Elzie Obiang

Et si l’Afrique était l’avenir de la langue française ?

En France, personne ne s’étonne de rencontrer un Canadien parlant français ou une Brésilienne qui maîtrise le portugais. A contrario, les Africains francophones suscitent souvent la surprise. Ces derniers doivent souvent expliquer leur parfait usage de la langue de Molière. Pourtant 77% des individus y parlent le français quotidiennement contre 14,9% en Europe et 7% en Amérique.

Pamela est arrivée en France en 2003. Elle est venue du Gabon pour poursuivre ses études supérieures. Dans ses valises, son baccalauréat gabonais portant la mention « fait pour valoir ce que de droit sur le territoire français ». A l’inverse d’étudiants originaires d’autres pays, Pamela n’a pas eu besoin de faire traduire son diplôme. Au Gabon, la langue officielle c’est LE FRANÇAIS. Pourtant, les premiers contacts que la jeune gabonaise a avec ses collègues à l’université et ailleurs la déconcertent. « Ah tu parles très bien français, au Gabon on parle français ?! ». Même certains de ses professeurs lui posent la même question. « Ce fut très vexant pour moi. Au Gabon, on a coutume d’ironiser que la France est la 10ème province du pays au regard de notre histoire commune », se souvient Pamela qui préfère en rire aujourd’hui. Elle savait tout de son pays d’accueil mais pour ce dernier, mis à part quelques baroudeurs, le Gabon c’était le triangle des Bermudes.

« Un français qui ne sait pas où l’on parle sa langue, ignore sa culture »

Plus tard au gré des rencontres, l’étonnement laisse place à l’agacement souvent à la colère. « Le français votre langue officielle ? Okay vous parlez français mais vous avez d’autres dialectes ». Des amis venus du Sénégal, du Cameroun ou du Congo lui relatent les mêmes expériences au quotidien comme Daniel, un jeune Camerounais. Dans les nombreuses entreprises où il passe, son orthographe et la qualité de ses mails suscitent surprise et admiration chez ses collègues. On ne manque pas de le féliciter, et « ce talent » anime les pauses-déjeuners. Daniel est ingénieur en informatique. Quant à Annie congolaise, son entourage lui prête souvent des origines bourgeoises dans son pays d’origine. « Au début je me vexais, et un jour j’ai compris que si l’identité c’est aussi la langue, alors un Français qui ignore où l’on parle sa langue, ignore sa culture », confie un jour une amie à Pamela.


Les pays africains où le français est la seule langue officielle
source Observatoire de la francophonie
source : observatoire international de la francophonie.

59% des francophones résident en Afrique 

En 2018, l’espace francophone comptait près de 300 millions de locuteurs, soit 36% de plus qu’il y a huit ans. « 90% de ces nouveaux locuteurs viennent d’Afrique », souligne l’Organisation Internationale de la Francophonie dans son rapport « la langue Française dans le monde ». L’Afrique est le continent où résident la majorité des francophones soit 59%. C’est aussi la région où la langue est la plus parlée quotidiennement (77%) contre 14% en Europe et 7% pour l’Amérique-Caraïbe. Cela en dépit des difficultés liées à la scolarisation. En effet, toujours selon le rapport, en Afrique subsaharienne 71% des enfants en deuxième année de primaire n’ont pas un bon niveau de français. Pourtant 60% des personnes qui apprennent la langue se trouvent en Afrique. Une progression de plus d’un quart, soit la plus importante quand l’apprentissage du français est en recul notamment dans les régions Amérique-Caraïbes (-12%) et  d’Asie (-34%).

Dans les pays africains le français arrive souvent en 2èmeposition

En dépit de la présence de langues traditionnelles, le français est souvent la deuxième langue employée dans les pays d’Afrique francophone. Cette position dépend de l’usage des langues nationales constate le rapport de l’OIF. Par exemple au Gabon et en Côte d’Ivoire elle est la première langue partagée par l’ensemble pour les échanges où au Sénégal c’est le wolof ou encore l’arabe au Maghreb.



Dans le titre « Le Bilangoum » (dictionnaire), le groupe de Hip-Hop gabonais Movaizhaleine explique les mots et expressions du Toli bangando, argot gabonais mélange de français et d’autres langues nationales.

Au Gabon et en Côte d’Ivoire, en plus des langues nationales, on retrouve aussi « des variantes de la langue française et/ou parfois combinées à d’autres langues, (le nouchi en Côte d’Ivoire et le toli bangando au Gabon) » souligne l’OIF. Par ailleurs l’usage de la langue française continue de progresser en Afrique. Sur les 22,7 millions de nouveaux locuteurs recensés en 2010, 68% se trouvait sur la région sub-saharienne. Dans ces conditions, nul doute que le continent représente un acteur prépondérant dans l’avenir de la langue française.

 


France-préfecture : demain dès l’aube tu iras le ticket n’attend pas

En France l’accueil en préfecture des candidats au séjour relève souvent du parcours du combattant. Les tickets distribués étant limités, avec ou sans rendez-vous, demandeurs d’asile, étudiants et résidents viennent dès l’aube.

5h30 du matin, préfecture de Melun 77, 2010. Les portes de l’administration ouvrent à 9h30 mais déjà devant les grilles une centaine de personnes forment une file anarchique. Une grande majorité d’entre elles a bravé le froid hivernal dès 2h du matin. Objectif : être les premiers à entrer afin d’être assurés d’avoir un ticket. Un passage obligé pour déposer leur dossier ou récupérer leur titre de séjour. Dans l’obscurité, des étudiants, des pères et mères de famille avec leurs jeunes enfants tentent de rester éveillés tandis que les plus chanceux se relaient. Quand l’un va se réchauffer dans leur voiture, l’autre reste à garder la place dans les rangs.

9h45 les portes s’ouvrent. Un agent tente de mettre de l’ordre dans la foule soudainement surexcitée. Les gens se bousculent. « C’est la troisième fois que je viens, j’ai dû poser ma journée ! », s’impatiente un homme. Parmi la foule des « étrangers », certains se disputent, d’autres se résignent, cernés et excédés par le manque de sommeil. Dans l’entrée voisine, les demandeurs de carte grise défilent. Ahuris, chacun d’entre eux fixe la file bruyante avant d’entrer dans la préfecture.

Deux heures plus tard à l’intérieur, le calme contraste avec le brouhaha de l’extérieur. Pour accéder au ticket, il faut montrer son passeport voire une « convocation » en cas de retrait de titre de séjour. Le précieux sésame obtenu mène enfin vers la grande salle où se trouvent les guichets.

« Il n’y a plus de ticket, revenez demain »

Le petit coupon en main il faut attendre son tour souvent pendant des heures. L’espace a l’allure de celui des urgences à l’hôpital. La tension est palpable. Les agents visiblement exténués, s’expriment nonchalamment derrière les vitres de leur guichet. À l’entrée la distribution des tickets se poursuit. Soudain le silence religieux est rompu par des cris. Un agent de la paix en uniforme traîne un homme par la jambe. Il tente de le mener vers la sortie mais celui ci se débat. La compagne de ce dernier suit les deux hommes en hurlant. Au même moment, un jeune homme s’avance vers le guichet d’accueil sans un regard pour le trio bruyant. Il adresse à l’hôtesse un sourire de politesse. «Il n’y a plus de ticket, revenez demain ». Le nouvel arrivant ne cache pas sa déception. Derrière lui, dans la foule des murmures s’élèvent. Les candidats suivants ont compris qu’ils vont devoir partir. Une autre nuit blanche les attend. Une autre file interminable, et peut-être pas de ticket.

À Bobigny dans le 93, les places dans la file se monnaient

16h, préfecture des Hauts-de-Seine Nanterre 92, 2013. Excentré de la ville, le bâtiment préfectoral est sinistre et désert. À l’entrée, un seul agent de sécurité vérifie le contenu des sacs. Devant le guichet « étrangers », dans un silence de paroisse deux hommes attendent leur tour. « Mais elle est vide cette préfecture ! », s’étonne l’un un brin ironique. « Ah parce qu’à Bobigny hein, c’est pas ça hein il paraît qu’il faut venir camper des jours avant. » Ils rient jaune. « On m’a dit que certains vendent même leurs places dans la file », ajoute le deuxième feignant la confidence. Les deux hommes échangent des rires gutturaux ponctués de banalités sur leurs conditions « d’étrangers ».

Au guichet, une jeune femme vêtue d’une chapka verte tente de déposer des documents. La préfecture de Nanterre accueille uniquement sur rendez-vous et pour les retraits de titre de séjour. Les justificatifs pour les demandes doivent être envoyés par voie postale UNIQUEMENT. « À réception, vous allez recevoir un récépissé chez vous », lâche la fonctionnaire comme pour se faire entendre de tous. Les mains remplies de feuilles de papier, chapka verte acquiesce puis s’en va. L’un des hommes lui succède au guichet.

La préfecture envoie des SMS

12h30, préfecture des Yvelines 78 Versailles, 2017. Jean, sweat et basket, ici la majorité des agents ont des visages juvéniles. Ils accueillent assis derrière la fenêtre vitrée de leur guichet. Un couple s’est installé à l’un d’entre eux. En face, une petite blonde leur sourit avant de prendre leur pièce d’identité. Pendant qu’ils discutent, une jeune femme s’approche en trottinant. Essoufflée, elle remet des documents à la fonctionnaire et récupère un récépissé. « Merci, au revoir, bonne journée. » Deux jeunes enfants jouent, tandis que des bips répétitifs sur les écrans indiquent les numéros appelés. À l’entrée, chaque demandeur est orienté vers le guichet adapté. Les agents reçoivent au cas par cas. Désormais les rendez-vous se prennent par mail et chaque « candidat au séjour » doit se présenter en fonction de son cas. L’administration envoie même des textos une fois les titres de séjour disponibles. L’ambiance détendue des lieux témoigne de cette nouvelle organisation.

6h du matin, préfecture de Versailles 78, 2018. À l’arrêt de bus, interloqués, les passants observent avec intérêt une chenille humaine de plusieurs centaines de mètres. Demandeurs d’asile, étudiants, conjoints ou parents de Français, frigorifiés attendent. Objectif : avoir un ticket.

 


La dépigmentation : malédiction africaine post-coloniale et religieuse ?

« Femme nue, femme noire vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté j’ai grandi à ton ombre… » Ainsi parlait Léopold Sendhar Senghor en hommage à la beauté de la femme africaine et de ses couleurs ébènes, amandes, café… Aujourd’hui ses mots restent des rumeurs. Les muses courent de manière exponentielle vers un idéal plus occidental. Qu’elles emploient des moyens dits « cosmétiques » (hydroquinone, quinacore) ou des solutions radicales (eau oxygénée, javellisée et autres), les aspirant(e)s clair(e)s ne reculent devant rien, quitte à frôler la transparence ou le rouge tomate…

« Ambi» au Gabon, «Xeesal » au Sénégal ou Kobakwana et kopakola dans les deux Congo, la dépigmentation est apparue en Afrique vers la fin des années 60, période qui correspond aux indépendances africaines, notamment des pays les plus touchés (Togo, Sénégal, Mali, Congo). Coïncidence ? Pas tant que ça. Si les femmes concernées avouent des motivations esthétiques, le fait est qu’elles sont intimement convaincues que les hommes préfèrent les femmes plus claires. D’ailleurs dans certains pays comme les deux Congo, la gent masculine la pratique, qu’elle soit anonyme ou célèbre (on ne cite pas les contemporains) avec la même ardeur. Plus que le désir de vouloir cadrer avec un modèle de beauté, il s’agit bien de l’expression d’un mal être social. Même outre-atlantique certaine célébrités noires s’affichent de plus en plus claire de peau, les cheveux lisses, les traits affinés.

« Cette attitude des noir(e)s par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatisme post-colonial »

D’après Frédéric Ezembe, psychologue spécialiste des communautés noires. Le psychologue estime que le rapport de domination « maître/esclave » hérité des colonies persiste et serait l’une des causes profondes de la dépigmentation,  d’une part. D’autre part, ces racines coloniales se seraient légitimées insidieusement dans les mœurs par les dogmes religieux. En effet, depuis son arrivée au Ier siècle, l’Afrique est le continent où la religion catholique se développe le plus rapidement. Selon les Nations Unies en 2050, le continent comptera 322, 2 millions de fidèles pour 1,8 milliards d’habitants.  Or les représentations des grandes figures de la bible y sont exclusivement blanches. Notamment en Afrique subsaharienne où les portraits caucasiens de Marie, Joseph ou encore ceux des anges trônent majestueusement dans les séjours des maisons familiales depuis des générations. « Pas étonnant qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeure partie des sociétés africaines», ajoute le psychologue. En Ethiopie, seul pays non-colonisé du continent et orthodoxe, Jésus, sa mère,  Saint-Georges et les autres figures bibliques, ont le teint caramel et des petites têtes crépues. Coïncidence ou non, la dépigmentation n’y connaît pas le même succès.

Fresque de Marie et Jésus, cathédrale d’Axum, Ethiopie

« Je n’offre des verres qu’aux métisses »

S’il convient que les femmes, principales victimes de cette tendance malheureuse, sont aliénées par une envie de plaire, il semblerait qu’il existe une réelle préférence. « Je n’offre des verres qu’aux filles métisses », explique par exemple un jeune homme noir à une amie dans une discothèque de Libreville. Certains hommes et tout un système tolèrent et nourrissent cette gangrène. De même que le laxisme en termes de publicité. Dans de nombreux pays les produits dépigmentant jouissent de vitrines promotionnelles, même en Occident où ils se jouent de l’amalgame éclaircissant/dépigmentant. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCR) publiait une liste des produits éclaircissants de la peau non conformes et dangereux identifiés en France (16/11/2011) (61 ko) pour les indécis(es).

 

Un marché de 5 milliards FCFA

En 2014, le Sénégal fut le ring d’une bataille entre deux marques de produit dépigmentant. Ces dernières rivalisant de promesses plaquées sur des panneaux publicitaires géants présents dans tout le pays, ont fait monter au créneau des personnalités outrées par tant d’audace. Ainsi la militante des droits de la femme, kiné Fatim Diop, soutenue par des stylistes et autres figures influentes, avaient riposté par la diffusion d’affiches contestataires. Mais l’impact de ces actions restent mitigé. Au Sénégal, la dépigmentation rapporte près de 5 milliards de francs CFA (source Seneweb news).

Poursuite d’un idéal ou rejet identitaire, se décaper la peau reste une véritable tragédie encore jouée par une trop grande partie de la population noire. L’influence sociale voire religieuse, et la loi de l’omerta restent autant de freins à son combat.

 

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