Mamadou Alimou SOW

Amadou Boukariou Baldé, chronique d’une mort annoncée

Boukariou (©Facebook)

Vendredi 7 juin 2019, j’ai pris place aux côtés des journalistes à la Maison de la presse de Guinée dans une salle comble. En face, derrière un mur d’enregistreurs, de micros et de caméras, Mamadou Mouctar Baldé, le père d’Amadou Boukariou Baldé, entouré de plusieurs proches. Au fond de la salle, quelques femmes membres de la famille sont assises en silence, le regard triste et fuyant, les yeux embués.

Ils sont tous là pour parler de leur fils au passé, un terrible butin entre les mains : le rapport du médecin légiste qui a autopsié le corps d’Amadou. Cause du décès selon le spécialiste : « traumatisme cranio-encéphalique avec engament bulbaire et arrêt respiratoire ». Derrière le jargon impénétrable du médecin se dresse une terrible vérité. Le jeune homme a été tué atrocement, à coups d’objets contondants.

Amadou Boukariou Baldé, 21 ans, est mort le vendredi 31 mai 2019 à l’hôpital régional de Labé. Il était inscrit en licence d’informatique à l’Université de Labé où, dans la journée, une montée de tension entre étudiants et enseignants a tournée à l’affrontement. De son propre aveu, le gouverneur de la région, Madifing Diané, a requis l’intervention des forces de l’ordre qui ont fait ce qu’elles savent si bien faire : réprimer. Résultat : au moins trois étudiants blessés dont un, Amadou, grièvement.

Les photos de lui, blessé – que je ne partage pas ici par pudeur – montrent un jeune homme au visage tuméfié, un œil poché, une arcade sourcilière fendue, la bouche maquillée de sang. Mais il est conscient. Ses camarades l’évacuent en moto à l’infirmerie démunie de l’Université, puis en voiture à l’hôpital régional où le blessé se retrouve aux urgences après plusieurs heures de ballotage.

Une proche de la victime l’ayant vue en salle de réanimation décrit une prise en charge catastrophique. Préoccupée par son état critique, cette femme a vainement insisté pour l’évacuation d’Amadou à Conakry pour de meilleurs soins. Les médecins, eux, étaient plus préoccupés du paiement des frais de leur prestation que de la survie du patient. Le serment d’Hippocrate disséqué au scalpel. Symptôme de la maladie qui ronge notre système de santé miteux.

Amadou est finalement mort. Très vraisemblablement faute de soins appropriés. Une nouvelle plus difficile à rendre publique qu’une prise en charge responsable et professionnelle de l’étudiant délibérément blessé. Ce n’est que le lendemain, samedi, que sa mort a été annoncée par les autorités régionales prétendant qu’il est décédé au cours de son évacuation à Conakry. Sans doute pour se protéger et éviter la colère des étudiants. La vérité est désormais connue de tous : Amadou est bien mort à l’hôpital de Labé.

Son père Mouctar, vieil enseignant réputé pour son honnêteté et sa pondération, ne décolère pas d’avoir été mené en bateau, lui qui s’était immédiatement mis en route avec son épouse pour Labé en apprenant le grave état de santé de leur fils. Voyageant de nuit, perdus par des messages contradictoires de l’hôpital au sujet de l’évacuation, ils ont dû dormir en cours de route à Dalaba grâce aux bons offices d’un étudiant serviable. L’ambulance censée les prendre en chemin est passée sans prévenir, puisqu’elle transportait non pas Amadou vivant mais son corps.

« C’était notre espoir », soupire Mouctar, digne mais la voix nouée d’émotion. Amadou était son seul grand garçon à l’université. Ses petits frères sont encore trop jeunes pour que leur père, la soixantaine, puisse de nouveau goûter à la joie de voir sa progéniture entamer des études universitaires. « Pieux », « sérieux », « studieux » c’est la trinité qui sort de la bouche de ceux qui témoignent au sujet de son défunt fils. Quel gâchis !

Une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur ce qui s’apparente à un homicide volontaire. La pression de la famille qui a déjà produit deux communiqués et organisé une conférence de presse sans exclure de déposer plainte, la forte médiatisation de l’affaire et la peur d’une révolte estudiantine à effet domino, en sont pour quelque chose. Aucun suspect annoncé à ce stade.

La question centrale à laquelle devront répondre les enquêteurs est de savoir qui a tué Amadou ?

Nul ne se fait d’illusion sur la mince probabilité d’obtenir la réponse à cette question quand on connait le sort de nombreuses enquêtes similaires.

Mais pour qui connait l’histoire tumultueuse de l’Université de Labé et la tradition répressive des forces de sécurité en son sein, sait que la mort d’Amadou Boukariou Baldé était presque prévisible. C’était soit lui ou un autre étudiant. Ce que l’on ignorait c’était quand et comment ça devait arriver.

Lancé au début des années 2000 dans l’optique de désengorger l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, le Centre Universitaire de Labé (devenu Université entre temps) a connu une longue traversée du désert. Il n’existait quasiment que sur papier, c’est-à-dire le niveau zéro de l’infrastructure.

A mon arrivée-là en février 2004 en tant qu’étudiant, l’Université se résumait à deux bâtiments de trois salles de classe chacun, enracinés au milieu d’une friche infestée de serpents et de scorpions. Elle est implantée à Hafia, à 20 km de Labé-ville. Un seul forage pour près de 400 étudiants accueillis et hébergés par des villageois généreux. Le choc de cultures entre arrivants et résidents est si retentissant qu’il modifie profondément le mode de vie des villageois. C’est digne d’une thèse doctorale.

Promiscuité, précarité, conditions de vie spartiates, la première crise éclate dès 2005. Elle culmine avec un phénomène insolite. Plusieurs étudiants se plaignent de la vision nocturne d’un phénomène paranormal apparaissant sous la forme d’un diable, d’un sorcier ou de quelque fantôme horrifiant. On exige d’être immédiatement transféré en ville. Une marche pacifique est organisée sur les 20 km séparant Hafia de Labé. Chants patriotiques et rameaux en main. Les militaires du camp de Labé nous interceptent à l’entrée de la ville dans un face-à-face tendu mais l’affrontement sera évité de justesse.

La promotion suivante aura moins de chance. Les étudiants sont plus nombreux, sans que les infrastructures ne suivent. Les conditions de vie et d’études sont exécrables. Une violente émeute éclate début 2006. Elle est réprimée sans pitié. Les militaires font une descente musclée, y compris dans les logements, et frappent sans discernement. Passage à tabac, vol d’objets personnels, de nombreux blessés et plusieurs arrestations. Ils font le siège de l’Université, donc du village, pendant plusieurs jours organisant une véritable chasse à l’homme des étudiants. Terrifiés, certains rentreront définitivement chez eux.

Le déficit d’infrastructures obligera les autorités à louer de plus en plus salles de classe en ville, créant d’emblée un second campus. Mais l’université n’était pas seulement en manque d’amphithéâtres, de dortoirs, d’eau et d’électricité. Les curricula de formation étaient également incomplets, voire carrément inadaptés. On naviguait à vue.

J’ai été orienté à Labé dans une filière pour le moins étonnante appelée « Anglais-bureautique » niveau DEUG. Pour terminer diplômé de maîtrise en Administration générale après avoir pris des cours de droit, d’économie, de sociologie, de comptabilité, d’informatique (système MS DOS), de gestion, de secrétariat (classement), de traduction, de grammaire (y compris en anglais), etc.

Et ce n’était pas propre qu’à notre promotion. Le 26 mars 2007, un groupe d’étudiants a séquestré durant plus d’une heure le directeur général de l’époque du Centre universitaire, Alkaly Bah, et le directeur national de l’enseignement supérieur, Ibrahima Moriah Conté. Ce dernier avait publiquement avoué que certaines filières créées au centre n’étaient pas validées.

Si aujourd’hui, près de 20 ans après sa création l’Université est finalement partiellement sortie de terre (plusieurs salles de classe, des bureaux et amphi, etc.), les problèmes pédagogiques, marqués par les petites combines autour des notes et la délivrance des diplômes, subsistent.

Les affrontements au cours desquels Amadou Boukariou Baldé a été battu à mort sont justement liés à ces problèmes pédagogiques. Il aura payé de sa vie les errements sédimentés de la gouvernance improbable du secteur de l’éducation. Les coups mortels portés sur lui, sa prise en charge sanitaire catastrophique et l’impunité qui se profile à l’horizon, sont les symptômes d’un État défaillant. Repose en paix Amadou.


Respirez, c’est la Basse-Guinée !

Lac de Koba
Lac de Koba. Crédit Lims.

Sortir. Sortir la tête des dossiers, ranger souris et clavier pour se refaire les idées le temps d’une journée. Sortir surtout de Conakry, ville surdimensionnée, ville-élastique, ville-capharnaüm avec ses rues étriquées et encombrées, ses quartiers surpeuplés, ses habitants pressés et indisciplinés, son air irrespirable, empesté d’odeur de détritus brûlés à même la chaussée. S’échapper de ce chaudron de cité pour aller humer l’air pur de l’intérieur du pays, pour communier avec la nature qu’on a réussi à mutiler et à transformer dans la capitale.

Mes collègues et moi avons réussi ce pari, un fameux jeudi 14 mars, en 2013.

Cap sur Koba, dans la zone de Boffa. Un écrin de beauté à l’état pur niché au cœur de la Basse-Guinée, l’une des quatre régions naturelles du pays à l’origine du nom de « Rivières du Sud » de la Guinée d’antan. Nos 4×4 avalent les quelque 150 kilomètres d’asphalte en un rien de temps. Le nez collé à la vitre, l’œil rivé à l’horizon, appareil photo dégainé, je redécouvre la beauté de mon pays, en mode touriste.

La ville de Dubréka franchie, les montagnes imposantes de la dorsale guinéenne défilent rapidement à ma droite, faisant place à un pays plat au paysage époustouflant. Des cocotiers élancés, des palmiers symétriquement rangés alternent avec des plaines verdoyantes et encaissées. L’habitat est dispersé. Les gamins couverts de poussière courent les ruelles, l’air insouciant. Des femmes lavent le linge dans les cours d’eau sous les ponts. Des cases en banco et des maisons aux tôles rouillées rappellent le classement PNUD 2012 de la Guinée au rang de 178ème pays le plus pauvre au monde. Le grincement des quatre ponts métalliques de Tanènè, construits sur le Konkouré à la faveur du projet de l’usine d’alumine de Friguia, à Fria (première en Afrique, aujourd’hui à l’arrêt), confirme tristement ce classement.

«Qu’avons-nous fait de nos 54 ans d’indépendance ? »

J’ai failli poser la question au feu Général Lansana Conté dont la statue est figée pour l’éternité à la sortie de Tanènè. Virage à gauche, nous entrons sur les terres de l’ancien président de la République, mort le 22 décembre 2008 et enterré ici. Une belle palmeraie, quelques routes bitumées et des coquettes mosquées. C’est l’héritage qu’il a laissé à «ses parents» qui continuent à le bénir. Aucune infrastructure impressionnante. Je suis un peu déçu par rapport aux légendes qu’on entendait du temps de Conté, et qui faisaient de Koba un pays de cocagne.

Encore quelques kilomètres, cette fois sur une piste rurale poussiéreuse, avant d’arriver à Filaya où nous visitons un projet agricole. Quarante-cinq hectares de plaine de mangrove aménagés grâce au financement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre d’un vaste projet de rizière. Des digues à perte de vue pour maîtriser l’eau salée d’un bras de mer. Le rendement est de 2,5 tonne de riz à l’hectare, explique le coordinateur du projet qui emprisonne dans sa main une carte en couleur de la zone. Du riz 100% bio, obtenu grâce à des techniques d’irrigation simples. On n’a pas les chiffres exacts sur le nombre de personnes impactées par le projet, mais des paysans dépenaillés, visiblement impressionnés par les visiteurs, se disent «satisfaits».

filaya2
Crédit Lims.

Je me dis qu’avec une politique agricole cohérente, la Guinée pourrait assurer son autosuffisance alimentaire et exporter ses excédents de production, surtout en riz. L’idée est géniale mais reste un rêve pour l’instant. D’ailleurs, je ne puis m’empêcher de sourire en pensant à ces tonnes de riz blanc insipide en provenance d’Asie dont on nous gave…

Le soleil est au zénith, l’air devient chaud et sec. Un bon repas et une petite sieste s’imposent. Pour ça, il existe un endroit idéal situé à un jet de pierre de là : l’Auberge du lac.

C’est un hôtel rustique installé sur un domaine de quatre hectares (dont un et demi exploité) situé en bordure d’un lac artificiel d’eau douce. Des bungalows en cases rondes au mur en béton et à la toiture de chaume. Savant mélange de tradition et de modernité qui se ressent jusque dans les 14 chambres disponibles de l’auberge. Clim, toilette moderne avec eau chaude, décoration sobre, propreté impeccable sur laquelle veille en permanence la charmante Laou Buée, la patronne du coin. J’imagine que le client ne regrettera pas les 500.000 GNF (55 euros) la nuitée.

Au restaurant de la paillotte, vous pouvez siroter au choix, un Coca frais ou un verre de jus d’hibiscus fait maison et manger des brochettes de capitaine et du couscous … marocain. Le tout les pieds dans l’eau, les oreilles bercées par le chatouillant clapotis de l’eau bleue du lac. On respire la nature à plein poumons. Un havre de paix dans lequel repose à tout jamais l’ancien président Lansana Conté dont aperçoit, de l’autre côté du lac, le mausolée qui se détache au milieu de la verdure. On ne sent pas le soleil qui glisse doucement à l’horizon. L’endroit fait rêver et donne envie de rester.

Mais il faut vite rentrer à Conakry en faisant, si possible, un crochet sur les Cascades de la Soumba, site touristique situé près de Dubréka. On y arrive en début de soirée. Un peu déçus je l’avoue. Nous sommes en plein mois de mars, c’est l’étiage. L’eau a déserté les cascades et l’endroit est un peu tristounet. Caprices de la nature, folies de l’être humain qui détruit son environnement immédiat et éprouve l’envie d’aller chercher ses bienfaits ailleurs…

Je regagne Conakry, les poumons chargés d’air pur, l’esprit léger comme une plume avec l’envie de retourner si souvent d’où je viens. Pour respirer la Basse-Guinée!


Union entre Ibrahima Diallo et Asmaou Barry, un mariage tradi-moderne

Crédit photo: Diaby

Il est des unions au sujet desquelles nul besoin de posséder le don de l’oracle pour prédire qu’elles sont inscrites dans le marbre pour durer éternellement. L’union entre Ibrahima Diallo, juriste, et Asmaou Barry, journaliste, sont de celles-là.

Ibrahima et Asmaou c’est avant tout une ressemblance physique saisissante qui les ferait passer pour frère et sœur. Une beauté sans fard pour l’une, une élégance sans extravagance pour l’autre. Ceux qui connaissent et côtoient ces deux activistes défenseurs des droits de l’homme les décrivent individuellement et invariablement par les mots « sympa », « simple », « serviable », « humain/e », « engagé/e », « généreux/se ». Des qualités qu’ils ont décidé, librement, de mettre en commun pour les rendre encore plus éclatantes, par les liens sacrés du mariage.

De leur mariage, Asmaou et Ibrahima ont réussi à le rendre mémorable, que dis-je, exemplaire pour ceux qui, comme moi, ont eu le privilège d’y assister.

D’abord le mariage religieux célébré, fin décembre, dans la plus grande sobriété – j’ai envie de dire presque en catimini – et dans la pure tradition peule. Réunion des sages à la mosquée, assis par cercles concentriques, les deux familles des mariés d’un côté et de l’autre, sous l’arbitrage du conseil des sages et des imams. Noix de colas et billets de banque font la navette avant que la cérémonie ne s’achève par un tombereau de bénédictions pour l’éternité de l’union et la baraka de la descendance.

Puis le mariage civil, célébré ce dimanche 13 janvier, toujours dans la même sobriété avec la signature de l’acte de mariage devant l’officier de l’état civil à quatre, chacun avec son témoin. S’en est suivie l’habituelle cérémonie de réjouissance mais cette fois si originale qu’elle a toutes les chances de constituer une jurisprudence. Sobre. Simple.

La simplicité, c’est le maître mot !

Elle était dans la tenue des mariés ce dimanche. Oubliez le fameux costume-cravate même par 42° à l’ombre comme on le voit régulièrement dans les mairies aux salles de cérémonie exiguës. Oubliez surtout la fameuse robe pacotille de la mariée avec une traine mimant la longueur de celle de la princesse Meghan Markle mais si différente en terme de qualité… Le couple a préféré tailler sa tenue dans le tissu traditionnel guinéen, du côté du Fouta, aux motifs appelés « Sity Salade« . Une longue tunique en deux pièces pour Ibrahima, une jupe longue rehaussée d’une robe courte, l’ensemble assorti d’un mouchoir de tête artistiquement noué, pour Asmaou. Du bleu. Du beau. Du simple.

Une simplicité vestimentaire adoptée également par le couple de Parrain et de Marraine. Une élégante veste, toujours en tissu guinéen, pour M. le Parrain, Mamadou Baïlo Barry, une robe scintillante pour Mme la Marraine, Asmaou BAH (la ressemblance jusqu’au prénom). La Marraine était surtout flamboyante par sa coiffure traditionnelle peule en forme de crête : « dioubâdhé ». Exit mèche brésilienne, coiffe à l’européenne, perruques à l’ancienne faisant passer leurs porteuses, le visage noyé de maquillage à outrance, pour des clowns de foire.

Simplicité également dans le cérémonial. Pas de cortèges d’autos et motos polluantes et bruyantes, donc pas de risques d’accident de circulation qui gâchent certains mariages, voire les endeuillent. Le couple a préféré rejoindre le public à pied, précédé de sublimes fillettes dans la dizaine.

Simplicité, enfin, pour le spectacle. Loin des orchestres à un million de décibels, le couple Diallo a préféré innover en invitant deux artistes traditionnalistes de deux cultures différents: malinké et peul. « Saran de Siguiri », connue pour sa magnifique voix à l’image des glorieux griots de la lignée des « Ballafassékès » du vieux Mandingue, et Farba Adams LY, griot peul vêtu d’une tunique ouverte aux quatre vents, telles les ailes déployées d’une chauve-souris, et coiffé d’un casque de berger peul sanglé au niveau du menton.

Sur un air de musique douce, le duo alternant magnificences et rappels historiques en Poular et Maninka, était à la fois admirable et convaincant. Le Foutah et le Mandigue aux traditions séculaires et ressemblantes, réunies par deux belles voix.

Aucun mendiant pour vous harceler à cause d’un billet de banque, aucune occasion donnée aux « nouveaux riches » pour faire étalage de leur avoir à l’origine souvent douteuse. Les artistes étaient là pour chanter, pas pour mendier, le public là pour écouter, apprécier et applaudir quand c’est nécessaire.

Originalité et simplicité auront été présentes jusque dans la nourriture servie: l’incontournable Latsiri-et-Kossan en milieu peul et quelques curiosités étrangères pour enrichir les mets, le tout accompagné des breuvages constitués du gingembre, de l’oseille de Guinée (Bissap) et de quelques canettes de jus de fruit.

Ibrahima et Asmaou, puisse Dieu bénir votre union et inspirer les futurs couples à effectuer cet utile retour aux sources. Soyez heureux pour toujours.


Satigui, le sorcier !

crédit image: pixabay.com

Naître et grandir au village toute l’enfance et une partie de mon adolescence n’ont jamais réussi à émousser mon esprit cartésien acquis sans doute à l’école française. Mon raisonnement est quasi-systématiquement guidé par les principes de la science.

J’ai donc fichtrement du mal à croire à la sorcellerie, contrairement à une bonne partie de mes compatriotes surtout les analphabètes et les villageois.

Ceux-ci sont convaincus que certaines personnes -les sorciers- disposent des pouvoirs maléfiques capables de détruire un individu soit en le ruinant économiquement, soit en l’éloignant volontairement de son pays, voire en le tuant. Dans ce dernier cas, on dit « qu’on l’a mangé ». Selon ces croyances, les sorciers cannibales seraient capables à la nuit tombée de se transformer en animal (hibou, serpent, hyène, abeille…) pour jeter un sort sur leurs malheureuses cibles.

Ainsi, à chaque fois que je m’apprête à aller au village, on multiplie les conseils de précaution : « n’annonce pas ta venue, ne viens surtout pas avec une voiture, ne sers pas la main d’un tel, ne mange jamais chez cette vieille, évite de t’assoir à tel endroit, etc. »

Sans tomber dans la provocation, je n’ai jamais suivi tous ces conseils à la lettre. Même si je ne tente jamais le…sorcier, je ne vois pas comment quelqu’un peut être capable de se transformer en oiseau pour aller « manger » un être humain. D’ailleurs, en admettant que ce soit possible, pourquoi alors les sorciers du village ne sont pas les plus aisés ? Pourquoi n’ont-ils pas plus d’embonpoint ? Pourquoi tous les villageois ont la peau rugueuse, les mains ravagées par des cals, la démarche mal assurée à cause du dur labeur ?

À chaque fois, on me rétorque « c’est parce que tu n’es pas sorcier, tu ne connais pas leur monde. Tu es ignorant de leur science occulte. »

Alors, cette fois j’ai voulu savoir moi-même. Comme pour les chasseurs de phénomènes paranormaux dans les émissions télé, j’ai tenu à vérifier la véracité ou non de ma conviction que la sorcellerie n’existe pas ou en tout cas un être humain ne peut pas se muer en animal de manière réversible.

Je me suis dit que la meilleure manière de le faire est de pénétrer le monde de la sorcellerie si celle-ci existe. J’ai donc profité de mon récent séjour au village pour me rapprocher du vieillard considéré comme le plus grand sorcier de la contrée:  « Satigui Barry ».

Après plusieurs jours de contacts nocturnes réguliers et dans la plus grande discrétion, j’ai réussi à convaincre le vieil homme que je voulais faire un petit stage pour apprendre des « choses cachées » qu’on lui prête de détenir. Il a fini par accepter. La découverte que j’ai faite à travers cette expérience inédite que je compte partager avec vous dans les prochains jours, dépasse l’imagination !

C’est donc au bout de plusieurs jours de conciliabules menés dans le plus grand secret que je réussis à convaincre le « redoutable sorcier » Satigui Barry, de m’apprendre un peu de « sa science occulte ». Pour faire fléchir le vieil homme, il fallait tout d’abord le convaincre de ma détermination et de mon courage inébranlable à aller jusqu’au bout, puisque « jeune homme », me répétait-il, « vous vous engagez sur un chemin redoutable. L’aventure que vous entreprenez vous marquera à jamais et sachez que la transformation que vous allez subir sera irréversible », insista-t-il.

« Sörö (grand-père) » lui ai-je répondu, « je suis tout à fait conscient des risques que je prends en apprenant les secrets de la vie, mais je vous rassure de ma détermination à aller jusqu’au bout. Ma décision est prise et je ne compte pas reculer ». Pour être tout à fait honnête, en disant ça j’avais un peu d’appréhension car je pensais à ma petite famille, à mon épouse en particulier que je n’ai pas consultée avant de prendre cette décision lourde de sens.

Ma détermination venait moins d’une « soif de sang » que celle de me convaincre moi-même de l’inexistence de certains pouvoirs surnaturels que l’on prête aux sorciers. J’espérais, au plus profond de moi, que c’est totalement faux et que mon expérience me confortera définitivement dans ma conviction que la plupart des pouvoirs maléfiques attribués à certaines personnes relèvent exclusivement de la stigmatisation. C’est cette envie pressante de découverte qui me galvanisait et me procurait un courage dont je me sentais jusqu’ici incapable.

Si par la parole, je réussis à convaincre le Vieux Satigui, il fallait en faire bien plus. Le Vieux n’était pas dupe. En homme expérimenté, il me dit ouvertement que pour lui prouver mon sérieux, il allait me faire subir plusieurs épreuves au bout desquelles il s’engageait à me transmettre ce qu’il savait, à condition de les réussir bien évidement. Je lui donnai mon accord sans frémir, ignorant complètement ce qui m’attendait.

Mais avant de subir ces tests de courage et d’engagement, « l’Invincible » comme Satigui Barry m’intima de l’appeler dorénavant me promettant de m’expliquer ultérieurement d’où lui venait ce surnom, « l’Invincible » me proposa donc de discuter pour ainsi dire « des frais de scolarité »! Une de mes certitudes venait ainsi de tomber: je croyais, peut-être naïvement, que l’apprentissage de ces secrets les plus plus gardés se faisait gracieusement. Je pensais que la science occulte, si tant est qu’elle existait, se transmettait de manière naturelle, en tout cas de façon désintéressé. Erreur.

« l’Invincible » m’expliqua qu’il fallait payer. Le paiement était échelonné en trois tranches: les frais d’inscription suivis d’un premier acompte après la réussite de l’une des épreuves, puis le troisième versement à la fin de la formation. «Combien coûte chaque paiement et quel est le montant total ? » m’empressai-je de lui demander redoutant l’annonce d’un montant exorbitant que je ne possède pas.

De son glaçant sourire édenté, le vieil homme me fixa dans les yeux et me dit ceci: « tous les paiements se feront en nature. Ils seront frais et saignants » ajouta-t-il l’oeil pétillant, la lèvre inférieure frémissante. Une décharge électrique parcourut ma colonne vertébrale.

Comme depuis notre premier contact pour parler de ce sujet ultra-confidentiel, la conversation entre Satigui « l’Invincible » et moi avait lieu dans sa maison, à une heure tardive.

Sa maison était constituée d’une petite case au toit de chaume isolée du reste des concessions où personne n’osait plus entrer depuis bien longtemps. Satigui faisait peur. Plus qu’une simple crainte, « Satigui le sorcier » comme on le surnommait, suscitait l’effroi au point que l’on évoquait son nom pour calmer les enfants récalcitrants: « si tu ne te tais pas, Soro Satigui viendra te chercher pendant la nuit ». Et le garnement la bouclait immédiatement.

Le vieux était au courant de la médisance des villageois à son encontre, tout comme la terreur qu’il suscitait. Il s’en fichait. Veuf depuis près de dix ans, le vieil homme vivait seul refusant catégoriquement de se remarier après la mort tragique de sa seconde épouse.

Il avait perdu son unique fils alors que celui-ci était âgé de seulement une vingtaine d’années. « Un beau gosse » se remémorait-on dans le village. Il s’appelait Oury. Le jeune homme avait trouvé la mort dans le champ de riz de son père qu’il surveillait contre les animaux chapardeurs comme les vervets, ces petits singes arboricoles à l’agilité étonnante et qui sont particulièrement néfastes pour le riz arrivé à maturité.

Pour avoir une vue panoramique du champ, on construisait une sorte de guérite à l’aide de rondins de bois montés sur quatre piquets. Le surveillant se perchait là-dessus pour chasser les animaux nuisibles en faisant du bruit ou en se servant d’une fronde pour lancer vigoureusement des pierres. C’est ce que faisait Oury ce jour-là lorsqu’il chuta de la guérite et s’empala sur une souche pointue qui l’éviscéra mettant tous ses intestins dehors !

Trente ans après cette scène macabre sur laquelle tomba son père le premier, on en parlait encore dans toute la contrée avec circonspection. On continuait à supputer que le vieux Satigui n’était pas innocent dans cette mort tragique de son unique fils…

Sa première femme quant à elle était décédée à l’âge de 60 ans d’une « mort naturelle » disait-on. Tout le contraire de la seconde épouse, Hawa, la maman du malheureux Oury. On la décrivait comme une femme à la beauté divine, généreuse et d’une grande discrétion. La mort de son fils unique la bouleversa au point qu’elle frôla la dépression mentale. Son propre destin n’en fut pas moins tragique quelques années plus tard.

C’était une fin de journée éprouvante pour Hawa. Rentrée du champ avec un fagot de bois morts en équilibre sur la tête, elle se hâtait de happer un seau pour aller chercher de l’eau au marigot avant le coucher du soleil. Son mari Satigui se morfondait dans son hamac tendu entre deux piquets en attendant le dîner qui n’était pas prêt d’être servi, Hawa devant piler le riz et faire la cuisine à son retour du marigot.

Celui-ci se situait à l’orée du village dans une vallée encaissée que l’on accédait en suivant un étroit sentier creusé dans la roche. La tête de source était protégée par un épais couvert végétal si luxuriant qu’on avait l’impression qu’il y faisait nuit même à midi. L’endroit dégageait un air sinistre, personne n’osait s’y attarder plus que de raison.

Hawa avait rempli son seau, s’était remise sur le chemin du retour lorsqu’elle aperçut une étrange forme noire dressée sur la route. Elle se pencha légèrement pour distinguer ce que c’était dans la pénombre. C’est à ce moment précis qu’elle sentit la violente morsure du cobra sur son mollet gauche. Elle poussa un cri effroyable, jeta le seau d’eau et se mit à courir vers le village. Mais à peine 200 mètres plus loin, elle s’écroula, ne voyant plus rien sur sa route. Le venin du serpent avait atteint son système nerveux et ses organes vitaux. Elle devint rapidement paralysée. Transportée à la maison par des hommes alertés par ses cris, elle rendit l’âme au petit matin plongeant tout le village dans une grande tristesse mêlée de détresse.

Quelque temps après cette troisième disparition autour de Satigui, les langues se délièrent. Comme pour sa première femme et son fils unique, on l’accusait d’être derrière la mort de Hawa qui avait affligé tout le village tant elle était appréciée pour ses exceptionnelles qualités humaines.

Beaucoup se demandaient pourquoi il l’avait « mangée », selon l’expression consacrée, alors qu’il l’aimait plus que tout, plus que même son défunt fils Oury « sacrifié pour rembourser une dette » auprès d’un autre grand sorcier, radotaient les spécialistes de potins de chaumière.

Il a fallu la mort d’un homme dans un village voisin, dans des conditions quasi-similaires que Hawa, pour que l’on comprenne le mobile de la disparition de celle-ci. Un mois jour pour jour après son décès, l’homme succomba d’une morsure d’araignée (au village, on dit que l’araignée lui a pissé dessus ). Or, cet homme était soupçonné d’avoir eu une aventure éphémère avec la défunte Hawa à la beauté irrésistible. « Satigui s’est vengé », accusa-t-on…

Ces faits tragiques et étranges étaient autant de preuves de la sorcellerie du redouté Satigui. Ils étaient régulièrement rappelés en guise de mise en garde à l’endroit d’incrédules comme moi. Au final, j’avais plus peur d’être vu en sa compagnie que de ses pouvoirs maléfiques.

Je m’étais introduit subrepticement dans la maison de Satigui. En dépit de l’heure tardive, – il devait être une heure du matin – j’étais passé par des chemins complexes et tortueux de peur d’être remarqué par quelqu’un qui saurait ainsi que je fréquentais nuitamment le vieux sorcier. Nous étions assis autour du feu qui crépitait au milieu de la case, la porte négligemment entrebâillée. Dehors, le calme de la nuit noire n’était perturbé que par le croassement d’une bande de grenouilles qui faisaient un tintamarre agaçant.

L’ombre de la silhouette frêle de Satigui dansait sur le mur circulaire de la case, dessinée par la flamme vacillante alimentée par quelques bûchers et des copeaux secs. Son visage osseux était orné de deux renfoncements dans lesquels étaient logés ses petits yeux presqu’invisibles. De ses trente-deux dents d’adulte, il ne lui restait qu’une seule incisive du bas que l’on apercevait quand il riait. Ce qui était particulièrement rare. Il avait des oreilles de lapin aux lobes tombants dont l’un, celui de gauche, portait un anneau d’argent. Satigui arborait également au cou une sorte de pendentif constitué d’un fil rouge portant une longue dent d’animal qui pourrait être celle d’une panthère.

Satigui fut, en effet, un chasseur de grande renommée. Était-ce là l’explication de son amour immodéré pour la viande ?

Le vieux était un carnassier redoutable. Il bavait à la seule évocation d’un bon morceau de steak saignant. Satigui ne se fendait d’un léger sourire que lorsqu’il évoquait la chair ou quand il chiquait son tabac mélangé à de la cendre. Il était peu disert. Les rares fois qu’il parlait c’était pour narrer ses exploits épiques de chasseur, racontant par le menu un duel héroïque avec un buffle au cours d’une battue ou bien lorsqu’il rentrait à la maison, le cadavre d’une belle biche entre les épaules, trophée arraché en solitaire pour le grand bonheur de sa bien aimée Hawa. Les murs intérieurs de sa case étaient décorés de têtes d’animaux empaillées qui constituaient autant de preuves de sa bravoure et de ses talents d’ancien chasseur professionnel.

Bien qu’il ne pratiquât plus la chasse à 70 ans, handicapé par une vue légèrement décadente et des rhumatismes aux articulations, Satigui ne manquait pas pour autant de la viande ! Il en mangeait régulièrement. C’était sa nourriture principale. D’ailleurs sa vieille casserole noircie par la fumée était toujours posée au feu, mijotant de quelque morceaux de viande dont lui seul savait l’origine. Il en avait également disposée en lanières fumant au-dessus du feu pour une longue conservation.

Ce n’était pas pour rien que sa case était surnommée « l’atelier de la mort ». Bref, le mystérieux régime carné du vieux Satigui était savamment entretenu.

Satigui s’était aperçu de mon embarras en décrétant que tous les paiements de mes frais d’apprentissage se feront « en nature » et que ceux-ci seront « saignants ». Il en riait d’un rire sardonique. Il attendait mon acception pour sceller notre « pacte ». Je devais répondre immédiatement, puisque c’était notre troisième entretien privé. Il avait estimé que la confiance s’était suffisamment instaurée entre nous, même s’il me restait les épreuves de confirmation à surmonter.

J’hésitai un bon bout de temps entre m’engager sans savoir où cette expérience autant passionnante que terrifiante me mènerait, ou bien abandonner et retourner définitivement dans mes incertitudes. D’un coup, je répondis:

  • Oui, j’accepte de relever le défi, comme je m’y suis déjà engagé. Je ne recule pas ! Dites-moi, qu’est-ce que je dois donner de « frais et saignant » pour mon inscription ?

Le vieux baissa la tête, réfléchit longuement, réajusta son collier dentelé avant de poser sur moi un regard inquisiteur.

  • « Encore une fois, es-tu sûr de ton choix jeune homme ? » fit-il.

« Oui, je suis sûr », répondis-je dans un tremblement à peine dissimulé.

Alors voilà ce que tu dois me ramener dans trois jours maximum: la tête saignante d’un porc-épic et neuf de ses piquants !

Bien qu’un porc-épic ne fut pas un animal qu’on puisse croiser tous les jours, même au village, j’étais légèrement soulagé par cette exigence car je m’attendais à bien pire. Mais pourquoi diable, Satigui voulait uniquement la tête du porc-épic et neuf piquants et pas l’animal en entier ? La question me brulait les lèvres, mais je n’osai pas la lui poser.

Comment faire donc pour mettre main sur un porc-épic vivant que je devais tuer et décapiter pour ramener sa tête et neuf des ses piquants à l’Invincible ? En voici un grand défi.

Le lendemain, je passai toute la journée à réfléchir sur cette question. Je n’avais plus que 72 heures, tout au plus pour respecter l’échéance. C’était fort embarrassant puisque même au cours de mon enfance villageoise où mes amis et moi pratiquions la chasse et la cueillette, je n’ai jamais eu à faire avec un porc-épic, ce rongeur à la robe couverte de piquants repoussants. Le gibier que nous chassions était constitué d’oiseaux que nous abattions au lance-pierres ou d’écureuils que nous pourchassions dans les galeries et que nous enfumions pour les débusquer et les tuer à coups de bâtons.

Du porc-épic, j’entendais des récits étonnants. On racontait que quand il se sentait menacé, cet animal était capable de se contracter, puis de lancer vigoureusement ses piquants qui filaient à grande vitesse telles des sagaies pour transpercer l’ennemi. Rares sont donc les chasseurs qui osaient l’affronter, même armés d’un fusil de chasse.

L’affaire était mal embarquée pour moi. Rapidement, je réfléchis à deux options: m’en occuper moi-même ou faire appel au service d’un chasseur. La première option me garantissait une totale discrétion, puisque comme l’a insisté Satigui, personne ne devait être au courant de nos agissements et que si cela arrivait, il y mettrait immédiatement un terme et j’en paierais les « lourdes conséquences » selon ses propres termes ! Je me devais donc d’être d’une extrême prudence. La faiblesse de cette option est que je ne savais pas trop comment m’y prendre pour tuer le porc-épic. Avec le service d’un chasseur, je maximisais mes chances de réussite mais je courais le risque de l’indiscrétion.

Mes réflexions me conduisirent à une solution intermédiaire. Essayer moi-même d’abord et, en cas d’échec, faire recours à un chasseur.

Pour n’éveiller aucun soupçon, je choisis de poser un piège pour attraper le porc-épic au lieu de me servir d’un fusil. Je pouvais bien en emprunter un mais on allait non seulement me poser des questions mais je devais impérativement obéir à « la règle du quart » qui consistait à ramener au propriétaire de l’arme le quart du gibier abattu. Et impossible de se dérober, à chaque fois qu’un coup de fusil éclatait, tout le village était au courant de son auteur mais aussi de l’objet du tir dans l’heure qui suivait.

J’avais quelques connaissances rudimentaires de pose de piège. Dans mon enfance, il m’est arrivé de poser quelques pièges pour attraper des perdrix sauvages. Mes copains et moi, nous nous servions de deux types de piège: le noeud coulant à l’aide d’une simple ficelle et la catapulte. Le noeud coulant était discret et particulièrement efficace s’il était bien préparé. La catapulte était un peu plus sophistiquée. Elle était constituée d’une tige à laquelle est attachée une ficelle solide. Il fallait tendre la tige à l’aide de la ficelle, puis mettre en place un système de déclenchement au sol. On disposait des baies sauvages comme appât pour attirer le gibier qui se faisait ainsi prendre violemment en déclenchant le système. J’optai pour le noeud coulant.

Après quelques renseignements recueillis discrètement, je réussis à localiser une zone où il était possible de croiser des porcs-épics. Problème: la zone était éloignée du village, mais aussi très vaste. Je priai pour qu’elle soit entièrement habitée par le rongeur que je cherchais.

Je sélectionnai trois ficelles en sisal particulièrement résistantes. J’en fis des noeuds coulants et posai trois pièges distants d’une cinquantaine de mètres au milieu des fourrés dans une zone éloignée de plusieurs kilomètres du village. Avec un peu de chance, me dis-je, j’attraperai au moins un porc-épic. Je ramenai des bâtons de manioc hachés comme appât que je dispersai d’un côté et de l’autre de chaque piège. Je rentrai au village à la tombée de la nuit avec l’intention de revenir inspecter les pièges tôt le lendemain.

Me voici sur les lieux. Mon coeur bondit en apercevant l’animal qui se débattait au bout de la ficelle. L’un des pièges avait fonctionné. Je sortis le coutelas dont j’étais armé pour achever le porc-épic. Mais à mesure que je me rapprochais en prenant moult précautions pour éviter un éventuel lâcher de piquants, mon enthousiasme s’amenuisait. Le gibier au bout du fil n’était pas, hélas, un porc-épic, mais un malheureux lapin. Je le libérai et le regardai s’éloigner en boitant. Satigui exigeait un porc-épic, pas un lapin.

J’inspectai les deux autres pièges. Vides ! Je rentrai au village un peu déçu. Plus que 48H avant l’expiration du délai, il fallait mettre en oeuvre le plan B.

Sana, le chasseur ne me posa pas beaucoup de questions lorsque je lui fis cas de mon désir, celui de trouver d’urgence un porc-épic. Il exigea simplement le prix de la cartouche de chasse. Il me rassura qu’il savait où trouver des porcs-épics, mais ne me garantis pas de pouvoir m’en ramener un au bout de seulement 48H. Pourtant, le délai était de rigueur et j’insistai sur ce point. Compte tenu de l’urgence, Sana me réclama alors le prix de cinq cartouches m’expliquant qu’il était obligé de consacrer les deux nuits suivantes à cette quête. J’acceptai avec empressement.

Sana, un taiseux dans la quarantaine, était réputé être un chasseur adroit. Il pratiquait la chasse nocturne à l’affût et ne rentrait jamais bredouille. Petit-fils d’un ancien chasseur de renom, il utilisait un fusil de chasse artisanal hérité de son grand-père dont les munitions étaient constituées de cartouches de chevrotines. La cartouche contenait soit 9 balles de plomb pour le gros gibier, soit 25 balles pour les oiseaux et les petits rongeurs. Je lui donnai les cinq cartouches, deux de neuf balles et trois de 25 dans l’espoir de le revoir le lendemain avec le butin.

Tôt le lendemain matin, comme promis, Sana le chasseur me remit une petite besace noire en peau de boa. Quand je l’ouvris, je faillis perdre connaissance de stupéfaction : à l’intérieur, il y avait la tête saignante d’un porc-épic et exactement neuf piquants !

Je n’en revenais pas ! Il me fallut de longues minutes avant de reprendre mes esprits. Par quel miracle, Grand Dieu, Sana avait-il su que je voulais uniquement de la tête du porc-épic et de neuf piquants et non pas de l’animal tout entier ? J’ouvris et refermai le sac machinalement à plusieurs reprises sans pouvoir lui poser directement la question. Sana ne prononça que deux mots énigmatiques à mon endroit avant de tourner les talons: « bonne chance » éructa-t-il! J’étais dans la tourmente.

Comme d’habitude, j’avais rendez-vous avec Satigui au milieu de la nuit. Je passai toute l’après-midi à ressasser la même question: comment Sana avait-il pu être au courant de la requête du sorcier alors que j’avais pris toutes les précautions pour éviter de suspicion ? J’étais sûr que personne ne m’avait jamais suivi. Nul ne m’avait vu partir ou revenir de chez lui…

En l’absence de réponse à mes propres interrogations, il me vint à l’idée cette folle hypothèse: et si Sana était Satigui en réalité ? N’était-ce pas lui, le « grand-sorcier capable de diverses transmutations réversibles » ? Mais quelles seraient alors ses réelles motivations: jouer avec moi ? me démontrer ses pouvoirs occultes de manière spectaculaire ? D’ailleurs, avait-il était sincère avec moi en s’engageant à m’apprendre son « savoir » ? Une question chassait l’autre.

Satigui ne m’avait, certes, toujours pas dit quels allaient être les frais à payer à la fin de la formation, mais qu’importe. Pas question de renoncer, je remplirai ma part du contrat.

  • « Bien » ! C’est le seul commentaire laconique que fit l’Invincible en inspectant le fond du sac que je lui remis tard la nuit chez lui, dans sa petite case fumante. Il sortit la tête du porc-épic et les neufs piquants qu’il examina longuement et compta consciencieusement. Il plaça son index sur le cou saignant de l’animal, le retira enduit de sang frais et le lécha avidement. Je frémis.

Je m’attendais à ce qu’il me demandât comment j’avais procédé pour ramener ce que je considérais comme un « trophée » tant il ne fut pas évident que je puisse réussir. Mais il ne dit mot en dehors de son « bien » lapidaire. Son attitude me rappela furtivement l’hypothèse selon laquelle Sana = Satigui…

Qu’allait-il faire de cette hideuse tête de porc-épic et de ces piquants ? Je n’allais pas tarder à le savoir en revenant chez lui, comme prévu, deux jours plus tard pour la nouvelle mission, le nouveau défi à relever. La tête du porc-épic vidée de sa cervelle et empaillée avait rejoint les nombreux trophées de l’ancien chasseur sur le mur intérieur de sa maison. Satigui avait néanmoins pris soin de la mettre légèrement à l’écart. Quant aux piquants, il les avait fichés dans une petite calebasse en deux cercles concentriques de quatre piquants chacun plaçant le neuvième piquant au centre du double-cercle. Je ne posai aucune question.

Satigui m’exposa les détails de la nouvelle mission à accomplir. De loin la plus redoutable pour moi.

  • « Jeune homme », dit-il sans me jeter le moindre regard, « la tâche que vous allez exécuter vous permettra de faire preuve davantage de courage ».
  • « D’accord », fis-je sans assurance. Il faut dire que la scène avec Sana me traumatisait toujours.
  • « La calebasse que vous voyez-là, précisa-t-il, en désignant le récipient contenant les neuf piquants, vous allez la déposer à Bêly au tiers de la nuit, au creux d’un arbre que vous trouverez au bout de la piste qui y mène. Au pied de l’arbre, vous devriez trouver, en cherchant, une clé en or contenue dans un canari. Vous devez me rapporter cette clé ».

Le mot « Bêly » à lui seul hérissa mes poils. À l’enfance, cet endroit sinistre fut pendant très longtemps notre hantise mes copains d’âge et moi. On nous menaçait de nous jeter à Bêly pour nous punir de nos bêtises. La nuit suivante nous en faisions de tonnes de cauchemars.

Bêly était une mare située dans une sorte de clairière à environ trois kilomètres du village. L’endroit était considéré comme la capitale de tout ce que la contrée comptait de diables, de sorciers et autres esprits maléfiques. Pour y accéder, il fallait emprunter un sentier qui traverse le cimetière du village situé lui-même dans une forêt luxuriante et inextricable. Je devais donc déposer la calebasse des piquants à Bêly à deux heures du matin, chercher et trouver une clé de cadenas en or ! Même dans Koh-Lanta, je n’avais vu un numéro aussi difficile et effrayant. Mais il fallait s’y plier.

Un pantalon jean et des bottes en plastique pour parer à une éventuelle morsure de scorpion ou de serpent. Ce fut tout mon équipement. Je me présentai chez Satigui la nuit à deux heures et quart en prenant toutes les précautions d’usage. Il me remit la calebasse recouverte d’un morceau de tissu blanc. Du linceul ? Pour m’éclairer le chemin, le vieil homme sortit un vieux fanal recouvert de suie qu’il dégagea en soufflant dessus. Il alluma la lampe avec grand-peine et me la tendit. Avant mon départ, Satigui me répéta pour la énième fois deux consignes fermes: ne jamais me retourner après avoir déposé la calebasse dans le creux de l’arbre et pris la clé, ne jamais soulever le couvercle pour tenter de découvrir la contenance.

  • « C’est promis » parvins-je à marmonner, étreint par l’angoisse, avant de m’emparer de la lampe et la calebasse que je plaçai sous mon aisselle gauche.
  • « Bonne chance » me lança Satigui, l’air insouciant. Je ne répondis pas.

Il faisait une de ces nuits noires. Tout le monde dans le village dormait à poings fermés. Seuls les animaux, et sans doute les esprits, restaient maîtres de la nuit. Aux alentours de la maison du sorcier, le concert de grenouilles qui tenait Satigui compagnie chaque nuit, plus loin les hululements lugubres d’un hibou renchéris par les aboiements d’une meute de chiens errants.

Je m’engageai sur l’étroit sentier le cœur battant la chamade. Je marchais d’un pays hâtif dans l’espoir d’arriver rapidement à Bêly, déposer la calebasse, ramasser la clé et rentrer au village sans me retourner. La forêt grouillait de mille bruits. À mesure que je m’éloignais, les cris d’animaux sauvages se faisaient plus nombreux et plus effrayants. De temps en temps, un oiseau au vol lourd changeait d’arbre me poussant à marquer une petite halte pour écouter. Puis, je repartais avec un nouvel empressement.

Sous la lumière blafarde de la lampe-tempête, je marchai ainsi dans la forêt depuis une bonne trentaine de minutes. Je ne voyais pas au-delà de cinq mètres. Le sentier devenait de plus en plus étroit, envahi par les herbes et les branchages. Je traversai le cimetière avec moins de crainte que je l’imaginais en me disant que c’étaient mes semblables qui reposaient-là. Je formulai même intérieurement une prière pour le repos de leurs âmes.

C’était sans doute sous l’effet de la peur et du stress, mais j’avais l’impression que l’on me suivait. Je ne voyais plus grand-chose tellement la forêt devenait dense et touffue. Je perdis mon chemin, m’égarant un long moment avant de me retrouver et de continuer la route.

Je finis par arriver à destination. L’arbre correspondait point pour point à la description de Satigui. C’était un immense fromager centenaire dressé aux abords de la mare aux eaux saumâtres. Il avait un large creux sur son tronc à hauteur d’homme. Je hissai le fanal au-dessus de ma tête pour mieux visualiser le trou. Au moment de déposer la calebasse, un animal sauta du creux, manquant de me renverser, se dressa sur ses pattes arrières, poussa un cri glaçant avant de détaler ! Je fus saisi d’effroi, mais je reconnus tout de suite un chacal dérangé dans son sommeil. Il fallait poursuivre la mission.

Je déposai la calebasse, tremblant de la tête aux pieds. J’étais tellement pressé de quitter les lieux que je faillis oublier de retrouver le canari contenant la clé. Je me mis à chercher autour du fromager. Au bout d’un quart d’heure qui me parut interminable, je tombai sur un petit canari à environ cinq mètres de l’arbre, posé au milieu de trois grosses pierres. Sans vérifier s’il contenait la clé, je le pris en poussant un ouf de soulagement imperceptible.

Je repris immédiatement le chemin de retour sans me retourner. Or, cette fois quelqu’un me suivait ! Je le sentais. J’en avais la certitude. Je pressai le pas. Soudain, une voix d’homme me donna clairement l’ordre de m’arrêter et de me retourner. J’étais pétrifié ! Fallait-il obéir et violer ainsi la mise en garde de Satigui ? Était-ce lui ou un diable ? J’hésitai un bref instant avant de décider d’ignorer l’ordre et de continuer mon chemin. C’est alors que je sentis le métal froid d’un canon de fusil sur ma nuque!

« Si tu fais un seul pas de plus, je tire » tonna la voix ! Je m’arrêtai net et me retournai, me retrouvant nez à nez avec … Sana le chasseur !

Le choc fut si intense que le canari s’échappa de mes mains, tomba et se brisa en mille morceaux ! Équipé d’une lampe-torche accrochée à sa tête à l’aide d’un élastique, Sana se mit à chercher par terre avec frénésie. Il m’ordonna de l’aider à retrouver « le cadenas »! On chercha en vain. Le canari était manifestement vide de tout objet ! En désespoir de cause, Sana retourna toutes mes poches, une à une. Vides ! Il sortit la calebasse que j’avais déposée quelques minutes plus tôt dans le creux de l’arbre, l’inspecta. Elle était complètement vide. Pas même l’ombre d’un seul piquant à mon grand étonnement ! Il la jeta par terre, marcha dessus, la brisa avant de disparaître dans la forêt en courant, sans rien me dire de plus.

Je repris le chemin du village au pas de course, sans me soucier des épines qui me laceraient le corps. L’enchainement des évènements me dépassait. J’appréhendai la rencontre avec Satigui à qui je ne pouvais plus continuer à cacher la vérité. Il fallait lui dire que Sana savait tout et même bien plus que nous ne pouvions l’imaginer. Enfin, si Sana était vraiment Sana. Je rentrai au village aux aurores, totalement méconnaissable. Mes vêtements étaient en lambeaux. Je saignais des mains, des avant-bras et du visage, la peau coupée par les épines et les lianes.

Le visage du vieil homme se décomposait à mesure que je lui narrais ma mésaventure. Satigui était ivre de rage. À un moment, je crus qu’il allait se métamorphoser en un animal féroce pour me dévorer, tant il s’agitait et hurlait. Curieusement, il n’était pas en colère contre moi, mais contre « Sana le bâtard » comme il qualifia le jeune chasseur.

En voyant le dépit maladif de Satigui, j’osai pour la première fois l’interroger ouvertement sur le sens de différentes missions mystérieuses qu’il m’avait confiées. Je voulais connaitre la suite de notre collaboration et quand est-ce qu’il m’apprendrait « sa science ».

  • « Tu n’as pas réussi à rapporter la clé permettant d’accéder à la science que toi et moi cherchons » me répondit-il plus énigmatique que jamais ! J’étais ébahi. Quelle science lui et moi cherchions ? N’était-ce pas moi l’apprenti, lui le maître ?

C’est alors que Satigui se leva, prit un bout de métal rouillé et alla creuser dans un coin de sa case d’où il sortit, enfoui dans le sol, un talisman. Il s’agissait d’un cadenas fermé, cousu dans du cuir poilu serti de deux cauris.

« La clé de ceci » dit-il en secouant le cadenas tenu à bout de bras. « Elle est dans la forêt, au pied du grand fromager. Je suis sûr que la clé en or s’y trouve », répéta-t-il, comme pour se convaincre lui-même de cette vérité. « Hélas, je n’ai plus la force d’y aller et la vue nécessaire me permettant de la chercher et de la retrouver » se lamenta Satigui.

J’étais perdu !

On sentait le jour poindre à travers les fentes de la porte d’entrée de la case. Pour la première fois, je me retrouvai chez le vieil homme pendant le jour. Satigui sortit et m’invita à le suivre dehors. Il m’entraina derrière sa maison dans un endroit boisé. Il y avait un grand trou et une petite porte en bois qu’il poussa. On se retrouva dans un étroit tunnel obscur. Le sol craquait sous nos pieds. Quand il alluma une torche en bois, je découvris un spectacle effarant: le sol était littéralement recouvert d’os et de têtes de mort ! Des rats ! Des dizaines et des dizaines de rats morts et vivants. Ça courait dans tous les sens. Certains agonisaient encore sur les nombreux pièges que Satigui avait installés dans le tunnel. L’endroit était puant et horrible.

« Voilà ma nourriture », dit Satigui d’une voix chevrotante, en désignant les rongeurs piégés!

« Nom de Dieu » …, m’écriai-je, abasourdi !

Le vieil homme me tira dehors. On regagna sa maison où il prit place sur une peau de bélier tannée. Il regarda fixement dans le vide comme quelqu’un qui voulait se remémorer du passé. Je sentis qu’il avait quelque chose d’important à me raconter.

« Mon fils » entama Satigui, m’appelant ainsi pour la première fois depuis notre toute première rencontre. « L’apparence est trompeuse », poursuivit-il, un vague à l’âme. Ce que je vais te raconter-là, je ne l’avais dit à personne, même pas à ma femme Hawa…

Satigui parla longtemps, s’humectant régulièrement les lèvres d’un étrange breuvage contenu dans une petite fiole. Le soleil était déjà au zénith quand il acheva son récit digne d’un conte de fée. Il m’étala tout ce que j’ignorais jusqu’ici. À présent, tout était clair pour moi parce qu’il s’était entièrement livré. J’étais pleinement reconnaissant devant tant de sincérité et de confiance.

Satigui m’expliqua que cela faisait près d’un quart de siècle qu’il était à la recherche d’une clé en or pour ouvrir le cadenas qu’il venait de déterrer. Ce cadenas avait appartenu à Sabali, le grand-père de Sana le chasseur. Sabali était connu pour être un chasseur de renom doublé d’un redoutable sorcier. Satigui fut son disciple pour la chasse et les deux hommes entretinrent de solides liens d’amitié et de complicité pendant plusieurs années avant de se brouiller pour une raison inconnue du public. Comme Satigui, Sabali perdit son unique fils, le père de Sana, à bas-âge.

Avant de mourir à son tour, Sabali plaça tout son savoir occulte dans un cadenas qu’il ferma à l’aide d’une clé en or. Il confia les deux objets à sa femme, Rassy, avec pour consigne de les remettre à son petit-fils qu’elle élevait, une fois que celui-ci deviendrait suffisamment grand.

Quiconque réussirait à ouvrir ce cadenas, disait-on, posséderait toute la « science » de Sabali qui vécut heureux et opulent sur le plan matériel. Satigui qui connaissait l’existence de ce secret, voulait à tout prix y mettre main.

Seulement voilà. La vieille Rassy sépara le cadenas de la clé pour mieux les sécuriser. Elle cacha le cadenas dans le creux du fromager, loin du village, ne se doutant pas que Satigui en chasse dans la zone de Bêly ce jour-là l’avait filée et repéré la cachette. Il fouilla la zone pendant des jours avant de découvrir le cadenas qu’il subtilisa pour aller l’enfouir dans sa case. Mais il ne retrouva jamais la clé, malgré des années de recherche. Personne ne savait où elle se trouvait.

Personne, sauf Sana le chasseur qui, plusieurs années après la disparition de sa grand-mère, avait découvert la clé un peu par hasard en creusant une termitière qui rongeait la clôture de sa maison. De son vivant, Rassy lui fit cas de l’existence d’un « trésor caché », mais il n’y prêta guère attention, la vieille ayant perdu la tête avant de mourir.

Par la suite, Sana soupçonna Satigui de détenir le cadenas, se souvenant de la proximité douteuse du vieux loup solitaire avec sa grand-mère. En réalité, Satigui et Rassy, tous deux veufs, fricotèrent ensemble un moment, ravivant la flamme d’une amourette de jeunesse interrompue par le mariage précoce de Rassy à Sabali. Satigui s’était en effet juré de prendre, tôt ou tard, sa revanche sur ce briseur de cœur. D’où le surnom fanfaron de « l’Invincible » dont il s’attribua…

Des années plus tard, un évènement inattendu conforta le jeune Sana dans ses soupçons sur la culpabilité de sorcellerie de Soro-Satigui. En effet, des soi-disant exorcistes débarquèrent dans la contrée avec comme pour mission de dénicher et de « délivrer tous les sorciers ». Ils organisèrent un grand spectacle de danse mystique au cours duquel ils désignèrent plusieurs personnes âgées comme étant des sorciers. Parmi elles, le chasseur Satigui Barry. Cette dénonciation ajoutée à la mort accidentelle de son fils et de sa femme acheva de conforta tout le village qu’il était un redoutable sorcier.

Calomnié et affaibli par le poids de l’âge, Satigui joua le jeu et accepta avec résignation son sort malheureux en menant une vie de bernard-l’hermite et du plus grand mangeur de rats, faute de moyens. Mais il ne perdit jamais espoir.

En venant lui demander de m’apprendre la sorcellerie, Satigui saisissait ainsi une chance inespérée de retrouver la clé du cadenas qu’il avait tant cherchée. Sans doute la clé du bonheur pour lui. Pour cela, il comptait sur ma motivation et ma détermination. D’où les épreuves auxquelles il m’avait soumis. Il me révéla que la première épreuve, celle de la tête du porc-épic, était une simple diversion. Il voulait s’assurer de mon réel engagement. Et les neufs piquants donc ?

Satigui m’avoua qu’il n’avait besoin que d’un seul en réalité dont il se servirait pour faire sortir le « mauvais sang » de son nez quand la tête lui faisait mal. Ce qui était récurrent. Les huit autres, c’était pour compliquer ma tâche et s’assurer que je n’avais pas ramassé l’unique piquant par hasard.

Sana espionnait Satigui depuis très longtemps, à l’affût du moindre indice lui permettant de savoir s’il était le détenteur du cadenas légué par son aïeul. Son trésor à lui. Mon arrivée au village ne l’échappa guère. Il m’avait discrètement filé dans mes moindres déplacements, écoutant toutes mes conversations avec Satigui. C’est ainsi qu’il fut au courant de différentes missions qu’il tenta d’exploiter en sa faveur.

Le récit du vieil homme m’émut aux larmes. Je lui exprimai à nouveau ma sympathie et mon amitié. J’étais venu auprès de lui pour vérifier l’existence de la sorcellerie, je repartais avec une véritable leçon de vie, celle de l’humilité et de la méfiance des préjugés. Je fis mes adieux à Satigui Barry et sortis de sa maison le cœur noué. Sana était assis dehors, vautré sur la palissade de la case, en proie à des sanglots spasmodiques !

Alimou Sow, octobre 2018 (ceci est une fiction)


Qu’est-ce qu’un blogueur guinéen en 2018 ?

Crédit photo: Toulaye Diallo

L’idée d’écrire ce billet m’est venue d’un constat étonnant: la méconnaissance du blog en Guinée, signe vraisemblable du déclin de cet outil de communication en vogue il y a peu. En dépit d’une blogosphère locale potentiellement riche – on le verra – je me suis aperçu que le grand public a une définition erronée de la notion de « blog » et de ses dérivés (blogueur, blogging, blogosphère, etc.).

La vérité a éclaté au grand jour ce vendredi 31 aout à l’occasion de la Journée mondiale du blog, un évènement non célébré en Guinée. Chaque année, c’est le même rituel : un internaute avisé donne l’alerte sur les réseaux sociaux, souvent le jour « J », puis s’en suivent quelques messages de compliments adressés aux blogueurs les plus connus lesquels sont ensuite sollicités pour deux ou trois interviews dans la presse. Basta !

Même chose cette année, avec une toute petite particularité. Sur Facebook, quelqu’un a eu l’idée de demander à ses amis de mentionner leurs blogueurs ou blogueuses préféré.e.s., une invite reprise par quelques autres personnes. C’est en lisant les commentaires de ces publications que j’ai constaté le problème. On citait certes des blogueurs reconnus, mais dans la majorité des cas ce sont surtout des personnes exclusivement actives et suivies sur Facebook qui étaient mentionnées. Sans leur blog, évidemment. Ces personnes n’ont pas boudé leur plaisir, répondant avec des « mercis » appuyés, enrobés de plusieurs couches de fausse modestie. Qui va se négliger ?

D’où ma question: qu’est-ce qu’un blogueur guinéen en 2018 ?

Avant d’essayer d’y répondre, voyons ce qu’est un blogueur tout court, un mot dérivé de l’anglais « blog » lui-même résultant de la contraction de deux mots anglais « web » (toile d’araignée) et « log » (journal). Littéralement, un blog est un journal personnel en ligne.

Plus prosaïquement, il s’agit d’un site internet individuel sur lequel une personne (rarement deux), le blogueur/ la blogueuse, exprime son opinion en utilisant l’un ou la combinaison de plusieurs de ces types de contenus: texte, son, photo, vidéo, caricature, animation. Selon cette définition, le blog a un nom et une adresse URL hébergée sur une plateforme de création de blogs telle que wordpress.com.

Le fait que les internautes aient assimilé les leaders d’opinion sur Facebook à des blogueurs au sens premier du terme, est révélateur de plusieurs constats :

Premièrement, les blogueurs guinéens sont devenus plus nombreux mais moins actifs

Théoriquement, la blogosphère guinéenne est riche de plusieurs dizaines de blogs, mais en cet été 2018 c’est une petite dizaine qui est plus ou moins active (voir liste ci-dessous). Pourtant, la très célèbre Association des blogueurs de Guinée (Ablogui) existe depuis 2011 et regroupe aujourd’hui plus d’une soixantaine de membres. Paradoxalement, ces derniers sont sont moins productifs en termes de contenus personnels. Même si l’Association, elle, continue non seulement à former de nouveaux membres, mais surtout à mener des campagnes digitales de mobilisation citoyenne (#DoitALidentité, #MontronsNosRoutes) et à exécuter des projets de suivi citoyen de la démocratie (Guinée Vote à la présidentielle de 2015 ou LAHIDI encore en cours).

Peut-être que ceci explique cela. A force d’évoluer dans ce cadre très formel, les « abloguinéens » ont oublié leur raison d’être : produire et partager régulièrement du contenu. Bref, la mère poule a piétiné ses poussins.

Deuxièmement, l’étoile du blog pâlit

Ce relâchement des blogueurs guinéens s’inscrit dans une tendance africaine voire mondiale. En 2018, le blog non professionnel semble ne plus avoir le vent en poupe comme il y a cinq ans. Les réseaux sociaux sont en train de prendre l’ascendant sur cette activité qui a connu ses lettres de noblesse, en tout cas dans la sphère francophone, avec le projet Mondoblog de RFI qui héberge le blog que vous lisez et plus de 600 autres. Ce projet a formé plusieurs centaines de blogueurs en Afrique et à travers le monde et a permis de révéler de nombreux talents. Mais force est de constater qu’en 2018, la plateforme n’a plus sa force de frappe de 2013-2016 par exemple.

De nouvelles pratiques sur les réseaux sont donc en train de ravir la vedette au blogging, et c’est là que la confusion des internautes guinéens dans la définition du blogueur trouve tout son sens. Pour eux, le blogueur c’est celui ou celle qui est actif notamment sur Facebook dont le profil a atteint la limite de 5 000 amis, qui est suivi par plusieurs centaines d’autres et qui fait des publication intéressantes, soit par la qualité de l’écriture, soit par son humour, sa provocation, ou le sujet abordé (généralement politique).

Mais quel est le statut de ces personnes et comment peut-on les appeler ? Nous avons vu plus haut que ce ne sont pas de blogueurs au sens de la définition du blog. Alors s’agit-il des influenceurs ? Possible.

Mais selon les spécialistes, est considéré comme influenceur un internaute suivi par plusieurs dizaines de milliers de personnes (généralement plus de 50 000) et dont l’opinion est susceptible d’influencer la décision de ses abonnés.

On retrouve les influenceurs sur la plupart des plateformes: ce sont les Youtubeurs, les Instagrameurs, les Twittos, les Facebookeurs (Pages) mais aussi les… blogueurs. Leur influence se définit par rapport au nombre de leurs abonnés mais également grâce à leur capacité (intelligence, talent) de mobilisation, d’orientation et de conseil. Dans ce cadre, les célébrités (sports, cinéma, musique) et les personnalités du monde politique et institutionnel sont considérées comme des influenceurs, mais sont à classer dans un autre registre.

Dans la majorité des cas, les « Facebookeurs » guinéens sont des leaders d’opinion à minima mais on peut difficilement les hisser sur le même piédestal que les vrais influenceurs à 100 000 abonnés. Parce qu’en général ils sont actifs à travers des profils de quelque 5 000 amis et autant d’abonnés, tout au plus, et non pas sur des Pages Facebook dédiées où la possibilité d’abonnements est illimitée. Ce sont en réalité des animateurs de débats, en majorité de la controverse politique.

Malheureusement, les publications de ces profils et les commentaires qu’ils suscitent revêtent un caractère éphémère et volatile. Contrairement à un blog où les billets sont archivés et classées de manière antéchronologique, les publications sur les réseaux sociaux sont difficiles à retrouver et à exploiter, étant ensevelies sous d’épaisses couches de magma de contenus d’un volcan en éruption continue. La différence réside donc plus sur l’outil de communication utilisé que sur la capacité intellectuelle, et dans une moindre mesure technique, du producteur de contenu.

Alors, je repose la question autrement : le blogueur guinéen de 2018, est-il ce Facebookeur micro-influenceur ? Je vous laisse cogiter. En attendant, voici une liste de blogueuses et de blogueurs compatriotes plus ou moins actifs de mon point de vue. Cerise sur le gâteau, la plupart de ces blogs sont tenus par des filles ou de jeunes mamans. Si j’ai omis certains blogs actifs, prière de les mentionner dans les commentaires. C’est à vous.

Blogs plutôt actifs

Ma passion de Hafsatou Abbass Bah, jeune étudiante en licence 1 économie et gestion au Maroc. Sur son blog, elle parle d’elle, de sa formation et de ses préoccupations sur son développement personnel et sur l’avenir de son pays, la Guinée.

De vous à moi de Dieretou Diallo. Dieretou n’est plus à présenter, tant elle est connue dans la blogosphère africaine notamment pour sa plume. Initiatrice du mouvement « Guinéenne du 21ème siècle », cette diplômée en communication a plus d’une corde à son arc.

La voix citoyenne d’Adama Hawa Sow, jeune ingénieure en réseaux et télécommunications, experte en cartographie. Elle scrute au scalpel les tares de la société guinéenne.

Miia’s secrets de Mariam Diallo, son statut de jeune maman ne l’empêche pas de poursuivre ses études de master en marketing et communication au Maroc mais aussi d’animer son joli blog. Mariam y aborde essentiellement le thème de développement personnel qui la passionne.

Woman With Positive Attitude de Toulaye Diallo, jeune maman, journaliste et activiste féministe sur les bords. Bien que son blog porte le nom évocateur de « Positive attitude », il n’en demeure pas moins un exutoire pour la bouillante Toulaye quand les crises politiques endémiques du pays l’horripilent.

Alpha Oumar Baldé (doudou) d’Alpha Oumar Baldé: ce mondoblogueur se présente comme étudiant en médecine et blogueur y compris pour le projet la Voix des Jeunes de l’Unicef ( LVDJ-UNICEF). Les questions environnementales et de santé sont ces principaux centres d’intérêt.

L’Autre Guinée d’Ousmane Tonkara, à la fois rappeur, journaliste, guide de musée, ce blogueur s’intéresse notamment aux questions de culture et de tradition, en toute logique.

Esprit jeune de Mamadou Mouslim Diallo, diplômé en réseaux et télécommunication, cet autre mondoblogueur s’intéresse aux question de jeunesse et la migration irrégulière.

Africa224 de Fatoumata Chérif. Communicante professionnelle, passionnée d’environnement, cette blogueuse est surtout connue pour avoir créé le concept #SelfieDéchets, connu et copié un peu partout sur le continent. Elle est également observatrice pour pour les Observateurs de France 24.

Somboryinfos d’Elizabeth Guilavogui, l’auteure de ce blog semble utiliser un nom d’emprunt. Le style d’écriture ressemble à s’y méprendre à celui utilisé sur le site satirique guinéen Guinée Décalée dont la promotrice est une journaliste pleine d’humour…

Blogs célèbres mais moins actifs


Inquiétante coagulation de crises en Guinée

En saison hivernale, le climat caractéristique de Conakry est bien connu : pluvieux, chaud et humide. Le visage de la ville également : moche !

Mais en ce début juillet 2018, ce ne sont pas seulement l’humidité envahissante, la folle montée du mercure et l’abondante pluviométrie qui rendent la capitale invivable. C’est aussi les manifestations violentes, les routes barrées, les pneus brûlés à même la chaussée, la montée de la délinquance urbaine et les fossés qui débordent des déchets non ramassés. La situation est emblématique d’une crise à l’échelle nationale.

Ces dernières années, la Guinée est connue pour être non pas une simple cocotte-minute, mais un volcan actif avec des mini-éruptions régulières. Cette fois, la conjonction de plusieurs facteurs fait craindre une plus grande explosion avec des coulées de lave dévastatrice. Mais je touche du bois.

C’est que la coupe est pleine ! Le pays se retrouve sous les feux croisés de plusieurs crises, conjoncturelles pour certaines, structurelles pour d’autres, mais toujours avec le même effet sur la population : elles sont exaspérantes.

Pour prendre la température de la situation, il suffit de consulter les réseaux sociaux. Sur Twitter et surtout Facebook, les habituelles photos de mariages clinquants et les selfies dégoulinant de narcissisme compulsif ont fait place à des publications plus engagées. Chacun y va de son commentaire sanguin pour dénoncer la crise du moment : l’augmentation du prix du carburant.

Le 30 juin, le nouveau gouvernement a jeté de… l’essence sur le feu d’un front social en ébullition depuis pratiquement le début de l’année. Il a augmenté le prix du litre de carburant à la pompe de 25%, le faisant passer de 8 000 à 10 000 francs guinéens. Le sang des syndicats et de la société civile n’a fait qu’un tour. Le 4 juillet, les premiers ont lancé un mot d’ordre de grève générale, la seconde a appelé à plusieurs journées villes mortes et à une manifestation, le mardi 10 juillet. A Conakry où l’atmosphère était déjà phosphorescente, la rue s’est rapidement embrasée.

Cette mesure d’augmentation suscite la colère au-delà des organisations syndicales et de la société civile. A quelques rares exceptions près (à trouver dans le sérail du régime), elle est rejetée par toute la population, y compris dans les rangs du parti au pouvoir.

Son rejet massif vient du fait qu’elle a été décidée de manière unilatérale, sans concertation avec les syndicats, en violation du protocole d’accord gouvernement-syndicat-patronat signé en février 2016 qui évoquait explicitement une concertation tripartite sur un éventuel réajustement du prix des produits pétroliers. L’augmentation est également rejetée parce qu’elle est assimilée à du deux poids, deux mesures.

En effet, l’accord de 2016 laissait entendre que le prix du litre de carburant serait flexible suivant celui du baril de pétrole. Or, c’est seulement quand le cour du baril monte comme en ce moment que ce principe de flexibilité est appliqué, et pas quand il baisse.

Pourtant, même si cette augmentation est arrivée très vite, elle était prévisible. En mars dernier, l’ancien ministre du Budget l’avait évoquée à demi-mot au lendemain de la signature d’un accord avec le syndicat des enseignants qui avait déclenché une grève émaillée des violences meurtrières. Poussé dans ses derniers retranchements, le gouvernement avait concédé au syndicat les 40% d’augmentation salariale exigés pour calmer les manifestations quasi-insurrectionnelles qui s’étaient propagées jusqu’aux portes du palais présidentiel.

Il fallait bien que quelqu’un paye la note salée. Eh bien, depuis le 1er juillet dernier, on sait qui va casquer. Ce que l’on ignore par contre, c’est quelle sera l’issue du mouvement de protestations en cours qui prend de l’ampleur et paralyse tout le pays. J’espère un dénouement heureux pour ma part.

Mais la paralysie du pays ne résulte malheureusement pas seulement de la grève syndicale. Elle est également due à une véritable épidémie de rupture de ponts en cascade sur les principaux axes routiers. Pas moins de quatre ouvrages de franchissement stratégiques se sont affaissés en moins de deux mois.

Linsan est le cas le plus emblématique. Depuis le 20 juin dernier, les voyageurs sur la route nationale N°1 ne s’arrêtent plus seulement à cette célèbre bourgade à la limite des préfectures de Kindia et Mamou pour manger du fonio et de gros morceaux de viande. Ils y dorment par centaines à la belle étoile, sous la pluie et dans la boue, contraints et forcés à cause de l’effondrement total du pont colonial vieux de plus de 60 ans qui enjambait le fleuve Konkouré séparant les deux préfectures.

Il a fallu trois semaines au Ministère des travaux publics pour construire une petite voie provisoire de contournement en attendant la réhabilitation du pont effondré. Cela donne une idée du niveau de patience dont les usagers de cette route doivent s’armer. Le calvaire qui se déroule à Linsan a déjà fait une victime : une femme enceinte malade et bloquée sur place durant plusieurs heures est décédée le 1er juillet dans le bus qui la transportait pour Conakry selon des informations de presse.

Un drame humain plus grave s’est produit tout près de Conakry, à Kassonyah (Coyah). Le 4 juillet dernier, deux barques transportant de passagers sont entrées en collision sur un bras de mer faisant au moins quatre morts. Le pont reliant les deux rives du quartier est hors d’usage depuis plusieurs semaines, obligeant les populations riveraines à faire un contournement d’une dizaine de km ou à emprunter des pirogues pour la traversée.

Les vœux du ministre des travaux publics n’ont pas été exaucés. Le 9 juin il avait fait le déplacement et ordonné la fermeture de cet autre ouvrage datant de la période coloniale pour, dit-il « éviter un drame » en attendant la reconstruction du pont. Là également, on se blinde de patience et on attend.

Les populations de Kérouané attendent elles aussi de sortir de l’enclavement complet dans lequel elles sont confinées. Dans la première semaine de juillet, les pluies diluviennes qui se sont abattues dans cette préfecture située à l’est, au diable vauvert, ont littéralement emporté un pont et détruit partiellement un autre sur la route de Kankan. Comme si cela ne suffisait pas, un bac situé sur la rivière Milo permettant de rallier la sous-préfecture de Banankoro, plus au sud, a coulé, isolant presque totalement Kérouané du reste du pays.

La liste de problèmes est longue. Dans ce pays au relief accidenté et où la surcharge à l’essieu est presque la règle, chaque ouvrage de franchissement représente un risque potentiel. L’effondrement de ces différents ponts est le symbole non seulement de l’état désastreux dans lequel se trouve notre réseau routier (dont seulement 2 261 km de routes nationales revêtues sur un total de 7 637 km), mais également de la déliquescence du pays en matière de gouvernance infrastructurelle. Ou de gouvernance tout court.

Car malgré l’acuité de ces deux crises liées au carburant et à l’infrastructure routière, elles masquent mal la crise politique qui mine le pays depuis plusieurs années et qui fait régulièrement des dégâts. Elle couve toujours.

Des élections municipales sans cesse repoussées, et après des manifestations qui ont fait des dizaines de morts et de blessés, ont été organisées le 4 février dernier, 13 ans après les dernières qui datent de 2005. Cinq mois plus tard, les nouveaux élus ne sont toujours pas installés, pouvoir et opposition n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur les résultats. Ces deux bords politiques continuent à s’écharper, confisquant ainsi les voix du peuple souverainement exprimées dans les urnes.

Pendant ce temps, la quasi-totalité des pays voisins ont réussi à organiser des élections parfois générales, comme en Sierra Léone, et à installer les élus sans que cela ne prenne un temps interminable, sans que cela ne paralyse le pays sur une si longue période, sans que cela n’accentue les clivages tribaux, sans que cela ne se solde, comme chez nous, par des morts, des blessés et des dégâts matériels considérables.

Crise sociale, crise politique mais aussi crise infrastructurelle comme on l’a vu concernant les ponts qui s’étend également aux services de l’eau, de l’électricité, de la santé, de l’hygiène et de l’assainissement dont toutes les grandes villes sont déficitaires. La capitale Conakry, jadis « perle de l’Afrique occidentale, est devenue une immense poubelle urbaine, véritable pandémonium qui fout la honte à tous les Guinéens pour peu qu’ils soient lucides et informés de ce qui se sa passe ailleurs.

Toutes ces crises qui étranglent la Guinée se résument en une seule : la crise de confiance à tous les niveaux. Crise de confiance entre la classe politique, entre mouvance et opposition, entre gouvernants et gouvernés, entre présidence et gouvernement, entre militants et leaders, entre patrons et employés, entre élèves et maitres, entre chanteurs et mélomanes, entre chauffeurs et passagers, entre vendeurs et acheteurs, entre père et fils, entre mari et femme, entre copain et copine…

Il y a également une constance dans tout ça : la Guinée est certes pauvre et en proie à des crises permanentes, mais nous l’aimons profondément et ne l’échangerons pas contre tout l’or du monde. Peace in Guinea !


Que faut-il savoir et retenir de #ParlerCommeElie ?

On a beau avoir les étoiles du grade de Général d’armée qui scintillent sur les épaules, en bataille numérique le combat est loin d’être gagné d’avance. Elie Kamano, reggaeman guinéen autoproclamé « Général », puis « Maréchal » (sans troupe) l’aura appris à ses dépens !

Un peu plus de 72H après sa bourde commise à l’occasion de la commémoration de l’an 34 de la disparition du président Ahmed Sékou Touré, les soufflets alimentant les braises qui incendient Elie à travers le mot-clé #ParlerCommeElie ne sont toujours pas retombés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les attaques ne se font pas à fleurets mouchetés.

Genèse

Il n’est pas futile, pour ceux qui n’ont pas suivi l’affaire, de revenir brièvement sur comment un simple message commémoratif s’est transformé en un fulgurant « bad buzz » qui a déjà franchi les frontières guinéennes. Le scénario s’est déroulé en trois actes.

Acte 1 : Nous sommes lundi 26 mars, jour de commémoration du 34ème anniversaire de la mort de Sékou Touré, premier président controversé de la Guinée. Les réseaux sociaux guinéens, Facebook en particulier, sont en ébullition. Les uns voient en Sékou un héros qui a délivré la Guinée du joug colonial, les autres un tyran sanguinaire et redoutable. On s’affronte à coup de commentaires éruptifs. Elie Kamano, artiste engagé, fan de Thomas Sankara et affidé de l’activiste polémiste Kémi Séba récemment empêché d’entrer en Guinée, est sans surprise dans le camp des soutiens de l’ancien Responsable Suprême de la révolution socialiste guinéenne. A 17H, il le fait savoir sur sa page Facebook à travers une publication qui ne s’embarrasse pas beaucoup des règles de la langue de Molière. Le reggaeman affirme en substance que, « petit », il avait eu le privilège de parler au téléphone quelques fois avec Sékou Touré, rappelant que son père fut le pilote d’hélicoptère du défunt président pendant 22 ans. Jusqu’ici, tout va bien.

Acte 2 : Un blogueur avisé, Thierno Diallo, connaissant l’âge officiel de d’Elie Kamano, a la bonne idée de « fact-checker » cette « news » à 19H. Problème : Djéliman Kamano à l’état civil, alias Elie, est né officiellement en 1984, c’est-à-dire l’année exacte de la mort de Sékou Touré, le 26 mars plus précisément. C’est vrai que, nourrisson de quelques mois, on peut monter à bord d’un hélicoptère avec un président mais lui parler au téléphone et pouvoir s’en souvenir 34 ans plus tard relève de la science-fiction à la « Black Panther ». S’apercevant de la supercherie, le blogueur s’en émeut sur son mur Facebook en postant la toute première publication avec le mot-clé #ParlerCommeElie. Le bal de l’ironie et de la parodie était ainsi lancé et ne tardera pas à se propager sur Twitter.

Statut de Thierno

Acte 3 : Mardi matin, face à l’avalanche de tweets et publications Facebook ravageurs, le Général Elie risque une explication non pas sur les réseaux sociaux, mais dans l’émission « Œil de Lynx » de la radio Lynx FM. Cela permettrait à tout le monde de voir clair comme un lynx dans cette affaire, pensait-il sans doute. Mal lui en a pris. Ignorant l’adage peul selon lequel « la saison de la parole dure trois jours », Elie choisit de parler au lieu de se taire et de laisser la campagne numérique s’éteindre d’elle-même. Il confirme qu’il a bien parlé au président Sékou Touré et qu’à cette époque il avait 7 ans. Donc, mathématiquement, Djéliman est né vers 1977. Mis sous pression, il révèle que c’est en 2006 qu’il a modifié sa date de naissance pour se présenter comme le « plus jeune espoir reggaeman africain » au concours du Prix Découverte RFI. On pensait que, comme tout le monde, un Général pouvait se tirer une balle dans les pieds par erreur, mais pas couler son propre vaisseau amiral. Hélas, il ne reste plus qu’à prier qu’Elie sache nager au milieu de cet océan agité infesté de squales voraces.

Un buzz thérapeutique

La première leçon à tirer de ce « bad buzz » est qu’autant ils sont des vecteurs de diffusion de fausses informations, les réseaux sociaux constituent également de formidables outils de lutte contre les « fake news ». On peut s’en servir pour contrecarrer des contre-vérités en les confrontant à l’épreuve de vérification des faits. Dans cet exercice, plus on est nombreux et de bonne foi, plus c’est rapide et efficace. Dans un pays ravagé par des rumeurs assassines et où les coups en dessous de la ceinture sont légion, le réflexe du jeune blogueur Thierno devrait se généraliser et se pérenniser.

Cette affaire confirme également la règle selon laquelle le droit à l’oubli n’existe pas sur internet. Tout ce que vous publiez sera retenu contre vous. C’est une vérité implacable qui a  visiblement du mal à se faire accepter au pays de Sékou Touré si l’on en juge par les séries de « sextapes » qui agitent régulièrement le web guinéen.

Ce « bad buzz », plus drôle que méchant en réalité, a eu surtout le mérite d’apaiser les tensions tribales et politiques sur les réseaux sociaux. Tout le monde y a pris part sans distinction d’ethnie, de région ou de religion. Ce qui n’arrive malheureusement pas tous les jours en Guinée où les clivages ethniques, notamment entre Peuls et Malinkés, sont caractérisés  par des discours haineux alimentés par des politiciens qui ont placé l’ethnie au centre de leur stratégie de conquête du pouvoir politique.

Le buzz a agi telle une catharsis sur la jeunesse puisque survenant dans un contexte socio-politique guinéen phosphorescent marqué par une fin de grève syndicale qui failli se transformer en soulèvement insurrectionnel et une crise politique mortifère. A cela s’ajoute, un néo-anti-impérialisme et un panafricanisme nostalgique du passé que revendiquent de plus en plus de jeunes gens. La commémoration dans ce contexte de la disparition de Sékou Touré, l’un des hommes les plus emblématiques et controversés des « Indépendances africaines », ne pouvait que rallumer la mèche de la division.

Enfin, il faut également souligner que si #ParlerCommeElie a fait l’unanimité des internautes, c’est peut-être parce que la personne concernée, Elie Kamano, n’est pas Peul ou Malinké, les deux groupes ethniques dont les rivalités sont en ce moment exacerbées par la crise politique. Sinon, il est fort probable que ça aurait débouché sur une prétendue « attaque ciblée » contre un Malinké ou un Peul. Il en était ainsi, là aussi heureusement, de #BobodiChallenge, cette campagne de parodie qui avait enflammé les réseaux sociaux en avril 2017. La personne au centre de la polémique, Aboubacar Camara dit Bobodi, était Soussou.

En tout état de cause, on préfère ce buzz drôle et ludique aux messages de haine dramatiques et divisionnistes sur les réseaux sociaux et dans les landerneaux politiques. En cela, Elie Kamano nous a gratifiés d’un single exceptionnel. Si par prudence, on ne peut parler comme lui, on peut #ChanterCommeElie que c’est « La Main de Dieu » ! #PeaceInGuinea

 


Comment se prémunir contre le vol de téléphones et autres objets personnels: trucs et astuces

Deux maux ont, hélas, rendu Conakry très célèbre : l’insalubrité et les embouteillages. Mais « jamais deux sans trois » dit le proverbe. Alors la délinquance urbaine est venue compléter le trio de principales tares qui étranglent ma capitale.

Toutes les grandes villes sont certes en proie à la criminalité urbaine, à des degrés différents. Mais malheureusement Conakry est victime de lynchage vu le nombre de maux.

Livrés au chômage endémique et à l’oisiveté, beaucoup de jeunes gens ont emprunté les voies dangereuses de l’argent facile: jeux de hasard, petit trafic et vol à la tire.

Il ne se passe pas un jour sans qu’une personne ne se fasse chiper son téléphone portable dans les transports, dans la rue ou au marché, des lieux publics où sévissent en toute liberté de petits voleurs de tout poil.

Et vous savez où les victimes se dépêchent pour faire leur déclaration de perte ou de vol ? Facebook, évidemment.

Preuve de l’ampleur du phénomène du vol à la sauvette, je ne compte plus le nombre de publications qui fleurissent sur les Murs d’amis annonçant la perte ou le vol de leurs objets personnels. Le ton des « satuts » Facebook et les commentaires qui suivent (parfois hypocrites) varie entre la résignation, « Dieu les punira un jour, ma chérie », l’insulte, « ce sont des maudits, ces bâtards » et le fatalisme ambiant, « la Guinée est foutue à jamais« .

J’ai été moi-même victime à deux reprises de vol de téléphone (mais ici, le proverbe ment: il y a bien deux sans trois… enfin je l’espère…). Moi aussi, j’avais dit que mes voleurs étaient des « maudits », des « connards », des « sans cœurs ». Mais cela n’avait pas permis de ramener mes téléphones. Alors que faire ?

Le mieux c’est essayer de tout faire pour ne pas que ça arrive. Et si ça arrive, il existe tout de même quelques solutions. Ci-dessous, je reviens sur les procédés les plus couramment utilisés par les larrons et propose des conseils pour s’en prémunir. Sans prétention d’expertise, aucune.

Au marché et dans la rue

Les marchés sont les lieux de prédilection pour le vol à la tire à Conakry. Les voleurs profitent de la cohue pour subtiliser les objets personnels des clients à leur insu. Dans ce cas de figure, Madina, le plus grand marché de Conakry et du pays, est un cas d’école.  Ils utilisent, au choix :

  • Le pick-pocket: c’est un classique. Le voleur se mêle à la foule pour vous faire les poches. Il peut tenter sa chance en piochant au hasard, sans distinction de proies. C’est  un peu comme la pêche à la ligne : il jette son hameçon, c’est à qui mordra à l’appât. C’est un vol généralement silencieux dont la victime ne se rend compte que bien plus tard. Ni vu, ni connu. Ce procédé peut également être employé avec ciblage de la victime jugée « vulnérable ». Il peut être employé ou non avec la filature.
    • Conseil : Ne jamais mettre son argent ou un objet de valeur dans une poche ouverte ou arrière. Préférer les poches avec fermeture à glissière et surtout les poches intérieures si vous portez une veste.
  • La « césarienne » : c’est une opération à cœur ouvert dont les dames porteuses de sac sont souvent victimes à Madina. Le voleur muni d’une lame déchire le sac en le « césarisant » par le bas. Il n’a plus qu’à suivre la victime pour ramasser les objets qui tombent du sac éventré.
    • Conseil : Ne jamais porter son sac à dos …au dos ou en bandoulière. Il faut toujours le mettre sur le ventre. Pour les dames, éviter si possible de se promener à Madina avec un sac de luxe. Il attire l’attention et vous risquez non seulement de le perdre mais aussi son contenu.
  • Le vol à l’arrachée : le voleur repère l’objet à dérober. Il profite de l’inattention de sa proie pour l’arracher de force et détaler. Ce procédé est de moins en moins utilisé dans les marchés depuis que les voleurs attrapés sont systématiquement lynchés et brulés vifs. Crier « Mougné tii » au marché équivaut à une mise au mort quasi-certaine. Du coup, c’est généralement dans les transports et dans les rues sombres des quartiers qu’il est employé. Ce type de vol est parfois suivi de violence, le voleur ayant peur de ne pas réussir son coup ou de rencontrer de la résistance. Les femmes et les jeunes gens sont des proies prisées.
    • Conseils : ne pas exhiber son téléphone dans un endroit isolé et peu sûr. Si vous êtes obligés de téléphoner en pareil endroit, mieux vaut le faire arrêté et non pas en marchant. Dans ce cas, se tenir contre un mur ou un poteau, le téléphone du côté de l’obstacle pour minimiser les risques. En cas de vol à l’arrachée, ne surtout pas opposer de la résistance ou poursuivre son voleur. Votre vie est nettement plus précieuse qu’un objet, quelle que soit sa valeur.
Dans les transports

Les transports constituent également un terrain propice pour la commission des larcins à Conakry.

  • Le vol à l’embarquement : tout le monde pâtit de la crise de transports en commun dans notre capitale. Aux heures de pointe c’est la guerre pour s’embarquer dans les fameux taxis jaunes, les immortels Magbana et les rares bus en circulation. Mais tout le monde n’est pas voyageur. Les voleurs profitent des mêlées dignes d’une partie de rugby pour arracher les téléphones portables. Le long de l’autoroute à Madina (encore là), les ronds-points de Cosa, Matoto ou de Bambéto sont des endroits tristement célèbres pour ce procédé.
    • Conseils : placer son téléphone en lieu sûr ou le tenir fermement dans la main. Ne jamais relâcher son attention sur ses biens dans les endroits bondés comme les arrêts de bus. Surveiller particulièrement ses poches, en y mettant si possible ses propres mains.
  • Le vol à la détourne : C’est un type de vol de plus en plus usité vu le nombre de victimes. Le procédé est simple : détourner votre attention pour vous voler. Ça se passe généralement dans les embouteillages ou lorsque vous êtes en stationnement. C’est un vol qui se fait avec au moins deux malfaiteurs. Un violent coup à l’arrière de votre véhicule, le temps de tourner la tête pour voir ce qui se passe, vos téléphones posés sur le tableau de bord se sont volatilisés. Quelquefois on vous informe faussement que vous avez une crevaison. Vous descendez voir. La minute suivante votre sac est parti. Au revoir iPhone !
    • Conseils : Toujours garder les portières de son véhicule verrouillées, les vitres montées (il est temps d’avoir une voiture climatisée si ce n’est pas le cas). Lorsqu’on cogne votre voiture ou dit que vous avez une crevaison pensez d’abord à vos biens à l’intérieur : téléphone, montre, sac, etc. Ce sont eux qui sont en danger. Ensuite prenez le temps de bien vous garer. Entre temps vous aurez attiré l’attention d’autres passants.
  • Vol à l’arrachée : ici le ou les voleurs se déplacent en moto. En général, ils ciblent leur victime qu’ils peuvent prendre en filature jusqu’à l’endroit le plus propice avant d’arracher son sac et s’enfuir. De par le passé, beaucoup de cambistes qui commettaient l’imprudence de transporter du cash en rentrant à la maison ont fait les frais de ce type de vol. Quelque fois, il s’agit d’un seul voleur. Il cible les femmes ayant plusieurs bagages qui font de l’auto-stop. Il propose à la victime de mettre ses bagages devant lui. C’est au moment où celle-ci s’apprête à monter derrière qu’il met les gaz et disparait.
    • Conseils : porter son sac sur le ventre et le tenir fermement en toute circonstance. En cas de « stop », ne jamais accepter la proposition d’un motard inconnu de mettre son bagage devant lui. Il vaut mieux payer cher un « déplacement » ou rentrer tard, mais avec tous ses bagages, que de perdre ceux-ci par soucis d’économie ou d’impatience.
Précautions générales à prendre

Dans la rue, comme à la maison, il vaut toujours mieux observer un minimum de mesures de sécurité. L’une de celles-ci consiste à être prudent et à se méfier des inconnus.

Quand on possède un Smartphone, la sagesse voudrait qu’on enregistre systématiquement ses contacts sur son compte Google (à travers son Gmail), et non sur le répertoire du téléphone, (en cas de perte ou de vol, vous pourrez récupérer au moins vos contacts), de le verrouiller, d’activer la traçabilité et de noter quelque part le numéro IMEI grâce auquel on peut tracer le téléphone et le retrouver éventuellement en cas de vol ou de perte. On peut également sauvegarder ses données (photos, vidéos, docs) dans le cloud (Dropbox, etc.).

Enfin, il existe une solution sûre à 100% pour éviter de se faire voler son téléphone dernier cri au marché Madina: il ne faut pas l’y amener si vous n’êtes pas un habitué des lieux !

Quand on a le dernier iPhone ou le dernier-né des Galaxy, il est préférable de transférer sa carte SIM sur un petit téléphone ordinaire le temps d’une course  dans ce marché.

Quelques solutions en cas de vol

On a beau être prudent ou précautionneux. Un jour, on peut tomber dans le filet des voleurs. Alors en cas de  perte ou de vol de votre téléphone, que faut-il faire ?

Certes, les chances de retrouver un téléphone perdu ou volé à Conakry sont extrêmement minces. Ce n’est pas demain la veille qu’on ouvrira ici un comptoir pour les biens « perdus – retrouvés ». Mais il existe tout de même quelques pistes à creuser pour essayer de retrouver son bien.

  • Faire une déclaration officielle de vol: Pas sur Facebook. Enfin, pas uniquement. Je sais, depuis le début de la lecture de cet article, vous vous demandez quel est le rôle des services de sécurité pour lutter contre ce phénomène de vol à la tire. La réponse est claire : il est invisible !  Les petits voleurs agissent en toute impunité, parfois au nez et à la barbe de certains agents de sécurité. Pourtant, il est tellement facile de tendre un guet-apens pour cueillir tous ces petits morveux qui font pleurer nos sœurs et nos mères à Madina…

Je disais que l’on peut cependant faire une déclaration de vol à la Gendarmerie et surtout à la Police. Si vous ouvrez votre poche, celle-ci peut ouvrir une enquête en collaboration avec l’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications, en lien avec les Opérateurs de téléphonie, afin de retrouver votre téléphone. Plusieurs exemples de succès me sont rapportés même si la procédure peut durer des mois. Si par malheur vous ne retrouvez pas votre téléphone, vous aurez au moins contribué à alimenter les statistiques de vols à Conakry…

  • Mener sa propre enquête : cela parait utopique mais lorsqu’on est audacieux on peut tout à fait retrouver son téléphone volé en enquêtant soi-même. Mais, je le répète, il faut de la niaque et beaucoup de baraka.

En avril 2015, à quelques jours de mon mariage, j’ai été victime de vol de mon téléphone à Madina par le procédé de la détourne. « Boum, boum, boum » à l’arrière de la voiture, je sors la tête voir, un mec vilain comme la mort m’insulte. C’est au moment de me remettre de mon émotion colérique que je me rends compte que mon téléphone s’est volatilisé. Le téléphone de quelqu’un qui se marie dans moins d’une semaine… La cata !

Je fonce directement au lieu-dit « Bordeaux » à Madina. Un petit attroupement. Je compte : un, deux, trois, quatre, cinq grands gaillards au regard vitreux. Je n’ai pas de mal à reconnaitre mon téléphone…. en pièces détachées. Le voleur du téléphone était en train de le bazarder à ses comparses. Je m’adresse à celui qui a la gueule du chef de gang et déclare que c’est mon téléphone. Pris la main dans le sac, ils reconnaissent que c’est un téléphone volé mais exigent une « rançon » fixée à 100 000 GNF pour le rendre. Je négocie et rachète finalement mon propre téléphone, que j’avais il y a à peine 20 minutes, à 30 000 francs…

Je connais également un ami qui a passé toute la journée à enquêter sur le vol de son téléphone à Madina et qui a fini par le retrouver à « Khossébaria », sur la plage située derrière le pont 8 novembre à l’entrée de la commune de Kaloum.

Certes des cas exceptionnels mais qui montrent que c’est bien possible.

Si vous connaissez des victimes ou vous-même avez été victime du vol à la tire, laissez-nous un commentaire ci-dessous.


Cinq choses que j’ai apprises de Fria, cité industrielle touchée, mais pas coulée !

Image d’époque de l’usine (Noel N.)

En séjour pour la toute première fois à Fria, dans le cadre de #BlogCampFria, un événement organisé par l’association Ablogui, je découvre cette ville, célèbre cité industrielle naguère prospère, aujourd’hui plongée dans le marasme. Je vous y emmène en visite expresse, en cinq étapes.

1. Une usine à l’origine

Ce sont elles que le voyageur qui arrive de Conakry aperçoit les premières : deux chaudières éteintes et trois barres d’immeubles décatis posées sur un plateau bauxitique. Ce sont les symboles de Fria, cité industrielle naguère florissante et illuminée au point d’être surnommée « Petit Paris ». L’état de ces installations symbolise aujourd’hui la décrépitude de Fria, une ville située à 160 km de Conakry, née il y a 57 ans autour de la première raffinerie d’alumine d’Afrique à l’arrêt depuis 2012.

La légende raconte que le nom Fria vient du Soussou « Firi » qui signifie « lianes ». Fria serait donc « l’endroit où il existe beaucoup de lianes »…

L’histoire, elle, enseigne que c’est à la fin des années 1950 que le village de Kimbo, de moins de 200 habitants, a cédé sa place à l’unité industrielle, Friguia, construite par un consortium amené par la française Pechiney. Dans la foulée, trois barres d’immeubles de neuf étages chacun sortent de terre pour abriter les quelques 1 200 travailleurs expatriés de l’époque. D’autres logements appelés « cités » seront créés pour loger tous les employés nationaux et africains.

Une ligne de chemin de fer pour évacuer l’alumine relie Conakry à Fria, un hôpital moderne, de nombreuses installations sportives et ludiques et une piste d’atterrissage voient le jour au bonheur des employés de l’usine, de leurs familles, et de tous les habitants de Fria qui bénéficient également de l’eau et de l’électricité en permanence.

Un petit coin de paradis dont s’enorgueillissaient les fils de Fria jusqu’à fin 2011, année à partir de laquelle l’usine commence à toussoter avant de s’arrêter net en 2012 à la suite d’une série de grèves des travailleurs demandant une revalorisation salariale.

Mais Fria, c’est Friguia. Entre 2 500 et 3 000 emplois directs et indirects dépendaient de l’usine, soit une masse salariale de près de 6 milliards de francs guinéens par mois. De quoi alimenter et faire vivre l’économie locale. L’arrêt de l’usine est donc à la fois un désastre économique et social pour les 120 000 « Friakas ». C’est le début de la descente aux enfers que l’on connaît.

  1. A Fria, le sport est roi

Fria constitue à coup sûr le porte-flambeau du sport en Guinée. Les sportifs de la ville sont présents à toutes les compétitions sportives nationales. Preuve éloquente, le porte-drapeau de la délégation guinéenne aux derniers J.O de Rio venait d’ici.

Héritage laissé par l’usine, toutes les disciplines sportives sont pratiquées à Fria : foot, basket, athlétisme, natation, judo, karaté, etc. Parmi les installations sportives, la cité compte une piscine olympique aujourd’hui asséchée, obligeant les nageurs à aller s’entraîner dans les eaux du fleuve Konkouré, à 7 km de là.

Un dynamisme sportif et culturel toujours vivant néanmoins.  Loin de l’image misérabiliste de la ville qui circule sur Internet et à Conakry depuis l’arrêt de l’usine. Sur place, j’ai vu plutôt des jeunes gens vivants, souriants, visiblement sains.

  1. Fria, fragile mais résiliente

La fermeture de l’usine a certes laissé un goût amer aux habitants de la cité d’alumine mais leur a également servi de leçon : c’est une grande erreur que de dépendre intégralement de l’usine. Les Friakas ont compris qu’ils sont chez eux, n’ont nulle part où aller et qu’il faut s’adapter à la nouvelle donne, être résilients. D’où la floraison d’ONG, de PME, des coopératives et des groupements (artisans, maraîchers, etc.) afin de vivre indépendamment de l’usine.

La multiplication des initiatives agro-pastorales a permis par exemple la création de huit fermes avicoles entre 2012 et 2017 avec entre 500 et 2 000 têtes chacune. Parallèlement, le savoir-faire accumulé des ouvriers de l’usine est mis au service des populations, Fria comptant parmi les meilleurs menuisiers métalliques du pays, les meilleurs électriciens, mécaniciens… et probablement les petits voleurs de matériels mécaniques et de carburants les plus futés, comme c’est courant dans la plupart des unités industrielles !

Un combat pour la résilience qui se joue également sur le front social et culturel. Une ONG, « Fria Relève-Toi », créée après 2012 par des ressortissants de Fria, multiplie les actions caritatives. Fin décembre 2016 elle a organisé un important festival de musique pour soutenir la ville et est à l’origine d’un superbe clip vidéo intitulé « Fria relève-toi » chanté par un collectif d’artistes guinéens parmi les plus célèbres du moment.

  1. Kaleta a apporté de l’eau au moulin

La réalisation de la centrale hydroélectrique de Kaléta, située une quarantaine de km en amont de Fria sur le fleuve Konkouré, a été une formidable bouffée d’oxygène pour la cité. Depuis 2015, la ville respire. Conséquence directe de l’arrêt de la raffinerie, l’électricité, et dans une moindre mesure l’eau, n’étaient plus fournies aux populations provoquant de graves remous sociaux.

Heureux hasard du calendrier, c’est au moment où le dernier groupe électrogène de l’usine s’arrêtait, interrompant ainsi le pompage de l’eau dans les robinets, que le courant de Kaléta a été lancé en août 2015.

Désormais l’électricité est fournie en permanence permettant ainsi de relancer le petit commerce de blocs de glaces que les femmes vendent aux vendeurs de poissons dans les marchés hebdomadaires alentours.

  1. Un espoir au goût de l’alumine

Le rêve que caressent tous les employés de Friguia est de voir de nouveau la fumée sortir des chaudières rouillées de la raffinerie. Cet espoir existe.

L’Etat guinéen et l’entreprise Rusal (exploitant de l’usine) ont trouvé un accord en avril 2016 selon lequel la production sera relancée en avril 2018. En attendant, des travaux de maintenance sont en cours pour dérouiller et dégripper les machines. La raffinerie redémarrera avec une production de 650 000 tonnes d’alumine l’an pour atteindre, à l’horizon 2026, plus d’un million de tonnes annuelles.

Aujourd’hui,  travailleurs, autorités, populations locales ont tous les yeux tournés vers cette échéance de 2018 avec l’espoir de voir de nouveau s’animer l’âme de « Petit  Paris » que les branchés de Conakry partaient visiter, sans visa, le temps d’un weekend. Mais tous sont conscients que rien ne sert plus jamais comme avant. Fria, forever !

Ci-dessous des images anciennes et actuelles avec les installations de l’usine et les barres d’immeubles (photos transmises par Noel N.)

 


Cri du cœur d’une mère en détresse !

Batouly Sow – crédit photo: Alimou Sow

« Chers lectrices et lecteurs,

C’est assez surréaliste que je prenne la parole en public pour m’adresser à vous, car même dans mes rêves les plus improbables je n’aurais pu imaginer être sous le feu des projecteurs à mon corps défendant. Mais les voies du Seigneur sont insondables.

J’aurais aimé ne jamais vous parler ici, ne jamais m’afficher sur internet pour tendre la sébile. Si j’avais eu le choix, je serais restée la mère au foyer timide que je suis qui élève ses enfants dans la dignité et mène sa vie de paysanne anonyme. Hélas, j’ai rencontré mon destin. Je n’ai plus le choix. Dans ma vie, rien ne sera plus jamais comme avant.

Faisons connaissance si c’est la première fois que vous me voyez. Je m’appelle Fatoumata Batouly Sow, je suis Guinéenne, j’ai 34 ans, 5 enfants et un mari formidable: Ousmane Cissé à qui je suis mariée depuis 1998. J’ai surtout un cancer du sein qui me ronge depuis maintenant 12 mois !

Je viens de Boussoura, un petit village de  la commune rurale de Koba dans la préfecture de Boffa, en Basse Guinée.  Mon mari est cultivateur de riz comme la plupart des hommes de notre contrée. Nous sommes des Peuls dont les ancêtres sont originaires du Fouta-Djalon. Nous vivons en parfaite harmonie avec les populations autochtones de Koba à tel point que personnellement, je parle mieux le Soussou que le Poular ma langue maternelle.

Avant de tomber malade, je faisais un petit commerce d’huile, de riz, de piment et de colas que je transportais à Conakry pour revendre afin d’épauler mon mari à entretenir les enfants. Mais, ma vie a basculé le 3 novembre 2016. Ce jour-là, j’ai perdu une partie inestimable de mon corps. J’ai perdu ce qui symbolise le plus la féminité chez une femme : on m’a coupé un sein à sa racine ! Les spécialistes vous parleront de mastectomie totale.

Tout a commencé en mars 2016. Alors que mon dernier garçon avait deux ans, un bouton de la taille d’un grain de maïs est apparu sur mon sein droit. Rien d’inquiétant, me dis-je, tout le monde peut avoir un bouton qui apparait et disparait spontanément. Peu de temps après, j’ai commencé à ressentir de vives douleurs au dos. Le bouton est passé de la taille d’un grain de maïs à celle d’un petit citron. Il grandissait à vue d’œil. J’avais le sein lourd et une boule sous l’aisselle. Je commençai à m’inquiéter, tout comme mon mari.

Nous nous sommes tout naturellement tournés vers la médecine traditionnelle à la recherche d’un remède. Nous avons sillonné toutes les localités de Boffa, Boké et Dubréka… Nous avons consulté les guérisseurs les plus réputés,  enlevé des sacrifices de toutes sortes. En vain ! Cela n’a eu aucun effet positif sur mon état de santé qui se détériorait. Le sein continuait à gonfler m’infligeant une douleur insoutenable. Je n’ai jamais autant souffert de toute ma vie.

Ayant épuisé tous les recours traditionnels, nous avons fini par nous rendre à l’hôpital. Ce fut à Dubréka où un médecin m’a prescrit un traitement composé de trente piqûres que j’ai prises une à une. Ce traitement a légèrement diminué l’enflure du sein et a ralenti l’écoulement de la plaie qui s’était formée entre temps. Mais pas d’amélioration de mon état de façon générale. Au contraire.

En octobre 2016, le médecin de Dubréka ne pouvait plus rien. Il a jeté l’éponge et nous a conseillés, mon mari et moi, d’aller au plus vite à Conakry dans l’un des deux plus grands hôpitaux de la capitale: Ignace Deen ou Donka. Nous nous sommes rendus dans ce dernier où le médecin qui m’a reçue a immédiatement déclaré qu’il fallait couper le sein pour sauver ma vie! C’est là que j’ai entendu pour la première fois parler de cancer, un mot dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Coût de l’opération: cinq millions de francs guinéens payables avant l’intervention, alors que nous n’avions même pas plus de 100.000 francs par devers nous.

Je ne saurais expliquer les réelles motivations du médecin-chirurgien. Je ne voudrais lancer aucune accusation. C’est que je sais, c’est qu’il nous a mis une terrible pression en disant que s’il ne m’opérait pas le lendemain-même, il ne me recevrait plus, même si je revenais avec un montant supérieur. J’ignore comment mon mari a fait pour trouver l’argent.

Le jeudi, 3 novembre 2016, je fus donc opérée. Je me réveillai sans mon sein droit, emballé dans un sac plastique et remis à mon mari. Le choc psychologique était indescriptible. On m’a transférée du bloc opératoire à une salle de la maternité de Donka où je suis restée en tout trois jours avant que le médecin ne nous demande de rentrer à la maison sans autre forme d’accompagnement.

Il a ensuite expliqué à mon mari qu’il fallait payer la somme de 12 millions de francs pour les soins, sinon, a-t-il ajouté, « ça n’aurait servi à rien d’opérer ta femme ». J’avais physiquement très mal ce jour, mais je n’oublierai jamais la douleur qui m’a frappée au cœur devant la détresse de mon mari démuni…

Bref, voilà résumé mon passé douloureux. Mais mon présent n’est guère reluisant. Des examens récents ont révélé qu’en dépit de l’ablation du sein, la maladie n’est pas éradiquée. Des cellules cancéreuses sont en train de se répandre menaçant le reste de mon corps. Tous les spécialistes préconisent mon évacuation rapide à l’extérieur  de la Guinée vers une structure de prise en charge spécialisée. Selon les estimations des hôpitaux, cela coutera plus de 200 millions de francs guinéens ! Que faire ? Où vais-je trouve ce montant ? Je souffre.

Nous souffrons moi, mon époux et nos enfants. A moi, certes la douleur physique, mais à eux la douleur psychologique de me voir souffrir, l’angoisse insoutenable et la crainte de perdre sa femme ou sa mère. Je suis croyante musulmane, je garde espoir qu’Allah, que je prie, va me sortir de cette mauvaise passe.

Dans le malheur qui nous frappe, je rends grâce à Dieu qui a mis des personnes formidables sur notre chemin. C’est le cas des femmes de l’Association des Professionnelles Africaines de la Communication (APAC) et particulièrement de sa présidente Mme Asmaou Barry. C’est grâce à elle que je suis sortie de l’anonymat en me donnant la chance de m’exprimer pour la première fois dans une vidéo sur Facebook. Jamais je ne saurais la remercier assez, ainsi que toutes ces bonnes volontés qui m’apportent leur soutien, y compris ceux qui nous hébergent gratuitement à Conakry.

Je sais que beaucoup ont été choqués de voir une femme au sein coupé s’exhiber sur internet. Mais ai-je le choix ?

J’ai appris qu’en début d’année plusieurs jeunes femmes ont lancé une campagne de sensibilisation sur la prévention du cancer du sein sur les réseaux sociaux. Elles postaient des photos d’elles correctement habillées bien sûr. C’est à mon tour de lancer ma campagne de sensibilisation, mais pour la phase curative. J’ai dépassé la prévention dans mon cas. Malheureusement je n’ai plus rien à cacher. Je n’ai plus de sein à dissimuler par pudeur. Pourtant moi aussi, je fus une jeune femme et comme toute jeune femme, j’ai eu des seins qui suscitaient le désir des hommes. J’aimerais tant revivre cette époque-là…

J’ai appris qu’aucune femme n’est à l’abri du cancer du sein. C’est un mal indicible. Aucune femme ne mérite cela. Je suis consciente que personne ne peut échapper à son destin mais j’aimerais continuer à vivre auprès de mes enfants aujourd’hui dispersés un peu partout chez des proches. J’aimerais les élever et les éduquer ensemble, les voir grandir ensemble, les chérir ensemble.

Chers internautes, aidez-moi à les réunir à nouveau. Aidez-moi à rentrer à la maison saine et sauve. »

Fatoumata Batouly SOW

Pour venir en aide à Mme Cissé, Batouly Sow voici comment faire :


Ce que la vie doit à l’amour !*

Cet article est une fiction portant sur le thème de la « Jeunesse guinéenne d’aujourd’hui ».

Comme convenu la veille, nous nous étions levés aux aurores pour nous retrouver.

  • Ça y est, je suis prêt dit-il !
  • On y va, répondis-je, la gorge serrée.
  • Allez, c’est parti !

Sac à dos en bandoulière, il se mit devant marchant d’un pas hâtif sur l’étroit sentier du village. Les pattes de son jean balayaient la rosée dans un frou-frou musical. J’avais relevé mon pagne jusqu’aux genoux pour éviter de le mouiller. Je suivais Sadio en silence. Personne ne parlait. Seuls nos cœurs, en proie à une tempête de mélancolie, communiquaient dans un silence pesant.

Nos silhouettes se détachaient dans le décor des feuillages, dessinés par le faisceau de nos lampes torches à l’aide desquelles on s’éclairait. A l’est, le ciel s’illuminait d’une couleur pourpre annonçant la naissance de l’aube. Progressivement, la nature s’éveillait.

  • On y est, tu dois te retourner ici, me lança-t-il lorsqu’on arriva à un croisement de chemins. Sadio s’efforçait à ne laisser transparaitre aucune émotion dans sa voix, mais il était évident qu’il avait, lui aussi, le cœur lourd.
  • Je voudrais te pousser encore un peu plus, fis-je.
  • Non, il ne fait pas encore jour, tu dois te limiter ici. Ça commence à faire du chemin pour ton retour au village. Tu es toute seule, il ne faut pas prendre des risques inutiles.
  • Mais il n’y a pas de risque, en plus j’ai pas peur voyons argumentai-je.
  • N’insiste pas Assiatou, s’il te plait limite-toi là et rentre à la maison.

 J’étais obligée d’accepter sa proposition d’autant plus que Sadio avait une trentaine de km à parcourir à pied pour arriver en ville d’où il devait s’embarquer pour Conakry. Je savais qu’il se faisait de la bile à l’idée de rater son taxi, sachant qu’il n’y avait qu’un seul taxi-brousse qui ralliait la capitale au rythme de deux fois par semaine. Louper celui-ci revenait à patienter quatre jours supplémentaires avec toutes les conséquences que cela impliquait pour dormir et manger en ville.

On s’arrêta sous un grand arbre feuillu pour nous dire au revoir. Instant déchirant. Il me tendit sa main gauche que je serrai avec ma main gauche également. Chez nous, sans que je ne sache trop pourquoi, la tradition voudrait qu’on se serre les mains gauches pour se dire adieu.

Jamais adieux ne furent aussi pénibles pour moi.

  • Assi,… m’appela-t-il !
  • Sadio,… répondis-je en le fixant dans les yeux.

La conversation s’arrêta-là. Nous étions incapables de continuer à parler tant l’émotion était forte. On se contentait de nous regarder, chacun devinant ce que l’autre ressentait, ce que l’autre voulait dire par-delà le poids du silence.

Il retira sa main doucement, s’avança, marcha quelques pas avant de s’arrêter et de revenir sur ses pas. Je n’avais pas bougé. Il me saisit par la taille et me serra très fort contre lui. Sur mon sein, je sentais son cœur battre la chamade. Je savais qu’il brûlait d’envie de m’embrasser – moi  aussi d’ailleurs – mais nous nous étions promis de ne rien faire avant le mariage comme le veulent notre tradition et notre religion.

Il était 18H. Cela faisait déjà 11H de temps depuis que Sadio était parti. Son image emplissait ma tête, je n’arrêtais pas de penser à lui, de repenser aux instants de notre séparation laborieuse de ce matin. J’avais comme une boule de feu coincée dans la gorge. Avait-t-il pu voyager ? Avait-t-il raté son taxi ? Avait-t-il trouvé à manger ? Je me posais un tas de questions.

Sans doute Nen Kadiatou aussi, la mère de Sadio. Fils unique depuis le décès tragique de ses frères jumeaux dans un accident, Sadio était la prunelle des yeux de sa maman. Elle me demandait de ses nouvelles sans arrêt. Malheureusement, je n’avais pas plus d’informations qu’elle. Notre village était totalement enclavé, aucun réseau téléphonique n’était disponible pour communiquer.

Je rassurais la vieille dame – et me rassurais moi-même –, en prédisant que la route de Sadio serait bonne puisque j’avais veillé personnellement à ce qu’il respectât scrupuleusement le rituel du voyageur. Ainsi, avant de sortir de la maison, il avait consulté la position de la poule couveuse et suivi la direction indiquée par celle-ci en sortant. Il avait également versé une calebasse d’eau au pied de l’oranger de la concession. De mon côté, j’avais écrasé trois œufs au carrefour et déposé autant de tas de cendre tel que recommandé par le marabout que j’avais consulté pour le voyage de Sadio.

Nous habitions un village de montagne aride d’où nous tirions l’essentiel de nos ressources alimentaires d’une agriculture itinérante sur brûlis. Or, le dérèglement climatique avait provoqué l’espacement des pluies. Les champs étaient devenus improductifs poussant presque tous les hommes à l’exode rural vers les centres urbains et notamment vers la capitale à la recherche d’une vie meilleure. Seules quelques vieilles personnes, des veuves et des enfants peuplaient les hameaux tristes.

En dépit de son jeune âge, à peine 22 ans, Sadio était devenu le principal soutien de ses parents frappés par la vieillesse. Son rêve le plus ardent était de leur construire une maison en dur et de les emmener à la Mecque effectuer le pèlerinage.

Intelligent et bon élève, il avait été malgré tout contraint d’abandonner l’école en classe de 6ème année pour s’occuper de ses parents après la mort de ses frères. Moi aussi, j’avais abandonné mes études au niveau primaire sur décision de ma mère qui avait estimé qu’en tant que benjamine de cinq frères, je devais l’aider dans ses tâches ménagères et laisser les garçons étudier. A l’époque, j’étais trop petite pour comprendre. Maintenant, je me serais sans doute opposée à cette décision…

Sadio est mon cousin. Son courage et sa sagesse avaient poussé son oncle – mon père – à me le promettre en mariage. J’avais tout de suite accepté, puisque au-delà de son courage, Sadio est un beau garçon, gentil et galant. J’avais appris à le connaitre et à l’aimer. J’avais hâte de me marier avec lui, même si, par pudeur comme il est de coutume chez nous, j’évitais soigneusement de le lui dire.

Sadio avait expliqué à ses parents qu’il partait à Conakry. Il leur avait dit qu’il voulait tenter sa chance dans le commerce en ouvrant une échoppe de quartier. Son père, convaincu de son projet, avait consenti de revendre deux de ses vaches et quatre chèvres pour constituer le capital d’investissement. Une petite fortune dans notre contrée.

Mais à moi, il avait dit la vérité et c’est cette vérité qui me chagrinait davantage. Sadio m’avait avoué qu’il se lançait dans une grande aventure : il voulait tenter sa chance pour rejoindre l’Europe par la route ! Comme le firent deux de ses amis, Younoussa et Djibril, qui avaient réussi à gagner l’Italie il y a un an.

Les jours passaient et se ressemblaient. Sadio me hantait. Je me réveillais à l’aube, je faisais ma prière et profitais pour demander à Dieu de lui faciliter son voyage. Je n’avais toujours pas ses nouvelles cinq jours après son départ. J’ignorais s’il était arrivé à Conakry à bon port, ni ce qu’il était devenu. J’attaquais ensuite la journée qui commençait par la corvée d’eau. Je devais remplir plusieurs bassines en allant puiser à la source du marigot qui entourait notre village. J’avais mal aux reins à  force de descendre et de remonter le chemin qui serpentait la pente raide donnant accès au marigot. Mais c’est ainsi, comme toutes les femmes du village, je devais m’y faire.

J’avais enfin des nouvelles de  Sadio, une semaine après notre séparation. Mon frère Malik, qui l’avait accueilli à son arrivée à Conakry avait envoyé un message expliquant qu’il avait dormi chez lui deux jours avant de continuer son chemin. Son taxi était tombé en panne sur la route de Conakry obligeant tous les passagers à dormir en pleine brousse. Mais, par la grâce de Dieu, rien ne leur était arrivé. Une grande chance à cette période d’attaques à main armée perpétrées par des coupeurs de route qui régnaient en maitres sur les trajets interurbains.

Sadio n’avait pas dit grand-chose à mon frère Malik sur ses véritables intentions. Il lui avait vaguement expliqué qu’il partait à Bamako, au Mali, pour acheter des basins qu’il entendait revendre ensuite à Conakry. Malik avait essayé de le convaincre que ce projet était certes intéressant à long terme, mais un peu risqué étant donné que Sadio n’avait pas suffisamment de l’expérience dans le commerce. Il l’avait plutôt conseillé de rester à Conakry et d’essayer d’ouvrir une boutique de quartier avec quelques marchandises ordinaires. Malik était prêt à y contribuer si nécessaire et même de lui servir de guide se fondant sur son expérience propre en ce domaine. Sadio avait décliné poliment l’offre, arguant qu’il voulait tenter l’aventure des basins-Bamako pour voir ce que ça pourrait donner.

Il s’était donc embarqué pour Bamako en compagnie de Saliou, le fils de l’ancien maitre tailleur de Malik également originaire de notre village. Je connaissais Saliou qui avait récemment séjourné ici pour quelques jours. Un loup solitaire aux dents longues. Sadio et lui étaient devenus inséparables, entretenant une complicité que je peinais à percer. Ils menaient d’interminables entretiens jusque tard dans la nuit sous le Kouratier derrière notre concession. Je les surprenais évoquant des contrées lointaines dont je n’avais jamais entendues parler : Sahara, Lampedusa, Melilla, Méditerranée, etc…

Une fois, alors que je les épiais, je les avais entendus parler d’une grande clôture surmontée de barbelés qu’il fallait grimper pour accéder à un territoire appartenant lui-même à un pays étranger mais qui se trouverait dans un autre pays. Je n’y comprenais rien en dehors de la dangerosité d’affronter cette barrière qui serait haute de plusieurs mètres et surveillée 24H/ 24 par des agents de sécurité accompagnés de chiens méchants.

Sadio n’avait  jamais voulu qu’on en parle quand je lui avais demandé de m’expliquer ce qu’il fricotait avec Saliou et tous ces lieux dont ils parlaient. « Assi, écoute-moi ! D’abord ce n’est pas poli d’écouter des conversations privées » m’avait-il opposé. Ayant compris que j’en savais plus qu’il ne s’imaginait, il était contraint de me dire au moins qu’il voulait tenter l’aventure de l’Europe pour aider ses parents comme l’avait fait Younoussa qui avait réussi à envoyer les siens ainsi que ses beaux-parents à la Mecque. Je ne voyais aucune objection à ce qu’il parte, je craignais simplement pour sa vie et du sort de notre projet de mariage. D’ailleurs, je dois avouer que la perspective de voir ses parents et éventuellement les miens accomplir le rite du pèlerinage à la Mecque ne me déplaisait guère…

Ainsi, mon frère n’avait pas assez d’informations. Depuis qu’il était parti voilà plusieurs jours, Sadio n’avait pas donné de ses nouvelles. Mon frère ne s’en inquiétait pas outre mesure, puisque, à ses yeux, le trajet Conakry – Bamako était relativement sûr pour un voyage diurne. Ensuite, il était tout à fait normal que Sadio prenne plusieurs jours dans la capitale malienne pour acheter sa marchandise. Comme il le craignait, lui Malik, ce ne devait pas être du beurre à couper pour un novice.

Mon frère ignorait tout du projet aventureux de Sadio. J’ai fini par le lui dire à cause du manque d’informations et de mon inquiétude qui allait grandissante.

Un mois, puis deux, puis trois mois… Toujours aucune nouvelle de Sadio et de son compagnon de route, Saliou. Nen Kadiatou, sa mère, était au bord de la crise des nerfs. Elle pleurait sans cesse disant qu’elle avait perdu l’unique fils qui lui restait, comme elle a perdu ses deux jumeaux il y a quelques années. J’essayais de la réconforter et de la rassurer que Sadio allait bien et qu’il rentrerait sans doute un de ces quatre. Sans grand succès. Le visage de la vieille dame n’était plus qu’une indéfinissable expression de dépit et de désespoir. Elle avait les traits tirés, les yeux hagards, le regard perdu.

Mes nuits étaient sans fin. Sadio m’habitait. J’étais incapable d’arrêter de penser à lui. Je le voyais enfin. Il était vêtu d’un pantalon jean noir, assorti d’un polo couleur cendre et coiffé d’un large chapeau feutre. Il portait une vieille paire de baskets éculées aux lacets défaits. Il avait le visage noirci, les mains enveloppées dans des bandes de chiffon. C’était la nuit, il courait péniblement vers une clôture très haute, suivi de trois autres personnes. Tous avaient commencé à grimper le mur lorsque, soudain, derrière eux, surgirent d’énormes chiens bergers allemands, les yeux injectés de sang, qui aboyaient rageusement. L’un d’eux attrapa Sadio par la jambe et le fit tomber. Il se débattait, hurlait à l’aide, tandis que le gros chien bavait sur lui s’apprêtant à le mordre au cou.

Je me réveillai en sursaut, haletante, tout en sueur. Je ne refermai plus les yeux jusqu’au petit matin. Il en était ainsi depuis plusieurs jours. Mon sommeil était peuplé de cauchemars dans lesquels je voyais Sadio dans des situations désastreuses : tantôt il mourait de soif au milieu du désert, tantôt il se noyait dans un océan de sang.

J’étais repartie consulter le marabout pour enlever des sacrifices et demander à Dieu de veiller sur Sadio, de me donner de ses nouvelles et surtout de me le ramener sain et sauf.

Dix jours après le sacrifice, Malik me fit parvenir enfin une bonne nouvelle. Saliou avait pu joindre ses parents pour leur expliquer qu’ils allaient bien, lui et son ami Sadio. Ils avaient réussi à traverser le désert et à atteindre la Libye. Ils s’apprêtaient à traverser la mer pour se rendre en Italie. Il disait que le voyage était risqué mais qu’ils étaient en bonne santé et déterminés tous les deux. Sadio en avait profité pour me glisser un message personnel. Il disait qu’il m’aimait et qu’il n’arrêtait pas de penser à moi, ainsi qu’à sa mère. Il m’exhortait de continuer à prendre soin d’elle. Bientôt il serait en Europe, inch’Allah, ajoutait-il. Inch’Allah…

J’étais tellement heureuse d’apprendre cette bonne nouvelle que je me mis à chanter toute seule sur les chemins qui mènent aux champs et au marigot. Pour la première fois depuis de longs mois, depuis notre séparation inoubliable, je me sentais dans ma peau de jeune fille de 18 ans ! Je retrouvai l’appétit et un sommeil plutôt normal.

Trois semaines s’étaient écoulées après la bonne nouvelle. Depuis, plus rien. Silence radio. Dans mon fort intérieur, je savais que Sadio était maintenant en Italie, qu’il avait réussi la traversée sans péril et qu’il ne tardait plus à appeler Malik pour l’en informer.

J’étais assise à la véranda, pensive, contemplant le magnifique coucher de soleil qui jetait des flammes dorées sur le feuillage des arbres. Je voyais l’avenir en rose aux côtés de mon bienaimé Sadio… C’est à ce moment précis que j’aperçus un homme qui enjambait la clôture qui délimite le village. A mesure qu’il s’approchait, mes doutes se dissipaient. C’était bien lui ! Mon frère Malik portait en bandoulière un petit sac rouge couvert de poussière comme le reste de ses habits de voyageur. Je ne bougeai pas. Il marchait lentement, trainant les pas comme quelqu’un de très fatigué.

Au regard dévastateur que Malik posa sur moi, je compris tout, tout de suite. Je ne tenais plus sur mes jambes qui flageolaient. Il hâta le pas et me fit asseoir. « Courage …» me murmura-t-il me glissant un objet que je n’eus point de peine à reconnaitre. « Courage !» Son mot me transperça de part en part. Je ne dis rien. J’examinai l’objet : ma propre photo en noir et blanc que j’avais donnée à Sadio en guise de souvenir. « Mon Dieu ! », m’écriai-je.

« … leur bateau a chaviré. Saliou s’en est sorti, mais il n’a pu que sauver le balluchon de Sadio ; désolé Assi », ajouta Malik en sanglots.

Puis, mon regard se brouilla. Mes yeux s’embuèrent mouillant la photo que je contemplais. Tout était clair. C’en était terminé,  je ne reverrai plus jamais mon Sadio !


Jardin de la Camayenne, petit bout de paradis au cœur de Conakry

C’est à une balade de décrassage du corps et de l’âme que je vous invite à travers ce billet de blog. Pas besoin de chaussures de montagne ou de trekking, la destination est facile d’accès et à portée de main.

L’endroit est coincé entre le fameux cimetière de Kameroun et l’immense esplanade de la grande Mosquée Fayçal. C’est le jardin botanique de la Camayenne. Gazouillis d’oiseaux, air frais, senteurs sauvages, silence de… Cimetière … Ici, sous ces arbres centenaires dont le cime tutoie les cieux, on a du mal à croire d’être au cœur de Conakry, la capitale guinéenne. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’à quelques centaines de mètres aux alentours, les caniveaux et les quartiers dégorgent de déchets faisant de notre ville l’une des plus sales et polluées d’Afrique.

Jardinier, spécialiste de plantes ornementales, Ousmane Bangoura, 60 ans, connait le Jardin botanique comme sa poche. Quand on demande à ce grand amoureux de la nature de parler de cet endroit, son visage osseux s’éclaire d’un large sourire aux traits débonnaires. Nous prenons place, lui et moi, sur un banc en ciment à l’ombre d’un grand acacia mangium.

J’apprends qu’en 2017 le Jardin botanique fête son 120ème anniversaire d’existence ! Créé en avril 1897 par le premier gouverneur de la Guinée française, le Docteur Noël Eugène Ballay, le « Jardin d’essai de la Camayenne », comme on l’appelait, servait à tester différentes espèces de plantes tropicales. A l’origine, il occupait un espace de 13 hectares entre le « Pont 8 novembre » et la route qui borde le CHU Donka. Aujourd’hui il n’en reste que 8 hectares, les 5 autres ayant servi à la construction de la mosquée et le cimetière de Kameroun.

Les premiers plants du Jardin furent le mangoustanier, l’eucalyptus et le caïlcédrat introduits en 1898. Très vite, les conditions édaphiques et climatiques se sont avérées favorables. Les arbres ont rapidement poussé sous la main experte et bienveillante de Louis Auguste Chevalier, premier directeur du Jardin. Le nom de ce botaniste est surtout connu à Dalaba où il a créé le jardin qui porte son nom, « jardin Chevalier », avec les fameux pins qui font encore aujourd’hui la célébrité et la fierté de cette cité aérienne.

Entre 1914 et 1945, le bananier a régné en maitre dans le Jardin de la Camayenne. En cause : l’introduction de quelques rejets de bananiers en provenance de Paris s’est transformée en un succès retentissant.

L’expérience a été répliquée ailleurs, notamment à Madéguéma, une localité située au pied des montagnes entre Manéyah et Coyah donnant naissance à une importante bananeraie. Progressivement, il s’est créé ce qu’on a appelé le « triangle bananier » entre les villes de Forécariah  – Kindia – Dubréka, faisant de la Guinée durant cette période, premier pays exportateur de banane en Afrique. Un essor qui s’est poursuivi jusqu’à la rupture brutale entre la France et la Guinée lors du fameux « Non » de 1958.

A l’image du bananier, d’autres arbres fruitiers ont été testés avec succès tels que le noisetier de Cayenne (cacao sauvage), le cerisier, l’abricotier ou encore le sapotier dont les fruits sont réputés être d’un goût exquis qui ravit le palais. Une anecdote sortie du chapeau de «  l’ami des arbres », Ousmane Bangoura, raconte que les colons blancs avaient introduit six plants de sapotier au Jardin et trois devant chacune de trois églises de Conakry : Sainte-Marie de Kaloum (cathédrale), Sainte-Marie de Bellevue et Saint-Michel de Coléyah.

Le flamboyant, arbre ornemental par excellence, est également le fruit du Jardin botanique de la Camayenne. Il embellissait les principales artères de la capitale, notamment les corniches nord et sud, et est à l’origine du surnom de Conakry « Perle de l’Afrique occidentale ». Une image paradisiaque bien lointaine, face à l’état d’insalubrité désastreuse actuelle de la ville qui désole Ousmane, planteur des flamboyants aujourd’hui disparus, pour la plupart, le long des routes.

Flamboyant originaire de Madagascar, acacia mangium en provenance des forêts de l’Australie, ylang-ylang ou arbre à parfum des Iles Comores, hévéa du Brésil, tiama de l’Angola, cèdre, pimenta, terminalia catapa (fôté kansi), tek, cannelle, copalier … le Jardin botanique compte actuellement plus d’une centaine d’espèces ornementales, fruitières et forestières. Au grand bonheur de petits animaux de type fourmis et oiseaux qui foisonnent.

Mais également des hommes. La Direction nationale des eaux et forêts (ministère de l’Environnement) s’est installée là, au milieu de ce formidable écosystème, havre de paix au cœur d’une ville de Conakry tumultueuse.

Ce Jardin, en parfait état, apparait ainsi comme la principale fenêtre d’aération de Conakry en servant de système de recyclage d’air pollué. Un rôle qu’il devait jouer de concert avec les forêts de Kakimbo, d’Enta et de Dabompa. Malheureusement, ces espaces verts ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes à cause de la pression démographique incontrôlée.

Sur les petits sentiers de terre qui courent dans le Jardin botanique, on croise quelques visiteurs charmés, mais surtout une petite armée d’une dizaine de jardiniers qui s’occupent de la reproduction des plantes. Au fond du bois, ils élèvent des pépinières dont certains plants servent à l’aménagement de jardins résidentiels.

Au bout d’une demie heure de causerie et de balade , Ousmane, l’ange-gardien du Jardin, se fait philosophe : « Dieu a créé les plantes pour accompagner l’homme sur Terre. Sans elles, l’homme n’est rien. Nous devons respecter les plantes ». C’est dit.

Ousmane Bangoura


Le « Musée du Fouta », mémoire vivante du patrimoine culturel peul

Musée du Fouta – crédit photo: Alimou Sow

Le massif montagneux du Fouta-Djalon, situé au nord-est de la Guinée, est à l’origine du surnom de notre pays de « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » à cause de sa pluviométrie abondante et du grand nombre de cours d’eau qui y prennent leur source formant parfois des bassins transfrontaliers avant de se jeter dans l’océan (fleuves Gambie et Sénégal) .

C’est également la région d’origine du peuple peul en Guinée dont l’histoire et la culture sont particulièrement riches. Une histoire, hélas, mal connue, puisque mal enseignée et souvent écrite par des étrangers. Beaucoup de jeunes guinéens – y compris ceux habitant ou originaires de la région – ignorent par exemple que ces hauts plateaux furent le théâtre d’une révolution musulmane au 18ème siècle qui a abouti à la création d’une théocratie ayant résisté, un temps, à la pénétration coloniale.

C’est pour garder vivante la mémoire du patrimoine culturel peul hérité de cette histoire faite de soubresauts qu’une femme a décidé d’agir. Mme Zenab Koumanthio Diallo est la fondatrice du Musée du Fouta sous la houlette de l’Association des femmes poètes et écrivains de Guinée.

« Karamoko »

Ouvert le 9 juin 2001 à Labé, capitale de la Moyenne Guinée, le Musée du Fouta est situé au quartier N’diôlou dans un petit bâtiment circulaire, inspiré d’une case ronde, comprenant une salle d’exposition, une salle de formation et quelques pièces dédiées à l’administration. Il est dirigé par un Comité scientifique et un Conservateur en la personne de Ousmane Tounkara, mon guide du jour.

L’homme est rôdé à la tâche. La voix tonique d’un rappeur, l’œil pétillant, Ousmane Tounkara connait le Musée du Fouta comme sa poche et presque chacune des 2.500 pièces de l’exposition « Karamoko Alpha Mo Labé » qui occupe la salle du rez-de-chaussée.

L’expo s’ouvre sur un vieil homme enturbanné, assis en tailleur sur une peau de mouton tannée. Les objets hétéroclites qui l’entourent (encriers, planchette d’écriture, un coran ouvert…) laissent peu de doute sur son statut : il s’agit d’un «karamoko », un éducateur dépositaire du savoir et de l’enseignement coranique et qui est chargé de les transmettre aux disciples (tâliba).

La femme, la vache et la foi

Avant d’aller plus loin, Ousmane Tounkara se veut pédagogue : « la société peule est bâtie autour d’un triptyque : la femme, la vache et la foi » résume-t-il. Explications.

  • La femme: Dans la tradition peule, la femme est un personnage incontournable. En tant qu’épouse, elle est la gardienne de la maison laquelle est une case ronde au toit de chaume. C’est à la fois la chambre à coucher, le salon, le garde-manger et la cuisine réunis. Un muret en terre latérite tient lieu d’étagère sur laquelle trônent les calebasses dans lesquelles fermente le lait de vache. D’autres sont suspendues, accrochées à une plateforme soutenue par quatre poutres où sont conservés les produits de récolte (riz, fonio, mil, maïs). Juste au-dessus du feu alimenté par des blocs de termitières mortes, pendouille de la viande boucanée, provision de l’époux pour ses longs déplacements.

Au registre mobilier de maison, le tabouret occupe une place de choix. Les femmes l’utilisent pour s’asseoir en faisant la cuisine et pour plusieurs autres tâches ménagères. Cet objet est souvent transmis de mère en fille parfois sur plusieurs générations. Dans sa collection, le Musée détient un spécimen vieux de quatre siècles et demi. L’importance du tabouret – hérité – lui vaut une fonction «  porte-bonheur » : on y fait asseoir la nouvelle mariée pour sa fertilité et celle en âge de se marier pour trouver un époux.

Bien que le sexe soit en général tabou dans la culture peule, la femme peule sait séduire. D’abord par sa parure (bagues, bracelets, chevillères, perles…) et surtout par sa célèbre coiffure traditionnelle en crête (dioubâdhé) dont la forme pouvait être un indicateur du rang social de celle qui la porte (droite = cheffe, inclinée = basse classe, etc.).

Séduction par la coiffure et les parures, mais également à travers les petits présents en nourriture. La femme offre à son prétendant une gourde contenant du beurre de vache appelée « tembêrè nebban ». Cadeau suprême à l’origine de la croyance répandue selon laquelle la femme peule est capable de contrôler un homme en lui faisant manger un aliment mystique appelé « gnâmi diôdô ».

L’homme à son tour, pour épouser sa prétendante, doit déposer un lot de cola nuptial dont le nombre varie entre 100 et 315 noix (suivant le nombre de prophètes). Ces colas sont artistiquement nouées à l’aide de cordes végétales (une quinzaine) dont le tout évoque un phallus en érection. Tout un symbole !

  • La vache : Il existe un lien quasi-ombilical entre le Peul et la vache. C’est d’ailleurs cette dernière qui a emmené les Peuls au Fouta ! Les récits historiques racontent que c’est à la recherche de pâturages abondants que les premières vagues de pasteurs peuls nomades envahirent les hauts plateaux du Fouta-Djalon, au 15ème siècle, alors habités par le peuple Djallonké. Les Peuls sont foncièrement pasteurs avant de devenir agro-pasteurs, puis commerçants notamment au contact des Mandings.

Il s’agit généralement d’un élevage domestique rudimentaire constitué d’un cheptel d’une dizaine de têtes tout au plus dans chaque concession. Traditionnellement, les vaches sont rassemblées dans un parc appelé « dinguirâ ». Elles portent des noms suivant leur couleur : wodhêwé (robe rouge), lahé (robe noire), willé (robe grise), witchpâgué (tachetée)…

Traire la vache est une activité réservée aux femmes. A l’origine, la traite est faite dans le « kounnawal », un récipient creusé dans le figuier (djibbé) qui, dans la tradition peule, est considéré comme l’arbre du paradis et symbole de la fécondité. On utilise également la calebasse comme « bhirdoughal » (récipient de traite), mais jamais un récipient en plastique.

L’élevage de bovins avait surtout une fonction sentimentale. Parfois, le sentiment est si fort que les Peuls ne mangent pas la viande de leurs propres vaches, surtout si celle-ci est fraiche (les vieux sages la préfèrent boucanée). Ils préfèrent le lait, le beurre et la bouse de vache, engrais naturel, qui sert également à badigeonner le plancher et les murs des cases.

Les Peuls restent des éleveurs dans l’âme, même si la grande majorité d’entre eux s’est désormais enrichie dans le commerce et s’est établie en ville au détriment de la campagne. Partout en Guinée, ils contrôlent la filière viande, soit en tant qu’agro-pasteurs, bouchers, convoyeurs ou vendeurs.

  • La foi : La révolution islamo-peule du 18ème siècle au Fouta-Djalon a été conduite par des vagues de Peuls musulmans venus du Macina et de la vallée du fleuve Sénégal. Une révolution multi-ethnique dirigée par douze marabouts peuls et dix marabouts mandings qui ont imposé l’islam comme religion au Fouta. La foi religieuse guide toutes les actions de l’homme.

L’enseignement du Coran est assuré par le vieillard à la fois éducateur, directeur, médiateur, détenteur du pouvoir politique et religieux. L’enseignement se fait au « doudhal » (école). Pour les jeunes disciples, les leçons sont écrites sur une ardoise en bois en forme de flèche appelée « allouwal » à l’aide de l’encre et des plumes d’origine végétale.

Pour faciliter l’expansion de l’islam et sa compréhension, les érudits, « thiernôdio ou thierno », ont entrepris la traduction du Coran en langue Poular. Progressivement, on a assisté à l’éclosion d’une véritable littérature religieuse et poétique au Fouta-Djalon. La plus ancienne pièce du Musée est en effet un parchemin vieux de 650 ans retrouvé à Koula Tossokèrè (Lélouma), l’un des foyers islamiques les plus réputés de la région à l’époque.

Thierno Samba Mombeyah, Thierno Sadou Mo Dalein, Thierno Aliou Badra Daroun… sont parmi les plus célèbres de ces érudits respectés et vénérés. Ce sont eux que chante la cantatrice Binta Laly Sow dans le morceau « Waliyâbhé Fouta » qui leur est consacré.

Cet islam-là relève du courant soufi, représenté par le « tidianisme », très tolérant. De nos jours, il est en perte de vitesse surtout dans les centres urbains, concurrencé par le courant « wahabbite » rampant. Mais ça, c’est une autre histoire…

Le reste de l’exposition montre la stratification de la société au Fouta-Djalon, multiculturelle, multi-ethnique avec les divers corps de métiers : chasseurs, forgerons, cordonniers, tisserands, apiculteurs, potiers, griots.

L’enrichissante visite se termine sur un espace politico-militaire montrant les figures de la révolution islamique de la théocratie et la résistance à la pénétration coloniale.

On sort toujours moins bête d’une visite au Musée du Fouta qui survit grâce à ses propres ressources (maigres) et à quelques appuis comme ceux de l’Ambassade de France en Guinée pour les locaux et l’Ecole du Patrimoine africain pour le renforcement de capacité du personnel. Mais les défis restent à la dimension des ambitions du Musée : élargir et moderniser les locaux, collecter plus de pièces et les conserver dans de meilleurs conditions. Chiche !

Intérieur Musée – crédit photo: Alimou Sow


Conakry – Labé – Conakry : retour sur un voyage éreintant !

Sur la route de Labé (crédit photo: Alimou Sow)

Du trajet Conakry-Labé-Conakry que je viens de boucler au bout d’un voyage de cinq jours, j’en connais un rayon. Je le pratique en moyenne une fois par an depuis douze ans; depuis mon premier voyage à Labé en février 2004 à la faveur d’un cycle universitaire qui aura duré cinq ans…

J’ai parcouru ce trajet, de jour comme de nuit, des dizaines de fois en Peugeot 505 – mulets de nos routes déglinguées -, une fois en autocar (caprice d’une ex-copine d’université qui a failli nous expédier six pieds sous terre sur la montagne de Yombokhouré) et une fois par avion, en 2015, dans le cadre d’un voyage professionnel.

Quel que soit le type de véhicule utilisé, le voyageur Conakry-Labé s’en sort toujours avec un sentiment mitigé : la beauté d’un paysage à couper le souffle sur une route chaotique qui flanque à vos reins un formidable coup de vieux.

Cette fois, c’est moi qui suis aux commandes. Ma troisième expérience de « long voyage » après un « Conakry-Télimélé » et un « Conakry-Boké » réussis au volant du même tacot: une Nissan Almera 2006, « occasion Bruxelles », plutôt correcte. Mais, comme « qui voyage loin ménage sa monture », je la soumets à un check-up complet la veille du départ. Les récits épiques, quelquefois tragiques, sur cette route de 400 km au bout de l’enfer, laissent peu de place à l’improvisation pour s’y engager.

Je suis débout dès potron-minet pour affronter, en solitaire, le tronçon jugé le plus difficile, Conakry-Kindia. 135 km que l’on accomplissait, il y a quelques années, en un peu moins de deux heures montre en main. Maintenant, il faut rajouter deux heures supplémentaires pour crapahuter sur la même distance devenue un parcours de rêve pour un rallye raid de type « Paris-Dakar », tant la route est en piteux état.

Sous le poids de l’âge et surtout des poids lourds chargés à tout casser, le goudron s’est effrité au fil des saisons, formant des nids de poule devenus progressivement de larges cratères qu’on aurait dit provoquées par un puissant séisme. Des bulldozers s’activent à niveler ces trous géants dans un nuage de poussière permanent, interrompant intempestivement le trafic. Le capharnaüm ressemble à un paysage lunaire balayé par une puissante tempête extraterrestre.

C’est dans ce chaos indescriptible qu’on tente d’appliquer les règles de la sécurité routière. Entre rigueur et excès de zèle.

En plus de l’inamovible barrage de Kaka, à la sortie de Coyah, des checkpoints filtrants sont érigés tout le long de la route jusqu’à Labé. Les gendarmes veillent au grain.  Pour passer, il faut montrer patte blanche. Les documents classiques du véhicule : permis de conduire, carte-grise, certificat d’assurance, vignette (Taxe Unique sur les Véhicules) sont passés au peigne fin. Fait nouveau : il faut également disposer du triangle de pré-signalisation (triangle rouge), la trousse médicale de secours et un extincteur, décliné en « essinter » ou « egzinter » par certains agents, y compris à l’écrit sur les PV de contravention (100. 000 GNF pour une pièce manquante) ! Il faut donc tendre l’oreille et être bon en …anagrammes pour s’en tirer !

En règle sur toute la ligne, je franchis les chekcpoints sans coup férir. A l’aller comme au retour, aucun agent ne m’a sorti « on est là pour vous »  ou bien «  levée de barrage », les fameuses formules pour abouler le bakchich de la corruption. A mon grand étonnement …et soulagement !

En dépit de cette attitude correcte (même si certains gendarmes me prenaient de haut), ce contrôle strict se heurte à un triple paradoxe.

Premièrement, il est partial. Il concerne, paradoxalement, les véhicules personnels relativement en bon état et qui offrent plus de sécurité ; tandis qu’on ferme les yeux sur les défaillances des poids lourds et les véhicules de transport en commun (taxi-brousses, bus et minibus), des épaves en mouvement, dangereusement surchargées au point d’être flanquées de porte-bagages en extension, non prévus par le constructeur.

Deuxièmement, dans une situation normale, il est indispensable de disposer des documents légaux du véhicule et les autres accessoires pour la sécurité des voyageurs. Mais, ici, la situation est tout sauf normale avec une route complètement défoncée et muette (pas l’ombre d’un panneau de signalisation), constituant le plus grand danger pour les usagers. En attestent les innombrables carcasses de véhicules gisant sur le bas-côtés de la route, témoins d’autant d’accidents de circulation mortels.

Enfin, la présence de ces nombreux barrages de contrôle contraste fort bien avec l’insécurité qui règne sur les axes routiers en province où des coupeurs de route sèment la terreur à la nuit tombée. On ne compte plus le nombre d’attaques à main armée souvent fatales aux voyageurs nocturnes.

Première conséquence de la baisse du trafic la nuit : l’économie de la petite localité de Tamagali, sur l’axe Kindia – Mamou, est à terre. Cette espèce de caravansérail naguère prospère où l’on s’arrêtait manger de la chèvre au milieu de la nuit, affiche une image pâle en cette fin décembre 2016. Contrairement à sa sœur, Linsan, où l’on continue de faire halte la journée pour manger : lait caillé, fonio, riz, brochettes de viande, tarot… C’est au choix.

C’est ce magnifique exemple d’entente et de solidarité entre deux localités voisines sur le fonctionnement de leur économie que les bandits sont en train de démolir, au nez et à la barbe des autorités …

Ma Nissan ne bronche pas pour la montée harassante de Yombokhouré, dernier rempart avant d’accéder aux hauts plateaux du Fouta Djallon. Les villes défilent. Kindia est déjà loin derrière.

Voici Mamou, ville-carrefour, bâtie sur un confettis de petites collines abruptes que dévalent des moto-taxis à tombeau ouvert.

Puis Dalaba, haut perchée sur le massif montagneux de Tamgué. Au loin, les minarets de la majestueuses mosquée de la ville se détachent dans la brume qui enveloppe la cité surnommée « la Suisse de l’Afrique » du fait d’un climat frais, particulièrement en cette fin d’année où l’harmattan sévit. Plus près, des pins verdoyants défilent à gauche dans un virage serré avant d’arriver au centre-ville qui n’a rien d’extraordinaire. Mais Dalaba reste cet exceptionnel mirador pour contempler, par beau temps, des magnifiques paysages aux plateaux encaissés.

Pita est à une cinquantaine de kilomètres de là. Des virages en épingle de cheveux. Sébhory, Mitty, … Brouwal Tappé pour, enfin, entrer à Pita-centre. Moins de 5 minutes pour traverser la ville. Toujours la « Tappa-lappa », la fameuse miche de pain locale proposée sur des planches alignées sur le trottoir de la route principale. Je franchis le Koubiwol, la rivière qui ceint le côté ouest de la ville pour entrer dans « le Labé ».

Pour railler la ruse supposée (ou réelle) des gens de Labé, la légende raconte que  pour fixer la frontière entre Pita et Labé, les habitants des deux cités rivales s’étaient entendus de se lever aux aurores pour marcher les uns en direction des autres. La frontière serait établie pile au point de leur rencontre. Les habitants de Pita ont eu la désagréable surprise de rencontrer ceux de Labé juste à la sortie de leur ville. Comme convenu, ils s’étaient levés tôt le matin alors que les Labékas avaient marché toute la nuit !

Au bout de 12 heures de voyage (avec une pause d’une heure et demie), je fais mon entrée dans la cité de Karmoko Alpha Mo Labé, du nom de son fondateur. La ville est en pleine expansion où poussent des buildings élancés et des demeures cossues. La voirie urbaine en lambeaux, – comme à Conakry – la  ville est écrasée par une chape de poussière ocre et salissante qui irrite les voies respiratoires. C’est à croire qu’un astéroïde est tombé sur la ville !

Quatre jours de séjour pour revoir de vieilles connaissances, parents et anciens amis de l’Université de Labé.

Beaucoup de nouveautés pour le loisir et la gastronomie comme le dîner « Chez Kamal », un restaurant sympa où l’on mange bien au quartier Safatou. Mais aussi des adresses intactes comme l’éternel petit déjeuner au rond-point Tinkisso chez Dian Kadiatou. Au menu : riz ou fonio à la soupe de poulet/ viande, ou au velouté « mafé nama ». ça ne désemplit jamais le matin, surtout en ce matin frisquet de décembre, la rigueur de l’harmattan se lisant sur la peau squamée et les lèvres gercées des clients, écharpes autour du cou, les mains dans les poches des jackets.

Au bout de quatre jours, je reprends le chemin inverse pour rentrer à Conakry avec une halte à Dalaba, pour une nuit au somptueux hôtel du Foutah, fondé dans les années 1930. Les bâtons de frites qu’on y mange ont des allures de pilons vigoureux. La pomme de terre sent la fraicheur locale.

Une fraicheur que distribue également à l’état naturel le fameux « Kouratier » de l’hôtel du Foutah, le figuier sauvage de Guinée devenu carte postale de Dalaba.

Je rentre à Conakry éreinté, mais plein de bons souvenirs foutaniens. Comme à chaque fois. Depuis 12 ans !


Tayaki, un village de Conakry écartelé entre beauté et précarité

Plage de Tayaki (Alimou Sow)
Plage de Tayaki (Alimou Sow)

La pression écrasante que Conakry exerce sur ses habitants pris en étau entre des déchets éternels, des embouteillages légendaires, des moustiques mutants et une chaleur de fournaise, pousse les Conakrykas hors les murs à la quête d’air pur et d’un peu d’exotisme.

Les weekends, il n’est pas rare de croiser de petites bandes de copains en partance pour les îles de Loos, au large de la capitale, pour aller recycler l’air de leurs poumons pollués. Au point qu’un micro-phénomène de tourisme de proximité est en train de se mettre doucement en place autour de Conakry dans un rayon de 150 km.

Ce dimanche, j’ai sauté le pas pour suivre un groupe de 13 filles dont 10 de l’Association Africaine des Professionnelles de la Communication (APAC). Destination ? Tayaki !

Son nom à six lettres évoque une île perdue sur l’archipel du Japon, y compris pour les habitants de la capitale dont la plupart n’ont jamais entendu parler de Tayaki. Pourtant, ce village relève de Kobaya, l’un des quartiers nord de la commune urbaine de Ratoma dans l’agglomération de Conakry.

Pour se rendre à Tayaki, il faut mouiller le maillot, au propre comme au figuré. Aucun moyen de déplacements hormis la marche à pieds !

Tayaki n’est pas une île à vrai dire. C’est une espèce d’immense radeau flottant au milieu des marécages à près de quatre kilomètres des côtes de Kobaya. On y a accède en suivant un chemin fait des digues de protections de carrés rizicoles formant un vaste réseau de boyaux à travers les marais.

Bien que nous soyons à la fin de la saison des pluies, il vaut mieux être chaussé de bottes, le pantalon retroussé au-dessus des genoux pour patauger dans la boue. A défaut, se mettre carrément pieds nus. Attention aux chutes ! La terre dégorgeant d’eau est particulièrement glissante.

C’est la saison de la moisson. Armés des faucilles, des paysans récoltent le riz en coupant les tiges d’un geste vif. A notre passage, l’un d’eux se redresse pour se plaindre d’une mauvaise récolte, l’eau de mer ayant franchi les digues et envahi les rizières. Un autre, travaillant en solo, enchaine des refrains de reggae pour se donner du courage.

La senteur du riz mûr embaume les champs tout le long de notre chemin. Un instant, je me sens transporté dans mon enfance villageoise à Télimélé…

Après une heure de marche et plusieurs bouteilles d’eau vidées, surgit Tayaki. Une poignée de maisons rustiques négligemment disloquées sur une langue de sable : murs en banco, toitures en tôle ou en chaume. La plage, bande de sable d’une dizaine de mètres de large, s’étire en ligne droite à perte de vue. Une flopée de pirogues mouille au large, bercée par le clapotis des vagues. C’est le port de pêche de Tayaki.

Assis dans une pirogue, un groupe de pêcheurs brulés par le soleil et l’eau de mer démêle un filet, tandis que des gamins jouent dans le sable à attraper des crabes vivants aux pinces acérées.

Premier constat : la plage est sale près du village. Pour dénicher un endroit propre et ombragé, il faut pousser un à deux kilomètres plus loin.

Nous installons notre camp de base à l’ombre bénie d’un palmier isolé. L’endroit est magnifique. Les filles font la cuisine, je les berce avec des blagues plus ou moins inspirées.

13H. Les gros morceaux de viande du barbecue sont charriés par des litres de jus de fruit en brique. Je me fais même damer le pion par les… dames en matière de rapidité pour avaler ! Petit tour de…sable pour recueillir les avis sur la sortie. Toutes les 13 filles se montrent élogieuses et en redemandent, tressant des lauriers à l’initiatrice de la sortie, Asmaou Barry, présidente d’APAC.

15H. Partie de jeux, puis marée basse qui laisse découvrir un sol noir, boueux. On aurait dit des pierres volcaniques disposées régulièrement. C’est l’heure du retour.

Mais Tayaki ce n’est pas seulement la plage au sable fin. C’est aussi et surtout une population à dominance Baga qui lutte pour sa survie et à qui il faut parler. Le village, de près d’un millier d’habitants, est dépourvu de tout. Aucune infrastructure digne de ce nom : pas de route (on l’a vu), pas d’eau, pas d’électricité, pas de service de santé, pas même une école sérieuse.

C’est en pirogue que les villageois partent à Lambanyi ou à Kobaya pour chercher de l’eau potable. Pour l’école, ce sont deux âmes charitables (dont une femme expatriée) qui se battent pour les enfants : déjà un hangar couvert de tôles et protégé par des bâches, deux tableaux noirs, quelques tables-bancs pour un effectif total de 42 élèves de la première à la troisième année. M. Camara, le seul instituteur du village, fait comme il peut.

Les parents d’élèves également. Ils cultivent le riz pour nourrir la famille, pêchent et revendent une partie du produit afin de subvenir aux autres besoins. Ce sont eux qui rémunèrent le maître d’école à hauteur de 5.000 francs par enfant le mois.

A côté de ces deux activités principales, il y a la production de vin de palme, une filière tenue visiblement par d’anciens réfugiés sierra léonais. Des gaillards qui ravitaillent Conakry du liquide blanc laiteux qu’ils transportent en packs de trois bidons de 10 et 20 litres accrochés à chaque extrémité d’un bâton calé entre les deux épaules. Sur quatre km de marche, voire plus. Un boulot de malade !

Au coucher du soleil, un petit  marché forain de vin de palme se crée à l’orée du quartier Kobaya. Un vin que l’on soupçonne frelaté si l’on en juge par le nombre de sachets de bière vides qui jonchent le chemin de Tayaki. Un cocktail qui rougit les yeux et échauffe les esprits.

De par la beauté de sa plage et son emplacement idéal, Tayaki possède tous les atouts pour être un village touristique non pollué, soupape de la capitale. En attendant, Tayaki est une bourgade à la marge de Conakry, perdue dans des marécages aux eaux troubles !

 


Du bon temps à Clermont – Ferrand après un voyage éreintant

Vue sur Clermont-Ferrand - crédit photo: Alimou Sow
Vue sur Clermont-Ferrand – crédit photo: Alimou Sow

Je savoure le bon temps que je passe actuellement à Clermont-Ferrand, je le vois comme la récompense suprême de mon exécrable voyage Conakry – Paris via Casablanca, qui a failli transformer mes vacances d’été en pétard mouillé. Vingt-quatre heures de retard au départ de Conakry à cause d’une avarie technique de l’avion avec pour conséquence directe la perte – non remboursée – de ma réservation d’hôtel prépayée à Paris. S’y ajoute la torture psychologique de voler dans un avion dont la roue crevée a été remplacée. « L’avionphobe » qui habite en moi, gavé d’horribles images de catastrophes aériennes sur National Geographic Channel, a failli péter un câble à 11 mille pieds d’altitude ! La perte de ma valise (retrouvée et rendue après quatre jours) fut la cerise sur le gâteau que m’a servi Royal Air Maroc. Shoukran !

Mais les choses ont commencé à partir en vrille bien avant mon arrivée à l’aéroport de Gbessia Conakry. Quelque temps avant mon départ de la maison, ma cheville droite est victime d’une entorse après un violent coup de porte. Un incident qui aurait dû me pousser à annuler mon voyage si j’avais été superstitieux (comme le sont la plupart de mes compatriotes), mais je suis plutôt d’un esprit cartésien.

Mon incrédulité face à certaines croyances populaires est-elle à la base de ma mésaventure ? Possible.

Adolescent, au village, j’ai vu des voyageurs rebrousser chemin après plusieurs kilomètres de marche et annuler ou reporter leur voyage, simplement parce qu’ils avaient croisé un individu soupçonné de sorcellerie ou parce qu’ils avaient buté sur une pierre du pied gauche (ou droit) !

Pour conjurer le mauvais sort du voyage, certains consultaient le Marabout pour savoir quel jour partir, à quelle heure et quelle direction prendre au départ. D’autres avaient recours à un drôle de GPS : la poule couveuse ! On devait surprendre une poule entrain de couver ses œufs pour suivre impérativement la position de celle-ci en sortant de la maison, quitte à foncer, tête baissée, directement dans la broussaille si le chemin y menait !

Hélas, je n’ai pas de poule couveuse pour savoir quelle est la bonne direction à prendre. Ce qui est certain, c’est qu’un billet d’avion de plus de mille dollars était en jeu si je décidais d’annuler délibérément mon voyage. Je préfère affronter un sorcier ayant des cornes que de laisser partir en fumée une telle somme…

Mais c’est de l’histoire ancienne.  Les charmes de l’Auvergne sont en train de poncer tous les mauvais souvenirs de cette mésaventure…

Ce qui frappe le voyageur qui arrive pour la première fois à Clermont-Ferrand par la route du nord, c’est le relief. La monotonie des plaines du centre est brusquement cassée par la chaîne des volcans du Massif Central qui surgit à l’horizon. La ville, capitale de l’Auvergne, se trouve confinée dans une sorte de cuvette cernée par un chapelet de volcans éteints (nommés les Puys) dominés par le très célèbre Puy-de-Dôme.

Le spectacle est plus parlant depuis le toit de la majestueuse Cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Clermont. Pour deux euros, l’effort de l’ascension des 245 marches de l’une des tours du monument est récompensé par une vue panoramique à 360 degrés sur la cité. Au premier plan, des maisons aux toitures en tuile rouge flammé, au second, les HLM des quartiers périphériques (avec la « Muraille de Chine » qui se détache nettement) et, à l’arrière-plan, des demeures cossues, accrochées au flanc des montagnes, complètent le décor de carte postale qui s’offre à mes yeux sous un ciel bleu azur.

L’église, comme la plupart des édifices environnants, est bâtie avec la Pierre de Volvic, une roche volcanique noirâtre qui confère un aspect sombre et un tantinet triste à la vieille ville de Clermont. Une tristesse accentuée par des rues quasi-désertes, l’été ayant charrié les Clermontois actifs vers les plages du Sud de la France. Je descends de la Cathédrale pour monter encore plus haut : au Puy-de-Dôme.

Sous la conduite d’un ami guinéen, aventurier dans l’âme, et qui connait Clermont-Ferrand comme sa poche, nous décidons, en compagnie de deux Auvergnats et d’un couple d’amis compatriotes, de gravir la montagne à la marche. Après trois quart d’heure d’une montée éreintante, nous voilà au sommet du volcan qui culmine à 1.465 m d’altitude. Pas de bol, le temps est couvert rendant la visibilité nulle. On m’explique rapidement que, par beau temps, la vue serait imprenable sur la ville de Clermont et la plaine de la Limagne. Je reviendrai, c’est décidé…

On dévale le flanc nord de la montagne par le Chemin des chèvres pour traverser une plaine qui rappelle les paysages irlandais magnifiés dans la série « Game of Thrones ». Notre « game » à nous, c’est l’ascension du Pariou, l’autre volcan éteint de la chaine. Il est moins abrupt que le Puy-de-Dôme, surtout grâce à un immense escalier en bois de 528 marches qui mènent jusqu’au cratère en forme d’entonnoir. Le temps est devenu plus clément pour admirer Clermont. Et pour pique-niquer. On redescend pour rentrer à la maison après 17 km de randonnée, les muscles en feu.

Depuis, je suis retourné au sommet du Puy-de-Dôme, mais cette fois par le Panoramique des Dômes, le magnifique train électrique à crémaillère qui déverse des fournées de touristes au sommet de la montagne, toutes les 20 minutes en été. J’ai pu admirer tout ce que le brouillard masquait lors de la première visite : au sommet, les vestiges du Temple de Mercure (édifice construit à l’époque gallo-romaine), la ville de Clermont-Ferrand, la plaine de la Limagne et des paysages montagneux entrecoupés de vallées à couper le souffle. Sur les dômes des petits volcans éteints, se sont formés au gré du temps de magnifiques lacs à l’eau d’un bleu profond : Gour de Tazanat, lac Aydat, lac de la Cassière, etc. Des hauts lieux du tourisme auvergnat, intelligemment mis en valeur pour la baignade, le vélo ou pour de somptueuses randonnées pédestres.

Sur le flanc nord du Puy-de-Dôme, des casse-cous s’élancent dans le vide depuis le sommet, accrochés à de minuscules cordes de parapente. A chaque décollage, un frisson me parcourt la colonne vertébrale !

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J’ai pourtant eu ma dose d’adrénaline au parc d’attraction et animalier du Pal, situé dans la commune de Saint-Pourçain-sur-Besbre, à un peu plus de 100 km de Clermont. Vingt-six attractions et un parc zoologique de 700 animaux. La nature est partout. A l’attraction Azteka, on a pris un train fou qui dévale des pentes raides et des virages serrés à une vitesse vertigineuse, à vomir toutes ses tripes ! A l’arrêt, je sentais la terre se dérober sous mes pieds. Un truc de ouf !

Clermont-Ferrand, c’est le relief et la nature, on l’a vu, mais c’est bien sûr aussi les fromages (l’ADN de la région) : le Bleu d’Auvergne, la Fourme d’Ambert, le Rocamadour, le Saint-Nectaire, le Gaperon… La liste est longue. Je me suis limité au Saint-Nectaire, pris seul ou avec du pain, et au Bleu d’Auvergne fondu dans un savoureux Hamburger dont mes papilles se souviendront longtemps. J’avoue que mes pressentiments sur les formages français, endurcis par le rebutant Camembert, commencent à s’émousser.

Clermont, c’est aussi la ville de la roue. Celle de Michelin dont on aperçoit les sites de la société un peu partout dans la cité. C’est un peu l’âme de Clermont-Ferrand. C’est ici que le fameux pneu Michelin est fabriqué depuis 1891. Plus d’un siècle après, Clermont et Michelin roulent toujours ensemble !

Enfin, c’est également ici, dans la commune voisine de Chamalières, que les fameux billets de Franc CFA sont imprimés avant d’être expédiés en Afrique dans les zones UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale).

Clermont-Ferrand, ville des volcans, de la roue et des fromages, mais également ville du savoir où est né Blaise Pascal, mathématicien, physicien, philosophe, inventeur de la calculette et auteur de « Les Pensées » où il affirme : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». A propos de l’Auvergne, je reprends la citation à mon compte.


Parlez-vous le « guinéen » ? top 10 des mots et expressions français aux couleurs locales

wordle 2D’emblée, je préfère lever tout équivoque : de manière générale, les Guinéens s’expriment très bien en français. Certains intellectuels ont un niveau irréprochable, surtout les fonctionnaires à la retraite vivant en zone rurale, qui parlent encore un français raffiné d’inspiration coloniale. Ce constat m’a été confirmé par de nombreux amis étrangers qui séjournent ou ont séjourné en Guinée.

Mais comme partout ailleurs où le français, langue étrangère, s’est imposé comme langue officielle au détriment des dialectes locaux, les Guinéens, au fil des générations, ont acquis leurs « tics » de langage, leur façon de parler. Le résultat est éloquent. Des mots ordinaires ont fini par revêtir un sens qui peut soit dérouter, choquer ou faire sourire l’expatrié qui débarque pour la première fois à Conakry et qui engage la conversation.

Voici, en toute subjectivité, un « top 10 » des mots et expressions français du jargon guinéen.

  • Chose : Le mot qui choque l’étranger. Dans la bouche d’un Guinéen ayant un mot au bout de la langue, « chose » est l’équivalent de « truc » ou « machin ». Quelqu’un qui a un trou de mémoire et qui cherche à se rappeler le nom de quelque chose voire de quelqu’un, utilise « chose ». Les plus embêtés les alignent comme des perles qu’on enfile en se donnant de violents coups de poing à la tête : « euh … chose, chose » Pan ! « euh … chose-là » tchipp. Ceux-là ont poussé l’audace jusqu’à créer le verbe « choser » qui ne veut absolument rien dire !
  • L’autre-là : C’est la version de « chose » se rapportant au nom d’une personne. Un individu dont on oublie le nom ou le prénom devient « l’autre-là ». Ce qui a le don d’agacer certains expatriés qui peuvent l’assimiler à du mépris, pire : à la chosification. Alors qu’il n’en est rien. C’est juste une panne sèche de vocabulaire qu’on essaie de compenser par une traduction directe d’un concept de sa langue maternelle en français. Évitez donc de blâmer l’autre.
  • C’est mesquin : Dans le dictionnaire français, le mesquin est celui qui manque de générosité, l’avare. En Guinée, on dit souvent d’un travail qu’il est mesquin lorsqu’il demande de la concentration et de beaucoup de temps. C’est-à-dire un travail complexe, voire compliqué. Un problème mathématique : « c’est mesquin ». Un tableau croisé dynamique en Excel : c’est mesquin ». Pour souligner la complexité de la tâche, on tire sur la dernière syllabe du mot : « c’est mesquiiinnn » !
  • Escroc : Le Larousse définit l’escroc comme quelqu’un qui commet une escroquerie, c’est-à-dire qui trompe la confiance de quelqu’un en vue de le voler. Chez nous, dans le langage courant, un escroc c’est quelqu’un qui manque de franchise, qui rapporte, c’est-à-dire un hypocrite, un fourbe, un menteur. Et le pire des hypocrites est appelé ici par le nom bizarre de « Escroc-di-menteur ». Allez savoir d’où ça vient.
  • En cas de cas : Cette expression guinéo – guinéenne signifie en bon français « le cas échéant », c’est-à-dire si le cas se présente. Je m’excuse d’être aussi simpliste mais il faut préciser également que dans l’entendement de beaucoup de mes compatriotes l’expression « le cas échéant » signifie « le cas contraire » ! Vous ne trouvez pas que c’est mesquin tout ça ?
  • Moins un / moins cinq : Chez nous, ces deux expression servent à souligner la très forte probabilité de la survenue d’un évènement ou d’une action. Elles sont l’équivalent de « il a fallu de peu », « in extrémis », etc. Un joueur qui rate un penalty, c’est moins un il n’a pas marqué. Un camion qui manque d’écraser un piéton, c’est moins cinq le camion ne l’a pas tué. J’ignore si ces deux entiers négatifs sont utilisés puisque se rapprochant de zéro. D’ailleurs pourquoi ne dit-on pas par exemple moins trois ou moins sept… ?
  • Missionnaire : En réalité, nous ne donnons pas un sens très différent de ce mot de celui qu’il a dans le dictionnaire. Mais son emploi est si galvaudé en Guinée qu’il rappelle les Missions évangéliques en Afrique dans la période pré-coloniale. Il est très courant et désigne quelqu’un investi d’une mission officielle. Ainsi, un professeur qui se rend dans une université de province pour dispenser un cours en quelque temps est un missionnaire (Étudiants, nous disions que le prof balance le cours par la fenêtre). Des hôtes venus de l’étranger en mission dans le pays sont des missionnaires. Ce sens du mot est sans doute une survivance d’un vieux vocabulaire colonial.
  • C’est doux : Pour apprécier la saveur d’un mets, les Français s’exclament : « c’est bon » ! En Guinée, nous disons « c’est doux ». Le riz est doux, la sauce est douce, etc. En stage dans une rédaction parisienne fin 2011, cette expression faisait marrer mes collègues stagiaires qui ont fini par l’adopter pour me vanner régulièrement.
  • (Petit) plat : Attention, dans les foyers en Guinée, préparer un plat signifie faire la cuisine à l’occidentale. Ou en tout cas, cuisiner un aliment autre que ce qu’on mange habituellement à la maison, à savoir le riz et ses différentes variétés de sauces dont la débauche de couleurs rivaliserait un arc-en-ciel de fin de saison. Donc, un plat ou un petit plat c’est soit du poulet rôti, de la grillade, des spaghettis façon-façon ou quelque chose dans le genre un peu exotique. Dans les couples analphabètes, les possibles déclinaisons de l’expression sont « petit pilâ », chez les femmes peules, ou « petit pilan » chez les Soussou.
  • Pagaille : C’est bizarre, mais pagaille n’a pas toujours le sens de « désordre » ou de « confusion » dans la bouche de nos élèves et étudiants. Au contraire. En milieu scolaire, pagaille est assimilée à la plaisanterie. Le verbe « pagailler » made in Guinea désigne donc le fait de s’amuser, de faire de plaisanteries ou de se moquer gentiment.

Bon, j’arrête de pagailler. Mais j’ai une question: vous retrouvez-vous dans cette belle pagaille de mots et expressions ? En connaissez-vous d’autres ? En cas de cas, partagez-les ci-dessous dans les commentaires. Ce n’est vraiment pas mesquin ça !


Ces femmes au « métier d’homme » : Solange Bamba, mécanicienne

Solange Bamba, crédit photo: Alimou Sow
Solange Bamba, crédit photo: Alimou Sow

Sa tenue, simple, est caractéristique : un pantalon quelconque assorti d’un t-shirt maculé d’huile moteur et une cagoule repliée sur la tête pour protéger ses cheveux. Un morceau de carton en guise de tapis, Solange Bamba glisse avec agilité sous une voiture, armée d’une clé plate et d’un testeur électrique. Ses gestes coordonnés sont rapides, précis et bien huilés. Quelques minutes plus tard elle ressort avec un diagnostic sans appel : il faut remplacer la douille des feux de brouillard avant, et au moins quatre ampoules grillées.

Dans le service « électricité » de ce grand garage mécanique de Conakry écrasé par le soleil de mars, Solange Bamba fait figure d’exception : elle est l’unique fille du garage parmi la cinquantaine de travailleurs. Elle fait la fierté du chef de service, Maitre Sagno, qui supervise le travail de six apprentis mécaniciens plus ou moins qualifiés.

C’est à l’été 2014 que Maitre Sagno a reçu Solange, accompagnée d’un oncle paternel. Il avoue avoir été un peu surpris à l’époque d’accueillir une fille, mais surtout frappé par la flamme qui brulait dans les yeux de la jeune demoiselle amoureuse, non pas d’un quelconque prince charmant, mais de la mécanique. Les choses se sont passées en règle, c’est-à-dire dans la pure tradition guinéenne : dix noix de colas et quelques billets de banque pour sceller officiellement l’inscription de l’aspirante mécanicienne.

Deux ans plus tard, le maitre se dit « très satisfait » des performances de son élève. Le courage et l’intelligence de Solange sont reconnus et salués par tous ses collègues et même par certains clients, comme ce Monsieur rencontré surplace qui a tenu à le signifier directement au chef de service. « Elle est plus solide que les garçons » s’est réjoui l’homme.

Pourtant, rien ne prédestinait Solange au métier d’électricienne auto. Quatrième d’une fratrie de six frères et sœurs, Solange Bamba est née en 1993 à Lola, à l’extrême sud de la Guinée, d’un père médecin à la retraite et d’une mère vendeuse de céréales. Inscrite à l’école, comme ses autres frères et sœurs, son père voulait faire d’elle une intellectuelle. Mais le rêve de la petite fille était loin de porter une blouse et de se farcir le Serment d’Hippocrate comme son géniteur de père.

Sans pouvoir l’expliquer aujourd’hui, le cœur de Solange battait pour la mécanique auto. Elle ne se sentait pas « à l’aise » sur les bancs de l’école, d’où quelques difficultés scolaires. D’une santé fragile, elle est obligée d’abandonner ses études en classe de 9ème année du collège lorsqu’une maladie a failli la rendre paralytique. Son vœu secret de « quitter les bancs » est exaucé.

La jeune fille débarque alors à Conakry chez un frère étudiant diplômé à qui elle fait immédiatement part de sa volonté : apprendre à réparer les voitures, et particulièrement le système électrique ! « Un choix de garçon » qui étonne, mais Solange tient bon.

Elle balaie d’un revers de main les propositions de ses proches d’intégrer un salon de couture ou de coiffure, traditionnels points de chute pour filles déscolarisées. Elle ne veut pas faire comme les « autres » et déteste ces deux métiers « où tu n’apprends rien de concret, en dehors de commérages oiseux ». Le frère et l’oncle se plient à ses desiderata.

Gentille et souriante, elle s’intègre assez rapidement dans ce milieu exclusivement masculin bien qu’au début c’était un peu « gênant » se remémore-t-elle. Solange apprend vite, son maitre appliquant les mêmes règles à tous ses apprentis sans distinction de sexe. Cette façon de faire la réconforte au point de la pousser à relever de grands défis dans la réparation des pannes.

Elle a désormais trouvé toute sa place dans ce garage où elle se sent appréciée et respectée par ses collègues hommes, sans harcèlement. Le jeune apprenti, Maxime, reconnait volontiers que Solange est sa supérieure hiérarchique, lui qui est arrivé ici il y a à peine une année.

solange_2En dehors de son travail, qui l’absorbe tout de même six jours sur sept, cette Chrétienne pratiquante consacre une partie du dimanche à l’église, l’autre aux affaires sociales en rendant visite notamment à des parents établis à Conakry et à quelques copines de son Lola natal.

Pour l’instant le travail de Solange ne lui permet pas de s’auto-prendre en charge, étant encore en phase d’apprentissage. Son frère qui l’héberge, l’habille et la nourrit gracieusement également. Quand elle peut, les dimanches, elle lui donne un coup de main dans le bar que gère celui-ci. Elle vit modestement et cela lui suffit largement.

Du haut de ses 23 ans, cette belle Forestière de l’ethnie Kono au sourire éclatant, n’est pas du tout portée sur le matériel. Solange est de l’espèce, ô combien rare, de jeunes femmes aux ambitions mesurées.

Celle qui a parfaitement connaissance de l’existence de Facebook, mais feint n’avoir pas un « téléphone adapté » pour s’y connecter, ne se considère pas pour autant différente des autres filles. Mais quand on lui pose la question de savoir de quoi a-t-elle le plus besoin en ce moment, la réponse, inattendue, tombe comme un couperet : « je rêve de posséder pour moi-même une mallette entière d’outils où il y a toutes sortes de clés »!

Elle est consciente de sa condition féminine mais, à court terme, le mariage n’est pas une priorité pour Solange. A moyen et long terme, elle voudrait terminer son apprentissage et créer son propre garage de réparation de système électrique des véhicules, se donnant deux à trois années supplémentaires pour obtenir son « certificat ». A ce moment-là peut-être, elle se mariera.

« Ce qui est sûr, rassure Solange, je laisserai le libre choix à mes enfants pour leur orientation professionnelle mais je ferai en sorte de leur léguer mon métier de mécanicienne » conclut-elle.

Bon vent à Solange et bonne fête du 8 mars à toutes les femmes du monde.

PS: le garage où travaille Solange à l’écriture de ce billet se trouve à Kapporo-rails (Conakry), non loin de l’Ambassade des Eats-Unis.