excitante d’attente. J’ai scruté, commenté et partagé les articles sur les réseaux sociaux participant ainsi du mieux que je pouvais aux événements qui se déroulaient à des milliers de kilomètres, chez moi. Le soir nous avions prévu notre petite veillée électorale à la maison. Autant de moyens pour nous sentir proches de nos proches, qui eux vivaient le tout en direct. Les débats ont fusé, les théories se sont entrecoupées de clinquements de verre de vin et de bière, sur fond de bonne humeur. Dans la soirée, nous avons appelé mes parents à Lomé pour prendre des nouvelles. Ils dormaient déjà. Mon père d’une voix ensommeillée nous dit de rappeler le lendemain. Tant pis, on devra se rabattre sur TV5 monde qui annonçait le candidat-président favori, et un faible taux de participation. Ce soir-là, on passait le film adapté du roman de Margaret Mitchell, « Gone with the Wind » (Autant en emporte le vent) à la télévision. C’est un de mes films préférés, que j’ai vu maintes fois, mais ne m’en lasse jamais. Comme c’est à-propos, me suis-je dit, en ce jour d’espoir. Alors, telle Scarlett O’Hara, j’ai été me coucher en pensant « demain est un autre jour ».

Le lendemain, tel un jour d’anniversaire, j’attends les résultats avec l’espoir d’un cadeau- surprise, du genre de ceux jamais reçus, sans pourtant oublier que passé 40 ans, on est difficilement surpris. De même, le peuple togolais après presque un demi-siècle au même menu ne pouvait vraisemblablement pas croire qu’on allait lui servir un plat différent. Et pourtant l’alternance n’avait jamais autant semblé à portée de main, en cette année de bouleversement partout ailleurs. Il suffit de tourner la tête à gauche, à droite, ou regarder en haut vers le Burkina Faso, pour voir qu’un changement n’était pas impossible. Il n’y avait donc aucune raison de ne pas y croire. Finalement il n’y aura ni surprise ni désillusion. On annonce une tendance en faveur du président, mais les résultats officiels se font attendre. Il y a discorde sur quelques voix ; on parle de bourrage d’urnes, et de magouilles. Les réseaux sociaux s’enflamment et frisent la folie. C’est la cacophonie d’opinions et d’insultes. Les accusations fusent de toutes parts, et la question habituelle revient « Mais qu’est qu’on a donc fait au Bon Dieu ? » Il faut croire que notre heure n’a pas sonné. Ou a-t-elle sonné déjà peut-être, mais nous n’étions pas au rendez-vous, il y a 25 ans ?

Que faire alors maintenant ? Est-ce le moment de prendre une pilule du lendemain pour parer à toutes les éventualités, pour ne pas accoucher d’une souris plus tard ? Ou faut-il rentrer dans l’amertume et la dérision ? Faut-il refuser de faire face à la réalité, et voir en la visite de quelques présidents voisins comme en un signe des rois mages annonciateurs d’une bonne nouvelle ? Ou faut-il simplement accepter les choses comme elles sont, et donner une nouvelle chance à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin ? A chacun de faire sa part des choses. Une chose est certaine, et prouvée depuis bien longtemps. Le désespoir n’a pas sa place dans le cœur du Togolais, en tout cas pas dans le mien. Je suis une optimiste. Je continuerai de rêver au miracle du changement démocratique, même si tout semble perdu. Car tout n’est pas perdu. Il nous reste nos bouches pour raconter nos déboires à qui veut l’entendre, nos yeux pour pleurer, et nos cœurs pour espérer. L’espoir nous appartient à tous, à ceux qui y croyaient, et y croient encore, comme à ceux qui ont déjà fait volte-face pour confronter les réalités du quotidien. L’espoir nous a fait vivre ces 25 dernières années, et pour nos parents près du double. Il pourra bien encore le faire pendant les cinq prochaines.

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Mais qu’est-qui fait courir Hillary?

rosie_hillary_500De Premiere dam
Bientôt, 2016, l’année où la candidature d’Hillary Clinton sera consacrée, ou finira en fumée. Dans le cas dernier, je n’ose penser à l’une des alternatives, furtivement envisagée dans un autre billet. Donald Trump président, on en est encore loin, et on croise les doigts, mains et pieds. Même si les performances de Madame Clinton dans les premiers débats restent mitigés, même si son adversaire primaire, le coriace Bernie Sanders a le vent en poupe, je garde espoir. Je reste sur mes positions, celles exprimées il y a déjà quelques mois de cela.

A ce moment-là, alors qu’on attendait l’annonce officielle de sa candidature, les médias passaient en boucle les tranches de certains discours d’Hillary Clinton, et pour une énième fois décortiquaient les chances et les problèmes potentiels que la candidate Clinton numéro 2 pourrait rencontrer au cours de la campagne présidentielle.

J’écoutais une de ces analyses un matin en allant déposer les enfants à l’école. Mon fils de neuf ans s’exclama alors: « Maman, Hillary Clinton veut juste être présidente pour qu’on dise qu’elle est la première femme présidente des Etats-Unis ! » Interloquée, je le regarde, pas vraiment surprise de la remarque, juste de sa teneur. Mon fils est plutôt perspicace et s’intéresse aux faits politiques, un peu malgré lui, forcé qu’il est de subir ma religieuse et fidèle écoute de la radio NPR tous les matins. Je ne m’attendais tout de même pas à cette déclaration, un tantinet misogyne. « Et alors ? » Je lui réponds finalement. « Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça » Et d’ailleurs ce n’est pas vrai, ce n’est pas pour ça » (en gardant bien le « que » pour moi). La vérité sort de la bouche des enfants dit-on souvent. Mais pas toujours. J’ai donc récriée avec irritation pour finir, « arrête de dire n’importe quoi ! » Et de rapidement couper court à toutes discussions en lui disant de se préparer à sortir de la voiture.

En fait j’étais un peu vexée que mon fils que je m’efforce d’éduquer dans le respect de tous, et particulièrement de la gente féminine, puisse me lancer une telle énormité. Il n’a que neuf ans bien sur, et ne comprends pas le poids de la remarque. Mais si un enfant de neuf ans pouvait simplement énoncer ce fait, d’ailleurs probablement entendu au hasard de nos écoutes radiophoniques, il m’avait aussi rappelé combien d’autres adultes plus avertis en faisaient autant. De milliers si on en croit les échanges houleux sur les réseaux sociaux, qui ne voient en cette candidature qu’un signe d’orgueil. Les commentaires de ses nombreux détracteurs, qui n’étaient pas subtils avant l’annonce, ont repris avec un nouveau regain de dédain, depuis l’officialisation de la candidature d’Hillary Clinton à la Présidence des Etats-Unis.

Le dicton est bien connu : derrière chaque grand homme, se cache une femme. Fait plus rare, c’est lorsque la femme dans l’ombre décide d’emboîter le pas à son homme pour éventuellement passer devant. Quelques-unes ont réussi à travers l’histoire, notamment dans le milieu politique. Plus proche de nous, l’exemple qui vient à l’esprit est celui de Christina Fernández de Kirshner. On se gardera de juger les soubresauts de son dernier mandat, et de simplement admirer ses prouesses à la tête de l’Argentine. D’autres femmes, ont essayé avec moindre succès, on se rappelle de Ségolène Royal ; d’autres en rêvent peut-être, secrètement ou non, telles les velléités absurdes de Grace Mugabe, dont on se passera des détails. Qu’en sera-t-il de la seconde candidature d’Hillary Clinton ?

A en juger par les opinions partagées, le chemin pour rentrer dans le coeur de certains électeurs reste ardueux. Il faut dire que les Clinton ont toujours alimenté et agrémenté une relation de « love-hate » avec le public américain. Autant on adore Bill Clinton, le Président, autant on fustige Bill Clinton, l’homme de l’Affaire Lewinski. Autant on compatit avec Hillary Clinton de l’Affaire Lewinski, autant on est énervé par ce qu’on imagine comme son tempérament de femme ambitieuse et calculatrice. Je n’ai pas toujours été une fan d’Hillary. Comme beaucoup de femmes à l’epoque de l’affaire Monica Lewinski, j’étais revoltée et ne comprenait pas la façon stoïque dont Hillary avait semblé prendre les choses. Où étaient son temperament de battante face à la Presse, ou même les chaudes larmes escomptées ? A la place, juste le sourire figé et les yeux dissimulés derrière des lunettes noires. Armées de ces lunettes, comme dans une scène de Men In Black, elle a presque effacé cet épisode de notre mémoire, quand elle est réapparue sur la scène politique en tant que Sénatrice de New York. Et j’ai commencé à l’admirer.

Quelques années plus tard, on la retrouve en tant que Sénateur de l’Etat de New York, usant des coudées franches pendant sa première campagne présidentielle face au jeune Obama. Evidemment, comme beaucoup, j’étais sous le charme de Barack, et moins impressionnée à l’idée d’une première femme présidente des Etats-Unis. Sept ans plus tard, nous voici face à une nouvelle Hillary, plus expérimentée, nouvellement grand-mère, vieillie mais ragaillardie, et espérons-le, grandie par sa première expérience et les leçons de ses erreurs passées. Bonne perdante, elle a su convaincre de sa bonne foi, en acceptant de faire contre mauvaise fortune, bon cœur, en s’alliant à Barack Obama.

Autant de raisons pour lui donner une nouvelle chance. Si elle venait à gagner, Hillary serait la première femme présidente des Etats-Unis et comme on dit ici, ce serait un « big deal ». Ce serait tout autant historique que l’élection de Barack Obama, même si le fait serait peut-être un peu moins excitant dans le reste du monde. Hillary Clinton, ne serait pas la première femme à la tête d’une démocratie. Angela Merkel a fait ses preuves, Park Geun-hye en Corée du Sud poursuit son bonhomme de chemin, et Ellen Johnson Sirleaf fait du mieux qu’elle peut. Il y a aussi Michelle Bachelet et ses 2 mandats intercallés, et bien sur Christina Kirshner citée plus haut, qui aura eu l’honneur d’être la première, première dame présidente, près de 40 ans après sa compatriote, Eva Perón, la première femme présidente au monde. Hillary première, première dame présidente des Etats-Unis serait un exploit historique bien sur, mais ce ne serait pas son seul exploit.

Crédit photo: LAB.co.uk
Crédit photo: LAB.co.uk

Comme toutes ses congeners politiques, c’est une femme intelligente, brillante, et pleine de caractère. Plus que toutes, elle est sans doute la plus téméraire et la plus résiliente. C’est une femme de poigne, qui a su pardonner l’impardonnable, et garder la tête haute envers et contre tout. Elle a parcouru le monde en tant que Secrétaire d’Etat, et rencontré des chefs d’Etats, des têtes couronnées, quelques dictateurs et apprentis démocrates (parfois leur tirant les oreilles tout en serrant leur main avec un grand sourire, dit-on).

Elle a su faire face aux ennemis dehors, comme à l’intérieur des terres, notamment au Congrès américain, et fait du tailleur-pantalon un classique dans la garde-robe des femmes de pouvoir, symbole de sa confiance en soi, face aux divers plafonds et barrières qu’elle a anéantis en tant que femme-précurseur. Elle a surtout su rester simple. Je l’ai entendue en direct lors d’une allocution dans notre institution, et je suis tombée définitivement sous son charme. Hillary Clinton est une championne de la cause des femmes, aux Etats-Unis comme dans le reste du monde.

Elle a commis l’erreur dans sa première tentative de vouloir combattre les hommes sur leur propre terrain, en évitant de trop jouer la carte féminine. Selon les experts, c’est une erreur qu’elle ne va pas répéter ce coup-ci. Je l’espère de tout cœur. Car c’est bien là un atout majeur. C’est une femme battante qui doit servir d’exemple, une femme qui mérite estime et votes. Ce vote, je n’y ai pas droit, mais ce que je pourrais lui offrir, dès aujourd’hui si je la croisais, ce serait ma totale admiration, et le droit de pincer un petit bout d’oreille de mon fils.

*Rappelez-vous d’une publicité des années 80 en France, quand Bernard Tapie avait meilleure pub.


Du côté de Chez Soi*

Crédit photo: Facebook.com/agonami.info
Crédit photo: Facebook.com/agonami.info

Bientôt la présidentielle au Togo. Et sans surprise, les énergies décuplent sur la Toile, comme dans la rue. Du côté de la diaspora, on n’est pas laissé en reste. Comme le veut la tradition, la période électorale est le moment que le citoyen moyen togolais, loin de chez lui, choisit de s’impliquer dans les affaires du pays. A travers les réseaux sociaux, divers blogs, et autres plateformes disponibles sur Internet, les Togolais d’ailleurs font entendre leur position haut et fort. Certains parlent de révolution à la burkinabè, d’autres désabusés s’en prennent à l’opposition une fois de plus disloquée, diluant ainsi ses chances face au parti au pouvoir, le bien nommé « Unir ». D’autres demandent ce qu’on a fait au Bon Dieu, et donnent en exemple le Nigeria.

C’est donc l’effervescence à l’approche du 25 avril. Tous les regards des Togolais de l’étranger, le mien y compris, sont tournés vers le pays, avec l’appréhension de troubles quasi inévitables, et un désabusement anticipé pour des résultats des urnes qui n’ont cessé de décevoir au fil des ans. Depuis plus de 50 ans que la même mouvance est au pouvoir, on finit par perdre espoir de voir une alternance démocratique se concrétiser. On crie au changement, mais la situation socio-politique, et l’économie stagnante du pays ne permettent pas vraiment d’avoir confiance en qui que ce soit des acteurs politiques. Les luttes intestinales, le peu de confiance en les instances électorales, les sempiternelles méfiances ethniques, pour n’en citer que quelques-uns, sont autant d’éléments qui ont contribué au dédain que beaucoup de Togolais à l’étranger éprouvent pour le processus électoral. Mais cela ne nous empêche de nous y intéresser de loin.

De loin, c’est encore plus facile de désespérer, quand on voit le fossé qui existe entre la politique de chez nous et celle dans nos pays d’adoption, en Occident. Je ne dis pas que la politique aux Etats-Unis soit forcément plus attrayante. Les coups bas, les « trafics » d’influence, les scandales de corruption, le monopole familial (à la Bush et Clinton, entre autres) existent aussi. Je ne suis pas américaine et n’ai donc pas droit au vote, et je ne suis pas non plus une experte en sciences politiques. Je ne peux donc que parler de ce que j’observe à distance raisonnable. Pourtant j’ai beaucoup appris pendant ces presque vingt années de vie sur le sol américain, grâce aux médias, polarisés à l’extrême, qui ne permettent d’ailleurs pas neutralité ou indifférence. Ici, même quand on n’a pas une voix aux urnes, on prend parti, et on peut parler. Et dans mon apprentissage de la démocratie américaine, la grande leçon retenue est que la politique n’est pas un jeu d’enfant ! Pour notre petit Togo encore en phase embryonnaire, il reste donc bien du chemin à faire.

Comme beaucoup de mes compatriotes de la diaspora, je retrouve un certain écho de mes aspirations dans le discours de l’opposition, sans pour autant le crier sur les toits, ou m’impliquer, mis à part quelques débats occasionnels sur les réseaux sociaux. Comme je le disais plus haut, je ne suis pas une experte en la chose. J’ai une ou deux fois été invitée à m’engager plus sérieusement, à travers ma plume, par exemple. J’ai préféré m’abstenir. Mon outil de prédilection, étant sans grande conviction politique, ne ferait probablement pas le bonheur de ceux qui la sollicitent. Et d’ailleurs l’espace est déjà très bien occupé, notamment par mes nombreux compatriotes de la plateforme Mondoblog : notre aîné David Kpelly dont la plume audacieuse et tranchante vient de sévir encore dans son dernier « pleurer-rire » Pour que dorme Anselme; ou les plus jeunes et non moins percutants Aphtal, CyrilleEdem, EliEmile, MawuloloRenaud, Sena, et l’éloquente Judith, qui n’y vont pas par quatre chemins. Le camp opposé est aussi bien représenté sur la Toile, et les supporters du parti au pouvoir ne se laissent pas désarçonner par les discours du « raz-le-bol » et de « changement ou rien ». Les divers débats sur les réseaux sociaux montrent bien que de chaque côté, les participants sont convaincus du bien-fondé de leurs arguments.

Pour nous, loin de chez nous, malgré le fait que nous ne disposions pas de structures pour voter à distance, chacun fait donc de son mieux pour ajouter sa voix à défaut de son vote, au processus électoral. Evidemment, certains compatriotes restés au pays ironisent sur cet engagement sporadique à distance. Un ami ricane de cette fougue incandescente autour des échéances électorales : « Comme si le reste du temps, tout va bien dans le pays. Nous on est la, on voit la misère et la souffrance des gens, et on lutte pour le changement, au quotidien.» Et il a raison. Au début de cette semaine l’énergie sur la Toile avait redoublé, les élections devant se tenant le 15 avril. Maintenant qu’on vient de repousser la date au 25 avril, pour vérification des listes électorales, la tension semble avoir diminué d’un cran. Et si les expériences par le passé en sont une preuve, je crains que l’activisme du Togolais de la diaspora ne subsiste pas au-delà de la proclamation des résultats. L’excitation et l’intérêt s’essouffleront bien vite pour beaucoup, une fois que le pays retombera dans la routine défaitiste. Je n’ai pas de boule magique pour déjà prédire les résultats, mais je ne crois pas vraiment aux miracles. Après le tollé d’indignation, chacun retournera donc tranquillement à ses soucis quotidiens, avec un petit soupir de soulagement, en rêvant aux prochaines vacances.

J’avoue que je fais un peu partie du lot des « jemenfoutistes ». Pourtant, « le pays de nos aïeux », comme nous l’enseigne notre hymne national, ne mérite-t-il pas plus que ce regard occasionnel en temps d’anxiété et d’intensité électorales ? Comment attendre de notre pays un développement durable si l’action constante de beaucoup ne porte pas plus loin que le virement mensuel à la famille, les séjours estivaux intermittents, et les quelques clics hebdomadaires pour participer aux débats décousus sur les réseaux sociaux ? L’engagement civique ne relève pas que du politique. Qu’en est-il de la contribution intellectuelle ou financière pour le développement, en éducation ou en santé publique, par exemple. La diaspora togolaise dispose de milliers de diplômés de haut niveau, avocats, ingénieurs, médecins (dont un ami qui a été mentionné récemment dans la presse française, le professeur Adotevi). Alors que le retour au pays relevait presque du domaine utopique pour beaucoup des nos aînés, il y a une vingtaine d’années, c’est devenu beaucoup plus envisageable aujourd’hui. Pourtant beaucoup choisissent de rester et d’évoluer dans leur pays d’adoption, peut-être de peur de rentrer faire face à des frustrations et découragements inévitables, une fois confrontés à des comportements et politiques « d’un autre temps ».

Quand bien même, il faudrait dépasser le négativisme habituel et considérer un véritable engagement économique et social, et, si on y tient, politique, voire un retour éventuel, pour contribuer de manière directe, à l’instar des nombreux jeunes entrepreneurs qui élaborent des projets d’ONG sur place (comme la jeune et dynamique Aimée Abra Tenu de la STEJ Togo), ou d’investissement avec dimension sociale (telle l’entreprise Cajou Espoir de Francois Locoh-Donou), ou de restauration comme l’incontournable maquis La Capitale de Giani Mathey-Apossan. Sans oublier les jeunes de SexyTogolais, Joubel et sa troupe, qui depuis le Nebraska aux Etats-Unis, grâce à leurs T-shirts et accessoires, ont donné un sérieux coup de pouce patriotique à la revendication de l’identité togolaise par les jeunes au pays comme à l’étranger. Il y en a beaucoup d’autres comme eux, certains tournés vers l’immobilier, d’autres vers l’informatique, commerce d’export-import… D’autres hésitent encore, et rêvent de pouvoir finalement faire le voyage retour un jour, pour arriver à vivre décemment du fruit de leur labeur, et créer des opportunités d’emploi. Pour cela il faut bien sûr élaborer solide et aller sonder le terrain. Sans un plan viable tout projet est voué à l’échec, comme le recommande un autre compatriote, Didier Acouetey, dans la rubrique  » Les Africains se bougent » de « 7 Milliards de voisins »  sur RFI.

Evidemment ce n’est pas facile de se jeter à l’eau. Un cousin qui a fait ses premiers pas sur le terrain raconte que « sans une présence locale solide, aucun projet ne peut démarrer dans de bonnes conditions ». Malheureusement beaucoup de Togolais de l’étranger se méfient des compatriotes sur place, parfois même des membres de leur propre famille. Sans doute les expériences désastreuses relatées de part et d’autre, notamment en matière de projets immobiliers, ont créé et exacerbé ce climat de méfiance qui existe entre Togolais d’ailleurs et ceux du pays. Par exemple, un oncle ou un cousin qui aurait promis la construction d’une villa pour ne livrer au final qu’un deux-pièces! Si nombre de ces cas critiques existent, il en est autant des réussites. Hélas seuls les mauvais exemples sont souvent décriés, jusqu’à en devenir des légendes urbaines, ce qui n’est pas pour encourager les plus timides d’entre nous. Qui a envie de voir ses économies dilapidées par des concitoyens malintentionnés ? Néanmoins qui ne risque rien n’a rien! Il faudrait annihiler cette suspicion vis-à-vis des institutions et des personnes, pour s’engager à long terme dans les affaires du pays, et répondre à l’appel de l’Hymne pour aller « Bâtir la cité ».

Voilà, en entendant les résultats de cette élection, et en priant pour un miracle, même si je n’y crois pas trop, je me permets de faire la leçon. Je sais que certains verront ici une vision simpliste et idéalisée du retour au pays. Qu’on ne m’accuse surtout pas de rêver! Je promets de faire des efforts et de suivre mes propres conseils aussi. Et si je ne le fais pas assez vite, ne m’en voulez pas, personne n’est parfait. Chacun n’a qu’à faire ce qu’il peut, et ce sera déjà un pas en avant. C’est avec l’effort de tous que le pays pourra avancer dans la bonne direction. Comme dans la chanson « Né Quelque Part » de Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille » ; et on ne choisit pas non plus son pays d’origine.

* Le titre est un clin d’oeil à Proust, mais le reste ne le regarde pas vraiment.


Le travail libère l’Homme. Et la Femme?

Pour beaucoup de femmes aujourd’hui, avoir un travail décent et un ménage équilibré semble difficile à concilier. Comment obtenir l’argent du beurre, et en manger peu?

femme dedoublee

Il y a quelques années, une opportunité inouïe s’est présentée à moi : une affectation dans le bureau du directeur général de notre compagnie. Une aubaine que je n’ai bien sûr pas hésité à saisir. Après l’extase des premiers instants, je me suis rendue compte des conflits que ce nouveau poste pourrait engendrer dans notre vie familiale. On m’avait déjà prévenue que les horaires seraient aléatoires et les imprévus nombreux, et avec deux enfants en bas âges cela pourrait être difficile. Sur le coup j’avais répondu avec enthousiasme: « sans problèmes, je vais m’arranger ! » Mais une fois seule face à la réalité, il fallait se rendre compte que je devrais décupler de moyens de persuasion pour convaincre mon conjoint de prendre la relève pour s’occuper des enfants le soir, notamment les récupérer à l’école et s’occuper du dîner régulièrement. L’expérience en valait la peine et il m’a apporté son soutien à 100%. La position m’offrait d’énormes avantages, tant en apprentissage qu’en opportunité d’étendre mon réseau. Pourtant, après trois ans, c’est avec soulagement que je suis retournée dans une sphère plus calme de la compagnie. Je retrouvais une vie normale et un poste où j’étais au contrôle de mes horaires, et dont j’appréciais la flexibilité de travailler occasionnellement de la maison. Avec du recul, je repense à cette expérience avec un peu de nostalgie mais sans grand regret. Cet environnement n’était tout simplement pas compatible avec une vie de mère de famille.

A l’époque beaucoup de gens me demandaient comment j’arrivais à concilier ma vie familiale et professionnelle. Et la réponse était sans équivoque : je n’y arrivais pas. J’avais simplement abandonné une grosse partie de mes responsabilités de mère, par exemple mon implication à l’école des enfants, sachant que ce n’était que temporaire et que je pourrais me rattraper plus tard. Pourtant, même de retour dans un cadre plus relax, je trouve encore des difficultés à gérer mon emploi du temps au travail, les tâches domestiques, et les nombreuses activités para-scolaires de mes enfants. Combien de femmes arrivent-elles à le faire, sans stress ? Très peu, il semble. Autour de moi, c’est la même litanie. Beaucoup de mes amies qui sont dans la même situation se plaignent du stress constant. Stress au boulot, stress à la maison, peu de temps pour soi. La plupart ont du mal à s’en sortir même avec l’aide d’une nounou ou d’une femme de ménage à l’occasion. Même dans les couples où les hommes s’impliquent plus que la norme dans la gestion du ménage, la plus grande part de responsabilité de maintenir le foyer incombe toujours aux femmes. Comment trouver le juste équilibre?

Jusqu’il y a un demi-siècle, bien sur, la question ne se posait pas. Peu de femmes travaillaient à plein temps et la norme était pour la plupart de s’occuper du foyer et des enfants. Le mari en charge de gagner le pain quotidien dehors ne s’impliquait qu’au minimum à l’intérieur. Après une lutte acharnée (je n’y étais pas, mais je l’imagine ainsi !), les femmes ont obtenu leur émancipation et le même droit au travail (ne parlons pas encore de salaire) que les hommes. Mais voilà que les responsabilités domestiques qui nous étaient alléguées à l’époque, n’ont pas été redistribuées avec nos conjoints, pour tenir compte du fait que tous deux nous travaillons dehors, à la même enseigne, parfois plus. Pour nous africaines, le problème est d’autant plus épineux que beaucoup de nos hommes africains ne conçoivent même pas de devoir s’impliquer dans les tâches ménagères. Une cousine se plaint souvent de son mari qui peut attendre son retour jusqu’à minuit s’il le faut, pour qu’elle vienne faire la cuisine. Beaucoup de ces hommes sont le produit de leur éducation (cf. notre texte sur les hommes aux fourneaux). D’autres considèrent certaines charges domestiques (cuisiner, faire le ménage, nourrir les enfants, laver les habits, organiser les activités, participer aux anniversaires, etc.), comme relevant directement des responsabilités de la mère, sans pour autant intervenir dans d’autres domaines (faire le repassage, par exemple !), et n’aident la femme que lorsqu’elle est à bout de force.

Personnellement, malgré le fait que mon conjoint participe souvent, je ressens de temps en temps un certain niveau de stress qui m’emmène à considérer le choix de femme au foyer, pour un temps. Non pas qu’on puisse se le permettre financièrement, mais je ne peux m’empêcher d’en rêver à l’occasion, regardant souvent avec envie les femmes au foyer que je connais. J’imagine leur vie de mi-farniente, se recouchant après le départ de papa et des enfants, végétant devant la télévision, faisant du yoga, du tennis, prenant des cafés interminables avec d’autres désœuvrées comme elles, et préparant des mets copieux juste à temps pour le retour de leur progéniture le soir. Quelle erreur ! Ce n’est qu’une idée reçue de feuilleton-télé! Même si peu de pays, comme l’Allemagne, leur reconnaît un statut actif rémunéré, les femmes au foyer travaillent tout autant que nous autres, sinon plus encore, pour compenser moralement le manque à gagner financier du couple. Une amie raconte comment elle fait de son mieux pour maintenir son foyer, s’occuper des enfants, préparer des plats équilibrés pour sa famille, au quotidien. Mais au delà de ses occupations domestiques, elle est très engagée à l’école de ses enfants, et fait du volontariat dans son église et dans la communauté. Tout cela non seulement pour se déculpabiliser un peu du fait de ne pas contribuer financièrement, mais également pour se valoriser.

Selon mes conversations avec une autre grande amie qui a été mère au foyer pendant cinq ans, et est récemment retournée dans la vie active, elle ne se plaisait guère dans ce statut. Elle avait accepté de suivre son mari muté dans un pays aux mœurs inconnus, et s’est retrouvée sans emploi, souvent seule dans la journée et sans aucun repère social. La vie active lui manquait et elle déprimait jusqu’au bord de la crise de nerf, et se sentait coupée du monde. Ses seuls contacts étaient les mamans des copains de ses enfants avec lesquelles elle n’avait parfois aucune affinité. De plus, elle se voyait stagner professionnellement et se lamentait sur son diplôme universitaire inexploité qui vieillissait comme elle au fil des ans, sans expérience, et elle craignait de ne jamais pouvoir entamer sa carrière de rêve. C’est avec plaisir qu’elle a repris le chemin du travail. Beaucoup d’entre nous femmes actives, qui regardent avec envie, ou dédain, les femmes (et quelques hommes!) au foyer, devraient y regarder de plus près. La société toute entière devrait leur donner meilleure considération et reconnaître leur contribution. Mais j’avoue que pour moi, retourner à la maison ne serait pas vraiment la solution. Ou chercher d’autres ?

Je me réfère souvent à ma mère, dans mes réflexions sur ma vie d’aujourd’hui. Je me compare parfois à sa situation de femme active en Afrique, avec 6 enfants, et je ne me rappelle pourtant pas de l’avoir vue stressée autant que je le suis avec 2 enfants. Je n’en ai pas beaucoup parlé avec elle, il est vrai. Mais ma mère est, et a toujours été, engagée dans la communauté, au village, dans des associations diverses, et tout cela n’aurait pas été possible sans une certaine quantité de temps libre. Le temps, ou le manque de temps, est bien sur la grande cause de stress dans notre vie d’aujourd’hui. Ce n’était pas le cas pour la génération de ma mère, et même pour certaines femmes en Afrique aujourd’hui. La disponibilité de la main d’œuvre à bas prix, permet de s’entourer d’aide de tout genre, et de trouver du temps libre. Une femme de ménage, un chauffeur, un cuisinier, restent accessibles à beaucoup de femmes africaines, qui peuvent alors se permettre de nous juger, nous autres stressées en Occident, comme des éternelles râleuses agitées ! Une cousine au pays, sans mauvaise intention, se moque toujours de ma façon de marcher « demi-courir », sans comprendre que c’est devenu une seconde nature ! Je n’y peux rien, la vie aux Etats-Unis m’a transformée en robot «multitasker », toujours à vouloir gagner du temps.

Parfois, mon esprit stressé me joue des tours au point de m’imaginer dans des situations pourtant peu enviables! Je ne vais pas faire ici l’apologie de la polygamie, mais je suppose que l’effort pour maintenir un ménage avec 2 ou 3 femmes doit bien être moindre que lorsqu’on est seule ! Mon amie Viivi, dans son texte sur la question, rappelait les méfaits de cette pratique pour les femmes africaines. Néanmoins, si à quelque chose malheur est bon, c’est bien le partage des tâches que devraient favoriser le partage d’un foyer ! Mais reprenons nos esprits, la solution n’est clairement pas là non plus. Au bout du compte, que ce soit dans un ménage à deux ou à trois, il faudrait l’implication de toutes les parties pour trouver une solution au problème. J’invoque ici la part de responsabilité des hommes.

Il est évident que dès le départ le féminisme n’a jamais été juste une cause des femmes. De Léon Richier aux hommes aujourd’hui engagés dans la campagne HeforShe de l’ONUFemmes, on se rend bien compte que sans la contribution de milliers d’hommes, la cause des femmes n’auraient pas avancé. De nos jours, grâce en partie aux efforts de beaucoup d’hommes, la bataille des sexes a cédé bien du terrain aux femmes dans nombre de domaines, à divers degrés selon les pays. Ici aux Etats-Unis, la grande question du jour, c’est le « equal pay, for equal work » , c’est-à-dire « à travail égal, salaire égal ». Le salaire des femmes est une question qui occupe une place de choix dans l’agenda du Président Obama qui apporte un grand soutien à cette cause. Une cause remise sur le devant de la scène récemment, à travers le cri du cœur lancé par l’actrice Patricia Arquette. Celle-ci a rallié les femmes, et quelques hommes, pendant son discours à la réception de son Oscar pour deuxième meilleur rôle, dans le film Boyhood, où elle interprète une femme qui doit jongler ses responsabilités de mère de famille et sa carrière. Une grande attention est donc portée au débat sur l’egalité des salaires, et elle prendra encore plus d’ampleur si Hillary Clinton décidait de rentrer dans la course pour la Maison Blanche en 2016.

En attendant, une autre cause devrait tout autant nous préoccuper que celle du salaire égal, c’est « à travail égal, contribution domestique égale ». L’effort des femmes pour le maintien du foyer, doit trouver écho chez leur conjoint. Il faut une réelle sensibilisation pour que les hommes reconnaissent qu’il est temps de redistribuer les tâches domestiques de manière équitable. Il ne s’agit pas de voter des lois, mais d’opérer un changement des mentalités. C’est aussi une question de survie du couple, en croire les conseils de Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook, auteur de Lean In (En Avant Toutes en francais). Dans un article paru cette semaine dans le quotidien New York Times, et co-écrit avec Adam Grant, professeur à la prestigieuse Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, elle recommande aux hommes de s’engager autant dans leur foyer que dans la salle du conseil d’administration. Entre autres bénéfices, ils en apprécieraient les effets dans la chambre à coucher! Espérons que ces conseils seront entendus et suivis partout.

Les femmes doivent elles-même encourager leurs conjoints pour qu’ils s’impliquent davantage. Nous devons également accepter de prendre part aux tâches qui jusqu’ici étaient « réservées » aux hommes. Quand je fais la cuisine, mon conjoint fait la vaisselle et c’est un arrangement naturel dont nous n’avons jamais discuté. Je devrais également trouver normal de tondre le gazon ou d’emmener la voiture pour une vidange chez le mécanicien, ce qui n’est pas toujours le cas ! La redistribution des tâches ne pourra se faire qu’en rejetant les anciens stéréotypes. Une femme est capable de tout, et nous l’avons déjà prouvé! Hilary Clinton, elle encore, a cité à maintes reprises ce proverbe africain « it takes a village to raise a child » (il faut tout un village pour éduquer un enfant). De même, pour redéfinir les rôles dans le ménage, il faut une société toute entière pour rééduquer l’homme, et la femme. Et comme j’apprends vite, je m’en vais de ce pas déblayer un peu de la neige accumulée devant la maison !

 


Au-delà de cette limite votre billet n’est plus valable*

excess-baggageC’est l’histoire d’un billet qui se justifie à plus d’un titre.

Nous voici en plein mois de février, laissant derrière janvier et son lot de « bonne année » et des quelques mauvais jours (si vous n’avez pas entendu parler de Charlie, je n’insiste pas). Le petit mois de février a grande importance bien sûr pour ceux qui fêtent la Saint-Valentin, et pour ceux qui, ici aux Etats-Unis, bénéficient du jour férié qu’offre la fête des présidents américains, sans oublier que c’est le mois de commémoration de l’histoire des Noirs américains. Ce sont des faits importants bien sûr, mais personnellement ce n’est pas ce qui compte le plus. Pour moi, c’est le moment de commencer à penser aux choses essentielles, c’est-à-dire aux vacances.

C’est donc le moment de faire les plans d’été, non pas parce que je suis une fainéante qui ne pense qu’à passer du bon temps, même si je ne m’en prive pas de temps en temps. En fait, la période entre fin juin et début septembre est un moment critique qui demande une organisation minutieuse. Il faut mettre en place un plan pour occuper mes enfants pendant plus de deux mois, quand ils ne seront pas à l’école; qui en camps d’été, qui en sorties diverses, week-end à la plage, visites aux parcs d’attractions, et que sais-je encore. Il faut s’y prendre bien à l’avance pour avoir le choix et bénéficier des meilleurs tarifs. Comme tous les ans donc, ce mois-ci, me voilà cherchant, « googlant », peaufinant nos plans de vacances. Cette année nous avons décidé de passer une partie des vacances au pays, à Lomé. Sachant que le voyage demande une préparation de longue haleine, je me suis mise à la tâche sans tarder.

Je trépide d’anticipation en recherchant les billets d’avion. Pourtant, c’est difficile de ne pas se laisser décourager par le manque de choix des compagnies aériennes qui desservent la capitale togolaise. Qui dit manque de choix,  dit forcément monopole, et Air France ne se le fait pas dire. Près de 2 000 dollars pour un billet en classe économique, pour se donner un minimum de paix d’esprit, et voyager dans de bonnes conditions, enfin plus ou moins. Je n’arrive jamais à comprendre pourquoi il me faut payer beaucoup plus qu’un Chinois ou un Japonais paie pour rentrer chez lui, alors que son voyage couvre une plus grande distance. Je sais pourquoi, mais je ne le comprends pas. On explique le peu de choix de compagnies aériennes qui opèrent chez nous, du fait de la vétusté de l’aéroport de Lomé, qui ne peut accommoder autant de trafic aérien que le Ghana voisin, par exemple. La situation va peut-être s’améliorer avec l’ouverture du nouveau terminal qu’on annonce pour bientôt à Lomé. En attendant il faut payer le prix fort. Passons.

Une fois les billets achetés avec des grincements de dents, il faut commencer à penser aux cadeaux. Non, non, ne roulez pas des yeux, je n’exagère pas, ce n’est pas trop tôt. De février à août, il y a six mois d’écart, mais ce n’est jamais assez pour entamer la liste des cadeaux, et commencer à les entasser, tout en essayant de ne pas dépasser mes limites. A chaque retour au pays, je me promets de ne plus rentrer dans la spirale du « trop » : trop d’habits pour les enfants (et pour moi), trop de chaussures pour moi, trop de dépenses pour nous faire passer des vacances au pays comme si nous étions toujours un pied aux Etats-Unis et surtout trop de cadeaux futiles, qui se transformeront en trop de kilos. En vain. En fait mon conjoint et moi sommes tous deux issus de la grande famille africaine typique. Et de chaque côté il faut faire de notre mieux, comme le demande la tradition, pour montrer à nos proches que nous ne les avons pas oubliés. Je ne suis pas la seule dans le cas; un bon nombre de mes amis qui vivent à l’étranger se plaignent de ce rituel. Une amie jure de ne plus le faire, étant donné le manque d’enthousiasme de certains proches à la réception de leur colis. En effet, globalisation aidant, ces cadeaux venus d’ailleurs ne suscitent plus grande excitation. Comme le dit ma mère, il y a tout à Lomé! Autant de raison pour ne plus se décarcasser pour ramener des cadeaux en tout genre. Pourtant, à chaque fois on se laisse emporter.

Evidemment personne ne veut retourner au pays les mains vides. Vous avez sans doute, au moins une fois dans votre vie, observé un Africain, une Africaine, au départ de l’aéroport, se débattant avec une multitude de valises, se pressant autour de la balance judicieusement mise à disposition par la compagnie aérienne. Suant et haletant pour rajuster les valises aux poids de norme, sous les regards sidérés de certains voyageurs, qui eux n’ont vraisemblablement pas de familles nombreuses ! Eh bien, sachez que ces gens que vous regardez peut-être d’un air ahuri, ce sont des gens de bonne volonté qui veulent faire plaisir à leur famille au pays, aux dépens de leur propre santé physique et mentale ! Comme eux donc, je commence à chercher les cadeaux inédits pour mes parents, mes cousins, mes amis. Avec mes six mois d’avance, je guette les soldes, je déniche les bonnes affaires, et j’entasse un bric-à-brac, sans trop réfléchir aux conséquences, en l’occurrence le potentiel d’excédent de bagages, jusqu’à quelques jours avant le départ. A ce moment-là commenceront mes sueurs froides.

Après toutes ces années passées à l’étranger, et de nombreux voyages, je suis toujours anxieuse à l’approche d’un déplacement en avion. Pas, comme certains, par peur de me retrouver dans les airs. Mes frayeurs se matérialisent sur terre, avant la bataille des bagages qui aura lieu au comptoir d’enregistrement, sous le regard irrité de mon conjoint. Plus de 15 ans de vie commune et il ne s’est toujours pas résolu à accepter mon problème d’excédent. Selon lui, il y a 10 ans quand nous n’étions que deux et voyagions avec 4 valises, le problème pouvait se justifier. Aujourd’hui avec nos 2 enfants, nous voyageons avec 8 valises à notre actif, et il m’arrive encore d’avoir des excédents ! J’ai beau faire des efforts, mais je me retrouve toujours avec trop de bagages. Tout récemment j’ai fait une petite introspection sur la question. Ne dit-on pas que le premier pas pour guérir d’un mal est de le reconnaître et d’y faire face? J’ai donc bien analysé la situation et je suis arrivée à une conclusion : je suis incurable! Il va juste falloir prévenir à défaut de guérir. J’en ai d’ailleurs fait part à mon conjoint (un homme prévenu en vaut 4 paires de bras pour gérer les bagages). Il a simplement haussé deux épaules.

Voilà comment se résument les préparatifs pour notre séjour de trois semaines au pays. D’ici au jour du départ, le scénario du comptoir se jouera et rejouera dans mon esprit, avec moi dans le même rôle, et l’hôtesse d’accueil dans un rôle selon sa coupe de cheveux, son humeur du jour, notre heure d’arrivée au comptoir, le nombre de passagers sur le vol, et surtout ma chance. Du coup je me prépare à toutes les éventualités! Une fois l’épreuve du comptoir passée, je pourrai commencer à me relaxer et oublier le prix exorbitant du billet, les six mois d’anticipation, l’achat du plus que nécessaire de vacances, la collecte des cadeaux déjà vus, le stress du trop-plein des valises, le regard courroucé des hôtesses au comptoir d’enregistrement, les soupirs d’impatience des autres passagers, et le rictus amer de mon conjoint. Ce dernier lui aussi finira par se laisser prendre par la vague des vacances, dans le hall d’embarquement. Une fois à bord de l’avion, à nous les bons vins, le champagne si on en offre encore. Tant pis s’il n’y a plus de poulet au moment où l’hôtesse de service arrivera à notre rangée. Il faudra bien faire avec les moyens du bord.

*Ce titre est inspiré du titre du roman de Romain Gary, mais le texte n’a rien à voir avec.


To post or not to post ? That is not the question!

IMG_1475La question de publier ou non mes photos sur Facebook ne se pose plus. Pour les photos de mes enfants je ne m’en posais pas trop non plus, jusqu’à maintenant.

Quand j’étais petite je voulais être mannequin, puis hôtesse de l’air, puis interprète aux Nations Unies. A l’adolescence, mes ambitions sont devenues un peu plus réalistes, et après avoir voulu être avocat,  je me suis finalement réconciliée avec les études que le destin m’offrait. L’autre ambition de ma jeunesse était d’être mère de quatre enfants, deux filles et deux garçons. Là aussi je n’ai pas tout à fait réalisé mon ambition, mais je suis plutôt satisfaite d’avoir revu le nombre à la baisse, eu égard aux réalités, avec deux garçons à mon actif. Deux jeunes hommes magnifiques et plein de vie. Comme toute maman, je les trouve extraordinairement intelligent et je suis tous les jours émerveillée de leur transformation. Non, non, je ne suis pas une de ces mamans qui idolâtrent leurs enfants et passent leur vie à vanter leurs mérites. Je suis plutôt sobre en la matière, comparée à la norme aux Etats-Unis. Mais je ne me prive pas pour autant, à l’occasion, de les montrer en action et de démontrer leurs exploits sportifs.

L’objet de mon affection

Avant la naissance de mes enfants, j’aimais prendre des photos et les partager avec mes proches, par courrier, puis par email, ou dans un album sur un site de Kodak, qui n’existe plus depuis lors. Avec la naissance de mes enfants, je suis devenue deux fois plus adepte de la chose, documentant chaque moment important, ou non, de leur vie. Un appareil photo toujours à portée de bras, de peur de rater l’instant unique et inimitable. Il y a quelques années, mon public se composait principalement de mes frères qui répondaient souvent laconiquement à mes albums photos; de ma grande sœur qui consulte ses emails une fois par semestre; de mes parents qui avaient grand mal à visualiser les photos avec le débit sporadique de l’internet au Togo; d’une amie fidèle qui elle aussi a des demandes familiales et n’a pas toujours le temps de commenter ou de poser les questions que j’attends ; et de quelques amis et cousins éparpillés de par le monde, qui ne répondaient souvent que par de brefs messages de remerciement. Ce public n’était pas assez communicatif à mon goût, et il m’a donc fallu agrandir mon audience. Chose faite, avec Facebook, Instagram et YouTube !

Quelques photos pour 1000 mots

Comme beaucoup de parents modernes, j’ai trouvé sur les réseaux sociaux, une vitrine idéale pour « showcase » les photos de mes enfants, symboles de mon succès. Beaucoup de mes amis de Facebook, dont certains vivent à des milliers de kilomètres de nous et n’ont jamais rencontré mes enfants, les ont vu grandir sur la toile. De leurs photos de bébé à leurs premiers bas, leur premier match de foot, ou leur premier noël, tous ces moments ont été partagés avec mes quelques 300 contacts, et sûrement plus, à travers le réseau « amis de mes amis ». Je ne suis pas la seule dans le cas, beaucoup de mes proches le font. La plupart des membres de ma famille n’ont jamais eu de problème avec ma publication de certaines de nos photos de famille, quoique tous ne sont pas aussi assidus. Bien sur, je sélectionnais toujours avec attention les photos publiées, mais je ne m’étais jamais préoccupée des conséquences de mes actes, jusqu’à une récente conversation avec l’un de mes frères. J’avais récemment constaté une diminution de son activité sur Facebook, que notre conversation est venue éclairer.

Qui ne dit rien maintenant, pourrait ne pas consentir plus tard

Selon mon frère, il faudrait qu’on arrête de publier les photos de nos enfants sur les réseaux sociaux, parce que plus tard nous risquerions de le regretter. Pire encore, nos enfants non seulement le regretteraient, mais nous en voudraient! Gros silence de ma part, légèrement coupable et lourdement perplexe. Après quelques secondes, je réplique « Oh la la, n’exagérons rien, ce n’est pas comme si je postais des photos d’eux tout nus ! » (en maillot, oui). Mon frère sachant l’impossibilité de me convaincre n’a pas voulu aller plus loin dans le débat. Pourtant, après notre coup de fil, je suis rentrée dans une sorte d’autocritique sur la question. Dans quelle limite, nous parents, sommes-nous dans le droit de poster les photos de nos enfants ?

Le grand méchant Web

En vérité, la question fait partie des mille et une qui se posent de nos jours, quant à la place importante que les réseaux sociaux, et tout l’internet, prennent dans notre vie. Dans son nouveau livre « The Internet is not the answer » Andrew Keen, que certains surnomment « l’Antéchrist de la Silicon Valley, » du fait de ses critiques sur le manque de contrôle des nouvelles technologies, se pose la question de savoir si les changements que l’internet apporte dans nos vies sont tous bénéfiques. Il critique aussi le fait que les réseaux sociaux sont la cause de la « pandémie voyeuriste et narcissique » qu’on constate sur internet. C’est vrai, je me reconnais quelques symptômes quand je suis sur Facebook, mais je ne me dirais pas incurable. Il est clair que l’internet n’a pas résolu tous nos problèmes d’antan, et en a même créé de nouveaux, mais pour rien au monde je ne retournerais 30 ans en arrière. Je n’avais qu’une dizaine d’années à l’époque, et je ne peux vraisemblablement pas faire la comparaison avec ma vie d’aujourd’hui. Mais qui échangerait une Wii contre une Pacman !?

De deux 2 mots, je choisis le moindre : solution (et non problèmes)

L’internet n’a pas la réponse à tous nos problèmes d’aujourd’hui, soit, mais grâce à lui, le monde semble beaucoup plus petit. Comment réfuter cet outil qui nous a rapproché les uns des autres. C’est bien le bénéfice premier que je tire de ma présence sur les réseaux sociaux. Le fait de communiquer avec tant de gens en instantané, et de donner de mes nouvelles à base de photos à un tas de gens en même temps. Ce n’est pas toute ma vie bien sur, mais c’est la partie que je veux bien partager, de plein gré et sans état d’âme. C’est une décision que je prends en toute connaissance de cause, mais jusqu’ici je ne pensais pas à la position que pourraient prendre mes enfants plus tard. Il m’a fallu trouver des arguments pour me convaincre du bien-fondé de mes actes, et me persuader que mes enfants n’y verront aucun mal. Et j’y suis parvenue.

Maman avait ses raisons

J’ose penser que mes enfants n’y trouveront rien à redire. D’abord parce qu’ils ne seront pas les seuls. Les parents de ma génération sont pour la grande majorité connectés sur les réseaux sociaux, et les photos de familles sont autant de trophées de vie réussie que chacun aime exhiber régulièrement sur la place du marché  virtuel. Il est certain que dans 10 ou 15 ans mes enfants ne seront pas les seuls à avoir une multitude de photos d’enfance disponibles sur le net. A moins pour l’un d’entre eux de devenir une célébrité ou président de la république (et encore), les photos de mes fils n’auront probablement aucune valeur au-delà de celle sentimentale qu’elle a pour notre famille.  Autre argument, on n’arrête pas le progrès. Etant donné le milieu où nous vivons, aux Etats-Unis où la plupart des enfants ont un iPad comme une extension de leurs doigts, d’ici à leur adolescence, les cameras GoPro seront la norme, et les photos d’exploits de tout un chacun flotteront joyeusement dans la sphère virtuelle. Ceux qui n’en auront pas selon l’exception, pareils aux excentriques d’aujourd’hui qui n’ont pas d’ordinateur, de télévision, ou de téléphone chez eux, et cultivent leurs propres légumes ! Dernière excuse, mes enfants étant bien les fils de leur mère, tous deux sont dotés d’une personnalité extrovertie qui n’augure d’aucune timidité qui leur ferait regretter plus tard des photos d’enfance, embarrassantes ou non.

Il n’y a pas que les imbéciles qui ne changent pas d’avis

Au bout du compte, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un certain malaise du manque de contrôle que l’on a sur tout ce qui se trouve sur l’internet. Je parlais plus haut de mes albums créés il y a quelques années sur le site de Kodak. Au moment de la fermeture du site, la compagnie m’avait envoyé un email me demandant de récupérer toutes mes photos, au risque de les perdre à jamais. Pourtant je suis presque certaine que ces photos se trouvent encore quelque part dans la nébuleuse. Ce n’est pas la fin du monde, de mon monde, et j’espère non plus de celui de mes enfants plus tard. Je vais donc continuer sur la même lignée, et publier leurs photos de gaîté de coeur. Mais à titre d’ajustement après réflexion, j’ai quand même décidé de faire montre de plus de censure personnelle quant à la sélection des photos à poster. A bien y réfléchir, j’en aurais beaucoup voulu à mes parents si mon affreuse photo de première communion se trouvait aujourd’hui dans le domaine public!


De l’Importance d’être Charlie

john-stuart-millChez nous au Togo, on dit souvent que “même quand on pleure on voit ». Je vais extrapoler ici en disant que « même quand on pleure, on rit ». J’en ai eu la preuve au cours de cette semaine tragico-médiatique, suite au drame de Paris. Que les attaquants de Charlie Hebdo aient fini leur parcours dans une imprimerie est en lui-même une ironie du sort. Il faut en rire, malgré la tristesse immense qu’ont causé les événements choquants de ces derniers jours. Des sourires aigres-doux, j’en ai eu aussi devant certaines des caricatures tant émouvantes que drôles, publiées par des dessinateurs du monde entier, telle que celle de Jeff Ikapi en hommage aux artistes tombés. Mais mon vrai « pleurer-rire », pour utiliser une expression inspirée du livre d’Henri Lopes et reprise par mon compatriote David Kpelly sur son blog, est venu d’ailleurs.

Je_Suis_CabindaC’est sur la toile que tout en pleurant le triste jour où la liberté d’expression a pris un coup dur, j’ai souri, et parfois même bien rigolé. Sur Facebook, comme tout le monde depuis le début du drame, la plupart de mes compatriotes ont clamé leur solidarité sans retenue, à Charlie Hebdo. Pourtant certains ont voulu nuancer leur approche. Un compatriote se demandait pourquoi ce 8 janvier, date du 5e anniversaire du drame de l’Enclave de Cabinda, qui en 2010 a coûté la vie à 2 membres de la délégation Togolaise en route pour la coupe d’Afrique des Nations en Angola, si peu de togolais commémoraient l’incident, alors qu’un si grand nombre s’étaient empressés de se surnommer Charlie. Ah c’est vrai, me suis-je rappelée avec  tristesse, suivie quelques minutes après d’un fou-rire quand j’ai vu apparaître sur une page, une  pancarte lisant « Je suis Cabinda » sur le même fond noir où on retrouvait « Je suis Charlie » partout ailleurs.

Un autre billet annonçait avec humour « Hmm, notre président est l’un des premiers à avoir présenté ses condoléances à Francois Hollande. Quelle réactivité ! ». S’en suivaient alors une ribambelle de commentaires moquant le zèle du chef de l’état togolais, quelques-uns plutôt virulents, certains réellement loufoques, et d’autres un peu « craignos »,  la plupart sous couvert de pseudonymes, évidemment. Notre petit Togo n’a pas les muscles du géant américain pour être mentionné parmi les premiers envoyeurs de messages de soutien à la France, mais qu’importe, nos autorités n’ont pas voulu être en reste. Ce n’était pas du goût de quelques sujets qui jugeaient que le président aurait mieux fait de montrer du zèle pour résoudre les  problèmes chez lui, qui d’ailleurs méritaient aussi une pancarte. Et les voilà en circulant une clamant « Je suis pour les réformes au Togo, et toi ?

Un autre débat qui là m’a franchement arraché un gros éclat de rire, cherchait à comprendre pourquoi le président gabonais voulait traverser la distance qui sépare son pays de la France pour prendre part à une marche de soutien! Ou pourquoi le Bénin avait décrété une journée de deuil en solidarité avec la France, alors que pas même une demi-minute de silence n’avait jamais été offerte en mémoire des nombreuses victimes du virus Ebola, ou pour toutes ces jeunes filles otages de Boko Haram. Mais oui enfin, on attend toujours qu’on nous « bring back our girls » ! Triste et vrai, la cause de ces pauvres filles a été reléguée aux oubliettes des hashtags. Et le sourire ne quittera pas mon visage quand je lis alors les commentaires faisant allusion au fait que les échéances électorales au Bénin, au Togo aussi,  n’étaient pas loin devant. Les autorités ne faisaient que parer à toutes les éventualités. Plutôt poussée comme théorie vous me direz, mais n’est-ce pas vrai qu’en politique on se tient par la barbichette ? Rira bien celui qui rira le dernier, et qui aura témoigné en premier, et grandement, son soutien!

Ces moments cocasses qui ont intercalé le flot d’information dramatique qui défilaient en boucle sur ma page Facebook, m’ont vraiment amusée et un peu soulagé ma désillusion. Ils m’ont rappelé pourquoi tant de gens autour du monde se sont indignés de l’attaque du 7 janvier. Tout cela fait partie de la liberté d’expression qu’on réclame à cor et à cri. Il est évident que tous ceux qui se proclament Charlie, ne sont pas tous des adeptes de Charlie Hebdo. Beaucoup ne connaissaient même pas le journal avant l’attaque, et de ceux qui le connaissaient, un certain nombre était probablement allergique à leur satyre. Personnellement, je ne lisais pas le journal avant l’attaque, et je ne compte pas m’y abonner à l’avenir. Mais de grâce qu’on ne me reproche pas de dire que je suis Charlie aujourd’hui !

De même, mes compatriotes, qui s’indignent publiquement de ce qu’ils jugent comme des excès de solidarité de nos gouvernants, sont libres de le faire. Qu’on ne soit pas de leur avis, c’est aussi un droit, ainsi que le droit d’en débattre ou non. Moi j’ai préféré en rire, d’autres les ont approuvés, et d’autres les ont réfutés. C’est cette liberté d’expression et le droit de réponse de tout un chacun, sans armes, que nous devons tous défendre. Sans doute, après la grande marche de dimanche en France, les critiques et débats vont s’exacerber, et les attaques médiatiques vont fuser. Espérons que tous autant que nous sommes indignés de ce qui s’est passé cette semaine, quand les débats deviendront houleux, nous restions toujours convaincus que la liberté d’expression est un droit humain inaliénable. Chacun peut penser ce qu’il veut, et l’exprimer comme il le veut. Et si l’on n’est pas d’accord, on peut le dire ouvertement, ou vertement, ou l’ignorer dignement; ou en rire tout simplement. Vaut mieux le faire maintenant, plutôt que d’en pleurer plus tard.


Le monde comme il ne va plus

 

world-on-fireTriste pour la liberté, et triste pour la démocratie, était cette journée du 7 janvier 2015. Une journée qui nous en rappelle bien sur une autre, la terrible journée du 11 septembre 2001. Ce jour-là, incommensurable était l’amalgame d’émotions: angoisse, détresse, anéantissement, incompréhension, sentiment d’être arrivé à la fin du monde. De Washington, je l’ai vécue secouée comme tous les habitants aux USA, et tant d’autres au-delà des frontières. Je ne pensais jamais l’oublier, et pourtant elle semblait bien loin de ma mémoire ce jour du 7 janvier 2015.

Aujourd’hui elle me revient à l’esprit, avec la même vague de sentiments, comme ce fut souvent le cas ces dernières années, à chaque fois qu’un autre pays a vécu « son 11 septembre ». Après le  Royaume-Uni et l’Espagne, la France, vient de vivre sa grande journée de deuil de ce début du siècle. Un pays qui par le passé a connu son lot de guerres, de tensions, de divisions, de révolution, est frappé une fois de plus en plein cœur, en plein Paris. Une fois de plus l’onde de choc a fait le tour du monde. Le choc de voir une attaque du genre avoir lieu en pleine journée.  Les réseaux sociaux se sont embrasés, les rédactions du monde ont crié leur tollé, les mots de soutien et les messages de condoléances se sont envolés en direction de la nation meurtrie. La vidéo de ces hommes cagoulés agissant avec un tel sang-froid, nous laisse entrevoir en direct ce nouvel ennemi qui ne recule devant rien pour semer la terreur dans les cœurs et dans les esprits. Des individus qui ne répondent à aucune loi, humaine ou divine, sinon celle du plus faible qui se croit fort derrière son masque, et se donne des droits sur l’opinion et la vie des autres.

Bien sur, après la journée de deuil et  l’unité de la nation, il y aura les débats pour comprendre et essayer d’expliquer, les prises de partie, les querelles de responsabilités non-partagées. On n’y pourra rien, la démocratie et la liberté c’est aussi ça. Très vite, nous retournerons tous à notre quotidien, où nous continuerons tranquillement à jouir de notre liberté d’expression, prenant part au gré de notre plaisir à toutes sortes de débats d’idées sur les réseaux sociaux ou dans notre vie réelle. Ce faisant, rappelons-nous toujours de tous ces gens qui auront payé le prix fort pour cette liberté, celui de leur vie. De tout cœur avec la France et Charlie Hebdo, rappelons-nous, si nous avions oublié, réveillons-nous, si nous nous étions endormis un instant et avions baissé notre garde, que notre monde est toujours en feu.

 


Objectif 2015. Accrochez vos résolutions!

Crédit photo : www.Ehiyo.com

Ça y est, nous y sommes. Nous avons atteint l’échéance anticipée tous les ans, avec la même frénésie. Nous avons une fois de plus été temoin du compte à rebours et des douze coups de minuit, qui annoncent le nouvel an. Un moment célébré par des milliards à travers le monde, en temps échelonné. La plupart d’entre nous ont franchi la ligne d’arrivée debout, dansant, s’embrassant, d’autres titubant, plus ou moins éméchés, et d’autres peut être plus penchés, sous le poids de trop de bulles de champagne. Les moins chanceux l’auront fait les 2 pieds devant; malheureusement il y en a toujours un lot, comme en témoignent les victimes de la bousculade à Shanghai.

Pour ma part j’y suis arrivée allongée sur mon canapé, devant la télévision, suivant en direct les festivités à Times Square à New York, tout en surveillant de près ma page Facebook, et répondant du tac au tac aux divers messages. Avec un thé chaud à côté. Non, non, je ne suis ni sage, ni sainte, ni philosophe. Ce n’est que le hasard d’une bronchite coriace qui m’a distinguée du lot des fêtards. Sans grand regret pourtant. Les 2 dernières semaines ont été des plus éprouvantes, entre les préparatifs pour Noël, la recherche des cadeaux pour les enfants, et les divers fêtes au travail et ailleurs. Mon corps a simplement demandé du répit et du repos. Mais pas mon cerveau. J’ai donc profité de ce relatif calme de mon réveillon du 31 décembre pour revenir sur quelques-uns des phénomènes médiatiques qu’on constate à l’approche de la fin de l’année. En fait, je suis toujours impressionnée par le travail titanesque que les divers organes de presse entreprennent pour sceller les moments clés de l’année qui s’achève. La technologie aidant, on suppose la tâche plus facile, certes. Néanmoins, nous vivons dans un monde d’information à vitesse grand V, et un effort immense de synthèse s’impose d’autant plus. Bien entendu, les médias ont de l’expérience en la matière, et une fois de plus, ils nous l’ont démontré.

Il y a d’abord eu le décompte des personnalités qui ont marqué l’actualité, pour en identifier un chef de fil. La plus populaire de ces consécrations étant la nomination du « Person of the year » par le magazine américain Time. Cette année l’hommage a été rendu au personnel soignant en charge de combattre le virus Ebola. Un choix indiscutable, somme toute. Il y a eu ensuite le recensement des grands faits divers, sociaux, et politiques, et la revue des meilleurs moments à la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux. On passe bien sur par le rappel des plus grosses bévues, des moments les plus bizarres, sordides, ou tristes, les plus grandes mauvaises nouvelles; sans oublier le compte des célébrités qui ont quitté notre monde. On nous force à revenir comme chez un grossiste, sur toutes les images qui ont défilé sur nos écrans au cours de l’année, certaines qu’on voudrait pourtant oublier, telles les images difficiles de cet avion de ligne abattu en Ukraine.

Sur le plan personnel aussi il faut faire le point. Les médias nous en encouragent, et mettent à notre disposition des moyens de faire plus facilement notre propre bilan, quel qu’il soit. Quel film, quel artiste, quelle chanson avons-nous preféré? Un sondage nous l’annonce. J’ai appris que Columbia, la ville où j’habite, est classée 6e parmi les petites villes américaines où il faisait mieux vivre en 2014! Pour un bilan encore plus personnalisé, un nouvel outil, proposé notamment par Facebook et Flipagram, permet grâce à un algorithme d’identifer les photos qui ont marqué notre année. On peut ensuite partager ce bilan avec nos contacts, et ainsi donner une autre chance à ceux de nos proches qui auraient raté ces moments glorieux lors de la première publication. Sauf que l’algorithme n’est pas toujours probant. On a appris le désarroi d’un père qui a vu s’afficher sur sa page, la photo de sa fille décédée en cours d’année parmi les photos preuves de sa « super année ». Bah, l’erreur est humaine mais la machine a droit à l’erreur aussi! Pour le pauvre papa, le mal est fait, mais la vie, la notre, continue, et pourra désormais être résumée en quelques clichés.

Après le bilan, il faut passer aux résolutions pour la nouvelle année, Là aussi les médias se proposent de nous aider à les prendre. Parmi les plus populaires on retrouve: faire plus de sport, moins boire, moins et mieux manger, trouver un meilleur emploi, reprendre les études, plus voyager, mieux vivre. Alors partout à la télévision ou sur l’internet, les publicités nous assaillent, les articles-conseils nous en mettent plein la tête, et les livres de « self-help » nous attaquent depuis les vitrines des libraires. On nous suggère les meilleurs régimes, les équipements de gym dernier cri, les cures de détox qui ont fait des preuves, ou non, les emplois les plus payants et moins stressants, les diplômes et certificats les plus prisés, les aliments les plus sains, les 10 plus beaux pays à visiter avant fin 2015 (sans expliquer comment se débrouiller pour le faire avec les 2 semaines de vacances dont disposent la plupart des employés aux USA). Tous les moyens sont bon pour attirer notre attention sur les diverses solutions miracles, qui feront que cette année enfin, nos promesses faites à nous-mêmes seront tenues. A chacun son truc, et sur les réseaux sociaux, selon le profil, on verra défiler l’article qui aidera peut-être à réaliser son potentiel de « new year resolutions ». Généreuse, je me suis fait le plaisir d’en partager quelques-uns, à toutes fins utiles. Je ne pouvais tout de même pas en profiter toute seule!

Tous les ans c’est donc la même histoire. Mais ne dit-on pas que « l’histoire est un éternel recommencement ?» Cette fin d’année encore l’histoire a suivi son cours naturel. A quelque différence près, du fait de ma gorge toujours irritée, le matin du 1er janvier, comme il y a un an, je me suis réveillée avec le sens du devoir pas tout à fait accompli, mais sachant qu’une nouvelle chance venait de m’être donnée pour me rattraper sur mes résolutions manquées de l’an passé; et je vais la saisir. Entourée de mes nouvelles et anciennes résolutions, comme d’un bouclier, je suis prête à affronter de nouveaux défis, à faire face aux mauvaises nouvelles qui ne vont pas manquer.  Je prie que Dieu nous offre des moments de joie en plus grand nombre, y compris peut-être la paix dans le monde (on a le droit de rêver!). Je souhaite qu’il en soit de même pour vous, chers lecteurs, car nous sommes tous dans le même bateau, et ensemble nous venons de franchir le cap du 1er janvier 2015. Rendez-vous est pris pour le même cérémonial dans 12 mois. Pour l’heure, accrochez vos résolutions, et bonne route!

Bonne et Heureuse Année 2015 !


Plus les Choses Changent, Plus Elles se Ressemblent

Lupita_Obama1L’Amérique face à ses conflits raciaux, continue de se chercher, entre Barack et Lupita.

2014 aura bien été l’année de la remise en question de la question raciale aux Etats-Unis. Plus encore que celle de la liberté du port d’arme, la question des rapports entre noirs et blancs, et surtout entre jeunes noirs et représentants des forces de l’ordre, aura défrayé la chronique jusqu’aux derniers jours de l’année. Tout commence en 2012, avec George Zimmerman, patrouilleur de quartier blanc, zélé, qui a tiré, soi-disant en légitime défense, sur un jeune noir-américain, Trayvon Martin. L’issue de son procès en juillet 2013 provoque un tollé général. A peine remis de l’acquittement de Zimmerman, le public apprend la mort quelque peu suspecte de Michael Brown en Août 2014. Le décès de ce jeune noir, lui aussi abattu dans des circonstances assez floues, par un policier blanc, survient après celui d’Eric Garner en juillet. Ce père de famille noir, lui trouve la mort étouffé, alors qu’il était appréhendé par un policier blanc pour vente illicite de cigarettes. Ceux-là sont les cas les plus médiatisés, mais il en existe d’autres, passés presqu’inaperçus du grand public, et qui demandent autant de réflexion.

Ces cas se suivent et ne se ressemblent pas toujours, mais tous ont interpellé l’opinion publique américaine du fait de leur issue en justice, ou ce qui est perçu comme un manque de justice. Tous les inculpés dans ces cas, tous blancs, ont été acquittés. Alors dans toute l’Amérique les rues se sont remplies, de noirs mais pas seulement, qui crient leur colère face à cette injustice. Jeunes, vieux, noirs, blancs, tous protestent contre cette situation que beaucoup croyaient voir s’améliorer avec l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Mais voilà, la Maison blanche est une maison sur terre, et non au Paradis, et Barack Obama n’est ni Dieu, ni même un demi-dieu, comme certains d’entre nous voulaient le croire le jour de son élection. Que de larmes avons-nous versées ce merveilleux jour de Novembre 2008 ! Dans les rues de parfaits inconnus se sont jetés dans les bras les uns des autres. Blancs et noirs ont connu l’extase, et tous ont porté ce nouveau messie très haut. Avec lui une nouvelle ère s’ouvrait, un nouveau monde allait prendre la place de l’ancien, où régnaient méfiance et tensions raciales. Comme pour un autre messie, on a commencé à parler d’un « BB » before Barack (avant Barack) et d’un « AB » after Barack (après Barack).

Mais très vite il a fallu se rendre à l’évidence. Barack est le fils de l’homme kenyan, un être en chair et en os, et sa place est bien sur terre, parmi nous. C’est un homme au destin incroyable soit. Il a su se saisir autant des opportunités, que tirer des leçons des déboires de sa vie d’homme métisse, se balançant entre sa culture blanche-américaine héritée de sa mère et sa peau noire héritée de son père. Mais un homme tout de même, avec ses défauts et ses faiblesses, ses états d’âme et ses limites. Il a donc fallu accepter que les choses n’allaient pas changer du jour au lendemain. Le débat sur la “race relation” post-Obama reste donc aussi difficile qu’auparavant. Cinquante ans après la Marche historique de Selma à Montgomery, et plus vingt ans après les émeutes en Californie, suite à la bavure policière dont Rodney King a été victime en 1991, on est encore loin de l’harmonie raciale et de l’égalité des couleurs. Le fait d’avoir un président noir n’a en rien arrangé de la distance qui existe entre les communautés de différentes races. Les “clusters” communautaires sont toujours visibles.

Il est vrai que le quota de couples mixes aux USA est bien en hausse de nos jours. Pourtant, la diversité raciale reste assez exclusive à certains milieux, plus visible notamment dans les milieux intellectuel ou affluent, où les gens semblent s’accepter plus facilement, en fonction du poids du cerveau ou du porte-feuille. On retrouve un certain mélange ethnique aussi au bas niveau de l’échelle sociale. Par exemple dans le Bronx à New York, les communautés noires, notamment africaines, et hispaniques s’entassent dans les logements à bas prix, et vivent en plus ou moins parfaite harmonie. Evidemment, le manque de moyen ne laisse pas beaucoup de choix, et dans le malheur on se sert les coudes ! Restent alors les classes moyennes de l’Amérique dite profonde, où la mixité des communautés est quasi-inexistante. Là, les blancs et les divers groupes ethniques se côtoient, sans jamais vraiment apprendre à se connaître, pour éventuellement se comprendre, et s’accepter. Snobisme ou simple xénophobie? Difficile à dire. Mais à en croire le débat houleux sur la question d’acceptation raciale ces derniers mois, exacerbé sans doute du fait de la couleur de peau des présents locataires de la Maison Blanche, il est clair que l’Amérique n’a pas encore fait la paix avec sa conscience.

N’en disconviennent certains de ses détracteurs de l’extrême droite, qui cherchent toujours à lui discréditer sa nationalité américaine, Barack Obama est bien le produit de cette Amérique, de plus en plus métissée, mais toujours stratifiée, et qui se cherche une nouvelle identité. Cette Amérique qui voudrait enfin passer à autre chose, au lieu de retrouver des séquelles de la ségrégation dans tout acte connoté de tension raciale. Celle qui voudrait oublier son lourd passé d’esclavagiste mais se le voit rappeler à chaque coin de rue, à chaque coup de force entre policier blanc et jeune noir. Celle qui cherche à faire la part des choses en matière de justice, mais ne trouve pas encore le juste milieu. Chaque incident semble lever le voile sur cette rancune qui existe entre blancs et noirs depuis l’époque ségrégationniste, qu’on voudrait croire révolue.

L’esclavage et la ségrégation raciale de son passé continuent donc de faire ombre sur cette terre, comme la trace d’une plaie difficile à cicatriser, malgré tous les grands remèdes utilisés. Une enquête récente montrait du doigt les grands studios de Hollywood, parmi les mauvais élèves des «equal opportunity employers », du fait de ne pas promouvoir un plus grand nombre d’acteurs noirs de haut niveau. Et pourtant c’est dans cette même année 2014 que Lupita Nyongo’o, jeune actrice novice, africaine de surcroît, s’est vue décernée un Oscar, pour son rôle dans 12 Years A Slave. Oui, encore l’esclavage ! Et coïncidence des coïncidences, c’est une demi-compatriote de Barack ! Qu’on en déduise ce qu’on voudra mais moi je ne crois pas beaucoup au hasard. Le destin, oui, j’y crois ! Voilà deux êtres qui en un rien de temps sont devenus des symboles pour tout un peuple, pour tout un monde. Barack et Lupita nous font rêver et nous donnent l’espoir d’un avenir racial meilleur, en jouant le beau rôle qui leur est destiné. Mais le destin de l’Amérique lui doit s’écrire et se jouer par plus de 300 millions d’acteurs.

Alors les américains se démènent pour se redéfinir, et enfin atteindre le moment où chacun, noir, blanc, métisse, ou autre immigrant, pourra se comporter sereinement, sans regarder de toutes parts, pour s’assurer de l’œil bienveillant de son voisin. Barack Obama aura fait de son mieux dans cet effort, et Lupita y aura donné un coup de pouce. Cependant, même si le monde s’est créé entre un homme et une femme, il faudra un plus grand nombre d’hommes et de femmes pour créer cette nouvelle conscience américaine. Il est évident que deux cents ans du rappel constant des vestiges de l’esclavage ne peuvent être enrayées par 6 ans dans une Maison Blanche, si puissante soit-elle, et encore moins par quelques semaines en couverture de Vogue ! Il faudra donner encore plus de temps au temps!


Droit de passage

TransparenceetpochesBientôt les vacances et beaucoup d’entre nous se préparent pour des destinations proches ou lointaines. Certains, billets en poche, trépident d’anticipation avec le regard tourné vers la terre natale, en Afrique. Pour ces derniers chanceux qui vont bientôt avoir la chance de retrouver la chaleur africaine, la bonne cuisine, les amis, et toute la grande famille, une étape incontournable devra être franchie: le passage par la douane de l’aéroport. Là où il faudra faire face à la phrase habituelle : «Il faut faire quelque chose !» Et oui, c’est la phrase magique pour laquelle la bonne réponse (quelque billets furtivement glissés dans les mains de qui-de-droit), permettra de passer tranquillement outre la marée humaine de fonctionnaires et de vacanciers, pour se laisser happer par la bouffée de chaleur qui nous confirme que nous sommes enfin arrivés au bercail.

« Il faut faire quelque chose », « do something, sista », « il faut payer le café », ce sont des phrases quasi-panafricaines ! Je les ai entendues à Lomé, à Accra, à Abidjan, à Cotonou, et beaucoup témoigneront en avoir entendu d’autres versions partout ailleurs sur le continent. D’aucun dénonceront un phénomène de corruption généralisée, mais moi je l’appelle simplement « instinct de survie », ou « faire avec les moyens du bord ». Pourquoi reprocher à quelques fonctionnaires de chercher des moyens d’arrondir une fin de mois souvent difficile ? D’ailleurs, il faut bien l’avouer, dans certains cas ces transactions nous facilitent bien la vie. Nous sommes tous coupables, à divers degrés, de complicité de corruption, et nous ne nous en plaignons que lorsque nous ne nous y attendons pas. Un ami ghanéen crie haut et fort qu’il ne pourra jamais vivre à Accra à cause de cet atmosphère de corruption organisée, selon laquelle il faut graisser mille et une pattes dans les services administratifs pour obtenir gain de cause : passeport, carte d’identité, titre foncier, etc. Je le comprends mais je comprends aussi le camp adverse. Les réalités sont dures sur le terrain, et c’est souvent la loi du plus fort, le plus fort étant celui qui a le bras le plus long et ose le tendre !

Le phénomène étant ce qu’il est, il faudrait donc partir préparé. D’abord, ne pas arriver avec des airs de conquérant. Le système est solide et a fait ses preuves. Inutile d’invoquer X ou Y bien placé, ou de menacer d’aller se plaindre aux autorités! D’ailleurs avec la température du hall de l’aéroport l’effort demanderait une double dépense d’énergie. Plutôt s’armer de patience et quelques billets d’avance (attention, un dollar ne vaut rien dans ce milieu, 1 euro peut passer, et encore !). Prévoyez-vous si possible quelques billets de monnaie locale. Une fois sur place, identifiez l’agent stratégique. Celui qui a le pouvoir de vous faire passer rapidement, et non un quelconque opportuniste qui ne vous obtiendra qu’une attente supplémentaire devant le-dit agent stratégique. Ne vous énervez devant les questions loufoques du genre, « la boîte de chocolat là c’est pour moi, non ? » ou « 2 ordinateurs pour vous seul, et nous alors ? ». Engagez une petite conversation, et souriez abondamment, autrement les plaisanteries et ricanements d’en face ne feraient qu’augmenter, vous mettant les nerfs à decouvert. Surtout soyez discrets, pas la peine d’ameuter des regards envieux. Une fois la transaction terminée, ramassez vos affaires, remerciez une fois de plus, et avancez dignement. Voilà, vous en avez fini avec cette étape, jusqu’au jour du départ ! Inspirez-vous de cette expérience tout au long de votre séjour, en cas de besoin dans d’autres services administratifs. Bonne chance et bonnes vacances !


Conte de l’Oncle Sam : voyage au bout de la « DV Lottery »

Uncle SamL’autre rêve américain

Il était une fois un pays grand comme pas possible, mais bien réel, qui voyait tout en grand. Il y avait plein de grandes villes, aux grandes avenues, aux grands immeubles. Les habitants aimaient y vivre en grand aussi, et dans le reste du monde beaucoup rêvaient de faire comme eux. Le pays, appelons-le, États-Unis d’Amérique, se voyant si aimé et convoité, a voulu donner une chance à tous ces petits citoyens du monde qui voulaient les rejoindre. Ce grand pays était d’ailleurs historiquement composé d’immigrants, certains venus de gré, d’autres un peu moins. Quoi de plus naturel donc que de perpétuer la tradition.

Le pays a donc instauré en 1990 un système de loterie, la « Diversity Visa lottery », ouverte à la plupart des petits citoyens du monde. Depuis lors, de milliers de ces petits citoyens ont choisi de rejoindre les grands citoyens du grand pays. On recense dans un petit pays africain de la côte Ouest, qu’on appellera Togo, un très grand nombre de petits citoyens, qui ont pris la décision de laisser derrière eux leur petite vie. Ils sont partis, sacrifiant emploi décent, vie familiale, habitation acquise de longue haleine de traites bancaires, pour rejoindre ce qu’ils espéraient : une grande vie. Comme eux, le citoyen moyen décide de partir lui aussi, sans trop se soucier de l’inconnu de la vie dans le grand pays, et des obstacles potentiels : difficulté de communication, même avec l’anglais du secondaire remis à niveau, difficulté d’adaptation culturelle, sociale et professionnelle, et surtout grand mal du petit pays !

Néanmoins, le petit citoyen moyen n’est pas inquiet. Il verra bien une fois sur place, il s’adaptera. Mais avant, il faut traverser la rivière du long processus de l’obtention du visa d’immigrant. Deux ans d’échange de paperasserie pour arriver au bout de la procédure. Celle-ci commençait avec l’annonce des dates de la loterie par les autorités du grand pays, suivie de l’envoi du dossier avec la bonne photo, le bon diplôme, la bonne expérience, qu’il faut soumettre dans le bon délai. Puis on attend quelques mois. Enfin le citoyen moyen est sélectionné ! Après les procédures administratives, dont on passera les détails, mais résumera comme étant digne du grand pays, le citoyen moyen arrive enfin sur l’autre berge de la rivière de papiers. Le grand voyage peut commencer. Enfin, une fois que le souci financier est réglé. Alors il racle les fonds, brade tout ce qui est vendable, et met la clé de la petite maison en hypothèque. Cette fois, c’est vraiment le grand départ. Ah, c’est toute la famille, le quartier, le village même, du petit citoyen moyen, heureux élu, qui dansent de joie. Quelle chance de partir vers le grand pays, et de faire partager ce bonheur à d’autres, à tous peut-être, plus tard.

La tête pleine de grands rêves le petit citoyen arrive dans le grand pays. Les yeux grands ouverts, il est comme transporté sur une autre planète, il découvre un nouvel univers qu’il ne pouvait imaginer dans ses rêves les plus fous. Il est arrivé dans l’une des plus grandes villes du grand pays, qu’on appellera New York, et là « stupeur et tremblements », dans les mots d’Amélie Nothomb, suivi de dépaysement ! Quelques jours après l’arrivée, le petit citoyen devenu immigré reprend doucement conscience. Il retombe les pieds un peu plus sur terre, fait d’autant plus facile qu’il se retrouve à dormir sur un matelas à même le sol, que le cousin qui l’héberge a bien voulu mettre à sa disposition. Ah oui, le pays a beau être grand, le cousin n’en détient qu’un tout petit coin, qu’il a bien voulu partager avec lui pour quelques mois, le temps de trouver un emploi et un logement. Mais attention, il faut faire vite, le cousin a de la patience, mais la patience a ses limites !

Vite donc, il faut régulariser les papiers, trouver un travail. Tant pis si son anglais ne fait le poids, l’immigré moyen va se débrouiller avec. Il se décarcasse et trouve un emploi. Parlant de son diplôme universitaire et de ses vingt ans d’expérience passés à la banque dans son petit pays, il a pu convaincre son nouvel employeur que sa place était bien derrière le guichet. Tant pis si c’est celui d’une station d’essence. Il trouve un appartement dans un grand quartier, qu’on appellera le Bronx, connu dans le monde entier, et qui donne de ses nouvelles régulièrement. Tant pis si ce n’est pas toujours de celles que le petit immigré voudrait que sa petite famille au pays entende aux informations de 20 heures. Ce qui importe c’est qu’il peut enfin abandonner le plancher du cousin, dormir dans un grand, enfin moyen, lit et vivre sa grande vie! Commence alors sa grande-petite vie, dans le grand quartier, de la grande ville, du grand pays. Avec un petit peu de chance, il y vivra plus ou moins heureux, longtemps, avec la petite famille qui le rejoindra, et s’agrandira avec de nombreux membres, petits et grands.

Ceci est un conte, et non une fable, mais il y a quand même une morale : « Nul n’est prophète en son pays », soit, mais il fait parfois meilleur vivre chez soi.


Les hommes aux fourneaux, une espèce en voie de multiplication

Crédit photo: D. Danklou
Crédit photo: D. Danklou

De l’éducation de l’homme 

Je crois pouvoir affirmer au de nom de mes compatriotes togolaises et, allons plus loin, africaines, que faire la cuisine reste le talon d’Achille de bon nombre de nos concitoyens. Une petite note personnelle tout même. Je reconnais que je fais partie des femmes « chanceuses », dont le mari aime faire la cuisine, et il est très doué de surcroît. J’ai également dans mon entourage un couple qui respecte un partage équitable du travail. L’homme, excellent cuisinier, accepte de s’occuper des tâches ménagères, quand sa femme s’occupe de la cuisine, et vice-versa. Mais l’exception reste la norme en matière de participation aux activités ayant trait aux casseroles, chez l’homme togolais, africains, et allons jusqu’au bout, l’homme en général !

Le 21e siècle a bien évidemment ouvert le débat du rôle de l’homme dans le couple, particulièrement en ce qui concerne la gestion des tâches ménagères. Dans le monde développé, on voit de plus en plus d’hommes partager les responsabilités qui, il y a quelques décennies, étaient réservées exclusivement à la femme. Certains «super hommes» allant jusqu’à opter pour une carrière d’homme au foyer ! Cependant le fourneau semble toujours rester une sorte de chasse gardée des femmes, volontairement ou non. On se demande alors pourquoi l’explosion du nombre de grands chefs gastronomiques de par le monde, montrant bien une aptitude des hommes à la perfection de talents culinaires, ne s’est pas traduite dans la vie quotidienne. Pourquoi ces messieurs n’acceptent pas de mettre la main à la pâte davantage.

Il y a encore et toujours les préjugés classiques. Mon mari, tout parfait cuistot qu’il est, a tout de même ses soubresauts récalcitrants. Et à ces moments-là, clame qu’il n’est pas génétiquement programmé pour faire la cuisine tout le temps. Les membres masculins de ma famille, certains mariés localement, d’autres à des étrangères ont tous la même attitude lorsqu’il s’agit de prendre les devants aux fourneaux. Un cousin explique : « On peut contribuer au besoin, quand la femme est malade, ou indisposée pour une longue durée, par exemple quand elle est enceinte. Mais c’est hors de question de le faire systématiquement ». Au-delà des idées reçues, il y a aussi les stigmates de chez nous. Un homme qui fait la cuisine tout le temps a soit été « envoûté » par sa femme, ou est une faible nature. Et attention à la belle-mère qui verra son fils avec une spatule à la main quand sa femme ne fait que la vaisselle à côté. Chez nous au pays, où les mœurs changent à une allure réduite, les hommes peuvent laver les enfants mais la cuisine, c’est un autre monde !

Il y a aussi les réalités logistiques. L’homme travaille souvent plus avec des horaires plus chargés et rentre souvent tard. La moindre des choses est pour lui de rentrer trouver son dîner au chaud. Mais qu’en est-il du couple où la femme travaille autant, sinon plus, que le mari ? Qu’en-est-il des femmes qui voyagent souvent ? Une collègue dont le mari refuse catégoriquement de cuisiner est obligée de préparer de la nourriture pour lui et les enfants, longtemps à l’avance et en grande quantité pour leur permettre de survivre lorsqu’elle s’absente pour une longue durée. Ce même mari est aux petits soins pour les enfants, mais réfute l’idée de faire la cuisine. Simplement parce qu’il n’a pas été éduqué ainsi.

Ce qui nous emmène alors à la question de l’éducation, celle transmise par nos parents versus celle que nous acquérons par nous-mêmes dans notre démarche de «self-improvement». Il est clair que beaucoup de nos hommes africains ont appris dès la petite enfance que la femme règne aux fourneaux. C’est une image qui reste ancrée dans leur mémoire. De même que celle du papa qui écoute la radio, ou regarde la télé au salon, lorsque la maman rentrée précipitamment de son travail ou du marché se dédouble, avec l’aide d’une aide ménagère ou non, pour présenter un repas en un temps record. Je me rappelle de l’anecdote d’une amie qui raconte que son père pouvait même se plaindre de la température du « Akoume » (pâte de maïs traditionnelle) si celle-ci n’était pas à un degré compatible avec la sauce accompagnatrice. Il va sans dire qu’un garçon qui a évolué dans un tel environnement est conditionné à vie. Et il faut un véritable travail de fond pour renverser les attentes.

Chose difficile, mais pas impossible. Ici entre en jeu le rôle de l’éducation personnelle, perpétuellement remise en question. Celle qui évolue selon les tendances et les besoins, et permet alors de changer les comportements. Grâce à elle, bon nombre de nos compatriotes ont pu faire face aux réalités du terrain. A leur arrivée en Occident, beaucoup ont été confrontés à une vie de célibataire. On a vu alors des hommes qui au pays n’avaient aucune notion culinaire, très vite se réinventer pour apprendre à faire la cuisine, et dans le cas de mon conjoint, à l’apprécier. Ces hommes ce sont nos frères, nos cousins, nos maris, qui ont pris la sage décision de s’adapter et aujourd’hui font bénéficier de cette « self-education » à leur conjointe. Ces deux versions de l’homme éduqué traditionnellement et transformé existent bel et bien dans notre diaspora aux Etats-Unis. Le premier résiste toujours et ne veut pas fournir l’effort requis de chaque partie au couple pour une harmonie de la vie conjugale. Le dernier s’est adapté et accepte le nouveau rôle de l’homme, qui n’est pas celui de se transformer en fée du logis, ou de surpasser la femme dans son domaine de prédilection, mais de la seconder régulièrement, et de la remplacer en cas de force majeure. Notre environnement demande une multiplication de cette deuxième espèce.

Les femmes ont, elles aussi, un rôle primordial à jouer pour conforter cette transformation. Au lieu de nous cantonner dans un silence rancunier ou d’avoir recours au chantage affectif quand l’homme ne participe pas, pourquoi ne pas l’engager subtilement, sans stress. Je ne demanderai jamais à mon conjoint de s’occuper du dîner quand je sais qu’il y a un match de foot à la télé. Je sais faire la différence entre le besoin de le voir impliqué (si je dois rentrer tard du travail) et le désir de le voir cuisiner (soit parce que je n’en ai pas envie ou parce que le plat en question est sa spécialité). Il faut trouver le juste milieu quant à nos propres attentes. Il y aura bien sûr des frustrations de part et d’autre, mais nous devons cultiver un nouveau pouvoir de conviction. Pour cela, je vous réfère à ce texte homme aux fourneaux, femme au repos qui donne quelques conseils amusants et judicieux.

Je finirai en nous rappelant que, bien qu’il fût long et escarpé, ce chemin parcouru depuis l’époque où demander à un homme de faire le marché était un sacrilège, nous l’avons parcouru. Il faut entamer une nouvelle route, un nouveau chemin de croix pour généraliser la tendance de l’homme habile et fier à la cuisine. Il en va de la survie du couple, mais également de l’actualisation de l’éducation transmise à nos enfants, à nos fils. L’image de l’homme au contrôle de la gazinière à côté de sa femme pourra alors un jour remplacer celle du maître de la télécommande attendant d’être servi.


Francophones de tous les pays, Exprimons-nous !

Crédit photo: www.francedc.org
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Il y a quelques mois, alors que j’attendais impatiemment le lancement du concours Mondoblog 2014 pour tenter ma plume, je forçais mon projet à l’oreille de tous mes proches, et même de ceux qui ne voulaient l’entendre. Un ami de ce dernier lot me remet alors vertement à ma place, me demandant d’où venait ce besoin pour moi d’initer un blog en français. Je vivais aux Etats-Unis depuis près de 20 ans, je parlais couramment anglais, je l’écrivais plutôt bien. Pourquoi donc perdre mon temps à écrire dans une langue qui pour lui était devenue inutile, et surtout synonyme d’aliénation à la France ? Connaissant mon ami je n’ai pas voulu me lancer dans un débat qui nous fâcherait forcément, et j’ai donc préféré donner des arguments du bout des lèvres. Et pourtant j’en avais gros sur le cœur, et je profite de sa probable non-souscription à mon blog pour revenir sur la question.

En fait le français et moi, c’est une longue histoire d’amour. J’ai passé mon enfance en France, et depuis lors j’ai adoré parler français. De retour chez moi au Togo, j’étais de celles qu’on catégorisait comme  « chocobitantes », du fait  de mon accent made in banlieue parisienne,  et je garde à travers le français une certaine nostalgie de mes années d’adolescente. Mon ami est un dur à cuir en matière politique, surtout lorsqu’il s’agit de la France et de ses rapports avec ses anciennes colonies. Selon lui, (et il n’est pas seul adepte du French bashing africain, cf. notre billet Bouc Emissaire)  mon attachement au Français et par extrapolation à la France ne mène nulle part. Je devrais plutôt me tourner vers l’anglais, la langue du futur ! Euh, non merci, je dis. Enfin, pas que. Pour moi le français est tout aussi important que l’anglais dans ma vie d’aujourd’hui, et peut être encore plus maintenant, du fait que ne je le parle plus quotidiennement. Je me sens d’ailleurs coupable de non-transmission d’héritage culturel à mes enfants, du fait de ne pas privilégier leur apprentissage du mina, ma langue vernaculaire, favorisant plutôt le français qu’ils parlent couramment (cf. notrebillet Langues »).

J’imagine déjà les yeux qui roulent de quelques compatriotes, y compris ceux de mon cher ami s’il tombe sur ce texte par hasard. Voila une assimilée de plus, qui ne fait pas son devoir de mémoire pour reconnaître que le français est une langue qui a été imposée aux africains, et que par essence nous ne devrions pas promouvoir, maintenant que nous avons le choix. Encore une fois, pas d’accord. J’avoue que je ne suis pas une experte en faits coloniaux. Pourtant je comprends que le « diviser pour mieux régner » était une stratégie plutôt payante à l’époque coloniale, et le rendement en Afrique a été des plus satisfaisants. En découpant le continent dans tous les sens, les colons ont réussi à éclater les grands groupes ethniques pour les affaiblir. Des clans qui n’avaient rien à se dire se sont alors retrouvés face à face, et ont dȗ s’engager sur la route de la tolérance et de l’acceptation de l’autre, en apprenant d’abord à communiquer, notamment à travers la seule langue commune, celle du colon.

N’exagérons rien vous me direz, ce n’était pas quand même pas une bénédiction divine cette langue. Soit. Imaginons que nous n’ayons pas eu de colons en Afrique, nous aurions sûrement continué notre petit bonhomme de chemin, et peut-être serions-nous deux fois plus en avant ou deux fois plus en arrière aujourd’hui, nul ne le sait. Mais imaginons que nous ayons eu les colons, qu’ils nous aient divisé, puis qu’ils nous aient laissé nous débrouiller pour communiquer ! Je peux entendre d’ici la cacophonie des dialectes, suivie d’échanges de coups de poings pour mieux renforcer les messages difficiles à passer autrement. Nul ne sait non plus où nous serions arrivés, mais qu’on se le rappelle la Tour de Babel n’a pas fait long feu ! Il a donc fallu s’adapter avec ce qu’on nous a laissé, et aujourd’hui le français nous unit, même si nous sommes toujours sur le chemin ardu, jonché d’incompréhension. A défaut de nous comprendre, nous pouvons au moins nous entendre, grâce à notre langue officielle, le français.

Actuellement on compte plus de 220 millions de francophones à travers le monde. Ce n’est rien du milliard et demi d’anglophones, mais ce ne n’est pas rien. Sans surprise la plus grande partie de francophones se retrouve dans les anciennes colonies françaises. Mais le français trouve de plus en plus d’adeptes dans les enclaves anglophone, notamment ici aux USA. Oublions les années Bush fils quand les frites « French fries »,  ont été renommées « Freedom fries » suite au refus de la France de prendre part à l’invasion de l’Iraq. De nos jours, le French loving is back! Au delà de la cuisine, de la culture, du Paris ville de l’amour aux mœurs imaginés comme légers et confortés par les récents fracas à l’Elysée, c’est la langue française que les américains aiment et vous le montrent avec des regards admiratifs en vous entendant l’énoncer. Ah oui, j’avais oublié de préciser : chocobitante  j’étais, chocobitante, je demeure. Que voulez-vous, quand on aime, on se donne à fond! Alors chers amis francophones, laissons parler dans leur langue de choix ceux qui cherchent querelle, et acceptons le français pour ce qu’il est dans nos vies, une richesse culturelle, un tunnel de communication devenu intercontinental, un porte-voix de plus pour faire écho à nos pensées et idées au delà de nos frontières. A bon entendeur et beau parleur, bien le bonjour !



Douce France, Pays de mon Enfance, Symbole de tous nos Maux

Crédit photo: https://www.newgaso.fr
Crédit photo: https://www.newgaso.fr

Ah c’est bien la faute aux Français si on en est là aujourd’hui! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la moitié (restons prudente, je sais que c’est plus que ça) de mes compatriotes au Togo, et un peu partout sur le continent africain. Le bouc émissaire français a fait ses preuves. Plus de 50 ans après les premières indépendances, sa réputation continue de lui succéder partout où les coups d’État ou autres scandales politiques font rage. Tiens, pas plus tard que la dernière fois, il a encore fait parler de lui au Burkina Faso. On lui reprochait de continuer à tirer sur la ficelle, tel un cordon ombilical qui n’a jamais été coupé.

Pauvre brougre de bouc! On lui colle tous les maux, et on fait appel à lui dès que rien ne va plus. Bien sûr, il a plutôt beaucoup sur la conscience. Mais il est aussi victime du dicton “qui vole un œuf…”,  et toute sa panoplie de victimes au fil des ans ont fini par faire de lui un voleur de bœuf. 50 ans c’est beaucoup dans la vie d’un homme, que dire dans celle d’un bouc! Tant de temps et d’occasions pour faire parler de lui, à travers ses agents provocateurs, suivez mon doigt vers Denard, Faulques, Pasqua, Verges, et j’en passe, juste pour faire des jaloux dans les coulisses diplomatiques de la France-Afrique de l’époque. Tant de suppôts du bouc qui ont eu droit à leur place au soleil africain ces dernières décennies, et qui ont su profiter de leurs positions d’influence, se balançant plein d’assurance sur le cordon entre Paris et ses anciennes colonies en mal d’amour maternel. De nos jours, ils sont disparus ou oubliés de la conscience publique, pour la plupart, mais le bouc lui on le garde à l’œil.

Pourtant on dirait qu’il est en fin de carrière. Ce n’est pas que moi qui le dis, Mr.  Hollande lui-même l’a confirmé. Que diable si nos compatriotes et moi nous refusons à l’évidence, la métropole ne veut plus de nous. Enfin pas comme nous nous voulons d’elle. Ce n’est pas qu’elle ne nous aime plus; c’est que notre relation, tel un mariage de convenance, est arrivée au point de stagnation. Il faut l’accepter, quand on n’a plus rien à offrir dans un couple, il vaut mieux se séparer. Mais il faut le faire dans de bons termes quand même. Après tout, le français c’est une belle langue qu’il ne faut pas laisser disparaître. C’est d’ailleurs une question de sauvegarde du patrimoine mondial. Pour le reste, les facilités d’immigration et les interventions militaro-politiques (sauf en cas de force Jihadiste, bien sûr), c’est fini! Le cordon est coupé de l’autre côté, et on n’a qu’à se débrouiller pour s’en détacher! Que faire alors d’autre que de le traîner un peu partout sur le continent, du désert du Sahel aux côtes ouest-africaines. Ne sachant pas trop dans quelle direction se tourner, on ne peut s’empêcher d’empêtrer les pattes du bouc de temps en temps, en attendant de trouver la main secourable qui voudra bien nous en débarrasser pour de bon, ou mieux encore, le reconnecter ailleurs. Main chinoise, en veux-tu? En voilà!


Pour l’amour de FB! Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie…moi non plus

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Qui « aime » bien sur FB, châtie mieux partout ailleurs

Belle surprise hier de tomber sur un ancien collègue qui a déménagé à l’autre bout du monde, avec qui j’ai gardé un certain contact à travers sa page Facebook. Sans trop me rappeler lequel de nous deux a initialement offert son amitié facebookienne, je le comptais parmi mes « amis » et offrais régulièrement mon approbation, mon « like », à ses photos, et il me rendait la pareille, comme le requiert le protocole de réciprocité du monde de FB. Le voir en chair et en os était pour moi un réel plaisir, d’autant plus que je l’avais toujours trouvé l’un des plus sympathiques de l’équipe de technocrates trop sérieux.

Tout naturellement je lui offre mon plus grand sourire, me retenant à peine de lui ouvrir mes bras, arrêtée de justesse par sa main tendue que je lui serre, à défaut du corps tout entier. Son attitude distante ne me perturbe pas outre mesure, et me voilà l’inondant de questions sur sa nouvelle vie aux antipodes, sa famille, ses hobbies, tous devenus familiers à travers ses multiples photos régulièrement postées sur sa page FB. Il me répond à demi-mot, comme gêné, soit de la présence des deux autres passagers de la cabine, ou tout simplement du fait que ces cinq dernières années passées loin de notre monde ont fait de lui un étranger, une nouvelle personne qui ne comptait pas retourner dans sa peau d’ancien collègue. Arrivé à son étage, il me lance un signe de tête et s’échappe, me laissant là, dépitée et bouche bée. Dès mon retour au bureau, la première chose que je fais, c’est de me connecter sur FB pour vite le « unfriend ». Et vlan ! S’il ne voulait pas de mes égards en personne, il n’en aurait plus droit dans le monde virtuel !

Cet épisode ira bien sûr conforter les arguments de la masse de rabat-joies qui fustigent FB pour la superficialité des supposées amitiés qu’on y entretient. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je tombe sur un « ami » avec qui j’ai des échanges plus ou moins réguliers sur FB, qui une fois en présence me saluerait d’un geste furtif de la main. Il est clair que beaucoup de mes presque 300 « amis » de FB ne sont pas des amis traditionnels. Si j’enlève mes frères et sœur et leurs conjoints, et la multitude de neveux, nièces, cousins, cousines, tantes, oncles, et autres membres distants de ma famille, il me resterait sans doute moins de la moitié, dont je discernerais à peine une cinquantaine de vrais amis, toutes catégories confondues (d’enfance, d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui). Resteraient alors la centaine de connaissances, certains réellement connus, d’autres acceptés au hasard d’un clic généreux, ou simplement parce qu’ayant plus de cinq amis en commun (un stress-test que recommande une amie, une vraie du monde réel, qui adopte cette règle dans le cas où elle ne reconnaîtrait pas un proche d’antan, et lui dénierait par erreur une place dans son lot d’élus!).

Revenons à mon vrai-faux ami de l’ascenseur. Il faisait donc partie de mon lot de connaissances; nous avions travaillé dans la même division, mais pas gardé des vaches ensemble! Je pensais le connaître à travers FB, m’octroyant le droit de l’accoster gaillardement après cinq ans d’absence. Notre incartade de l’ascenseur prouve bien que ce n’était pas le cas. Je devrais pourtant savoir, moi qui choisis soigneusement quelles photos poster sur ma page FB, que la censure personnelle est appliquée par tout un chacun, ne montrant que ce que l’on veut bien montrer, les poses flatteuses, les beaux voyages, les situations ambiguës quand elles nous arrangent, ou prises sans ambiguïté. Impossible donc de vraiment connaître quelqu’un à travers les clichés de FB, malgré la fausse impression de familiarité que ces tranches de la vie des autres nous procurent. Et pourtant j’étais troublée par son indifférence, et l’incident m’a fait remettre en question mon lot de vrai faux amis de FB. Pendant un moment, pleine de regret de ne pas pouvoir récupérer tous les « like » passés que j’ai offert à l’ingrat de l’ascenseur, et armée de mon désir de vengeance, l’idée m’a effleurée de faire le tri pour revoir le chiffre à la baisse. Mais ce n’était que l’espace d’un instant. Pourquoi réévaluer un choix du passé ? Une autre idée bien plus innovante, avant-gardiste je dirais même, a pris forme.

Je propose donc une nouvelle grille de notation pour les photos sur FB, parce que la seule option du « like » ne fait plus mon affaire. C’est un anglicisme dangereux, doublé d’un faux ami ! Au lieu donc du simple « like », de l’unique pouce vers le haut, je propose trois grandes catégories. Le « like », il restera, mais c’est pour quand on aime vraiment. Viendrait ensuite, le «vu» telle la notation laconique d’un enseignant dans la marge du cahier de devoir, en dépit des efforts de l’élève qui espérait une bonne note pour en rattraper quelques mauvaises reçues par le passé. Je proposerais même un « vu et approuvé », au besoin, pour montrer qu’on est en faveur de la scène sans pour autant « aimer » les protagonistes. La troisième catégorie serait le « oui, et alors ? » pour montrer qu’on a vu, qu’on n’approuve pas, qu’on aime encore moins, mais on se pose quand même la question de savoir pourquoi cette photo mérite quelque notation que ce soit. Je ne voudrais pas compliquer (envenimer) les choses en osant proposer, un « bon, passons à autre chose » mais qu’est-ce que j’aurais aimé avoir eu cette option, pour l’avoir utilisé au moins une fois, juste après mon aventure de l’ascenseur !