fanchon

Swag, stag et bagad… Libertad (1)

Un dimanche par-ci, un dimanche par-là, si vous ne savez pas quoi faire le week-end, embarquez-vous comme l’ami Jamel dans un train en partance pour la Bretagne et à coup sûr vous aurez droit au grand frisson. Pas celui du surfeur qui préfère l’eau salée au capuccino bien chaud, non un frisson qui rime avec biniou, bourdon et bejon. Ca vous dit ?

Quand Jamel vient m’apporter des dattes bien fraiches de la ferme familiale en Algérie, – je vous dis ça, c’est pas des blagues -, il a droit à de la musique bretonne sans que j’aie eu à programmer quoique ce soit. Je laisse faire le hasard, il fait bien les choses. Des groupes de musiciens souriants, splendides dans leur costume trad, s’attroupent régulièrement devant le Quartz à Brest, le Palais des Arts à Vannes, ou au pied du Château des Rohan à Pontivy. C’est juste affaire d’habitude et… jamais loin de la gare ! C’est toujours en compagnie de Jamel que je me suis surprise à rejoindre la foule à Lorient pour la grande parade, pas peu fière il est vrai de savoir que mes loulous, Elouan, Lucine et Maëlan, étaient du défilé.

Au-delà du frisson, au-delà de la beauté du spectacle, y a t’il dans cet engouement porté par une jeunesse bretonne en prise avec son époque des clés pour s’intéresser à cette musique, à ce qu’elle explore à travers un répertoire qui a (miraculeusement ? Non !) échappé à la destruction de tout un héritage culturel. Le breton, langue celte, est toujours menacé de disparition, quant aux paysages si diversifiés autrefois, ils n’échappent pas non plus aux standards du moment, ni aux effets de la mondialisation. Il y a un mois jour pour jour, Plan B s’intéressait au Festival International des Nomades. Contexte différent, mais tout bien pesé, même préoccupation à partager, même espoir à semer pour la jeunesse, à travers nos patrimoines et les enjeux de leur transmission.

C’est grâce au pari lancé et remporté par le bagad de Vannes, gagner le coeur des français grâce à une émission de TV en prime time, que cette musique bretonne remporte l’année passée son deuxième grand succès médiatique après la célèbre chanson d’Alain Souchon. J’écarte volontairement l’épisode de l’hymne national chanté par Nolwenn Leroy au Stade de France, en mai 2014.

 Fanchon

Tu la voyais pas comme ça ta vie, Pas d’attaché-case quand t’étais p’tit, Ton corps enfermé, costume crétin, T’imaginais pas, j’sais bien.
Moi aussi j’en ai rêvé des rêves. Tant pis. Tu la voyais grande et c’est une toute petite vie. Tu la voyais pas comme ça, l’histoire : Toi, t’étais tempête et rocher noir. Mais qui t’a cassé ta boule de cristal, Cassé tes envies, rendu banal ? Extrait « Le bagad de Lann Bihouë », Alain Souchon, 1979

Le bagadig de Pontivy gagne le concours de 4ème catégorie. Euphorie !
Le bagadig de Pontivy gagne le concours de 4ème catégorie. Euphorie !
Durant des siècles, en Bretagne comme dans les dunes du Sahara, notre héritage culturel s’est transmis sans qu’il soit besoin d’intimer l’ordre aux populations via leurs gouvernements respectifs de contribuer par leur talent à la bonne marche du monde, à son enrichissement spirituel, social, économique, environnemental, ou de se taire, renforçant par là-même le besoin d’exprimer sa différence, de résister aux codes imposés par la culture de l’envahisseur ou le régime de la terreur.

Bien sûr l’histoire montre combien les liens entre pouvoir et culture sont complexes et souvent schizophrènes. Elle témoigne aussi, à l’exemple du sauvetage in extremis de la mémoire millénaire de Tombouctou, que le pouvoir qui survit aux époques, aux dynasties, aux massacres des hommes et des oeuvres, est celui du geste, de l’écriture, de la pensée, de l’imaginaire, de l’exploration du monde, pouvoir d’une humanité agissante qui surgit partout où un regard singulier interroge une forme, un mouvement, une idée.

Tombouctou ouvre une nouvelle page dans l’histoire du droit international. L’information est tombée cette semaine avec le premier procès d’un djihadiste devant la Cour pénale internationale. Force du symbole : cette décision intervient dans une époque où la culture comme l’émancipation des peuples et des individus sont clairement prises pour cible par des Etats, des multinationales et autres groupes fanatiques, fortunés, protégés mêmes, quand des millions de populations pacifiques continuent d’être minorisées dans l’indifférence générale, voire le consentement le plus total des dites populations.

Sans doute menacent-elles par leur culture d’autres causes universelles plus essentielles, plus existentielles ? Qu’on m’explique !

« S’attaquer à la culture d’un peuple, c’est s’attaquer à son âme et à ses racines. Vouloir les faire disparaître en les détruisant, c’est vouloir effacer la mémoire et le passé de ce peuple en lui enlevant ses repères, ses valeurs et tout le référentiel qui constitue le ciment de ce peuple. » Courrier international, 2 mars 2016

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17 /11/16, la Une du numéro spécial du Courrier international. Pontivy fait les titres des médias nationaux suite à la manifestation fasciste du 14/11 autorisée par le Préfet du Morbihan. Stupéfaction, incompréhension !

«Les violations des droits de l’homme sont comme les ondulations d’un sismographe, qui affichent le signal d’un séisme à venir. Aujourd’hui, ces ondulations se font plus rapides et plus amples. Elles signalent des violations croissantes et graves de droits et principes fondamentaux. Ces chocs sont provoqués par de mauvaises décisions, des actions dépourvues de principes et souvent criminelles, ainsi que par des approches étroites, à court terme et excessivement simplifiées de questions complexes.»

Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies, extrait du discours d’ouverture du 31ème Conseil des Droits de l’Homme

Car s’il faut du temps aux idées pour s’imprimer dans une réalité et la faire évoluer, le temps se charge aussi des modalités par lesquelles s’organisent la destruction ou la transmission de ces inventions plus fragiles que jamais. Les technologies s’offrent le luxe aujourd’hui d’explorer les univers de la réalité augmentée, autre débat, autre sujet, mais autant dire que le comble de l’absurde serait bien sûr que cette trouvaille soit l’exacte condamnation ultime d’une réalité vidée de son sens.

A l’heure de la révolution numérique, quelle énergie nous parle encore de ce qui fait la force et la richesse de nos civilisations, de leur capacité à évoluer avec humanité, à produire du beau, à donner du sens ? Après avoir arpenté les extraodinaires paysages de la Vallée du Drâa, m’être perdue avec délice dans l’imaginaire des kasbahs et du blues touareg pour combattre les images indélébiles laissées dans mon esprit par ses fous d’Ansar Dine, il est temps.

Aman, breman – Ici, maintenant

A suivre…

 B comme Bonus

« Bejon » est une expression populaire qui renvoie à l’idée d’énergie.

L’actu internationale https://www.courrierinternational.com/article/mali-la-cpi-sempare-des-destructions-de-tombouctou

Un film en breton qui témoigne de l’ouverture et de la force de la rencontre, avec Jeff un des sonneurs du bagad de Pontivy, Kerlenn Pondi

« En mai 2011, Safar, un groupe de musique taarab de Zanzibar est invité au festival « Bombarde et compagnie » de Cléguérec parce qu’il compte en son sein un zumari, la bombarde de Zanzibar. Safar se produit sur scène avec le bagad Kerlenn Pondi. Sonneurs de bombarde et  musiciens de taarab tissent des liens d’amitié. Les Bretons sont à leur tour invités à Zanzibar. Ensemble, ils s’interrogent sur la préservation et la diffusion des musiques traditionnelles, sur les rapports entre mémoire et création… »

https://www.kalanna.com/fr/safar-eus-pondi-da-zanzibar


Tous nomades ! Naître libre et le rester…

Chaque année le mois de mars sonne le retour des guitares touarègues et autres musiques du monde sur la scène du Festival International des Nomades. Depuis sa création en 2004, l’événement fait date au Maroc comme à l’international. C’est un rendez-vous précieux avec des modes de vie adaptés à un milieu fragile, avec une culture et des coutumes menacées de disparition. Il témoigne de l’attachement de toute une population à ses racines, à son histoire, à un avenir qu’elle souhaite meilleur pour chaque enfant qui a la chance de grandir en paix dans cette magnifique vallée du Drâa aux portes du Sahara marocain, mais aussi partout ailleurs sur la planète.

« Le Festival est notre image commune et un outil partagé par tous pour la promotion de notre patrimoine ».

                                                                                                                                                                                                                                                                                                  Noureddine Bougrab, créateur et directeur du festival

Femmes de M'Hamid au Festival, Edition 2011 © S. Coulaud
Femmes de M’Hamid el Ghizlane au Festival, Edition 2011 © S. Coulaud

Emblématique par sa situation géographique et son passé prestigieux, M’hamid el Ghizlane, dernière oasis de la Vallée du Drâa, se prépare à accueillir du 18 au 20 mars des festivaliers venus de très loin pour vivre, parmi et avec les habitants, trois jours de fête au parfum d’aventure.

Choisir de vivre l’expérience d’un festival marocain dans le désert à M’hamid (mars), Merzouga (avril) ou Tighmert (fin juillet), c’est reprendre pied dans un monde traditionnel étranger à nos modes de pensée : subtil dans l’art de l’accueil et de l’échange, étonnant dans ce qu’il dégage de puissant et d’irrésistible.

C’est aborder sans forcément les comprendre des codes et des manières d’être. Pas de panique ! Laisser faire, laisser reposer, déposer… Attendre, détendre, jusqu’au moment où le corps et l’esprit libérés des tensions, du stress, du temps qui presse, peuvent enfin s’abandonner à une alchimie vivifiante dont l’équilibre fragile oblige chacun, homme, femme, enfant, à faire profil bas devant l’adversité sans rien perdre de sa fierté, de sa joie de vivre, de sa soif de partage.

Et si l’urgence, c’était justement d’apprendre à ré-ouvrir la porte à notre propre soif de liberté, de simplicité, d’ailleurs ?

Une belle expérience que j’ai été très heureuse de partager avec une équipe motivée et sympathique ; une aventure originale, improvisée, chaleureuse et tellement humaine  ! J’aime.  

 

                                                                                                                                                               Dominique Micollier, bénévole, du Sud de la France au Sud Maroc, mars 2015

Dominique, la reine du backstage, est une habituée des festivals. Son truc, c'est la déco et des artistes bien dans leurs tongs !
Dominique, la reine du backstage, est une habituée des festivals. Son truc ? La déco avec trois fois rien, un sourire pour chacun : artistes, bénévoles, techniciens

Affiche Festival des Nomades 2016Dans cette ambiance d’oasis et de désert, entre effervescence et nonchalance, candeur et intelligence, sagesse et démesure, tout invite à laisser derrière soi habitudes et autres servitudes. Vous serez bien surpris de n’être plus sur vos gardes quand l’idée même de confiance semble avoir bientôt déserté nos sociétés post-modernes.  Saviez-vous qu’au temps des caravanes, il y avait un endroit connu de tous les bédouins au sud de M’hamid, l’Oasis Sacrée, plus sûr qu’une banque et mieux gardé par personne que par mille soldats ?

Pour l’heure, au souk, dans les kasbahs, à la fin de la palmeraie, dans les bivouacs alentours, et peut-être même au sommet du Zahar face aux caméras de la frontière ultra-sécurisée où se perdent encore quelques dromadaires malgré les barrières, le sujet de conversation est tout trouvé. Tout le monde s’active.

A la manœuvre depuis 2004, date de la création de l’association Nomades du Monde et de la toute première édition du Festival International des Nomades, Noureddine Bougrab est celui qui peut le mieux nous parler de ce projet fou, porté par une équipe locale 100% bénévole. En moins de dix ans, le festival a su s’imposer comme une référence, malgré les difficultés inhérentes à l’éloignement et à l’absence d’équipements culturels opérationnels dans cette région saharienne.

Ce fils du désert a concrétisé son espoir : partager sa culture au-delà des frontières et faire de son vilage, M'hamid el Ghislane, un carrefour des cultures nomades
Ce fils du désert incarne l’espoir et la foi en la jeunesse. Son rêve ? Partager sa culture au-delà des frontières et faire de son village un carrefour des cultures nomades. En 2004, le rêve devient réalité et depuis… Noureddine voit toujours plus loin. Il trace le chemin !

Dans ce dénuement propre aux modes de vie nomades, nul besoin d’artifice, de surenchère. Chacun fait avec ce qu’il a, avec ce qu’il est, avec les amis qui se bougent aussi à l’étranger. Le succès de l’initiative participe et contribue à faire vivre la magie d’une sympathie universelle, ce rêve de liberté et d’aventure qui entretient dans l’imaginaire collectif l’image vivace du temps des caravanes sur tous les continents.

Les hommes bleus et leur incroyable destin continuent de faire rêver la terre entière. Pour Adil Belaguid, jeune diplômé trilingue en recherche d’emploi dans le tourisme, être présentateur du festival, c’est plus qu’un honneur, c’est une histoire de cœur. “Anything for M’hamid is dear to my heart. Se sentir nomade, c’est se sentir libre de créer. »

Rares sont les jeunes à M'hamid qui ont la chance d'aller à l'université, mais tous vont au festival depuis 2004, c'est déjà ça !
Rares sont les jeunes au village qui sont allés à l’université comme Adil, mais tous vont au festival depuis 2004, un beau combat ! Mohamed, à droite sur l’image, ne dira pas le contraire. Il a choisi la vie d’artiste, aussi libre et heureux sur une scène qu’au désert.

Entretien avec Noureddine Bougrab 

Quoi de mieux que la culture pour favoriser le développement? 

PB : Lorsqu’en 2004 vous relevez le défi de créer un festival dans votre village, comment cette initiative a-t-elle été reçue?

NB : L’initiative a été très bien accueillie par tous, particulièrement par la population locale dont le patrimoine y est mis à l’honneur. Ils ont aimé l’idée que ce soit l’un des leurs, un fils du désert, qui ait eu cette volonté de créer le premier événement culturel de M’hamid et même de toute la région du Drâa. Quoi de mieux que la culture pour favoriser le développement?Guedra et danseuse

PB : De nombreux partenaires vous soutiennent dans cette aventure. Comment avez-vous su les faire adhérer à cette cause qu’est la transmission de vos traditions, de vos coutumes, à cette volonté de partager ce patrimoine au-delà des frontières ?

NB : A cette époque, défendre le patrimoine était un défi dans notre pays. Or le patrimoine matériel et immatériel des nomades était en perdition. Pour moi, il était urgent d’agir pour éviter que toutes nos valeurs et traditions ne se perdent, il fallait pour cela qu’elles soient transmises aux jeunes générations! Au Maroc et ailleurs, tout le monde ne connaît pas le mode de vie des nomades. La plupart de ceux que j’ai contactés ont été intéressés d’en découvrir plus. Je pense pouvoir dire que j’ai généralement un bon contact avec les gens et que je leur inspire confiance. Ce sont ma détermination et ma patience qui m’ont permis de convaincre des partenaires de l’urgence de la situation et de les amener à s’engager pour cette cause. La confiance accordée par les premiers partenaires a encouragé d’autres à s’investir. Je les remercie de leur fidélité et de leur esprit citoyen! Nous ne les avons pas déçus et nous faisons en sorte que les partenariats soient reconduits. Grâce à cette confiance renouvelée dans la coopération, le Festival des Nomades est devenu, année après année, un événement incontournable dans le calendrier des festivals du Royaume.

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PB : Comment les habitants apportent-ils leur concours à l’initiative ?

NB : Ce sont surtout les jeunes qui sont très impliqués, ils sont conscients qu’une telle manifestation participe à la promotion et au développement de leur région. Être partie prenante de l’événement les aide à développer leurs compétences d’organisation et de communication. Cela leur donne accès à de nouveaux horizons. Le festival est un événement fédérateur qui crée une dynamique locale, à l’origine de multiples nouvelles initiatives. Il est devenu un véritable vecteur de développement. Et c’est là une des vraies originalités de ce festival au désert.

PB : Diriez-vous que le Festival International des Nomades est un événement dont toute la population peut aujourd’hui s’attribuer le succès et la notoriété internationale, au même titre que vos soutiens au Maroc et à l’étranger ?

NB : OUI, c’est une évidence pour la majorité d’entre elle ainsi que pour tous ceux qui nous soutiennent. Les jeunes de M’hamid qui nous secondent partout où c’est nécessaire ont leur part dans la bonne organisation de la manifestation. Tous les groupes de jeunes musiciens de M’hamid se produisent chaque année devant leurs amis, familles et fans sur une scène internationale!

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Nati James est compositrice, chanteuse, chef d’orchestre du Nati James Orchestra et danseuse de flamenco. A M’hamid, elle présentera son spectacle « Yalil Flamenca »

Il est donc logique qu’ils se sentent fiers et s’approprient un peu l’événement! Si les femmes ne se déplaçaient pas, je sentirais l’échec de l’initiative. Or, elles sont très nombreuses à venir assister à toutes les activités. Le Festival est notre image commune, et un outil partagé par tous pour la promotion de notre patrimoine.

PB : Votre engagement, celui des bénévoles permettent d’offrir à tous et gratuitement une programmation dense et riche. Quelles convictions profondes vous permettent de ne pas céder à la facilité pour garder au contraire intacte au fil des ans l’ambition première de cet hommage aux cultures nomades?

NB : Ce sont mes propres racines, ma culture. J’en suis fier et j’y suis très attaché! C’est pourquoi il est important à mes yeux de ne pas dévier du concept d’origine, pour garder à cette manifestation toute son authenticité et tout son sens. Et même si le festival programme chaque année un ou deux groupes plus «modernes», c’est pour satisfaire la population locale qui est une des premières cibles de mon engagement, et qui n’a pas facilement accès à l’art et la culture, ni à une grande offre de distraction sur place. C’est grâce à nos partenaires, autorités locales, bénévoles qui travaillent assidûment à nos côtés, que cela est possible.

Mari Helander et Anne Lise Johnsen Swart
Mari Helander et Anne Lise Johnsen Swart seront sur scène le 18 mars pour partager avec le public l’art du conte, de la poésie et du chant, chez les Sami

PB : En 2016, quelles raisons aimeriez-vous évoquer pour que de nouveaux festivaliers rejoignent M’hamid El Ghizlane du 18 au 20 mars?

NB : L’attrait d’un voyage culturel qui côtoie le naturel. L’invitation à la découverte, à l’échange, au partage dans la joie, la simplicité, la générosité de l’accueil, l’authenticité qui donne son «âme» à notre festival. Le festival se développe édition après édition avec une programmation toujours renouvelée et de qualité. Le nombre d’activités augmente, rendant l’événement toujours plus intéressant.

PB : Parmi les propositions qui figurent au programme cette année, quelles sont celles qui vous tiennent particulièrement à cœur, à titre personnel ? Pourquoi ?

NB : Je serai heureux de mettre en place cette année le projet du Forum des Nomades, ensemble d’ateliers visant à réfléchir à des solutions, à donner de l’espoir dans l’avenir du nomadisme. Par ailleurs, concrétiser des échanges Nord-Sud (entre artistes et entre festivaliers) est important à mes yeux. Ils se feront par la participation, entre autres, des chanteuses de Joïk que je souhaitais inviter depuis mon premier voyage chez les Sami en Norvège, de Terakaft venant du désert, et d’autres artistes de divers horizons.

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Rendre à ma terre, à ma famille, ce qu’elles m’ont donné de si précieux

Témoignage d’Adil Belaguid

Petit garçon ayant grandi dans un si petit village, j’essayais de comprendre comment devenir un homme, un homme bien. Trouver sa voie dans la société d’aujourd’hui quand tu es né au Sahara, un territoire immense qui ne bénéficie pas des mêmes perspectives, des mêmes atouts que d’autres régions, ce n’est pas chose facile. Alors la solution, c’est de partir de ce que je suis, de ma culture nomade, d’exprimer cette liberté qui est la mienne. Si je suis bénévole, c’est pour porter ce message et le partager.

C’est ma façon de rendre à ma terre, M’hamid el Ghizlane, l’énergie qui fait que je suis devenu l’homme que je suis. Les gens disent souvent que le désert, c’est du vide, ils disent qu’on ne peut rien faire avec du vide. Pour moi, c’est tout le contraire. Au Sahara, notre mode de vie forge des qualités que les sociétés urbaines ont réduites à néant. J’ai l’intime conviction que les valeurs qui sont les miennes et celles des nomades de par le monde ont du sens. Elles peuvent contribuer aux échanges, elles permettent d’inventer des réponses, y compris pour imaginer les villes et les campagnes de demain.

Quand le festival a vu le jour, cela n’a pas été juste une très belle occasion pour nous, habitants du village, de nous retrouver pour faire la fête et faire vivre nos traditions. Je l’ai vécu comme une véritable opportunité de nous reconnecter à nos racines. Sans des rendez-vous comme celui-là, nos racines peuvent perdre toute signification dans nos existences, dans nos façons de vivre le présent, de penser l’avenir.

Car comme l’eau, le bois, le bétail, le sable même, avec lequel nous faisons tant de choses, la culture est une ressource des plus précieuses.

 

Le Festival International des Nomades est un hymne à la joie, à l’amitié entre les peuples et à l’apport spécifique de notre culture telle qu’elle peut s’exprimer dans sa différence en écho à un monde en perpétuelle évolution.

Nous nomades, nous sommes les fruits de notre expérience, de notre capacité d’adaptation à tous les milieux, même les plus hostiles à vos yeux, quand ce qui me semble si contre-nature, c’est d’évoluer dans une société basée sur des obligations, des restrictions.

Naître libre, c’est un cadeau dont je sais le prix. Si je veux vivre ainsi, en nomade, c’est pour pouvoir me sentir libre. Je suis animé par cette volonté d’être à mon tour un passeur de culture, à l’image des anciens qui nous ont légué cette identité, cette fierté, cet esprit d’indépendance qui va de pair avec la conscience que nous sommes dépendants des ressources qui assurent notre survie, jour après jour. Car comme l’eau, le bois, le bétail, le sable même, avec lequel nous faisons tant de choses, la culture est une ressource des plus précieuses.

Adil espère rejoindre une grande université européenne dès septembre. Il aime son métier de guide au Sahara, participer à des rencontres de jeunes, comme en Ukraine cet été, et présenter en anglais les nombreux groupes qui le rejoignent sur scène tous les soirs durant le festival.

Merci à Noureddine et à son équipe bénévole d’avoir accepté pour les lecteurs de Mondoblog de lever le voile sur les coulisses et les valeurs de leur beau festival. Ils nous offrent en prime et en avant-première le nom des artistes à l’affiche de cette édition 2016. Le programme de concerts n’est pas encore mis en ligne sur leur tout nouveau site à faire connaître sans modération, mais ça ne saurait tarder.

Merci à vous de partager.

Terakaft – Afel Bocoum – La Nati – Flamenco – Goupe de Sami, Norvège                                                                         Mnat Azawan, Said Senhaji, Farid Ghannam, Said Charaad, Kel Tamasheq Oued Noun, Dakat Sif                                  Groupes locaux des jeunes de M’hamid

Le Festival International des Nomades est une invitation au voyage, au dialogue, à l’ouverture au monde. Chacun y est le bienvenu pour faire le plein d’émotions dont les nombreux reportages  consacrés à cette région ont saisi toute l’intensité.
Le Festival International des Nomades est une invitation au voyage, au dialogue, à l’ouverture au monde. Chacun y est le bienvenu pour faire le plein d’émotions dont les nombreux reportages consacrés à cette région ont saisi toute l’intensité.

B comme Bonus

https://www.nomadsfestival.org

https://www.facebook.com/nomade.monde

https://www.samigoldsource.com/

 

 

 

 


Contre tout ce qui brûle, Eliphen Jean nous prend aux mots, aux tripes

Il y a tout juste un an, Plan B s’aventurait, et s’inventait pour tout dire, du côté du Sahara avec l’interview virtuelle sur les bords du Niger de deux artistes de Kidal que j’espère rencontrer « pour de vrai » un jour. Rêve prémonitoire s’il en est d’une rencontre « vraie de vraie » avec le désert, comme si je ne pouvais me soumettre à une frustration de plus, celle de trop !

Ce désir né quasi à mon insu de me familiariser avec l’art de vivre, d’accueillir et de partager d’un peuple nomade, ce n’est finalement pas au Mali qu’il s’étirera jusqu’à faire la lumière sur mes zones d’ombre. C’est avec une autre population rurale d’origine nomade, qui par la volonté de décideurs urbains et sédentaires a fini par converger vers une petite bourgade étonnante, M’hamid el Ghizlane, autrefois synonyme d’oasis sacré pour les nombreuses caravanes arrivées à destination. Cette terre d’asile au pays des dattes a connu fin 2015 son heure de gloire télévisuelle sur France 5 grâce à un très beau numéro de l’émission Echappées belles. Chaud devant, pic d’audimat !

Là-bas, sur les rives du Drâa, je ne comprends pas encore qu’au-delà de la magie en trompe-l’oeil du Festival Taragalte, les portes du désert s’ouvrent sur d’autres langages. Autres soifs, autres sources, autres joies. Les dunes ne sont pas désertes, nous ne sommes ni égarés, ni naufragés, ni mis en demeure de choisir un camp, une frontière, une haine contre une autre. L’arche de Noé n’est pas à quai face à l’urgence de sauver nos dernières utopies mises en charpies.

Si je m’accroche au mât sous l’effet du tangage, c’est par peur de ne plus voir l’horizon. La coque du cargo crève la vague, la peur me ferme les yeux, le sel m’arrache des larmes, la gorge serrée, je bois mon amertume. L’horizon se dérobe à perte de vie. Je délire, je dérive, je prends la tasse, il n’y a pas de mât sur les porte-conteneurs garés en double-file sur le périphérique de la mondialisation, ni mode d’emploi pour ramener dans les lumières d’un siècle naissant les oiseaux de mauvaise augure. Il y a pourtant pire encore que la peur comme fil d’horizon barbelé : le pouvoir inconditionnel qu’elle donne à ceux qui en tirent profit. Fanchon

Alors je vais apprendre à voir avec d’autres yeux, je vais apprendre à suivre ceux qui, arrachés à leur mer de sable, à leur rêve de caravane, ne sacrifient sur l’autel du mieux-disant ni leurs racines, ni la richesse d’un héritage hors du commun.

Il est des peuples qui savent avancer au plus fort de la tempête, au plus grave de la tragédie, à pas de vague, au lieu de crier « tous aux abris » ou « sauve qui peut ». Parmi ces peuples, oubliés dans nos grandes métropoles mais bien gardés par les grandes puissances et les Etats qui les spolient de leurs biens comme de leur dignité, il en est un qui nous tend la main par-delà l’océan à travers la voix d’un de ses jeunes poètes : Eliphen JEAN.

Pour finir l’année aussi étrangement qu’elle avait commencé, il me fallait revivre une rencontre improbable, un moment d’exception comme seuls de  longs silences peuvent ramener à la surface de notre conscience. C’est Mondoblog-RFI qui m’en fait cadeau, à Dakar. Eliphen et moi sommes tous les deux lauréats de la sélection 2015 et, pour qui pour quoi, un matin de formation, je me redécouvre l’envie de faire court. « Fais-moi rêver ! »

Voilà que s’envole presque malgré moi un étrange SOS de terrienne en détresse. Je l’entends plâner quelques secondes dans les airs comme un avion de papier pour se poser quelque part. Où ? Je l’ignore et tant mieux. Dans la salle obscure, mes futurs amis haïtiens récupèrent très mal de leur long, si long voyage, mais la magie joue à plein et se charge de la logistique.

Si les avions en papier pulvérisent les records de vitesse, c’est avec discrétion, grâce à l’élégance avec laquelle ils franchissent le mur du silence.

Fais-moi rêver 

Je repense avec tendresse à cette façon dont nos regards ne se sont pas cherchés. Nous savions déjà où nous retrouver, sans urgence, à pas de vague. L‘expression est de lui, pas de moi. Le désert m’a heureusement rendue à ce que je suis, disponible et confiante, à l’écoute des ultrasons par passion, indifférente aux bruitages et autres enfumages, au mouvements de houle qui nous privent d’une pensée propre pour imposer une loi malsaine, destructrice. N’importe laquelle pourvu qu’elle soit induscutable et de la pire mauvaise foi possible.

Je ne sais rien de lui sinon qu’il me dira ce que je veux savoir quand je l’ignore moi-même encore. C’est comme si ne rien savoir était plus essentiel, plus vital encore pour reprendre sa respiration au bon moment dans le courant. Cela suffit à nous laisser porter l’un vers l’autre, sans s’attendre au choc d’une complicité insoupçonnable. Je partage avant même de le connaître son intime conviction : cette volonté que nous sommes là pour tenir ensemble.

Et nous tiendrons, Eliphen, nous tiendrons !

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Sur le bateau vers l’île aux esclaves, souvenir de Dakar avec une belle énergie venue tout droit d’Haïti, l’île aux génies

 

 

Ce n’est pas un hasard si cette voix, celle d’Eliphen Jean, ne monte pas d’un immense continent, mais d’un tout petit bout de roche volcanique perdu au milieu de l’océan. Ni paradis, ni enfer, juste un coin de terre où face aux éléments déchaînés comme sous le poids d’une histoire qui ne peut laisser indifférent, tant d’hommes et de femmes d’horizons divers ont forgé leur identité dans un destin commun : être haïtien.

Ce n’est pas une fatalité, si cette voix je l’entends dans mon casque, au moment où je retranscris avec délice cet entretien sans pouvoir vous l’offrir à mon tour comme je l’espérais. Cette sieste sonore restera dans l’entre-lacs imperméable de processeurs et autres mécanismes cellulaires pour lesquels je suis une incurable analphabète.  C’est juste rageant, pas décourageant !

Sans titre
« A Dakar, je me sens chez moi » Eliphen Jean

Pour commencer l’année en beauté, rien ne me ferait plus plaisir que de vous entendre dire avec vos mots à vous combien vous êtes touchés par la musique des paroles d’Eliphen. Même avec la plus exacte retranscription, je ne saurai rendre ici avec fidèlité ce qui en fait la force et l’étrange attraction. Vous faire entendre cette sieste zenégalaise dont je voulais délecter vos réveils entre deux oreillers et délester vos oreilles entre deux réveillons, est un défi technique. Ridicule, certes, mais c’est ainsi. J’y renonce. J’ai mieux à vous proposer, je crois, un vrai plan B quoi ! Créer vous-même l’espace vibratoire qui convient le mieux au dialogue à faire naître entre la pensée de cet auteur haïtien et votre regard singulier sur un siècle qui tangue entre les lignes discontinues de nos rêves, de nos peurs, ignorant dans son sillage, une cohorte de corps et d’âmes à la dérive. Déjà vu !

Ami lecteur, amie lectrice, voici l’heure des morceaux choisis extraits de cette sieste sonore avant de vous laisser en tête-à-tête avec la voix d’Eliphen Jean, sur les ondes de RFI, grâce à l’Atelier des Médias. Ce n’est pas pour rien que la radio, c’est un métier !

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Le premier recueil d’Eliphen Jean paraîtra en février 2016

Et si après ça vous brûlez d’envie de vous plonger dans l’univers d’Eliphen, histoire de vous sentir bien vivant, courrez acheter son premier recueil de poésie qui sort en février : TRANSES.

Flashback sur une sieste sonore zenégalaise

Lecteur pressé, voire agacé, tu peux zapper l’intro sans intérêt, si ce n’est celui de me faire sourire. L’autodérision a du bon ! Tu peux même aller liker sans plus tergiverser la page à deux lettres de celui qui sait si bien sur son bout de rocher nous rappeler l’importance de l’Art et des Belles-lettres.

 » Bonjour, vous êtes bien sur Plan B avec Fanchon, nouvelle rubrique, nouveaux plaisirs, vous êtes sur…comment dire…je recommence. Bonjour, vous êtes bien sur Plan B avec Fanchon, nouvelle chronique, nouveaux plaisirs, les Brèves du bivouac se sont posées à Dakar à l’occasion de la formation Mondoblog, une initiative portée par Radio France International et ses partenaires. Pour fêter çà, parce qu’il fait beau, puisque les oiseaux chantent, nous sommes le 6 décembre, nous attendons de prendre l’avion ce soir pour rentrer chacun dans nos pénates un peu partout dans le monde. L’idée, c’est de vous proposer une petite sieste, une sieste avec une très très belle voix, celle d’Eliphen Jean. »

Grâce à ma formation RFI, je sais que ce truc que j’appelle une intro s’appelle en radio un lancement. Pour être précise, si le truc en question voulait bien respecter les règles de syntaxe, cette improvisation pourrait ressembler à un lancement ! En attendant, Eliphen est près de moi et c’est juste un bonheur en soi que de me dire que je ne quitterai pas Dakar sans avoir pris la liberté de me mettre à portée d’orbite de son système solaire.

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J’écris comme je vis, librement

Eliphen Jean : morceaux choisis

Je suis quelqu’un qui croit que le monde pour qu’il survive exige l’harmonie de tous les continents.

Dans mon domaine, la littérature, je contribue et j’invite les jeunes de mon pays à prendre part à la construction ou à la reconstruction de ce monde qui est en train d’évoluer. L’écriture peut faire l’affaire.

Les haut-placés du monde lisent. Ceux qui sont les auteurs de tant de guerres dans le monde, ils lisent. Peu importe que beaucoup ne lisent pas, si le pouvoir des mots permet d’influencer les fauteurs de troubles.

Dans la vie, ça arrive d’avoir besoin de quelqu’un à qui parler, à qui causer, à qui dire ce qu’on ressent, quelqu’un à qui on peut faire confiance autre que soi-même.

Quand j’écris, j’apprends à me connaître et je comprends que le meilleur ami que je puisse avoir, c’est d’abord moi-même.

L’écriture est l’exutoire par où s’épanche ma déraison. Je m’égare dans le rêve en plein jour.

C’est l’envie de m’ouvrir au monde qui m’a poussé à écrire.

Comment s’ouvrir au monde ? Il faut créer à partir de ce que l’on sait faire. Si je suis à Dakar aujourd’hui, c’est parce que j’ai su être à l’écoute de mon talent.

J’écris comme je vis, librement, sans laisser de marge au non-dit. J’explore tous les recoins de ma pensée. Je ne me censure pas.

Je veux être la voix de ceux qui ne peuvent pas écrire ou dire. Parler de moi, c’est comme parler des autres. Cette réalité de misère à Haïti, je ne suis pas le seul à la vivre. Le « je » peut renvoyer à « nous ».

Dans le monde, nous constituons tous un ensemble d’individualités biologiques reliées entre elles comme elles sont reliées au cosmos.

Ce dont je rêve tout le temps ? Voir le monde parvenir à l’harmonie. Pour ça il faut d’abord se sentir concerné, se considérer comme appartenir à un seul univers, à un seul monde, il est nécessaire que chacun se sente faire partie d’une seule et même humanité.

Voir les continents tenir ensemble, c’est une utopie, l’utopie du bonheur, mais c’est une utopie possible. Changer le monde, ça passe d’abord par se changer soi-même.

Chaque année, Mondoblog met un point d'honneur à faire se rencontrer des blogueurs du monde entier.
Chaque année, Mondoblog met un point d’honneur à faire se rencontrer des blogueurs du monde entier. Une bien belle illustration pour Eliphen Jean, qui rêve de voir un jour les continents tenir ensemble.

B comme bonus

https://www.facebook.com/eliphen.jean

https://www.jebcaeditions.org/collection-limmortel.html

Suivre et soutenir une initiative portée par Eliphen Jean pour encourager d’autres jeunes à prendre la plume https://haitiecrit.wordpress.com/

Pour coller à l’actualité d’Haïti, excellent entretien avec Lyonel Trouillot sur France Inter

A lire bientôt, le prochain numéro de la revue haïtienne Legs et Littérature consacré aux écrivains francophones émergents

Clip d’une splendide expo : « Haïti, deux siècles de création artistique » https://culturezvous.com/haiti-deux-siecles-de-creation-artistique/

Interview de l’artiste qui m’a donné envie d’illustrer ce portrait d’Eliphen Jean par une de ses oeuvres : Tragédie tropicale  https://blog.uprising-art.com/interview-exclusive-maksaens-denis/

Et pour nous quitter, un poème culte qui nous ramène en 1910, quelques années avant la première guerre mondiale (texte lu par Ì Muvrini et Grand Corps Malade)

 

 

 

 

 

 

 


Attention travaux : lieux mouvants, châteaux de sable et puis quoi encore ?

Début septembre avait lieu au Maroc une double élection au suffrage universel : celle de représentants locaux qui auront à arbitrer les décisions concernant leurs concitoyens durant les prochaines années, celle de conseillers régionaux, élus jusqu’alors au suffrage indirect et dont le mandat actuel doit contribuer à initier un processus de décentralisation. A l’heure du développement durable et de la nécessité d’adapter les réponses aux multiples problèmes posés par le dérèglement climatique, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

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Maison traditionnelle : la terre, une ressource locale multimillénaire

Autre bonne nouvelle, du 6 au 9 octobre, Marrakech accueille un colloque international sur l’architecture de terre. La semaine suivante, à Ouarzazate, se tient la deuxième édition du Morocco Solar Festival. L’organisation n’hésite pas à mettre les petits plats dans les grands pour, selon l’édito en ligne : « Réveillez les consciences ».

Il n’en fallait pas plus pour me chatouiller les neurones, tant ce calendrier m’incite à partager ici quelques interrogations sur les circonvolutions d’une époque contorsionniste, parfois consternante. Ce billet mijote depuis quelques semaines déjà et m’offre enfin la possibilité de saluer le travail d’un architecte espagnol rencontré au Festival Taragalte.

Carlos Perez Marin est entre autre à l’origine d’un laboratoire mobile : Marsad Drâa.

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Un maçon applique l’enduit de finition terre sur le mur monté à la brique de terre. Une brique de terre crue coûte deux fois moins cher qu’un parpaing.

Très pragmatique et conscient de l’urgence à être sur le terrain aux côtés des populations, Carlos travaille beaucoup en lien avec les festivals du Sud marocain. Il anime régulièrement des ateliers pour sensibiliser aux nouvelles techniques de construction en terre et pour favoriser le dialogue autour de cette thématique qui lui tient à coeur : comment intervenir à temps sur un patrimoine menacé, qu’il s’agisse du paysage, du bâti, d’un savoir-faire traditionnel à transmettre. Cette année, entre deux déplacements dans des universités européennes, il a entrepris un travail d’inventaire colossal, qui se veut exhaustif pour pallier un déficit de visibilité, de reconnaissance de cet héritage culturel exceptionnel, mais particulièrement fragile et menacé.

Habitat-Terre : un rapport complexe au sud du Maroc

Je vous invite à prendre le temps de lire cette publication de Carlos Perez Marin, de savourer en prime la beauté des illustrations. Son regard d’expert et d’amoureux du désert pose mieux le contexte et les enjeux que je ne saurais le faire. De mon côté, je ne manquerai pas de vous donner des nouvelles de ce colloque à Marrakech, ainsi que sur l’état d’avancement d’actions qui sont conduites ici, en Bretagne. Car nous avons aussi notre architecture de terre. Fort heureusement, des réseaux régionaux comme Tiez Breiz, Charte Patrimoine, Etudes et Chantiers, font du super boulot depuis belle lurette pour accompagner professionnels, collectivités et propriétaires. Il n’ y a ni sauvegarde possible, ni politique de l’habitat efficace, ni urbanisme durable, si la première étape pose déjà problème, à savoir : convaincre de la pertinence à s’intéresser au bâti ancien, à ces modes de construction traditionnelle, à la transmission du savoir-faire entre générations.

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L’âne est omniprésent dans le paysage et essentiel à l’économie locale. En arrière-plan, symbole d’une vision d’un développement à deux vitesses au nom d’une certaine image du progrès. Argent et pouvoir immortalisés dans le béton riment ici avec abandon : une dépense parmi d’autres qui aurait permis de répondre autrement aux besoins des habitants, si elle avait été investie ailleurs.

Quant à faire l’apologie du solaire, soit ! Dans le désert, ça s’impose me direz-vous. Mais c’est comme si quelque chose sonnait faux ou sentait l’arnaque. J’aimerais mille fois mieux avoir tort et applaudir des deux mains à l’idée de ce concert donné par exemple par des musiciens de l’Opéra de Paris dans les dunes du Sahara, sauf que… je ne peux pas.

Ce n’est peut-être que le mot vitrine, un peu récurrent dans le discours et entre les lignes qui m’indispose. Parce que j’y vois non pas le reflet d’un futur enchanteur, mais le miroir outrancier d’un présent circonstancié…aux règles du profit, aux abus de pouvoir ?

«Tout gros mensonge a besoin d’un détail bien circonstancié moyennant quoi il passe » Prosper Mérimée

Dixit le site du dit festival :  » le Morocco Solar Festival s’inscrit pleinement dans une démarche citoyenne qui, pour la première fois, fera du désert du Sahara marocain la vitrine d’un modèle de développement unique ; la vitrine d’une terre de dialogue et de rencontres ; la vitrine d’un pays profondément attaché au développement des nouvelles énergies et en particulier du solaire. »

Silence, chaque mot a son importance. Cet hymne à la responsabilité reprend, l’air de rien, les bonnes méthodes de la pensée unique. Qu’en est-il sur le terrain ? Est-ce que la réalité colle au dessein et le dessein à la vision de ceux dont les choix impactent la destinée de leur communauté : les élus ? Au rêve d’Icare, je préfère le temps de cette promenade en amnésie l’adage de Saint-Thomas.

« Et dans mon sac vert,  il y a d’l’air, c’est déjà ça » Alain Souchon

Ça tombe bien, sur fond de campagne électorale, j’ai saisi l’occasion de faire le tour d’une commune rurale au carrefour de mille et une pistes conduisant autrefois à d’autres portes du désert, M’hamid el Ghizlane. Là où des milliers de touristes du monde entier débarquent pour s’offrir le séjour de rêve au coeur des dunes, me voilà à l’affût de ce qui dans le paysage fait sens, non pas avec une histoire, une identité, des ressources et un savoir-faire spécifiques, voire avec une logique liée à l’économie débridée de nos années folles à nous… oui, je m’en excuse auprès des revendeurs de cartes postales, je dresse le listing des chantiers et autres travaux qui me semblent illustrer à l’échelle microlocale ce que d’aucuns pourraient appeler des GPII*, si nous étions sur la base de nos références occidentales, et toute proportion gardée.

* grands projets inutiles et imposés

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A l’entrée de M’hamid, à droite le souk dont l’activité économique est en perte de vitesse, à gauche, une construction en béton, la Maison de la culture peut-être, me dit-on.

J’aurais pu intituler cet article « Miroir, mon beau miroir, hommage au pouvoir », pour reprendre l’image du célèbre conte collecté par les frères Jacob et Wilhelm Grimm, « Blanche Neige ». C’est la force du conte que de porter à connaissance de chacun, par la force de l’imaginaire, du symbole, les traits les plus caricaturaux de notre humanité… universelle.

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La peut-être Maison de la Culture, j’y entre. Les gens d’ici non. Il ne se sentent pas concernés. Les gradins occupent un espace réduit, comme si le public comptait moins que l’espace réservé aux personnalités de marque… face au grand vide !

Attention travaux ! Là où de prime abord je n’avais cerné que les ombres mouvantes d’un immense chantier, d’une apparente cacophonie architecturale, façades en briques de terre, immeubles en parpaing, se révélaient des formes qui avaient échappé à mon regard. J’étais moi-même perdue dans l’ensemble, absorbée tout entière par l’esthétique du mouvement, de la lumière, d’une vie foisonnante.

Etrangère.

Je déambule dans M’hamid el Ghizlane, à quatre heures de route des studios de Ouarzazate, pour m’offrir une lecture de paysage en version cinémascope, sans rien rater cette fois du décor carton-pâte. Je relève au contraire méticuleusement, comme une archéologue qui chercherait dans le présent les tessons du futur, les traces laissées dans l’espace public par les responsables successifs qui ont présidé au destin de cette petite commune de la vallée du Drâa. Le dédale des ruelles de l’ancien M’hamid et la beauté des espaces cultivés dans la palmeraie témoignent du passé prestigieux de cette étendue désertique. Mais pour combien de temps encore ?

Quelles ressources sont mobilisées pour faire vivre ces architectures de terre au passé légendaire, dans une région touristique qui tient son identité et son prestige de l’héritage des caravanes ? Question de priorité : une salle de spectacle pour se donner des airs de ville, c’est ce que j’appelle une priorité quand tout ce que demande une population, c’est un avenir pour les enfants qu’elle envoie à l’école et du travail.

Au-delà de l’incongruité parfois gratuite, souvent outrancière, c’est surtout d’être à ce point non surprise, qui m’étonne. Si ce qui me saute aux yeux à quelques jours d’un scrutin n’a pas attiré mon attention plus tôt, c’est pour une raison bien simple. Je n’avais pas envie de m’encombrer si loin de chez moi des affres générées par un système en proie à l’emballement, à la surenchère, à l’irresponsabilité, auquel j’ai cru illusoirement pouvoir échapper en prenant mes distances.

Comme en écho aux discussions de campagne auxquelles je n’ai pas accès, une évidence s’impose peu à peu au gré de cette exploration rurbaine : le non-sens de certaines formes d’exercice du pouvoir politique. Quand le gris du béton dispute la vedette à l’asphalte, quand le ruban de goudron se déroule comme un tapis rouge au pied d’un lotissement bardé de poteaux électriques qui n’alimentent aucune maison, quand les équipements semblent déjà désertés avant même d’être finis, que dire, sinon que le caractère monumental des édifices, la démesure des projets ne font que renforcer le sentiment de vide, d’absurde, de pauvreté. Oui, quelque chose sonne vraiment faux dans le tableau.

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Le plastique, c’est fantastique, ça fleurit partout. Les fleurs du désert, c’est comme ça que les jeunes appellent en riant ces déchets colorés qui s’invitent partout où on préférerait ne pas les voir, sur le lit de la rivière à sec du Drâa ou sur les terrains de jeu improvisés des enfants.

Quelqu’un a-t-il vraiment écrit le scénario, pensé le développement qu’appellent de leurs voeux les habitants ? Ou y a-t-il des gens habiles qui savent monnayer leurs services et vendre un projet quelque soit son utilité avérée pour la population ? C’est comme si la réponse était dans la question.

A M’hamid, le comble de l’impasse politique réside peut-être dans ce triste constat : même une fois achevé, il n’est pas garanti que tel ou tel bâtiment, tel ou tel aménagement, répondent aux besoins de la population pour laquelle ils ont été officiellement financés. Pour ce que j’ai vu, chantiers en cours ou chantiers finis, il semblerait que le résultat soit le même : les espaces ainsi aménagés m’ont paru complètement désertés.

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Endroit surréaliste s’il en est, une belle déchetterie toute neuve sert de quartier général à une bande de corbeaux. Tranquillité assurée, pas de camion, et donc pas de collectage des déchets ! CQFD

Malédiction d’une cité où l’esprit nomade rôde encore, où les djinns n’auraient pas dit leur dernier mot ? Evolution crapuleuse ou peu scrupuleuse d’un pouvoir local qui se sert et dont « on » se sert, sans plus se soucier d’une donnée somme toute secondaire : l’intérêt général ? Pouahh, que cette conception fait désordre dans un système qui sait si bien nous inculquer que ce qui rend chacun de nous si particulier, si unique, c’est notre appétit sans limite et l’assurance de notre survie, en tant qu’espèce. Nous ne vivons plus des espaces habités, mais des territoires convoités par toute sorte de corbeaux cravattés, à qui certains élus vendent notre âme et notre conscience citoyenne en achetant leurs coûteux services avec notre argent.

Avant de revenir en image au décor carton-pâte en parpaing bien plein que je laissais derrière moi pour retrouver mes pénates, voici quelques éclairages épars glanés sur le web à mon retour en Bretagne. Lecteur impatient qui voudrait déjà savoir jusqu’où t’emmène cette littérature qui sent l’asphalte et le bitume au lieu de fleurer bon le pain cuit dans le sable à la lueur d’une lune impeccable, mieux vaut zapper, car au bout du goudron, il n’y a peut-être qu’un pont de béton, lui aussi en chantier.

L’eau lâchée par le barrage à Ouarzazate ne prévient pas. D’une heure à l’autre, l’oued à sec ne l’est plus, c’est comme ça. Les flots tumultueux emportent vers l’océan un pont, deux ponts, trois ponts, et au passage quelques enfants, quelques ados imprudents. Ils sont nés là, dans cette immense vallée qui sert de gravière, et personne ne semble considérer comme prioritaire de leur apprendre à nager, de les sensibiliser au danger.

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Lieux mouvants, châteaux de sable et puis quoi encore ? Chaos, attention travaux !

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Dans le contexte géopolitique difficile et complexe que connaît la région Mena, le scrutin du 4 septembre est venu confirmer, une fois encore, le caractère irréversible de ce processus démocratique résolument marocain, qui a permis au
Royaume de construire un État démocratique moderne, ouvert sur le monde et respectueux des valeurs et vertus des droits de l’homme, ainsi que de la nécessité de consolider le rôle d’une citoyenneté agissante et proactive.

Extrait d’un article publié le 9 septembre par Le Matin, quotidien en langue française.

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Tel Quel, un journal marocain moins enclin à alimenter ses colonnes des communiqués du Palais royal souligne lui aussi l’avancée en s’intéressant davantage à la façon dont la presse internationale s’est exprimée sur ce vote qui concernait 18 millions d’électeurs, dont seulement 52 % sont allés aux urnes. C’est dans Le Monde finalement que je DSC00622comprends a posteriori le mieux ce qui se jouait de si important dans ce scrutin local, quatre ans après les mouvements contestataires qui avaient fini par être entendus par la seule autorité du pays à même de cautionner toute évolution politique et de s’en approprier le mérite, comme en témoigne l’article du Matin ci-dessus : le roi Mohamed VI.

C’est dans Le Monde aussi que je découvre le dilemme posé aux militants d’une autre forme de démocratie, d’un autre régime. En cela le paradoxe de ces élections marocaines fait écho aux dysfonctionnements de notre propre système démocratique et à cette question que je me pose moi aussi en tant qu’ex-candidate, ex-élue : comment faire en sorte que mon vote et mon engagement citoyen servent à quelque chose ? A quelques mois de l’échéance des régionales en France, je dois bien reconnaître que quelque chose me titille dans la question même : aveu de découragement et tentation du désengagement pour laisser d’autres monter en première ligne, sursaut de lucidité ?

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Il était une fois un projet de lotissement… mais pas d’assainissement ! 18 ans de mandat pour celui qui a signé l’autorisation de travaux et voilà le résultat.

« Le Maroc vit une régression grave depuis le « printemps arabe ». Les libertés et les droits sont constamment bafoués et le pouvoir reste entre les mains du palais. Participer à des élections dans ce climat de régression serait inutile, voire contre-productif. De plus, face aux prérogatives des walis et des gouverneurs qui sont nommés par le roi dans les provinces et les préfectures, les élus locaux n’ont pas beaucoup de marge »

Khadija Ryadi, membre de la Voie démocratique et ancienne présidente de l’Association marocaine des droits humains.   Le Monde, 04/09/2015

Pour un air démocratique, on t’casse les dents.
Pour vouloir le monde parlé, celui d’la parole échangée,
On t’casse les dents. Alain Souchon (Album C’est déjà ça, 1993)

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Le lundi matin, je croise ce groupe de jeunes femmes au souk à l’entrée de M’hamid. Je les retrouve le soir, sur le marché des femmes, au centre du village.

Voilà pourquoi j’ai cessé de m’intéresser aux légumes et autres épices qui embaumaient l’air du souk de M’hamid el Ghizlane, à l’instant même où j’ai aperçu ces jeunes femmes voilées débouler en bande au milieu des hommes, avec leur accoutrement tout aussi tape-à-l’oeil que l’était chez nous à Pontivy en mars dernier celui des militants de l’UMP, rebaptisé depuis Les Républicains (bon, et alors quoi, ça change quelque chose à la facture ?).

Le groupe défendait les couleurs du Parti pour la Justice et le Développement, et de fait durant cette campagne éclair, il m’a semblé ne voir qu’eux ou elles, enfin ces silhouettes drôlement ficelées dans leur kit de communication et joliment casquettées, sans qu’il soit possible de voir de ces corps sveltes et pleins de vie la moindre liberté de mouvement, à l’exception d’une paire d’yeux au champ de vision extrêmement limité.

 

Ce dessin de TREZ laisse à chacun la liberté de penser son rapport à l'élection et à la démocratie tout en dénonçant la perversité d'un système qui veille à ne rien changer à sa logique, au risque de passer à côté des vrais problèmes, de nier l'urgence et la fracture sociale qui plombent nos démocraties.
Ce dessin de Trez laisse à chacun la liberté de penser son rapport à l’élection et à la démocratie tout en dénonçant la perversité d’un système qui veille à ne rien changer à sa logique, au risque de passer à côté des vrais problèmes, de nier l’urgence et la fracture sociale qui plombent nos démocraties.
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Guy Débord décrivait déjà en 1967 les mécanismes que nous subissons aujourd’hui : marketing, storytelling… »Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. »

Les choix stratégiques décidés dans les assemblées locales et les enveloppes budgétaires allouées à telle ou telle priorité engagent pour longtemps notre avenir à tous comme celui des générations futures. Mais les populations qui vivent, voire survivent, sur des espaces qui fournissent par ailleurs l’essentiel de nos ressources, sur les lieux « naturellement » pressentis pour stocker et recycler les poubelles, les incinérateurs et autres inventions du modèle productiviste, ces mêmes populations ont-elles encore leur mot à dire ? A quelles conditions peuvent-elles se faire entendre et participer à la construction des dynamiques sociétales qui sont au coeur de tout changement de civilisation ?

 

Ces élections locales au Maroc en sont l’illustration : si elles permettent de participer à l’émancipation relative d’une partie de la population en matière d’expression et de culture politique, elles posent aussi le constat d’un exercice démocratique qui clive dans des représentations et des pratiques différentes monde rural et monde urbain.

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Ces ruptures sont des lignes de faille dans notre paysage sans horizon de ce début de siècle. Des failles inquiétantes, de plus en plus visibles, voire admises, grâce à des visions d’un développement territorial désormais acquis sans faux-semblant aux logiques de compétitivité et de concurrence, visions qui ne peuvent pas produire la solidarité dont nous aurions besoin pour vivre d’autres formes de démocratie, d’autres formes d’exercice du pouvoir, pour penser ensemble notre responsabilité partagée sur la planète, dans des dynamiques citoyennes réellement participatives.

Il serait temps de mesurer avec objectivité et audace que nos territoires ruraux ont moins besoin d’une remise à niveau, comme le laisse entendre le nom du programme sur ce grand panneau en face de la mosquée de M’hamid el Ghizlane, que d’une considération légitime pour ce qu’ils sont : des espaces productifs et organisés, des espaces habités et créatifs, des lieux d’histoire et de transmission, des laboratoires pour construire le présent et l’avenir à condition qu’ils en aient les moyens, qu’ils en cultivent l’espoir et la fierté de génération en génération.

Il est des réponses aux problèmes qui entretiennent de fait les racines du mal : le mépris des puissants et la marginalisation des pauvres, le modèle unique imposé à tous mais pensé par quelques uns aux profits d’une minorité, l’accélération des logiques de sururbanisation et de paupérisation, le déni institutionnel de la richesse sociale, économique, culturelle, environnementale à promouvoir ailleurs que dans ces hauts lieux de décision déconnectés du local, où sont scellés pour longtemps nos destins à tous.

Quand trop de réponses posent question, il est sans doute préférable de se demander si l’équation est bien posée, à moins que cela ne fasse parti du scénario de cette grande société du spectacle d’orchestrer sa propre faillite… à l’énergie solaire, bien sûr, c’est plus chic et tellement tendance ! Ca me fait penser qu’il faut que je mette au programme de mes relectures « Le rapport Lugano », de Suzan George. A l’époque, je n’avais pas su saisir toute la justesse de son regard sur notre monde contemporain.

« Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon coeur d’une langueur monotone. Tout suffocant et blême quand sonne l’heure, je me souviens des jours anciens et je pleure… » Spéciale dédicace aux artistes de l’Opéra de Paris, en leur souhaitant la bienvenue au désert et un beau concert.

Ce  même désert, le Sahara, où les musiciens sont les cibles prioritaires des terroristes, car aucune arme, aucun état, même islamique, ne peut faire taire un chant qui parle à tout un peuple.

Pour vouloir la belle musique,
Soudan, mon Soudan,
Pour un air démocratique,
On t’casse les dents.

Alain Souchon

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A dix heures de bus de M’hamid et de l’inégalable beauté des dunes du Sahara marocain Marrakech : la cité-bonheur des investisseurs

B comme Bonus

A voir absolument, le très beau documentaire de Cécile Couraud sur la problématique de l’eau dans la région de M’hamid el Ghizlane Ô racines

L’inventaire du patrimoine conduit par Carlos Perez Marin dans la région

https://alternatives-economiques.fr/le-rapport-lugano-susan-george_fr_art_137_14137.html

Article sur le Morroco Solar Festival et le concert d’anthologie, rien que ça, de l’Opéra de Paris

Exemple d’initiative locale portée par des acteurs locaux et leurs partenaires

Et le bonus des bonus, cette magnifique chanson d’Alain Souchon et Laurent Voulzy dont les paroles n’ont pas fini de faire écho à ce que les jeunes nés en 1993 voient aujourd’hui d’une société, d’un rapport au monde, au vivant, à l’intelligence du vivre ensemble, dont ils auront à assumer le lourd héritage.

 


Khalifa et Mohamed de retour au village, l’Europe dans les bagages

Salut Caravane

27 juillet 2015 : la toute première tournée européenne s’achève pour les quinze artistes de la Caravane culturelle pour la Paix. Lancée en 2014, cette initiative 100 % africaine regroupe les énergies et les réseaux de trois beaux festivals : le festival au désert de Tombouctou, le festival sur le Niger de Ségou, le Festival Taragalte de M’hamid el Ghizlane  Retour pour le Maroc et le Mali après un mois de concerts au parfum de liberté, d’ouverture au monde, dans la joie et le partage que seule la musique sait traduire dans toutes les langues : semence sacrée quand elle se nourrit aux sources de la tradition orale et cultive au cœur de nos sociétés humaines ( ?) le meilleur antidote à la peur, à la haine, au prêt à panser l’ennui de certaines ritournelles industrielles.

27 août 2015 : retour de Plan B avec deux des plus jeunes artistes de cette caravane pour qui l’Europe était une première. Poursuivre le voyage avec nos amis nomades, dans l’intimité de leur quotidien, c’est d’une certaine manière vous faire vivre leur musique autrement. Merci à Mohamed Laghrissi et Khalifa Balla d’avoir accepté de partager leurs impressions en direct de leur village natal, anciennement appelé Taragalte : rencontre, carrefour.

Khalifa mène la danse au rythme du blues de son désert natal aux Houches (Crédit photo S. Coulaud)
Khalifa mène la danse au rythme du blues de son désert natal aux Houches. Génération Taragalte assure la première partie du concert unique de la Caravane en France.

Deux groupes, deux univers, une même mission : servir la paix, le dialogue

Pour les dix musiciens maliens qui ont tout donné comme à leur habitude, cette nouvelle expérience artistique est indissociable de la conscience et de l’urgence à contribuer par le message à servir la cause de populations qui souffrent et ne voient pas d’issue aux conflits. Tous sont des habitués des grandes scènes internationales avec leurs groupes respectifs, même si la difficulté pour obtenir des visas limite leur marge d’action.

Malikanw, juste avant le concert des Houches le 11 juillet 2015
Malikanw n’est pas un groupe comme les autres, c’est un concept qui s’inscrit dans une urgence et traduit une volonté citoyenne portée par ces artistes engagés.

En acceptant de répondre à l’invitation de Manny Ansar qui rêvait de faire entendre toutes les voix du Mali dans une même formation,  Malikanw, ces musicien-nes sont le temps de chaque concert l’exemple vivant d’une diversité culturelle, d’une vision partagée, qui ne s’avouent pas vaincues face aux violences et au diktat de l’intolérance. Ils sont aussi l’image d’une solidarité, d’une fraternité qui laisse à chacun-e la liberté d’exprimer sa personnalité, sans qu’il soit besoin d’un chef, d’une icône pour traduire, simplifier, caricaturer, ce qui tire toute son originalité, toute sa saveur justement de cette pléiade d’horizons sonores, d’horizons ouverts.

Parmi ces artistes, mon ami Bina, quasi invisible en fond de plateau, mais bien présent sur les vidéos Live mises en ligne par les festivals. De culture bambara, Bina était déjà de la tournée de Tadalat, groupe de Kidal accueilli chaleureusement par des bénévoles bretons durant trois mois en 2013. Autre beau succès, mais cette lancée prometteuse comme l’enregistrement d’un deuxième album à Pontivy n’ont pas suffi alors à désensabler le destin. Pas évident de voir fleurir le bel espoir de Tadalat une fois rentré dans un Mali encore sous tension malgré les efforts et les démarches de réconciliation nationale.

En 2009, M'hamid recevait le groupe de légande Tinariwen, ici Tadalat en 2011 à Taragalte.
En 2009, M’hamid recevait le groupe de légende Tinariwen, ici Tadalat en 2011 à Taragalte. Autant de rencontres qui ont motivé Mohamed, Khalifa et les amis d’enfance avec qui ils ont créé Génération Taragalte à cultiver leur propre projet artistique au pays des dattes.

Les dernières actualités témoignent d’un climat politique encore très fragile et d’une présence renforcée de groupes terroristes qui profitent de la situation depuis 2012 pour servir leurs vils intérêts. Aussi, il est important de soutenir, de promouvoir des projets aussi lourds côté organisation que pertinents et responsables, à l’exemple de la Caravane culturelle pour la Paix. D’où la valeur de l’engagement de ces artistes africains qui portent dignement et avec le sourire l’espoir de jours meilleurs pour tous.

Car le message de paix de la Caravane, s’il s’appuie sur le vécu tragique et singulier de populations martyres s’adresse bien à nous tous, citoyens du monde confrontés à des degrés divers d’implication à la dégradation de nos environnements et des perspectives d’avenir pour la jeunesse.

Aux côtés de Malikanw, Génération Taragalte illustre l’aspiration de cette jeunesse à même de traduire en acte une utopie réaliste pacifiste. Contrairement à leur référence, le groupe Tinariwen et son leader historique, Ibrahim, la voix du blues touareg, ou à leurs homologues du groupe Tadalat, ces jeunes Marocains du Sahara n’ont jamais eu à choisir entre les armes, les larmes et la musique.

Salués chaudement par l’accueil enthousiaste du public européen lors des concerts de la Caravane, avec entre autres l’ouverture de deux festivals hollandais de grand renom,  Afrika Festival et Roots festival, les cinq musiciens sahraouis de Génération Taragalte ont plus de chance que leurs amis kel tamasheqs du même âge. Ils rentrent chez eux avec l’espoir de repartir bientôt à la conquête d’autres scènes internationales et de voir leur projet de premier album aboutir avant la prochaine édition du Festival Taragalte qui les a vus naître en 2009.

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Génération Taragalte lors du tournage de leur premier clip dans les dunes où ils ont grandi et où ils vivent chichement en travaillant avec les groupes de touristes. Toujours complices, Mohamed et Khalifa ont un langage bien à eux.

A M’hamid,  Sahara et oasis riment avec paix. Les cinq amis d’enfance ont grandi là, se formant comme leurs aînés à l‘école du désert, dans l’insouciance et le respect de leurs origines nomades. La frontière algérienne toute proche est ultrasécurisée et les derniers épisodes sanglants dans cette région remontent à plusieurs décennies. Bien sûr, comme ailleurs, les populations nomades n’ont pas le même accès aux droits fondamentaux que leurs concitoyens urbains ou nous autres occidentaux.

M’hamid el Ghizlane, en plus de son éloignement des grands centres de décision et du manque d’infrastructures a vu son économie rurale s’effondrer dans les années 70 suite à la construction du barrage de Ouarzazate. Après avoir réussi sa reconversion dans le tourisme en valorisant savoir-faire d’une culture millénaire et sens de l’hospitalité transmis de génération en génération, la fréquentation touristique est elle aussi en perte de vitesse, malgré de réelles améliorations pour optimiser le potentiel exceptionnel de la vallée du Drâa en matière d’accueil. Le climat anxyogène entretenu autour de cette vaste zone saharienne y est pour quelque chose.

Avant-hier matin, au cœur du village, des jets de pierre contre une estafette militaire en disent long sur la colère sous-jaçante à quelques jours des élections locales qui auront lieu le 4 septembre partout au Maroc.  A M’hamid, on me dit que près de 20 candidats sont mobilisés dans la course aux voix. Difficile cependant de trouver une information sûre et objective sur cet enjeu local. Les femmes elles aussi étaient dans la rue, la colère et le pouvoir ne sont pas qu’une affaire d’homme, même si l’exercice de la démocratie, ici comme chez nous en France sous d’autres visages, peine à s’affranchir de certaines pratiques féodales et patriarcales.

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A l’agitation, Mohamed et Khalifa préfèrent le calme de leur camp de base : l’auberge de la Palmeraie. Les vidéos du groupe mises en ligne par Afrika Festival animent l’heure de la sieste.

L’expérience de Génération Taragalte se résumait avant cet été aux concerts de la caravane dans les camps de réfugiés du Burkina Faso et aux scènes africaines. Le reste du temps ces nomades autodidactes se produisent dans les mariages et font résonner le blues touareg sous le ciel étoilé, au cœur des dunes qui attirent dans ce coin reculé du Sud Maroc les adeptes du voyage du monde entier.

Déscolarisés très tôt, Mohamed, Khalifa, Said et son frère Mustapha, Ibrahim, continuent à faire leur chemin dans la musique, même si cela ne leur permet pas encore d’en vivre. D’ailleurs, seuls Mohamed et Khalifa sont rentrés au village depuis leur retour au Maroc. Tous deux partagent leur vie entre petits boulots de subsistance et la musique. En ces périodes de très forte chaleur, beaucoup de familles de M’hamid se mettent au frais plus au Nord. Pour l’heure pas de boulot et pas l’ombre d’un concert à l’horizon, mais la notoriété acquise grâce à la venue en Europe de la Caravane culturelle pour la Paix est pour ces jeunes artistes comme pour les bénévoles qui les soutiennent une vraie raison de croire à l’avenir de ce groupe, fondé avant tout sur une longue et solide amitié.

Khalifa est le seul vrai francophone du groupe. C’est aussi l’hértier d’une longue tradition familiale dédiée au chant et au guedra dans la région de M’hamid. « Avec Génération Taragalte, m’explique-t’il, nous jouons des morceaux du répertoire traditionnel des nomades, une musique propre au désert, à la vie dans les campements. Les guitares et le djembé ont remplacé les instruments faits maison utilisés par nos parents et nos grands-parents, mais à travers nos voix et notre musique, c’est la poésie de textes et de mélodies d’une époque que nous n’avons pas connu qui continue à se transmettre. C’est important pour nous de faire en sorte que ces chansons ne meurent pas avec la sédentarisation des nomades dans les villages comme M’hamid, où nous continuons à vivre notre culture, même si la vie s’organise différemment qu’avant. Lors des mariages par exemple, si tu écoutes juste la musique, tout de suite, ça t’emmène au cœur des dunes, sous la tente et sous les étoiles. »

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« Quand je suis sur scène, c’est à cette ambiance qui m’a bercé depuis que je suis tout petit que je pense. Ces chansons qui parlent d’amour, de sécheresse, de la vie de nomades font partie de moi. Grâce à la tournée de la Caravane, nous avons rencontré beaucoup de gens, très sympas, respectueux des artistes, des gens qui ont du respect pour ceux qui viennent d’ailleurs. Bien sûr que j’ai été surpris en Europe par cet environnement si différent de ce que j’ai toujours connu. Voir des grandes capitales comme Bruxelles et Amsterdam, l’architecture et la circulation, l’organisation en général de la vie dans un pays riche, avec toutes les infrastructures, les services… En même temps, si tu n’as rien ici, tu n’es rien, quand chez moi, on a toujours la débrouille et la solidarité à défaut de carte bancaire. J’ai aussi été impressionné par les paysages, surtout à Chamonix, quand on a pris le téléphérique pour monter au sommet de l’Aiguille du Midi.

Ca fait un mois que je suis rentré au village, la vie a repris son cours normalement, simplement, on cherche la fraîcheur, on a le lait et les dattes pour notre bonheur !

C’est vrai qu’on se sent encouragés par nos copains. A M’hamid, les gens sont contents pour nous, ils s’intéressent à notre voyage en Europe, ils soutiennent notre projet, ils nous ont vu grandir ensemble. C’est aussi pour tous ces gens, nos familles, nos amis, nos voisins, que nous espérons pouvoir jouer notre musique partout, pour parler de M’hamid, du Sahara et de notre culture nomade.»

Khalifa Balla

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« Jouer sur de très grandes scènes avec les musiciens de Malikanw, voyager ensemble d’un festival à l’autre en Belgique, en Hollande, en France, c’est une occasion magnifique de vivre notre culture et de la partager. Nous étions bien préparés, car nous avions déjà tourné ensemble en début d’année au Mali. Nous travaillons à la sortie de notre premier album, alors vraiment, nous avions hâte de découvrir le public en Europe pour sentir comment la musique du désert parle au cœur et à l’âme, si loin de chez nous. L’accueil dans les festivals et la rencontre avec les bénévoles a été vraiment formidable.»

Mohamed Laghrissi

Lors de la venue de la Caravane en France dans la vallée de Chamonix, Sylviane Coulaud, une amie de Mohamed a fait le déplacement de Toulouse pour saisir l’opportunité de lui redire combien elle était heureuse pour lui.  Geste délicat, elle avait emporté dans son bagage des dattes pour tout le groupe. Pour Mondoblog, elle a de suite accepté de nous faire part de cette rencontre.


Spect’actrice Bénévole, quatre jours dans la vallée de Chamonix

Difficile de se situer en bénévole en appui auprès des artistes, quand un festival n’a pas besoin de vous. Alors, je me suis glissée dans la peau d’une « Fan absolue » de Génération Taragalte, amie personnelle de Mohamed, le percussionniste.

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Sylviane s’y connaît en potentiel, elle a consacré sa vie professionnelle à accompagner des jeunes dans leur choix de formation. Lors d’un séjour à M’hamid, elle est touchée par une sensibilité, un talent, une passion, que Mohamed peut exprimer pleinement depuis 2 ans déjà grâce à la Caravane culurelle pour la Paix.

Je me suis souvenue, que trois ans plus tôt, à l’Auberge de la Palmeraie, je lui avais fait une très jolie photo, et qu’en la lui montrant,je lui avais dit : « Tu vois, je crois qu’elle serait bien en couverture d’un C.D ! » Mohamed m’avait regardée, sans rien dire, avec son sourire et ses grands yeux pleins de questions.

Le temps a passé, et sur la seule étape française de la Caravane Culturelle pour la Paix, il me semblait important de venir dire à Mohamed et à ses amis musiciens de Génération Taragalte que j’étais fière d’eux, du chemin parcouru,…que la porte des possibles était entr’ouverte et que tous ceux, qui comme moi croyaient en eux, en leurs qualités et en leur travail, seraient là pour les aider…

 

Deux petits bars sympas ont servi de scène aux jeunes Touaregs marocains, qui arrivaient d’Amsterdam via Genève. Quelques artistes de Malikanw se sont joints au spectacle, très naturellement, et l’osmose s’est réalisée, les plus célèbres injectant confiance et exigence dans la tête de leurs « petits frères ».

Le soir du grand concert de la Caravane aux Houches, l’alchimie est parfaite. La salle est trop grande pour un public aussi restreint, mais qu’importe. Pour cette date unique en France, les 15 artistes vivent avec la même intensité cette chance d’être sur scène, ensemble, dans des conditions proches de celles des grands festivals qui les ont programmés pour cette première tournée en Europe. A plusieurs reprises les artistes rappellent leur message de paix, une trentaine de personnes dansent, j’en fais partie…Puis tout le monde remonte sur la scène et le salut final est émouvant…Un petit rappel… et tout le monde va prendre l’air, dans la fraîcheur de la nuit…Comme ces derniers jours, le off prend le relais. Sur le trottoir, la musique reprend spontanément. Je découvre le sourire de Bina, le batteur de Malikanw qui était resté dans l’ombre des spots pendant tout le spectacle…Quel dommage ! C’est sympa, l’odeur des crèpes embaume…et puis tout d’un coup, l’ordre est donné de rentrer…tout le monde s’envole…

Sylviane et Mohamed (Valorcine 11-07-15)
Ils ne s’étaient pas revus depuis leur rencontre à l’Auberge de la Palmeraie, Mohamed et Sylviane posent à Vallorcine pour Mondoblog. Emouvantes retrouvailles !

Le lendemain, tout le monde décolle de Genève à 16 heures, direction Amsterdam.  J’aimerais dire au-revoir, merci, je ne sais pas…quelque chose de chaleureux pour la suite, alors je passe à leur hôtel en fin de matinée. Mais les jeunes dorment encore, et je croise quelqu’un du cru qui m’affirme que cette fois, on n’a plus besoin de ma voiture, qui, à mon grand plaisir, avait servi quelques fois de taxi pendant le séjour. Message reçu, espoir déçu. Je reprends ma voiture où je règle le GPS pour le retour, et je repars, sans avoir vu ceux qui m’ont fait si chaud au cœur et sans pouvoir dire au revoir à Mohamed qui m’a si gentiment associée au programme de ces derniers jours. Mais c’est promis, J’ai de belles photos dont je ferai des tirages papiers,et j’irai les leur apporter, je ne sais pas quand, mais chez eux à M’hamid el Ghizlane, et dans le plaisir de la rencontre.


Sylviane conclut en donnant quelques chiffres pour les bénévoles d’un micro-réseau qui se constitue de façon informelle au fil des mois depuis le Festival Taragalte. Au total, même pas 500 spectateurs en 4 spectacles…sans doute l’effet d’une communication très locale, réduite à l’événementiel, quand la presse internationale avait su si bien rendre compte des valeurs de ce projet coopératif et de l’importance de l’enjeu à l’occasion des différentes étapes africaines de cette même caravane.

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Avant de rentrer au Maroc, Mohamed profite de son visa pour une espacade en Bretagne où l’a rejoint Tina, bénévole venue de Paris jusque Taragalte en janvier 2015.

Impossible d’éluder la question sur une plate-forme qui promeut les liens interculturels dans l’espace francophone, surtout après avoir constaté combien les scènes des pays anglophones font vivre et tourner les artistes des territoires de ce vaste continent virtuel qu’est la francophonie : comment une belle initiative d’envergure comme la Caravane culturelle pour la Paix peut être à ce point passée sous silence dans l’hexagone ? L’Etat français dépense des millions d’euros au Mali pour y assurer une présence armée et re-communique sur la longue amitié et les ponts historiques bâtis de part et d’autre de la Méditerranée entre la France et le Maroc. Cherchez l’erreur…

Evidemment, cette question en soulève plein d’autres quand on la relie à l’actualité médiatique qui s’invite désormais de façon journalière dans nos maisons, avec cette fois une vision du voyage bien moins exotique et enivrante, quand il se fait fuite, au prix de sa propre vie et que l’ancien sédentaire devenu nomade puis réfugié a juste le droit de décamper fissa fissa !

B comme Bonus

Le camp de base de Khalifa et Mohamed

Le beau reportage photo de Tina à Taragalte

La page facebook de Génération Taragalte

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Mohamed à l’aéroport de Genève le 9 juillet en compagnie de deux artistes chevronnés du groupe Malikanw, Ahmed et Ben.
Souvenir des Alpes et d’un passage en France bien trop court


Orpailleur, alchimiste, orfèvre, chapeau l’artiste !

Du Nord de la France aux Amériques via l'Inde, ils emportent partout la Bretagne dans leurs bagages
Du Nord-Pas de Calais aux Amériques via l’Inde, ils emportent partout la Bretagne dans leurs bagages : Allusion à la Francophonie et au dialogue entre les cultures avec l’Ensemble Esharêh

J’aime ici à prendre mon temps, avec vous, compagnons de lecture anonymes. Le globe tourne sur son axe et au gré des rencontres me voilà prise par l’urgence tranquille de vous faire entendre une autre musique que celle des artistes nomades qui m’ont soufflé, à travers vents de sable et amitiés naissantes, le nom de ce blog, Plan B.

Avant-goût de la prochaine tournée plein Suds
Après l’Inde, Esharêh à Arles, avant-goût de la tournée 2016 en Amérique du Sud

Ce billet est consacré à Esharêh,  une formation  de cinq artistes qui réunit dans une même quête bercée d’harmonies sonores, de rythmes complices, la langue que l’on parlait autrefois dans la partie orientale de la Bretagne et des instruments qui racontent une tout autre histoire, puisée au croisement de répertoires traditionnels persans, indiens et arabes.

Esharêh signifie allusion en fârsi (persan). C’est une belle façon, je trouve, d’ouvrir grand les portes pour laisser planer les sons jusqu’à toucher les parties de nos tissus, de nos cellules, de nos imaginaires, les plus sensibles aux bonnes vibrations.

Mêlant les sonorités indiennes, les mélopées du monde arabe et les percussions persanes, Esharêh revisite le patrimoine musical et linguistique des chants à réponse de Haute-Bretagne. Jouant sur des instruments ne possédant pas la même grammaire musicale, les musiciens se réapproprient les patrimoines culturels au nom d’une tradition orale vivante et engagent une conversation dans une langue commune à tous : celle de la poésie, langage universel d’une humanité célébrée.

L'ensemble Esharêh à l'Opéra de Lille en 2014
L’ensemble Esharêh à l’Opéra de Lille, le 28 mai 2014

Pourquoi choisir de vous parler de ces musiciens bretons plutôt que d’autres ? La Bretagne ne manque ni de talents ni d’artistes reconnus à l’international. Sans doute parce que ma rencontre avec des musiciens du désert m’a donné l’envie de m’intéresser tout particulièrement à des univers artistiques qui invitent au voyage  à la rencontre, et qu’il est temps d’inviter d’autres ambiances sonores à bord de Plan B.

Sans doute aussi parce que le public breton n’a pas encore eu cette chance de voir Esharêh sur scène. Si les nombreux projets du groupe se confirment, nous serons peut-être un long moment à suivre leur trace de par le vaste monde avant de pouvoir les entendre ici, sur leurs terres d’origine.

Esharêh donne pourtant à entendre la richesse d’une belle langue de Bretagne, celle de mes grands-parents, le gallo. Plus guère parlé, même dans les coins les plus reculés de la ruralité armoricaine, le gallo est sacrément chanté par des voix qui ont su redonner toute sa noblesse à un répertoire populaire, un héritage qui serait tombé dans l’oubli sans leur génie, sans cette force qu’a la scène bretonne d’aujourd’hui de porter aux nues dans un même élan tradition et création.

« J’ai tant filé dans mon jeune temps »

C’est pour me nourrir de l’engagement de ces artistes de Bretagne et d’ailleurs, maillons essentiels d’une transmission entre les générations qui ne se fait plus ni par l’école ni par la famille, que j’ai forgé ma passion et mon sens critique en matière de musiques traditionnelles, sans savoir qu’un jour j’aurai la chance de monter mon propre métier à tisser… du lien. Si grâce à eux j’aime chanter en breton, en gallo pour mon plaisir et celui des oreilles qui m’écoutent, j’ai conscience que ce plaisir n’a de sens que si ailleurs un-e musicien-ne professionnel-le peut se consacrer sereinement à son travail pour jouer le rôle majeur qui est le sien.

https://www.youtube.com/watch?v=jF7fYVLuLGg&list=PLb9WLu6sdN4tNd5E1WMy2nvP5k5uH-Dft

« J’ai tant filé dans mon jeune temps »,  c’est le premier titre de l’album Les raisins, dont la sortie internationale a eu lieu le 20 avril dernier à l’occasion de la ré-édition du disque désormais distribué par Plaza Mayor Ltd, une boîte basée à Londres et Hong-Kong. C’est à cette condition semble-t-il que des musiciens qui choisissent des chemins peu coutumiers peuvent espérer voir leur travail récompensé par une audience digne de ce nom.

Car pour sortir du sérail de quelques festivals qui ont su de suite repérer la nacre unique de cette perle de culture qu’est la musique d’Esharêh, force est de constater que la chose n‘est pas aisée, surtout dans un contexte politico-budgéto-réfractaire particulièrement inquiétant pour les artistes,  les organisateurs et les publics que nous sommes.

Au nom de la crise, vive le pratico-pratique et le démago-démagogique, hop la culture au frigidaire et on débranche le frigo, bravo ! Ca promet de sentir mauvais tout ça !

Alors je veux citer ici les festivals qui ont déjà programmé Esharêh depuis la création du groupe en 2012 et saluer notamment, Patrick Dréhan (Tourcoing Jazz Festival et Festival de la Côte d’Opale), le programmateur qui a offert sa chance à ces artistes bretons, puis les a accompagnés dans la production de ce tout 1er album, aujourd’hui ré-édité pour une diffusion internationale.

« J’ai flashé sur ce groupe pour des raisons aussi bien artistiques qu’humaines. J’aime beaucoup Julien Lahaye, un de ses leaders, d’origine desvroises, dont le parcours est formidable. Le festival a financé toute la partie Studio de l’enregistrement ».  Patrick Dréhan

Je veux saluer aussi Jacky Canton-Lamousse, initiateur du Festival La croisée des chemins qui vient de vivre de grands moments avec l’accueil de la Caravane culturelle pour la Paix ces jours derniers (lire la rubrique Brèves du bicouac). C’est là, au pied du Mont-Blanc, grâce à Jacky, que ma route à croisé celle d’Esharêh. Malgré la présence à l’affiche d’artistes incontournables comme Titi Robin qui commençait alors son périple avec sa nouvelle création Taziri, Esharêh a été et reste à mes yeux la révélation de cette édition 2014.

Matthias Labbé : tablas, mridangam, Julien Lahaye : tombak, dâf, zang-e-saringôshti et voix, Julien Debove : quinton et voix, Simon Dégremont : chant, Kamal Lmimouni : oud et voix

Esharêh est à l’affiche du festival des Suds cet été, un concert qui fait suite à une belle expérience de tournée en Inde au printemps dernier, grâce à l’appui du réseau des instituts culturels français. Le groupe, en trio ou en quintet selon les contraintes des programmateurs, poursuit sa formidable aventure artistique plein Sud justement : au Maroc où ils espèrent décrocher un projet de résidence et quelques dates de concerts en avril 2016.

En Bretagne, j’espère bien que ce groupe finira par capter l’attention d’autres passeurs de culture. Qui sait aujourd’hui que le gallo, cette langue régionale qui peine encore à exister dans le paysage culturel breton s’écoute sur les ondes internationales de la Lithuanie à la Chine, en passant par le Mexique, grâce au répertoire d’Esharêh ?

« A l’origine des découvertes, il y a toujours un Eldorado, une route des Indes, une pierre philosophale, une question trop grande, un mythe dont seuls les illuminés osent parer sans sourire » Roland Omnès

Mais pour reprendre l’image du tisserand qui a marqué l’économie d’un autre temps en Bretagne, quand les toiles de lin servaient à coudre les chemises de Christophe Colomb, celles de ses équipages, pour l’heure, c’est au Pérou, en Argentine et au Chili que les contacts sont pris pour finaliser la future tournée d’Esharêh. Bref, la route des Indes, l’Eldorado…et puis quoi encore ?

Quelle question ! La Bertagne pardi !

Le premier album du groupe aujourd'hui distribué à l'international
Le premier album du groupe aujourd’hui distribué à l’international

B comme Bonus

https://www.eshareh.fr/

https://www.facebook.com/ensembleeshareh?fref=ts

https://www.lavoixdunord.fr/region/boulogne-sur-mer-le-premier-disque-du-groupe-eshareh-est-ia31b49030n2200803

https://www.suds-arles.com/ils-sont-venus.html

Souvenir de la Croisée des Chemins avec Titi et Mehdi


Pic de chaleur du week-end : Hertme en Hollande crée l’évènement !

Si la météo exceptionnelle pour ce début juillet avait de quoi mettre tout le monde en joie à l’ombre des hêtres centenaires, la chance par ce temps caniculaire de se croire, non pas au plat pays, mais au cœur d’une oasis en plein désert a fait toute la différence lors de l’ouverture d’Afrika Festival, à Hertme.

Afrika Festival, une initiative 100 % bénévole, compte à son actif pas moins de vingt-sept éditions, chacune mettant en lumière des talents, des identités culturelles que partagent avec tant de générosité et de plaisir des artistes issus de régions lointaines. Des artistes francophones pour leur très grande majorité.

Ibrahim et Said, les deux quitaristes chanteurs de Génération Taragalte
Ibrahim et Said, les deux quitaristes chanteurs de Génération Taragalte – Crédit photo : Margot Canton-Lamousse

Génération Taragalte et Malikanw délivrent à travers des répertoires d’une grande richesse le message de la Caravane pour la Paix dans un esprit de solidarité, de fraternité, qui honore les artistes et appelle le respect. Le petit village d’Hertme est la première halte de cette nouvelle tournée, la première organisée loin du continent africain, grâce au soutien précieux d’une fondation hollandaise : la Fondation DOEN.

Sur scène, chaque artiste de la Caravane représente sa région d’origine en livrant les belles sonorités d’une musique traditionnelle vivante et transmise, autant de répertoires hérités d’une histoire singulière, autant de forces poétiques puisées à la source : ce vaste espace désertique que traversaient les chameliers entre le Maroc et le Mali.

Les musiciens à peine en place sur le plateau, chacun comprend déjà dans le public qu’une telle performance relève du défi politique autant que de la seule création musicale. Ici, la diversité se voit, se dit, se transmet, se chante, se danse. C’est une fête pour dire que la souffrance et l’indifférence n’ont et n’auront jamais de prise sur ce qui peut nous rassembler au lieu de nous détruire.

Car si la musique est reine le temps du concert, grâce à la magie, à l’énergie de l’instant présent qui unit dans une même euphorie artistes et festivaliers, il n’est pas seulement question de musique quand ces quinze artistes se prennent la main après 1 h 30 de scène pour le salut final, accompagnés par les instigateurs de ce pari fou : Manny Ansar pour le Festival au Désert en exil, Mohamed Doumbia pour le festival sur le Niger, Halim et Ibrahim Sbaï pour le Festival Taragalte.

Afrika Festival a vécu là un grand moment de son histoire, une émotion plus que palpable… simplement géniale.

Ibrahim, Mustapha et Said au Roots Festival, dimanche 5 juillet
Ibrahim, Mustapha et Said au Roots Festival, dimanche 5 juillet

Depuis la Caravane culturelle pour la Paix s’est envolée pour la France, après avoir fait l’ouverture du Roots Festival à Amsterdam dimanche dernier. Toute la troupe est installée pour quelques jours dans la vallée de Chamonix et se prépare pour le grand concert de samedi soir à l’Espace Olca aux Houches, un village qui a accueilli en 2013 et 2014 les deux premières éditions du festival La Croisée des chemins.

Khalifa sur la scène de Roots Festival à Amsterdam
Khalifa sur la scène de Roots Festival à Amsterdam

Ce concert de la Caravane culturelle pour la Paix, date unique en France, qu’on se le dise… a encore libéré une belle vague de chaleur humaine au pied de cette splendide chaîne des Alpes en perspective.

Deux réactions pour Mondoblog, envoyées par Georges, habitant de la vallée et grand connaisseur des musiques du monde rencontré à la Croisée des Chemins l’an dernier, ainsi que par Sylviane, qui a fait exprès le déplacement de Toulouse pour ne pas rater ce beau concert de la Caravane.

« Les musiciens avaient bien la pêche aussi bien les jeunes de Génération Taragalte que le melting-pot MALIKANW. Les filles ont bien « défendu le morceau » et ça faisait plaisir à voir ». Georges

« Et le concert du soir… Génial ! Ils ont tout donné… et les deux groupes sont visiblement heureux de partager la scène, la musique et le public ». Sylviane

Mohamed, concert d'ouverture de la Caravane, Roots Festival
Mohamed, concert d’ouverture de la Caravane, Roots Festival

B comme Bonus

https://www.culturalcaravanforpeace.org/

https://www.afrikafestivalhertme.nl/en/

https://www.cultuurpodium.nl/entry/1723

https://www.amsterdamroots.nl/roots-open-air/

https://www.sfinks.be/

https://www.festival-croiseedeschemins.com/images/Generation-Taragalte.pdf


Bruxelles-Taragalte : ligne directe, attachez vos montures !

La génération montante du blues touareg imprégnée, inspirée, déterminée
La génération montante du blues touareg imprégnée, inspirée, sans faux-semblant lors d’une captation vidéo au bivouac (Crédit image In Ze Box)

Plan B s’était aventuré dans les dunes de M’hamid el Ghizlane cet hiver. C’est ainsi, grâce à la Caravane culturelle pour la Paix notamment, qu’un groupe de jeunes musiciens d’origine nomade, Génération Taragalte, s’était  invité entre les lignes au fil de différents articles. Aujourd’hui, c’est à leur tour d’occuper le devant de la scène et de nous faire partager, si loin de l’ambiance feutrée du Bivouac du « Petit Prince », un peu de leur désert natal. Voilà des mois que Said et son frère Mustapha, Ibrahim, Mohamed et Khalifa, amis d’enfance déscolarisés avant l’heure, attendent ce tout premier contact avec le public européen, chez lui, au coeur de grands festivals et de belles cités cosmopolites, comme Bruxelles et Amsterdam. De culture berbère ou arabe, ils savent encore à peine s’exprimer en anglais ou en français, mais sur scène leur invitation au voyage vaut tous les langages.

Voir la vidéo réalisée par In Ze Box

A l’initiative du centre culturel Daarkom, en plein coeur de Bruxelles, Génération Taragalte jouera ce soir dans une ambiance somme toute familière, teintée de l’esprit des

repas de fête du ramadan. Ce concert, le premier d’une série de dates clairsemées courant juillet, dont une halte unique de la Caravane culturelle pour la Paix en France, le 11 juillet aux Houches, conservera à coup sûr pour ces artistes une saveur inoubliable : celle d’une liberté (presque) accessible.

La bienvenue au bivouac, signée Le Chat de Geluck
La bienvenue au bivouac, signée Le Chat de Geluck

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En attendant le concert, petit tour en ville, arrêt De Brouckere, tout le monde descend !

Nous y voilà, la canicule aidant, on s’y croirait presque ! Bruxelles-les-Bains, ambiance carte postale, le charme romantique de son chalet Robinson au coeur du Bois de la Cambre, son musée Folon si accueillant dans les anciennes écuries chaulées du Château de la Hulpe et puis la surprise, en sortant du métro De Brouckere pour rejoindre le centre-ville : vision surréaliste d’une capitale européenne qui aurait décrété que les tables de ping-pong, les terrains de boules feraient aussi bon effet sur l’immense avenue que les files bruyantes de voitures.

https://www.lesoir.be/922540/article/actualite/regions/bruxelles/2015-06-29/au-coeur-du-pietonnier-bruxelles-c-est-genial-video

Les enfants trempés jouent avec les fontaines sous le regard amusé des adultes qui dégoulinant de sueur en feraient bien autant. Le dérèglement climatique s’assortirait-il d’une vision moins stressante, moins pesante, du développement urbain ? Donnerait-il à voir la vie citadine sous son meilleur jour ? Celui d’un réchauffement possible de certains espaces publics habituellement condamnés à n’être que le décor (superflu ?) de flux incessants et polluants ?

Se pourrait-il que le désert recule aussi dans nos villes, quand la collectivité gestionnaire ose enfin réaffirmer qu’il faut faire de la place au coeur de nos sociétés, au coeur de nos vies ultramécanisées, ultracompartimentées et ultracompliquées… à l’imaginaire, à la joie, à la simplicité dans nos rapports humains ?

Ce serait une bonne idée de profiter du Prix de l’affiche Folon pour nous faire rêver, réfléchir, avancer sur ces questions qui touchent au quotidien de chacun. Le thème 2015 est « Vivre en ville ». Libre à vous de replonger ou non dans l’esprit de liberté que le dessinateur belge avait su insuffler dans la sobriété de ses aquarelles.

« Ça fait tellement rêver ses tableaux », Nolwenn, 9 ans, fan du Musée Folon

« Une feuille blanche est un univers infini », Folon

https://fondationfolon.be/prix-de-laffiche-folon-2015/

Cette nuit Taragalte qui promet d’être particulièrement chaude est aussi l’occasion d’attirer l’attention sur une cause bien spécifique, à laquelle le public du Festival des Houches, La Croisée des chemins, avait pu avoir accès l’été dernier grâce à la projection de ce très beau documentaire,  « Les Chemins de Mahjouba », en présence de sa réalisatrice.

Voilà comment j’avais eu envie de mettre en mots ces images bouleversantes qui nous amènent si près d’un visage, d’une relation, d’un dilemme personnel, d’une histoire singulière, quoique vieille comme le monde, pour nous faire partager l’intimité d’une souffrance terrible. Avec toute la retenue dont est capable Rafaele Layani, experte dans l’art de faire disparaître la caméra, le face-à-face imprime dans nos rétines la trace de ce mal-être qu’une société peut créer quand la naissance d’un enfant n’obéit pas aux règles édictées au seul nom des pères.

Ni documentaire, ni portrait, ni road movie, alors quoi ? Un paysage défile sous nos yeux, comme une histoire qui échappe au regard, anonyme, aussi anonyme que ces jeunes filles mises au ban d’une société patriarcale pour avoir donné la vie à un enfant sans père. Sans le pardon de leur famille, ces adolescentes restent sans papiers, exposées à tous les abus, à toutes les solutions extrêmes, dont celle de vendre la chair de leur chair.

Nous sommes au Maroc dans l’habitacle d’un véhicule associatif, avec Mahjouba, dont le choix de prendre soin au quotidien de ces mères célibataires sans ressource, révèle toute la force de la patience, du dialogue, de l’engagement. Ce film autoproduit, d’une rare justesse, est né de la rencontre entre cette femme incroyable et le père de la réalisatrice. 

De dix ans de travail, Rafaele Layani garde au montage de nombreuses séquences filmées du tableau de bord de cette voiture qui ramène les filles à leur famille dans l’espoir d’une issue plus heureuse à leur grossesse. Dans ce huis clos, que ne troublent aucune intention, aucun jugement occidental, l’auteure parvient à saisir et préserver la liberté d’une parole échangée entre la femme adulte et la fille mère.

Les personnalités de chacune ressortent, la singularité de leur situation se comprend sans qu’il soit nécessaire d’en savoir plus. Les échanges, jeu de questions-réponses tranquille malgré la tension perceptible, sont entrecoupés de silences expressifs, seul écho possible au conflit intérieur qui brise ces filles. Au volant comme dans son bureau, Mahjouba leur tient la main fermement pour donner à ces mères la force dont elles ont besoin. Tout est dans ce lien, dans cette confiance réciproque qui se donne.

Le film n’en est que plus juste, plus troublant, puisque le propos de la réalisatrice ne s’embarrasse d’aucune contextualisation, d’aucun récit superflu. Elle recueille, habile et discrète, ce que ces femmes marocaines acceptent de nous donner à voir, à entendre d’elles-mêmes. Mais au-delà  du drame individuel, « Les Chemins de Mahjouba » touche au plus près le drame de toutes les sociétés construites au nom du père, du fils et de l’injustice quand elle fait loi.

En savoir plus : https://www.oumelbanine.net

B comme bonus

Facebook de Génération Taragalte

Site de la Caravane culturelle pour la Paix

https://www.facebook.com/in.zebox.studio


Cap sur les dunes avec Sagazic

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Sous la khaîma comme à la maison, la fête de la musique, ici, c’est quand on veut !

 

 

 

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A mon retour du Sahara, une photo prise à Vannes au détour d’une visite surprise d’un ami et d’un concours de danses

 

 

 

 

 

Ce week-end en France, nos villes et nos villages vont se transformer en scènes ouvertes, dans un bel hommage fédérateur à la diversité, à la pratique amateur, à la bonhomie des virées nocturnes en famille, entre amis. Quand la rue est à nous…autrement que pour y manifester le désarroi, la colère ou la haine de l’autre. 

Pourquoi faut-il que le reste du temps, les choses se compliquent, que la peur de la différence reprenne le dessus ? Mettez une bretonne entre deux frères nomades, arabes, musulmans, et deux jolies frangines du pays bigouden dans les bras d’un bel algérien, vous voyez quoi là ?

Je me souviens de la toute première fête de la musique, c’était géant. Un vent de folie, de liberté. 1982, l’année de mon bac. J’avais dans les mains une pompe à vélo pour tout instrument et je m’en donnais à coeur joie avec les copains. Nostalgie de l’insouciance d’une jeunesse qui croit encore que tout est possible, à portée de rêve. Les édtions se succédant, ce rendez-vous populaire s’est sans doute trop institutionnalisé pour garder cette fraicheur des premières fois, mais il y a toujours de belles surprises.

A Châteaubourg, en Bretagne, une association comme il en existe tant sera à la fête elle aussi ce week-end. et si j’en parle dans Plan B,c’est parce que je n’en aurais jamais entendu parler, moi qui vit à quelques 130 kilomètres de là, si je ne m’étais pas intéressée au programme d’un festival qui se déroulait en avril dernier au Sahara.

Groupe (1)

 

Comme la Bretagne, le sud du Maroc et son désert majestueux sont une grande terre de festivals.  Cette fois, nous en faisons l’expérience grâce aux liens qu’une association bretonne a su tisser avec des acteurs culturels de la région de Merzouga.  Cette association s’appelle SAGAZIC, c’est ce qui avait suscité ma curiosité quand j’étais tombée un peu (ou pas) par hasard sur le programme de ce festival.  Une vérification rapide sur le net et j’avais pris contact illico pour comprendre ce qu’allaient faire dans les dunes des percussionistes amateurs de Châteaubourg, petite agglomération de 6000 âmes située entre Rennes et Vitré.

J’avais moi-même eu la chance de vivre de l’intérieur le montage d’un festival en plein désert, à M’hamid el Ghizlane, le festival Taragalte, et d’y rencontrer presque autant d’occidentaux que de nomades. De là à imaginer sur scène des musiciens bretons amateurs, et comme si ce n’était pas déjà une splendide invitation, imaginer ces mêmes musiciens animer les ateliers percussion d’un festival africain, autant dire que Plan B tenait là un vrai bon sujet ! Après tout, ces musiciens auraient tout aussi bien pu choisir de jouer dans un bagad ou s’adonner à la country music très en vogue dans nos contrées rurales, pourtant si riches en culture traditionnelle, Mais non, leur truc, c’est de vibrer au son du djembé et alors ? Moi je veux bien jouer de l’hélicon, ça vous rapelle rien ?

Allez ! Musique !

Pom pom pom pom ! C’est en avril que l’association saharienne pour le développement touristique et culturel organise chaque année à Merzouga  ce carrefour des musiques du monde. Pour répondre à l’invitation, SAGAZIC compagnie organise le voyage pour 17 de ses adhérents, le temps d’une semaine express, durant laquelle la troupe a parcouru plus de 1300 Kilomètres de bitume, toujours à plus de 1000 mètres d’altitude. On devine aisément qu’un tel séjour ne s’improvise pas et qu’il repose sur des rapports d’amitié, de confiance, construits avec le temps.

« Une fois sur place, ça a été quasi du non-stop, trois jours de fête  pour le triomphe des valeurs, de brassage, d’échange et de respect mutuel. Plus qu’un festival, c’est une rencontre entre la culture occidentale et  les traditions ancestrales berbères, une expérience enrichissante aussi bien pour le public, les artistes que les habitants de la région. »

Sandrine RAJI, coordonatrice de l’association Sagazic

Voici par le menu le déroulé de ces trois jours, qu’il faut resituer dans un cadre de rêve pour mieux en percevoir toutes les saveurs, toutes les valeurs.  Le récit est de Sandrine, que je remercie au passage pour avoir tenu parole. Je dois bien avouer que sans la récupération salutaire d’après-campagne électorale et la préparation du Salon des Ecoterritoirales,  je me serais bien invitée dans ce mini-bus, pour raconter avec mes propres mots ce périple Bretagne-Sahara !

Car l’aventure ne s’arrête pas là, le rendez-vous est déjà pris pour 2016, avec cette fois sur la ligne de départ une dizaine de jeunes musiciens bretons, qui suivent les cours de percussions dispensés par l’association, une belle façon de s’ouvrir à la culture africaine au pays de la veuze et de la bouèze, instruments traditionnels de Haute-Bretagne.  D’ailleurs la bouèze (comprenez l’accordéon diatonique) était justement à la fête ce week-end, non loin de Châteaubourg, avec 300 musiciens accueillis dans une commune qui compte à peine plus de 200 habitants : Montautour. Paradoxe de nos sociétés modernes qui ont vidé les campagnes à l’échelle de la planète, sans pour autant venir à bout, et c’est heureux, de la diversité culturelle dont elles étaient non seulement les espaces dépositaires, mais aussi les lieux privilégiés de transmission.

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« L’entrée de Merzouga signifie la fin du bitume. Vendredi 17 Avril, SAGAZIC a ouvert le festival en déambulant sur 300 mètres de piste pour atteindre la scène érigée entre les dunes. La troupe  était escortée par une caravane de dromadaires et  accompagnée d’un groupe local folklorique de Gnaouas (descendants d’anciens esclaves noirs). La SAGAZIC compagnie a également  rythmé l’arrivée du gouverneur de la région de Rachidia, parrain du festival.

Le samedi 18 avril a été  une journée riche d’émotions et de chaleur humaine. En effet, l’association s’est rendue dans un ancien village typique du désert, appelé ksar «Amessifi Ghorfa Rissani ». Elle a été sollicitée par l’Association Messifienne de développement rural pour animer  un atelier d’éducation à l’hygiène bucco-dentaire, pour un groupe d’enfants âgés de 3 à 6 ans. Parallèlement, un autre atelier créatif a été proposé.

La renontre, ça marche même sans les percu, ici, à l'école
La renontre, ça marche même sans les percus, ici, à l’école d’un village voisin du festival

En France, plus d’une centaine de briques vides de lait et de jus de fruits avaient été récoltés par les membres de Sagazic, afin de les transformer en de  véritables porte monnaies. Cent quarante enfants ont confectionnés leur petite bourse avec beaucoup d’enthousiasme et de dextérité. Cette matinée  s’est clôturée par les chants des enfants accompagnés des percussions de SAGAZIC, à la grande joie de tous. Tous les adhérents ont été conviés à un déjeuner typique chez le chef du village. Avant de repartir dans le mini-bus, la trésorière  de SAGAZIC a remis un don d’un montant  de 200 euros à l’AMDR. Un futur projet de convention entre les deux associations est en réflexion…

Le journée du dimanche 19 avril a été très dense pour la Sagazic Compagnie. Le matin, de jeunes sportifs du collège de Rissani ont rivalisé en endurance et effort sur une distance de 2 kilomètres, sous une température de  37 degrés. Ensuite, cinq membres castelbourgeois ont participé à la course solidaire organisée dans le cadre du festival et parrainée par le vainqueur du marathon des sables 2015. Ils  ont traversé trois kilomètres de dunes suivis de cinq kilomètres de plateaux naturels avant de franchir la ligne d’arrivée. L’aventure s’est poursuivie le soir sur scène où la troupe a fait vibrer les planches  au son des percussions pour leur dernière prestation. Les couleurs, les rythmes, les mouvements et les gestes ont donné à l’ambiance une tonalité bien africaine. Cette dernière soirée a été synonyme de rencontres et d’échanges  avec des artistes notamment Mouloud Meskaoui leader de la chanson africaine au Maroc. En effet, lors de sa prestation, la Sagazic compagnie s’est déchaînée au pied de la scène et a improvisé une BOUM pour tout le Staff! Le chanteur nous le rendant bien. Durant la soirée, des interviews de la  télé nationale marocaine(2M) et une chaîne espagnole ainsi que radio et presse(Libération et CNN arabic) se sont succédées.

Fatigués mais repus de reconnaissance, la troupe a rejoint le bus sous les acclamations des festivaliers.

….et moi qui reprend ici le fil du récit, c’est sur la pointe des pieds que je vous salue pour ne réveiller personne. Je vous souhaite à toutes et à tous une très belle fête de la musique, n’oubliez pas la pompe à vélo ou la scie musicale,histoire de revenir aux fondamentaux. Je vous donne rendez-vous avec un de mes amis, rencontré justement au Sahara, lui aussi, au Festival Taragalte, le plus breton des africains, comme j’aime à le décrire. J’ai nommé Monsieur Mory TOURE, dont le projet fou s’offre une belle vitrine ce mois-ci dans les colonnes de Afrique Magazine : RADIO AFRIKA.

Et pour rester dans l’ambiance Fête de la musique, un petit vent de folie si ça vous dit !

Mais finalement, j’ai une meilleure idée pour nous quitter : laisser le dernier mot de l’aventure de Sagazic à celui qui y est pour quelque chose, le directeur du festival de Merzouga. Nasser Palace s’exprime ici en espagnol, mais ce n’est pas plus mal, comme ça vous avez droit aux sous-titres en arabe et français. Et le message passe dans toutes les langues, dans toutes les cultures, c’est malheureusement dans les pratiques que ça passe toujours pas.

Cherchez la frontière ! Et vous tuerez le nomade qui sommeille en vous !

B comme Bonus

https://www.sagazic.fr/

https://festivalmerzouga.com/2015/fr/

https://www.lematin.ma/journal/2015/troisieme-festival-international-des-musiques-du-monde_sonorites-et-rythmes-envoutants–sur-les-dunes-de-merzouga/221421.html

 

 

 

 

 

 

 

 


Allo Papa Tango Charlie, l’espoir incarné d’Oumar Badi

Dans les coulisses de l'exil, l'ombre d'un espoir
Dans les coulisses de l’exil, l’ombre d’un espoir, dans la lumière de l’espoir, le poids de l’exil

Surprise! Révélé en 2012 par le Festival au désert, le groupe Tadalat s’apprête à remonter sur scène à Bamako le 6 juin. Oumar, Mohamed, Abouba et Zeidi répondent à l’invitation d’étudiants du Nord-Mali installés dans la capitale. L’envie de parler d’un concert à venir ne s’était pas encore présentée sur Plan B. Je saisis l’occasion. Trop hâte de venir aux nouvelles, car voilà bientôt deux ans que nous en attendons, et des bonnes si possible. 

J’aurais aimé que cet article soit l’opportunité d’une vraie rencontre avec Oumar Badi à l’origine de la création de Tadalat et toujours pilier du groupe qu’il compte bien réunir pour reprendre le chantier, là où il a dû être abandonné faute de solution : à savoir l’enregistrement et la sortie d’un deuxième album. Mais Oumar, coincé en Algérie depuis tout ce temps par des problèmes de passeport, a d’autres urgences. C’est bien normal. Alors nous nous passerons de l’interview pour ne retenir que l’essentiel : il se pourrait bien que Tadalat revienne prochainement sur le devant de la scène. Voilà qui n’est pas pour nous déplaire.

Histoire de situer l’état d’esprit et le contexte de cet entretien que vous ne lirez pas ici, en tout cas pas aujourd’hui : quand je demande à mon ami Oumar, est-ce que le concert du 6 juin aura bien lieu, sachant combien il est toujours aussi difficile de se déplacer en toute sécurité au Nord-Mali, voilà la réponse qui trahit si bien à mes yeux les mondes qui nous séparent.

 « Inchallah, tous les gens parlent du concert du 6 ». 

Oumar Badi, leader de Tadalat, dans les flashs des photographes. Crédit photo Valentina Loretelli, 2013
Oumar Badi, leader de Tadalat, dans les flashs des photographes. Crédit photo Valentina Loretelli, 2013

Absent des écrans radars, quoique reformé avec d’autres musiciens à Tamanrasset autour du chanteur Oumar Badi, le groupe Tadalat tel que nous l’avons connu et soutenu, ici, en Bretagne, existe-t-il toujours ?

C’était en juin 2013. Ils arrivaient de Kidal, ou plutôt non, ils arrivaient de la brousse, refuge obligé pour certains, ou d’ailleurs, loin de Kidal. Des bénévoles bretons les avaient accueillis dans la région de Pontivy et accompagnés sur pas moins de 36 dates en trois mois. Une formidable aventure qui aurait presque fait oublier d’où venaient ces jeunes artistes autodidactes et le chaos qu’ils laissaient derrière eux le temps d’un rêve éveillé… le temps d’une parenthèse qu’il ne fût pas question, ni pour nous, ni pour eux, de refermer à la fin de l’été.

Pourtant, de retour au Mali fin août 2013, cette énergie folle, ce talent attesté, cette volonté de surmonter ensemble le traumatisme de la terreur exercée par les djihadistes à Kidal et ailleurs sur les artistes, n’y feront rien. Au gré des aléas, absence de moyens et de perspectives oblige, chacun reprend son chemin, séparément, avec pour seule monnaie d’échange, sa capacité de débrouille, d’adaptation, faisant appel à un art qui n’a rien à voir avec la scène et la magie du spectacle. Chez les Kel Tamasheqs comme pour tout autre peuple pris dans les feux d’une lutte armée, chacun se doit d’être patient et sacrément bien préparé à l’art du Plan B, l’art de la survie.

Retour à la case départ. Tadalat disparaît des écrans radars.

La tournée est mise sur pied par des bénévoles. Du travail de pro pour promouvoir le talent et la diversité culturelle !
La tournée est mise sur pied par des bénévoles. Du travail de pro pour promouvoir le talent et la diversité culturelle !

Je me rappelle ma première rencontre avec Oumar Badi, dans les studios d’une radio associative à Pontivy : Radio Bro Gwened. Le groupe venait de poser ses valises en pleine cambrousse dans une longère prêtée par un habitant. Une dizaine de jours plus tard, Tadalat se produisait à Kergrist, petite commune rurale, à l’occasion de la fête de la musique. Un concert rendu possible grâce à la réactivité du maire, Bruno Servel et celle de son adjoint à la culture, Philippe Guillo. Nous sommes le 18 juin 2013, ça vous dit peut-être quelque chose. Ce jour-là, à Ouagadougou, Blaise Compaoré obtient une avancée dans les pourparlers entre les différentes parties opposées dans le conflit malien. « Un accord qui fait la part belle à Bamako, admettent tous les signataires, mais qui n’occulte pas les problèmes de développement du nord du Mali. » Source : RFI.

L’élection du nouveau président malien aura lieu quelques mois plus tard, le 11 août exactement. Je m’en souviens parce que ce jour-là, Tadalat tenait la vedette sur la scène du Festival « La Croisée des chemins », aux Houches. Magnifique concert de clôture, explosion d’émotions mémorable, en présence de Manny Ansar, directeur du Festival au désert en exil et de toute une équipe internationale réunie au pied du Mont Blanc pour réfléchir à la façon de faire vivre cette ambition culturelle, grâce à la solidarité des réseaux. Une sorte d’exil solidaire à inventer, si vous voulez.

Manny Ansar lors de la 1ère édition du Festival La croisée des chemins
Manny Ansar lors de la 1ère édition du Festival La croisée des chemins

Cette même année, en octobre, Manny Ansar recevra au Pays de Galles le prix WOMEX au nom de toute cette équipe mobilisée au service des droits culturels, du dialogue entre les cultures, de la paix. « Ce prix d’excellence est surtout un soutien moral. Il est très important pour nous que ce que nous faisons soit reconnu à l’échelle internationale, que nos partenaires entendent cela. Et le fait de parler d’une façon positive du Mali, c’est cela le plus important pour nous »  Extrait d’une nterview passionnante

https://www.rfi.fr/emission/20131028-manny-ansar-directeur-le-festival-desert-tombouctou/

Mais revenons en Centre-Bretagne. Le 18 juin, à Kergrist, Philippe Guillo avait à ses côtés, derrière l’immense table de mixage high tech, un autre professionnel du son, l’instigateur de ce projet fou, le manager de cette première (et unique) tournée  : Abdallah Ag Amano (Sahara Sounds). Après avoir réussi à trouver les musiciens réfugiés au quatre points cardinaux, mis en branle tout le processus pour les faire venir sains et saufs à Bamako, obtenir les visas et, au passage, le soutien financier du service culturel de l’ambassade de France, Abdallah pouvait se féliciter de voir ses efforts récompensés par un accueil aussi chaleureux que spontané.

Comme moi, d’autres bénévoles ont rejoint le projet au pied levé pour que cette résidence informelle permette à Tadalat de conquérir les scènes bretonnes et celles d’autres festivals européens. Nous avons fait connaissance en chemin, simplement, naturellement, à l’image de cette tradition d’hospitalité qui veut qu’au Sahara tout étranger puisse venir s’asseoir près du feu et partager le verre de thé brûlant qu’un inconnu vient de lui tendre sans autre formalité.

Un 1er album, une 1ère tournée internationale et puis...retour au Mali oblige, silence radio !
Un 1er album, une 1ère tournée internationale et puis… retour au Mali oblige, silence radio ! Allo Papa Tango Charlie…

Cette tournée 2013 sous le  signe de l’espoir (traduction littérale de Tadalat qui veut dire aussi pâturage) a permis à chacun de se remettre au travail, de se replonger dans la musique, avec des conditions impossibles à réunir dans un Mali en guerre. J’ai vu ces jeunes musiciens répéter jusqu’à pas d’heure entre les concerts, j’ai partagé leurs repas, leur joie de vivre, leur fatigue, j’ai senti leur ferveur, j’ai vibré avec les publics qu’ils ont touchés par leur musique et leur énergie, je les ai vus exulter sur scène, donnant toujours le meilleur, quel que soit le type de concert et le montant du cachet, parfois inexistant.

Devant une salle comble et surchauffée, ils étaient tout simplement étonnants de simplicité, de sincérité, d’enthousiasme. Je me souviens de ce concert du 24 juillet, sur la scène du théâtre mis à leur disposition par la ville de Pontivy le temps d’enregistrer leurs nouveaux morceaux. Unique occasion finalement qu’ils auront eu cet été-là de se produire dans une vraie salle de spectacle. Etape-clé surtout de leur parcours artistique qui préfigurait la sortie d’un deuxième album, en grande partie made in Breizh. Bien que confrontés au coût déjà exorbitant de notre mode de vie, ainsi qu’aux charges d’une tournée autofinancée, Tadalat avait donné ce concert gratuitement. L’élue Culture que j’étais alors enrage encore !

Etienne Callac, prof de basse au conservatoire, répond tout de suite présent. Au changement d'assemblée, mars 2014, le projet de coopération culturelle est enterré par les nouveaux élus. Photo prise en octobre 2014, lors du retour de Zeidi en Bretagne après des mois de combat pour son visa.
Un dossier qui traïne sans raison et au changement d’assemblée, les nouveaux élus enterrent le projet de coopération culturelle. Retrouvailles d’Etienne et Zeidi devant le conservatoire de Pontivy dont les portes restent fermées.

Je me souviens aussi du bonheur de cette rencontre entre Etienne Callac, bassiste de renommée internationale, professeur au conservatoire de Pontivy, et Zeidi Ag Baba, au bar Le P’tit Zeff, à St-Nicolas des Eaux. Etienne me conforte dans l’idée que Zeidi ferait une recrue de choix pour notre école de musique intercommunale. Je me mets au travail pour monter le dossier, trouver les financements. Chance inouïe, notre département du Morbihan a un accord de coopération avec le Nord-Mali. Autre aubaine, je découvre qu’un programme de coopération existe entre la France et le Mali pour accueillir des jeunes en service volontaire. Leur accueil est pris en charge par le ministère des Affaires étrangères. Je m’étonne. Aucun artiste, aucun nomade, aucun non-diplômé n’a encore bénéficié de ce dispositif national qui défend pourtant officiellement l’accès de la culture à tous. Autre déconvenue, côté français, le monde rural est lui aussi absent du dispositif.

Pour quelle raison objective ? Je ne le saurai jamais. Elle est belle l’égalité des territoires. Les financements vont d’abord aux structures qui ont de quoi fournir l’ingénierie, donc aux zones urbaines. Comme si le travail des bénévoles,  a fortiori celui des élu-es bénévoles, comptaient pour du beurre dès qu’il s’agit de d’entrer dans des cases nationales, alors que le reste du temps, ce sont ces mêmes bénévoles qui font vivre la culture, en permanence sur la corde raide et chaque jour un peu plus,  pour palier le désengagement de l’Etat, des collectivités locales, sur des enjeux aussi importants pour lutter contre la montée des discours extrémistes en tout genre.

Zeidi et Intidao sur scène avec Génération Taragalte le 6 janvier 2015 à Rabat.
Veille de l’attentat contre Charlie, Zeidi joue sur scène avec Génération Taragalte et Intidao, à Rabat. Il rejoint la Caravane culturelle pour la Paix.

La question sera vite sans objet. Mars 2014, élections locales, changement d’assemblée communautaire, le projet de coopération culturelle est enterré à la première réunion de commission par les nouveaux décideurs fraîchement élus au suffrage universel. Zeidi, inscrit au conservatoire depuis septembre 2013, n’y entrera pas. Il reviendra seulement un an plus tard, après des mois de combat pour son visa. Un petit mois en visite privée au lieu d’un an de service civique à promouvoir l’apprentissage de la musique et l’échange interculturel auprès des habitants de nos communes rurales, comment défendre de vraies ambitions pour la culture dans ces conditions ?

Pour couronner le tout, le préfet du Morbihan refusera la demande de prolongation de séjour qui aurait permis de finaliser la réalisation d’une maquette enregistrée en urgence à Cléguérec et de garder un infime espoir de ne pas avoir fait tout ce chemin avec Tadalat pour rien. Grâce à la Caravane culturelle pour la Paix, Zeidi aura tout de même la chance de se produire en concert de nombreuses fois et avec des grands noms de la scène africaine, comme Intidao (Tinariwen) et bien d’autres, avant de rentrer chez lui à Kidal, le mois dernier, pour y retrouver sa famille, ainsi que ses anciens camarades de scène.

Quoiqu’il en soit, c’est Oumar qui a raison en ne retenant que le meilleur de cette rencontre entre la Bretagne et le Nord-Mali, portée par des habitants qui ne se connaissaient pas auparavant et qui n’ont pas jugé utile de se réunir en association pour agir ou d’attendre d’avoir des subventions. La source était là, à portée de main, alors nous nous sommes simplement mis dans les rangs pour que Tadalat abreuve de la meilleure eau qui soit notre beau désert breton. Et puis, la caravane passe…

« Vraiment je suis très content de vous les Bretons, vous nous avez très bien accueillis pendant notre tournée en été 2013 et après avoir fini la tournée, j’ai fait 4 festivals en Algérie. Depuis, rien ne s’est vraiment passé. Les autres étaient à Kidal, Zeidi a pas mal bougé hors du Mali et moi je suis resté à Tamanrasset, pour des histoires de passeport. Il est difficile de se déplacer avec les problèmes au Nord. L’album, on espère bien le sortir bientôt. Avec quels moyens ? Aucune idée ! » 

Oumar Badi

Concert de clôture au Festival des Houches, la classe des grands combinée à l'humilité, la générosité de celui qui sait qu'il ne fait que passer...
Concert de clôture au Festival des Houches, la classe des grands combinée à l’humilité, la générosité de celui qui sait qu’il ne fait que passer…

Pour finir sur une note positive, je veux d’abord saluer ces étudiants à Bamako qui nous font ce plaisir de  pouvoir reprendre contact avec nos amis de Tadalat grâce au concert qu’ils organisent samedi au Centre Toumast. Je vous invite au passage à regarder une vidéo qui vous mettra de suite dans l’ambiance, même si la qualité sonore de cette captation laisse à désirer. Ca vaut toutes les conclusions…Poussez les chaises si vous êtes dans votre cuisine. L’espoir incarné de Tadalat est plus que contagieux, il est positivement décapant !

https://www.facebook.com/tadalat.official/videos/609466142458294/?hc_location=ufi

Je voudrais aussi vous inviter à prendre le temps de lire cette charte réactualisée en avril dernier par les acteurs du réseau Zone franche et rappeler combien chacun, par ses choix, ses actes, ses réseaux, contribue à faire vivre cet engagement partagé, ne serait-ce que par la chaleur humaine que nous dégageons, ensemble, en tant que public, de la plus petite salle de concert au Zenith, grâce à ces artistes qui nous font vibrer parce qu’ils en ont le pouvoir.

Pour certains, c’est parfois le seul pouvoir qu’ils ont, face aux lourdes machines administratives qui les broient comme fétus de paille, mais ce pouvoir-là, personne ne peut le leur enlever, si ce n’est les groupes terroristes et l’indifférence, a fortiori la haine rampante qui recouvre « consciencieusement » nos esprits autrefois éclairés…

 Aussi vite et silencieusement que le lierre peut tuer un arbre millénaire.

https://droitsculturels.org/wp-content/uploads/2015/06/charteZoneFranche.pdf

B comme Bonus

Pour aider Tadalat a franchir la barre des 2000 J’aime

Faire circuler l’invitation du concert de samedi dans vos réseaux pour soutenir

Mondial Folk : Tadalat défend la cause Touareg devant le public breton

Extraits Live filmés à Afrik O’Bendy

Du désert malien au centre-Bretagne, le bel espoir de Tadalat

Ma culture pour tout passport 

Souvenirs d’Italie en image

https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/cartocrise-culture-francaise-tu-te-meurs_26647#5/46.995/4.482

https://www.culturalcaravanforpeace.org/


Huis clos nomade au coeur de la vallée du Drâa

Quelque part entre M'hamid et Marrakech Crédit photo : Fanchon
Quelque part entre M’hamid et Marrakech
Crédit photo : Fanchon

J’essaie d’habitude de prendre mon temps pour offrir à votre lecture des sujets, des instants, susceptibles de vous toucher. Après avoir laissé cette idée en friche pendant trois mois, j’ai envie aujourd’hui de faire une place à une autre approche de l’écriture : saisie sur le vif de façon quasi automatique, dans l’obscurité d’un minibus, entre lâcher-prise, lutte contre le froid et la fatigue. Cette nuit-là, j’ai sans doute éprouvé le besoin de me retirer dans ma bulle, sans perdre le fil de ce qui se passait autour de moi. Je revisite a posteriori, grâce à vous, des émotions mouvantes, contradictoires, exigeantes, sans pour autant m’imposer le devoir d’en dégager la moindre direction, sans non plus chercher à ré-écrire le récit d’instants, dont j’ai juste voulu rendre compte, sur le moment, lassée sans doute d’attendre la fin d’un voyage éprouvant. L‘aller-retour express du sud au nord marocain dont il est question dans ces lignes remonte au 5 janvier dernier. Le 7, alors que j’envisageais sérieusement de rentrer en Bretagne, profitant d’un passage à proximité d’un aéroport international, j’étais de retour dans les dunes de M’hamid el Ghizlane, où j’avais posé mes valises en décembre. Plus résolue que jamais à ne pas chercher à comprendre, pour mieux accueillir l’improbable…

Hors cette longue route interminable qui se fait dans un sens puis dans l’autre, il n’y a plus d’autre réalité que cet espace intimiste qui se confond dans la nuit entre le battement de mon cœur, le bruit du moteur, les bavardages, les rires. Nous sommes au Maroc, en plein hiver.

Mon plaisir serait que vous arriviez à sentir les amortisseurs et les secousses, non que je vous souhaite une lecture inconfortable, bien au contraire… Je vous embarque avec moi dans ce drôle de voyage en 4×4 et minibus. Un aller-retour express entre le désert et Rabat. Je suis en compagnie d’artistes qui vont donner un concert. A trois semaines du festival Taragalte, nous voilà en mode commando à l’assaut de la capitale et des médias, laissant derrière nous le silence des dunes, la beauté sauvage du Sahara.

20150120_234728Le voyage loin d’être onirique – il faut quand même les avaler les deux mille kilomètres aller-retour en moins de trois jours, avec passage obligé par les routes sinueuses de l’Atlas enneigé – n’en est pas moins étonnant. Le temps du trajet, je me nourris de cette étrange impression qu’un simple minibus peut remplir tous les offices, à l’exception de deux éléments essentiels de la culture nomade : le thé à toute heure de la journée, le feu.

Je vous présente les personnages de ce huis clos itinérant : quatre membres de l’association Zaila qui organise le festival, dont les deux frères Sbai, Ibrahim et Halim, six musiciens et moi qui suit la troupe, parfois médusée, souvent amusée, la plupart du temps étrangère à ce qui se raconte puisque je ne parle ni arabe ni tamasheq.  Autant que je précise aussi que je ne parle pas polonais non plus. TAK TAK !

Il n'est de plus beau carrefour que celui où je décide de bifurquer.
Il n’est de plus beau carrefour que celui où je décide de bifurquer.

Ah oui, je ne vous ai pas dit, la veille de notre départ de M’hamid el Ghizlane, Ibrahim Sbaï a pris en charge un couple d’autostoppeurs polonais, Stéphane et Yvonna. Après une seule nuit passée au sommet d’une dune, aboutissement suprême d’un périple où ces deux jeunes se sont exclusivement déplacés en stop, les voilà aussitôt remontés dans l’autre sens, vers Rabat, avec nous. Je ne pense pas m’en servir un jour, mais je sais à présent qu’il suffit de quatre jours en stop pour s’offrir une belle traversée de l’ouest de l’Europe et cinq pour passer de l’hiver polonais à l’hiver saharien !

Cette rencontre avec ces Polonais est loin d’être la seule sur le trajet. Ça monte et ça descend comme dans un ascenseur, sur le parcours. Avec des temps de « discut » plus ou moins longs. Comme je n’ai pas accès au scénar, je me satisfais de ce jeu de who’s who qui se déroule dans un si petit espace ambulant.

La palme de la visite la plus courte va à Sandra, topée à Casablanca grâce à Amin, styliste marocain qui s’est épris pour l’énergie qu’il a trouvée au cœur des dunes lors de sa visite à M’hamid, il y a une dizaine de jours, avec Oum, marraine du festival. Sandra embarque, un large sourire aux lèvres, comprend rapidement qu’elle doit aller à l’essentiel, car le minibus attend juste deux nouvelles personnes à redescendre vers le désert, des Françaises cette fois, je crois. Sandra trouve un siège, sort un ordinateur portable, sans plus de cérémonie, et voilà que la voix qui s’échappe de la petite machine insignifiante emplit tout l’espace et me téléporte illico. La scène se passe à Casablanca même, et du coup, si nous étions tous des personnages de roman ou dans une fiction sur grand écran, il y aurait là matière à une belle mise en abîme.

Le teaser ci-dessous qui était alors en cours de réalisation ne vous permet pas de découvrir la voix fabuleuse et l’énergie monstre de cette chanteuse canadienne, mais elle dit tout de la démarche qui fonde son projet de création artistique. Vous saurez bien la retrouver cette voix, si ça vous chante !

Amin et Sandra nous quittent déjà et disparaissent dans la foule marocaine, tandis que le minibus reprend la route avec les deux jeunes Françaises à bord. Elles semblent déjà bien connaître l’équipe du festival. J’en apprendrai plus, une fois tout le monde débarqué dans le désert, c’est-à-dire à pas d’heure. J’entends parler de livre, de projet, de photo, de vidéo…J’entends aussi parler de Taïwan et je me demande si ce minibus ne disposerait pas d’une sorte d’option immatérielle, en plus du système airbag, de l’ABS, de cette foutue bande-son qui finit par me vriller le cerveau : celle d’exploser les échelles du planisphère telles qu’elles s’étaient construites dans ma vie tranquille de bretonne attachée à sa petite zone rurale du Centre-Bretagne.

Je ne cherche pas à comprendre. C’est ça le vrai luxe, laisser la machine à tisser s’activer sous vos yeux, suivre en dilettante, en novice, l’impression des motifs, toujours changeants et pourtant si fidèles à une logique décousue, sorte d’espéranto alambiqué, qui servirait de code commun entre toutes ces personnes qui se parlent, s’agitent, renversent leur jus d’avocat sur leur voisin, empestent l’atmosphère à cause d’une malencontreuse crotte de chien croisée lors d’un arrêt, réinventent le monde dans des gestes drôles, des regards complices. BORDEL !

Je décide finalement de me mettre moi-même en apnée. J’écris dans le noir avec en fond sonore les cris des femmes qui rythment les mélopées qui passent en bouclent dans l’habitacle réduit mais confortable. Ai-je besoin de retrouver mes références ou de me rouler en boule, au chaud, dans un silence vertigineux qui pourrait seul me ramener à l’équilibre ?

Je me projette chez moi, je pense bizarrement à l’art dans les chapelles. Quel rapport me direz-vous entre musique touarègue, un festival dans le désert et le petit chouchou des festivals d’art contemporain qui permet à un territoire ignoré le reste de l’année de faire la Une de Télérama ou du Monde, créant l’émoi dans les chaumières (euh, même pas !) ?

Aucun. Juste l’incongruité de rencontres auxquelles j’assiste, étrangère et heureuse de l’être. Sur le métier à tisser, j’attrape ce fil dans mes pensées nocturnes, et je n’en fais rien. Mzian. Je continue à me laisser bercée par la route et l’inapropos finalement délicieux d’un non-lieu qui donne toute sa saveur à ce qui dans un cadre plus classique, ne seraient ni plus ni moins que quelques regards et paroles échangées.

Les deux françaises que j'accompagne volontiers pour mon unique sortie touristique, près de Ouarzazate, avant de reprendre la route pour M'hamid.
Les deux françaises que j’accompagne volontiers pour mon unique sortie touristique, près de Ouarzazate, avant de reprendre la route pour M’hamid el Ghizlane.

Est-ce le fait de la présence des deux jeunes Françaises montées à Casa, les musiciens se mettent à danser sur le bord de l’autoroute à la première halte sans doute passablement alcoolisés. Comment ne pas sourire, malgré la fatigue, à ce spectacle improvisé que j’attribue peut-être à tort à un réflexe bien humain, qui surpasse celui de se dégourdir les jambes après tant d’heures de route. C’est vrai qu’ils sont beaux ces grands oiseaux un peu fous. La chasse à la gazelle étant un sport national, ils auraient bien tort de cacher leur jeu et leurs meilleurs atouts. Je replonge dans mes pensées, amusée. J’ai découvert sur l’aire que nous avons quittée un peu plus tôt que l’on pouvait concilier sans problème, société de consommation, le plastique coloré des jeux pour enfants et l’aspect plus austère d’une maison de prière. Voilà comment on met le doigt sur une inculture incroyable liée à l’absence de voyage, en tout cas en terre musulmane asphaltée.

A 20 heures, l’ambiance s’est un peu calmée, un musicien continue à frapper le djembé pour accompagner l’autoradio ou le fil de ses pensées. Nous sommes toujours sur l’autoroute, terrain plat, signe qu’on n’est vraiment pas couché ! A l’avant, près de Rachid, notre chauffeur qui n’a pas encore mis sa tenue traditionnelle, indispensable pour lutter contre le froid de l’Atlas, Halim Sbaï et Intidao. Si vous connaissez Tinariwen, alors vous connaissez Intidao, sans le savoir peut-être.

A l’arrière, un autre musicien de Kidal, Zeidi Ag Baba, l’artiste qui m’a attirée dans cette toute première aventure saharienne. Intidao et Zeidi ont accompagné la veille sur scène le groupe Génération Taragalte. Le temps d’un unique concert promotionnel dans la capitale et tout le monde rentre au bivouac, retour express au bercail. Car ce n’est pas le tout de faire les colonnes des journaux, il y a des tonnes de matos à déplacer pour monter le festival en moins de trois semaines, des centaines de paires de bras à manager pour que tout soit prêt avant le jour J, sans  oublier les millions de détails essentiels qui font le quotidien de tout organisateur de festival : boucler la programmation, réserver les billets d’avion, anticiper les éventuels problèmes de visa, préparer le meilleur accueil à la Caravane culturelle pour la paix qui entame à Taragalte sa 2e édition, avec une toute nouvelle formation : Malikanw/Voix du Mali, produite par Essakane production (Festival au désert en exil), et les musiciens de Ben Zabo, ambassadeur du Festival sur le Niger.

Zeidi et Intidao sur scène avec Génération Taragalte le 6 janvier 2015 à Rabat.
Zeidi et Intidao sur scène avec Génération Taragalte le 6 janvier 2015 à Rabat.

Je n’imaginais pas commencer ce récit dans ce minibus, mais une fois tranquillement installée dans le frigo qui me sert de bureau au bivouac du « Petit Prince » ! C’est là que j’écris tous les textes en français nécessaires à la promotion du festival, aux échanges avec les artistes et les partenaires.

Pour être honnête, je m’interroge encore  trois mois plus tard, sur l’intérêt de publier ce récit. Pourtant c’est bien lors de cette longue escapade à Rabat que j’ai décodé, presque à mon insu, ce qui se nouait dans une question que j’avais mise dans mes bagages à l’aller, prête-moi aussi à descendre du minibus, à un moment ou à un autre, sur le trajet : should I stay or should I go ?

 

Depuis mon sort s’est lié, non pas à Taragalte, mais à la Caravane culturelle pour la Paix comme je le souhaitais en m’envolant pour le Maroc le 15 décembre 2014, à la fin du festival No Border à Brest. Rentrée en Bretagne, après les trois jours de festival et mes retrouvailles avec Manny Ansar, Abdallah Ag Amano, Bina (batteur de TADALAT), je n’avais qu’une envie : retourner à M’hamid el Ghizlane, ce drôle de village au bord du Drâa, dernière oasis aux portes du Sahara.

Pouvais-je imaginer que cet attachement prendrait racine dans l’alchimie qui apprivoise les âmes endormies, frigorifiées, bercées par les cahots d’une route sinueuse en altitude ? Je ne savais pas alors que le spectacle d’une lune pleine, radieuse et généreuse, sur les reliefs accidentés de la vallée du Drâa, m’offrirait la clé de ma propre plénitude. A l’aller, enthousiaste à l’idée de voir enfin du pays, le sourire aux lèvres, avec un polonais endormi sur mon épaule gauche, une Polonaise endormie sur mon épaule droite, au retour, éreintée, vidée, mais tout compte fait soulagée d’être encore du voyage.

La confiance et la fatigue aidant, je ne m’étonne même pas de pouvoir si simplement m’autoriser à laisser ma tête rouler sur l’épaule de mon voisin dans un demi-sommeil.  A mon tour ! Etait-ce parce que j’avais dépassé mon seuil de résistance après tant d’heures de route, ou la chaleur humaine peut-elle à tout moment venir à bout du froid glacial qui s’amuse avec nos sens ? Toujours est-il que la célèbre réplique de Molière, « Que diable allait-il faire dans cette galère ? », qui m’avait tenu compagnie souvent depuis mon arrivée au Maroc, ne me semblait plus faire écho à l’humeur voyageuse, qui se réveillait un peu tard pour me laisser goûter enfin le plaisir gourmand de ces instants magnifiés par l’imprévu, que je décidais d’habiter.

La vie avait pour moi d’autres projets de huis clos nomade au coeur de la vallée du Drâa. Je l’ignorais encore cette nuit-là, mais je n’étais déjà plus si pressée d’en finir avec cette route interminable…

De retour au bivouac du Petit Prince

Mohamed


En attendant Moussa

Une fois n’est pas coutume, je reproduis ici en l’état (les fautes de frappe en moins) un billet du jour publié ce matin au saut du lit sur ma page facebook, écriture spontanée.

Ce n’est pas parce que nous vivons dans un pays en paix…
[mais est-ce qu’un pays, une nation, qui se réjouit d’une vente de 24 avions Rafale est un pays en paix d’ailleurs ? Silence, la question mérite réflexion]
qu’il faut baisser la garde…républicaine :))

L’humeur du jour….

Bien sûr, vous le reconnaissez… il n’y a que lui pour avoir cette classe là, en toute circonstance :))

Zeidi Ag BABA sur la scène de TARAGALTE - Crédit photo Louis TISSIER
Zeidi Ag BABA sur la scène de TARAGALTE – Crédit photo Louis TISSIER

Zeidi relooké à Taragalte par son ami Amine, styliste marocain, symbole d’un blues touareg en mutation qui n’a pas fini de nous surprendre, symbole aussi d’une victoire sur toutes les portes désespérément closes qui vont à l’encontre d’un droit international fondamental : la mobilité des artistes.

Zeidi était hier soir sur scène, au Mali, à Mopti, avec tous les artistes de la Caravane culturelle pour la Paix et c’est à la fois grâce au Sud-Maroc et au Morbihan que ce petit miracle a lieu.
Il appartient désormais à Zeidi de savoir ce qu’il veut/peut faire des miracles :))
Il appartient surtout au Consulat de France à Bamako de reconnaître le travail anonyme réalisé par une élue et des habitants d’un territoire rural pour arrêter de nous faire passer pour des…passeurs !!!!
Au passage, je mets le pPréfet du Morbihan dans la même barque à faire chavirer pour faire mourir sur les côtes de la planète Musique toutes les hypocrisies d’un système qui bâtit son économie sur la misère et tant qu’à être cynique, – c’est vrai ça, pourquoi s’arrêter à la guerre des visas -, sur la vente d’armes.
Vive la République, vive la France !

Message personnel : Monsieur le préfet du Morbihan qui avez refusé la prolongation de visa de Monsieur Zeidi Ag Baba et avez ruiné tout nos projets de coopération artistique et culturelle ce faisant, merci de rappeler votre ami Jean-Louis Soriano à Bamako pour lui dire que je ne cache personne dans ma cave. Ma cave, c’est ma maison, un vrai frigo, alors si des gens voulaient vraiment s’installer en France, il ferait mieux de choisir une autre adresse !, petit conseil au passage. Déjà moi j’ai fui au Sahara pour m’éviter un 8ème hiver dans ces conditions, encore heureux, j’ai pas eu besoin de visa pour me chauffer gratos au Maroc, juste 100 euros, tout ce qu’il me restait à la banque.
Monsieur le Préfet du Morbihan, merci de rappeler votre ami Jean-Louis Soriano à Bamako pour lui dire que j’entends bien refaire une demande de visa pour un autre artiste, dont personne n’a le droit de nous priver : MOUSSA MAIGA, resté à Kidal toute la durée du conflit. Et que cette fois, n’étant plus élue en charge de la Culture sur 45 communes rurales, je n’aurai aucune raison de douter du bon fonctionnement de notre administration française et je pourrais plaindre ce Monsieur, dont le bureau croule sous les demandes de visa : 120 par jour.Tellement c’est trop, maintenant ce n’est même plus le consulat qui prend les demandes de rendez-vous,il faut passer (et payer bien sûr) par un service extérieur. Oui, c’est pas bien dificile, dans le fond, de faire tourner une économie sur le dos de la misère…il suffit d’oublier chaque jour un peu plus les principes fondamentaux qui fondent une société, son développement, et après tout semble normal et vous n’avez plus qu’à voter Front national, histoire de pêter un bon coup de frein quand votre économie est déjà à l’arrêt. C’est simple, non ?

Revoir un artiste heureux sur scène ne devrait pas relever du challenge permanent selon que l'on est un artiste du Nord ou du Sud
Revoir un artiste heureux sur scène ne devrait pas relever du challenge permanent selon que l’on est un artiste du Nord ou du Sud

Aucun cadavre qui s’échoue sur nos côtes européennes ne devrait être anonyme. Si nous ne pouvons pas sauver la vie de ces clandestins, sauvons au moins le droit et battons-nous aux côtés des artistes, des festivals qui les font tourner malgré les obstacles. Un peuple meurt quand il cesse d’être créatif, c’est ça ? Amis bretons, les Kel Tamasheqs sont le meilleur exemple d’un peuple, d’une culture, qui ne veut pas mourrir !

C’est nous qui avons besoin des touaregs pour nous rappeler cette vérité bafouée par les Etats eux-mêmes et leurs administrations zélées qui coupent si bien les Z’ailes à qui voudrait voir les hommes et les femmes voler, s’émanciper, plutôt que de vivre en esclave.
Si les Kel Tamasheqs, les hommes libres, ont besoin de moi, de vous, c’est juste parce que la FRANCE, notre si beau pays membre du G8, leur a imposé une situation ingérable, invivable, et que par dessus le marché elle retient prisionnière dans son propre pays, que ce soit le Mali, le Niger, le Maroc, l’Algérie… la nouvelle génération d’artistes qui pourrait contribuer à ramener la paix au Sahara !

Au passage, amis bretons, vous connaissez bien le Ministre de la Défense qui sert la cause juste défendue par François Hollande au MALI, Jean-Yves Le DRIAN, c’est un breton lui-aussi et pas des moindres.

En dehors des nombreux bénévoles qui accompagnent le projet artistitique de Zeidi, le seul breton dans ce dossier qui mérite mon respect et à qui je dois une gratitude sans nom, c’est le breton de la région de Pontivy qui, à peine arrivé en poste à Kidal, a demandé à rencontrer Zeidi Ag Baba et l’a mis dès le lendemain dans un hélicoptère pour lui permettre de rejoindre Bamako pour sa demande de visa, déjà refusée deux fois malgré tous nos efforts, ceux de l’intéressé, de ses amis au Mali, de sa famille.

Des gars comme ce Pontivyen anonyme, je dis BRAVO ! 

Elle serait belle la France aujourd’hui, s’il n’y avait eu que des collabos et pas de gens courageux pour désobéir et prendre des risques ! Ce n’est pas parce que nous vivons dans un pays en paix…
[mais est-ce qu’un pays, une nation, qui se réjouit d’une vente de 24 avions Rafale est un pays en paix d’ailleurs ?))….silence, la question mérite réflexion]
…qu’il faut baisser la garde…républicaine :))

Quelques heures plus tard, j’écrivais ceci, en réaction à la traduction d’une chanson de TINARIWEN

A méditer…à force de déserter nos instutions, nos consciences, nos villes, la bienveillance (à ne pas confondre avec vidéosurveillance !), l’amour de l’être humain, l’amour des ressources qui lui permettent de survivre, pauvrement, modestement ou sans aucune retenue ni considération pour les autres, pourait ne plus jamais recroiser nos routes….Merci TINARIWEN (lien vers la chanson ci-dessous)

Mais vous vous demandez qui est Moussa ? Normal ! Figurez-vous que moi aussi, puisque je ne l’ai jamais rencontré. Kidal, ce n’est pas la porte à côté et puis ce n’est pas trop conseillé d’y mettre les pieds. Mais une chose est sûre, je l’attends, il est en chemin, et si tout va bien, il pourra bientôt nous faire partager sa musique, sa poésie, son histoire, made in SAHARA, inchallah.

Si vous êtes trop impatient de faire sa connaissance, vous pouvez toujours le croiser sur ce blog dans l’article consacré à son ami PINO, qui aurait tellement voulu qu’il l’accompagne dans l’aventure du tournage de TIMBUKTU.

https://dernierbaiser.mondoblog.org/2014/12/08/hymne-diversite-sel-vie-ses-langages-pino/

 

Moussa, guitariste de KIDAL, pilier avec son ami PINO du groupe AMAWAL
Moussa, guitariste de KIDAL, pilier avec son ami PINO du groupe AMAWAL

TINARIWEN – ARHEGH DANAGH

ARHEGH DANAGH
(Mes amis, je tiens à vous dire)
« Mes amis, je tiens à vous parler des aventuresCe qui touche le cœur ne peut pas être cachéEt tout ce qui l’atteint le blesseL’amour d’aujourd’hui est comme un miragePlus tu t’en apprcohes, plus il s’éloigne,

Ça fait dix ans que l’amour m’a laissé

Qu’il a déserté mon âme

Et n’a plus croisé mon chemin. »

ARHEGH DANAGH
(My friends, I want to tell you)

« My friends, I want to tell you about adventures

What touches the heart cannot be hidden away

And all that reaches it wounds it

Today’s love is like a mirage

The closer you get, the further away it goes

It’s been ten years since love left me

That it deserted my soul

And no longer crosses my path. »

 


Hospitalité et dialogue : la belle leçon de vie des nomades à Taragalte

Que l’on soit fan de musique, amateur de beaux plateaux artistiques, ou tout simplement adepte de belles ambiances qui transcendent les foules, il y a toujours un festival, petit ou grand, pour nous offrir une rupture salutaire avec le quotidien. En Bretagne, terre de festivals par excellence, nous sommes un peu les enfants gâtés de cette planète. Alors, la moindre des choses est de nous intéresser à ce que vivent ailleurs d’autres acteurs associatifs qui, par leur engagement au service de la diversité culturelle, contribuent à faire vivre une économie réelle, porteuse de sens, de valeurs et de lien social.

A M’hamid el Ghizlane, entre oasis et désert, le bivouac du Petit prince se prépare à accueillir les festivaliers du 23 au 25 janvier

 

C’est à Taragalte que j’ai choisi de poser mon baluchon de «mondoblog-trotteuse», fin décembre, pour vivre une expérience nomade, au sein d’une équipe que j’apprends à connaître et à apprécier au fil des jours, au rythme des nuits étoilées. Car le soir tombe vite ici. Quand les ouvriers ont laissé pelles et truelles, piquets de tente et marteaux pour rejoindre leurs quartiers, c’est l’heure où je suis  le plus utile, grâce à ma maîtrise de la langue française, à cet attrait qu’ont pour moi les belles aventures humaines. J’ignore tout du projet, et c’est là que se trouve ma première motivation : être à l’écoute pour rendre le plus fidèlement possible la profondeur de ce qui se vit ici, dans ce décor saugrenu pour la bretonne que je suis : du sable, du sable, du sable !

Deux guerres, trois rencontres et une caravane culturelle pour la paix m’ont conduite jusqu’ici : la guerre au Mali d’une part et de l’autre celle menée contre la terre entière par des groupes organisés, financés, armés, dont les actes ont pour cibles directes la dignité humaine et la liberté. Qu’ils se réclament de tel ou tel Dieu, qu’ils soient une poignée à se faire exploser, ils sèment la terreur. Leur stratégie, leur dangereux  pouvoir est de faire en sorte que la terreur soit l’arme que nous retournons contre nous-mêmes pour que l’ignorance, l’intolérance se propagent encore plus vite et fassent leur moisson de nos renoncements, de notre aveuglement.

« Quand une minorité se sert de l’ignorance comme une arme, la majorité, c’est-à-dire chacun d’entre nous,  peut et doit agir pour faire face à la menace terroriste mondiale avec logique, responsabilité, conviction.  Tout acte terroriste, toute forme de violence est une expression de faiblesse, de lâcheté. L’aveuglement de quelques individus extrémistes ne doit pas laisser croire que nos diverses cultures seraient si fragiles qu’elles ne pourraient pas cohabiter en paix. Le manque de dialogue, le déficit de réflexion est notre premier ennemi, car il n’y a pas pire que le matérialisme au service de l’ignorance. » Ibrahim SBAÏ

Pour les rencontres, il s’agit de trois hommes, au passage tous trois musulmans : Zeidi Ag Baba, musicien, Manny Ansar, directeur du Festival au désert en exil,  Ibrahim Sbaï, directeur artistique du Festival Taragalte. C’est grâce à l’invitation d’Ibrahim que je vous propose aujourd’hui de vous installer au Bivouac Le Petit prince, à M’hamid el-Ghizlane, au Sud du Maroc. Vous avez laissé derrière vous les sommets enneigés de l’Atlas, les paysages époustouflants de la Vallée du Drâa, et vous voilà, entre oasis et désert, au pays des dattes et des caravanes. Bienvenue ! Merhaba ! Le traditionnel thé du désert nous tiendra compagnie, comme le rire des ouvriers qui s’activent pour que la fête soit belle dans quelques jours.

Les hommes de chez toi, dit le Petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin…et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943

Ici le blues du désert n'est pas un mythe, c'est, aussi vitale que le thé, une histoire de partage.
Ici le blues du désert n’est pas un mythe, c’est, aussi vitale que le thé, une histoire de partage. Lahcen, pas peu fier, me demande de le prendre en photo avec les artistes de Kidal en résidence, Zeidi et Intidao

J’ai rêvé d’un village mondial éphémère en plein désert

A l’heure où j’écris, comment ne pas penser que cette région située dans la province de Zagora est malheureusement l’une des rares régions du Sahara où une occidentale peut encore s’égarer sans craindre pour sa vie. Le désert devrait tellement être synonyme de paix. De fait, je me sens extrêmement privilégiée de découvrir, sur le tard certes, mais mieux vaut tard que jamais, l’extraordinaire majesté des lieux et l’hospitalité qui caractérise si bien les nomades.

Car peu importe la beauté du cadre, si le sentiment d’harmonie, de liberté qu’il inspire est troublé par des images, fugitives mais tenaces,  qui rappellent combien la guerre est un luxe qui se monnaye entre puissants quand la paix, bien moins lucrative,  reste un rêve inaccessible pour une bonne partie de l’humanité.

Bien sûr, ici, tout le monde ou presque vit du tourisme, bien sûr, le 4×4 est devenu l’alternative high-tech d’une industrie qui n’a néanmoins rien à voir avec le tourisme de masse tel qu’il se pratique sur le globe, sous toutes les latitudes. Bien sûr, le désert lui-même n’échappe pas aux raccourcis qui servent tant de fantasmes et stimulent les flux Internet au gré des offres d’innombrables agences de voyage qui se partagent le marché.

Lahcen, champion de course de dromadaires participe au montage de la scène du Petit prince
Lahcen, champion de course de dromadaires, participe au montage de la scène du Petit prince

Mais le désert, comme les nomades, ne se laisse pas enfermer si facilement dans des clichés. Le Festival Taragalte en fait la démonstration et d’une bien jolie façon. Pour sa 6ème  édition, l’organisation a dû pourtant faire face à un imprévu générant des coûts supplémentaires non négligeables : les inondations de décembre.

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Lahcen a perdu son dromadaire pendant les inondations, il me montre les photos des bivouacs dévastés.

Pour vous donner une idée du contexte, il fallait alors faire 80 km pour aller du village au site du festival, de l’autre côté du Drâa. Un propriétaire d’auberge me racontait encore aujourd’hui comment il était resté bloqué quinze jours sans pouvoir rejoindre l’autre rive, pourtant si proche. Un jeune du chantier, sur le site du festival, me raconte comment le dromadaire qui lui avait permis de remporter sa première course était mort, emporté par le courant. Les chameaux sont chaussés naturellement pour le sable, ils ne peuvent pas fuir en cas de montée rapide des eaux.

Plusieurs bivouacs qui permettent d’accueillir les touristes en plein désert sont détruits. Les constructions de terre, omniprésentes dans le paysage,  subissent elles aussi de graves dégradations. Je comprends petit à petit l’ampleur du phénomène dont j’avais eu écho. Mais un peu partout au même moment, les TV diffusaient en boucle les images de sinistrés dans  les pays du Nord, en France notamment, eux aussi confrontés au dérèglement climatique. J’invoque mes souvenirs des inondations successives,  l’hiver dernier, à Pontivy, mais comment imaginer que cet oued apparemment inoffensif, que les  habitants  le traversent à pied, ait pu produire autant de dégâts sur son passage.

Une semaine après mon arrivée, un gué provisoire est à nouveau opérationnel. Sans ce lien entre les deux berges, il n’est pas possible de faire passer le matériel nécessaire au montage du festival qui se déroule, depuis sa création en 2009, au cœur des dunes. Au bivouac du Petit prince, le chantier se fait d’abord exclusivement à main d’hommes. A dix jours du festival, le chantier connaît une subite accélération. Les tonnes de sable qu’il reste encore à déplacer pour accueillir dans les meilleures conditions les 5000 festivaliers attendus,  nécessitent d’être transportées par des engins motorisés.

Les tentes se montent à vitesse grand V un peu partout sur le site.  On attend d’un jour à l’autre les professionnels qui vont installer la grande scène. La fourmilière s’active et le 23 janvier pour l’ouverture officielle, l’hommage que veut rendre Taragalte au passé des caravanes, à leur rôle primordial dans l’histoire économique et culturelle de cette partie du monde, sera déjà bien vivant dans l’esprit de ce campement nomade improbable,  réunissant dans un même espace vierge de toute infrastructure, des publics, des artistes aussi différents.

Le campement nomade du festival sous le vent de sabl
Campement nomade de Taragalte sous le vent de sable

Ibrahim Sbaï dirige les opérations entouré par une équipe soudée : Salah, Abbas, Lahcen…Rien que le spectacle de la voûte céleste est en soi un festival, me confie-t-il un soir. C’est vrai qu’ici, quand le silence reprend ses droits, tout semble vibrer d’une si belle énergie, avant même le branchement du premier ampli. Mais il suffit de jeter un oeil au programme pour voir combien l’entreprise est ambitieuse, malgré des marges de manœuvres financières déjà limitées, revues à la baisse.

La musique en partage dans un désert sans frontières

INTIDAO, avec des musiciens du groupe local, soutenu par le festival depuis sa création en 2009

Dans la semaine précédant le festival, le bivouac du Petit prince se transforme en résidence d’artistes pendant que le montage se poursuit. C’est une jeune chanteuse à la voix puissante, Sandra Amarie, qui vient s’installer pour travailler avec  les cinq musiciens du groupe Génération Taragalte et deux artistes de Kidal, Intidao, Zeidi Ag Baba. A la croisée des inspirations, des sonorités, des langues, le dialogue entre les cultures qui fera l’objet d’une conférence dimanche prochain avec des représentants de différents festivals africains, se traduit d’abord dans cette volonté de soutenir la création, ici, aux portes du désert.

L’association ZAÏLA s’est donné pour défi de faire chanter les dunes pour redonner vie à cet endroit magique, haut lieu du patrimoine des caravanes. On peut lire sur le descriptif donné par le site internet de la manifestation: « S’inspirant de ce carrefour de routes séculaires, bénévoles, habitants, artistes et public, partenaires du festival se rassemblent autour d’une noble cause : penser l’art et la culture comme une clé essentielle de modes de développement responsables, solidaires, et de rapprochement entre les peuples. »

A la tombée du jour, vers 17h30, avec en fond de la scène TARAGALTE les couleurs flamboyantes du soleil couchant, les grands concerts commenceront avec pas moins de 60 artistes venus d’horizons différents :  ZOUMANA TERETA-ZOU, MARIA SAYON SIDIBE-SADIO, AHMED AG KAEDY, PETIT GORO & ZOU, CHEICK SISSAKO, SAMBA TOURE, OUM, AZIZ  SAHMAOUI & University of Gnawa, MAHMOUD GUINIA, BEN ZABO, INTIDAO, ZEIDI AG BABA, MALLAL, SANDRA AMARIE, CHEBAB ASSA TARABE HASSANI, GENERATION TARAGALTE, CHAMRA, AHIDOUS, ROKBA GANGA, GEDRA, TRIBES DRÂA.

La musique résonnera  aussi durant ces trois jours sur la scène acoustique du Petit prince et dans l’ambiance familiale du campement nomade, tout proche. Il va s’en passer des choses sous la khaïma (sous la tente), thème retenu par l’équipe pour cette édition 2015. Sur le site du festival, un espace central est dédié à l’habitat nomade, aux objets de la vie quotidienne des familles sahariennes, avec les spécificités propres à chaque région : ici, la différence se partage de façon ancestrale pour nourrir un même sentiment d’appartenance à une grande communauté de destin.

Une belle leçon de savoir-vivre dont nous ferions bien de nous inspirer, non ?

Je vous laisse poursuivre la découverte de cette riche aventure aux portes du Sahara comme bon vous semble, mais je vous invite à aller plus loin que la lecture de cet article, notamment en vous intéressant à la Caravane culturelle pour la paix, dont le coup d’envoi de la 2ème édition aura lieu ce week-end à Taragalte.

Voir les reportages sur la 1ère édition de la Caravane pour la paix

https://www.youtube.com/watch?v=0Z0yybqtQn4

https://www.youtube.com/watch?v=_NFyWrMOavk

Voir le programme de la 6ème édition de Taragalte  https://www.taragalte.org/

Voir les photos de Mehdi Ben Khouja, soirée de lanceent du Festival Taragalte  RABAT le 6 janvier 2015, concert de Génération Taragalte avec INTIDAO et ZEIDI AG BABA

Pour organiser un séjour, une bonne adresse, un vrai petit coin de paradis l’auberge de la Palmeraie

B comme bonus – Rencontre avec Génération Taragalte, dignes héritiers de TINARIWEN

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Blanche l’horreur, la folie, la barbarie

Immaculée saleté, au nom des pères !

Blanche la douleur sous la lame aveugle

Qui détricote tes chairs, à vide, avide,

Elle se délecte de ta peur

Et sème dans chaque plaie ouverte

Les germes d’une moisson sans graine.

Blanche la haine dans les yeux sans larmes,

De ceux qui laissent faire

Foules innombrables, vous pleurez en dedans,

Mais vous noyez ce qui reste de sagesse,

D’obéissance aux lois suprêmes,

Tu ne tueras point, tu ne tueras point

Blanche, ma peine, immense, inutile,

Qui raccommode au gré du vent

De quoi rhabiller nos rêves livides

Désarçonnés par tant de barbarie

Faut-il que l’homme soit si stupide

Pour chérir à ce point l’ultime connerie ?

Blanche est la vie, blanc ton sourire, blanc le serment par lequel tout grandit

Blancs les sommets, blanches les forêts, blanche l’écume, blanches les dunes

Blanche ma joie de t’avoir choisi,

Blanche ma peur d’être aimée ainsi

Par l’angoisse de te perdre, par l’angoisse de mal faire

Blanche la confiance qui se gagne chaque jour

Au nom des mères, au nom de l’amour

Pontivy, 21 août 2014


LES HYENES

 

Les rivières à sec ne chantent pas, elles saignent.

M'hamid el Ghizlane, dans les dunes
M’hamid el Ghizlane, dans les dunes

Les hyènes

Quand la fraicheur de la nuit efface ce qu’elle peut des odeurs nauséabondes semées par le jour ignorant de toute beauté, préférant offrir à la lumière crue du soleil l’incurie des bêtes déchaînées autour de la carcasse encore chaude des rêves qu’elles ont tués de leurs crocs  insatiables

Quand la lune à force de pleurer demande qu’on lui donne pieds et jambes pour parcourir les dunes à la recherche des étoiles tombées une à une, ne laissant dans le ciel que la compagnie de machines, ferrailles en tout genre et autres satellites, pour mieux se fondre poussière en un soupçon d’oubli

Quand l’âme se fait chant au cœur du cimetière immense, évoquant les traces qui se croisent et se recroisent dans le sable à perte de vue, tel le ballet incessant de la proie et du prédateur, une question subsiste qui s’écrit dans le silence des tombes. Un croissant de lune, un ciel d’hiver, pour seule réponse.

Celui qui se dit proie en prédateur s’avoue mourir, qui croit chasser se sent pris à la gorge quand l’ombre de sa haine devient linceul. L’homme errant au crépuscule à la recherche des traces laissées le matin ne sait pas après quoi il court tout le jour. Il ignore tout à sa fuite que ses pas l’emmènent tôt ou tard à la croisée de sa propre route.

Toutes les traces se ressemblent, même les hyènes en ont peur, comment reconnaître la sienne quand posséder importe plus que se sentir vivant ?

Il vient toujours un moment, un carrefour, où l’angoisse d’un dialogue difficile s’invite en chemin.  Les rivières à sec ne chantent pas, elles saignent.

Pour Mohamed, une étoile dans un ciel d’hiver à Kidal

Bivouac Le petit prince, M’hamid el Ghizlane, 29/12/14

B comme big bang
B comme big bang

 


B comme bénévole et bénaise de l’être

Du 1er au 7 décembre se tenait le Fesival du Théâtre des Réalités à Sikasso, Mali, rencontre avec une bénévole à l’image des jeunes de son époque, avides d’un monde dont l’exploration contemporaine passe par l’invention de nouvelles cartes…d’identité plurielle, au-delà des frontières, au-delà des différences, au-delà de l’ignorance

Avec Plan B, je vous ai surtout présenté des artistes, mes coups de cœur 2014 en quelque sorte : Zeidi Ag Baba, Mehdi Nassouli, Pino. D’autres belles rencontres viendront vous donner l’envie de venir savourer quelques instants de plaisir sur ce blog en 2015, j’y travaille…. mais aujourd’hui, place à un autre type de portrait : celui d’une jeune femme qui a bien voulu répondre à mes questions en plein rush, et je la remercie ici vivement.

Moussa, bénévole à ACTE SEPT, Bamako
Moussa, bénévole à ACTE SEPT, Bamako

La seule chose que nous partageons, sans nous connaître, c’est notre statut de bénévole de festival et peut-être, à vous d’en juger, une bonne dose de bon sens ! Quant à l’expression « bénaise », elle me vient justement d’une expérience de bénévolat particulièrement riche en Poitou-Charentes : la mise en place du festival du Nombril du monde, en 2012, sous la direction de mon ami Denis LECAT, à Pougne-Hérisson (oui, ça ne s’invente pas !).

Mon invitée du jour s’appelle Massou.  Si je l’ai sollicitée, c’est parce qu’elle a intégré l’équipe d’un festival avec lequel j’ai essayé de monter un projet de coopération culturelle dans le cadre d’un programme qui s’appelle RECIPROCITE. Pour X raisons, ça n’a pas marché, mais j’ai continué à m’intéresser à la structure associative qui avait accepté de me faire confiance dès notre première prise de contact, ACTE SEPT. En même temps, je recherchais d’autres partenaires pour mener à bien la mise en place d’un partenariat entre la Bretagne et le Festival au désert en exil (festival Essakane, Tombouctou).

A l’heure où je reprends la plume numérique pour Mondoblog, je suis aussi bénévole pour le Festival TARAGALTE au Sud Maroc, afin de donner un coup de main au lancement de la 2ème édition de la Caravane culturelle pour la Paix, les 23,24,25 janvier prochains. Il s’agit d’un partenariat avec deux festivals maliens : festival sur le Niger et le Festival au désert. Mais revenons au sujet du jour, MASSOU, et mettons le cap plus au sud. Embarquement immédiat pour le Mali.

Fanchon : Tu es chargée de communication au sein de l’équipe d’Acte Sept, comment présenterais-tu cette association pour donner envie d’y adhérer ?

Massou : Acte sept est une association qui a pour but de promouvoir les cultures maliennes au travers diverses formes d’activités socio-culturelles.  Elle utilise le théâtre comme moyen de communication. Elle permet notamment de faire tourner des spectacles itinérants sur tout le territoire malien, y compris en milieu rural, dans les villages, afin de rendre la culture accessible à tous. Ses actions ont un rayonnement et une visibilité internationale par ses collaborations avec des artistes de toute l’Afrique de l’ouest et européens.

Fanchon : Cette association existe depuis longtemps ?

Massou : Acte sept fête ses 20 ans cette année. Ces derniers mois,  nous étions particulièrement mobilisés sur la 12ème édition du festival du théâtre des Réalités qui s’est tenu du 1er au 7 décembre à Sikasso, pas très loin de Bamako. C’est riche de partager le quotidien de cette association qui travaille en partenariat avec des ONG souhaitant sensibiliser la population sur des questions d’ordre sociales et sanitaires. Le point fort d’Acte sept, c’est de miser sur la formation aux métiers de l’action culturelle, car les pratiques artistiques sont bien plus que du divertissement, ce sont des professions. En Afrique, cela ne va pas toujours de soi.  Dans cet esprit, Acte Sept travaille aussi à la réflexion sur les enjeux économiques du secteur culturel au Mali, au sein d’un groupement de diffuseurs culturels, le réseau Sirabo.

Fanchon : Etre bénévole, ça ne s’invente pas, on met toujours « un peu-beaucoup-passionnément-à la folie » de soi dans ce type d’engagement. C’est la 1ère fois que tu es une bénévole nomade qui donne et (ap)prend de festival en festival ?

Massou  :  Non, ce n’est pas la première fois que je donne de mon temps sur ce type d’événement. J’ai été chargée d’administration durant deux ans à Pol’n (Nantes – structure culturelle). On porte et monte de nombreux spectacles et notamment le festival Kraft sur deux éditions 2013 et 2014. Par contre, c’est la première fois en Afrique (au Mali) et ça n’a rien de comparable à la France dans l’organisation de ce type d’événements.

Visuel de l'édition 2014
Visuel de l’édition 2014

Fanchon : Le festival dont tu parles vise à créer du dialogue entre les cultures si j’ai bien compris. Le public n’a pas dû s’ennuyer à Sikasso début décembre, j’ai l’impression qu’il fallait 4 paires d’yeux pour tout voir ou je me trompe ?

MASSOU : La programmation du Festival du Théâtre des réalités  est à la l’image du Mali, pays de dialogue entre les cultures justement.  Ici, Bambara, Malinkés, Peuls, Dogons, Soninké, Tamasheq savent vivre ensemble. En plus, le Mali est frontalier avec tellement de pays qu’il n’est pas rare à Bamako de croiser des Ivoiriens, des Burkinabé, des Nigériens, des Béninois, des Sénégalais, etc… C’est comme si l’Europe tout entière, en y rajoutant d’autres pays qui n’ont rien à voir les uns avec les autres culturellement, que ce soit au niveau de la langue, des traditions, pouvaient vivre ensemble. C’est incompréhensible en occident, et là est la force du Mali mais aussi sa faiblesse, car ce pays est  justement capable de tout accepter ! C’est un point de vue vraiment personnel.

Fanchon : Vu la complexité de la situation au Mali, le choix de la thématique de cette édition 2014 traduit un acte politique fort plus qu’il ne tient du geste militant ou du regard distancié par rapport à l’approche psycho-socio-philosophico-transdisciplinaire des colloques internationaux !   Qu’est-ce qui te touche personnellement dans cette question de la reconstruction des identités ?

(à ce moment précis, je me décroche la mâchoire sous l’effet de la surprise)

Massou :  Je suis née à Bamako, adoptée à 4 ans et élevée en Vendée, au sud de Nantes. J’ai découvert le Mali à l’âge de 24 ans, j’en ai 29 et je me sens un peu plus Malienne qu’hier. Alors oui, sur cette notion de reconstruction des identités, j’y vois quelque chose de plus personnel.

(du coup, la question qui suit prend une tournure spéciale, j’étais loin de penser  que Moussa était Française, voire aussi Vendéenne que moi Bretonne)

Fanchon : Si tu devais expliquer rapidement à une Bretonne ce qu’est la vie quand on a 29 ans, quand on est une femme et que l’on vit à Bamako, tu dirais quoi ? (Oui, bon ça va, je vais quand-même pas changer mes questions a posteriori)

MASSOU : Mmmh !? c’est  plutôt agréable d’être une jeune femme française à Bamako. Les gens nous gâtent, font attention à nous car ils nous croient démunies, plus faibles que les hommes, un peu sans défense (physiquement et psychologiquement). Et c’est peut–être le cas parfois, cette bienveillance autour de moi me protège beaucoup. Mais aussi, en tant que femme, comme on te croit justement « plus facile, plus fragile » attention aux charmants manipulateurs et menteurs. En tant que femme française, on s’intéresse beaucoup à toi pour les mauvaises raisons autant que pour les meilleures.

Fanchon : Quel type d’expérience de coopération internationale aimerais-tu partager ou mettre en place, si tu as cette possibilité un jour ?

Massou :  L’échange culturel dans toutes les disciplines artistiques  confondues et un projet qui mobilise chacun des 5 grands continents.

Fanchon : Quand la petite fille regarde la femme que tu es devenue, qu’est-ce qu’elle nous dit de l’Afrique qui t’a vu naître ?

Massou : Je dirais que l’Afrique m’a souhaité « bonne arrivée ! » comme on dit ici, ce que j’ai reçu ! C’est une expression utilisée  lorsque quelqu’un vient d’arriver dans le  pays ou tout simplement parce que ça fait longtemps que cette personne n’est pas venue nous rendre visite.

Fanchon : Et sur la marche du monde, qu’est-ce que les petites filles et les femmes africaines d’aujourd’hui retiennent à ton avis de ce qu’elles voient, de ce qu’elles entendent dans leur environnement familial ?

Massou : Elles se taquineront gentiment, ou pas, entre épouses ou voisines ou sœurs en disant  : « Je suis meilleure cuisinière que toi ! ». Ici, la tradition freine tellement le développement et la réalisation personnelle de tout le monde que forcément ça crée d’autres freins sur le plan du développement économique, par voie de conséquence.

Merci Massou

Massou pendant le festival de Sissako
Massou pendant le festival de Sissako

Le Festival du Théâtre des Réalités dont j’aurais aimé faire la promotion début décembre s’est finalement déroulé entretemps. Je vous invite à découvrir sur la page Facebook d’Acte Sept les informations et photos mises en ligne par Moussa.

Pour vous donner une meilleure idée de la richesse de cette programmation originale, il y aurait eu bien sûr matière à faire un article, que dis-je, de nombreux articles, sur le contenu particulièrement engagé de ce festival malien. Choisir, c’est faire le deuil de toutes les autres options possibles. J’ai choisi Moussa et je ne le regrette pas. Pour en savoir plus, je ne saurais trop vous conseiller de vous adresser directement à l’association, dont le directeur n’est autre que le fondateur de ce festival : Adama TRAORE.

Quant à moi, je retourne travailler sur ma mission bénévole : faire de la 6ème édition du Festival Taragalte, au coeur des dunes splendides de M’hamid el Ghizlane, un nouveau temps fort du dialogue entre les cultures, en hommage à l’héritage culturel des anciennes caravanes du désert.

B comme loavezh mad, comme on dit chez moi, en Bretagne, bonne et heureuse année à vous toutes, à vous tous, lecteurs, lectrices anonymes de cette plateforme MONDOBLOG-RFI

 

B comme Bonus et là je mets le paquet, c’est la fin d’année, alors faisons Bombance de Bons plans !!!

Merci au passage à cette merveille technologique qui me permet de vous « poster » toutes ces infos  en plein désert avec pour seule musique le vent qui fait chanter les dunes. Ca non plus, ça ne s’invente pas :))

Identité plurielle, beau symbole, à nous de jouer
Identité plurielle, beau symbole, à nous de jouer

Retrouver la programmation 2014 en un clic

Exemple d’artice publié sur le sujet

La page facebook d’ACTE SEPT

Le Festival KRAFT en Bretagne

La caravane culturelle pour la paix 2015

Le Festival sur le Niger

Le Festival au désert en exil

Rendez-vous les 23, 24, 25 janvier à TARAGALTE

Facebook du Festival Taragalte

Agenda culturel : soirée de lancement de la 6ème édition le 6 janvier à Rabat, Centre culturel La Renaissance, de 19h à 21 h, avec le groupe de Blues touareg Génération Taragalte et guest stars !!!

23, 24, 25 janvier 2015, la vie au désert se fête à TARAGALTE
23, 24, 25 janvier 2015, la vie au désert se fête à TARAGALTE

 

 


L’enfant de Kidal

Une des scènes préférées de Pino, TIMBUKTU
Une des scènes préférées de Pino, TIMBUKTU, drant le tourange – Crédit photo A.CONTRERAS

L’enfant de Kidal

L’enfant dans le désert ravale ses pleurs, ses peurs

La main vers les étoiles, Il entonne un chant

Qu’il enfourche comme le vent, l’enfant- sable chante l’âme des dunes

Il laisse derrière lui fumant, le marché ruiné de Kidal

des cendres importunes, les cendres du malheur

L’enfant dans le désert, tu ne l’entends pas pleurer

Il fait corps avec la nuit et chante comme avant lui

Ses grands frères guerriers, meurtris dans leurs chairs

Berger ivre de liberté, comme eux il apprendra

Comme eux il se battra

Non, non, bo, Petit frère,  tu ne joueras pas à la guerre

Non, Non, bo, Petit frère, tu ne joueras pas à la guerre

Je t’apprendrai les mots pour que les armes se taisent

Tu deviendras l’écho dont se fatiguent les falaises

Touareg tu es, touareg tu resteras

Si pour grandir avec tes rêves, il te faut d’autres combats

Crois-moi, il n’en manque pas

De ton désert tu es la sève, la paix veut boire à cette eau là

Le sang qui bat dans tes artères jamais, m’entends-tu,

Ne mordra l’acier rougi des forges de l’enfer

Suis-moi, je suis ce rêve dont tu ne sais pas encore

Qu’il soulèvera les passions par la seule force de ton corps

Par le seul miracle d’une vie, pour que chaque jour qui se lève

Ravive ta soif de rébellion, dans ce désert, tu seras mon cri

Car si du souffle d’espérance, tu sais devenir l’esprit, la voix

Tu sèmeras ma confiance en ce monde qui commence avec toi

Arradon, 31 juillet 2013


Pino, révélation surprise : le pari fou de Timbuktu

Pino, Ibrahim Ahmed, meilleur acteur africain, grâce à son tout premier rôle au cinéma
La belle histoire d’un guitariste tamasheq démarché à partir d’une simple photo dans le studio où il enregistrait à Bamako.

Apologie d’une rencontre…

Si quelqu’un m’avait dit quand j’ai eu cette chance inouïe d’être de la dernière sélection Mondoblog, « tu sais, il va t’arriver des trucs fous »,  je ne l’aurais pas cru. Et puis, voilà, il arrive un truc fou à l’ami de l’ami d’un ami et je me retrouve pour mon plus grand bonheur, le vôtre aussi espère, dans la confidence d’une histoire incroyable, qui me relie une nouvelle fois à Kidal.

C’est lors de l’avant-première de Timbuktu à Pontivy, que je découvre grâce à « Voix du Sahara » un artiste tamasheq dont le jeu libéré de toute autre nécessité que celle de rendre une émotion sincère et juste à l’écran me remue profondément.

Une semaine plus tard, ô magie de la rencontre, Pino, l’acteur en question, et moi, étions déjà en grande conversation trois heures durant, comme si nous partagions la même table à la terrasse d’un café, au soleil évidemment. Vous préférez que je pose le décor comme le fait si bien Abderrahmane Sissako, heureux amant de la lumière et du silence ? Soit, vous avez raison, soyons exigeants et goûtons sans modération la coquetterie du fantasme à portée de clavier.

Après tout, comme j’aime à le dire, à chacun de mettre ce qu’il veut derrière cet adage personnel qui interroge l’urgence à posséder plutôt que renoncer à devoir choisir, à s’établir plutôt qu’à s’évader, à s’infirmer quand vivre c’est d’abord s’affranchir : le désir a valeur d’existence. Fanchon

Je soigne les préliminaires, patience, encore quelques lignes et je vous laisse en compagnie d’Ibrahim Ahmed, alias Pino de son nom d’artiste, mon héros du jour, propulsé meilleur acteur africain par une caste professionnelle à laquelle il appartient désormais presque malgré lui. Là encore pas question de bouder notre chance, la sortie nationale de Timbuktu donne enfin à ce récit cinématographique toute sa profondeur de champ, éminemment politique. Un récit qui tel un chant révolutionnaire appelle à l’indignation populaire et solidaire, toutes nations confondues, au nom d’une humanité en danger. Ce chant nous hantera longtemps et marquera, c’est mon espoir, l’histoire du cinéma.

Avant de sentir l’impact de cette onde de choc invisible d’une puissance salvatrice, dont le monde a besoin pour réveiller responsabilités et consciences, faire cesser le bruit des fourchettes qui s’activent devant l’écran de TV rythmant l’indifférence d’une époque narcissique et boulimique, je vous invite à entendre une voix du Sahara, celle d’un beau petit gars de Kidal, originaire de Gao. Dans son désert, loin là-bas, tout le monde connaît Pino, mais peu savent ce qu’il vit d’extraordinaire aujourd’hui. Combien savent qu’à travers lui, grâce à la magie du 7e art, tout un peuple sort de l’anonymat ? Pour les Kel tamasheq, ceux qui parlent tamasheq, la langue vaut territoire et ce territoire a pour nom Poésie. Tout autant que l’Azawad, cet espace désertique qui nourrit hommes et bêtes, loin des rares bandes de goudron, la langue et la culture sont la fierté de cette société nomade ancestrale,  éclatée, minorée, relevant administrativement de plus d’une dizaine d’Etats, lourd héritage de la décolonisation française.

Ado, Pino s’adonne au rap puis fonde avec d’autres musiciens Tamikrest, un groupe qui connaît aujourd’hui une belle carrière internationale. De cette époque, gravée à jamais dans la pierre, il reste une belle et solide amitié avec Moussa,  lui aussi à l’origine du groupe. Moussa vit toujours à Kidal, Pino a fait le choix de quitter la zone de conflit. S’il endosse aujourd’hui avec une aisance surprenante le costume de star de cinéma internationale, au moins le temps de se prendre au jeu, c’est suite à ce choix difficile. Cependant, la grâce qu’il incarne à l’écran, cette beauté d’âme qui s’imprime comme une caresse dans nos rétines éblouies, vient tout droit de ce désert qui ne le quitte jamais;

C’est un des nombreux talents de ce film que d’avoir su rendre si sobrement des gestes, des postures, des regards qui se passent de toute parole superflue, ne cherchant jamais à nous piéger dans une situation ou un jugement, pour ne garder que l’écho d’une présence plus forte que la violence. C’est par ce jeu subtil, par cette intelligence du coeur mise en scène en lieu et place des clichés que recycle à l’infini l’industrie du spectacle, qu’Abderrahmane Sissako et son équipe parviennent à emporter l’adhésion. Nous toucher intérieurement, de façon sensible et universelle, s’intéresser d’abord et surtout à l’humain, filmer chacun, adulte, enfant, djihadiste, habitant, à travers ce prisme-là : voilà le pari fou de Timbuktu.

Pino aurait tellement aimé que Moussa, l’ami, le frère, soit associé au projet, il a tout fait pour. Le contexte a rendu la chose impossible. Mais une fois terminée la tournée de promotion du film événement de l’année, ces deux-là feront tout pour se retrouver et finaliser leur prochain album : Amawal. Pari tenu !

Enfin je plante le décor, comme au cinéma. Je suis en Bretagne, Pino en Andalousie, Moussa à Kidal, et alors ? Nous voilà, Pino, Moussa et moi, à partager le plaisir d’une belle et longue causerie, comme si le rythme du rituel touareg pouvait transfigurer mon clavier et mon monde virtuel en invitant dans ma cuisine toute la beauté du fleuve Niger.

la Dune Rose, dite "Koïma Hondo" dans la langue Songhaï,  "Koïma" évoque le lien aux liégendes transmises pr les sorciers "allez et écoutez" C'est là que Pino nous invite à le rejoindre pour nous dire son histoire, en compagnie de son milleur ami, Moussa, resté à Kidal.
La dune rose, dite « Koïma Hondo », près de Gao ville natale de Pino. Dans la langue songhaï, « Koïma » évoque le lien aux légendes transmises par les sorciers « allez et écoutez ».

Une invitation à prendre le thé sur la dune rose de Koima, ça vous dit ? Ibrahim et Moussa nous attendent…

 

Silence, on tourne, désert, oublié bonheur, même là-bas il devient difficile de vivre hors du temps…

Fanchon : d’abord merci Pino d’accepter de te confier, dans ce moment de ta vie si important, à la veille de la sortie nationale en France de ton premier film « Timbuktu »

Pino : merci à toi qui me donnes l’occasion de remercier sur Mondoblog tous ceux qui ont cru en moi et m’ont donné la chance de m’exprimer par le 7e art.

Fanchon : elle commence comment l’histoire de ce meilleur acteur africain, qui disait il n’y a pas si longtemps  » Si c’est ça le cinéma, ben je continue » ?

Pino : j’étais en studio pour enregistrer mon album solo à Bamako, je voulais rendre hommage par mon travail à mon peuple, pris en otage par les djihadistes et l’amalgame avec le problème politique Nord-Sud au Mali. Quand j’ai été sollicité pour jouer dans le film d’Abderrahmane Sissako, j’ai vu tout de suite que je correspondais au personnage souhaité, le scénario portait sur le même sujet que mon album. C’est parce que je suis un jeune Touareg qu’il fallait que je le fasse. Qui mieux que moi peut comprendre l’amertume de mon peuple ?

J’étais à Kidal quand les djihadistes ont commencé à venir s’installer pacifiquement. Personne ne se doutait à cette époque qu’ils allaient imposer l’inadmissible. La religion chez nous n’a jamais été une barrière entre les populations. Je côtoie chrétiens et musulmans sans distinction. Ce qui importe dans la culture que mes parents et ma communauté m’ont transmise, c’est qui tu es, pas ta croyance religieuse. Ce n’est pas un sujet de discrimination entre nous. Que tu sois peul, bozo, sonrai, touareg, ici tout le monde partage cette idée qu’une cohabitation est possible dans l’amour, le pardon, la fraternité.

Aussi différents que soient ces hommes venus d’ailleurs, ils ont été accueillis dans cet esprit de tolérance au sein de la population. En quoi l’homme est différent d’une bête au zoo si tu lui enlèves sa liberté d’exercer la religion, le métier ou la passion de son choix ? J’ai conscience d’être né dans une culture aussi vieille que Rome, jamais on a lapidé, jamais on a exécuté qui que ce soit au nom de la religion. Cela veut dire quoi interdire la musique, l’art, la poésie ? Ma langue, le tamasheq, est en soi poésie. Quant à la musique, demande à Moussa ce qu’elle représente pour nous, peuple du désert.

Moussa : la musique, pour un Kel tamasheq, c’est beaucoup plus qu’une passion, c’est une philosophie, un art qui nous pousse à nous aimer les uns les autres. Que tu sois pauvre ou riche, ça nous unit, ça nous rapproche. La musique, c’est une invitation au partage qui s’adresse à toute la communauté. J’ai grandi avec cette philosophie. Je n’ai que 29 ans, mais en fait, je suis, comment te dire, le premier professeur de musique professionnel à Kidal. J’encourage les jeunes à aller de l’avant, à oser s’engager dans des voies professionnelles même si c’est difficile pour nous tous, surtout avec cette guerre. C’est à eux maintenant de faire découvrir toutes ces belles choses qui font notre culture, notre manière d’être avec les autres,  à travers le monde. Je n’ai pas fait d’école de musique comme ça existe chez vous, juste un petit stage de six mois, mais je n’ai pas mon pareil pour taquiner le manche d‘une guitare, pour reconnaître un bon guitariste à la souplesse de ses doigts, un bon poète à ses paroles, quand elles nous unissent tous.

Le fait que Pino ait été choisi pour jouer dans ce film Timbuktu, c’est génial, pas seulement parce que la communauté internationale doit ouvrir les yeux sur nos souffrances. Aussi parce que c’est un musicien qui tient le rôle principal. Notre communauté s’est éclatée à cause de l’évolution des mentalités, c’est vrai, mais aussi parce qu’aujourd’hui les familles sont séparées et qu’après les rébellions de 1990 et de 2006, c’est comme si la vie et le deuil ne faisaient plus qu’un. A Kidal, tout a été détruit, la maison de culture, les boîtes de nuit des jeunes, nos familles… Tout a été détruit. La musique, y avait pas. J’ai vécu tout ça, les rébellions, les massacres sous mes yeux, la violence sous mes yeux, la peur je ne la sens plus dans mon cœur. Tu comprends, qu’un réalisateur donne la parole à Pino, qu’il permette par son talent et celui de son équipe de faire que notre langue soit entendue dans les cinémas du monde entier, alors que notre voix ici semble ne jamais être entendue, c’est vraiment très important.

Fanchon : en acceptant ce travail si nouveau pour toi, Pino, tu n’imaginais pas que ce film aurait une telle notoriété internationale grâce au Festival de Cannes. Dans quel état d’esprit étais-tu pour ne pas te mettre la pression et rester à la fois toi-même et serein ? Je sais que ce qui te préoccupe en marge de cette belle aventure,  c’est de retourner à ton projet d’album, de trouver la façon de pouvoir faire venir Moussa sur l’enregistrement.

Pino : pendant le tournage, j’étais zen, tranquille, j’ai retrouvé mes dunes et un Abderrahmane simple comme bonjour qui m’a dit : » Pino, joue comme tu le sens », alors tout s’est bien passé. Le film raconte tout ça, ce que Moussa t’a expliqué, je veux dire. Le film est là pour ça, pour témoigner de l’horreur sans s’éloigner de la réalité du quotidien, sans s’éloigner de la réalité des gens et c’est pour ça que le film parle à tout le monde. Aussi radical que soit n’importe lequel de ces djihadistes, il reste en lui une flamme qu’il ne pourra jamais éteindre, celle-là qui caresse la beauté de la peinture, de la sculpture, de la poésie, de la musique. Le sel de la vie, il est dans tous ces (ses) langages. C’est quoi vivre loin de l’émotion que procure le verbe, le langage de l’art ?

Les Touareg sont les seigneurs de la patience, l’immensité du désert forge l’homme qui l’habite. Chez moi le temps n’existe pas, ce que tu ne peux pas faire aujourd’hui, demain tu le feras. Le silence est roi, tu apprends à aimer son décor. C’est l’absence de perspective d’avenir qui est à l’origine de ce fléau au nord du Mali. Tu sais, quand l’homme n’a plus d’espoir, il est une cible facile, car il est bon marché. Dans le film, on voit des jeunes, des musiciens qui ont rejoint ce mouvement, car donner un sens à sa vie est humain. Certains l’ont trouvé dans le djihad. Pino

Fanchon : mais toi, quand tu vois cette scène du jeune rappeur qui a rejoint le djihad, est-ce que tu t’identifies comme si son destin aurait pu être le tien ?

Pino : oui, car ne je ne peux pas vivre sans ma musique. Je suis allé loin de tout ça, je suis heureux de savoir que je n’ai le sang de personne sur les mains. Sur scène, je suis dans mon désert, à croire que tout le public parle ma langue. Les concerts, c’est vraiment des moments magiques où je viens devant la foule accompagné de mon désert et de son soleil. On a tous besoin de ces moments où l’harmonie se crée comme par magie.

Alors tu peux comprendre comme je suis triste d’être faible, triste de ne pas pouvoir agir, triste de l’indifférence des politiques, triste de voir l’oppression taper à la porte de mon havre de paix. Je suis triste aussi de ne pas pouvoir aller là-bas, rendre visite aux réfugiés dans les camps. Dès que l’occasion se présentera, je veux pouvoir m’y rendre. Grâce au film, j’ai récupéré beaucoup de ballons de foot et des tonnes de T-shirts pour les enfants qui vivent loin de leur campement.

Amawal, c'est le projet sur lequel Pino espére trouver des soutiens  professionnels pour retrouver son ami Moussa,  sans qui il n'envisage pas de sortir son premier album solo.
Amawal, c’est le projet sur lequel Pino espère trouver des soutiens professionnels pour retrouver son ami Moussa.

Pour te parler de l’album, qui m’attend aussi, c’est juste ma partie qui est enregistrée. Pour Moussa on n’a pas pu, il avait des problèmes pour me rejoindre à Bamako avec tout ça. Ce qu’il nous faut, c’est un producteur pour nous mettre en studio et finir le travail. Je ne me vois pas faire la musique sans lui, c’est pas juste un ami, c’est mon frère, avec lui j’ai tout partagé et je suis triste de le savoir là-bas. Pour moi, c’est le meilleur, c’est avec lui que j’ai créé Tamikrest au tout début. Ce nouveau groupe s’appelle Amawal, et on fait du blues du désert bien sûr, mais aussi du reggae, en tamasheq, en français,  même en anglais.

Comme pour la sortie de ce disque qui me tient tant à cœur, le Prix du meilleur acteur africain qui m’honore aujourd’hui, c’est à ma communauté et à tous les gens au Nord-Mali que je le dédie, à cet immense Azawad. Je voudrais y être et partager ma joie avec eux.

C’est bien que tu me parles de ce jeune rappeur dans le film, j’adore cette scène. En plus du jeu entre les personnages qui est extraordinaire, je suis touché par la réalité de l’instant filmé dans ce qu’il a de plus comique et banal, alors que tout est si grave dans cette façon de se renier soi-même. Comme je le dis sur un des titres de mon album, un chien a vu son ombre et l’a prise pour un loup. C’est une image pour dire que parfois l’individu se trompe, se perd, mais notre nature revient nous dire qui nous sommes.

Fanchon : tu veux bien nous dire justement ce que cette première expérience de tournage t’a appris en particulier ?

Pino : du cinéma, j’ai appris une chose. Tout est chez l’autre, ton interlocuteur a le pouvoir de sortir de toi toutes les émotions souhaitées. J’ai juste fait le vide, j’ai écouté. J’étais sans les caméras, juste en débat avec des gens super qui m’ont fait pleurer, ce qui n’arrive pas souvent. J’ai aimé ça, l’écoute a un pouvoir sur nous. Si tu comprends ton personnage, tout est facile au cinéma.

Fanchon : à  t’écouter, c’est vrai que ça a l’air vraiment facile !

Pino : ma nature, on la retrouve dans mon personnage. Je suis comme ça, tranquille. Tu sais, Abderrahmane m’a choisi sur une simple photo, on ne s’était jamais croisé avant de se retrouver à Nouakchott, en Mauritanie, pour aller sur le lieu du tournage. Même s’il avait dit, « c’est lui que je veux », moi je ne croyais pas être pris. Après le casting, j’ai même oublié tout ça jusqu’à ce qu’on m’appelle. Je suis comme tout le monde sur l’autoroute de la vie, je force rien, je prends ce qui s’offre à moi. L’an dernier, j’étais chez toi en Bretagne, au Festival du bout du monde, avec mon groupe Terakaft… C’est sympa la pluie (rire). Pour revenir à « Timbuktu », les superbes critiques qui parlent du film,  ça me touche énormément, comme ce prix bien sûr. « Meilleur acteur africain », tu parles d’une surprise !

Sur chaque scène, j’ai essayé  de trouver le père en moi, de me mettre dans la peau de tout père qui doit laisser derrière lui ce qui lui est le plus cher au monde. Le trophée d’une vie, c’est ta famille. La tragédie, la vraie, c’est celle que vivent toutes ces familles détruites par la guerre, c’est l’exil des uns et l’exil que cela crée tout autant chez celles et ceux qui sont restés derrière. En Kel tamasheq, on a une expression qui n’a pas d’équivalent en français pour dire à la fois le temps qui dure, le temps de ta propre génération : AZAMAN. Apprendre à vivre avec le désert, c’est pas possible si tu ne portes pas en toi l’idée que nous sommes tous liés les uns aux autres et tous reliés à une même destinée. Personne n’est à l’abri et tout le monde participe à veiller sur la sécurité de l’autre, même et surtout si c’est un étranger.

Transmettre la culture tamasheq, un enjeu lié à la diversité culturelle qui intéresse l'ensemble de la communauté internationale
Transmettre la culture tamasheq, un enjeu lié à la diversité culturelle

Fanchon : le dernier mot te revient, Moussa, qu’aimerais-tu ajouter pour que tout le monde sache que « Timbuktu » est l’occasion unique de découvrir ce que tu vis, toi, en étant resté à Kidal ?

Moussa : toutes mes compositions sont inspirées du folklore touareg, même si je joue dans différents répertoires du blues au funk. Ma vie d’artiste a été pour moi une aventure et un rêve brisé au fond de moi. Mais ça a nourri quelque part ma singularité, mon style musical… Quand je chante les rêves brisés, la chance, la malchance, le bonheur, le malheur, je sais que ça parle à tout le monde, chacun apporte sa signature par sa propre histoire, unique.

J’aimerais que les jeunes Touaregs soient tous unis et travaillent tous à sauver notre culture, à la transmettre à leur tour comme l’ont fait avant eux des centaines de générations. Les anciens nous ont légué cette si belle poésie et toutes ces histoires ancestrales tamasheq vouées à la disparition, si notre mode de vie disparaît avec  nous à cause des problèmes. Il y a le sous-développement et puis maintenant cette guerre qui fait qu’ailleurs dans le monde, les gens mal informés font vite l’impasse sur qui nous sommes, sur l’histoire d’un peuple millénaire, pour ne retenir que les images chocs qu’ils voient dans les journaux. « Timbuktu » permet à chacun de se faire une autre idée et de refuser que tout un peuple, que toute une génération de jeunes artistes, soient pris en otage à cause d’une minorité de terroristes en quête de territoire et d’aura médiatique.

A l'époque des débuts de Tamikrest, le plus jeune devant c'est Zeidi Ag Baba, derrière lui, Moussa, Pino est celui qui tient la guitare à bout de bras.
A l’époque des débuts de Tamikrest, le plus jeune devant c’est Zeidi Ag Baba, derrière lui, Moussa, Pino est celui qui tient la guitare à bout de bras.

Fanchon : un très grand merci à tous les deux, Pino, Moussa, et franchement, quelle riche idée ce rendez-vous rêvé au bord du fleuve Niger sur cette dune rose de Koima, tout près de l’endroit où tu as vu le jour, Pino. Evidemment tous les lecteurs du Modoblog vous souhaitent par ma voix de réaliser très vite ce projet d’album pour venir nous le présenter en Bretagne et ailleurs, dès que possbile.

Amawal c’est un très bon choix pour ce projet qui joue avec les racines, la force du symbole (Amawal veut dire Turban) et cette volonté affirmée d’ouvrir la nouvelle génération d’artistes tamasheqs avec d’autres influences musicales, à l’image de ce qui se fait aussi beaucoup chez nous en Bretagne, où la musique traditionnelle est très créative. Respect!

Que cela ne t’empêche surtout pas, Pino, de bien étudier les futures propositions de tournage, parce que tu as déjà un sacré fan club international, prêt à suivre cette carrière cinématographique le plus loin possible. Au fait, tu nous le montres avant de nous quitter ce trophée international ?

Et le nominé est ... PINO

Et le nominé est … PINO ! BRAVO !!!

Image promotionnelle du film TIMBUKTU
Image promotionnelle du film TIMBUKTU

 

Timbuktu à la Une du Monde, à la veille de sa sortie nationale en France
Timbuktu à la Une du Monde, à la veille de sa sortie nationale en France

B comme Bonus

Awal dag amawal veut dire la parole sous le masque du turban. C’est un geste de respect, par lequel les hommes se couvrent le nez et la bouche.

Pour soutenir le projet « Voix du Sahara », en Bretagne, merci d’aller de temps en temps faire un tour sur la page facebook. Prochain rendez-vous le 22 janvier 2015 pour le coup d’envoi symbolique, dans sa version bretonne, de la Caravane pour la paix, lancement qui sera officialisé, cela va de soi, aux portes du désert dès le lendemain à l’occasion du très beau festival de Taragalte

Sur Timbuktu, un reportage pour revivre le tournage

Le site officiel du film

La page facebook

A découvrir sur ce blog, rencontre avec Zeidi Ag Baba