Stéphane Huët

Mondoblog : où sont les Népalais(es) ?

Je déteste radoter. Mais parfois, il faut redire les choses essentielles : Mondoblog c’est bien, c’est beau. Je sais, ça fait un peu fleur bleue. Mais je suis un grand sentimental (surtout quand il s’agit de ce projet). Je suis conscient que je peux donner l’impression d’être un vulgaire homme-sandwich pour Mondoblog. Mais comprenez-moi bien : je suis Mondoblog.

67 Mondoblogueurs à la formation de mai 2014 à Abidjan en Côte d'Ivoire © Mondoblog
67 Mondoblogueurs à la formation de mai 2014 à Abidjan en Côte d’Ivoire © Mondoblog

En, fait j’en suis une partie. Il y a 349 autres copains et copines qui participent à écrire cette petite page de l’histoire de l’Internet francophone. Dans l’équipe, il y a Johnny, un des 100 héros de l’info ; il y a Florian, éminent blogueur et désormais membre du jury du célèbre concours Best of Blogs de la Deutsche Welle ; il y a Boukary qui est à l’origine du projet « Quand le village se réveille » (vous avez jusqu’au 16 septembre pour lui donner un coup de main).

C’est normal que je sois fier d’en faire partie, non ?

Fin juillet 2013, j’étais installé à La Réunion après un séjour de deux ans à Madagascar. Le Mauricien que je suis avait naturellement lancé un appel aux francophones de l’océan Indien pour participer au troisième concours Mondoblog.

Cette année, je renouvelle mon invitation. Mais comme j’ai l’impression d’être le seul blogueur francophone situé au pied de l’Himalaya, je dirige mon appel vers les Népalais. Je devrais même l’étendre à toute l’Asie du Sud. Parce que parmi les 350 blogueurs connectés partout dans le monde, il semblerait que, seuls Arthur et moi sommes les représentants de la zone Asie-Pacifique – et encore, nous ne sommes même pas des « indigènes ». Vous trouvez ça normal ?

J’avais déjà mentionné toutes les belles raisons humaines pour entrer dans la famille Mondoblog. Mais j’en trouve une particulièrement utile.

À sa création, l’un des objectifs de Mondoblog était de permettre aux Africains de parler de l’Afrique. Les blogueurs népalais Népal pourraient eux aussi profiter de l’occasion pour raconter en français ce qui se passe au pays du Bouddha.

Ça donne envie, non ? Alors, n’attendez plus : participez au concours Mondoblog 2014.

Peut-être qu’à côté du drapeau français au village newari de Harisiddhi symbolisant des ententes diplomatiques, on verra un jour celui de l’Organisation internationale de la Francophonie ?  © S.H

Si vous avez besoin de meilleurs arguments, lisez seulement quelques-uns de blogs de la plateforme. La preuve : il y a moins de dix mois, un de mes amis parlait de Mondoblog avec dédain lui reprochant d’être «  politique à bloc ». Aujourd’hui, il cherche à faire partie de la plateforme.

Oui on parle de politique. Mais il y a aussi des sujets de société, de la culture, des fictions, du sport, de l’évasion, du militantisme et des anecdotes personnelles. Tout cela est fait avec du talent et beaucoup de passion. Finalement, il y a tout ce dont un lecteur peut rêver.


La Coupe du monde et les Népalaises

« C’est compliqué » pourrait être le statut Facebook idéal pour résumer la situation amoureuse entre les filles et le football. Une relation qui m’a donné l’occasion d’assister à des débats toujours très animés en France, à l’île Maurice ou Madagascar. Et comment ça se passe au Népal ? (Crédit photo : Stéphane Huët)

Il paraît que la Coupe du monde 2014 a été « la plus sexiste de l’histoire ». C’est Matt Gaw qui l’écrit sur telegraph.co.uk (traduction sur le site de Courrier International). Ce journaliste britannique regrette que les supportrices soient « réduites à des clones de jolies nanas en maillot ».

« Montrez-nous des jolies filles !« 

Il n’a pas tort. Pendant le match Argentine-Suisse, un téléspectateur à côté de moi s’est exclamé « montre-nous des jolies filles : on se fait chier à voir ce qui se passe sur le terrain ».

Je ne vais pas prétendre avoir été outré. J’ai souri en entendant cette phrase. En plus, moi aussi je me faisais vraiment ch*** devant ce huitième de finale. On se souvient aussi de la « Bellissima » de qui on a un peu parlé après le match Uruguay-Colombie.

Des filles pleins les magazines népalais

Certains médias népalais ont recours aux mêmes méthodes. Quasiment tous les magazines anglophones qui ont fait leur « Une » sur la Coupe du monde avaient des filles en couverture. En feuilletant ces publications, j’ai remarqué que les articles n’avaient absolument aucun rapport avec la mise en scène de leur première page.

Couvertures de trois mensuels népalais pendant la Coupe du monde 2014. De g. à d. : Living, Wave et Vida © S.H
Couvertures de trois mensuels népalais pendant la Coupe du monde 2014. De g. à d. : Living, Wave et Vida © S.H

Un article de Wave détaille les raisons pour lesquelles le Népal n’ira jamais à la Coupe du monde. Les dix pages sont rafraîchies par des photos de filles avec le visage peint aux couleurs de quatre grandes nations du foot  – Italie, Brésil, Argentine et Allemagne – et du Népal.

Dans Living, les photos des filles portant des maillots d’équipe du Mondial sont simplement légendées par le nom et l’âge du modèle, sa courte biographie, l’équipe qu’elle soutient et sa réponse à la question : « Qu’est-ce qu’un mec doit avoir pour la séduire ? ». Je ne suis pas sûr que ça ait vraiment un rapport avec la Coupe du monde.

Enfin, le modèle Niti Shah a l’occasion de dire que pour elle, « le foot c’est un grand moment de rassemblement » en deux lignes au milieu de six pages de photos dans Vida.

Movers & Shakers du groupe Kantipur Publications a même rajouté un peu de boue pour donner un côté érotique du mud fight (via Kantipur)
« Movers & Shakers » du groupe Kantipur Publications a même rajouté un peu de boue qui donne un effet mud fight (via Kantipur)

Si pour quelques <Occidentales cela peut sembler évident que les filles en couverture, « c’est pour faire vendre », les Népalaises à qui j’ai posé la question n’ont pas la même lecture. Smriti n’est pas choquée car « c’est le même traitement de l’information pour chaque Coupe du monde ». Jenija pense que ce n’est qu’un tout petit peu de marketing parce que « oui, les garçons aiment bien voir les filles avec les maillots de foot. Mais beaucoup de Népalaises s’intéressent vraiment au foot ». Sauf que les magazines ne le font pas ressortir.

Beaucoup de supportrices dans les bars népalais

Effectivement, pendant cette Coupe du monde au Brésil, j’ai pu voir beaucoup de filles dans les bars. Certes, il y avait plus de garçons, mais comparant aux bars des autres pays que je connais, la proportion de filles était plus élevée.

On pourrait penser que celles-ci accompagnaient docilement leurs compagnons. Mais les filles étaient aussi animées que les garçons. J’en ai même vu qui soutenaient l’équipe qui s’opposait à celle de leurs copains. Et il y avait pas mal de tables occupées uniquement par des supportrices.

Alors serait-ce un intérêt subit et éphémère à l’occasion de la Coupe du monde ? Il y en a pour qui c’est le cas. Comme Neemila qui aime le foot sans plus. Le soir de Pays-Bas-Argentine, elle portait un maillot des Oranjes. « C’est plus sentimental, parce qu’on a des amis néerlandais », clarifiait-elle. Yuvraj, son mari, confirmait : « C’est vrai, on y va souvent. Mais moi je supporte quand même le Brésil ! »

9 juillet, Sport Bar de Jhamsikhel - (d g. à dr.) Neemila supportrice des Pays-Bas, Kaki supportrice de l'Argentine et Yuvraj supporteur du Brésil © S.H
9 juillet, Sport Bar de Jhamsikhel – (d g. à dr.) Neemila supportrice des Pays-Bas, Kaki supportrice de l’Argentine et Yuvraj supporteur du Brésil © S.H

À côté de Neemila, Kaki avait le maillot de l’Argentine. Mais ce n’était pas par amitié : « Je supporte l’Argentine depuis les trois dernières Coupes du monde ». Et Yuvraj de commenter : « Au Népal, on aime beaucoup l’Argentine parce qu’elle a des joueurs populaires comme Maradona et Messi ».

Jenija n’aurait pas apprécié cette remarque. Elle en a marre de ceux qui pensent que les filles n’aiment le foot que pour les stars. « Le pire c’est quand on me dit que je regarde le foot pour mater les beaux footballeurs ! » s’offense-t-elle.

Les regards déjà tournés vers l’English Premier League

Non, Jenija aime le beau jeu. Il lui arrive d’être « un peu agressive » pendant les matchs. C’est peut-être pour ça qu’elle préfère être seule pour les regarder. Aussi parce qu’elle accorde toute son attention aux commentaires et les analyses d’avant-match, d’après-match et pendant la mi-temps. « D’ailleurs, John Abraham n’avait rien à faire en tant que consultant sur Sony Six. C’est seulement parce qu’il a tourné dans un film qui s’appelle Get Set Goal »

Comme son amie Smriti, Jenija soutenait les Pays-Bas pour le Mondial 2014. Elles ont grimacé quand je leur ai demandé si elles allaient regarder le match de troisième place. Le soir de la défaite des Pays-Bas en demi-finale, Smriti et Jenija étaient déjà passées à autre chose : le début de l’English Premier League le 16 août. Les deux sont fans de Manchester United et sont impatientes de voir les merveilles que va faire Louis Van Gaal avec leur équipe favorite.

Contrairement à ce qu’on peut ressentir à Abidjan, il semble qu’au Népal, les garçons ne sont pas embêtés par les questions des filles qui veulent comprendre les règles du football. « J’ai tout appris en regardant les matchs avec des amis garçons. Ils sont plutôt contents de partager leur passion avec nous », me dit Jenija.

Une passion disproportionnée ?

Malheureusement, parfois la passion prend des proportions démesurées. Les fans de football au Népal ont été un peu déconcertés en apprenant qu’une fille de 15 ans, fan de la Seleçao, s’était suicidée après la lourde défaite de son équipe en demi-finale contre l’Allemagne.

Le soir de la finale, il y avait encore beaucoup de dames au Sports Bar. Elles criaient « Germany » ou « Argentina » et se levaient de leur chaise à chaque belle action. J’ai surtout remarqué qu’une portait un ancien maillot de la Mannschaft floqué de « Ballack » et le numéro 13. Là, on ne pourra pas dire qu’elle a commencé à supporter l’Allemagne après le 7-1 de Stade Mineirão à Belo Horizonte (sauf si elle l’a emprunté à sa grande sœur).

Mais alors, les Népalaises fans du ballon, elles pensent quoi du football féminin ? Pas grand-chose, en fait. Elles ne le regardent pas – même si certaines sont elles-mêmes des footballeuses. Smriti pense que le niveau du football féminin n’est pas assez haut pour que les matchs soient diffusés sur les grandes chaînes, mais elle serait « plus qu’heureuse de pouvoir apprécier un match de football féminin ».

N° 228 de Fr!day Weekly via (Fr!day Weekly)
N° 228 de Fr!day Weekly (via « Fr!day Weekly »)

Au moins Abhishek Mishra a eu la bonne idée de profiter la Coupe du monde pour mettre en avant l’équipe féminine du Népal. Son article « The Chelis[1] are here » est en double-page dans le magazine Fr!day Weekly. On y apprend que cette équipe a été créée en 1986, qu’elle est classée 92e (l’équipe masculine est classée 164e sur 207) et que sa gardienne de but, Chandra Devi Dahal, n’a pas de travail à côté puisqu’elle vie uniquement de sa passion, le football.

Les Chelis participeront au prochain SAFF Women’s Championship qui aura lieu au Pakistan en novembre. Au Népal, on se permet d’espérer à un succès comme elles ont terminé deuxième aux dernières éditions de cette compétition. Après le cricket, le Népal va probablement me rendre accro au football féminin.

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[1] « Nepali Chelis » est le surnom de l’équipe féminine du Népal. « Chelis » veut dire « sœurs » en népali.


Brésil-Allemagne : au Népal, on « supporte le beau jeu »

Il est 1 heure du matin, Katmandou s’éveille. Alors qu’à 21 heures ma petite rue est déjà plongée dans la nuit noire, ce mercredi 9 juillet aux petites heures du matin, les fenêtres de quelques maisons laissent passer les éclairages animés des télévisions. On s’apprête à regarder le Brésil se faire battre par l’Allemagne. Ici, tout le monde le sait, tout le monde l’attend. Même les Népalais qui ont eu une jaunisse subite depuis le début du Mondial.

Pour cette demi-finale entre la Seleçao et la Mannschaft, j’ai décidé d’abandonner les bars semi-mondains pour une ambiance plus populaire.

Ça fait une semaine que je vois qu’un groupe regarde les matchs à côté du temple dédié à Sarasvati, la déesse de la connaissance, en face du supermarché Big Mart de Jhamsikhel, Lalitpur. J’ai opté pour ce lieu sans trop savoir à quoi ressemblerait l’ambiance.

Le problème de la mousson

Dans l’après-midi du mardi 8, j’y suis passé pour me faire confirmer que le match y sera projeté.  Pendant qu’il traficotait des câbles, Bibke m’a conseillé d’arriver à 1 h 30 pour avoir de la place en précisant que ces projections sont organisées par le Saraswoti Yuva Parivar Social Club.

9 juillet 2014, Saraswoti Yuva Parivar Social Club de Jhamsikhel, Lalitpur - Le vidéoprojecteur affiche "No Signal" sur le mur-écran © S.H
9 juillet 2014, Saraswoti Yuva Parivar Social Club de Jhamsikhel, Lalitpur – Le vidéoprojecteur affiche « No Signal » sur le mur-écran © S.H

À 1 h 36, il y a une centaine de personnes dans cette salle ouverte sur un court de badminton en plein air. Mais rien sur le mur blanc qui va servir d’écran. Un jeune garçon essaie de bien orienter le vidéoprojecteur, mais ce n’est pas là le problème. C’est la mousson. Et comme à chaque fois qu’il pleut, le fournisseur de télévision par satellite du Népal, Dish Home ne reçoit pas de signal.

Je n’ai pas envie de manquer une seconde de ce match et je me dirige à Dhunge dhara, à environ 200 mètres. Ici les images sont bien projetées sur une bâche blanche qui donne de sales reflets qui me piquent les yeux. Seuls deux gars sont assis à la « terrasse » couverte d’une petite boutique. Le bruit de la pluie sur la tôle couvre les commentaires. Mais on ne va pas chipoter. Quand je demande aux deux spectateurs si je peux me joindre à eux, on me répond : « Bien sûr, mon frère ».

9 juillet 2014 à Dhunge dhara, Jhamsikhel - On apprécie un Bollywood en attendant le coup d'envoi de ce Brésil-Allemagne © S.H
9 juillet 2014 à Dhunge dhara, Jhamsikhel – On apprécie un Bollywood en attendant le coup d’envoi de ce Brésil-Allemagne © S.H

Les hymnes nationaux résonnent. David Luiz et Julio Cesar brandissent le maillot de Neymar. Je trouve ça ridicule. Premièrement, Neymar ne m’a jamais impressionné dans cette Coupe du monde. Deuxièmement, ces niaiseries à l’eau de rose m’exaspèrent. Ils se sont cru dans Mighty Ducks ou quoi ? Je tends l’oreille, mais n’entends pas les violons.

Dédier la troisième place à Neymar ?

On peut trouver tous les torts qu’on veut à Lance Armstrong. Mais au moins lui il avait attendu de franchir la ligne d’arrivée de Limoges sur le Tour 1995 en tête pour faire une dédicace émouvante à son coéquipier Casartelli, mort sur l’étape précédente. Si le samedi 12 juillet les Brésiliens décident de jouer au foot au lieu de jouer la comédie, peut-être qu’ils pourront dédier leur troisième place à Neymar en battant l’Argentine.

À en juger leurs réactions sur les différentes actions de ce début de match, je suppose que mes deux compagnons supportent l’Allemagne. Quelques passants viennent s’abriter de la pluie sous la tôle de notre « terrasse » et en profite pour regarder le match. Au premier but de Müller, il n’y a plus de doutes : les cris de joie montrent que les propriétaires des lieux sont pour les Allemands. Ceux qui nous ont rejoint aussi, même s’ils sont moins démonstratifs. S’ensuit le festival de buts pendant six minutes. Pour célébrer chacun d’eux, les supporteurs tapent sur le rideau métallique de la boutique.

À la 28e du match, une fourgonnette s’arrête près de notre boutique-cinéma. Le chauffeur jette un coup d’œil au score et hurle « Geemanyyyyyy ! » en redémarrant. Il manque le but de Khedira de quelques secondes. Dix minutes avant la pause, c’est un taxi qui se gare à côté de nous. Comme dans un drive-in américain, il reste dans sa voiture pour suivre le match.

À la mi-temps, je décide de repartir du côté du temple Sarasvati. Bien que le spectacle télévisuel soit fort, j’ai envie d’un peu plus d’ambiance.

Pleurs brésiliens, rires népalais

Il pleut moins. Quand j’arrive au Saraswoti Yuva Parivar Social Club, Peter Shilton et Mikaël Silvestre (qui semble très tendu, haut perché sur son tabouret), projetés sur le mur, nous gratifient de leurs analyses. Sous le préau tout le monde s’en fout. Avec 5-0 à la mi-temps, pas besoin d’avoir été latéral gauche de Manchester United pour comprendre que les Brésiliens sont dans la merde.

La deuxième période reprend et on éteint les lumières. Silence dans la salle. Les spectateurs ici sont nettement plus attentifs que dans les bars. Pas de bruit de verres et de bouteilles non plus, mais il y a tout de même une forte odeur d’alcool.

Là aussi, j’ai l’impression qu’on est plus pour les Allemands. Mais quelque soit le sens de l’attaque, il y a toujours des exclamations dans le public. Ils applaudissent les belles actions. On se moque quand même beaucoup des Auriverde : à chaque fois qu’on voit le ralenti d’un Brésilien grimaçant et des supporteurs en pleurs dans les gradins, les spectateurs du Saraswoti Yuva Parivar Social Club rigolent. Le commentateur anglais de la chaîne indienne Sony Six aussi n’est pas tendre avec la Seleçao. « Scolari cherche un endroit où se cacher » est le genre de commentaires qu’on peut entendre en début de cette deuxième période.

Les acclamations sont bruyantes devant ce mur-écran à la sortie de Klose qui est remplacé par André Schürrle. Dix minutes, nouvel éclat pour célébrer le but du nouvel entrant. Les mêmes cris se font entendre, encore dix minutes plus tard.

« Je supporte le beau jeu »

Lorsque Oscar marque son but à la 90e minute, les cris retentissent avec la même intensité. À moins qu’il y ait autant de fans du Brésil que de fans de l’Allemagne ce soir (ce qui m’étonnerait), je crois que les Népalais aiment voir des buts, quelque soit l’équipe qui marque. C’est quelque chose que j’avais déjà remarqué lors du match Brésil-Mexique. Au Purple Haze, j’observais un téléspectateur qui était animé autant par les attaques brésiliennes que celles des Mexicains. « Je supporte le beau jeu », m’avait-il expliqué.

À la fin de cette première demi-finale du Mondial 2014, le public du Saraswoti Yuva Parivar Social Club applaudit respectueusement et pousse quelques gentils cris. La lumière se rallume pour que je constate qu’il n’y a qu’une dame dans la salle.

Le comportement des téléspectateurs présents m’a rappelé celui des Nosybéens. On ne reste pas sur place pour débriefer. On rigole un peu, on se sert la main et on rentre chez soi. Et c’est toujours comme ça même après un match diffusé dans un bar. J’apprécie cette attitude népalaise : on profite du « beau jeu » et on en reste là.

Bien sûr, j’aime bien ces moments où l’on refait le match aussi. Mais quand ce sont des analyses pompeuses à la Roustan, ça me donne mal au crâne. Pour ça, je préfère le pragmatisme et le ton décalé de So Foot. Avec eux, mes impressions peuvent aussi bien être confirmés que mes mauvais jugements éclairés.

Özil trop poli, le canular Fred

L’éclairage c’est pour Özil. Je croyais qu’il avait perdu son mojo à cause des mauvaises ondes du côté de Highbury. Mais So Foot voit plus juste :

Özil (6,5) : Le type trop poli pour enfoncer le clou. A coup sûr, Mesut est le genre d’homme à ne pas oser prendre la dernière olive dans le pot alors qu’il en meurt d’envie.

La confirmation c’est pour le n°9 brésilien dont la présence dans le onze de départ reste une surprise pour tout le monde :

Fred (2) : Au cas où les Brésiliens ne saignaient pas assez des yeux en le voyant sur la feuille de match, le réalisateur inflige ses courses au public sur l’écran géant. Il fallait prévenir tout le monde si le type est le Rémi Gaillard local, parce que c’est de loin le plus beau canular de l’année.

Tout est dit.

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France-Allemagne : humours bleus, amour vache

Jusqu’ici, j’avais suivi cette Coupe du monde 2014 dans des ambiances cosmopolites, entre Népalais, expatriés et touristes. Nostalgique de l’euphorie du virage nord du Stade Vélodrome, j’avais envie de suivre un match dans un contexte plus homogène. (Crédit photo : Stéphane Huët)

Je n’avais pas trouvé d’Anglais pour suivre les matchs des Three Lions et j’avais raté les deux premiers matchs des Bleus. Pour France-Équateur, j’étais avec deux Français. Un petit comité sympathique qui m’a permis de ne pas regretter toute l’organisation (sieste, etc) pour voir ce match – nul et sans suspense –  qui commençait à 1 h 45.

Pour France-Nigeria (2-0), j’étais allé un peu en dilettante et j’ai raté la première mi-temps. Je portais aussi le maillot de la Côte d’Ivoire et ça en avait titillé quelques-uns.

France-Allemagne était donc l’occasion de me mettre vraiment dans cette atmosphère 100 % française que je cherchais. J’aime cette sensation d’être emporté malgré moi par les clameurs de personnes qui supportent leur pays.

Où suivre un match des Bleus à Katmandou ?

Il y a 239 Français au Népal selon les chiffres officiels. En fait, il y en a un peu plus si l’on compte les dizaines de stagiaires et bénévoles qui ne sont pas enregistrés au consulat de France à Katmandou.

Je pensais que ce serait facile de trouver un rassemblement de Français dans un bar de Katmandou pour ce quart contre l’Allemagne. Mais de la chaise où je recevais les informations pour la soirée, il m’a semblé qu’il était aussi difficile de choisir un lieu que de savoir si Didier Deschamps devait mettre Griezmann titulaire. On hésitait entre le Sports Bar Jhamsikhel et l’Arena Sports Lounge de Thamel. C’est finalement le Buzz Café de Bulawatar qui a été choisi. En recherche d’émotions, j’ai suivi la vague bleue. Mais aussi parce que j’avais envie de taquiner un peu.

Ce vendredi 4 juillet, j’ai pensé mettre le maillot de la Turquie, mais ça aurait agacé non seulement les Français, mais les supporteurs de l’Allemagne aussi.

Le chauffeur de taxi (qui était sûr que l’Allemagne allait gagner) a eu du mal à trouver le Buzz Café. J’y suis arrivé alors que le match avait commencé depuis sept minutes. Les Français et les Népalais supportant les Bleus étaient éparpillés dans le jardin et sur la terrasse. Avec cette configuration, j’imaginais mal l’ambiance unie dans laquelle j’étais venu me perdre. Mais peut-être allait-elle se répandre grâce à ces groupes dans chaque coin du café ?

Les supporteurs de l’Allemagne étaient là

Treizième minute du match. Coup franc de Kroos, mauvais marquage de Varane et but de Hummels. Au Buzz Café, il n’y a eu qu’un timide « houra ». On s’est demandé si le ballon était bien rentré. Lorsque ça a été confirmé à l’écran, un groupe de Népalais s’est enfin levé les bras en V pour célébrer le but. On alors constaté que les supporteurs de l’Allemagne, bien qu’en minorité, étaient eux compacts au milieu de la terrasse.

Parmi les téléspectateurs, on parlait du physique disgracieux de Schweinsteiger « qui a pourtant une super meuf » ou de la « coupe de cheveux ridicule » de Joachim Löw. Giroud, Debuchy et Pogba ont été épargnés par ces remarques. J’ai aussi entendu que si la France n’arrivait pas au bout dans cette Coupe du monde, « c’est parce qu’elle n’a plus de stars, comme Zidane ou Platini ». Même si Platini n’a jamais amené la France en finale d’une Coupe du monde et qu’on a vociféré que les « stars » de l’équipe de France avaient ruiné le Mondial 2010, cette théorie tient plutôt la route.

À côté de moi, on a commencé à s’énerver à cause des fautes des Allemands et du manque de réalisme des Français. C’est Müller qui me tapait sur le système à toujours aboyer pour demander une faute.

« Ils ne sont même pas Allemands, putain ! »

Globalement, le Buzz Café ressemblait à ce qui se faisait sur la pelouse du stade Maracanã : des petites vagues, de la nervosité, des supporteurs allemands qui se faisaient entendre et un peu de placidité. Ce n’était pas la liesse à laquelle je m’attendais.

Pendant l’Euro 96, une minuscule télévision de chambre d’étudiant diffusait le quart de finale France-Pays-Bas au Nautilus, le club de mon village, Albion. Les Albionais fans des Bleus avaient été beaucoup plus bruyants que les nombreux Français au Buzz Café ce vendredi 4 juillet. Peut-être parce qu’en 1996, on avait plus de raisons d’y croire à une qualification.

À la fin du match, les supporteurs de l’Allemagne ont exprimé discrètement et brièvement leur joie. Lucas, un Français avec qui je regardais le match, dépité par la défaite des Bleus ne comprenait pas ce comportement : « Ils ne sont même pas Allemands, putain ! » Comme je comprends ces gens qui n’ont pas leur nation représentée à la Coupe du monde…

Après avoir chambré gentiment Lucas, il a enfin répliqué comme mes amis d’Avignon avaient souvent l’habitude de réagir : « Et l’île Maurice, elle en est où dans la Coupe du monde ? » J’ai même été étonné que cette question arrive si tard, à ce stade de la compétition. La frustration de la défaite, sans doute.

Ça m’a ramené bien loin. En 2006, j’étais au Black Sheep Irish Pub de l’Isle-sur-la-Sorgue avec des amis pour regarder le match Corée du Sud-France. J’avais poussé un cri et levé le poing quand Park Ji-Sung avait égalisé à la 81e minute. Mes amis étaient abasourdis en me voyant faire ce geste que je n’ai jamais pu justifier. « Parce que je suis content pour Park Ji-Sung : il joue à Manchester United » ou « c’est pour le beau jeu, ça met du suspense. C’est cool, non ? ». Non. Rien n’était passé.

Quatre ans plus tard, alors qu’on était dans les gradins du Stade de France pour France vs Biélorussie, mon ami Loïc m’en parlait avec encore un peu d’amertume et d’incrédulité – peut-être qu’il m’en veut toujours ? C’est pourtant simple : c’était de la provocation stupide. Comme quand je mets le maillot de la Côte d’Ivoire pour un France vs Nigeria.

J'ai aussi un beau maillot de l'équipe de France de 1998 © S.H
J’ai aussi un beau maillot de l’équipe de France de 1998. Et alors ? © S.H

Malgré mes espiègleries, Lucas finira par comprendre ce que Loïc sait déjà. J’aime la France, ses Français(es), ses cuisses de grenouille, sa Nouvelle Vague et même sa Ligue 1. C’est parce que je l’aime tellement que je ne peux m’empêcher de la châtier.

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* Un humour bleu, qui serait du côté de la fantaisie et du rêve, voire de l’absurde (référence aux « contes bleus »).


À Katmandou, la Coupe du monde m’a rendu malade

Aucun écran géant dans les rues, pas de cris qui risquent de réveiller les anti-foot et pas de bars ouverts après 22 h. Ces deux dernières nuits ont été paisibles à Katmandou. Dans la soirée du mardi 1er juillet, beaucoup craignaient que les deux prochains jours sans match allaient être tristes. Pour moi, cette pause arrivait à point nommé…

Deux jours de repos pour les joueurs encore dans la course pour gagner la Coupe du monde, c’est aussi deux jours de repos pour les supporteurs.

Je sais que les médisants pensent que nous nous fatiguons seulement en levant le coude et en hurlant devant l’écran. Mais en ce moment être amateur de foot, c’est toute une organisation. Particulièrement en Asie.

 

Dhunge dhara à Dhobighat, Lalitpur - La bâche qui sert d’écran géant pour projeter les matchs a été remontée pendant ces deux jours de repos © S.H
Dhunge dhara, Lalitpur – La bâche qui sert d’écran géant pour projeter les matchs a été remontée pendant ces deux jours de repos © S.H

Techniques pour tenir le choc

Depuis le 13 juin à 1 h 45, les nuits de sommeil sont très courtes – à cause de ces 8 h 45 qui séparent le Népal du Brésil. Dans notre Etat zombiesque, il arrive qu’on ne se rende même compte que les journées passent. Je vois néanmoins beaucoup de footeux de Katmandou en grande forme depuis le début de la compétition. Chacun a sa technique pour tenir le choc.

Jenija, animatrice radio, est naturellement enjouée pour suivre tous les matchs de la Coupe du monde. Elle s’était même « entraînée à l’insomnie » et trouve que les jours de repos sont pénibles. Un peu comme Bimal, étudiant et fan du Brésil. Il n’a pas l’intention de manquer un match de son équipe qui, selon lui, gagnera la Coupe du monde. Sa technique est simple : « Pour rester éveillé, il suffit de réviser les cours jusqu’à l’heure des matchs ». Ce qui ne m’explique toujours pas pourquoi il n’est pas sur les rotules en journée – je l’ai rencontré alors qu’il terminait un match de futsal. À cette question, Bimal me répond en haussant les épaules.

J’ai remarqué que quelques malins et malignes invitaient leur patron à suivre les matchs avec eux – la méthode suprême. J’imagine bien un jeune expatrié en train de dire à son supérieur : « Ce soir, on va au bar pour regarder le match de notre pays. Tu viens avec nous ? » On joue sur l’émotionnel et, en plus, on est naturellement excusé pour une petite heure de retard le lendemain matin au boulot.

Abhishek, journalise et enseignant, préfère la jouer raisonnable. « Je rentre à la maison, je prends une douche et je fais une bonne sieste jusqu’à l’heure des matchs ». Et s’il est quand même fatigué, « il reste les congés maladies ». Facile.

Fatigue+vent+travail = …

J’avais opté pour la méthode d’Abhishek (avec quelques ajustements) dès le début de la Coupe du monde. Couché à 21 h 30, je me faisais réveiller par l’alarme de mon XOLO à minuit. Une tasse de café et j’enfourchais le scooter pour parcourir quelques hectomètres pour être devant le grand écran d’un bar à 0 h45. Mais parfois la tentation était trop forte. Il fallait regarder le match de 21 h 45 et celui de 0 h 45. Dans ce cas, pas de sieste possible.

Les nuits katmandaises se sont rafraîchies depuis l’arrivée (tardive) de la mousson. Alors, fatigue accumulée + un petit vent frais nocturne + une journée normale le lendemain = rhume. Et quand on entre dans des bâtiments climatisés après avoir donné quelques coups de pédales sous la chaleur étouffante de Katmandou, ça n’arrange pas les choses.

Même la miraculeuse huile essentielle du Népal, Sancho, n’a pu me sauver de cet état de fatigue. Depuis deux semaines, le Hot Lemon/Honey with Ginger est devenu ma boisson préférée. De temps en temps une goutte (ou deux) de rhum s’est autorisée à se mélanger au breuvage thérapeutique pour être bien sûr de tuer toutes les microbes.

 

Hot Lemon/Honey with Ginger
Hot Lemon/Honey with Ginger, une boisson que l’on retrouve dans tous les bons bars de Katmandou © S.H

Finalement j’ai préféré ralentir prudemment le rythme en préférant le streaming maison aux ambiances de bars pour regarder les matchs. J’ai même sagement (mais péniblement) substitué les matchs tardifs à quelques heures de sommeil.
Finalement, ces deux jours de pause entre les huitièmes et les quarts de finale étaient très attendus. Et pourtant, il paraît que je n’étais pas en forme mercredi soir. « C’est peut-être parce qu’il n’y a pas de match ce soir ? », m’a-t-on suggéré. On dirait que d’une manière ou d’une autre, le football est toujours lié à mon état actuel.

Les commerçants contents de la pause

Ces deux soirées sans match ont aussi été profitables pour ces personnes qui nous permettent d’apprécier la Coupe du monde dans des lieux sympathiques de Katmandou et Lalitpur. Kanhaiya, gérant de l’Arena Sports Lounge de Thamel me disait que même s’il est un grand amateur de football, les deux jours de pause allaient lui faire du bien.

Statut de sofoot.com le mercredi 2 juillet (via Facebook)
Statut de sofoot.com le mercredi 2 juillet (via Facebook)

J’ai suivi le conseil de So Foot pour être en forme ce vendredi 4 juillet qui nous offre un alléchant France-Allemagne. En plus, j’ai l’occasion de m’incruster dans un groupe de supporteurs français.

Ce dimanche 6 juillet commence une nouvelle pause de deux jours dans ce Mondial 2014. Ça aurait pu être un week-end de repos pour les fans de sport. Mais il y a la finale hommes de Wimbledon ce même dimanche. Bien que mon poulain Andy Murray ne soit plus dans la partie, je serai attentif à ce qui se passe sur le gazon londonien – après avoir regardé qui aura reçu le Venus Rosewater Dish la veille, évidemment.

Mais surtout, pendant que le Mondial s’achève, c’est le Tour de France qui commence. Un événement que je peux difficilement manquer. Le sport (à la télé) va me tuer.

►►►Pour retrouver tous les articles de Stéphane HUËT, Mondoblogueur mauricien au Népal, cliquez ici.


Pendant ce temps sur Mondobs

C’est un peu calme au 26 rue du Labrador depuis un mois. Bizarrement, c’est pile pendant la Coupe du monde de football qui se déroule actuellement au Brésil.
Serais-je en train de passer mon temps devant la télévision, un verre vissé à la main, en train de hurler aux footballeurs (qui ne m’entendent pas) de faire la passe ? Pas que.

La Coupe du monde vue par les Observateurs et les Mondoblogueurs (via Mondoblog)
La Coupe du monde vue par les Observateurs et les Mondoblogueurs (via Mondoblog)

RFI et France24 ont réunis quelques-uns de leurs Mondoblogueurs et Observateurs pour qu’ils et elles racontent comment le Mondial est vécu dans leurs pays respectifs.
Ça fait une joyeuse bande de 50 passionné(e)s de football, répartie dans 24 pays, qui narre, commente ou critique les événements liés à cette Coupe du monde 2014.

C’est tout naturellement que j’ai embarqué dans cette aventure dactylo-footballistique.
Chers fidèles lecteurs (coucou maman !), si vous voulez avoir un bref aperçu de ce que peut être Katmandou en ce temps euphorique de Coupe du monde, cliquez ici.
Une fois que vous serez le blog, profitez-en pour lire aussi (surtout) les autres récits inédits et fines analyses des copains et copines du reste du monde.

Et pour ceux qui regrettent qu’on ne « parle que de foot en ce moment », un billet qui parle de Katmandou, sans aucun lien avec le Mondial, sera publié ici avant le 13 juillet.


Voir le football anglais et mourir

BILLET D’HUMEUR | Après deux semaines de compétition, les matchs de poules du Mondial 2014 sont terminés. La compétition aura un goût amer avec l’élimination de l’Angleterre que je supporte sans relâche depuis 18 ans. Peut-être est-ce le moment de retrouver un peu de lucidité pour choisir une nouvelle équipe à suivre ?

« Frank ! Puisque tu vas dériver vers la MLS, je te donne l’occasion de jouer ton dernier match de Coupe du monde. Et tu auras le brassard ! ».
C’est comme ça que j’imagine Roy Hodgson, debout devant ses 23 joueurs, s’adressant à Frank Lampard avant le match du mardi 24 juin contre le Costa-Rica.

Et comme il avait déjà traversé l’Atlantique, Lampard n’a pas attendu le début de la MLS. Lors du dernier match de l’Angleterre dans ce Mondial 2014, il nous a montré qu’il était bel et bien un footballeur en perdition.

England ! England ! England !

Ça fait 18 ans que je suis avec une passion démesurée les Three Lions. Par candeur ? À cause de mon ignorance du football (Existe-t-il vraiment d’autres championnats à part l’English Premier League ? Un jour, on m’a même dit que je supportais « l’ancien colon ».

Ce n’est même pas par imitation : dans ma famille, on supporte les Bleus, la Squadra Azzura et la Seleçao. Comprenez-nous, pauvres Mauriciens, qui n’avons pas encore eu notre pays représenté en Coupe du monde.

Cette ferveur a commencé en 1996, quand l’Angleterre recevait le Championnat d’Europe. « Football’s coming home !», disait alors l’hymne officiel de l’équipe d’Angleterre. C’était une purée sucrée que seule la britpop est capable de nous fourguer. Elle m’avait pourtant ému et m’avait laissé imaginer Alan Shearer en train de brandir le trophée européen.

C’est cette année que j’ai découvert Paul Gascoigne, un personnage que j’ai tout de suite admiré. Mes oncles m’ont parlé de ses larmes après avoir reçu un carton jaune contre l’Allemagne en demi-finale du Mondial 90, synonyme d’une suspension en cas d’éventuelle finale (l’Angleterre avait finalement perdu contre la Mannschaft). J’ai eu du mal à croire que cet ogre avait pu pleurer pendant un match.

Des ennemis ? Le football allemand…

Six ans plus tard, c’est encore contre les Allemands que les Anglais sont tombés en demi-finale de l’Euro 96. J’ai alors détesté le foot allemand, décidant que c’était « ennuyeux » sans savoir ce qu’était vraiment le foot chiant – je ne connaissais pas encore le tiki-taka espagnol.

C’est en 1998, que j’ai compris que j’étais un fan « die hard » des Three Lions. Dès le début de la compétition, j’avais été envahi par une mystérieuse excitation. Je rêvais des matchs et ils continuaient à me préoccuper quand j’étais en classe.

Une espèce de voyant avait publié ses prédictions dans un journal mauricien : l’Angleterre allait gagner la Coupe du monde. J’y avais cru. Lors du tournoi, j’étais béat en voyant Glenn Hoddle prendre des notes pendant les matchs. C’était la première fois que je voyais un entraineur avec un stylo et je me suis dit qu’il devait être très intelligent, un fin tacticien.

… et le football argentin !

Michael Owen était alors apparu comme le nouveau petit héros du foot anglais. Mais Diego Simeone est venu gâcher la fête en s’écroulant après avoir été heurté par une aile de pigeon de David Beckham. J’en ai voulu au Spice Boy. Si c’était vraiment pour blesser, j’aurais préféré qu’il mette un bon coup de crampon dans la face : Simeone n’aurait pas eu besoin de simuler et le carton rouge aurait été justifié. J’ai pleuré le soir de ce match.

Le lendemain, on m’a parlé de la « Main de Dieu » de Maradona. Je n’avais que huit mois à l’époque de Mexico86 et (je le rappelle) je ne suis pas Anglais. Je n’avais donc aucune raison d’avoir de la rancœur par rapport à cette histoire. Mais je me suis senti très concerné. J’ai décidé de haïr le foot argentin aussi. Le passage de Tevez à Manchester United et la gueule sympathique de Messi n’y auront rien changé.

Nouvelle déception en 2002

Évidemment, je n’ai pas été triste que l’Albiceleste soit coincée à la phase de poule en 2002. Surtout que Beckham marqua un penalty contre eux dans ce groupe F. J’ai ensuite tremblé au début du quart opposant l’Angleterre au Brésil. Le peu d’espoir qui était né après l’ouverture du score par Owen était très vite retombé après l’égalisation de Rivaldo avant la pause. Et quand le moustachu David Seaman s’est laissé avoir par un lob de Ronaldinho, je n’ai même pas voulu regarder la fin du match.

Heureusement, toute ma peine avait été oubliée grâce au fou rire que j’ai eu en entendant un commentateur français qui disait que le Sénégal, arrivé jusqu’en quart de finale de la compétition, était l’équipe « la plus française du tournoi parce que beaucoup de Sénégalais [jouaient] en Ligue 1 ». Tous les moyens sont bons pour s’accrocher.

L’envie (provisoire) d’être un hooligan

En 2006, la tristesse de 1998 s’est transformée en rage. Je ne comprendrai jamais comment CR7 a osé influencer l’arbitre pour mettre un carton rouge à son coéquipier d’alors, Wayne Rooney (surtout que la faute n’était pas très évidente). Pendant quelques heures, j’ai eu envie d’être un hooligan et de casser des União Metalo-Mecânica. Mais je suis resté enfermé dans l’appartement aixois où je squattais et j’ai bu une bière.

La rage a très vite été calmée par la non-qualification de l’Angleterre pour le Championnat d’Europe 2008. Petit à petit, cet abattement laissera la place au doute.

Mon fanatisme imperturbable a été remis en question pendant le Mondial en Afrique du Sud. Je me suis alors réconcilié avec le foot allemand en voyant la supériorité des joueurs de Joachim Löw. Pour moi, ils méritaient de gagner le Mondial 2010, mais Paul le Poulpe en avait décidé autrement. Pour une fois, j’avais admis que l’Angleterre n’avait ni le niveau, ni le mérite d’aller plus loin.

2014, notre année… et puis non

Enfin, pendant les deux années où j’ai vécu à Madagascar, j’étais relativement coupé de l’euphorie footballistique. L’Euro2012 ne semblait pas très intéressant. J’avais suivi attentivement le premier match des Anglais contre les Bleus – j’étais d’ailleurs le seul fan anglais dans un bar de Nosy Be rempli de Malgaches supportant « l’ancien colon » et quelques Français.

J’ai tout de même eu un petit regain d’assurance cette année. Je pensais que 2014 allait être la nôtre. L’English Premier League est tellement populaire au Népal qu’il y a beaucoup de fans des Three Lions à Katmandou. Je me suis vite senti accompagné, faisant partie d’une grande famille. En plus les joueurs anglais avaient été convaincants pendant la phase des qualifications.

Mais j’ai senti que tout dégringolait lors des matchs de préparation. Après le nul contre le Honduras, je me suis demandé s’il fallait vraiment attendre des merveilles de Roy Hodgson.

Pour le match contre l’Italie, j’ai rejoint des amis népalais au FC Sports Bar de Jhamsikhel à 3h45 du matin (foutu décalage horaire). J’avais acheté un maillot anglais à NRs 600 (4€60) et j’étais à bloc. La déception a été violente. Rooney m’a semblé peu déterminé (peut-être qu’il faut vraiment abandonner la Champions League les années de Mondial…)

Pour le match contre l’Uruguay, je suis allé seul jusqu’à Thamel pour me glisser dans le Purple Haze, rempli de fans de l’Angleterre. Je portais toujours le maillot et il s’est produit quasiment le même scénario que contre l’Italie.

15 juin 2014 (3h45 du matin), FC Sports Bar de Jhamsikhel - de g. à d : Prasharya, Rabin, Veenod et un mauricien © Amit, le serveur du FC Sports Bar
15 juin 2014 (3h45 du matin), FC Sports Bar de Jhamsikhel – de g. à d : Prasharya, Rabin, Veenod et un mauricien © Amit, le serveur du FC Sports Bar

Après que ma frustration m’ait poussé à maudire Rooney, Gerrard, Sterling et surtout Roy Hodgson, je me suis demandé ce que pouvaient bien ressentir les vrais Anglais.

« Arriving after elimination ? Priceless… »

Le mardi 24 juin, mon meilleur ami, aussi fan de l’équipe d’Angleterre n’avait « pas le cœur à regarder » leur match contre le Costa-Rica, m’a-t-il écrit depuis l’île Maurice. Même si moi j’ai voulu aller au bout de la torture, je ne suis pas sorti : enfermé chez moi, je me suis servi un Ricard pour regarder le match avec un décalage entre le son et l’image (grâce au mauvais streaming).

Même si je ne m’attendais pas à un réveil spectaculaire des Anglais, j’ai été extrêmement déçu par leur jeu. J’ai regretté que Hodgson fasse autant de changements pour ce dernier match sans enjeu alors qu’il aurait dû en faire quelques-uns dès le deuxième. J’ai saoulé ma femme avec des commentaires inutiles (c’est prouvé : les joueurs et entraîneurs n’entendront jamais nos cris lorsque nous sommes devant l’écran) pendant le match.

24 juin 2014, Estádio Mineirão, Belo Horizonte - Supporteurs anglais lors du match Costa-Rica vs Angleterre (capture d'écran)
24 juin 2014, Estádio Mineirão, Belo Horizonte – Supporteurs anglais lors du match Costa-Rica vs Angleterre (capture d’écran itv Sport)

C’est fou comme je peux prendre à cœur ce genre de choses. J’ai mis 2 ans pour pardonner à CR7 (comme si qu’il avait besoin de mon pardon) le coup qu’il a fait à Rooney en 2006. Parfois je prie sérieusement avant que Gerrard[1] tire un coup franc. Il arrive que je me demande si mes actions (porter le maillot ou pas, regarder le match ou pas) n’ont pas une incidence sur la performance des joueurs anglais.

Et maintenant, on supporte qui ?

Rabin, un Népalais avec qui j’ai regardé Angleterre-Italie m’a dit : « maintenant je supporte les Pays-Bas, parce que mon équipe est éliminée. Et toi ? » Mais quelle autre équipe veut-il que je supporte ?

Ces petits fourmillements que j’ai quand ils entrent sur le terrain, cette façon que j’ai de réagir impulsivement, les larmes après une défaite. Aucune autre équipe ne me fait ça (à part le Club M et Manchester United, bien sûr). Pas la France, pas l’Italie, pas le Brésil – même pas Sur la route de Madison. Je ne cherche plus à comprendre : ces joueurs me font vibrer et c’est bien comme ça.

Je me demandais ce que devaient penser les vrais Anglais après la défaite contre l’Uruguay. Ce mardi 24 juin, j’en ai eu un aperçu. J’ai entendu ces supporteurs dans le stade s’époumoner à chanter l’hymne national britannique. Je me suis posé la question : si les Bleus avaient été dans la même situation (sûrs d’être disqualifiés), est-ce que les supporteurs français auraient chanté La Marseillaise avec autant d’entrain ?

Ces Anglais ont encouragé leurs joueurs tout au long du match. Ça m’a rappelé que les supporteurs mancuniens n’avaient pas arrêté de chanter « 20 times » alors que les Red Devils étaient menés 3-0 contre Liverpool en mars dernier.

C’est ça qui rend le foot anglais beau à mes yeux. La capacité de me hérisser les poils alors que je suis devant une télévision à des milliers de kilomètres du stade où a lieu le match. Et en Premier League, on ne lance pas de banane à un joueur et on n’imite pas le cri des singes.

Un jour, j’irai vraiment poser mes fesses sur un siège de Stretford End pour encourager les Red Devils. Mais avec ce que me fait le foot anglais à distance, j’ai peur de faire une crise cardiaque dès l’entrée des joueurs sur la pelouse.


[1] Mes amis fans de Manchester United m’en voudront peut-être, mais pour moi Steven Gerrard est un grand joueur, respectable et admirable. Tout grand fan des Red Devils que je suis, j’ai été triste que le dernier championnat lui passe sous le nez – surtout pour que ce soit City qui en profite.


Népal : les différentes ambiances pour suivre le Mondial 2014

8 heures 45 séparent le Népal du Brésil. Une soirée du Mondial brésilien commence à 21h45 au Népal pour se terminer à 5h30 le lendemain matin. Les matchs sont diffusés à 21h45, 00h45 et 3h45. Les footeux népalais doivent donc être vaillants pour suivre cette Coupe du monde 2014.

Jeudi dernier, le match d’ouverture Brésil-Croatie a été diffusé à 1 heures 45 du matin au Népal. Il m’a fallu sillonner les rues de Lalitpur et de Katmandou pour enfin trouver un bar – l’Everest Irish Pub de Thamel – qui avait l’air ouvert : une grille laissait passer les lumières du vidéo-projecteur et les commentaires du match.

J’avais pourtant appelé et envoyé des mails à la plupart des bars pour m’assurer qu’ils diffuseraient bien les matchs. Tous m’avaient affirmé  que oui. Pourtant le soir du premier match, ils étaient tous fermés. Les propriétaires avaient oublié de préciser qu’il fallait arriver avant 22 heures 30.

Coupe du monde 2014 - Horaires de diffusion des matchs de pool au Népal (via Kantipur TV)
Coupe du monde 2014 – Horaires de diffusion des matchs de pool au Népal (via Kantipur TV)

À Katmandou, les bars ferment généralement à 23h, minuit grand maximum – si l’on exclut les discothèques OMG et Fire Club. Alors, certains bars et restaurants (presque tous) ont fait un effort spécial pour la Coupe du monde. Ils restent ouverts jusqu’à la fin du troisième match de la soirée (qui commence à 3h45 du matin au Népal).

Plus d’entrée après 23 heures

Malgré ces écarts tolérés par les autorités népalaises, théoriquement les bars n’ont pas le droit de laisser entrer du public après 23 heures. Les fans de foot doivent donc arriver avant la fermeture officieuse, même s’ils veulent regarder le match de 3h45, le lendemain matin.

Pour voir le deuxième match de la soirée (qui commence à 00h45 au Népal), ça va encore. On regarde volontiers un Mexique-Cameroun en attendant l’alléchant Espagne -Pays-Bas. Mais il ne faut pas trop se laisser aller si votre équipe favorite marque des buts après minuit. Avant le début du deuxième match de la soirée, le gérant du bar passe de table en table pour glisser « ne criez pas trop fort s’il vous plaît ». Et oui, fermeture officielle à 23h. On n’a pas envie que les voisins appellent la police.

Affiche improbable dans un bar qui diffuse un match de Coupe du monde © S.H
Affiche improbable dans un bar qui diffuse un match de Coupe du monde © S.H

Si on veut regarder le dernier match de la soirée brésilienne (3h45 au Népal, donc) ça fait plus de quatre heures d’attentes. C’est énorme. Surtout si l’on doit se taper d’un ennuyeux Colombie-Grèce , suivi d’un Uruguay-Costa-Rica avant de déguster un Italie-Angleterre.

Des consignes respectées… au moins le premier jour

Voici une astuce pour profiter du dernier match dans l’ambiance d’un bar katmandais sans risquer de finir complètement saoûl à 5h30 du matin.

La première étape est de sympathiser avec un serveur de votre bar préféré – au hasard, je dirais le FC Sports Bar de Jhamsikhel où j’ai découvert le cricket. Chose très facile à Katmandou, car tous les barmen sont vraiment aimables (sans vouloir faire des généralités niaises). Moi j’ai fait la connaissance d’Amit[1], fan du Brésil. Demandez à ce barman s’il peut vous laisser entrer après 22h30. Prenez son numéro et prévenez-le quelques heures avant votre arrivée. Ça vous laisse le temps de faire une petite sieste entre le dîner et le match de 3h45.

Quand vous êtes devant le bar, il suffit de passer un coup de fil à Amit pour lui signaler votre arrivée. L’inconvénient, c’est que les serveurs aussi doivent se reposer entre les matchs quand les bars sont déserts. Il se peut donc que vous n’ayez aucune réponse. Surtout, n’hésitez pas à toquer deux gentils coups sur le portail. Un agent de sécurité viendra vous ouvrir avec indifférence comme si c’était normal d’entrer dans le bar à cette heure.

FC Sports Bar, 15 juin - Le repos de barmen, bien mérité © S.H
FC Sports Bar, 15 juin – Le repos de barmen, bien mérité © S.H

Vous vous installez sur un tabouret dans ce grand bar où seulement deux personnes sont assises en train de regarder le Chinatown de Polanski sur une petite télévision. Vous pensez alors être un privilégié : « J’ai trop de la chance qu’Amit ait prévenu de mon arrivée ». C’est seulement quand vous voyez une trentaine de personnes entrer dans le bar que vous comprenez que la consigne d’arriver avant 23h n’a tenu que pour la première soirée du Mondial. Amit viendra vous voir 5 minutes avant le début du match pour s’excuser« Désolé, je me reposais un peu, mais je suis content que tu aies pu rentrer ».

Du foot et du rock

Si ça ne se déroule pas aussi facilement, il reste toujours deux solutions à Thamel, le quartier qui se couche le plus tard à Katmandou (2h du matin, wow !). Il y a donc l’Everest Irish Pub, précédemment cité.

L’ambiance y est lugubre et, quand j’y suis allé, certains spectateurs lançaient des commentaires des plus douteux sur chaque pays participant à la Coupe du monde. Mais le serveur qui viendra vous ouvrir la grille (il faut aussi prendre son numéro) est vraiment sympathique.

Il y a aussi le Purple Haze Rock Bar. Ici, après l’heure légale de fermeture (minuit), il suffit de pousser la porte et de monter les marches pour suivre les deux derniers matchs de la soirée. Si vous aimez le rock, vous pouvez aussi regarder le match de 21h45 tout en vous défonçant les tympans avec les groupes népalais qui se déchainent à reprendre Rage Against The Machine, The Doors ou Nirvana sur la scène. J’ai une affection indescriptible pour ce lieu qui pue la bière, les spectateurs titubent au rythme de la musique et hurlent quand un but est marqué.

Purple Haze Rock Bar, 17 juin - Killing in the name of avec Belgique vs Algérie en fond © S.H
Purple Haze Rock Bar, 17 juin – Killing in the name of avec Belgique vs Algérie en fond © S.H

Pour des ambiances moins sophistiquées – quoique le Purple Haze nous accueille sans artifice – il y a enfin les salles de fête des quartiers de Katmandou. Je dois d’ailleurs répondre à l’invitation de Sandeep et Saugat qui suivent les matchs au Party Hall de Tinkune Koteshwor. J’y reviendrai plus tard.

« Drink ?« 

Les arrangements particuliers pour les bars poussent la Traffic Police à prendre des dispositions particulières aussi. Dans un article du 10 juin, le quotidien Republica rapporte que les policiers ont prévu de travailler jusqu’à très tard [ENG] pour « promouvoir la conduite sécurisée ». Après le match d’ouverture, vers 3h45, j’ai même vu des éthylotests électroniques, alors que d’habitude, les policiers demandent simplement « Drink ? ».

Ces anges gardiens sont postés à tous les grands carrefours de la ville. Facile donc de les éviter. Mais le meilleur moyen pour éviter de prendre une amende reste la sobriété.

Une semaine avant le début de la Coupe du monde, j’avais senti peu d’enthousiasme chez certains Népalais. Pourtant le foot – surtout l’English Premier League – est un sujet de conversation récurrent ici. Ils disaient qu’ils sentaient moins l’ambiance footballistique, comparé à 2010. « Peut-être à cause de la grande différence de temps ? », avait suggéré Veenod. À ce moment, on ne savait pas encore où on pourrait regarder les matchs.

Une semaine après le début de la Coupe du monde, il suffit de compter le nombre de maillots floqués de Rooney, Neymar Jr. ou Messi pour sentir que Katmandou vibre bien pour ce Mondial 2014.

Stéphane HUËT, Mondoblogueur mauricien qui vit au Népal


[1] Amit est bien plus qu’un numéro de téléphone. Quand je viens au FC Sports Bar pour un match qui débute à 21h45, il me parle de ses prochaines études en Tourisme en Australie, de la tactique du Brésil et son souhait d’ouvrir une entreprise à Katmandou. On parle tellement que ces supérieurs doivent lui rappeler qu’il a des bières à servir.


Coupe du monde : le Qatargate gâchera-t-il la fête au Népal ?

Avant même le lancement de la Coupe du monde 2014, celle de 2022 occupe déjà beaucoup les esprits. Depuis plusieurs jours, les médias reparlent du Qatargate – l’éventuelle corruption, déjà évoquée par France Football en janvier 2013 – qui aurait permis au Qatar d’être élu pays organisateur de la prestigieuse compétition. Une affaire suivie de près par les Népalais.

Depuis l’annonce, en décembre 2010, de l’attribution de la Coupe du monde de 2022 au Qatar, des centaines de Népalais s’envolent quotidiennement pour Doha pour construire les stades. Mais à Katmandou, on s’intéresse d’avantage au sujet depuis une semaine. L’implication d’un dirigeant sportif népalais dans le Qatargate est revenu sur le tapis.

Le président de la fédération népalaise de football corrompu ?

En juillet 2012, Associated Press (AP) publiait le résultat d’un audit de Price Waterhouse Coopers qui gênait le football asiatique. Le rapport indiquait, entre autres, que le Qatari Mohammad Bin Hammam, aurait utilisé les comptes de Confédération asiatique de football (AFC) dont il était le président pour verser plusieurs milliers de dollars à des personnes liées à des fédérations de football d’Asie. Parmi elles, Gaurav Thapa, le fils de Ganesh Thapa – président de l’All Nepal Football Association (ANFA).

Édition du 10 juin 2014 du quotidien népalais "Republica" : encadré à gauche, l'article rapportant le pot de vin reçu par Ganesh Thapa. À droite, un article rapporte que les joueurs de cricket népalais ont enfin reçu leur prime (autre polémique dans le sport népalais) © S.H
Édition du 10 juin 2014 du quotidien népalais « Republica » – encadré à gauche, l’article évoquant le pot de vin reçu par Ganesh Thapa. L’article à droite rapporte que les joueurs de cricket népalais ont enfin reçu leur prime après la Coupe du monde de mars dernier (autre polémique dans le sport népalais) © S.H

L’audit rendu public par l’agence de presse américaine soulignait un virement $100,000 (74.000 euros) effectué en 2010 sur le compte de Gaurav Thapa, alors membre de l’AFC. Le président de l’ANFA avait tout de suite réagi en affirmant que cette somme avait été empruntée à son « ami proche », Mohammad Bin Hammam, pour des raisons personnelles.

En juillet 2011, le même Bin Hammam est ensuite banni à vie du football par la FIFA après avoir tenté d’acheter des voix pour son élection à la tête de l’organisation.

« Stratégie machiavélique« 

Deux ans après les révélations d’AP, le scandale ressort cette semaine et vient ternir l’image du football népalais. Deux quotidiens népalais rapportent une enquête du Sunday Times : Ganesh Thapa aurait reçu £115,000 (85.000 euros) en deux virements (mars et août 2010) de Kemco, une société appartenant à Mohammad Bin Hammam.

Selon l’hebdomadaire britannique, cité par les journaux de Katmandou, cette somme aurait été versée pour s’assurer que Ganesh Thapa appuierait le Qatar pour sa candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2022.
[Traduction maison]

« Les fichiers de la FIFA montrent qu’une diplomatie autoritaire, des prodigalités extravagantes et une stratégie machiavélique a joué un rôle crucial pour garantir les votes d’Asie. Des bordereaux de transfert et des courriels révèlent également que Bin Hammam a effectué des virements totalisant $1,7M aux dirigeants du football d’Asie.« 

« Ganesh Thapa ? Pas un bon président« 

Autour des terrains de futsal de Katmandou, les réactions sur le sujet sont animées. Bimal, étudiant de 19 ans, pense que ce ne sont que des rumeurs. Mais son ami Manish est persuadé que c’est vrai. Il soupire et admet ne pas porter le président de l’ANFA dans son cœur : « Ganesh Thapa n’est pas un bon président. Ça fait trop longtemps qu’il est là ». C’est-à-dire presque 20 ans – sans oublier qu’il est l’un des cinq vice-présidents de la Confédération du football asiatique depuis janvier 2011.

En parlant des travailleurs népalais actuellement au Qatar, Manish soutient que le pays du Golfe est aussi à blâmer. « La Coupe du monde est un événement important, mais ça ne vaut pas la vie de centaines de personnes », lâche-t-il subtilement avant de me dire de regarder le reportage d’ESPN sur la Coupe du monde au Qatar, posté le 25 mai 2014.

Avec Bilal, 20 ans, la conversation arrive vite sur les problèmes de ses compatriotes au Qatar. « En acceptant cet argent, Ganesh Thapa a voté pour la mort de centaines de Népalais », critique-t-il. Et on estime qu’ils seront 2.000 à mourir sur les chantiers de Doha jusqu’à 2022.

À côté de lui, Saugat, étudiant en Business Management à la Reva University en Inde est plus critique sur la corruption qui gangrènerait, selon lui, tous les sports au Népal. « Il n’y a pas de doute là-dessus : Thapa a pris l’argent ! Regarde l’état du foot au Népal. On n’a même pas de terrain pour jouer. Il n’y a qu’un stade ! s’exclame-t-il. Heureusement que des initiatives privées ont emmené le futsal ».

Saugat, 20 ans, étudiant en Inde est révolté par l'attitude des dirigeants du football népalais © S.H
Saugat, 20 ans, étudiant en Inde est révolté par l’attitude des dirigeants sportifs népalais © S.H

Saugat s’emporte et regrette que le football n’ait pas le soutient qu’il mérite par les dirigeants de son pays. Évoluant au poste de milieu défensif pour la Reva University, il m’assure que les Indiens n’ont pas leur place dans cette équipe. « Il n’y a que des Népalais, parce qu’ils sont tellement bons ! », s’exclame-t-il.

Il espère tout de même que la récente signature du Népalais, Bimal Gharti Magar dans le club belge d’Anderlecht, encouragera les dirigeants à mettre plus de moyens dans le sport. Mais après quelques minutes, il prend un ton défaitiste : « Tu sais, même moi je participe à mon niveau à toute cette corruption ».

Les autorités népalaises ferment les yeux

Dans son édition du 5 juin 2014, « Envoyé spécial » diffusait Qatar, les forçats de la coupe du monde. Dans un reportage de 26 minutes, on voit les conditions de vie épouvantables des Népalais à Doha, avant d’apprendre qu’ils sont plus de 600 à être y décédés et d’assister à la tristesse des familles des défunts.

À la fin du reportage, le journaliste Pierre Monégier explique que les autorités népalaises ferment les yeux sur les conditions de travail dramatiques au Qatar parce que les travailleurs expatriés rapporterait 3 milliards € au Népal (soit un quart du revenu national). Quelques citoyens lambda ont à peu près la même attitude.

Si les jeunes népalais que j’ai rencontrés sont outrés par la tournure que prend l’organisation de la Coupe du monde 2022, certains de leurs aînés semblent plus détachés. Rakesh, le gérant d’un futsal de Katmandou n’est pas au courant de l’affaire Ganesh Thapa et ne veut pas en entendre parler. Rojesh, gérant d’un autre futsal, manifeste une indifférence déconcertante par rapport à ses compatriotes séquestrés à Doha : « C’est la Coupe du monde. Je ne vais pas laisser ce genre de débat gâcher cette fête ».

Et moi face à tout ça, je ne suis pas mieux que Rakesh ou Rojesh. Je me sens aussi tiraillé que John Oliver.


Chifumi : le street art s’enracine

Le street artiste Chifumi butine entre l’Europe et l’Asie depuis 2009. Installé au Cambodge depuis deux ans, il était de passage au Népal pour participer au Rootdown festival à l’Alliance française de Katmandou.

« Ce qui me motive, c’est la rue », dit Chifumi. Pas étonnant qu’il l’emprunte régulièrement. Pour explorer et pour partager.
C’est en Alsace qu’il commence à « jongler » entre Colmar (où il grandit), Mulhouse (il y intègre l’école des Beaux-Arts) et Strasbourg (où il fréquente l’École supérieure des arts décoratifs).

Chifumi en train de terminer sa murale Apsara Composition à l'Alliance française de Katmandou Street Art
Chifumi en train de terminer sa murale Apsara Composition à l’Alliance française de Katmandou © S.H

Souhaitant expérimenter l’esthétique urbaine après ses études, Chifumi développe un travail spécialement pour la rue à partir de 2009.
Dans l’est de la France, ses collages sont perçus comme du vandalisme. Il crée donc en réaction à ce premier rapport délicat avec le public. Chifumi commence à coller des mains formant les signes de gangs américains dans les rues d’Alsace. « Évidemment, ces représentations n’avaient aucune résonance en France – c’était ridicule, s’amuse-t-il. Mais j’ai été assimilé aux clichés des ghettos parce que je faisais des choses dans la rue. Alors j’y suis allé à fond ! »

Ainsi naît la série des « Mains urbaines ».

Celles-ci sont vite « transportées » hors de France. Des trajets en autostop mènent Chifumi du Portugal à l’Europe de l’Est, du Danemark à la Grèce. Il en profite pour s’imprégner de tous les courants artistiques : autant le street art que l’hermétisme. « C’était la sémantique qui m’intéressait – comment on représente le signe », explique-t-il.

Bien que son triangle alsacien se soit étendu à toute l’Europe, Chifumi reste actif à Strasbourg. Il rejoint d’autres artistes dans Démocratie créative, une association invitant à la création dans l’espace public. « On réutilisait des phénomènes déjà présents dans la ville pour faire des petites interventions participatives », raconte Chifumi.

C’est à ce moment qu’il découvre l’urban hacking : le fait de « transformer un élément du quotidien de sa fonction première ». Il rencontre alors Alain Bieber, un pirate chevronné et chef de projet à Arte Creative. Ce journaliste allemand propose à Chifumi d’embarquer pour Radical Drift avec Tony Weingartner.
Pour ce projet d’un an, les deux street artistes devaient peindre des murales entre l’Inde et l’Australie, en passant par les pays de leurs choix. Chaque œuvre devait être ancrée dans son environnement géographique, tout en étant liée à la peinture précédente  à la manière des plantes radicantes. « Tu as une racine et quand tu bouges, tu en fais une deuxième. Tu avances avec un mélange des deux. Plus tu as de mélanges, plus tu grandis et tu deviens passe-partout », détaille Chifumi.

Radical Drift est interrompu après cinq mois. Tony Weingartner doit rentrer en France et Chifumi s’arrête au Cambodge pour des raisons médicales. Son séjour à Phnom Penh se prolonge lorsqu’il y trouve du travail dans le graphisme.
L’artiste attend six mois avant de recommencer à faire de la peinture. Installé dans un pays d’Asie, il réalise alors le décalage entre ses premières perceptions de passant et la réalité quotidienne. « On est venu avec des outils intellectuels européens pour traduire ce qu’on voyait. Quand j’ai accordé ces outils-là, je me suis rendu compte que je n’avais rien compris des pays dans lesquels on était passé », se rappelle Chifumi.

De même, l’urban hacking à la française lui semble désormais désuet : « Ce qu’on faisait à Strasbourg c’était de la branlette, comparé à la réalité de l’Asie où tout est toujours récupéré ». Dans ce contexte de piratage urbain constant, Chifumi constate qu’il ne faisait rien de nouveau et décide de « changer ».

Apsara Composition conçue par Chifumi à l'Alliance française de Katmandou, Népal pour le Rootdown festival Street Art
Apsara Composition de Chifumi conçue pendant le Rootdown festival de l’Alliance française de Katmandou © S.H

La série « Mains urbaines » évolue elle aussi au fil des déplacements. Initialement du collage en noir et blanc, en Asie Chifumi fait de la peinture directement sur les murs. Les œuvres sont aussi plus grandes et colorées.

La scène street art népalaise est « dingue »
Ses nombreuses expéditions en Orient n’avaient encore jamais emmené Chifumi au Népal. C’est, début 2013, en voyant le site Internet de Sattya qu’il découvre que le street art y est en plein essor avec le projet Kolor Kathmandu. Les premiers contacts avec le collectif népalais le convainquent. Et une fois sur place, il ne sera pas déçu : « Les artistes ici n’ont rien du tout, mais ils y vont et ils sont super forts. Je trouve ça dingue ! »

Chifumi a apporté sa contribution au street art népalais bouillonnant avec Apsara Composition – du nom de la danse traditionnelle cambodgienne [ENG]. La murale a été pensée toujours avec cette idée de connecter deux univers : « On retrouve des similitudes entre l’Apsara et certaines danses népalaises ».

Si l’artiste français était l’invité spécial de l’Alliance française de Katmandou (AfK) pour le Rootdown festival, il s’est « senti tout petit » par rapport à Kiran Maharjan aka H11235, encore étudiant à l’école d’art de Kathmandu et membre d’ArtLab : « Le mec a des bombes pourries et le résultat est ouf ! Franchement, grand respect ».

À l'entrée de l'Alliance française de Katmandou, peinture murale faite par H11235 à l'occasion du Rootdown festival Street Art
À l’entrée de l’Alliance française de Katmandou, peinture murale faite par H11235 à l’occasion du Rootdown festival © S.H

Chifumi s’est « ressourcé » grâce à la dynamique et aux talents de Katmandou. Idéal pour terminer Radical Drift en 2 épisodes au Cambodge, fraîchement commandé par Arte Creative.

Il y a également en préparation, un trajet à vélo entre la France et le Cambodge à partir de mars 2015. Le but est de peindre plusieurs murales sur la route, toujours sur le mode opératoire des plantes radicantes et en faisant la psycho-géographie. « Je veux voir comment l’endroit où je me situe influence ma créativité », explique l’artiste.
Pour réaliser ce projet, Chifumi lancera une opération de financement participatif. Passionnés du street art itinérant, tenez-vous prêts à soutenir l’artiste radicant.


Abidjan : une histoire d’antilope

Mes amis ont déjà superbement décrit l’aventure #MondoblogAbidjan. J’ai eu plus de mal. Comme une antilope saoulée au koutoukou qui cherche une princesse sur une piste d’atterrissage, mon compte-rendu va dans tous les sens.

« À moi le koutoukou ! » Ça a été ma première pensée quand mon voyage en Côte d’Ivoire a été confirmé. Enfin, la deuxième. Juste après les vives louanges au Dieu du blogging parce que j’avais été sélectionné pour la formation #MondoblogAbidjan. Je prévoyais aussi de visiter Yopougon car j’avais envie de voir l’univers d’Aya en vrai.
Et puis j’ai entendu Vladimir Cagnolari parler de la Rue Princesse avec beaucoup d’enjaillement dans l’émission de l’Afrique Enchantée consacrée au Marché des Arts et du Spectacle Africain (MASA). J’ai donc ajouté « m’ambiancer dans un maquis de Rue Princesse » sur ma liste.
Quatre jours avant mon départ, j’ai fait la connaissance d’un footballeur ivoirien dans Thamel à Katmandou. Quand je lui ai dit que je voulais boire un koutoukou à rue Princesse, il m’a répondu : « Mais toi, tu connais déjà tout, dèh ! »

Akwaba à l'aéroport Houphouët-Boigny d'Abidjan © S.H
Jeudi 1er mai 2014 à l’aéroport Houphouët-Boigny d’Abidjan, Côte d’Ivoire © S.H

Quand je suis arrivé en Côte d’Ivoire, j’ai compris que la fête pouvait être intense Rue Princesse, que cette partie de Yopougon était parfois considérée comme un lieu de débauche. « Mais ce n’est plus comme avant », m’a-t-on aussi prévenu. Il paraît que depuis avril 2011, « la Rue » (comme on l’appelle affectueusement à Abidjan) a perdu de son charme – les autorités voulant y faire le ménage.

En attendant de me faire ma propre opinion, j’ai donné un aperçu gustatif du Népal à quelques camarades Mondoblogueurs. J’avais rapporté une bouteille de Hinwa, « le vin népalais ». En général, les Occidentaux le détestent. Moi j’aime bien. Surtout à seulement NRs 380 (2€90).
Après la premières gorgées timides, beaucoup l’ont trouvé « surprenant ». Les fins connaisseurs en œnologie (sacrés Français) m’ont confirmé que « ce n’est pas du vrai vin ». Un a trouvé que ça ressemblait au Patxaran basque et une y a trouvé des saveurs du vin de Cilaos. Un autre, à peine les lèvres trempées dans le breuvage, l’a trouvé « dégueulasse ». Je les avais prévenus. La prochaine fois, je ramènerai de l’alcool de Yarsagumba.

Quelques heures avant mon départ prévu de la Côte d’Ivoire, j’ai finalement trouvé ma bouteille de koutoukou. J’ai été, néanmoins, étonné de voir à quel point cette boisson était rare à Grand-Bassam, alors que le Nescafé est partout.

Cet après-midi du dimanche 11 mai, j’ai eu de drôles de sentiments dans la voiture qui me conduisait à l’aéroport d’Abidjan. Triste de voir l’aventure se terminer. Mais aussi un peu déçu de ne pas avoir vu « la Rue ». Heureusement, Kpénahi m’accompagnait. Les Mondoblogueurs savent que son rire contagieux (même quand elle a une larme qui roule dans l’œil) a le pouvoir de faire oublier les petites tracasseries.

Finalement, je n’ai pas décollé ce soir-là. Après 3 heures de retard sans explication, les employés de la compagnie aérienne ont annoncé qu’un réacteur de l’avion avait été endommagé à cause d’une collision avec… une antilope.

J’ai eu 24 heures pour découvrir Abidjan. J’ai essayé d’en profiter. Je suis allé à la Rue vers 18h le lundi. C’était triste : pas d’ambiance, pas de musique, mais beaucoup de bars fermés. J’avais probablement trop d’attente. Ou alors, on y a vraiment bien fait le ménage.

Lundi 11 mai - un bar fermé à la Rue Princesse de Yopougon, Abidjan © S.H
Lundi 11 mai – un bar fermé sur la triste Rue Princesse de Yopougon, Abidjan © S.H

J’ai lu presque tous les billets qui racontent la formation #MondoblogAbidjan. J’y ai senti beaucoup d’émotion. À mon retour à Katmandou, je me suis dis que je n’étais pas aussi touché : « c’est le décalage horaire qui me rend amorphe ». Mais je suis moi aussi atteint du Syndrome Post Mondoblog qui me donne la gueule de bois. Le fameux dimanche de l’antilope, je serrais déjà les dents en partant de l’hôtel. J’ai même parlé de « Mondoblues ».

 

On était vraiment bien à Abidjan.
J’y ai enfin rencontré Guénolé et ma filleule Mondoblog, Isabelle. On a pu dire merci à « Papa Philippe » de nous avoir permis d’embarquer dans cette aventure. Khaofi s’est souvenu qu’il me devait une bière depuis Dakar – je l’avais oublié. Je me suis remis au jogging avec Pascaline et Berliniquais. Ça m’a plu d’être officiellement « le Népalais » de la bande – on m’a posé tellement de questions intéressantes sur mon pays d’adoption (que certains le situaient en Amérique du Sud). C’était bien d’entendre la conviction chez nos hôtes qui, comme Moussa, parlaient d’une Côte d’Ivoire « (re)devenue fréquentable ».
Enfin, ça m’a fait sourire quand quelques Ivoiriens, fidèles auditeurs de RFI, m’ont demandé si Juan Gomez était avec nous. J’ai vu la déception dans les regards quand j’ai répondu que non. « Je sais, moi aussi je voulais lui dire de faire une bise à Élisabeth Quin ».

J’ai acheté le DVD Aya de Yopougon à Abidjan. En le regardant à Katmandou, mais surtout en écoutant les intonations des acteurs, j’ai eu l’impression d’entendre Babeth et les autres amis ivoiriens. Forcément, ça donne un léger spleen tout ça. Mais j’avais prévu une parade pour contrer ces émotions. Dans ma valise, j’ai remplacé la bouteille de Hinwa par du koutoukou artisanal et du vrai chocolat ivoirien.

La désillusion de la Rue et la nostalgie d’après-formation passeront. J’arrive d’abord à me consoler parce que je suis fier d’être parmi ces quelques moutons noirs. Et puis, la Côte d’Ivoire a en tant d’autres choses à offrir.

Aujourd’hui, les 66 autres Mondoblogueurs de la formation et moi-même sommes ambassadeurs du tourisme de la Côte d’Ivoire. Rien que ça, dèh ! Alors, je compte bien revenir faire un tour en eburnie pour assumer mon rôle sérieusement.


Katmandou : Pâques métissée

Au Népal, 81% de la population est hindoue, 9% est bouddhiste. D’après le site Internet de Radio Vatican, il y aurait 8000 catholiques sur les 30 millions de Népalais. Suffisant pour se faire entendre le jour de Pâques.

Il y a eu les partisans maoïstes et les lutteurs contre le diabète en novembre dernier. Ce dimanche 20 avril, plusieurs piétons brandissent des banderoles sur Jhamsikhel, Lalitpur. Comme je ne comprends toujours pas l’alphabet rañjanā (en admettant que je sache le lire un jour), j’imagine que ces gens manifestent à cause de la pénurie de carburant [anglais] qui touche la vallée de Katmandou depuis quelques jours.
Tout devient plus clair lorsque les crucifix et le mot « Jésus » apparaissent sur une pancarte. Mais oui, c’est le dimanche de Pâques. Quelques-uns portent un t-shirt violet floqué de « I Like Love Jesus » avec le pouce levé de Facebook. Original et vendeur auprès des jeunes, me dis-je.

Dhobighat, Lalitpur, le 20 avril 2014 - Un groupe de catholiques célébrant Pâques dans la rue © S.H
Dhobighat, Lalitpur, le 20 avril 2014 – Un groupe de catholiques célébrant Pâques dans la rue © S.H

Ces chrétiens qui défilent dans les rues de Lalitpur chantent en s’accompagnant de tambourins et de madal. C’est une scène très différente de toutes les processions catholiques que j’ai pu voir auparavant.

Le dépaysement est loin d’être terminé. Puisqu’en voyant tout ça, je me dis que ce serait bien d’aller faire un tour à l’église.

L’Assumption Church est un carrefour des cultures impressionnant. Comme dans une mosquée, il faut enlever ses chaussures à l’entrée. À l’intérieur, des coussins sont alignés pour que les fidèles s’y asseyent – ce qui me rappellent des souvenirs de longues sessions de méditation. Le décor très hybride est d’autant plus fascinant.
Les motifs qui entourent les fenêtres donnent une allure d’empire coloniale britannique. Les grosses poutres en fer évoquent les constructions Eiffel. Une peinture derrière l’autel – qui semble représenter Jésus qui monte au ciel – a des similitudes avec les thangkas tibétains.

Dimanche 20 avril 2014, à l'intérieur de l'Assumption Church de Lalitpur © S.H
Dimanche 20 avril 2014, à l’intérieur de l’Assumption Church de Lalitpur © S.H

Avant le début de la cérémonie, j’aperçois dans l’église des amis et des connaissances : Camerounais, Béninois, Suisse, Italien, Australien, Néerlandais, Français et, bien sûr, Népalais.
Il y a des filles en sari et à côté de moi, une dame porte une robe qui fait penser au pagne kita. Même si le public des églises mauriciennes et réunionnaises est diversifié, je n’y ai jamais vu une telle mosaïque – ne parlons même pas des paroisses françaises.

À l’île Maurice, il y a des cantiques en créole sur des rythmes très locaux comme le séga et le seggae. Mon ami, le Père Laurent Rivet, a déjà mis un sitar et un tabla sur une des ses chansons, Mo pe soufer. Alors, ce n’est pas très nouveau d’entendre un harmonium, un madal et un ghunghuru dans les cantiques de l’Assumption Church ce dimanche 20 avril. Mais quand la chorale chante en népali sur des rythmes très typiques, ça prend une autre dimension. Il n’y a vraiment qu’en Europe qu’on a droit à des cantiques soporifiques ?

J’ai du mal à répondre quand le prêtre dit la version anglaise de « que la paix soit avec vous ». Dans ma tête je dis « to you too ». Alors le Credo ou le Notre-Père, je n’essaye même pas. Je murmure seulement « amen » quand je sais que c’est le moment de le dire.

De toute façon, je ne suis pas sûr que j’aurais été plus réactif en français.

La dernière fois que j’avais assisté à une messe, c’était le 31 mars 2013 à Antananarivo, Madagascar – un des cantiques était sur un air de mambo. C’était pour Pâques aussi. J’étais allé me recueillir pour des compatriotes emportés par le triste « samedi noir ».


Au Népal, j’ai craqué pour le cricket

Ayant probablement manqué une folle ambiance sportive deux jours plus tôt, j’ai tenu à être de la partie pour le troisième match du Népal à l’ICC World Tour 20. Depuis, je comprends et jadore le cricket.

Une victoire et une défaite depuis le début du tournoi. Les Népalais ont encore une petite chance de se qualifier pour le deuxième tour de l’ICC World Tour 20 (la coupe du monde de cricket) qui a lieu au Bangladesh. Pour ça, ils doivent impérativement gagner leur troisième et dernier match de groupe contre l’Afghanistan ce jeudi 20 mars.
Ce serait extraordinaire. C’est la première fois que le Népal participe à cette compétition mondiale. Elle s’était qualifiée en novembre 2013 en terminant troisième du ICC World Twenty20 Qualifiers qui se tenait aux Émirats d’Arabe Unis. À leur retour au pays, les joueurs avaient été accueillis en héros. Depuis, il semble que l’intérêt des Népalais pour le cricket n’a cessé de grandir. Le mien aussi.

Cet après-midi, il y a une ambiance sportive timide au FC–The Sports Bar de Jawalakhel. Dans cette grande salle où sont alignées trois longues rangées de tables et trois tables rondes au fond, pas plus de vingt personnes ont la tête levée sur le grand écran où sera projeté le match. Des photos de sportifs célèbres avec une de leur citation sont accrochées à un mur. Parmi eux, il y a Sachin Tendulkar, le Little Master indien du cricket qui a pris sa retraite il y a 4 mois.

Sachin Tendulkar placé au même rang que Federer et Schumarer au FC - The Sports Bar © S.H
Sachin Tendulkar, aux côtés Roger Federer et Michael Schumacher sur un mur du FC – The Sports Bar © S.H

Il est 15h15 et la lumière du soleil empêche de voir convenablement les images projetées sur le grand-écran. Ce n’est pas très important pour l’instant, car les commentateurs font les discours inutiles d’avant-match – déjà que je trouve ça pompeux avant les matchs de foot, alors pour un sport que je ne comprends pas.

Quelques minutes plus tard, les joueurs entrent sur le terrain alors que Chariots of Fire de Vangelis résonne dans le stade. Les gens dans le bar applaudissent poliment. Ils se mettent debout quand l’hymne national népalais est joué. J’ai des petits frissons.

Le match commence enfin et on entend « Go Nepal ! » du fond de la salle. C’est l’Afghanistan qui lance. Je ne sais pas s’il y a un nombre de lancers défini ou un nombre de points à atteindre pour changer de lanceur dans une équipe ou pour alterner les équipes aux postes du lanceur et du batteur. Pour compliquer les choses, il y a plusieurs chiffres qui apparaissent sur l’écran et je ne sais pas qu’ils représentent.
Au bout de quelques lancers, je comprends ce qui permet aux batteurs de gagner des points. Pour les lanceurs, j’attendrai encore.
Les batteurs népalais font quelques jolis coups. Je le vois par le nombre de points (6) que ça rapporte et les éclats de joie (de plus en plus forts) qu’ils provoquent dans le bar.

Un cadrant affiche « 141/5 » et on dirait que le match est terminé. Je demande confirmation à un inconnu assis à côté de moi. Il s’appelle Bahadur et me dit qu’il reste « les 20 overs[1] du Népal maintenant ». Je crois que je viens de faire une drôle de tête après sa phrase. Bahadur sourit, prend mon carnet et mon stylo pour m’expliquer les règles. Il confirme certaines choses que j’avais saisies, mais je l’entends mal à cause du bruit dans la salle. Je lève la tête pour vérifier. On est maintenant une cinquantaine au FC-The Sports Bar.
Concentré à essayer de comprendre le match, puis les explications de Bahadur, je ne me suis pas aperçu que le bar s’est rempli.

Les règles du cricket expliquées par Bahadur entre des frites et un coca © S.H
Les règles du cricket expliquées par Bahadur entre des frites et un coca © S.H

À la reprise, je suis tout excité. Emporté par l’ambiance du bar, je crie et lève les bras quand un lanceur népalais empêche l’Afghanistan de marquer des points. De temps en temps, je fronce les soucis parce que je ne suis pas sûr de ce qu’il vient de se passer. Alors Bahadur reprend mon carnet en souriant et m’explique l’action avec des croquis.
Je comprends enfin qu’un « wicket[2] » est l’ensemble des trois piquets en bois placé derrière le batteur. Un wicket est marqué lorsque le lanceur touche un des piquets avec la balle ou lorsque la balle est récupérée au vol après avoir été frappée par le batteur. C’est très rare. Les Afghans en ont marqué 5 au cours de leurs 20 overs. C’est donc ça le « 141/5 » sur le cadrant (141 étant le nombre de runs[3] des Népalais).

Après quelques nouvelles règles expliquées par Bahadur, je suis à fond dans le match. J’ai l’impression d’avoir tout compris. En tout cas, je veux que le Népal gagne. La victoire de Manchester United contre l’Olympiakos, la veille, paraît presque secondaire à cet instant.
Il est bientôt 18h et cette fois on est plus de 100 dans le bar. On reconnaît les hommes qui nous ont rejoints directement après le travail à leur cravate mal nouée. Ça chauffe et on répète « Népal ! » et les noms des joueurs à tue-tête. J’entends « Sean Paul » et je ne vois pas pourquoi le ragga man jamaïcain est acclamé ici. Jusqu’à que je vois « Sompal » floqué sur le maillot d’un des joueurs népalais. Sompal Kami est plus jeune (18 ans) joueur de l’équipe et on dirait que c’est le chouchou. Le capitaine Paras Khadka est aussi ovationné. Mais c’est Shakti Gaucham, auteur d’un gros match contre Hong-Kong quatre jours plus tôt, qui provoque l’hystérie. C’est beau ce qui se passe là. Je suis content d’y assister.

20 mars, FC-The Sports Bar à Patan - Les supporters exultent alors que leur pays prend l'avantage sur l'Afghanistan © S.H
20 mars, FC-The Sports Bar à Patan – Les supporters exultent alors que leur pays prend l’avantage sur l’Afghanistan © S.H

À 4 lancers de la fin, l’Afghanistan doit marquer seulement 16 runs pour remporter le match. Mathématiquement, ils peuvent y arriver. Bahadur me rassure : « c’est bon, on a gagné ». Deux hommes devant moi sont déjà debout sur leur chaise – un est torse-nu et fait l’hélicoptère avec son t-shirt. Tout le monde dans le bar hurle. Moi aussi je m’égosille. C’est l’explosion de joie après le dernier lancer. Tous les bras sont levés au FC-The Sports Bar. Un drapeau fait le tour du bar. Son petit porteur est caché par les supporters en furie qui sautillent.

Et puis, soudainement les cris s’arrêtent. Jitendra Mukhiya apparaît à l’écran pour une interview. Silence religieux pour écouter les réponses de celui qui a été élu homme du match. Il remercie les fans et les agitations dans le bar peuvent reprendre lorsqu’il récupère son trophée.

Il fait presque nuit. Nous sommes beaucoup à sortir du FC-The Sports Bar, contents mais pas vraiment rassurés – en plus j’ai un acouphène et j’ai mal à la gorge d’avoir trop crié. Si le plus dur est fait, le sort de l’équipe du Népal ne lui appartient plus.
Seul le premier de chaque groupe passe au deuxième tour de l’ICC World Tour 20. Pour que le Népal y arrive, il faudrait que le Bangladesh (l’hôte de la compétition) perde son match contre Hong-Kong qui a perdu ses deux premiers matchs de groupe. Autant dire que c’est inespéré.

20 mars 2014, FC-The Sports Bar - Le drapeau népalais circulant entre les supporters après la victoire de l'équipe nationale contre l'Afghanistan © S.H
20 mars 2014, FC-The Sports Bar – Le drapeau népalais circulant entre les supporters après la victoire de l’équipe nationale contre l’Afghanistan © S.H

Quelques heures après la victoire du Népal contre l’Afghanistan, un demi-miracle a lieu. Hong-Kong gagne, mais Bangladesh reste premier du groupe A grâce au net run rate (l’équivalent de la différence de buts au foot).

L’équipe de cricket du Népal n’a pas atteint le Super10 de la compétition, mais l’équipe a livré une belle performance qui laisse espérer de futurs succès. Évidemment, c’est aujourd’hui la fierté de tout le pays. Chandra Prakash Gajurel l’a bien compris. Après que la presse népalaise ait rapporté qu’il aurait critiqué le nouvel engouement pour le cricket au Népal, les supporters du district de Dadelhura ont brûlé une effigie du secrétaire du Communist Party of Nepal – Maoist (CPN-M). Il s’est défendu par la suite en affirmant que ses propos avaient été mal compris.
Au parc Tundikhel, les ballons de foot ont laissé la place aux battes et aux wickets (ou alors, c’est moi qui fais plus attention à ce sport ?) Une fois de plus, Paras Khadka et ses hommes ont été reçus en héros à leur retour au pays le vendredi 21 mars. Et maintenant, ils ont un nouveau fan mauricien qui prétend connaître suffisamment les règles pour oser les expliquer à des néophytes.


[1] « Séries » en français. Chaque équipe a 20 séries dans une manche (tour de batte). Il y a 6 lancers par série.
[2] « Guichet » en français
[3] « Course » en français


Tempêtes dans la cuvette

En quelques heures, j’ai découvert trois nouvelles facettes de Katmandou : il peut y avoir des ouragans, le patriotisme sportif permet d’attendre l’inespéré et n’importe qui peut déclencher une grève générale.

C’est un peu avant 18 heures, ce 18 mars, que tout commence. Alors que je me la joue guide touristique pour Les P’tits Gars Laids (à l’affiche de la Semaine de la Francophonie), Katmandou et Patan (Lalitpur) sont frappées par une tempête de vent. Toute la poussière du frissonnant Durbar Square de Patan se lève. Nous sommes aveuglés. Les parasols sur le toit du Café du Temple s’envolent. Petit moment (qui dure tout de même plus de cinq minutes) d’agitation sur la place où les vendeurs protègent leurs articles souvenirs et rangent leurs étales. Après ça, l’orage gronde, accompagné de quelques éclairs.
D’après le site Internet de l’Himalayan Times, le Tribhuvan International Airport de Katmandou a été fermé à 18 heures à cause d’une tempête de poussière – ce qui a retardé l’atterrissage de deux avions qui arrivaient au Népal.

18 mars 2014 - Le vent se lève entre les temples du Durbar Square de Patan © S.H
18 mars 2014 – Le vent se lève entre les temples du Durbar Square de Patan © S.H

Une heure plus tard, sur cette même place, on entend des cris très virils. À l’entrée sud du Durbar Square, quelques patriotes (y compris des filles) attendent la projection du match Népal-Bangladesh. Pour la première fois de son histoire, l’équipe de cricket du Népal est qualifiée pour l’ICC World T20, la Coupe du monde de cricket. Cette année, elle a lieu au Bangladesh. On a forcément envie de rester là pour encourager notre terre d’adoption l’instant d’un match d’un sport qu’on ne comprend pas du tout.
Je pose des questions – entre chacune d’elles, des cris s’élèvent dans la foule – et je m’aperçois que personne ne sait réellement où sera projeté le match. Peut-être sur une bâche bleue posée sur un échafaudage. Ou alors sur un monument du Durbar Square – il paraît que le premier match du Népal dans la compétition (victoire contre Hong-Kong par 80 runs) y avait été projeté. « Il cherche la chaîne », me dit-on aussi. Mais qui ? Haussement d’épaules. Beaucoup ne sont même pas sûrs qu’il sera projeté – ils ont simplement suivi la foule. Ne voyant ni télé, ni vidéoprojecteur, je fais partie des sceptiques.
Le match devait commencer à 19 h 30. On part du Durbar Square à 19 h 35 et toujours pas de projection, mais la petite foule continue de crier comme pour appeler le vidéoprojecteur.

18 mars 2014 - Foule sur le Durbar Square de Patan en attente de la projection du match de cricket Nepal-Bangladesh © S.H
18 mars 2014 – Foule sur le Durbar Square de Patan en attente de la projection du match de cricket Népal-Bangladesh © S.H

Après une bonne soirée musicale inédite, de violentes rafales me réveillent à 3 h 40 du matin. Il pleut, l’orage est revenu et des éclairs impressionnants fissurent la nuit noire. Les fenêtres vibrent et on entend des feuilles de tôles qui s’envolent. Dans la petite rue devant chez moi, des gens vont travailler ou rentrent chez eux. Évidemment, j’essaie de prendre des photos ou de filmer. Évidemment, je n’en tire rien de bon pendant ces 30 minutes à attendre l’éclair parfait.
Résultat constaté au lever du soleil : quelques pots de fleurs écrasés sur la terrasse et des chaussettes qui séchaient sur le toit sont allées rejoindre « l’univers parallèle où sont catapultés tous les côtés des chaussettes qui se perdent dans les machines à laver » et où se trouve probablement le MH370 (dédicace à Anielle).

19 mars 2014 - Cadeau de la tempête découvert aux petites heures du matin © S.H
19 mars 2014 – Cadeau de la tempête découvert aux petites heures du matin © S.H

Sur Twitter, Jitendra Raut, le journaliste de la BBC Nepali évoque la présence d’un « autre ouragan à Katmandou ». Ouragan ? À Katmandou ? En cherchant un peu sur Internet, j’ai trouvé, qu’effectivement, il y avait déjà eu ce que la presse népalaise appelle des « ouragans ».

Ce matin du 19 mars, Katmandou et Patan sont calmes. Très peu de klaxons et les montagnes sont visibles. Encore un bandh. Cette fois, ce sont des étudiants qui protestent contre la hausse du prix du carburant. Le bandh n’est donc pas une institution maoïste, mais tout le monde peut réellement en déclarer un au Népal. Je pensais que ces étudiants seraient moins vindicatifs que les parties d’extrême gauche. Pourtant les journaux rapportent quelques incidents : une moto incendiée à Sankhamul, un bus flambé à Old Bus Park.

Malheureusement, la tempête que j’attendais n’a pas eu lieu : les cris de joie de Népalais pour célébrer la deuxième victoire de leur pays au ICC World T20. Le pays hôte a remporté le match par 8 wickets.
Bon, même si je ne comprends vraiment rien à ces termes, je croise les doigts pour que les Gurkhas, emmenés par Shakti Gauchan, remportent leur troisième match du groupe A contre l’Afghanistan ce 21 mars.

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* Katmandou étant dans une vallée, on dit souvent que c’est cuvette (comme Grenoble en France).


Maha Shivaratri : de Grand-Bassin à Pashupatinath

Le jeudi 27 février, on fêtait Maha Shivaratri à l’île Maurice. Au Népal on dit simplement « Shivaratri » mais c’est la même chose : la nuit de Shiva, le Dieu de la création.

Sâdhu à Pashupatinath, Katmandou - le jeudi 27 février 2014 © O.B
Sâdhu avec son chillum à Pashupatinath, Katmandou – le jeudi 27 février 2014 © O.B

Ça fait un moment que Suresh me suggère d’aller faire un tour à Pashupatinath, un impressionnant temple dédié à Shiva, classé au patrimoine de l’UNESCO. Mais c’est pour voir les vrais Sâdhus qu’il me propose de visiter ce lieu. Parce que j’en ai marre des « saints hommes » en bois qui errent sur le Durbar Square de Katmandou à Basantapur, ceux-là qui nous mettent des tikas sans prévenir et exigent un bakchich pour nous avoir « donné leur bénédiction ».

Shivaratri est l’occasion idéale pour se rendre à Pashupatinath. En plus des Sâdhus, des milliers de dévots y célèbreront le mariage de Shiva et Shakti. Et la phrase est sur toutes les lèvres : « tout le monde fume du cannabis à Pashupatinath le jour de Shivaratri ». On raconte que c’est toléré au Népal le jour où l’on fête Shiva.

Les journaux népalais annoncent une grosse logistique pour accueillir les 700,000 personnes prévues à Pashupatinath. L’organisateur, Pashupati Area Development Trust (PADT), a aménagé des espaces pour héberger les pèlerins. Deux banques ont installé des distributeurs automatiques de billets (DAB) pour permettre les transactions financières liées à la fête (le paiement des employés du PADT et les « offrandes spéciales »). Enfin, plus de 3000 policiers vont se relayer pour assurer la sécurité.
Allons vivre une nouvelle expérience.

Ma première surprise à l’approche du temple est de voir une file d’environ 2 km. Des centaines de personnes avancent, l’un après l’autre, vers le temple accessible uniquement aux hindous. Ce n’est pas le nombre de dévots qui m’étonne, mais c’est bien la première fois que je vois une queue aussi ordonnée au Népal. La puissance des religions. Bien avant la file, au niveau de l’aéroport, ça grouille déjà sur la route. Des pèlerins avec de gros sacs sur le dos se dirigent vers Pashupatinath – il paraît qu’il y en a qui marchent depuis l’Inde. Pas étonnant quand on sait que le temple de Pashupatinath de Katmandou est considéré comme l’un des plus sacrés du monde, vénéré aussi bien par les hindous que par les bouddhistes.

Les pèlerins qui affluent à l'entrée du Temple de Pashupatinath - jeudi 27 février 2014 © O.B
Les pèlerins qui affluent à l’entrée du Temple de Pashupatinath – jeudi 27 février 2014 © O.B

Suivant des indications de quelques habitués de la fête, on évite l’entrée principale pour ne pas avoir à payer les Rs1000. Après quelques mètres sur une piste, on atteint une porte sans guichet. On va pouvoir faire du voyeurisme gratuitement, me dis-je. Mais un jeune homme nous interpelle et nous invite à venir payer l’entrée dans son bureau qui se trouve 50 mètres plus loin. Pendant ce temps, environ 10 personnes sont en train de passer par cette même porte sans payer.

Après quelques marches vers le centre du site, on voit deux lépreux tremblant allongés par terre. Cette vision est pénible et je mets quelques minutes avant de reprendre mes esprits. On arrive à une place où l’on voit enfin plusieurs Sâdhus qui sont installés dans les espaces au milieu de chaityas. La plupart sont assis en rond et discutent. Il y a un qui chasse des singes qui convoitent ses fruits. Trois comptent leur argent et deux autres fument de la ganja dans leur chillum.

Sâdhus, pèlerins, policiers et macaque entourés de chaitya à Pashupatinath - jeudi 27 février 2014 © S.H
Sâdhus, pèlerins, touristes, policiers et macaque entourés de chaityas à Pashupatinath – jeudi 27 février 2014 © S.H

Au fur et à mesure de notre visite, on découvre des petites places où sont éparpillés des dévots qui chantent un bhajan à Shiva et des Sâdhus qui récitent des prières. À côté, d’autres fument leur chillum et proposent de fumer avec eux : « vas-y, tu as le droit ». Il y a aussi quelques fantaisistes qui rappellent ceux de Basantapur. Ils posent, demandent aux passants de les prendre en photos et demandent tout de suite quelques roupies. Il y a un qui porte un bonnet de joker et ça lui va plutôt bien.
Plus bas, sur les berges du fleuve Bagmati qui passe au milieu du site, trois enfants font un petit spectacle de cirque. Sur l’autre rive, on assiste à des crémations.

Harmonium et dholak pour chanter un bhajan à Shiva - Pashipatinath, Katmandou, le jeudi 27 février 2014  O.B
Harmonium et dholak pour chanter un bhajan à Shiva – Pashupatinath, Katmandou, le jeudi 27 février 2014 © O.B
Les "faux Sâdhus" de Pashupatinath © O.B
Les « faux Sâdhus » qui posent à Pashupatinath – jeudi 27 février 2014 © O.B
Les Sâdhus sont supposés avoir renoncé à tout pour se consacrer à la « libération de leur âme » mais on constate que certains n’ont pas renoncé aux nouvelles technologies de la télécommunication - Pashupatinath, jeudi 27 février 2014 © O.B
Les Sâdhus sont supposés avoir renoncé à tout pour se consacrer à la « libération de leur âme » mais on constate que certains n’ont pas renoncé aux nouvelles technologies de la télécommunication – Pashupatinath, jeudi 27 février 2014 © O.B
Crémation au bord du fleuve Bagmati à Pashupatinath - jeudi 27 février 2014 © O.B
Crémation au bord du fleuve Bagmati à Pashupatinath – jeudi 27 février 2014 © O.B

L’heure tourne. Les pèlerins sont de plus en plus nombreux et les quelques gouttes commencent à tomber – « il pleut toujours à Shivaratri », nous a-t-on prévenu. À 11h30, on décide de partir avant d’être noyé dans la marée humaine qui monte ou sous le déluge.

Avant de me rendre à Pashupatinath, j’avais quelques appréhensions alimentées par des chiffres abracadabrantesques et les fantasmes de ceux qui imaginaient des hordes de profiteurs complètement défoncés à la ganja. Pour ces mêmes descriptions, certains pensent que l’engouement pour Pashupatinath à l’occasion de Shivaratri est exagéré. Ni blasé, ni survolté par cette expérience, je considère que Pashupatinath offre un décor et une ambiance qui valent vraiment le détour.

Pour Tihar, j’avais appris un peu plus sur le Divali, une fête dont j’ai été témoin à l’île Maurice jusqu’à mes 18 ans. J’ai un peu le même sentiment pour Shivaratri.
Les kawals et les pèlerins faisant partie du décor de la fête de Maha Shivaratri depuis mon enfance, je n’y avais jamais prêté attention. Grand-Bassin, c’est un peu le Pashupatinath de mon pays. J’y suis allé plusieurs fois, mais jamais lors de la célébration de Maha Shivaratri.
Poussé par la curiosité et la certitude d’assister à des scènes inédites, c’est à Katmandou que j’ai voulu voir de plus près à quoi ressemble la vénération de Shiva, le Dieu des Dieux, le Dieu de tous les êtres vivants, la source de la paix et la béatitude éternelles.

Statue de Shiva à Grand-Bassin, île Maurice © S.H
Statue de Shiva à Grand-Bassin, île Maurice © S.H

J’ai tout de même noté quelques différences dans les façons de célébrer entre mon pays et ma terre d’adoption.
Pour commencer, je ne pense pas qu’on verra de sitôt des Sâdhus fumant de la ganja à Grand-Bassin. À Katmandou, je n’ai jamais vraiment senti que Shivaratri arrivait. À l’île Maurice, on peut voir les pèlerins qui marchent en portant les kawals une semaine avant le jour-J. Dans les petites rues de Katmandou, seuls les enfants qui bloquent la circulation en tirant des cordes pour demander aux automobilistes et motocyclistes un peu d’argent annoncent Shivaratri. Enfin, je n’ai pas eu l’impression qu’au Népal, cette cérémonie religieuse soit aussi politisée qu’à l’île Maurice. Le président Yadav était bien à Pashupatinath, mais dans son discours, il a souhaité que Shiva fasse du bien à tous les Népalais au lieu de lancer des piques à ses rivaux.

Aujourd’hui (dimanche 2 mars 2014) c’est Losar, le Nouvel An tibétain. Bien qu’il y ait plusieurs Tibétains réfugiés au Népal et que le bouddhisme y soit aussi pratiqué, il n’y a pas de grosse célébration à Katmandou. On m’a expliqué que ça se fête discrètement en famille. Je vais quand même aller au stupa de Bodnath – l’un des plus grands au monde, également classé au patrimoine mondial de l’UNESCO – pour voir s’il se passe quelque chose de spécial. Peut-être que, cette fois, je vais assister à une fête religieuse qui n’est pas célébrée chez moi ?


Katmandou : la nuit nous appartient

On entend souvent la rengaine « il n’y pas de vie nocturne à Katmandou ». Mais quand on cherche un tout petit peu, on finit par trouver des soirées de qualité et on démasque les pantouflards.

C’est vrai : la plupart des bars ferment tôt à Katmandou. Parfois, des policiers munis de leur gourdin passent dans les lieux pour s’assurer que les horaires sont respectés. Du coup, certains ont vite fait de râler « qu’il n’y a pas de vie nocturne à Katmandou » ou de dire dédaigneusement que « les soirées ne sont pas terribles ». Pourtant il y a de quoi s’éclater dans la capitale népalaise.

Par exemple, le vendredi 21 février, Eleven11Production offre (pour NRs 500, conso incluse) la nuit électronique : Dance Valley (Bass Edition). Ça se passe au 1905, restaurant autrement connu pour abriter le Farmers’ Market du samedi matin (aisément appelé « le marché bio » par les francophones). Le lieu qui a des allures d’anciens bâtiments de l’empire coloniale britannique est spécialement apprêté pour l’occasion. Derrière la scène, un écran fabriqué de petites ampoules fait défiler des effets visuels sympathiques ; sur la droite, des images psychédéliques conçues par Uzair Sawal et le collectif ArtLab sont projetées sur une toile. Et c’est plus appétissant que les étales de charcuterie et de légumes sans pesticide du samedi matin.

Début de soirée du "Dance Valley (Bass Edition)" au 1905, le vendredi 21 février 2014 © S.H
Début de soirée du « Dance Valley (Bass Edition) » au 1905, le vendredi 21 février 2014 © S.H

Je rate de peu la prestation de Kiccha qui est, semble-t-il, un groupe qui mêle musique électronique avec des instruments traditionnels népalais. Ce sera pour une prochaine fois.
Rohit Shakya, alias The Author, m’est présenté comme l’un des meilleurs DJ du Népal. Ce soir il joue ses compositions en live. Les morceaux sont vraiment bien faits, mais The Author les enchaine difficilement – il faut attendre deux minutes entre chacun d’eux. En plus la qualité du son est assez médiocre. Je préfère me dire que j’apprécierai l’artiste à sa juste valeur en écoutant son CD et je me dirige vers les ravitaillements.

De retour devant la scène après un plat d’aloo sadeko, c’est Dualist Inquiry (nom de scène du DJ indien Sahej Bakshi) qui est aux manettes. C’est plus dansant, les enchainements sont excellents et, miracle, le son est parfait. Pas étonnant que la fosse soit pleine. De temps en temps, Dualist Inquiry prend une guitare électrique pour poser parfaitement quelques solos sur les musiques qu’il passe. Un petit show qui enfièvre le public.
Le son se durcit un peu et on distingue Stress de Justice qui arrive. Subitement, ça s’extasie au sein d’un petit groupe au milieu du public. Plus loin, on reconnaît la voix de Pharrell Williams. « Attention, les robots arrivent ». On s’affole, on se passe le mot : « c’est les Daft ! » Wooouuaah ! Une petite bande d’irréductibles explose. J’ose une plaisanterie minable : « C’est qui Daft Punk ? ». « Mais c’est des Français ! » me hurle-t-on avec un air ahuri. Sans blague ? On suggère même de chanter la Marseillaise. S’il avait fallu entonner « Oh say, can you see… » à chaque passage d’une chanson américaine, on y serait encore une semaine plus tard. Dualist Inquiry traficote Get Lucky avec des effets et en ralentissant le tempo. Et quand le rythme original reprend, tout le monde répète enfin « We’re up all night to get lucky ».
La Dance Valley (Bass Edition) se termine avec Nishan qui fait de la trance psychédélique. Jamais entendu parlé, mais ces mélodies répétitives me conviennent pour conclure la soirée.

Il est 23h et on nous pousse poliment vers la sortie du 1905. On se regarde et l’inévitable question arrive : « bon, on fait quoi maintenant ? » On se demande ce qu’il peut bien y avoir d’ouvert après 23h à Katmandou. Ça ne dure pas très longtemps. On se dirige naturellement vers Thamel, quartier considéré par certains comme « lieu de débauche » où traînent les hippies en descente depuis les années 70.

Visage de Jimi Hendrix peint sur le mur du Purple Haze Rock Bar à Thamel © S.H
Visage de Jimi Hendrix peint sur le mur du Purple Haze Rock Bar à Thamel © S.H

La soirée continue au Purple Haze, un « bar rock » dont j’ai beaucoup entendu parler depuis mon arrivée au Népal. Un agent de sécurité me fait un salut militaire (comme le font beaucoup d’autres agents de sécurité à Katmandou) en ouvrant la porte. On est en bas d’un escalier en fer très abrupt et on voit mal ce qui se passe en haut. Mais on le devine : on s’apprête à pénétrer dans un bordel lugubrement rock & roll.
Ce lieu est agréablement fou. Le volume de la musique est très fort. Des bouts de verres écrasés, des mégots de cigarette et d’autres déchets non identifiables jonchent le sol tacheté de bière. Le public danse, chante, titube, saute, hurle. Le batteur qui porte un maillot des Glasgow Rangers frappe agressivement sa caisse claire sur Zombie. C’est la fin de soirée et certains se demandent où ils sont. Une bousculade créée par un spectateur un peu trop échauffé et ce dernier reçoit de la bière en pleine face. Yeah, c’est trop rock & roll ! Alors que les All Stars, le groupe résident du Purple Haze Rock Bar, reprennent Guerilla Radio, un couple dans un état proche de l’Ohio fait des pas de danse qui ressemblent au zouk. Au Népal. Pourquoi pas ?

Passage de relais sur scène. Un autre chanteur vient se poser devant la scène. On reconnait les premières notes de Love Buzz. Le nouveau chanteur est littéralement DÉ-CHAI-NÉ. Il agite sa crinière, saute partout et s’emmêle les pieds dans les câbles. Il ouvre enfin la bouche mais on n’entend pas sa voix. Ses cabrioles ont débranché quelques câbles. Comme une vraie rockstar, il se dirige nonchalamment vers un autre micro disponible et repend normalement les paroles là où il devrait être dans la chanson. La classe. Et quand vient l’heure de Smells Like Teen Spirit, ça se pogote dans la salle et sur scène. Le trépidant chanteur et le guitariste rythmique se bousculent méchamment mais ils gardent le sourire. Les amplis tombent, les pieds de micros autour de la batterie sont à terre et malgré tout ça, pas une fausse note. Un technicien se faufile au milieu des musiciens pour tout remettre en ordre.
C’est l’anarchie et la musique est vraiment trop forte. Mais merde, c’est tellement bon d’être ici. Il n’y a pas d’écran pour diffuser du foot, mais c’est quand même mieux que le Club Amsterdam Café de Pokhara. Et les musiciens sont vraiment excellents. Ils sont techniquement parfaits sur toutes ces reprises et on aimerait qu’ils composent leurs propres chansons.
Avant de partir, le groupe nous gratifie d’une version suave de Light My Fire. Dernier coup de baguette sur la cymbale à minuit.

All Stars, le groupe résident du Purple Haze Rock Bar de Thamel, en concert le 21 février 2014 © S.H
All Stars, groupe résident du Purple Haze Rock Bar de Thamel, en concert le 21 février 2014 © S.H

On se regarde encore et sans vraiment se parler on descend au OMG, une boîte de nuit un étage plus bas dans le même bâtiment. Ce haut lieu de la nuit katmandaise – où l’on peut croiser l’actrice Nisha Adhikari (quoi, vous ne connaissez pas !?) avec ses copines – est « ouvert jusqu’à 2h, tous les jours, tout le temps ». Wouhou ! Je fredonne All night long dans ma tête.
Après la French Touch et le grunge, nous nous adonnons aux tubes de dance et de RnB – la musique dite « commerciale ». Non seulement, ce n’est pas trop ma tasse de thé mais en plus le volume est excessivement fort ici aussi. Sauf que c’est si efficace à ce moment de la soirée que nos corps bougent seuls sur la piste de danse. Et puis on se laisse un peu distraire par le DJ qui a un style tellement kawaii qu’on jurerait que c’est un japonais.

Résultat, on s’est couché à 3h du matin. Certes, on est bien loin des interminables soirées berlinoises. Mais comprenez que quand on arrive à Katmandou et qu’on entend toujours « ah… mais ici, il n’y a pas de vie nocturne », on est content de rentrer chez soi après une soirée aussi diversifiée musicalement – même si on a les oreilles qui sifflent les deux jours suivants.

Le plus plaisant c’est de savoir que, finalement, Katmandou permet de vivre de telles soirées tous les week-ends.
Notez : ce vendredi 28 février, un groupe de musiciens propose de « prendre le contrôle » de Lazimpat (quartier des ambassades à Katmandou) avec du rock indé, de la house, du dubstep – jusque-là ça va – du Nu Disco, du UK garage, des future beats, du chillwave et du grime. Bref, je vais découvrir de nouveaux styles musicaux. Et tout ça jusqu’à 3h du matin.

Qu’importe si certains persistent à dire qu’il ne se passe rien au Népal. Ça laisse plus de place à ceux qui veulent vraiment profiter de la nuit à Katmandou.


Vipassana au Népal : une bande-annonce non-officielle

Le 1er février, j’écrivais à mes collègues Mondoblogueuses et Mondoblogueurs : « je suis out quelques jours. Dans 1h, je n’aurai plus accès à Internet jusqu’au 12 février ». Je ne précisais pas que je partais au Dhamma Shringa pour suivre une retraite Vipassana. C’est le 6 février et je suis déjà connecté. Entre « j’en ai besoin » et « ce n’est pas pour moi » en parlant d’une même chose, il n’y a qu’un pas :…


Andromakers à Katmandou : filles électriques

Le duo électro-pop Andromakers était en live à Katmandou le lundi 13 janvier. Retour sur ce concert organisé par l’Alliance française de Katmandou au Café des Arts de Thamel.

L’intro est parfaite. Avec Autumns & Autumns, on entre tout de suite dans la bulle d’Andromakers. On se laisse bercer par la mélodie du glockenspiel alors que nos têtes bougent au rythme percutant de la grosse caisse. Le son résonne au Café des Arts, petit nid bien protégé du tintamarre de Thamel.

13 janv. 2014 - Lucille Hochet (g) et Nadège Teri d'Andromakers en concert au Café des Arts de Thamel, Katmandou (Crédit : M.B)
Lucille Hochet (à g.) et Nadège Teri d’Andromakers en concert au Café des Arts de Thamel, Katmandou – 13 janv. 2014 © M.B

Quelques heures avant le concert de Katmandou, Lucille Hochet et Nadège Teri avouaient être un peu impressionnées : nouveau continent, nouveau public. Rien ne transparaît sur scène. Elles sont concentrées et généreuses à la fois. Elles le font savoir dès le début : elles n’aiment les espaces vides devant la scène. Le public effarouché est vivement invité à se rapprocher. Regards timidement complices entre les spectateurs et quelques-uns font des petits pas en avant.

On commence alors à se dodeliner nonchalamment sur The Golden Hour. Comme les grands Nino Ferrer (Mirza) et Paul McCartney (Martha My Dear), Andromakers rend brillamment hommage à son quadrupède. Avec tintements et sonorités de Fender Rhodes, Song For My Dog a une progression captivante qui n’est toujours pas sortie de ma tête depuis. Et c’est bien ajusté avant Spider on The Wall qui électrise le concert.
Avant de reprendre une « vieille chanson française », la chanteuse Nadège Teri joue aux devinettes. Elle fait tourner sa boîte à musique et tous les Français (il y en a pas mal ce soir) reconnaissent les notes de La Mer de Charles Trenet. Le duo livre alors une interprétation aquatique qui nous emmène voguer bien plus loin que celle du fou chantant.

À la pause, on se ravitaille à coups de vin masala et on se réchauffe près des flammes disposées dans la cour du restaurant. De nouveaux spectateurs rejoignent la fête. Elle reprend de plus belle avec un agréable aperçu du premier album d’Andromakers qui paraîtra fin 2014.

Andromakers aime « faire bouger les gens » et ça se voit. En chantant, Nadège caresse l’air avec des mouvements gracieux et fixe d’un regard mystérieux la nuit noire au-dessus de nos têtes. Et quand elle pose son micro, elle rejoint Lucille et les deux s’acharnent sur leurs instruments. À partir de cet instant, je sais que le capteur de rêves accroché au tom basse n’a aucune utilité : impossible de faire des cauchemars après un tel numéro de charme.

13 janv. 2014 au Café des Arts de Thamel - Nadège Teri : charme et mystère (Crédit : Ingrid Chiron)
Nadège Teri : grâce et mystère – Café des Arts de Thamel, 13 janv. 2014 © Ingrid Chiron

Au milieu de plusieurs styles musicaux énumérés, Kate Bush est l’unique nom que le duo cite clairement comme référence. En entendant le falsetto de Nadège Teri sur Antique Paradise, c’est assez évident. De même, ce soir on pourrait trouver que B for Beaches a des accents de Manual for Successful Rioting de Birdy Nam Nam.

Après « deux ans à chercher », les musiciennes ont trouvé ce style qui les caractérise. Andromakers, c’est un labyrinthe musical où il fait bon se perdre. Tellement que lorsque j’entends de légers crépitements pendant le concert, je me dis que c’est un effet qui contribue à leur son « brocante ». Mais à voir le manager du duo s’agiter, je comprends que ce n’est pas prévu. Qu’importe, les filles restent pro et le bruit parasite ne dérange personne. Au contraire, le public mou de Katmandou se dégourdit enfin. Nadège Teri s’approche de nous, danse, lève les bras en l’air pour partager ce court instant de frénésie népalaise. Mais il est déjà tard. Andromakers termine avec un impeccable remix de Stupid Sun.

Après Katmandou, Lucille et Nadège se sont envolées pour l’Inde. Avant Trivandrum et Mumbai, elles joueront au India Bike Week Festival de Goa le vendredi 17 janvier. Ce sera certainement plus énervé qu’au Café des Arts.
Mais rien ne pourra impressionner ces deux musiciennes qui ont commencé la musique dans One More Season, un groupe de métal.