Djifa Nami

LeBron, la Brute et les rôles pas si modèles

Crédit Photo: Camgt.org
Crédit Photo: Camgt.org

Il y presque 3 décennies de cela, alors que j’étais jeune adolescente impressionnable, la vie des immigrés était quelque peu différente, mais les efforts de réussite scolaire étaient tout autant exigés. Il fallait étudier deux fois plus que mes camarades d’école. J’étais assez studieuse, mais je n’étais pas venue en France pour me reposer sur mes lauriers. Et mon oncle chez qui je vivais l’époque, paix à son âme, ne ratait pas une occasion pour me le rappeler. Il faut bien travailler à l’école », me répétait-il, reprenant régulièrement l’exemple d’un certain Agblemagnon, qui selon les dires de mon oncle aurait été un grand intellectuel togolais, peut-être même le premier agrégé du Togo. Ce n’est qu’un « on-dit », et je demande à qui que ce soit parmi vous chers lecteurs, qui aurait une meilleure version, de remettre ce factoid sur le droit chemin !). Bref le rôle modèle en chef était Agblemagnon, et tant pis si je ne savais pas à quoi il ressemblait ou s’il n’avait même jamais existé !

Vingt ans plus tard me voici maman de deux garçons, moins impressionnables que je ne l’étais à leur âge il est vrai. Et en fait de rôle modèle, je n’ai pas vraiment eu le privilège de leur en imposer. Les médias s’en sont chargés. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, en vantant régulièrement les mérites de personnalités aux exploits académiques, tel le récent prix Nobel d’économie Jean Tirole, ou le jeune Kwasi Enin, Ghanéen de 17 ans qui a été accepté par 8 des plus prestigieuses universités américaines, les fameuses Ivy League. Mais aucun intérêt de la part des miens.  Sur leur liste, figure en tête LeBron James, suivi de près par Cristiano Ronaldo, Kanye West, Pharrel Williams, Stromae, etc. Bref, vous voyez où je vais. Je n’ai rien contre eux, ils sont sympathiques tous autant qu’ils sont, et souvent méritant de ce succès qui les couronne. Que faire d’un Agblemagnon ou d’un prix Nobel devant un tel lot. Rien. Ou plutôt, s’adapter. J’ai donc du faire avec la concurrence, en cherchant toujours à relativiser. En parlant, par exemple, des victoires du Miami Heat (équipe de basket où LeBron jouait précédemment), autant que de leurs défaites. Kanye West a un talent certain, mais c’est un mégalomane je dis souvent, suivi de la question « maman, c’est quoi un mégalomane ? »  «  C’est difficile à expliquer, mais ce n’est pas bien ». Voilà donc où j’en étais jusqu’à récemment quand le gros morceau m’a été offert sur un plateau, en la personne de Ray Rice.

Si vous ne savez pas qui est Ray Rice, ne vous inquiétez pas. Estimez-vous même heureux d’avoir échappé au matraquage des médias américains ces dernières semaines, avant que la psychose d’Ebola ne les appelle ailleurs. Ray Rice, héros local dans notre communauté non loin de Baltimore, grand joueur du sacro-saint football américain, a défrayé la chronique cette fin d’été quand, au grand dam du public, et encore plus de son club le Baltimore Ravens et de ses sponsors, on révèle une vidéo dans laquelle le grand Ray donnerait des coups à sa fiancée, devenue sa femme depuis lors. Ah Ray Rice ! Quelle affaire terrible ! Terrible pour sa famille (tragique pour sa femme qui après coup (et coups) doit faire bonne figure et prendre sa défense pour sauver leur face, et sûrement aussi, leur compte bancaire), terrible pour les supporters du club, terrible pour la réputation des dirigeants de la ligue de football américain qui auraient peut-être préféré étouffer l’affaire. Pour moi, une opportunité.

Opportunité de montrer le revers de la médaille de ces rôles modèles éphémères que les médias font aduler à nos enfants.  Et quoi de plus agréable que de m’abattre sur un batteur de femmes !  Me voilà donc décortiquant le personnage, pour étaler son caractère égocentrique et mauvais joueur. Et oui, le malheur des uns, fait un peu quand même l’aubaine des autres. C’est un être humain vous me direz, et il a droit à l’erreur, comme nous tous. Et ce n’est pas de sa faute si la presse l’a fait passer pour un demi-dieu, subjuguant de jeunes garçons innocents dans la foulée, pour le laisser retomber en fracas après sa faute. Mais en matière de violence aux femmes, violence tout court, il n’y a aucune excuse. Ray Rice est donc descendu du piédestal, et le maillot à 45 dollars avec son numéro inscrit derrière qu’on aurait pu me forcer à acheter, oublié ! Voilà, un rôle modèle indésirable de moins! Mais la liste est longue, et un de perdu, c’est une centaine derrière. La lutte continue.


Malala et Le Prix du Futur

Crédit Photo: Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
Crédit Photo: Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

Il y a un an, les rumeurs allaient bon train. La jeune Malala Yousafzai, victime des Talibans dans son Pakistan natal, devenue malgré elle un symbole mondial de courage et de détermination, était en tête de liste pour le prix Nobel de la Paix. Non seulement pour son activisme en faveur de l’éducation des jeunes filles, mais certainement aussi pour avoir esssayé de faire face aux extrémistes. A l’époque, après avoir subi maintes opérations chirurgicales dans un hôpital londonien, elle sortait enfin de l’ombre et faisait découvrir au Monde son visage changé , porteur d’espoir et témoignage de sa force de volonté, et de son courage. Les organismes internationaux se l’arrachaient. Je venais juste de la voir lors d’un discours au siège de la Banque Mondiale à Washington. Une jeune fille impressionnante!

Il n’était donc que suite logique qu’elle soit considérée pour le prix ultime de reconnaissance qu’est le Nobel de la Paix. Mais au bout du compte, la consécration n’eut pas lieu, comme si le comité d’élection s’était ressaisi à la dernière minute étant donné l’âge de Malala, 16 ans. Elle aurait sûrement le temps de faire ses preuves et de confirmer son mérite, au delà de son visage defiguré et de son parcours hors du commun.  Le prix 2013 est donc allé à un autre symbole des signes de notre temps, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques. Mais ce n’était bien que partie remise, et un an plus tard les preuves sont donc faites. Malala s’est vu offerte la distinction qu’elle partage avec un ressortissant de l’Inde voisin, Kailash Satyarthi, militant également des droits des enfants. Une distinction conjointe qui dénote aussi l’effort du comité du Nobel d’encourager ainsi la coopération entre ces deux frères ennemis que sont l’Inde et le Pakistan.

Si le prix Nobel a connu diverses controverses au fil de près de 120 années d’existence (on se rappellera la perplexité de beaucoup à la la nomination du Président Obama, un an à peine après son arrivée à la Maison Blanche), il n’en reste pas moins une reconnaissance ultime de l’importance que le Lauréat a eu dans les affaires du Monde. Et de ce fait même, beaucoup des lauréats ont droit à cette reconnaissance tard dans la vie, comme une consécration pour un travail, une vie bien accomplie. Malala sera donc l’exception à 17 ans. Il n’aura pas fallu pour elle d’atteindre la force de l’âge, ou même la majorité, pour avoir droit à cette reconnaissance. Le prix Nobel de la Paix pour elle est donc un prix d’encouragement, un prix de l’avenir.

Certes, aujourd’hui Malala vit bien loin de sa vie ordinaire de jeune fille pakistanaise d’avant son attaque. Elle parcourt le monde pour donner des discours, visiter des écoles, rencontrer des chefs d’Etats (elle a déjà eu droit à une rencontre avec la Reine d’Angleterre!). Et pourtant la menace plane toujours sur elle. Le symbole que les Talibans ont fait d’elle, malgré eux, rend sa vie encore plus dangereuse. Elle ne pourra vraisemblablement plus retourner à sa vie d’antan. Et heureusement, car cette jeune fille a démontré tant de courage à nous toutes, jeunes et moins jeunes femmes. Elle représente un espoir pour toutes les femmes, surtout celles qui luttent au quotidien, chacune à sa façon, et doivent faire face à des violences verbales, physiques, et d’autres sortes. A travers Malala, nous savons qu’une d’entre nous a pu se faire entendre haut et fort, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Ce prix Nobel résonne donc en nous toutes. La vie n’offrira pas à toutes les jeunes filles courageuses un prix Nobel, mais le fait de savoir qu’une voix parmi elles a été entendue doit être célébrée.  Espérons que cette voix saura porter le message d’espoir loin dans le futur.

 


Qui dit Playdate, dira Sleepover

Crédit photo: Tete Kitissou
Crédit photo: Tete Kitissou

Jeu d’enfant n’est plus ce qu’il était.

Le moment tant redouté est donc arrivé. Celui où je dois faire face à la question que je craignais viendrait forcément de mes enfants un jour. Non, pas “maman je voudrais un chien”. Celle-là a déjà été réglée, et le compromis est de prendre un chien, soit, mais de le laisser chez les grands-parents au Togo pour le visiter pendant les vacances ! Je parle de celle qui me donne quelques sueurs froides à l’idée d’imaginer mon fils dormir sous le toit d’un inconnu connu, pendant toute une nuit: “maman est-ce que je pourrai faire un sleepover chez Mattieu ?”

Le sleepover comme le playdate est un phénomène du 21e siècle, répandu aux Etats-Unis et qui trouve de plus en plus d’adeptes dans notre monde dit développé. Et pour cause. Les parents organisés à l’extrême que nous sommes, incitent les enfants à des “dates”, des rendez-vous avec leurs amis, copains de classe ou rencontrés pendant les activités extrascolaires. Les enfants se retrouvent pour jouer (et éventuellement dormir) pendant un temps déterminé sous la garde d’un parent ou des 2, un de chaque côté (provoquant parfois des occasions d’embarras quand on se rend compte qu’on n’a pratiquement rien en commun avec le parent d’en face, si ce n’est le fait que nos enfants ont sympathisé et nous obligent à en faire autant). J’ai fini par céder à l’idée du playdate, difficilement il est vrai, parce que le fait même de forcer un temps de jeu me semblait contre nature, de même que l’idée de sympathiser avec quelqu’un simplement pour accommoder les moments de jeux mes enfants.

Il faut dire que pour moi africaine, l’idée de jeu organisé sur rendez-vous ou d’aller dormir chez quelqu’un d’autre n’a rien de si excitant. Pour nous au pays, en grandissant dans nos quartiers populaires, tout regroupement quotidien était matière à jouer, à créer des moments instantanés de bonheur ludique. L’idée d’impliquer nos parents qui pourraient nous gâcher nos retrouvailles par trop de discipline aurait été simplement bizarre. Dormir chez quelqu’un d’autre de notre temps n’aurait franchement rien eu d’extraordinaire étant donné nos longues heures de jeu, après lesquelles nous rentrions éreintés, pour encore aider aux travaux domestiques malgré la fatigue, prendre une douche, et manger avec un œil ouvert, pour enfin s’étaler sur un coin du lit.

Crédit photo: Tete Kitissou
Crédit photo: Tete Kitissou

Autre temps, autre mœurs, et dans le quotidien de nos enfants le jeu spontané n’existe pratiquement plus. Tout est structuré, l’école, les activités, les temps de jeu. Les parents n’ont pas le temps et même pour ceux d’entre nous qui avons un peu de place, un jardin, on craint souvent de laisser les enfants jouer dehors, par crainte des “prédateurs” à l’affût. Les parents sont parfois trop occupés pour sympathiser véritablement avec les voisins, et il n’existe aucune relation digne de suffisamment de confiance pour compter sur l’œil bienveillant du voisin, comme c’était le cas dans notre enfance. Chacun vit dans son château de pierre, heureux de ne rendre aucun compte à personne. Les enfants donc sont terrés chez eux, pas malheureux forcément, entourés qu’ils sont de leurs innombrables appareils électroniques, jusqu’à la prochaine invitation à un playdate.

Il m’a donc fallu me faire à l’idée du playdate et j’ai fini par y prendre goût. J’y ai d’ailleurs fait d’excellentes amitiés, y compris suite à la rencontre avec les mamans lesbiennes d’un copain de mon fils pendant un playdate. Occasion sans laquelle je n’aurais pas eu l’opportunité de comprendre leur choix de vie, et de voir à quel point ces deux mamans sont aussi efficaces qu’un père et une mère (loin de moi l’idée d’ouvrir un débat sur l’homosexualité. Simplement je constate que les idées reçues ont parfois besoin de moments forcés pour être remises en question). Le playdate est donc devenu un acquis chez nous et une fois par mois pour chacun de mes fils (donc un week end sur 2 pour moi) je fais l’effort de trimballer ma progéniture, un café à la main, vers de nouvelles aventures que moi et l’autre maman auront concocté d’avance.

Le sleepover par contre, je n’y arrive pas. Du moins pas encore. Et pour plusieurs raisons. Mon fils aîné est turbulent de nature. Il court tout le temps, il roule, il crie, et bouge comme il l’entend, et étant un bonhomme costaud pour ses 9 ans, il donne l’impression d’un pré-ado qui refuse de grandir. Il n’a que 9 ans mais on lui en donnerait facilement 12. L’effort pour le contenir est incessant, les 4 ou 5 activités sportives qu’il exerce ne suffisent pas pour dompter son trop plein d’énergie. Et étant donné la difficulté que nous avons, nous ses parents, à le faire tenir en place, je ne peux vraisemblablement pas imposer une telle exigence aux parents de ses amis, et ce pendant 12 heures ou plus! Mon fils cadet est bien plus tranquille mais, aussi injuste que cela puisse paraître, la règle s’impose à tous les 2.

Il y a aussi mon malaise à l’idée d’imaginer mes enfants chez quelqu’un que je ne connais pas intimement. L’intimité dont je parle est celle où chacun enlève son maquillage quotidien, homme ou femme, où l’on cesse de prétendre, et on montre ses “vrais couleurs” hors des regards indiscrets. Que deviennent alors ces parents? Je sais ce que je peux et ne peux pas supporter, et je sais comment l’exprimer à mon entourage, sans prendre de gants. Pourrais-je maintenir  un certain niveau de contrôle devant l’enfant d’autrui? Même dans le cas où on me casserait un objet inestimable, par exemple? Difficile à dire. La confiance en soi est une chose, et celle en l’autrui en est toute une autre. Je ne peux donc pas laisser mon fils dormir chez quelqu’un tant que je ne serai pas sûre de pouvoir recevoir un autre enfant chez moi pour toute une journée (une nuit!), et me sentir totalement à l’aise et sûre de pouvoir faire face à toutes les éventualités.

Autre raison, la peur de l’inconnu. Une amie se plaint aussi de devoir faire face au même dilemme du sleepover que sa fille demande à corps et à cris, et verse un fleuve de larmes intarissables devant le refus de ses parents. Ce n’est pas mon amie qui n’en veut pas, mais son mari qui n’accepte pas que sa fille aille dormir chez sa copine dont le papa divorcé se retrouverait seule la nuit avec les deux fillettes. Le mari de mon amie affirme que ce n’est pas par manque de confiance ou pour avoir décelé des velléités mal dissimulées de maniaque chez le papa en question, mais simplement qu’il ne peut dormir des deux oreilles et yeux, sachant sa petite fille dans une condition où lui son père ne serait pas en contrôle. Pensez ce que vous voudrez de ce père, mais moi je ne vois là que l’anxiété normale d’un parent qui regarde trop la télé. Les mauvaises nouvelles relatées dans les médias de crimes horribles en tous genres sont autant d’éléments qui nous manipulent, nous terrifient jusqu’à faire de nous des papas et mamans paranoïaques. Il existe bien sûr des situations réelles de risques, mais parfois nous les exagérons. Je dis ceci pour me convaincre un peu mais je ne suis pas pour autant convaincue de mes propres arguments, et je ne serai pas surprise si beaucoup sont dans mon cas.

Il m’a fallu du temps pour accepter le playdate mais j’y suis arrivée, et je suppose que le temps viendra où il me faudra également adhérer au “sleepover” club. Je sais qu’au bout du compte l’expérience sera bénéfique pour mes enfants. Ils auront la chance de vivre autre chose, une chance de se débrouiller loin de nous leurs parents, un signe d’indépendance et de confiance en eux-même aussi. Je finirai donc par céder au sleepover. Mais pas tout de suite. Je viens d’ailleurs de signer un pacte avec les intéressés. Tant que leur chambre ne sera pas rangée correctement tous les matins, on ne pourra pas y recevoir des amis pour dormir dedans, et encore moins aller créer le même débarras chez les autres ! Et franchement je crois qu’on a encore du pain sur la planche.


Nature et Culture: l’Heure Africaine

Crédit photo: D. Danklou

Je me souviens d’une visite de mon frère, sa femme et leurs 2 enfants, chez nous à Washington, il y a quelques années. Ils étaient de passage pour une dizaine de jours, et pour moi aussi s’agissant de vacances, il n’était pas question de me lever aux aurores pour les promener. Mais dès le premier jour, ma belle-soeur, française, s’est levée de bonne heure, de même que ses enfants, tous prêts à sortir à 9 heures comme convenu la veille. Mon frère lui toujours au lit, et moi à peine un oeil ouvert! Inutile de décrire la frustration de ma belle-soeur. qui devrait pourtant nous connaître, depuis toutes ces années qu’elle a rejoint notre clan!

Quelle est donc la cause de ce rapport ambigü que nous, togolais, maintenons avec une horloge? Je me limiterai aux togolais ici, mais le fait est bien répandu chez les africains, et s’étend même à d’autres cultures du “Sud”, où l’on constate la même nonchalance par rapport au facteur temps. Dès lors on peut essayer de déduire des explications en évoquant des faits communs à ces cultures.

Serait-ce dû au climat? Chaud pour la plupart, tropical et humide parfois, qui induirait peut-être une certaine léthargie. Mais comment expliquer alors que même par des températures hivernales, nos compatriotes de la diaspora affichent le même « décalage horaire », plus souvent, notons le quand-même, dans le cadre social que professionnel. S’il m’arrive rarement d’arriver en retard au travail ou pour un rendez-vous professionnel, il m’est souvent difficile de me discipliner quand il s’agit d’un engagement personnel. Dans le milieu togolais, le fait est tellement généralisé que certains événements sont annoncés pour une heure fictivement avancée, en général de 2 heures, sachant que bons nombres de participants n’arriveront jamais à l’heure indiquée. Même lorsqu’il s’agit d’organiser un événement de grande envergure, le fléau est bien répandu. Nous avons assisté à un concert à Washington où nous sommes arrivés à 23 heures pour une soirée qui devait commencer à 21h, et les chaises n’étaient pas encore toutes installées, et c’était en plein mois de décembre! Non, la chaleur n’expliquerait donc pas tout.

Autre fait commun alors, la constante bonne humeur! Cette joie de vivre qui conduirait peut-être à un certain “laissez-couler”, notamment du fait même qu’une fête, un concert, des retrouvailles entre amis, sont par essence organisés dans le but de se déstresser. Inutile donc d’y ajouter le stress du facteur temps. Mais bonne humeur ou non, nous arrivons à nous adapter dans notre vie de tous les jours, dans nos loisirs face, par exemple, aux horaires impardonnables des transports publics. Malgré le « flottement » que procure un départ en vacances, je suis bien obligée d’arrivée à l’aéroport à l’heure, avant de me retrouver effectivement dans les airs! Pourquoi donc cet écart de conduite lorsqu’il s’agit d’horaires dont nous sommes seuls « maîtres »?

Dernière hypothèse, peut-être est-ce dû à la générosité légendaire des peuples du Sud, qui inciterait à se donner soi-même trop de temps? Après tout, la charité bien ordonnée commence par soi-même! Pourtant là encore, nous ne rendons pas justice à tous. Car le temps est un bien commun, et il faudrait le gérer de façon plus rationnelle pour ne pas pénaliser notre entourage. Plus encore, pour nous habitants du monde “développé” il est d’autant plus essentiel de donner la place importante qu’est la mesure du temps, même dans les activités purement sociales. Nous vivons dans des milieus où nous côtoyons des communautés diverses, dont certains membres ont une conception toute autre de la valeur du temps. Nous devons donc faire un effort pour nous conformer dans la mesure du possible. Au delà de l’aspect accommodant de cette démarche, il y a un changement d’image qui ne peut être que bénéfique. Le stigma de “l’heure africaine” a eu son temps!


Langue de Molière, Langue de Shakespeare, ou Langue de Goethe. Et le « Togolais » dans tout ça?

Langage
Crédit photo: D. Danklou

Avant d’aller plus loin dans cette analyse, que le lecteur se rassure : le « Togolais » dont on parle ici regroupe toutes les langues vernaculaires de chez nous au Togo, du mina à l’éwé, du Kabyè au Kotokoli, en passant par toutes les variances et dérivées. Chaque compatriote y trouvera donc son compte. Chers compatriotes, surtout ceux de la diaspora, que faisons-nous donc du   «Togolais» dans notre vie à l’étranger? Combien parmi vous—parmi nous, parce que je suis bien dans le lot—communiquent avec les enfants dans la langue maternelle ? Sur dix togolais on pourrait en dénombrer la moitié qui ont abandonné l’effort, si jamais initié. Que ce soit en France, en Allemagne, aux USA, ou ailleurs, une fois arrivés au sens propre comme au figuré, nous négligeons un aspect important de notre responsabilité d’immigrants, qui est de transmettre notre héritage culturel, notamment d’apprendre notre langue maternelle à nos enfants. Quels sont donc les facteurs qui nous emmènent à ce stade de désinvolture linguistique?

Mon expérience personnelle a plusieurs explications mais aucune excuse. Mon conjoint et moi sommes tous deux togolais et partageons la même langue maternelle, le mina. Nous l’utilisons couramment pour converser entre nous et pourtant nos enfants ne la parlent pas et la comprennent peu. Pourquoi ? Peut être est-ce une reponse à ce constant désir d’intégration, je n’ose dire d’assimilation, qui veut que nous fassions tout pour nous conformer à notre terre d’acceuil. Aux USA, certains extrêmistes vont jusqu’à accuser les hispanophones qui refusent d’adopter l’anglais au quotidien de vouloir “coloniser” le pays. Il est bien évident que parler anglais couramment et correctement est un signe palpable de l’intégration reussie.

Il y a bien sur du laisser-aller et un peu de parêsse, qui font qu’on préfère simplement parler anglais aux enfants parce que c’est plus facile dans notre vie quotidienne. Pourtant, parce que c’est plus facile et qu’ils le parleront de toutes les façons à l’extérieur, il aurait été plus judicieux de faire un autre choix de langage à la maison, pour les enrichir. Justement, en guise d’alternative nous avons choisi le français que nos enfants parlent maintenant couramment. Nous avons opté pour l’usage du français car on l’envisage comme étant plus utile dans le succès académique des enfants. Peut-être aurions-nous choisi de leur parler chinois, si on le maîtrisait, histoire de leur assurer une bonne carrière, étant donné la tendance de l’économie chinoise ! Il est clair que nous ne voyons juste pas « d’avenir » dans l’apprentissage du vernaculaire.

Il y peut-être aussi la peur de semer la confusion dans l’esprit de nos enfants. Je me rappelle avoir entendu nombres de gens expliquer le retard de langage de mon fils cadet par une hypothèse selon laquelle il serait exposé a trop de langages différents. Il aurait donc du mal à s’y retrouver. Une hypothèse pourtant vite anéantie, car une fois le retard rattrapé, mon fils est devenu un des plus bavards en anglais comme en français ! Il y a enfin le fait que le mina constitue un refuge pour nous, parents. Un coin secret ou nous pouvons nous refugier pour avoir des conversations sérieuses, ou échanger des blagues, quelques fois douteuses, entre adultes. Il n’est donc pas question d’adhérer nos enfants à ce club. Voila pourtant que nos enfants commencent peu à peu à capter certains mots et à réagir à nos conversations que nous pensions jusque la réservées. Preuve là encore que leurs jeunes esprits s’éveillent vite aux méandres linguistiques, qu’on le leur permette ou non.

D’ailleurs, nombres de recherches d’experts ont établi que les enfants parlant plusieurs langues ont de meilleurs résultats académiques (un exemple). Malheureusement beaucoup d’entre nous ne voient pas en l’usage de notre langue maternelle un enrichissement conséquent. Il n’est pourtant pas dit quel choix de langue serait plus probant, mais plutôt l’ouverture d’esprit que l’apprentissage d’une autre langue permet aux enfants. Le français (ou le chinois !) à la place du mina n’est donc pas nécessairement le choix idéal. Un fait que confirmera allègrement, avec une voix chargée de reproche, leur grand-mère qui ne comprend pas un mot de français. La malheureuse a passé sa visite chez nous à engager un discours de sourd-muet avec nos enfants. Le même problème se constate pendant les vacances au pays quand les enfants doivent se débrouiller avec leur français pour se faire comprendre, ou gesticuler le reste du temps.

Pourtant, même au Togo force est de constater que l’usage courant du vernaculaire par les enfants n’est plus la norme, la mode étant pour beaucoup de parler français à leurs enfants à la maison. On est surpris par le nombre d’enfants qui parlent couramment français en jouant avec leurs pairs, parfois même avec un niveau de « choco » détonnant ! Notre pays regorgera de citoyens éloquents, qui n’auront crainte d’être prix en flagrant délit d’utiliser l’accent circonflexe à la place de l’accent grave à  l’oral ! Plus de danger de casser les marmites ! Chapeau à cette nouvelle génération de parents !

Cependant, ne sont-ils pas dans la même dynamique que vous et moi, amis de la diaspora ? Un enfant né au Togo qui parle bien français et mal « Togolais », n’est-il pas tout aussi dépaysé que nos enfants éduqués loin du pays ? Soit, cet enfant du pays aura de meilleures notions, mais il est clair que les subtilités du langage vernaculaire ne seront pas transmises de la même façon, par manque de pratique quotidienne. Il y a bien péril en la demeure, où que nous soyons. Un effort réel doit se faire pour pérenniser notre héritage linguistique. Heureusement que nombres de parents consciencieux continuent l’effort. Que ce soit par choix ou par manque de choix (dans les cas où les parents ne parlent aucune autre langue), l’effort de transmettre la langue maternelle est à feliciter. Essayons donc de suivre l’exemple, nous autres, afin de transmettre des notions durables à nos enfants. La diversité linguistique est une richesse sans limite, et nos enfants ont énormément à gagner.


Comment ça va chez vous ? Chez moi, comme ci comme ça

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Crédit photo: J. Danklou – Au bord du lac Togo

Retour sur ma réflexion sur le thème « Chez moi » soumis pour le concours Mondoblog

Un ami utilisait souvent une expression qui me vient à l’esprit alors que je m’attelle à élaborer sur le thème “Chez moi”. Il disait “faîtes comme chez vous, mais surtout n’oubliez pas que vous êtes chez moi!” Une façon coquine et efficace de nous rappeler les limites de notre liberté sous son toit. “Chez moi” dans son cas évoque un domaine privé, réservé, une conception bien à l’opposé de ce que j’imagine doit être « mon chez ».

Chez moi, de nos jours c’est à Washington où je vis et travaille ; il y a quelques années c’était New York, et avant cela c’était Lomé, et encore bien avant, la France. Je suis originaire du Togo, j’ai vécu une dizaine d’années en France, une quinzaine d’années aux Etats Unis, plus de la moitié de ma vie passée en terre étrangère. Ce mouvement migratoire était plus par nécessité que par choix mais il m’a très vite donné le goût du voyage. Une réponse à ma curiosité naturelle de voir le monde, de rencontrer du monde, et d’élargir mon monde.

L’année dernière j’étais à Tokyo, Séoul, et Beijing pour un déplacement professionnel de 2 semaines. Pendant 14 jours, chez moi c’est devenu ce monde frémissant d’activités que sont ces 3 métropoles asiatiques. Je me suis immergée dans la foule, visitant les lieux touristiques comme Ginza et le Palais Impérial ou le Grand marché de poissons de Tokyo, en quête de sensations fortes et de symbiose culturelle avec un peuple que je connaissais si peu, si ce n’est à travers les échanges avec quelques collègues japonais à Washington, et mon goût prononcé pour le Sushi ! A Beijing, perchée sur la Muraille de Chine, au sommet de la Cité interdite, ou engloutie dans la foule de la Place Tiananmen, me voilà encore en quête de satisfaire la même boulimie culturelle, cherchant à apprendre un maximum et à comprendre une culture millénaire mais si méconnue dans notre partie du monde, en Afrique ou le peuple chinois est synonyme d’envahisseurs, les nouveaux colonisateurs de l’Afrique. A Séoul enfin, une balade de nuit m’a laissée étourdie dans un tourbillon de lumière, d’odeurs entêtantes, et de musique. Deux semaines pendant lesquelles 3 villes asiatiques sont devenues pour moi africaine, mon chez moi. J’étais libre de mes mouvements, de mes choix, de ma pensée, de mon interprétation des choses. Voilà donc les principales caractéristiques de mon “chez moi”. C’est l’endroit où je suis libre. Les murs n’ont pas d’importance dans ce monde. Une maison de 5 chambres aurait la même valeur qu’un cagibi pour moi si je ne dispose pas de cette liberté de penser, de m’exprimer.

Bien évidemment, même s’il n’y aurait pas de loyer à payer pour cet endroit idéal, la liberté dont j’y jouie a bien un prix, celui de l’opportunité. Le voyage que j’évoque plus haut avec tant de nostalgie n’aurait été possible sans mon emploi. Ce même emploi qui me permet une vie décente avec ma famille, dans un logement confortable, mon chez moi au sens propre. Sans mon emploi, que ferais-je de cette liberté ? Pourrais-je me soucier de satisfaire d’autre sens que mon instinct de survie ? Je suis bien consciente de ma chance. Combien de par le monde cherche encore le minimum requis pour prétendre au chez soi traditionnel. Un emploi, un salaire, un logement, de quoi se nourrir, se vêtir, se cultiver. Dans cet ordre ou en vrac.

Je n’ai pas besoin de retourner chez moi au Togo ou la misère crève les yeux et le cœur à chaque coin de rue. Elle existe à côté de chez moi, dans cette ville au centre du monde, à deux pas de mon travail. Je la croise au moment de rentrer le soir chez moi, et le matin en sortant. Le clochard qui me regarde d’un air désillusionné au feu rouge en tendant sa pancarte, alors que je fais semblant de l’ignorer, mon regard stressé et fixé sur la circulation, manœuvrant le volant en essayant de coordonner mes yeux entre la route et mon portable afin de voler quelques minutes et avancer dans la lecture de mon courrier électronique. Je la retrouve en sortant du garage le soir, quand je croise le camion de la soupe populaire où sont alignés des hommes, des femmes, des enfants aux regards reconnaissants pour la réponse salutaire à la faim de ce jour. Même l’année dernière à Tokyo je l’ai croisée dans le métro dans le regard d’une vielle dame recroquevillée dans un coin, cherchant à se faire oublier, ne sachant pas que de cette façon elle attirait davantage mon regard. Et la vie continue ainsi près de chez moi.

Chez moi c’est aussi cet endroit trop plein d’incompréhension qui génère des tensions partout dans le monde. Ce monde là je le comprends moins mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai appris mais pas encore compris les divergences sociales et géopolitiques, et les hégémonies culturelles qui divisent le monde. J’ai compris que le racisme est une maladie d’ignorance qui peut être héréditaire et qu’on doit le combattre comme un cancer et non comme une migraine. J’ai fini par comprendre que les choix religieux ne sont pas des choix à la naissance mais l’extrémisme peut le devenir à l’adolescence. Je comprends que la colonisation a pris forme comme un mal non nécessaire, et que l’immigration en est une conséquence inexorable. Je crois fermement que la paix du monde est un idéal qui en vaut la chandelle mais pas l’arme nucléaire.

Ce monde là aussi c’est mon chez moi et je cherche encore à l’accepter et je ne perds pas espoir d’y voir des changements durables : la fin des guerres et des misères. Ainsi donc va mon monde, avec tout ce qu’il comporte de beau, d’époustouflant, d’affolant, et de décourageant. Citoyenne de ce monde je suis, mais il ne m’appartient pas. Car si c’était le cas, je le tiendrais dans ma paume droite et d’un coup de baguette magique de ma main gauche je le transformerais en un monde meilleur. Et ce serait mon monde à moi, mon chez moi, où vous et moi aurions les même droits.


Retour à la case Septembre

Nous revoilà donc au point de départ : la rentrée des classes. Ce moment inéluctable, anticipé par la plupart des élèves et probablement par tous les parents, et rechignés par quelques autres qui se refusent à l’idée de reprendre le rythme frénétique des 10 prochains mois. Tout comme les quatre saisons, le rythme scolaire suit son cours, alternant cycle académique et vacances. La rentrée, telle la fin des classes est un moment prévisible, mais à chaque fois nous sommes pris au dépourvu par la rapidité avec laquelle nous en arrivons au seuil. Il me semble que c’était seulement hier que je prospectais les camps d’été, les programmes de concerts, festivals, et musées, les billets d’avion et réservations d’hôtel abordables, afin de remplir les 8 semaines de vacances de mes enfants. Ce n’était pas hier bien sur, c’était il y a 2 mois !

A ce moment là, septembre nous semblait à tous très loin, telle une échéance connue mais laissée de côté afin de savourer l’été en paix. Enfin presque, car toute maman sait qu’il est difficile d’attendre la dernière semaine pour faire face à la rentrée. Difficile, mais pas impossible pour d’éventuelles championnes d’acrobatie, qui arriveront à jongler avec la liste des fournitures, les achats d’habits d’école, les activités extrascolaires, les invitations aux anniversaires qui commenceront bientôt à pleuvoir, sans oublier leur propre calendrier professionnel, le cas échéant. Mais j’avoue que je ne suis pas de ce lot. Un récent article du Huffington Post prodiguait des astuces aux mères devant concilier vies professionnelle et familiale pour limiter le stress, notamment à la rentrée. Si la plupart des astuces me semblaient quelque peu irréalistes, celle ayant attiré mon attention suggère de « se concentrer sur son propre bonheur ». Facile à dire, c’est vrai, mais pas si difficile à concevoir. Le bonheur est contagieux et nous ne pouvons contaminer nos proches que lorsque nous sommes atteints. De même, il me semble évident que lorsqu’il s’agit d’organiser tant la rentrée des classes que toute l’année académique, nous ne pourrons y faire face que si notre propre vie professionnelle est organisée ou du moins compartimentalisée, afin de nous permettre de nous concentrer sur les demandes de nos enfants. Difficile de mettre de l’ordre dans leurs affaires, si nous ne sommes pas clairs dans nos priorités.

Ah qu’elle est loin l’époque où c’était moi l’élève frémissante de joie à l’idée de retourner en classe. L’achat de nouveaux matériels scolaires et articles vestimentaires y était bien sur pour quelque chose. Mais c’était surtout le fait de revoir mes camarades de classes et de raconter toutes mes péripéties et 400 coups commis pendant les vacances! Aujourd’hui c’est au tour de mes garçons de vivre cette excitation. 3 jours avant la rentrée, le compte à rebours a commencé. On inspecte les fournitures (judicieusement commandées sur internet pour éviter l’assaut dans les magasins et surtout les maux de têtes et revers de décision pour faire un choix, face aux milles et une variétés de stylos ou de crayons à papier !). On peaufine et répète le scenario des histoires à raconter, en révisant la chronologie au besoin. On essaie et réajuste les combinaisons vestimentaires au goût du jour (moi observant avec un petit sourire en coin sachant le choix déjà établi, et bien préparée pour la bataille du « non je ne veux pas mettre ces chaussures!»). L’histoire est un perpétuel recommencement, on le dit, et la rentrée des classes n’échappe pas à la règle.

Pourtant je me demande si nos parents ont connu le même niveau de stress que nous connaissons aujourd’hui. J’en doute. Je me rappelle bien de l’excitation de part et d’autre, particulièrement chez nous où notre maman qui était institutrice devait également préparer sa propre rentrée des classes. Mais au delà de la fébrilité habituelle, je ne me rappelle pas de tant d’énergie décuplée pour tout organiser d’avance et éviter le moindre couac. Je ne parle que pour moi, mais je vois autour de moi, de par les billets sur Facebook notamment, combien de mamans, surtout celles vivant comme moi aux USA, semblent se préparer pour la rentrée telle que pour la Bataille de Waterloo. Et bien leur en prenne, car il s’agit bien d’un combat. Celui du calendrier scolaire et des activités extracurriculaires. Entre le foot, la natation, le tennis, le basket, le judo, le piano, l’équitation, la danse, etc., le choix n’est pas facile ! Les enfants veulent tout faire, et la société semble les y inciter en leur offrant des opportunités innombrables. Il faut tout coordonner et presque se deboubler pour s’en sortir. Pour celles d’entre nous qui en grandissant avons vu nos mères bénéficier d’aide de personnel domestique ou de parents proches, la tâche est d’autant plus rude que nous devons maintenant faire face souvent seules à toutes ces responsabilités. Nous nous retrouvons dans le rôle de maman, nounou, femme de ménage, cuisinière, répétiteur, chauffeur, et j’en passe. Difficile d’y arriver sans l’aide conséquent de son conjoint.

Mais même avec de l’aide, nous devons prendre les devants. Il faut donc assumer et assurer. Car le monde d’aujourd’hui est un monde de compétition. Nous ne pouvons pas nous laisser pousser par la vague et espérer arriver à bon port. Il faut larguer les amarres et guider le bateau de l’éducation de nos enfants contre vents et marrées. C’est le seul moyen de les armer de tous les atouts nécessaires pour survivre dans leur monde de demain. Celui ou la plupart des enfants parleront 2 ou 3 langues couramment, excelleront autant au sport que sur le plan académique (nombres d’entre eux comptant autant sur leurs resultats scolaires que sur leurs habilités sportives pour booster leurs chances d’entrer dans de bonnes universités). Autant nous y préparer d’avance et mettre tous les atouts de leur côté. A tous les mamans et papas qui me comprennent, bonne et heureuse année scolaire !


Intégration Vs. Assimilation : Le Match du Siècle

Togo
Crédit photo: D. Danklou

Parole d’Immigrée!

J’ai lu tout récemment Americanah, superbe oeuvre littéraire de Chimamanda Ngozi Adichie, jeune prodige Nigériane à la plume extraordinaire, et dont on parle déjà d’une adaptation au cinéma avec dans le rôle principal Lupita Nyong’o, la nouvelle coqueluche Kenyane de Hollywood. Le livre est populaire pour de nombreuses raisons. On y retrouve une multitude de thèmes communs à la vie d’immigrants africains en terre étrangère, notamment aux USA et en Angleterre. Personnellement, j’ai été subjuguée non seulement par la profondeur des caractères, mais aussi du fait de la familiarité que j’ai ressentie par rapport aux péripéties de l’héroïne principale. J’ai été émue par la similitude d’événements décrits par l’héroïne, les difficultés d’adaption, les préjugés et stéréotypes classiques, auxquels elle a dȗ faire face dans son effort d’intégration sociale, qui m’ont tant rappelés des tranches de ma propre vie. Bref, le livre m’a fait réfléchir !

Cette réflexion m’a emmenée à cette question: quelle est la recette de l’intégration réussie ? Cette intégration dont on clame dans la plupart des pays développés comme étant le « sésame » à la porte du succès social. Par intégration j’entends un certain niveau de confort social dans le pays d’adoption où chacun évolue, en s’adaptant à la culture locale et en se conformant aux règles civiques établies. Il me semble évident que tout immigrant recherche cette « acceptation » en terre d’acceuil sans pour autant vouloir faire fi des acquis culturels de son pays d’origine. Nous aspirons donc à une certaine harmonie culturelle, par exemple, de par l’adoption permanente de la langue de notre nouveau pays, au dépens de notre vernaculaire, ou de par le choix de notre cercle socioculturel, tout en essayant de rester plus ou moins fidèles à notre culture d’origine, notamment de par nos choix culinaires, vestimentaires, ou musicaux.

Cependant en y réfléchissant plus longuement, je me demande combien d’entre nous trouvent un juste milieu entre ces choix culturels. On pourrait même penser que la balance se penche de plus en plus en faveur de la terre d’accueil, surtout pour la jeune génération de la diaspora. Il faut dire que nos jeunes compatriotes, surtout ceux qui sont nés sur place et qui n’ont rien connu d’autre, ne s’embarrassent pas de ces conflits socio-culturels. Ils n’ont pas peur d’être perçus comme étant assimilés et adoptent sans état d’âme l’attitude de leur pairs, au risque parfois de surpasser les locaux. La tâche est plus difficile pour les aînés. Pour ceux d’entre nous qui ont vécu au pays, nous devons nous réadapter à notre nouvel environnement, et constamment nous remettre en question pour éviter d’en faire trop (on connaît tous la blague des vacanciers à Lomé au Togo, qui prétendent avoir peur des lézards « adonglo » et dont on se moque). Ce sont des anecdotes bien sur, mais le stigma pour certains comportements perçus comme signe d’assimilation ou d’acculturation existe bel et bien.

Comment alors faire la part des choses ? L’adoption des us et coutumes étrangers est-elle possible sans un certain sacrifice d’une partie de soi ? Personnellement, je me trouve confrontée à nombres de divergences culturelles aux USA, et en me conformant je me sentirais en contradiction, avec l’impression d’aller contre courant de ma culture togolaise. Un exemple, alors que l’Américain inonde son enfant d’éloges pour le moindre petit effort et signe « I love you » à la fin de chaque conversation téléphonique, les marques d’affection pour nos enfants sont plus discrètes et pas nécessairement verbaux ; nos encouragements pour leurs résultats académiques ou sportifs plus retenus, toute effusion étant réservée pour les exploits dignes de ce nom (et un « 11 sur 20 » en math n’en fait pas partie, au grand dam de mes enfants !).

Le quotidien New York Times a récemment publié un article qui semble suggérer que les enfants d’immigrés excellent sur le plan académique, du fait de la sévérité des parents, et ce n’est pas étonnant. Le système pédagogique Américain prône la libre-expression, et l’esprit de créativité, et un certain laissez-faire éducationnel qui n’est pas toujours en accord avec notre éducation traditionnelle, qui demande une discipline plus stricte, parfois avec des petits coups bien placés ! Mais gare à vous si votre enfant vous dénonce. On apprend maintes anecdotes de parents africains convoqués à l’école de leurs enfants lorsque l’école a eu vent d’éventuelle punition corporelle infligée aux enfants. Chez nous, une fessée n’a jamais fait de mal à qui que ce soit mais voilà nous ne sommes plus chez nous, même sous notre propre toit!

Les difficultés d’harmonisation culturelle existent aussi dans les cas de couples interraciaux, non seulement en ce qui concerne le style d’éducation transmise aux enfants, mais dans bien d’autres domaines. Le couple doit souvent exercer des tours de force mutuels pour faire comprendre et accepter les différences culturelles qui font partie des mœurs de chaque côté de la famille. Je constate souvent la difficulté que mon jeune frère trouve pour expliquer (et parfois excuser) à sa femme française certaines de nos attitudes (notamment la notion africaine de l’heure) qui sont totalement à l’opposé de ce dont elle est habituée. Comment donc faire face à ce clash des cultures ? Comment réconcilier des notions parfois contradictoires pour les transmettre à nos enfants, sans risque de conflits ou de confusion ? Existe-t-il un juste milieu culturel ? 

Tant de questions auxquelles il n’existe malheureusement pas de réponse idéale. Somme toute, la réponse à ces questions reste individuelle et personnelle. Dans le livre d’Adichie, l’héroïne, malgré tous ses efforts d’intégration et ses réflexions pour comprendre les rapports culturels aux USA (entre noirs et blancs, et entre africains et noir-américains) tente d’adopter l’attitude convenable selon les milieux, tout en profitant de son blog pour « vider son sac ». Au final, elle devra effectuer un retour aux sources, à Lagos, pour essayer de retrouver une harmonie culturelle. Ce retour aux sources est un besoin que beaucoup d’entre nous éprouvent peut être de temps en temps, mais ne pouvons pas tous nous permettre. La solution doit donc se trouver sur place. Peut être y arriverons-nous en cultivant un esprit d’ouverture, en offrant le bénéfice du doute à notre société d’adoption, sans préjugés, tout en gardant à l’esprit les préceptes fondamentaux de notre culture d’origine. C’est une acrobatie digne des artistes du Cirque du soleil, mais il faut nous y atteler.

On reproche à certains américains (ceux que l’on dit « de l’Amérique profonde ») leur manque d’ouverture et chauvinisme sans borne, tout en les excusant par le fait qu’ils ne soient jamais sortis de leur trou ! Pour nous qui avons eu la chance de voyager au delà des océans, nous ne pouvons que nous targuer d’avoir vu du monde et d’en être plus enrichis. Car la multiplicité culturelle, tout autant que la diversité linguistique est une richesse. Loin de nous laisser effrayer par les contradictions qui existent entre notre éducation traditionelle et notre culture d’adoption, trouvons les points forts de chaque côté qui serviront de fondements pour tisser une nouvelle toile basée sur ce métissage culturel. C’est une opportunité unique. Le risque d’acculturation que l’on craint n’est peut être qu’illusoire, à en croire le renouveau patriotique qui semble avoir embrasé la jeune génération. Le drapeau togolais et le chiffre 228 ont retrouvé une nouvelle aura sur les réseaux sociaux, en témoignage de la nostalgie que chacun d’entre nous ressent pour la terre natale. Que cet élan s’accompagne de respect, de curiosité, et d’ouverture culturelle pour notre nouvel environnement. Au bout du compte, il n’existe pas de recette parfaite. L’intégration est un repas auquel tout immigrant est convié, pour d’abord le préparer et ensuite le déguster. Il est bien dit que l’appétit vient en mangeant !


Nature ou Culture? Question Capillaire

Vivi Pic
Crédit Photo: Adjoa Sika « Hair »

L’expression est bien connue : “on a beau chasser le naturel, il revient toujours au galop!” Et si cette phrase s’applique dans bien de domaines de la vie, pour nous femmes noires elle a encore plus de sens quand il s’agit de nos cheveux. Que d’efforts quotidiens pour maintenir notre chevelure, particulièrement pour celles d’entre s’adonnent au défrisage. La chasse aux “racines” est une lutte perpétuelle!

Le rapport que chacune de nous maintient avec sa tignasse a fait l’objet de bons nombres d’articles, d’essais, et de blogs. Tout récemment le sujet a pris une place centrale dans Americanah, le roman acclamé de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Celle-ci semble avoir déclaré une véritable guerre aux produits chimiques, et le démontre dans son choix de cheveux naturels qu’elle arbore dans des styles divers. Voilà donc quelqu’un qui a pris en main le destin de son cuir chevelu et nous encourage toutes à en faire autant. Hélas, de cet encouragement à l’acte, il y a un fossé que beaucoup d’entre nous ont du mal à franchir.

Difficile en effet de faire fi d’un demi-siècle d’idées reçues qui veut que la norme pour la femme noire c’est les cheveux défrisés ou tressés. Il faut dire que pour la plupart d’entre nous, le parcours de notre chevelure était tracé d’avance. De la naissance à l’adolescence, nos cheveux naturels étaient à la charge de nos mères, qui tant bien que mal les domptaient sous des tresses en tout genre. A l’adolescence, les changements corporels que nous vivions s’accompagnaient alors de l’initiation de notre cuir chevelu au défrisage. Peu d’entre nous ont réellement eu le choix ou appris à gérer les cheveux naturels. Ce qui explique peut-être l’appréhension, voire le malaise, que beaucoup éprouvent à l’idée d’abandonner le défrisage.

Au delà de la peur de l’inhabituel, il y a bien sur les facteurs sociaux de notre réalité moderne. Tout d’abord, la crainte des regards interrogateurs de notre entourage ou dans le cadre professionnel. Même si on dénombre de plus en plus de femmes noires qui se laisse tenter par l’aventure, les cheveux naturels, coupés simples, en afro, ou même domptés sous des tresses, restent encore l’exception, quelque soit l’endroit où nous vivons. Il est vrai que les cheveux naturels, l’afro en particulier, est souvent associé à une rébellion ou à quelque revendication sociale. Ce n’est pas à tord. Dans les années 70, l’afro est devenu un symbole de la doctrine “black is beautiful”, et par extension, semble rester le symbole du noir un peu anarchiste, ou tout du moins, qui veut en donner l’impression. On a bien vu la ferveur que l’afro du fils du nouveau maire de New York  a inspiré aux électeurs. Du jour au lendemain, le jeune Dante de Blasio qui n’a rien du physique du fils à papa politicien, est devenu un symbole du ras-le-bol des New Yorkais « laissés pour compte ».

De même la coupe de cheveux de l’actrice Kenyane Lupita Nyong’o a fait autant parler d’elle que sa silhouette longiligne, son teint noir, et ses réels talents d’actrice. On a voulu voir en elle un symbole révolutionnaire postmoderne, comme si elle était précurseur des cheveux courts. Pourtant nombres de femmes ont adopté ce style de par le passé, dont l’inoubliable Grace Jones. Et même si elles n’ont pas réussi à convaincre la masse, beaucoup de femmes ont accepté cette option depuis des décennies. Il faudrait que les cheveux naturels, courts, afro, ou en dreadlocks, cessent de véhiculer un message et deviennent un choix tout aussi acceptable que les tresses, le défrisage, ou pourquoi pas, la boule à zéro de ces messieurs!

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Crédit photo: D. Danklou

Un autre facteur important de découragement, est l’effort de maintien. Personnellement, j’ai opté pour une coupe au raz du crâne, parce que c’est plus pratique et surtout parce que moins cher en ce qui concerne la maintenance! Je suis toujours choquée du budget requis aux Etats unis pour maintenir une coiffure considérée décente. J’ai une amie qui se défoule pendant les vacances chez elle à Lomé au Togo, en permutant ses tresses toutes les semaines, rien que pour compenser sa frustration de ne pouvoir se tresser régulièrement aux Etats Unis, étant donné le coût. Et ce n’est pas donné, que ce soit pour le défrisage ou les tresses. Le maintien des cheveux naturels demande de même un investissement non-négligeable. Malgré la disponibilité de la main d’œuvre et une multitude de gammes de produits, le budget coiffure reste donc conséquent dans les dépenses des femmes noires.

Dernier problème de taille, le manque de temps. A la différence des tresses qu’on peut garder jusqu’à 2 mois, voire plus selon les plus coriaces d’entre nous (avec le sacrifice d’une journée pour les faire), la contrainte des 30 minutes quotidiennes, matin et soir, qu’il faut consacrer aux cheveux naturels est bien réelle. Car il ne faut pas croire que parce que les cheveux sont naturels, on peut se permettre de les laisser pousser à leur gré, bien au contraire. Un soin particulier est d’autant plus requis pour celles d’entre nous qui vivons dans un climat non-adapté à l’épanouissement de nos cheveux. Par temps de température négative, les cheveux naturels cassent et tombent! Un effort surhumain est nécessaire pour les garder en vie. C’est le moment que certaines choisissent de se tresser en attendant le retour du beau temps. Pour celles qui en font un choix permanent, une gamme de produits adéquats s’impose. Il faut souffrir pour être belle, et encore plus pour de beaux cheveux naturels !

Voilà autant d’arguments à l’encontre du choix de cheveux naturels. Pourtant cette option reste accessible. Il est évident qu’un changement d’attitude et de mentalité est nécessaire. Tant pour celles qui souhaitent retourner aux sources, que pour d’autres qui n’y voient aucun intérêt, pour qu’il y ait compréhension mutuelle, sans regard accusatoire ni condamnation de part et d’autres. Chacune est libre d’adopter le style de coiffure qui lui convient le mieux. Une chose est certaine, l’utilisation constante des produits chimiques n’est pas sans conséquences. A en croire l’expérience de nos mères et grand-mères, les premières à les avoir expérimentés, les effets néfastes sont bien visibles. Alors qu’elles traversent cette phase déjà éprouvante qu’est la ménopause, beaucoup d’entre elles se retrouvent avec une chevelure affaiblie du fait du contact incessant avec les produits chimiques. Nul besoin de statistiques pour le constater, vous avez sûrement quelqu’un dans votre entourage qui pourrait en témoigner.

Voilà donc de quoi faire réfléchir. Une analyse que beaucoup semblent faire. A en croire les vidéos et échanges qui pullulent sur les réseaux sociaux, les adeptes de cheveux naturels augmentent de jour en jour. Chez nous au pays, comme partout ailleurs, les jeunes filles commencent à se laisser tenter. Espérons qu’elles tiendront et pourront ainsi banaliser la vague, et tétaniser l’engouement populaire pour les mèches artificielles de couleurs diverses! Seule l’augmentation du nombre de ces “courageuses” feront des cheveux naturels un choix classique, une norme, et non plus juste une mode ou un signe de revendication.


Au commencement il y avait…

Au commencement, il y avait une pensée et un désir de la cultiver pour arriver à l’exprimer. Vient alors l’idée de chercher un bout de terrain, un champ en jachère ou déjà cultivé, peu importe pourvu que ce soit un espace approprié pour cette culture d’une nouvelle flore. Le champ fut identifié, la semence eut lieu. Quelques semaines plus tard la pensée germa. Nous voici donc en pleine culture. Merci Mondoblog pour m’avoir offert l’opportunité de planter Djifa sur cette plateforme!

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Crédit Photo: J. Danklou